« Il n'y a pas d'individu au Japon... » petite anthologie1
p. 263-330
Texte intégral
L'individu est écrasé par sa race, et n'est rien. La race, la nation sont tout.
Georges Vacher de Lapouge, L'Aryen, son rôle social
Parce que nous ne sommes pas les pareils de ces gens-la.
Pierre Loti, Madame Chrysanthème
Le Jaune, le Noir n'est pas du tout notre cousin.
Émile Faguet, L'Avenir de la race blanche
Protohistoire du cliché
1Grèce ancienne, Aristote [servilité des peuples d'Asie] :
Les Barbares étant par leur caractère naturellement plus servile que les Hellènes, et les peuples d'Asie plus serviles que ceux d'Europe, ils supportent le pouvoir politique sans aucune gêne.
(Politique III, 1285a, 6-7, trad. de Jean Aubonnet, Paris, Gallimard/Tel, 1993)
Les peuples de l'Asie, au contraire, sont dotés d'une nature intelligente et de capacité technique, mais ils manquent de courage, aussi demeurent-ils dans une soumission et un esclavage perpétuels.
(Ibid., VII, 1327b, 2-3)
21684, François Bernier [espèces d'hommes] :
Les géographes n'ont divisé jusqu'ici la terre que par les différents pays ou régions qui s'y trouvent. Ce que j'ai remarqué dans les hommes en tous mes longs et fréquents voyages, m'a donné la pensée de la diviser autrement. Car quoi que dans la forme extérieure du corps, et principalement du visage, les hommes soient presque tous différents les uns des autres, selon les divers cantons de terre qu'ils habitent, de sorte que ceux qui ont beaucoup voyagé peuvent souvent sans se tromper distinguer par-là chaque nation en particulier, j'ai néanmoins remarqué qu'il y a surtout quatre ou cinq espèces ou races d'hommes dont la différence est si notable qu'elle peut servir de juste fondement à une nouvelle division de la Terre. [...]
La troisième espèce comprend une partie des royaumes d'Arakan et de Siam, de l'île de Sumatra et de Bornéo, les Philippines, le Japon, le royaume de Pegu, le Tonkin, la Cochinchine, la Chine, la Tartarie qui est entre la Chine, le Gange et la Moscovie, l'Usbek, le Turquestan, le Zaquetay, une petite partie de la Moscovie, les petits Tartares et les Turkomans qui habitent le long de l'Euphrate vers Alep. Les habitants de tous ces pays-là sont véritablement blancs, mais ils ont de larges épaules, le visage plat, un petit nez écaché, de petits yeux de porc, longs et enfoncés, et trois poils de barbe.
(Nouvelle division de la terre par les différentes espèces on races d'hommes qui l'habitent, envoyée par un fameux voyageur à M. l'abbé de La ***, paru anonymement dans le Journal des Savants, avril 1684, puis dans le Mercure de France en 17222)
31715, Pierre François Xavier de Charlevoix [Japonais imitateurs] :
Les Japonais, qui se sont toujours reconnus [les] disciples [des Chinois], n'ont quasi en rien la gloire de l'invention, mais on peut dire que tout ce qui sort de leurs mains est fini.
(Histoire de l'établissement, des progrès et de la décadence du christianisme dans l'empire du Japon, Rouen, Le Boullenger, 17153)
41748, Charles de Montesquieu [despotisme asiatique et Japon] :
Les peines outrées peuvent corrompre le despotisme même. Jetons les yeux sur le Japon.
On y punit de mort presque tous les crimes [...], parce que la désobéissance à un si grand empereur que celui du Japon est un crime énorme. Il n'est pas question de corriger le coupable, mais de venger le prince. Ces idées sont tirées de la servitude, et viennent surtout de ce que l'empereur étant propriétaire de tous les biens, presque tous les crimes se font directement contre ses intérêts.
[...] Il est vrai que le caractère étonnant de ce peuple opiniâtre, capricieux, déterminé, bizarre, et qui brave tous les périls et tous les malheurs, semble, à la première vue, absoudre ses législateurs de l'atrocité de leurs lois. Mais, des gens qui naturellement méprisent la mort, et qui s'ouvrent le ventre pour la moindre fantaisie, sont-ils corrigés ou arrêtés par la vue continuelle des supplices ? Et ne s'y familiarisent-ils pas ?
