Janvier
p. 475-485
Texte intégral
11er janvier. Mussolini reproche aux démocraties de trop parler de la paix : ceci déprime l’opinion publique et crée des courants hostiles au conflit. Il y a chez le Duce un net réveil germanophile qui est dû au télégramme envoyé aujourd’hui à Hitler, document qui nous sera reproché un jour.
22 janvier. J’ai persuadé le Duce de laisser partir des volontaires pour la Finlande où l’on a surtout besoin d’aviateurs de chasse et d’artilleurs. Demain, je me mettrai d’accord avec le ministre.
3Lors d’un entretien avec moi, Graziani se montre interventionniste et germanophile et dénonce Badoglio pour les contacts qu’il maintient avec Gamelin1. De nombreuses fois, je me suis opposé à Badoglio mais, en cette occasion, je suis d’accord avec lui. Inversement, Graziani envisage la guerre aux côtés de l’Allemagne et agit auprès du Duce pour accélérer l’action. Il est nécessaire de le surveiller et de le neutraliser. J’informe l’ambassadeur de Belgique de la possibilité d’une attaque de l’Allemagne contre les pays neutres. Voici deux mois, je lui avais dit que je ne la tenais pas pour probable : aujourd’hui, je lui ai dit que de nouvelles informations m’ont conduit à modifier mon jugement précédent. Il en a été impressionné.
4Le Duce est mécontent que Ribbentrop ne lui ait pas envoyé de télégramme de vœux pour la nouvelle année. Évidemment, mon discours lui a déplu. Sa colère me laisse indifférent, au contraire elle m’honore.
53 janvier. Le Duce a préparé une lettre pour Hitler. À la première lecture, elle ne me semble pas trop compromettante mais je l’examinerai plus en profondeur demain.
6Von Mackensen apporte un gros dossier contenant les résultats de l’enquête sur le discours de Pfitzner. Naturellement, ils sont négatifs. Maintenant, il voudrait connaître la source de nos informations. Ce n’est pas possible. Nous ne sommes pas des délateurs. D’autant plus qu’Attolico a écrit que le résultat de l’enquête avait donné des résultats positifs, au moins en partie.
7Je procède à un large mouvement diplomatique. J’ai promu le fils de Badoglio au choix2 : ce n’est pas un as mais son père l’adore et, en ce moment, je veux être en bons termes avec lui à tout prix. C’est un allié utile pour la cause de la non-intervention.
84 janvier. Rien de nouveau.
95 janvier. Von Mackensen revient pour connaître le nom du responsable de l’affaire Pfitzner. Je lui ai laissé entendre qu’il s’agit d’un Italien, déjà rentré au pays, que nous punirons. Il semble accepter ma version. En réalité, le document a été fourni à Muti par un avocat tchèque dont il se porte garant. La traduction a été faite par un employé du consulat, un certain Matteucci.
10Le Duce, après avoir apporté quelques modifications, ordonne l’envoi de la lettre à Hitler. C’est un très bon document – plein de sagesse et de mesure – mais qui n’aura guère d’effet. Les conseils de Mussolini sont écoutés par Hitler seulement quand ils coïncident exactement avec sa pensée3.
11Je pars ce soir pour Venise afin de rencontrer ce verbeux comte Csáky.
12Mussolini porte ce jugement sur l’état d’esprit du pays : « L’Italie n’a pas de sympathie pour l’Allemagne, a de l’indifférence envers la France et de la haine pour la Grande-Bretagne et la Russie. » Voici un diagnostic que je ne reçois qu’avec beaucoup de réserves.
136-7 janvier. À Venise avec Csáky. J’ai mis par écrit les résultats de l’entretien que je considère, dans l’ensemble, satisfaisants. Csáky a assuré que la Hongrie ne prendra pas d’initiative propice à propager l’incendie dans les Balkans. Du reste, j’en étais sûr auparavant. L’attitude hongroise rappelle celle de certains individus qui élèvent le ton afin d’être empêchés d’en venir aux mains. Les Hongrois – et ils l’ont prouvé à l’époque de la crise tchécoslovaque – sont violents en paroles et mesurés dans l’action, parfois trop.
148 janvier. Je fais un rapport au Duce, lequel est ennuyé que Csáky s’occupe de la Croatie vers laquelle ont toujours été orientées les ambitions mussoliniennes.
