Novembre
p. 265-280
Texte intégral
11er novembre. À Bolzano, visite de la zone industrielle qui est déjà très importante et en plein développement. L’aspect de la ville passe de nordique à méditerranéen. La main de Mastromattei1 est peut-être un peu rude mais très efficace. D’ici dix ans et même moins, il sera difficile de reconnaître en Bolzano la Bozen d’autrefois.
2Cérémonie de mariage dans la villa des Ducs de Pistoia2. Rien d’intéressant, si ce n’est le contraste entre les coutumes et le cérémonial un peu vieillot de la Maison royale et le cadre vingtième siècle de la résidence. Certaines livrées et certaines révérences jurent avec le nouveau mobilier.
3Manifestations à la gare. Dans le train, je trouve Ansaldo avec lequel je converse longuement. C’est le journaliste le plus cultivé et le plus intelligent dont dispose le régime.
4Innsbruck. Je fais une brève promenade en ville. Il fait froid. Peu de monde dans les rues.
5Le consul Romano dit qu’Innsbruck a beaucoup souffert de l’Anschluss : la ville vivait principalement du tourisme étranger qui a complètement cessé. Cependant, le régime s’implante dans les classes populaires : il n’y a plus de chômeurs. Les frictions qui se manifestent sont de caractère personnel et seront, au maximum, l’affaire d’une génération.
62 novembre. Vienne. Ribbentrop est à la gare. Nouvelle atmosphère. La foule me salue avec chaleur et avec sympathie. Je me rappelle l’accueil glacial que me réserva il y a deux ans la Vienne de Schuschnigg. Il y a quelque chose de changé : la vie est revenue dans cette ville et le ressentiment qui existait contre nous a cédé la place à la reconnaissance d’avoir permis cette réussite.
7À l’hôtel, entretien avec Goering. Il est vêtu en bourgeois, avec un habit gris de coupe voyante. À la cravate, nouée à la manière traditionnelle, un anneau orné d’un rubis. D’autres gros rubis aux doigts de la main. À la boutonnière, un grand aigle nazi avec des brillants. Un vague aspect d’Al Capone.
8Il parle mal des Hongrois. Il dit qu’ils sont de connivence avec les démocraties occidentales. C’est grotesque : je proteste et il n’insiste pas. Il fait allusion à la possible union entre la Yougoslavie et la Bulgarie, attaquant fortement le roi Boris3. La question ne nous intéresse pas. Goering croit que c’est à cause de la reine Jeanne4.
9Premier entretien avec Ribbentrop. Il cherche à tirer la couverture, autant qu’il le peut, en faveur de la Tchécoslovaquie. Il ne voudrait pas donner les trois villes, surtout Munkács, car il affirme que si la Hongrie les récupère, la Roumanie ne pourrait plus vivre. J’insiste avec une certaine énergie car je suis convaincu qu’il entend se faire l’avocat de Prague5. Il est peu, très peu, préparé à la discussion. Il n’est pas du tout documenté et son état-major n’est pas non plus au courant des questions traitées. Ceci facilite mon jeu6.
103 novembre. Belvédère7. Première réunion officielle. Les Slovaques défendent bien leur cause. Les Hongrois moins bien car Kánya est vraiment mauvais, inutilement acide et polémique, peu convaincant et froid dans l’argumentation ; le comte Teleki8 est mieux, plus documenté et serein. Ribbentrop a changé d’attitude par rapport à la première conversation du matin ; il s’est rapproché de notre point de vue et, dans la conduite de la discussion, il s’en tient à une attitude substantiellement favorable aux Hongrois.
11Déjeuner et entretien avec les diverses délégations. Ensuite, avec Ribbentrop, suivi par quelques collaborateurs, nous nous enfermons en conclave dans le Cabinet doré. Je prends la direction de la discussion et, laissant de côté les quelques points contestés, je trace avec un crayon rouge la ligne de la nouvelle frontière. L’impréparation de Ribbentrop me permet de tailler en faveur de la Hongrie des zones de territoire qui, en réalité, peuvent être objet de nombreuses controverses.
12On prépare les documents. Les délégations des deux parties entrent. Chvalkovsky, à la vue de la carte, pâlit et me dit : « Demain, je devrai me démettre. Aucun gouvernement ne pourrait supporter un coup semblable. » Kánya reste impassible mais explique à l’oreille de Magistrati sa satisfaction. De nombreux Hongrois présents sont émus : Villani pleure9.
13Soirée en compagnie des Italiens de Vienne qui sont parmi les plus fervents compatriotes à l’étranger.
14Jeudi, chasse dans la propriété du bourgmestre, vieux nazi qui a supporté 15 mois de prison de la part de l’ancien régime et qui a vu arrêter sa fille, incarcérée quelques jours avec des prostituées pour avoir allumé un feu en l’honneur des nazis. Ceci explique pourquoi le gouvernement du Reich doit être dur avec Schuschnigg et les siens.
154 novembre. Retour à Rome. Accueil à l’aéroport par de nombreux hiérarques et par la délégation hongroise.
16Dans l’après-midi, le Duce téléphone et, pensant parler à Anfuso, donne l’ordre de préparer une cérémonie pour moi, croyant que j’arriverai le soir par le train. Quand il sût que j’étais déjà arrivé en avion, il voulut me voir au palais de Venise. Il est très satisfait et me le dit à plusieurs reprises.
17Le Duce parle de la difficulté que représente la « dyarchie » du fascisme et de la monarchie. Il paraît qu’hier, au cours de la cérémonie à l’autel de la Patrie10, les choses se sont mal passées entre lui et le Roi car la foule acclamait le Duce et parce que la Marche royale n’avait pas été jouée au moment de l’élévation. Le Roi l’a remarqué. Le Duce a répondu qu’il s’agissait d’un oubli occasionnel. Le Roi a répliqué, d’un ton sec, qu’en huit siècles, les honneurs avaient toujours été rendus aux souverains de la Maison de Savoie.
18Le Duce commente la situation avec aigreur et laisse entendre que si l’occasion se présente de liquider cet état de fait, il ne la laissera pas échapper.
195 novembre. J’ai reçu une mission de journalistes brésiliens ainsi que Blondel qui s’apprête à partir après l’arrivée du nouvel ambassadeur de France. Blondel est le type même du fonctionnaire moyen. Sans talent, initiative ni courage, mais scrupuleux et correct. Son mérite est de caractère négatif : lors des deux années, il n’a rien fait pour aggraver la situation. Cela aurait été pourtant facile. Le reste n’était pas en son pouvoir. Nous verrons maintenant François-Poncet. Il ne vient pas sous de bons auspices. Le Duce a dit hier : « Je ferai tout pour qu’il se casse la tête. Il m’est antipathique. »
20Le Parti a reçu l’ordre du Duce d’activer la campagne antisémite et celle en faveur de la Tunisie et de Nice.