[...] Voilà l'origine, voilà l'esprit des lois du Japon.
(Chapitre XIII, « Impuissance des lois japonaises », du livre VI de L'Esprit des lois, 1748)
51758, Carl Linné [homme asiatique] :
Homo Asiaticus, luridus, melancholicus, rigidus
Pilis nigricantibus, oculis fuscis
Severus, fatuosus, avarus
Tegitur indumentis laxis
Regitur opinionibus »
(Systema Naturae, dixième édition, 17584)
L'homme asiatique, homo asiaticus.
Il est livide, jaunâtre, mélancolique, dur.
Ses cheveux sont noirâtres, bruns, ses yeux bruns noirâtres.
Il est sévère, orgueilleux, avare.
Il se couvre d'habits larges.
Il se laisse gouverner par l'opinion, les préjugés.
(Abrégé du système de la nature de Linné, publié par Jean Gilibert, 1805, p. 48)
61771, Dictionnaire de Trévoux [despotisme asiatique et Japon]
Forme de gouvernement dans lequel le souverain est maître absolu, a une autorité sans bornes, un pouvoir arbitraire qui n'a pour règle que sa volonté. Tel est le gouvernement de Turquie, du Mogol, du Japon, de Perse et de presque toute l'Asie. »
(cité par Alain Grosrichard, Structure du sérail, Seuil, Paris, 1979, p. 8)
71822-1830, Georg W. Hegel [Asie immobile et endormie ; absence de subjectivité ; poids de la famille] :
De bonne heure déjà, nous voyons la Chine en arriver à cet état où elle se trouve aujourd'hui, car, comme l'opposition de l'être objectif et du mouvement subjectif fait encore défaut, tout changement est exclu, et le statique qui perpétuellement réapparaît, remplace ce que nous nommerions historique. La Chine et l'Inde se trouvent en quelque sorte en dehors de l'histoire universelle, comme présomption des facteurs dont l'union seule constituera son vivant progrès. »
(Leçons sur la philosophie de l'histoire, traduction de J. Gibelin, Paris, Vrin, 1987, p. 93)
Si nous comparons ces empires suivant leurs destins divers, nous constatons que l'empire des deux fleuves chinois est dans le monde l'unique empire de la durée.
(Ibid., p. 91)
Après ces quelques indications sur l'histoire de la Chine, nous passons à l'examen de l'esprit qui caractérise sa constitution, demeurée toujours la même. Il découle du principe général. Celui-ci est, en effet l'unité immédiate de l'esprit substantiel et de l'esprit individuel ; or, c'est là l'esprit familial, qui s'étend ici sur le pays le plus peuplé. Le moment de la subjectivité, c'est-à-dire la réflexion intérieure de la volonté particulière en face de la substance, en tant que puissance qui la consume, ou la position de cette force en tant que son être propre en lequel elle se sait libre, n'existe pas encore ici : c'est la volonté générale qui s'affirme immédiatement en l'individu. Celui-ci n'a pas la moindre conscience de soi en face de la substance qu'il ne pose pas comme puissance adverse. [...] La volonté générale en Chine dit directement ce que l'individu doit faire et celui-ci suit et obéit de même sans réfléchir et sans songer à soi.
[... ] Les Chinois savent qu'ils relèvent de leur famille et qu'ils sont aussi fils de l'État. Au sein de la famille même ils ne sont pas des personnes, car l'unité substantielle où ils se trouvent c'est l'unité du sang et de la nature. Ils n'en sont pas davantage dans l'État ; car il y règne la condition patriarcale et le gouvernement repose sur la pratique de la prévoyance paternelle de l'empereur qui tient tout en ordre.
(Ibid., p. 96)
81834, Louis Reybaud [la fourmilière japonaise] :
Seulement sur cette route, une fourmilière d'hommes et de femmes, d'enfants et de vieillards, d'artisans, de bourgeois, de soldats, de bonzes, des seigneurs, trahissaient la banlieue d'une capitale. La foule y était si grande, qu'on eût pu croire que la population était sortie tout entière pour jouir de la beauté des environs.
(Voyage pittoresque autour du monde : résumé général des voyages, vol. 1, Paris, L. Tenré, 1834, p. 372)
91843, Hans Christian Andersen [le Japon, pays des automates] :
Un jour, l'empereur reçut une caisse, sur laquelle était inscrit : « Le rossignol ».