15Entretien avec François-Poncet. Rien de nouveau de sa part. Je le mets au courant, avec mesure, des résultats de Venise. Il se lamente des coups de pied4 de Mussolini. « Il est dommage, affirme-t-il, qu’en France on commence à croire que l’unique obstacle à l’entente entre les deux pays est la personne du Duce. »
16Je reçois Hesse. Pour la énième fois, il annonce la prochaine conclusion d’un modus vivendi entre le Pape et le Reich. Il fait allusion à la possibilité d’un voyage de Ribbentrop à Rome. Je fais de mon mieux pour l’en dissuader.
179 janvier. Colijn, ex-président du Conseil de Hollande5, est venu à Rome pour connaître notre avis sur la situation et pour établir, si possible, des relations plus directes. Il m’informe de ce qu’a fait son pays afin d’arrêter une éventuelle offensive allemande : il est certain que les Hollandais se battront avec la force du désespoir. Le passage des Prussiens ne sera pas facile. Je dis à Colijn que, pour le moment, il n’y a qu’à attendre et voir. Mais il faut s’armer, s’armer au maximum. Colijn a dit qu’il exclut toute possibilité de victoire allemande. Je lui ai laissé entendre que je le pensais aussi.
18Je mets au courant Percy Loraine des résultats de Venise. Il en est satisfait. Ce que nous faisons pour la Roumanie a le grand avantage de nous placer toujours plus dans le camp antiallemand.
1910 janvier. Badoglio, désormais bien orienté politiquement, n’estime plus possible de compléter notre préparation défensive pour l’année en cours car les matières premières manquent. Il faudra toute l’année 1941. Et même en 1942, nous ne pourrons pas prendre d’initiative offensive. En accord avec lui, nous retiendrons Graziani qui a plus d’ambition que de cerveau et qui mène auprès du Duce une facile mais dangereuse propagande interventionniste.
20La remise de la lettre du Duce à Hitler a eu lieu hier. Il semble qu’Hitler répondra par écrit. Attolico m’a fait savoir, par l’intermédiaire d’un fonctionnaire, qu’il ne croit pas que les conseils du Duce trouveront un bon accueil en Allemagne et que le sentiment que nous entrerons bientôt dans la guerre aux côtés des Allemands se renforce. Voici le résultat des entretiens de Mussolini avec Mackensen et Himmler. Moins il voit d’Allemands, mieux c’est.
21Rosso est rentré de Moscou. Il n’est pas porteur de beaucoup de nouvelles car les diplomates sont plus isolés que jamais. Il croit que l’entente russo-allemande est solide mais que les Russes ne veulent apporter aucune aide appréciable sur le plan pratique. Il souligne que cela est un jugement personnel car il ne sait rien de précis.
2211 janvier. Attolico rapporte un long entretien avec Ribbentrop au cours duquel il a commenté la lettre du Duce. Les Allemands se demandent si Mussolini, en proposant la reconstruction d’un État polonais comme condition suffisante au rétablissement de la paix, n’a pas déjà pris contact avec les Alliés. Rien de tout cela. Il s’agit d’une conviction personnelle du Duce, lequel continue à croire – et il a tort – que les Français et les Anglais ne veulent pas faire la guerre. Dans l’entourage de Goering, on parle à nouveau d’offensive à brève échéance et l’on escompte la victoire. La lettre du Duce n’a pas été généralement bien accueillie6.
23Aujourd’hui, Mussolini m’a parlé « d’intervention aux côtés de l’Allemagne dans la seconde moitié de 1941 ». Même lui s’est convaincu que l’état d’impréparation des forces armées rend impossible une quelconque tentative belliqueuse de notre part avant ce moment-là. J’ai dit à Mackensen que Ribbentrop a nié, en parlant avec Attolico, avoir assuré que la France et l’Angleterre n’entreraient pas en guerre. Mackensen, après avoir rappelé le pari de Salzbourg, s’est frappé le front et a dit : « Je ne peux rien dire. Ribbentrop est mon ministre. Mais je suis triste de passer pour l’homme à la mémoire courte. ».
2412 janvier. Rien de nouveau.
2513 janvier. Le Duce me parle de Muti. Il dit qu’il y a désormais de la mollesse dans le commandement du Parti. Il y a un contraste violent avec le formalisme rigide de Starace « qu’il adorait ». J’ai dû lui donner raison : Muti s’est mal entouré et il est présomptueux. Je ne crois pas qu’il durera longtemps.