216 novembre. Calme plat en matière internationale, tempête en vue avec l’Église.
22Demain, le Conseil des ministres approuvera la loi sur la race. Dans celle-ci, il y a un article qui interdit les mariages mixtes, sauf au moment de mourir ou pour légitimer une descendance. Le Pape souhaiterait que soit accordée une dérogation pour les convertis au catholicisme. Le Duce a repoussé une requête qui transformerait une loi raciale en loi confessionnelle.
23Le Pape lui a alors écrit une lettre manuscrite qui est restée sans réponse11. Indigné, le Pontife s’est tourné vers le Roi et lui a adressé une lettre dans laquelle il accusait le Duce de faire sauter le concordat12. J’en ai donné une copie, obtenue par Pignatti, au Duce. Le Roi, quoiqu’elle soit en sa possession depuis hier soir, ne l’a pas encore transmise. Je ne peux pas dire que le Duce en ait été très secoué. Il a confirmé que la thèse pontificale était inacceptable et a eu des paroles amères pour la « dénonciation » que le Pape a cru bon de faire au Roi. Naturellement, la loi, qui est très dure envers les Juifs, passera demain comme c’était prévu13.
24J’ai télégraphié à Berlin afin que l’éventuel accord franco-allemand n’ait pas lieu avant que ne soient connus les résultats du prochain voyage de Chamberlain à Paris.
257 novembre. Conseil des ministres. Rien de particulier. Le Duce est irrité par le vacarme fait par Balbo au sujet de l’envoi de colons en Libye14.
26À l’avenir, les colons partiront par petits groupes, d’autant plus que l’on court le risque qu’ils se convainquent d’être des personnages officiels envoyés par le Régime pour faire belle figure. Ceci est advenu à Littoria15 où les paysans refusèrent de travailler, pensant devoir jouer un rôle purement représentatif.
27Perth m’a communiqué la décision britannique de mettre en vigueur le pacte le 16 novembre. Il me présentera les lettres de créance et non au souverain car ceci est dans le protocole et dans l’usage.
28En accord avec Ribbentrop, nous refusons l’invitation d’envoyer nos deux ministres à Kassa pour assister à l’occupation hongroise. Cela irriterait les Tchèques et enlèverait son caractère d’impartialité à l’arbitrage.
29François-Poncet arrive. Seuls des fonctionnaires du ministère auxquels ce devoir incombe strictement sont allés l’accueillir. Anfuso me fait savoir qu’il y avait beaucoup de personnes à la gare ainsi que sur la place et qu’il y eût quelques applaudissements, peut-être de la part d’Italiens. J’en ai référé au Duce par téléphone qui en a été, évidemment, ennuyé16.
308 novembre. Il me semble qu’il n’y a pas beaucoup d’espoir pour un rapprochement avec la France. Le Duce, au rapport, m’a tracé les grandes lignes de ce que devra être notre future politique : « Objectifs : Djibouti, à la rigueur au travers d’un condominium et d’une neutralisation ; Tunisie, sous un régime plus ou moins analogue ; la Corse, italienne, jamais francisée et qui doit donc être sous notre administration directe ; la frontière au Var. La Savoie ne m’intéresse pas car elle n’est ni historiquement, ni géographiquement italienne. Voici les grandes lignes de nos revendications. Je ne donne ni un an, ni cinq ans, ni dix ans. Le temps sera fixé par les événements. Mais il faut toujours avoir ces buts à l’esprit. » Ce sont sous ces auspices que débute la mission de François-Poncet.
31Je revois le comte de Chambrun. Il me semble qu’il a quelque peu décliné physiquement et intellectuellement. Il me parlait à 10 heures du matin comme il parlait auparavant à 10 heures du soir après avoir mangé et surtout bu.
32Guariglia17, en partance pour Paris, reçoit des instructions de wait and see18. C’est un fonctionnaire rusé qui conduira l’âne où voudra le patron, mais il le fera à contrecœur car il est démocrate et donc, dans le fond, francophile.
33Un petit vieux, que j’ai vu une fois en deux ans, m’annonce que son pays reconnaît l’Empire. Non sans difficulté, je parviens à identifier le ministre d’Afrique du Sud19.
349 novembre. Conseil des ministres20.
35Premier entretien avec François-Poncet. Il veut être désinvolte et, rappelant nos rapides contacts à Munich, entre dans la conversation avec le ton d’un vieil ami, digne et sûr de soi. Mais il ne l’est pas du tout. Il fait d’abord un discours assez décousu. Il parle longuement de lui-même et de ses précédents politiques. Puis il en vient au point central du discours et explique que sa présence à Rome signifie que la France a tiré profit de la leçon de Munich et entend marcher avec un esprit réaliste. Aucune allusion à une rivalité avec l’axe Rome-Berlin : il espère pouvoir le rapprocher du système franco-britannique pour établir un mode de consultation à quatre. Je réponds en énumérant les preuves de bonne volonté de notre part.
36Mais il y a un obstacle entre nous et la France : l’Espagne. La position est encore celle fixée par le Duce dans son discours de Gênes21. François-Poncet est d’accord. Il explique les difficultés de son gouvernement pour résoudre ce problème. Il affirme qu’il fera de son mieux pour que l’on puisse arriver à un accord à ce sujet22. Quand il est sorti, il avait l’air très fatigué et semblait soucieux. La navigation, à Rome, est difficile.
37Le ministre de Lituanie23 voudrait les bons offices italiens pour une conciliation avec l’Allemagne et la Pologne.
3810 novembre. Conseil des ministres. On vote la loi pour la défense de la race. Starace voudrait parvenir à l’expulsion inconditionnelle de tous les Juifs du Parti. Le Duce s’y oppose. Pour le reste, la loi est approuvée, si ce n’est quelques variantes minimes telles qu’elles avaient été proposées par le ministre de l’Intérieur24.
39Dans l’après-midi, je réunis au palais Chigi les consuls de la France méridionale, ainsi que de la Corse, de l’Algérie, etc. Le Duce entend faire une politique de rapatriement des Italiens résidant en France. Ils sont aujourd’hui environ 1 million. La crise de septembre a prouvé toute la dramatique gravité de ce problème. L’état-major français se disposait à encadrer huit bataillons de compatriotes afin de les lancer contre nous avec les effets moraux que l’on peut facilement prévoir. D’autre part, nous aurions la préoccupation du sort réservé aux meilleurs de nos compatriotes : les uns tués, les autres persécutés, internés dans des camps de concentration ou contraints aux travaux forcés. Puisque la politique italienne peut encore nous amener à devoir affronter une crise contre la France, nous souhaiterions qu’une telle situation ne se répète pas. Tous ceux qui voudront rentrer, nous leur faciliterons au maximum la chose au travers de placements, de subsides, de pensions. Les consuls, unanimes, se sont exprimés en faveur de cette politique : ils ont traversé des heures fort tragiques en septembre, quand le sort des Italiens était extrêmement précaire en France. Il est nécessaire d’assurer du travail aux rapatriés. J’ai fixé une nouvelle et plus large séance pour samedi.