« Voilà sans doute un nouveau livre sur notre fameux oiseau ! », dit l'empereur. Ce n'était pas un livre, mais plutôt une œuvre d'art placée dans une petite boîte : un rossignol mécanique qui imitait le vrai, mais tout serti de diamants, de rubis et de saphirs. Aussitôt qu'on l'eut remonté, il entonna l'un des airs que le vrai rossignol chantait, agitant la queue et brillant de mille reflets d'or et d'argent. Autour de sa gorge, était noué un petit ruban sur lequel était inscrit : « Le rossignol de l'empereur du Japon est bien humble comparé à celui de l'empereur de Chine. »
[...] Mais un soir, alors que l'oiseau mécanique chantait à son mieux et que l'empereur, étendu dans son lit, l'écoutait, on entendit un « cric » venant de l'intérieur ; puis quelque chose sauta : « crac ! » Les rouages s'emballèrent, puis la musique s'arrêta.
(« Le Rossignol et l'empereur de Chine » [Eventyr fortuite for boern], in Contes d'Andersen, Fontcombe 2013, p. 357-359)
101853-1855, Arthur de Gobineau [théories racialistes, race jaune et Japon] :
La race jaune se présente comme l'antithèse de ce type [la variété mélanienne]. Le crâne, au lieu d'être rejeté en arrière, se porte précisément en avant. Le front, large, osseux, souvent saillant, développé en hauteur, plombe sur un faciès triangulaire, où le nez et le menton ne montrent aucune des saillies grossières et rudes qui font remarquer le nègre. Une tendance générale à l'obésité n'est pas là un trait tout à fait spécial, pourtant il se rencontre plus fréquemment chez les tribus jaunes que dans les autres variétés. Peu de vigueur physique, des dispositions à l'apathie. Au moral, aucun de ces excès étranges, si communs chez les Mélaniens. Des désirs faibles, une volonté plutôt obstinée qu'extrême, un goût perpétuel mais tranquille pour les jouissances matérielles ; avec une rare gloutonnerie, plus de choix que les nègres dans les mets destinés à la satisfaire.
En toutes choses, tendances à la médiocrité ; compréhension assez facile de ce qui n'est ni trop élevé ni trop profond ; amour de l'utile, respect de la règle, conscience des avantages d'une certaine dose de liberté. Les jaunes sont des gens pratiques dans le sens étroit du mot. Ils ne rêvent pas, ne goûtent pas les théories, inventent peu, mais sont capables d'apprécier et d'adopter ce qui sert. Leurs désirs se bornent à vivre le plus doucement et le plus commodément possible. On voit qu'ils sont supérieurs aux nègres. C'est une populace et une petite bourgeoisie que tout civilisateur désirerait choisir pour base de sa société : ce n'est cependant pas de quoi créer cette société ni lui donner du nerf, de la beauté et de l'action.
Viennent maintenant les peuples blancs. De l'énergie réfléchie, ou pour mieux dire, une intelligence énergique ; le sens de l'utile, mais dans une signification de ce mot beaucoup plus large, plus élevée, plus courageuse, plus idéale que chez les nations jaunes ; une persévérance qui se rend compte des obstacles et trouve, à la longue, les moyens de les écarter ; avec une plus grande puissance physique, un instinct extraordinaire de l'ordre, non plus seulement comme gage de repos et de paix, mais comme moyen indispensable de conservation, et, en même temps, un goût prononcé de la liberté, même extrême ; une hostilité déclarée contre cette organisation formaliste où s'endorment volontiers les Chinois, aussi bien que contre le despotisme hautain, seul frein suffisant aux peuples noirs. »
(Essai sur l'inégalité des races humaines, vol. 1, Paris, Firmin-Didot, 1884, p. 215-216)
Le Japon semble donc entraîné dans le sens de la civilisation chinoise par les résultats des nombreuses immigrations jaunes, et en même temps il y résiste par l'effet de principes ethniques qui n'appartiennent pas au sang finnois [partie du « rameau jaune »]. En effet, il existe certainement dans la population japonaise une forte dose d'alliage noir, et peut-être même quelques éléments blancs dans les hautes classes de la société.