26Les négociations avec les Anglais pour résoudre la question du blocus sont stoppées, malgré une lettre personnelle courtoise d’Halifax arrivée aujourd’hui.
27Avec Villani, nous parlons de nouveau de la Couronne de Hongrie : union personnelle ou couronnement du duc d’Aoste. Peu importe. Il suffit d’accélérer, d’autant plus que la question croate connait une rapide maturation.
2814 janvier. Les Allemands soulèvent la question de la vente de moteurs d’avion à la France. Le Duce veut interdire l’exportation de matériel de guerre aux Alliés. Mais après une longue discussion, à laquelle était présent Riccardi, il convient que nous manquerons bientôt de devises, donc de matières premières indispensables à la préparation militaire. Je peux donc parler clairement aux Allemands : je rédige un mémoire concernant notre point de vue. Je ne m’illusionne pas sur la possibilité de pouvoir les convaincre. Au contraire, ils en seront furieux. Mais cela permettra de nous assurer une meilleure liberté dans le trafic international qui nous est, en ce moment, assez favorable.
29Je dis à sir Percy Loraine qu’il ne nous est pas possible d’accéder à leurs propositions au sujet du blocus. Les Italiens n’admettent pas d’être contingentés dans leurs besoins les plus essentiels. Insister, de la part des Anglais, équivaudrait à transférer le problème sur le terrain politique et ceci est très dangereux. Sir Percy Loraine, qui est toujours plus compréhensif, s’en est rendu compte.
3015 janvier. Mussolini approuve mon mémoire qui sera remis à Mackensen en soirée. Il l’accueille avec peu de paroles et beaucoup de désappointement. Je ne fais rien pour améliorer son impression7.
31Le Duce est attristé par l’état de nos forces armées qu’il connaît désormais avec exactitude. Les divisions prêtes sont au nombre de dix ; elles seront 11 à la fin janvier. Les autres manquent plus ou moins de tout. Pour quelques-unes, la dotation en artillerie est déficitaire à 92 %. Dans ces conditions, il est difficile de parler de guerre. Mussolini en est humilié, au point de ressentir les symptômes – dit-il – d’un nouvel ulcère à l’estomac.
32Je constitue au ministère un bureau Finlande. Il devra coordonner toute notre action politique, militaire et économique en faveur des nations de la Baltique. Je le confie au capitaine Bechi.
33Entretien avec sir Percy : nous cherchons à résoudre les difficultés liées au contrôle, malheureusement sans succès. Il me fait savoir que d’ici peu, l’embargo touchera également le charbon allemand qui nous arrive par mer. Quoique le Duce ne semble pas donner beaucoup de poids à une telle décision, je suis réellement préoccupé par les conséquences que cela aura sur toute la vie économique du pays.
3416 janvier. Les carabiniers donnent au Duce un rapport alarmant sur l’Albanie. Il le prend trop au sérieux. Les carabiniers sont une source sûre mais synthétique : ils se limitent à faire la somme des observations des brigadiers et des caporaux-chefs. Jacomoni dément totalement et prépare, avec Benini, un contre-rapport. En Albanie, on travaille avec méthode et sans bluff : pour certains, c’est un grave tort mais je n’entends pas changer.
35Je prépare, avec Muti, l’ordre du jour de la réunion des secrétaires fédéraux. Il est nécessaire de donner l’impression que le moteur du Parti tourne encore à plein régime. Le Duce veut ajouter quelques phrases au ton anti-Alliés : ceci est mauvais car cela raidira la position franco-britannique contre nous et ne nous apportera aucun avantage pratique.
36Lettre de la princesse de Piémont : elle me remercie, au nom de son frère, pour ce que j’ai fait pour lui. Je crois que l’alarme a été donnée à temps. Encore aujourd’hui, Attolico télégraphie que l’attaque de la Belgique est non seulement probable mais sans doute imminente, et Attolico est un informateur très consciencieux8.
3717 janvier. Mussolini, dans l’état actuel de ses sentiments, est, aujourd’hui, plutôt hostile aux Allemands. Il dit : « Ils devraient se laisser guider par moi, s’ils ne veulent pas faire des gaffes9 impardonnables. En politique, il est indéniable que je suis plus intelligent qu’Hitler. » Je dirais que jusqu’à présent, le chancelier du Reich n’a pas prouvé qu’il est de cet avis.