4011 novembre. Le ministre de Hongrie m’apporte une statue d’Hercule offerte par Kánya. Il me fait également une invitation à me rendre à Budapest en janvier-février. Puis, quasiment accidentellement, il fait allusion à la possibilité de désordre en Ruthénie, propre à déterminer l’union nécessaire à la Hongrie. Je le déconseille de la manière la plus nette. Il en résulterait que l’Allemagne prendrait une position contraire, et nous-mêmes, nous serions peut-être contraints de demander aux Magyars la stricte observance de l’arbitrage. Hitler a dit à quelqu’un qu’il considérait désormais la question ruthène comme « son affaire ». Mais que de désillusions sur le compte des Hongrois, d’abord sur le plan militaire, maintenant sur le plan de la correction. Ils se révèlent assez différents de ce qui était prévu.
41J’ai un entretien avec un Juif qui fut mon camarade d’école. Il était un garçon vaniteux et insolent à cause de sa richesse. Maintenant, c’est un homme brisé et triste. Les cas particuliers attristent, mais attention à ne pas considérer un grand phénomène historique et social sous l’aspect des sorts individuels. Quoi qu’il en soit, j’ai téléphoné à Buffarini pour réclamer de l’attention vis-à-vis du cas du Juif marié avec une aryenne. Je pense que pour ce geste de détachement de la nation et de la religion juive, on devrait pratiquer la discrimination. Si l’on veut sauver le noyau familial, on ne peut mettre le père en situation d’infériorité par rapport à ses fils.
4212 novembre. Je trouve le Duce toujours plus remonté contre les Juifs. Il approuve inconditionnellement les mesures de réaction adoptées par les nazis. Il dit que dans une situation analogue, il ferait encore plus25. Il l’est également contre l’ambassadeur de Belgique qui a écrit un rapport, dont le SIM26 nous a procuré une copie, pour expliquer que les Italiens ne veulent pas faire la guerre. Il lui a envoyé personnellement quatre copies d’un opuscule consacré à notre guerre et deux lignes anonymes ainsi rédigées : « Il paraît que vous dites que le peuple italien n’aime pas la guerre alors qu’il en a fait quatre victorieuses en l’espace d’un quart de siècle. »
43Il se propose de prendre une mesure par laquelle les Juifs naissant en Italie seraient apatrides.
44Il a également reçu Berti, en visite de congé. Il l’a beaucoup loué et l’a promu général de corps d’armée sur-le-champ. Dans l’après-midi, il m’a téléphoné pour m’indiquer qu’il annulait la promotion car il avait su qu’il était célibataire : « Un général devrait se rendre compte le premier que l’on ne fait pas de divisions sans hommes27. »
45L’Égypte reconnaît l’Empire : une reconnaissance de grande importance.
4613 novembre. Rien de particulièrement important. Le Duce critique la décision allemande d’appliquer 1 milliard de marks d’amende. Il est d’accord pour les représailles personnelles mais il pense que l’estimation de la vie de Vom Rath à 7 milliards de lires est excessive28, voire absurde. Il est également préoccupé par de nouvelles menaces dans les relations avec les catholiques. Il dit que chaque violence envers le clergé et l’Église rend l’Axe impopulaire, et que si une crise ouverte devait se manifester et que le catholicisme subissait le même sort que les Juifs, l’Axe pourrait difficilement y résister. Il a raison.
4714 novembre. Le Duce, qui depuis longtemps était réservé au sujet de l’Albanie, m’a de nouveau incité à agir à propos d’une croisière de Zog, le terme fixé étant toujours le printemps.
48Il était très antibourgeois, disant qu’il fera publier, le 3 janvier, un discours contre la bourgeoisie italienne, ainsi intitulé : « Visage et état d’esprit de la bourgeoisie. » Sur le Popolo d’Italia, il annoncera également la troisième vague parce que la bourgeoisie est contre l’Axe sans se rendre compte que s’il avait fait une autre politique, en mars dernier, il aurait été vaincu par l’Allemagne, Franco aurait été battu en Espagne et, peut-être, la France et l’Angleterre auraient pris l’Empire.
49Le Duce me demande d’écrire une lettre à Grandi annonçant nos revendications sur la Tunisie, Djibouti et la révision des tarifs de Suez29. Je l’écris et j’en informe Starace. Outre qu’il est un vrai fidèle, il est bon qu’il sache tout afin de faire son action de préparation auprès des masses. Réunion de la commission permanente pour le rapatriement des Italiens de l’extérieur. En plus de Starace, de nombreux ministres et présidents de confédérations y participent. Il y eut une sensibilité générale au problème et le principe de la bataille a été fort bien accepté. Nous la gagnerons. J’ai trouvé le moyen de soulever, comme il convient, l’irrédentisme tunisien.
5015 novembre. J’ai établi avec Buffarini la réponse à la note de protestation, à dire vrai très légère, envoyée par le Saint-Siège après l’adoption des récentes mesures raciales qui ont porté atteinte au concordat en ce qui concerne le mariage.
51Par l’intermédiaire de Berti, j’ai pris les derniers accords avec l’ambassade de Grande-Bretagne pour la mise en vigueur du pacte d’avril30.
52Rien d’autre de notable.
5316 novembre. Journée consacrée à la paix avec l’Angleterre. Ce matin, à 11 heures, lord Perth est venu me remettre les lettres de créance adressées au Roi-Empereur. Il était ému, et pour ne pas s’embrouiller, il avait écrit les quelques paroles qu’il devait prononcer. Pauvre vieux ! Au fond, il en a eu des émotions au palais Chigi ! Durant sa mission à Rome, nous avons frôlé la guerre bien deux fois. Aujourd’hui, au contraire, on met le point final à une crise qui a été très aiguë et qui s’est prolongée pendant plus de trois ans. Je dois reconnaître que Perth a bien travaillé, avec intelligence et honnêteté. Même l’opération du 28 septembre s’est certainement ressentie des bonnes relations que Perth a établies avec moi. Et pourtant, le premier jour qu’il me vit, il écrivit à son gouvernement (nous avons le document) qu’il avait dû surmonter sa répugnance pour me serrer la main étant donné que j’avais été le directeur de la campagne de presse antibritannique durant la crise éthiopienne31.