(Ibid., p. 504-505)
[Dans la race ariane, sous-catégorie de la race blanche], chaque individu isolé possédait une importance qu'il ne paraît jamais avoir eue dans les multitudes inertes des peuples jaune et noir.
(Ibid., p. 474)
111857, Édouard Fraissinet [la fourmilière japonaise et le risque de débordement] :
Le Japon souffre d'une pléthore humaine. [...] Si le Japon était ouvert, une portion notable de cette fourmilière humaine, si intelligente, si laborieuse, ne manquerait pas de s'échapper vers l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
(Le Japon contemporain, Paris, Hachette, 1857, p. 7)
121862, Herbert Spencer [évolutionnisme biologique] :
Le passage de l'homogène à l'hétérogène est clairement montré dans le progrès de la dernière et la plus hétérogène des créatures l'homme. Durant le peuplement de la terre, l'organisme humain est devenu plus hétérogène parmi les portions civilisées de l'espèce, et l'espèce, dans son ensemble, a été rendue plus hétérogène par la multiplication des races et leur différenciation les unes des autres. À l'appui de la première de ces propositions, on peut citer le fait que, dans le développement relatif des membres, les hommes civilisés s'éloignent davantage du type général des mammifères à placenta que les hommes inférieurs. [...] De plus, de l'étendue et de la variété plus grande de ses facultés, nous pouvons conclure que l'homme civilisé a aussi un système nerveux plus complexe et plus hétérogène que celui du sauvage, et d'ailleurs le fait est en partie visible dans le rapport plus grand de son cerveau avec les ganglions sous-jacents. S'il fallait d'autres exemples, les enfants nous les fourniraient. Dans l'enfant européen nous trouvons diverses ressemblances avec les races humaines inférieures, par exemple l'aplatissement des ailes du nez, la dépression de sa partie osseuse, l'écartement des narines et leur retroussement, la forme des lèvres, l'absence du sinus frontal, l'écartement des yeux, la petitesse des jambes. Comme le développement qui transforme ces traits en ceux de l'Européen adulte est une continuation du changement de l'homogène en hétérogène qui apparaît durant l'évolution antérieure de l'embryon, il s'ensuit que le développement parallèle par lequel les traits des races barbares ont été changés en ceux des races civilisées a été aussi la continuation du changement de l'homogène en hétérogène. La vérité de cette seconde proposition est tellement évidente qu'il est presque inutile de l'appuyer par des exemples. Tous les ouvrages d'ethnologie témoignent en sa faveur par leurs divisions et subdivisions de races. [...]
Comme nous l'entendons maintenant, on peut définir l'évolution comme étant un changement d'une homogénéité incohérente à une hétérogénéité cohérente, accompagnant la dissipation du mouvement et l'intégration de la matière. (First Principles, 1862, 6e édition 1900, citée d'après la traduction française de M. Guymiot parue sous le titre Les Premiers principes, Paris, Alfred Costes, 19205)
131877, Georges Bousquet [vernis] :
Bouddhistes ou Mahométans, Chinois ou Hindous, Malais ou Japonais, les barbares sont devenus des chauffeurs, des mécaniciens ou des fondeurs, sans cesser d'être des barbares. L'ingénieur qui les fait travailler par milliers, et montre avec orgueil le produit de leur sueur, ne songe pas que tous ces ilotes accroissent chaque jour leur puissance productive sans élever leur niveau moral.
(Le Japon de nos jours et les échelles de l'Extrême-Orient, Paris, Hachette, 1877, p. 461)
141887, Charles Baudelaire [singes] :
Les Japonais sont des singes, c'est Darjon qui me l'a dit.
(Mon cœur mis à nu : journal intime, 18876)
151893, Émile Durkheim [évolutionnisme sociologique] :
Plus les sociétés sont primitives, plus il y a de ressemblances entre les individus dont elles sont formées. Déjà Hippocrate dans son écrit De Aere et Locis, avait dit que les Scythes ont un type ethnique et point de types personnels. Humboldt remarque dans ses Neuspanien que, chez les peuples barbares, on trouve plutôt une physionomie propre à la horde que des physionomies individuelles, et le fait a été confirmé par un grand nombre d'observateurs. « [...] Bien connue et souvent citée est cette parole d'Ulloa, que qui a vu un indigène d'Amérique les a tous vus. » Au contraire, chez les peuples civilisés, deux individus se distinguent l'un de l'autre au premier coup d'œil et sans qu'une initiation préalable soit pour cela nécessaire.