38Christich, de retour de Belgrade, renouvelle les assurances d’amitié envers l’Italie et tient beaucoup à souligner que l’entente entre Serbes et Croates est, cette fois, profonde et opérante. Toutes les nouvelles qui nous parviennent d’autres sources disent exactement le contraire.
39Je reçois De Man, ministre belge, de passage à Rome, et l’ambassadeur de Pologne qui me raconte le martyr quotidien de son pays sous le joug de la bestialité germanique.
40Accompagné de Jacomoni, je discute avec le Duce de la situation albanaise. Les carabiniers peuvent penser et écrire ce qu’ils veulent mais il y a un fait : l’Albanie n’a, pour le moment, pas causé le plus petit désagrément.
4118 janvier. Avec Jacomoni chez le Duce. Je crois que lui-même se rend compte que l’alarme suscitée par le général Agostinucci10 – appelé par les Albanais le Lion empaillé – est en grande partie au moins injustifiée. L’entretien a cependant été utile pour décider quelques plans de travaux publics, spécialement à Tirana. Je discute avec Ricci de la question du charbon. Le Duce lui a dit : « J’ai le plaisir – je dis le plaisir – de vous annoncer que le charbon anglais ne pourra plus arriver. » Il promet que cela donnera un coup de fouet aux Italiens afin de prendre de manière plus décidée le chemin de l’autarcie. Il compte suppléer ce manque par la production nationale de lignite. Mais cela sera-t-il suffisant ? L’équipement est-il complet ? Ricci ne cache pas son scepticisme.
42Percy Loraine parle du blocus et des questions commerciales. Puis je le vois recueilli et pensif : il veut dire quelque chose mais ne parvient pas à se décider. Je l’encourage à parler. Il me manifeste ses préoccupations au sujet de l’attitude du Duce qu’il sent et sait véritablement hostile. « Il est nécessaire que le Duce sache – conclut-il – que l’Angleterre d’aujourd’hui n’est pas celle d’il y a quelques années. Elle est forte et décidée à tout. » Il m’est difficile de polémiquer car je suis de la même opinion et sir Percy le sait.
4319 janvier. Aujourd’hui, François-Poncet n’a également pas caché ses préoccupations au sujet de l’attitude personnelle du Duce. Les déclarations faites par le secrétaire du Parti – dont on connaît évidemment l’origine – ont eu un écho défavorable en France et en Angleterre. Elles ont retenti comme une menace11. Et pourtant, il faut se convaincre que ces pays vaincront la guerre et que nous ne devons pas nous présenter à la table de la paix en habits de complices de l’Allemagne, même si nous n’avons pas combattu. J’ai cherché à persuader François-Poncet qu’il avait tort, mais les faits – malheureusement – comptent plus que les paroles, y compris les miennes. Balbo, qui est venu me voir et qui pense exactement comme moi, était très hostile aux déclarations de Muti, tant en politique extérieure qu’en politique intérieure.
4420 janvier. Conseil des ministres caractérisé par un fantasmagorique ballet de milliards que nous n’avons pas. Des budgets à faire palpiter le pouls de chacun, sauf celui du Duce qui reste d’un calme imperturbable. Il a dit que les États ne se sont jamais écroulés pour les questions financières. Ils tombent pour des raisons internes ou à la suite de défaites militaires, jamais pour des causes économiques.
45Revel a faiblement objecté que la Révolution française fut justement en faillite à cause des assignats12. Mais le Duce n’a pas accepté la discussion et a coupé court. Il a également parlé des possibilités avantageuses d’une inflation sur une échelle cyclopéenne. Heureusement, il n’en a parlé que d’une façon académique.
4621 janvier. La comtesse Potocka13, avec laquelle j’ai chassé les sangliers l’année dernière à Bialowieza et que j’ai réussi à faire libérer des prisons russes, est venue me voir. Elle a décrit avec sobriété et dignité sa vie en Russie durant sa captivité, le voyage de retour, le contact avec les Allemands de la Gestapo. Elle ne veut ni m’impressionner, ni me faire pitié et a beaucoup de classe. Elle a montré du mépris pour les Russes, de la haine pour les Allemands. Elle a dit que Beck n’est pas mal vu en Pologne, où sa politique est comprise et défendue. Par contre, Rydz-Smigly ne pourra jamais rentrer dans son pays.