54Dans l’après-midi, cérémonie rapide pour la signature de la mise en vigueur du pacte. Puis au palais de Venise pour en référer au Duce. Il était très satisfait et m’a félicité pour mon action. « Tout ceci est très important, m’a-t-il dit, mais n’altère pas notre politique. En Europe, l’Axe reste fondamental. En Méditerranée, collaboration avec les Anglais tant que cela sera possible. La France reste en dehors car c’est contre elle que sont désormais définies nos revendications. »
55Perth fait également une ouverture pour une visite officielle de Chamberlain et d’Halifax durant la deuxième semaine de janvier. Le Duce est d’abord réticent, mais j’insiste sur la valeur morale de cette visite et il finit par donner son accord.
5617 novembre. La campagne pour le rapatriement des Italiens de l’extérieur est lancée avec grand style. Le Duce a approuvé les mesures que j’ai déjà prises ainsi que mon programme de travail. Je crois qu’il s’agit d’une belle bataille fasciste qui pourra nous donner beaucoup de satisfactions.
57Je reçois les dirigeants syndicaux qui ont accompagné les ouvriers en Allemagne. Dans la préface du livre, édité par la confédération, j’avais déjà exprimé un jugement nettement favorable sur l’utilité de ces voyages de masse qui permettent d’ouvrir l’esprit de nos ouvriers ainsi que celui des Allemands. Jusqu’à maintenant, les deux peuples sont restés, pour beaucoup de raisons, dans un étrange état d’esprit. Les Allemands nous ont aimés sans nous respecter. Nous les avons respectés sans les aimer. Grâce à une connaissance plus approfondie, nous pourrons, par la fusion des deux sentiments, arriver à créer la véritable atmosphère de l’Axe. Ce sera plus facile au travers des masses ouvrières qu’au travers de la bourgeoisie, plus égoïste, plus pacifiste, plus fondamentalement attachée à ces pays qui, comme la France et la Grande-Bretagne, représentent la cristallisation et la défense des systèmes que le fascisme et le nazisme repoussent et détruisent.
58Vittorio Mussolini32 devait aller à Londres, mais le voyage a été reporté car son hôte n’a rien trouvé de mieux que d’envoyer une violente lettre antiallemande au Daily Telegraph. J’ai informé Berlin de l’événement et des raisons pour lesquelles le voyage a été annulé.
5918 novembre. Villani est revenu à la charge à propos de la Ruthénie. Il dit que le mouvement se vérifie à l’intérieur du pays, que les Ruthènes ne peuvent vivre distincts de la Hongrie, que l’Allemagne semble indifférente à ce nouveau développement de la situation. Ce n’est pas vrai. Je sais que le Führer s’est déjà exprimé dans un sens négatif. J’ai dit avec clarté à Villani que je désapprouve cette conduite et que si l’Allemagne nous demande de nous unir à elle afin de rappeler à la Hongrie le respect des termes de l’arbitrage, nous marcherons en accord avec Berlin. Je tiens surtout à éviter que les Allemands puissent penser que nous menons le double jeu et que nous incitons les Hongrois à jeter de l’huile sur le feu. J’ai également invité Villani à considérer que la position hongroise vis-à-vis de Genève est désormais intenable. Ils doivent sortir de la Ligue dont ils n’ont jamais rien obtenu et dont ils n’obtiendront jamais rien. Un tel fait renforcerait la position d’Imrédy, également à l’intérieur, étant donné que les partis de droite apparaissent toujours plus actifs et inquiets.
60La princesse de Piémont m’a parlé de son voyage en France et en Angleterre. Rien de très important mais elle voulait surtout se justifier d’avoir assisté, l’été dernier à Lucerne, à un concert de Toscanini. Elle n’avait pas calculé la portée politique d’un tel acte et avait été influencée par quelques amis milanais.
6119 novembre. Villani me fait une nouvelle communication sur la situation en Ruthénie et, chose importante, me prévient que Budapest a mis au courant Berlin de la situation qui s’est produite. Attendons les réactions.
62Je commence à travailler à la rédaction d’un discours que je prononcerai à la Chambre le 30 novembre.
6320 novembre. Alors que j’étais à la chasse à la Mandria (Turin), Anfuso me téléphone au sujet du départ de 100 appareils vers la Hongrie. Le Duce, au cours d’un entretien qu’il avait eu avec l’attaché militaire hongrois, aurait promis ces armes et autorisé le début de l’action en Ruthénie, dans la mesure où Szabó l’aurait assuré que les Allemands n’y étaient pas opposés. Mensonge. Dans l’après-midi, Berlin communique que, interrogé par les Hongrois, le gouvernement allemand le leur a vivement déconseillé et leur a rappelé le respect de l’arbitrage de Vienne. Je suis d’accord avec les Allemands. Ces Hongrois se comportent mal, en peuple balkanisé qu’ils sont en réalité.
64En attendant, le Duce se retrouve dans un sérieux imbroglio. Il a été surpris dans sa bonne foi. Les promesses et les engagements qu’il a pris étaient basés sur la certitude de l’adhésion allemande. Celle-ci manque totalement. Tout engagement est caduc. Par chance, le mauvais temps a empêché les avions de décoller et de rejoindre la Hongrie. Si j’arrive à temps, je ferai annuler la décision de l’envoi. Il serait difficile de persuader les Allemands de notre bonne foi si, dans le même temps, nous envoyons aux Hongrois les moyens d’accomplir leur agression.
65Le Duce télégraphie à Berlin afin de prendre contact avec le gouvernement du Reich, de l’informer de la vérité et de décider d’une action concertée.
6621 novembre. Les Allemands sont d’avis d’envoyer une note à Budapest afin de les rappeler au respect de l’arbitrage de Vienne et nous envoient la minute. Nous sommes d’accord. J’en communique le contenu à Villani et Szabó qui sont attristés par l’événement. Ils ont agi en toute bonne foi, croyant véritablement que le gouvernement hongrois avait obtenu l’adhésion allemande.
67L’action hongroise n’aura pas lieu. D’autant plus que nos appareils ne sont pas partis et ne partiront pas pour le moment. Vinci33 télégraphie que Kánya, quand il l’a reçu pour la remise de la note, était abattu et, quoique courtois, glacial. Il est responsable de l’incident comme il est responsable, par les hostilités personnelles qu’il a créées, de l’attitude antihongroise de beaucoup de responsables allemands.
68Ribbentrop, avec lequel j’ai parlé au téléphone, s’est bien rendu compte de l’incident et n’a aucun doute sur notre attitude.
6922 novembre. Rien de particulier si ce n’est la réunion de la commission pour le rapatriement des Italiens.
7023 novembre. J’ai signé l’accord culturel avec l’Allemagne. C’est un engagement qui va au-delà des traditionnels accords culturels dont la valeur est habituellement nulle. Celui-ci ouvre véritablement les portes allemandes à la culture italienne dans une mesure qu’elle n’avait pas auparavant. Pour cette raison, nous avons donné à l’événement un grand retentissement dans la presse.