Le Dr Lebon a pu établir d'une manière objective cette homogénéité croissante à mesure qu'on remonte vers les origines. Il a comparé les crânes appartenant à des races et à des sociétés différentes, et y a trouvé « que les différences de volume du crâne existant entre individus de même race... sont d'autant plus grandes que la race est plus élevée dans l'échelle de la civilisation. Après avoir groupé les volumes des crânes de chaque race par séries progressives, en ayant soin de n'établir de comparaisons que sur des séries assez nombreuses pour que les termes soient reliés d'une façon graduelle, j'ai reconnu, dit-il, que la différence de volume entre les crânes masculins adultes les plus grands et les crânes les plus petits est en nombre rond de 200 centimètres cubes chez le gorille, de 280 chez les parias de l'Inde, de 310 chez les Australiens, de 350 chez les anciens Égyptiens, de 470 chez les Parisiens du xiie siècle, de 600 chez les Parisiens modernes, de 700 chez les Allemands ». Il y a même quelques peuplades où ces différences sont nulles.
Il n'est pas douteux que ces similitudes organiques ne correspondent à des similitudes psychiques. « Il est certain, dit Waitz, que cette grande ressemblance physique des indigènes provient essentiellement de l'absence de toute forte individualité psychique, de l'état d'infériorité de la culture intellectuelle en général. L'homogénéité des caractères (Gemülhseigenschaflen) au sein d'une peuplade nègre est incontestable. Dans l'Égypte supérieure, le marchand d'esclaves ne se renseigne avec précision que sur le lieu d'origine de l'esclave et non sur son caractère individuel, car une longue expérience lui a appris que les différences entre individus de la même tribu sont insignifiantes à côté de celles qui dérivent de la race. C'est ainsi que les Nubas et les Gallus passent pour très fidèles, les Abyssins du Nord pour traîtres et perfides, la majorité des autres pour de bons esclaves domestiques, mais qui ne sont guère utilisables pour le travail corporel ; ceux de Fertit pour sauvages et prompts à la vengeance. » Aussi l'originalité n'y est-elle pas seulement rare, elle n'y a, pour ainsi dire, pas de place. Tout le monde alors admet et pratique, sans la discuter, la même religion ; les sectes et les dissidences sont inconnues : elles ne seraient pas tolérées. Or, à ce moment, la religion comprend tout, s'étend à tout. Elle renferme dans un état de mélange confus, outre les croyances proprement religieuses, la morale, le droit, les principes de l'organisation politique et jusqu'à la science, ou du moins ce qui en tient lieu. Elle réglemente même les détails de la vie privée. Par conséquent, dire que les consciences religieuses sont alors identiques - et cette identité est absolue, – c'est dire implicitement que, sauf les sensations qui se rapportent à l'organisme et aux états de l'organisme, toutes les consciences individuelles sont à peu près composées des mêmes éléments. Encore les impressions sensibles elles-mêmes ne doivent-elles pas offrir une grande diversité, à cause des ressemblances physiques que présentent les individus.
(De la division du travail social, Paris, Puf, 2007, p. 103-105)
Le cliché mis en place7
161887, Pierre Loti :
Nous fîmes, vers six heures, un mouillage très bruyant, au milieu d'un tas de navires qui étaient là, et tout aussitôt nous fûmes envahis.
Envahis par un Japon mercantile, empressé, comique, qui nous arrivait à pleine barque, à pleine jonque, comme une marée montante. [...]
Mais, mon Dieu, que tout ce monde était laid, mesquin, grotesque.
(Madame Chrysanthème, Paris, GF, 1990, p. 50-51)
Dès l'aube, une légion de petits ouvriers japonais nous envahissent, apportant leur dîner dans des paniers et des gourdes, comme les ouvriers de nos arsenaux français ; mais ayant quelque chose de besogneux et de minable, de fureteur et d'empressé qui fait songer à des rats. Ils se faufilent d'abord sans bruit, s'insinuent, et bientôt on en trouve partout, sous la quille, à fond de cale, dans les trous, qui scient, tapotent, réparent.
(Ibid., p. 137)
Les mes sont pleines de monde ; la foule passe, – comme un flot rieur, capricieux, lent, inégal – mais s'écoule toute entière dans la même direction, vers un but unique. [...]