47Bombelles décrit la visite du régent Paul à Zagreb : « Des funérailles pendant lesquelles les gens ne se découvrent pas. » Il dit que la situation se précipite, que le contrôle serbe est toujours plus détesté et moins efficace et que tout sera prêt pour l’action à brève échéance. Il propose une rencontre avec Pavelic que je ne confirme, ni ne dément. Notre éventuelle ligne d’action devrait être la suivante : insurrection, occupation de Zagreb, arrivée de Pavelic, invitation à l’Italie pour intervenir, constitution du royaume de Croatie, offre de la Couronne au Roi d’Italie. Bombelles est d’accord. Il dit que notre effort militaire sera minime car l’insurrection populaire sera complète et que les Serbes seront partout frappés et liquidés de manière implacable par les Croates.
4822 janvier. Mussolini est d’accord sur l’opportunité de ma rencontre avec Pavelic, qui aura lieu demain chez moi. En principe, la question croate semble en voie de résolution : il faut cependant préparer le terrain avec Londres et Paris. Ceci est une condition fondamentale. Sinon, il est aussi bien de ne rien faire car nous le payerons cher et d’ici peu. Mais Mussolini ne l’entend pas de cette oreille. Encore hier, quand je lui ai demandé des assurances pour l’avenir à communiquer à Loraine et Poncet, il a dit : « Une chose est certaine : nous n’irons jamais avec eux. » Je me suis bien gardé de le dire, comme il l’aurait voulu, aux deux ambassadeurs.
49Je suis intervenu auprès du ministre de Roumanie14 pour que soient libérés quelques Hongrois accusés de complot pour la sécurité de l’État. Ce serait un geste utile alors qu’un procès accentuerait une tension déjà vive.
5023 janvier. Conseil des ministres sur le budget militaire. Le Duce profite de l’occasion pour parler de la situation internationale. Toutes ses pointes sont dirigées contre la France et l’Angleterre qui « ne peuvent plus vaincre désormais la guerre ». Il répète que nous ne pourrons pas rester indéfiniment neutres. Une neutralité maintenue jusqu’à la fin de la guerre « nous ferait passer dans le groupe B des puissances européennes ». Il prévoit que nos possibilités militaires nous permettront d’agir au cours du second semestre de 1940 ou, mieux, dans le premier de 1941. Chaque allusion à notre action est toujours dirigée contre les Alliés. Il parle de bombardements terroristes sur la France, de contrôle maritime en Méditerranée. Ses déclarations ont beaucoup impressionné les ministres, quelques-uns ayant fait tout de suite chorus, spécialement Ricci et Revel. En revanche, Riccardi, parlant ensuite dans l’antichambre, a dit qu’il était absurde de proposer d’armer 70 divisions quand les matières premières à notre disposition suffisent à peine à en armer dix.
51J’ai reçu Pavelic. Anfuso a mis par écrit l’entretien. C’est un homme décidé et serein qui sait où il veut arriver et ne craint pas les responsabilités afin d’arriver à ses fins. Nous avons fixé les principaux points de la préparation et de l’action.
52J’assure sir Percy Loraine que nous sommes en train de faire « quelque chose et plus que quelque chose » en faveur de la Finlande. Il en a été satisfait.
5324 janvier. Aucune nouveauté.
5425 janvier. Rien de nouveau.
5526 janvier. Rien de nouveau.
5627 janvier. Le ministre de Finlande demande de nouveaux envois d’armes, spécialement de l’artillerie lourde. Il les demande avec un accent désespéré : si les choses continuent comme actuellement, l’écrasante supériorité des moyens russes brisera le moral finlandais et la résistance finira. Peut-être le ministre a-t-il décrit la situation avec des couleurs sombres, mais il est certain qu’espérer en une résistance illimitée est une vaine illusion.
57Gamelin a dit au général Visconti Prasca, qui me l’a rapporté en personne, qu’il serait prêt à offrir 1 milliard aux Allemands afin qu’ils lui fassent le plaisir de prendre l’initiative de l’attaque. Visconti Prasca juge l’armée française de manière superlative : la meilleure du monde. Il est convaincu que l’Allemagne a déjà perdu la partie.