71Le discours pour la Chambre est fini. Il reste fixé à la date du 30 novembre. Imrédy se démet, comme c’était prévisible, à la suite du vote hostile de la Chambre. Il n’est pas encore possible de faire des prévisions sur sa succession mais on parle d’une nouvelle investiture du même Imrédy, plus à droite34. Il est intéressant de noter que le colonel Szabó s’est révélé hostile à l’actuel gouvernement. Lors de l’entretien de lundi, alors que Villani niait la possible chute du gouvernement d’Imrédy, Szabó ne semblait pas du tout contrarié par la formation d’un gouvernement nationaliste. Selon lui, ce serait la seule solution pour avoir une politique de pleine adhésion à l’Axe et, au sein de l’Axe, particulièrement à Rome. Il exclut l’idée que les extrémistes de droite soient, comme on le dit d’habitude, inféodés à l’Allemagne.
7224 novembre. Le chargé d’affaires de Tchécoslovaquie35 me remet une note dans laquelle il est affirmé que les questions pendantes avec l’Allemagne et la Pologne sont désormais définitivement liquidées. Ce n’est pas encore une démarche formelle mais le prélude à la demande de garantie des frontières sur la base de l’accord de Munich. Je ne crois pas que nous pourrons repousser une requête de ce genre si elle était formulée, d’autant plus que l’Allemagne y adhérerait facilement.
73Je communique à Christich ce qui s’est passé ces derniers jours entre nous, l’Allemagne et la Hongrie. Il est très reconnaissant de la communication et de l’attitude adoptée. Si l’incursion en Ruthénie avait eu lieu, la position de Stoyadinovitch en aurait été affaiblie à un moment où il est nécessaire de le soutenir en vue des prochaines élections. Christich m’a confirmé que Stoyadinovitch, fort de la majorité qu’il obtiendra, tendra toujours plus à mettre l’accent sur la forme autoritaire de son gouvernement. Durant la conversation, nous avons parlé des rapports entre Belgrade et Athènes et de la question de Salonique. Je l’ai encouragé à agir à la première occasion en direction de l’Égée qui est le débouché naturel des Yougoslaves vers la mer. Cela aura surtout pour effet de faciliter notre action en Albanie qui mûrit selon le plan prévu.
7425 novembre. Je confère avec Mosconi36 et l’avocat Gambini37 à propos de l’Albanie. Ils confirment que la conviction, déjà ancienne, que l’Italie sera d’ici peu maîtresse du pays fait toujours son chemin. Quelques secteurs de l’opinion publique en arrivent à souhaiter cette intervention. La situation du Roi est toujours plus délicate. Dans les milieux de la cour, l’attitude anti-italienne s’est accentuée.
75Gambara est allé chez le Duce. Il annonce une offensive sur Barcelone. Date approximative de début : 9 décembre. Gambara a fait un excellent rapport sur l’état moral de nos troupes. Il estime que le CTV, avec les Espagnols, avoisine les 60 000 hommes et qu’il pourrait avoir une part prépondérante au cours des prochaines opérations. Il a demandé et obtenu trois groupes d’artillerie de 149 et de 100 ainsi qu’un certain nombre d’hommes qui serviront à remplacer les départs et les pertes.
76Dans l’après-midi, je vois Villani qui me confirme que la Hongrie a arrêté toute action en Ruthénie. Il parle de nouveau de l’adhésion hongroise au pacte anti-Komintern. D’accord, mais il convient qu’elle soit précédée d’un retrait de Genève. Villani affirme que cela serait plus facile si le poste de Kánya était assuré par Csáky.
77Villani me rapporte que François-Poncet a dit que la Hongrie trouvera, un jour, un Gauleiter à la place d’Horthy et de ne pas se fier à l’Italie qui a déjà abandonné un autre pays. Villani – c’est en tout cas ce qu’il affirme – aurait réagi avec énergie.
7826 novembre. Le Duce a approuvé, presque sans rien en changer, le discours que je prononcerai mercredi à la Chambre.
79Von Mackensen me parle de la proposition hongroise d’adhésion au pacte anti-Komintern. À Berlin, on pense également qu’un tel geste devrait être précédé du retrait de Genève.
80L’ambassadeur me fait également un discours relatif aux mauvaises relations qui existent entre l’Allemagne et le Brésil et voudrait établir un parallèle entre le retrait de Lojacono et celui, forcé, de leur ambassadeur. En pratique, ils désireraient que nous n’envoyions pas Sola. Tout en déclarant que j’étais prêt à examiner les propositions et les arguments de Ribbentrop, j’ai fait remarquer qu’aucune mesure n’avait été prise contre nous qui justifierait une telle rétorsion. J’ai aussi souligné l’importance de nos intérêts économiques et politiques au Brésil ainsi que l’attitude amicale adoptée par ce pays à notre égard durant l’époque des sanctions38.
8127 novembre. Rien de notable.
8228 novembre. Je trouve le Duce indigné contre le Roi. Par trois fois, durant l’entretien de ce matin, le Roi a dit au Duce qu’il éprouvait une « infinie pitié pour les Juifs ». Il a cité des cas de personnes persécutées, et parmi elles, le général Pugliese qui, âgé de 80 ans, couvert de décorations et de médailles, devait rester sans domestiques39. Le Duce a dit qu’il y a en Italie 20 000 personnes au cœur tendre qui s’émeuvent de la sorte en faveur des Juifs. Le Roi a dit qu’il était parmi celles-ci. Le Roi a également parlé contre l’Allemagne à propos de la création de la 4e division alpine. Le Duce était très violent dans ses expressions contre la monarchie. Il médite toujours plus le changement de système. Ce n’est peut-être pas encore le moment. Il y aurait des réactions. Hier, à Pesaro, le commandant de la garnison a réagi contre le secrétaire fédéral qui avait fait le salut au Duce mais pas le salut au Roi.
83Réunion au sujet de la citoyenneté à accorder aux Arabes. Forte prise de bec entre Balbo et Starace parce que le premier a dit des choses offensantes envers le Parti.
84Perth vient me voir chez moi afin de rédiger de concert un communiqué à propos de la visite à Rome de Chamberlain. La nouvelle devait rester secrète mais, à Londres, on en a parlé et les journaux en étaient pleins dès ce matin. J’ai informé von Mackensen de la visite et de son objet40.
85Jacomoni me remet une petite carte avec l’emplacement des troupes en Albanie ainsi que le plan d’action.