Nous suivons, comme en dérive dans ce flot humain, comme entraînés par lui. (Ibid., p. 146)
Les Japonais sont si grotesques pendant la vie, qu'on a peine à se les figurer dans le calme et la majesté d'après...
(Ibid., p. 206)
Au Japon, comme aux petits bonshommes et bonnes femmes qui l'habitent, il manque décidément je ne sais quoi d'essentiel : on s'en amuse en passant, mais on ne s'y attache pas.
(Ibid., p. 217)
171888, Percival Lowell :
Chapter 1. Individuality.
[...] In the civilization of Japan we have presented to us a most interesting case of partially arrested development ; or ; to speak esoterically, we find ourselves placed face to face with a singular example of a completed race-life. For though from our standpoint the evolution of these people seems suddenly to have come to an end in mid-career, looked at more intimately it shows all the signs of having fully run its course. Development ceased, not because of outward obstruction, but from purely intrinsic inability to go on. The intellectual machine was not shattered ; it simply ran down. [...]
Whatever portion of the Far East we examine we find its mental history to be the same story with variations. However unlike China, Korea, and Japan are in some respects, through the careers of all three we can trace the same life-spirit. [...]
There entered, to heighten the bizarre effect, a spirit common in minds that lack originality – the spirit of imitation. [...]
From before the time when they began to leave records of their – actions the Japanese have been a nation of importers, not of-merchandise, but of ideas. They have invariably shown the most – advanced free-trade spirit in preferring to take somebody else's – ready-made articles rather than to try to produce any brand-new conceptions themselves. They continue to follow the same line of life. A hearty appreciation of the things of others is still one of their – most winning traits. What they took they grafted bodily upon their – ancestral tree, which in consequence came to present a most – unnaturally diversified appearance. For though not unlike other – nations in wishing to borrow, if their zeal in the matter was – slightly excessive, they were peculiar in that they never assimilated – what they took. They simply inserted it upon the already existing – growth. There it remained, and throve, and blossomed, nourished by that indigenous Japanese sap, taste. But like grafts generally, the foreign boughs were not much modified by their new life-blood, nor was the tree in its turn at all affected by them. Connected with it only as separable parts of its structure, the cuttings might have been lopped off again without influencing perceptibly the condition of the foster-parent stem. The grafts in time grew to be great branches, but the trunk remained through it all the trunk of a sapling. In other words, the nation grew up to man's estate, keeping the mind of its childhood. [...]
The Far Eastern civilization resembles, in fact, more a mechanical mixture of social elements than a well differentiated Chemical compound. For in spite of the great variety of ingredients thrown into its caldron of destiny, as no affinity existed between them, no combination resulted. The power to fuse was wanting. Capability to evolve anything is not one of the marked characteristics of the Far East. Indeed, the tendency to spontaneous variation, Nature's mode of making experiments, would seem there to have been an enterprising faculty that was exhausted early. Sleepy, no doubt, from having got up be times with the dawn, these dwellers in the far lands of the morning began to look upon their day as already well spent before they had reached its noon. They grew old young, and have remained much the same age ever since. What they were centuries ago, that at bottom they are today. Take away the European influence of the last twenty years, and each man might almost be his own great-grandfather. In race characteristics he is yet essentially the same. The traits that distinguished these peoples in the past have been gradually extinguishing them ever since. Of these traits, stagnating influences upon their career, perhaps the most important is the great quality of impersonality.
If we take, through the earth's temperate zone, a belt of country whose northern and Southern edges are determined by certain limiting isotherms, not more than half the width of the zone apart, we shall find that we have included in a relatively small extent of surface almost all the nations of note in the world, past or present. Now if we examine this belt, and compare the different parts of it with one another, we shall be struck by a remarkable fact. The peoples inhabiting it grow steadily more personal as we go west. So unmistakable is this gradation of spirit, that one is tempted to ascribe it to cosmic rather than to human causes. It is as marked as the change in color of the human complexion observable along any meridian, which ranges from black at the equator to blonde toward the pole. In like manner, the sense of self grows more intense as we follow in the wake of the setting sun, and fades steadily as we advance into the dawn. America, Europe, the Levant, India, Japan, each is less personal than the one before. We stand at the nearer end of the scale, the Far Orientals at the other. If with us the I seems to be of the very essence of the soul, then the soul of the Far East may be said to be Impersonality.