5828 janvier. Le Duce est revenu de Terminillo. Je ne peux pas dire qu’il soit nerveux mais il est apparu plus tourmenté et anguleux que d’habitude. Il s’en est pris comme d’habitude à la France et à l’Angleterre car « elles ont perdu la victoire » avec leur politique, mais également à l’Allemagne pour avoir accéléré une guerre qui, d’ici trois ans, « aurait été gagnée à la suite de la désagrégation des démocraties ».
59Il est également mécontent de la situation intérieure à cause de Muti. Il a pris quelques décisions d’ordre disciplinaire qui ont eu un écho trop fort et ont trop fait plaisir aux milieux antifascistes, chose qui a indigné Mussolini : « Il faudrait faire comme l’Église, a-t-il dit, qui ne frappe jamais publiquement ses membres. Une fois, j’ai dénoncé à Tacchi Venturi l’évêque d’Iesi15 pour pédérastie. Malgré des preuves écrasantes, aucune satisfaction ne me fut donnée. Mais quelques années plus tard, j’appris que le coupable était mort de manière obscure à Frascati. »
60Je vois Poncet. Il est inquiet de l’attitude italienne : il croit reconnaître à plusieurs signes les prodromes d’une reprise de la politique interventionniste et germanophile. Je cherche à calmer ses anxiétés mais je n’y réussis pas. Il est convaincu que Mussolini est aveuglé par sa haine des démocraties, et qu’un jour il finira par provoquer une crise irrémédiable16.
6129 janvier. J’ai revu le Roi, ce qui n’avait pas été le cas depuis un long moment. Comme toujours, il s’est montré plein de sollicitude à mon égard et pour mon travail. Il reste antiallemand car telles sont ses convictions et sa nature, mais il n’est plus aussi sûr, comme passé un temps, de la défaite allemande. Il est sceptique sur les possibilités de résistance interne de l’Empire britannique. Il est inquiet pour l’Italie : « Avec la politique actuelle, nous risquons de déplaire à Dieu et à ses ennemis. » Il était assez au courant des plans mussoliniens pour la Croatie, mais il ne cache pas son scepticisme sur le succès de l’entreprise si elle n’est pas précédée, en temps utile, d’une entente avec la France et la Grande-Bretagne.
62Le Duce est irrité à cause de la situation intérieure : les gens grognent, les restrictions alimentaires préoccupent, l’ombre de la guerre descend à nouveau sur le pays. Il en a après le comte de Turin qui a fait des réserves de savon « pour laver ses 35 000 putains avec lesquelles on ne comprend pas ce qu’il fait, modèle réduit comme il est ». Il prédit la violence : « Quand, dans un peuple, prédominent les instincts de la vie végétative, il n’y a plus, pour le sauver, que l’usage de la force. Ceux qui en seront touchés, nous en saurons gré car la bastonnade qui les a frappés les a empêchés de tomber dans l’abîme vers lequel la peur les poussait inexorablement. » « As-tu jamais vu l’agneau devenir un loup ? La race italienne est une race de moutons. 18 ans ne suffisent pas pour la transformer. Il faudrait 180 ans ou peut-être 180 siècles. »
6330 janvier. Parini signale que les professeurs et les étudiants de Koritza, qui ont créé dernièrement des désordres, ont été identifiés et il estime nécessaire une punition exemplaire. Le Duce approuve. Je télégraphie qu’ils soient arrêtés et déportés dans quelque île tyrrhénienne. Les intellectuels albanais – comme il est logique – sont ceux qui sont les plus récalcitrants vis-à-vis de la nouvelle situation. Il faut les absorber, quand cela est possible, ou frapper les plus irréductibles. Ce n’est pas un gros problème : 200 ou 300 personnes. Le peuple ne donne pas de souci. Il travaille, gagne et jouit d’un bien-être jusque-là inconnu. Il est satisfait dans sa grande majorité.
6431 janvier. L’ambassadeur anglais informe que son gouvernement intensifie les envois de matériel à la Finlande mais ne fera pas parvenir d’unités militaires. Il est satisfait d’apprendre que nous envoyons des moyens et un groupe de spécialistes. À la fin de l’entretien, il fait allusion aux préoccupations dues à l’attitude personnelle du Duce : l’Angleterre sent son inimitié et ceci empêche un rapprochement profond et sincère. Je cherche à démentir mais il ne m’écoute pas. Je ne peux aller, avec un homme franc et intelligent comme Percy Loraine, au-delà de ce qu’est le mensonge diplomatique traditionnel.