8629 novembre. Le Duce a reçu François-Poncet. L’état d’esprit, déjà hostile, était aggravé par un fort refroidissement qui tourmentait le Chef depuis deux jours. L’accueil a été glacial. François-Poncet a cherché à entrer tout de suite dans le vif du sujet et a dit que son gouvernement l’a envoyé afin de continuer l’atmosphère de Munich. Le Duce, qui a même été jusqu’à feindre de ne plus se rappeler si au moment de Munich il avait déjà été nommé ambassadeur à Rome, a répondu que les rapports entre la France et l’Italie étaient vexés41 par l’affaire espagnole et que, sur ce point, il était plus intransigeant que jamais. Il a fait glisser la conversation sur la situation intérieure française42, alors que François-Poncet, qui parlait avec lenteur en cherchant à produire un effet sur son interlocuteur, tentait de revenir sur le terrain de la politique extérieure en s’accrochant au pacte à Quatre. Nouvel échec. Le Duce a dit que le plan avait échoué par la faute des gauches françaises et que ce ne sera certainement pas lui qui en proposera un nouveau. Puis, avec un air distrait, il a dit : « Il faut d’abord mettre de l’ordre dans la maison43 » et s’est levé. François-Poncet n’a plus ajouté un mot. En sortant, il avait l’air moins convaincu qu’au moment où il était entré44.
87Je parle avec Mackensen de la publication de la part du News Chronicle du projet de pacte à trois. Il semble que la fuite soit venue du côté japonais. Acquarone45, nouveau ministre de la Maison royale, vient me voir et me dit qu’il veut apporter un peu d’air frais dans l’atmosphère. « Mais – ajoute-t-il – je dois aller doucement sur les questions de forme car, si je les supprime, il ne restera plus rien. »
8830 novembre. Je prononce le discours à la Chambre. Cela va très bien. Quand je parle, à la fin, « des naturelles aspirations du peuple italien », éclate dans l’hémicycle une véritable tempête d’acclamations et de cris « Tunisie, Corse, Nice, Savoie ».
89Rien n’avait été préparé. Les députés ont exprimé spontanément leurs aspirations qui sont celles du peuple46.
90Le Duce était content. Je l’ai accompagné en voiture au palais de Venise. Il a dit : « Un grand discours et une grande journée pour le Régime. C’est ainsi qu’on impose un problème et qu’on lance un peuple. »
91En effet, il a pris la parole au début de la séance du Grand Conseil et a plus ou moins dit ce qui suit : « Je vous communique les prochains objectifs du dynamisme fasciste. Comme a été vengée Adoua47, nous vengerons Valona48. L’Albanie deviendra italienne. Je ne peux, ni ne veux vous dire encore quand et comment. Mais elle le sera. Puis, pour assurer notre sécurité dans cette Méditerranée qui nous enserre, il nous faut la Tunisie et la Corse. La frontière devra aller jusqu’au Var. Je ne souhaite pas la Savoie car elle est hors de l’arc alpin. Par contre, je pense au Tessin car la Suisse a perdu de sa force de cohésion et est destinée un jour à se disloquer comme nombre de petits pays. Tout ceci est un programme. Je ne peux fixer de délai. Je signale seulement les directives de marche. J’appellerai à répondre de crime de haute trahison celui qui révélerait tout ou partie de ce que j’ai dit49. »
Notes de bas de page
1 Giuseppe Mastromattei est le préfet de la province de Bolzano depuis 1933.
2 Le duc Emmanuel-Philibert de Savoie-Gênes épouse Lydia d’Arenberg.
3 Né en 1894 à Sofia, Boris de Saxe-Cobourg-Gotha monte sur le trône de Bulgarie en 1918 à la suite de l’abdication de son père Ferdinand Ier, conséquence de la défaite bulgare à la fin de la Première Guerre mondiale. Le début du règne est dominé par la personnalité d’Alexandre Stambuliski, chef du Parti agrarien et Premier ministre. Le putsch de juin 1923 aboutit au meurtre de celui-ci et à l’installation au pouvoir d’Alexandre Tsankov qui réprime les émeutes communistes et agrariennes. Face au danger d’une prise de pouvoir par des mouvements profascistes, le roi Boris III, avec l’appui de l’armée et des élites traditionnelles, fait un coup d’État royal en avril 1934 qui instaure une dictature militaro-monarchique avec un gouvernement dirigé par le général Georgiev.
4 La reine Jeanne de Bulgarie, épouse du roi Boris III, est une des filles de Victor-Emmanuel III.
5 « Si vous continuez à défendre ainsi les intérêts tchèques, Hacha ne manquera pas de vous décorer », dit Ciano à Ribbentrop. Dans Schmidt Paul, Sur la scène internationale, op. cit., p. 181.
6 L’attitude plutôt négative de la délégation allemande vis-à-vis de la Hongrie provoque des réactions populaires en Hongrie même. Hassell, ancien ambassadeur allemand à Rome, note dans son Journal à la date du 4 novembre : « L’arbitrage de Vienne entre Ribbentrop et Ciano a provoqué pour la première fois depuis la guerre, peut-être même dans l’histoire, des manifestations antiallemandes de la part des Hongrois devant la légation allemande à Budapest, accompagnées d’hommages démonstratifs au Duce. » Dans Hassell Ulrich von, Journal d’un conjuré (1938-1944). L’Insurrection de la conscience, Belin, Paris, 1996, p. 29.
7 Le palais du Belvédère est construit entre 1714 et 1721 par Lukas von Hildebrandt pour le prince Eugène de Savoie. Il sert de résidence à l’archiduc François-Ferdinand, neveu de l’empereur François-Joseph et héritier du trône d’Autriche-Hongrie à partir de 1896.
8 Né en 1879, le comte Pál Teleki est professeur de géographie économique à l’université de Budapest. Ministre des Affaires étrangères au moment du traité de Trianon (4 juin 1920) qui règle le sort de la Hongrie à la suite du premier conflit mondial, il devient Premier ministre en juillet 1920 mais se démet de ses fonctions à la suite de l’échec de la tentative de restauration du roi Charles IV en mars 1921. Ministre de l’Instruction publique en 1938, il est délégué hongrois à la conférence de Vienne.
9 L’arbitrage italo-allemand de Vienne accorde à la Hongrie 11 927 kilomètres carrés de territoire tchécoslovaque, correspondant à la lisière méridionale de la Slovaquie et de la Ruthénie subcarpathique, avec les villes de Kassa (Koice), Ungvár (Oujgorod) et Munkács (Moukatchevo), peuplés de 1,05 million d’habitants dont 86,5 % de Hongrois. Les autorités tchécoslovaques doivent évacuer les territoires concernés entre le 5 et le 10 novembre.
10 Célébration traditionnelle de l’armistice de 1918 au monument dédié à Victor-Emmanuel II.
11 Pie XI élève une protestation à propos de la question du mariage mixte remis en cause par le projet de loi : « L’article 7 du projet de loi qui, lundi prochain, sera présenté à l’approbation du Conseil des ministres, vient évidemment léser ce pacte solennel. Un tel vulnus [accroc] peut facilement être évité à l’inverse du texte de l’article prêt à l’approbation, d’où Notre souhait d’en porter connaissance à vos hauts collaborateurs mais, malheureusement, Nous n’avons pas été consolé de voir acceptées Nos requêtes. Nous vous les adressons dans l’espoir qu’elles seront accueillies par Votre Sagesse… » Dans I documenti diplomatici italiani, ottava serie (1935-1939), vol. X (12 settembre – 31 dicembre 1938), op. cit., doc. no 360, p. 374.