[...] Can it be that the personal, progressive West is wrong, and the impersonal, impassive East right ? Surely not. [...]
Chapter 2. Family.
In the first place, then, the poor little Japanese baby is ushered into this world in a sadly impersonal manner, for he is not even accorded the distinction of a birthday. [...]
In the Far East the social unit, the ultimate molecule of existence, is not the individual, but the family. [...]
Chapter 3. Adoption.
But one may go a step farther in this matter of the family, and by so doing fare still worse with respect to individuality. There are certain customs in vogue among these peoples which would seem to indicate that even so generic a thing as the family is too personal to serve them for ultimate social atom, and that in fact it is only the idea of the family that is really important, a case of abstraction of an abstract. These suggestive customs are the far-eastern practices of adoption and abdication. [...]
Chapter 4. Language.
[...] In the first place, the Japanese language is pleasingly destitute of personal pronouns. Not only is the obnoxious "I" conspicuous only by its absence ; the objectionable antagonistic "you" is also entirely suppressed, while the intrusive "he" is evidently too much of a third person to be wanted. Such invidious distinctions of identity apparently never thrust their presence upon the simple early Tartar rinds. I, you, and he, not being differences due to nature, demanded, to their thinking, no recognition of man. [...]
Chapter 5. Nature and Art.
We have seen how impersonal is the form which Far Eastern thought assumes when it crystallizes into words. Let us turn now to a consideration of the thoughts themselves before they are thus stereotyped for transmission to others, and scan them as they find expression unconsciously in the man's doings, or seek it consciously in his deeds.
To the Far Oriental there is one subject which so permeates and pervades his whole being as to be to him, not so much a conscious matter of thought as an unconscious mode of thinking. For it is a thing which shapes all his thoughts instead of constituting the substance of one particular set of them. That subject is art. To it he is born as to a birth right. Artistic perception is with him an instinct to which he intuitively conforms, and for which he inherits the skill of countless generations. From the tips of his fingers to the tips of his toes, in whose use he is surprisingly proficient, he is the artist all over. Admirable, however, as is his manual dexterity, his mental altitude is still more to be admired ; for it is artistic to perfection. His perception of beauty is as keen as his comprehension of the cosmos is crude ; for while with science he has not even a speaking acquaintance, with art he is on terms of the most affectionate intimacy.
To the whole Far Eastern world science is a stranger. [...]
Chapter 6. Art.
That nature, not man, is their beau ideal, the source of inspiration to them, is evident again on looking at their art. The same spirit that makes of them such wonderful landscape gardeners and such wonder-full landscape gazers shows it self unmistakably in their paintings. [...]
Chapter 7. Religion.
[...] Though this religion of impersonality is not their child, it is their choice.
[...] Now what does this strange impersonality be token ? Why are these – peoples so different from us in this most fundamental of considerations to any people, the consideration of themselves ? – The answer leads to some interesting conclusions. [...]
Chapter 8. Imagination.
If as is the case with the moon, the earth, as she travelled round her orbit turned always the same face inward, we might expect to find, between the thoughts of that hemisphere which looked continually to the sun, and those of the other peering eternally out at the stars, some such difference as actually exists between ourselves and our longitudinal antipodes. For our conception of the cosmos is of a sunlit world throbbing with life, while their Nirvana finds not unfit expression in the still, cold, fathomless awe of the midnight sky. That we cannot thus directly account for the difference in local coloring serves but to make that difference of more human interest. The dissimilarity between the Western and the Far Eastern attitude of mind has in it something beyond the effect of environment. For it points to the importance of the part which the principle of individuality plays in the great drama daily enacting before our eyes, and which we know as evolution. It shows, as I shall hope to prove, that individuality bears the same relation to the development of mind that the differentiation of species does to the evolution of organic life: that the degree of individualization of a people is the self-recorded measure of its place in the great march of mind. [...]
We have seen how impressively impersonal the Far East is. Now if individuality be the natural measure of the height of civilization which a nation has reached, impersonality should be token a – relatively laggard position in the race. [...]