65Hitler a prononcé un discours dont je ne vois pas la raison, si ce n’est de célébrer la date de la prise du pouvoir17.
Notes de bas de page
1 Maurice Gamelin est né en 1872. Général en 1916, il dirige la mission française auprès de l’armée brésilienne de 1919 à 1924. Durant son séjour brésilien, il se lie d’amitié avec le général Pietro Badoglio, alors ambassadeur d’Italie à Rio. Il devient chef d’État-Major général de l’armée française en 1931.
2 Il s’agit de Mario Badoglio, nommé consul général d’Italie à Istanbul.
3 Dans cette lettre, Mussolini présente à Hitler le discours de Ciano du 16 décembre 1939 : « Je crois comprendre que quelques passages de ce discours n’ont pas été du goût de certains milieux allemands. Est-il nécessaire que je vous dise qu’il représente, du début jusqu’à la fin, mon propre point de vue, et que je considère comme absolument indispensable de faire connaître la genèse des événements au peuple italien, ainsi que les raisons de notre attitude présente ? La révélation d’une petite partie de la vérité – par exemple du fait que nos deux peuples désiraient une période de paix relativement longue – n’a pas nui à la cause allemande. Vous savez que le comte Ciano a été, et demeure, un des partisans les plus convaincus de l’amitié germano-italienne. C’est précisément pour cette raison qu’il était de son devoir d’éclairer les Italiens et les étrangers. Le fait que le discours de Ciano ait fait l’objet de toutes sortes de spéculations plus ou moins ridicules n’a pas d’importance. Cela se serait produit quelles qu’aient été ses paroles. » Il aborde également le sort de la Pologne : « C’est ma conviction que la création d’une Pologne modeste, désarmée, exclusivement polonaise, ne saurait plus jamais constituer un danger pour le Grand Reich. Mais ce fait serait un élément de grande importance qui enlèverait aux grandes démocraties toute justification pour continuer la guerre […]. » Il conseille également de ne pas poursuivre une guerre à l’issue incertaine : « Vaut-il la peine, maintenant que vous avez réalisé la sécurité de vos frontières orientales et créé un Grand Reich de 90 millions d’habitants, de risquer tout, y compris le régime, et de sacrifier la fleur des générations allemandes, pour hâter la chute d’un fruit qui devra fatalement tomber et qui sera fatalement recueilli par nous qui représentons les forces nouvelles de l’Europe ? » Enfin, il montre les limites que doit avoir le rapprochement germano-soviétique : « Toutefois, moi qui suis révolutionnaire et qui n’ai jamais modifié ma mentalité révolutionnaire, je vous dis que vous ne pouvez pas sacrifier constamment les principes de votre révolution aux exigences tactiques du moment. […] J’ai aussi le devoir très net de vous dire que tout nouveau pas pour resserrer les relations avec Moscou aurait des répercussions catastrophiques en Italie où l’unanimité du sentiment antibolchevique est absolue, dure comme le granit, inébranlable. » Dans Les Lettres secrètes échangées par Hitler et Mussolini, Le Pavois, Paris, 1946, p. 48-56.
4 En français dans le texte.
5 Hendrikus Colijn est Premier ministre néerlandais d’août 1925 à mars 1926, puis de mai 1933 à août 1939.
6 Sur le point de savoir si la proposition de la reconstitution d’un État polonais sous égide allemande était susceptible de favoriser un retour à la paix, Ribbentrop écrit : « Cette opinion me semble cependant dans une certaine mesure en contradiction avec le fait que le Führer a offert une paix de ce genre en octobre aux puissances occidentales, mais qu’elles l’ont repoussée dédaigneusement. » Concernant le discours de Ciano du 16 décembre, le ministre allemand précise : « Je lui fis remarquer […] qu’il y en avait un ou deux [passages] dont […] nos ennemis feraient mauvais usage. Je songeais en disant cela à la mention faite par le comte Ciano d’une divergence d’opinions qui s’était manifestée dans les conversations de Fuschl et de Berchtesgaden, dont la révélation me semblait susceptible de créer dans le monde l’impression que l’Allemagne avait voulu la guerre. » Dans Les Archives secrètes de la Wilhelmstrasse. VIII : Les années de guerre. Livre II (2 janvier – 18 mars 1940), Plon, Paris, 1957, doc. no 373, p. 55.