12 « […] Nous n’hésitons pas un instant à indiquer à Votre Majesté royale et impériale que c’est avec Nous qu’Elle a conclu le pacte historique dont tant de gloire a rejailli sur son Nom et sur Son Auguste Maison, Vous conjurant d’intervenir au nom de Votre autorité suprême afin d’obtenir ce que Nous n’avons pu recevoir malgré Nos paternels offices auprès de Votre Premier ministre. » Dans Ibid., doc. no 364, p. 378.
13 Les principaux points de la loi raciale adoptée le 7 novembre sont : interdiction des mariages entre Italiens de « race aryenne » et citoyens d’autres races, exclusion des Juifs de l’armée et interdiction d’occuper des postes de l’administration publique, soumission à des restrictions dans les activités économiques. Des exceptions sont décidées pour les blessés et les mutilés de guerre, pour les inscrits au PNF avant 1922. Ceux-ci et leurs proches peuvent demander des dérogations au ministère de l’Intérieur concernant les propriétés et les activités économiques. Enrico Fermi, récompensé par le prix Nobel de physique le 10 décembre 1938, ayant une épouse juive, ne revient pas en Italie mais s’installe aux États-Unis.
14 Partie de Gênes le 30 octobre, une flotte, surnommée la Flotte du travail, amène 20 000 personnes vers la Libye. Elles sont installées dans des villages aux alentours de Tripoli. Il s’agit de la première émigration organisée à une si vaste échelle en direction de l’Empire.
15 Ville nouvelle installée dans les Marais pontins asséchés, Littoria (actuelle Latina) est inaugurée par Mussolini le 18 décembre 1933 après deux ans de travaux.
16 André François-Poncet n’est pas dupe de l’accueil organisé, comme il l’écrit dans son rapport du 9 novembre : « Le désir manifeste de ne donner à l’arrivée du nouvel ambassadeur de France près le Quirinal aucun relief, les instructions adressées à la presse pour l’inviter à ne pas s’occuper des récents arrangements commerciaux franco-italiens, à s’abstenir de commenter l’abolition des mesures entravant les échanges touristiques entre les deux pays, démontrent assez combien le gouvernement de Rome entend accentuer, à notre égard, la note de réserve, d’ailleurs assez correcte, qui lui paraît correspondre le mieux à la situation présente. » Dans Documents diplomatiques français. 1932-1939, 2e série (1936-1939), t. 12 (3 octobre – 30 novembre 1938), Imprimerie nationale, Paris, 1978, doc. no 287, p. 503-504.
17 Né en 1890, Raffaele Guariglia entre à la Consulta (le palais de la Consulta est le siège du ministère des Affaires étrangères jusqu’à l’avènement du fascisme) en 1909. Secrétaire d’ambassade à Londres, Petrograd et Paris, il devient chef du bureau Orient en 1930. En septembre 1932, il est nommé ambassadeur à Madrid, puis à Buenos Aires en décembre 1936. L’entretien avec Ciano du 8 novembre 1938 est présenté par Guariglia dans ses Mémoires : « Que dois-je faire à Paris ? / – Rien. / – Ce sera assez difficile mais je ferai de mon mieux. » Dans Guariglia Raffaele, La Diplomatie difficile. Mémoires. 1922-1946, Plon, Paris, 1955, p. 83.
18 Attendre et voir. En anglais dans le texte.
19 Il s’agit d’Albert Heymans.
20 Ce Conseil des ministres adopte un plan d’urbanisme pour Addis-Abeba. Dans Mussolini Benito, Opera omnia. XXIX, op. cit., p. 209.
21 Discours tenu le 14 mai 1938, au ton antifrançais et assurant les nationalistes espagnols de l’appui de l’Italie fasciste.
22 « Il [François-Poncet] ne se cache pas que la solution du problème espagnol est encore très difficile, car de forts courants de l’opinion publique française penchent pour la défense à outrance de la république de Barcelone. D’autre part, il est notoire que le gouvernement par contre, particulièrement Daladier et Bonnet, serait favorable à l’envoi d’un agent diplomatique à Burgos. Ils auraient peut-être pu le faire aussitôt après la rencontre de Munich. Ils n’en eurent pas le courage. À présent, la chose paraît plus difficile. » Dans Ciano Galeazzo, Les Archives secrètes du comte Ciano, op. cit., p. 246. À propos de cet entretien, François-Poncet écrit à Bonnet : « Dans l’entretien que j’ai eu avec lui et qui a duré près d’une heure, le ministre s’est montré parfaitement courtois et aimable et même cordial. Je lui ai exprimé le désir qui animait le gouvernement de la République de normaliser les relations de la France avec l’Italie et de rétablir entre les deux pays les rapports de bon voisinage qui correspondent à leurs intérêts naturels, ainsi qu’aux intérêts de la paix en Europe. » Dans Documents diplomatiques français. 1932-1939, 2e série (1936-1939), t. 12 (3 octobre – 30 novembre 1938), op. cit., doc. no 288, p. 509.
23 Il s’agit de Stasys Lozoraitis depuis juillet 1938.
24 Depuis le 6 novembre 1926, Mussolini se réserve le portefeuille de l’Intérieur avec l’aide d’un sous-secrétaire d’État. À la date du 10 novembre 1938, il s’agit de Guido Buffarini Guidi, en poste depuis le 8 mai 1933. Le Conseil des ministres confirme l’interdiction des mariages mixtes, mesure qu’avait adoptée une séance du Grand Conseil du fascisme du 6 octobre.
25 Le 7 novembre 1938, le conseiller d’ambassade Ernst Vom Rath est tué à Paris par un jeune Juif d’origine polonaise, Herschel Grynszpan, qui souhaitait frapper un représentant du IIIe Reich. En représailles, dans la nuit du 9 au 10 novembre, les nazis saccagent magasins juifs, cimetières, synagogues, provoquant la mort de 91 Juifs allemands et l’arrestation de 20 000 autres. Cette nuit est surnommée la nuit de Cristal à cause de la multitude de débris de verre jonchant les trottoirs des villes allemandes.
26 Sigle du service d’information militaire (Servizio d’informazioni militari).
27 Cette décision est à replacer dans le contexte de la politique du régime en faveur de la natalité et contre le célibat. Le décret du 13 février 1926 crée une imposition envers les célibataires ayant atteint leur 26e anniversaire. Cette politique est renforcée en 1936-1938, lorsque le célibat devient un obstacle à la carrière des magistrats et des professeurs d’université. Enfin, le décret du 25 février 1939 ne permet pas aux célibataires d’entamer une carrière dans la fonction publique. Les mesures ne concernent pas, en théorie, les militaires. Mais le Duce n’apprécie pas que ceux-ci ne participent pas à l’effort nataliste du régime.
28 Suite au meurtre de Vom Rath à Paris, le gouvernement du Reich inflige une amende de 1 milliard de marks à la communauté juive allemande.
29 « Le Duce désire que tu commences à faire comprendre aux Anglais, sous la forme que tu estimeras opportune et avec ton habileté coutumière, que ces problèmes existent pour nous et que personne ne devra être surpris si, à un moment donné, nous les mettons nettement en discussion. » Dans Ciano Galeazzo, Les Archives secrètes du comte Ciano, op. cit., p. 248.
30 Il s’agit des accords italo-britanniques du 16 avril 1938.
31 À ce moment-là, Ciano est ministre de la Presse et de la Propagande.
32 Né en 1916, Vittorio est le deuxième enfant et le premier fils de Benito et Rachele Mussolini.
33 Luigi Vinci-Gigliucci est ministre d’Italie en Hongrie depuis janvier 1937.
34 Béla Imrédy forme effectivement un nouveau cabinet, dont Kánya ne fait pas partie.
35 Il s’agit de Vladimir Brauner.
36 Antonio Mosconi a été ministre des Finances du 9 juillet 1928 au 20 juillet 1932. Sénateur, il préside le conseil d’administration de la Banque nationale d’Albanie.
37 Amedeo Gambini est délégué de la Banque nationale d’Albanie.
38 Allusion au fait que le Brésil ne s’est pas associé aux sanctions économiques votées par la Société des Nations, le 11 octobre 1935, à la suite de l’agression italienne contre l’Éthiopie.
39 Le général Emanuele Pugliese commande la région militaire de Rome au moment de la marche sur Rome en 1922.
40 Dans son rapport, l’ambassadeur allemand indique que le Duce avait fait une allusion à Chamberlain au sujet d’une prochaine visite à Rome. Perth étant revenu sur l’idée, Mussolini avait pensé à février ou mars 1939. Chamberlain avait demandé d’avancer le moment de la visite à la première quinzaine de janvier. Dans Les Archives secrètes de la Wilhelmstrasse. IV : Les suites de Munich (octobre 1938 – mars 1939), Plon, Paris, 1953, doc. no 333, p. 484.
41 En français dans le texte.
42 La France est à la veille d’une grève générale lancée par la CGT, le 25 novembre, pour protester contre la remise en cause des 40 heures par le gouvernement Daladier décidé à « remettre la France au travail » afin de relancer la production.
43 En français dans le texte.
44 C’est une autre version de l’ambiance de l’entretien que nous lisons dans le rapport envoyé par André François-Poncet le 30 novembre : « Le Duce m’a accueilli avec simplicité, avec naturel et, m’a-t-il semblé, aimablement ». À propos d’une relance du pacte à Quatre, Mussolini aurait répondu à l’ambassadeur français : « Ce sont exactement les buts de la politique italienne. Elle n’en a jamais eu d’autres. J’ai préconisé il y longtemps l’entente directe entre les quatre puissances occidentales mais chez vous, on a combattu âprement cette idée. On a parlé du club des charcutiers. Mais il est clair que si les puissances s’entendent, la guerre deviendra impossible en Europe, la paix sera pour longtemps assurée. » Dans Documents diplomatiques français. 1932-1939, 2e série (1936-1939), t. 12 (3 octobre – 30 novembre 1938), op. cit., doc. no 433, p. 843-845.
45 Né en 1890, le comte Pietro Acquarone (il est fait duc par le roi le 19 octobre 1942), après une participation courageuse à la Première Guerre mondiale, devient instructeur militaire du prince héritier Humbert jusqu’en 1924. En novembre 1938, il est choisi par Victor-Emmanuel III pour remplacer le comte Alessandro Mattioli Pasqualini à la charge de ministre de la Maison royale, poste qu’il occupe officiellement le 16 janvier 1939.
46 André François-Poncet ne croit pas à l’aspect spontané. Il écrit dans son rapport du 1er décembre : « Cette manifestation a-t-elle été spontanée ? Il y faut plutôt voir l’effet d’un mot d’ordre et de la propagande organisée en ces derniers temps par M. Starace, et déjà signalée par moi. » Il est encore plus explicite dans un courrier, toujours en date du 1er décembre, où il rapporte la conversation d’un de ses collaborateurs avec une personnalité fasciste non mentionnée : « La personnalité dont il s’agit a reconnu sans difficulté le caractère discourtois des manifestations relatives à la Tunisie, à la Corse, à Djibouti, qui ont eu lieu hier à la Chambre des députés en présence de l’ambassadeur de France et il a volontiers admis qu’elles n’étaient pas spontanées, mais organisées “pour vous montrer à quel point la question tunisienne nous tient à cœur”. » Dans Documents diplomatiques français. 1932-1939, 2e série (1936-1939), t. 13 (1er décembre 1938 – 31 janvier 1939), Imprimerie nationale, Paris, 1979, p. 2 et 12. L’ambassadeur Mackensen donne la version suivante : « Les remarques faites par Ciano sur les aspirations naturelles de l’Italie ont déclenché des démonstrations de plusieurs minutes aux cris répétés de “Tunis, Djibouti, Corse, Nice”, et dont ne venaient à bout ni les gestes du Duce, ni la sonnette du président. […] À propos des exclamations que j’ai relatées plus haut, M. Poncet m’a dit que les députés avaient peut-être oublié que le chemin vers Tunis devrait passer sur 45 millions de cadavres de Français ! » Dans Les Archives secrètes de la Wilhelmstrasse. IV : Les suites de Munich (octobre 1938 – mars 1939), op. cit., doc. no 335, p. 489.
47 Le 1er mars 1896, une colonne italienne de 16 000 hommes, commandée par le général Baratieri, se heurte à une armée éthiopienne de 70 000 hommes à Adoua. Les Italiens laissent près de 6 600 morts sur le terrain. Cette défaite provoque la chute du gouvernement de Francesco Crispi et la mise en sommeil pour un long moment des ambitions italiennes en Éthiopie.
48 Occupée depuis 1919 par des troupes italiennes, la ville albanaise de Valona est le lieu de heurts entre Albanais et Italiens dans les premiers mois de 1920. Giolitti signe un accord avec l’Albanie, le 3 août 1920, qui aboutit à l’évacuation de Valona par les forces italiennes.
49 Au cours de son intervention, Mussolini aborde également les revendications italiennes à propos de Djibouti. Dans Bottai Giuseppe, Diario, op. cit., p. 139.
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