7 Le mémorandum italien repose sur cinq points : 1) les contacts économiques concernant la livraison de matériel aéronautique, débutés en 1937, se sont déroulés entre les firmes privées Isotta Fraschini et Gnome et Rhône ; 2) le plan de réarmement italien ne sera terminé qu’en 1942 et nécessite des devises issues des exportations ; 3) le renforcement du blocus franco-britannique ne permet pas à l’Italie de se passer des commandes alliées ; 4) les livraisons italiennes sont limitées et les autorités allemandes seront informées de celles-ci ; 5) pas de changement dans la politique d’alliance avec l’Allemagne et aucune négociation politique envisagée avec la France et la Grande-Bretagne. Dans Ibid., doc. no 391, p. 85-87.
8 Le 10 janvier, un avion allemand s’écrase en Belgique, près de Mechelen-sur-Meuse. Malgré les efforts des pilotes pour les brûler, des documents pris par les autorités belges démontrent clairement les intentions allemandes de passer par la Belgique pour une offensive à l’ouest. Cet incident confirme les bruits qui courent depuis fin décembre et dont le Journal de Ciano s’est fait écho à la date du 30 décembre.
9 En français dans le texte.
10 Cristino Agustinucci est général des carabiniers en Albanie.
11 André François-Poncet écrit à ce sujet : « Muti, en dépit des recommandations qu’il a reçues de Ciano, envoie à ses troupes des instructions dont le ton martial et menaçant est directement contraire à la notion de non-belligérance. » Dans François-Poncet André, Au palais Farnèse. Souvenirs d’une ambassade à Rome. 1938-1940, Librairie Arthème Fayard, coll. « Les Quarante » (no 14), Paris, 1961, p. 156.
12 Créé à l’automne 1789, au moment de la vente des biens du clergé, l’assignat perd rapidement de sa valeur à cause d’une émission beaucoup trop importante. Le 27 septembre 1790, le cours forcé est décrété. La confiance en l’assignat s’écroule à la suite d’une émission de 30 milliards en janvier 1795. L’assignat est définitivement abandonné le 19 février 1796.
13 Épouse de l’ambassadeur polonais à Madrid.
14 Il s’agit de Raoul Bossy, en poste depuis l’année précédente.
15 Iesi est une ville de la province d’Ancône.
16 C’est effectivement le sens du rapport de François-Poncet : « Le comte Ciano n’a pas désarmé mes soupçons, ni dissipé mes doutes. Il a confirmé, en réalité, ce que nous savions déjà des sentiments de Mussolini. Il a confirmé que c’était à Mussolini personnellement qu’on devait attribuer l’attitude de la presse italienne et, notamment, celle du Popolo d’Italia. Mussolini reste un adversaire qu’un certain nombre de facteurs, dont, heureusement, le pouvoir ne s’affaiblit pas, privent, contre son gré, de sa liberté d’action. » Dans Kaspi André (dir.), Documents diplomatiques français. 1940. Tome I (1er janvier – 10 juillet), Presses interuniversitaires européennes – Peter Lang, Bruxelles / Bern / Berlin, 2004, doc. no 53, p. 119-120.
17 Commémorant le septième anniversaire de son accession au pouvoir, Hitler prononce un discours au palais des sports de Berlin. Après s’en être pris aux dirigeants français et britanniques, il rappelle le triomphe qu’a été la campagne de Pologne.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Bestiaire chrétien
L’imagerie animale des auteurs du Haut Moyen Âge (Ve-XIe siècles)
Jacques Voisenet
1994
La Gascogne toulousaine aux XIIe-XIIIe siècles
Une dynamique sociale et spatiale
Mireille Mousnier
1997
Que reste-t-il de l’éducation classique ?
Relire « le Marrou ». Histoire de l’éducation dans l’Antiquité
Jean-Marie Pailler et Pascal Payen (dir.)
2004
À la conquête des étangs
L’aménagement de l’espace en Languedoc méditerranéen (xiie - xve siècle)
Jean-Loup Abbé
2006
L’Espagne contemporaine et la question juive
Les fils renoués de la mémoire et de l’histoire
Danielle Rozenberg
2006
Une école sans Dieu ?
1880-1895. L'invention d'une morale laïque sous la IIIe République
Pierre Ognier
2008