One thing, I think, then, our glance at Far Eastern civilization has more thon suggested. The soul, in its progress through the world, tends inevitably to individualization. Yet the more we perceive of the cosmos the more do we recognize an all-pervading unity in it. Its soul must be one, not many. The divine power that made all things is not itself multifold. How to reconcile the ever-increasing divergence with an eventual similarity is a problem at present transcending our generalizations. What we know would seem to be opposed to what we must infer. But perception of how we shall merge the personal in the universal, though at present hidden from sight, may sometime come to us, and the seemingly irreconcilable will then turn out to involve no contradiction at all. For this much is certain: grand as is the gr eat conception of Buddhism, majestic as is the idea of the stately rest it would lead us to, the road here below is not one the life of the world can follow. If earthly existence be an evil, then Buddhism will help us ignore it ; but if by an impulse we cannot explain we instinctively crave activity of mind, then the great gospel of Gautama touches us not ; for to abandon self — egoism, that is, not selfishness is the true vacuum which nature abhors. As for Far Orientals, they themselves furnish proof against themselves. That impersonality is not man's earthly goal they unwittingly bear witness; for they are not of those who will survive. Artistic attractive people that they are, their civilization is like their own tree flowers, beautiful blossoms destined never to bear fruit ; for whatever we may conceive the far future of another life to be, the immediate effect of impersonality cannot but be annihilating. If these people continue in their old course, their earthly career is closed. Just as surely as morning passes into afternoon, so surely are these races of the Far East, if unchanged, destined to disappear before the advancing nations of the West. Vanish they will off the face of the earth and leave our planet the eventual possession of the dwellers where the day declines. Unless their newly imported ideas really take root, it is from this whole world that Japanese and Koreans, as well as Chinese, will inevitably be excluded. Their Nirvana is already being realized; already it has wrapped Far Eastern Asia in its winding-sheet, the shroud of those whose day was but a dawn, as if in prophetic keeping with the names they gave their homes, — the Land of the Day's Beginning, and the Land of the Morning Calm. »
(The Soul of the Far East, Boston, New York, Houghton, Mifflin and company, 18888)
181889, Jules Lemaître :
Il n'y a pas de théâtre plus sanguinaire ni où les passions soient plus violentes et cruelles. Ne vous fiez pas à la gentillesse simiesque de ces magots sensuels. C'est justement parce que, sous les menues élégances de leur civilisation stationnaire, ils restent des enfants, de vieux enfants, c'est pour cela qu'ils sont tour à tour des créatures futiles et des créatures féroces. »
(« Théâtre japonais », in Impressions de théâtre, 3e série, Paris, Société française d'impression et de librairie, 1888-1898, p. 38)
191891 Hozumi Yatsuka :
Notre pays est le pays de la religion des ancêtres. Il est la terre de l'institution familiale. Le pouvoir et les lois ont vu le jour au sein de la famille, ils ne sont pas issus des conflits qui opposaient des individus libres et sans contrainte au cœur de la nature sauvage. [...] Nombreux sont ceux à qui cela échappe. Quoi qu'il en soit, nos règlements, conformes à nos mœurs nationales spécifiques, sont donc extrêmement proches de ceux qui existaient en Europe avant l'introduction du christianisme. Aussi, quand nos juristes prennent pour référence principale les principes juridiques de l'Europe chrétienne, c'est un peu comme s'ils oubliaient que notre pays n'est pas chrétien, et de cela nous devons nous méfier.
[...] Les institutions proprement européennes trouvent leur origine dans la religion des ancêtres. Le culte des âmes des ancêtres constitue la pierre angulaire de la construction des nations européennes. L'histoire des institutions nous enseigne que les lois naissent au sein de l'institution familiale, et que la source du pouvoir est à rechercher dans l'autorité patriarcale. Néanmoins, pour expliquer ce qui unifie la famille, ou ce qui rend l'autorité patriarcale sacrée, on est obligé de revenir à la religion des ancêtres, si caractéristique de l'esprit national. Si le corps des ancêtres n'est plus de ce monde, leur âme sacrée, elle, vit encore dans la famille. Elle la protège. Dans chaque maison, en permanence, en un recoin sacré, un feu est allumé à son attention, et le patriarche la vénère. Nous sommes donc ici en présence des divinités familiales. Des âmes des ancêtres. Quelle que soit la gravité de la question, le patriarche leur rend des comptes. Ces divinités ne sont rien d'autre que des patriarches dans l'au-delà, alors que le patriarche représente l'âme des ancêtres en ce monde. L'autorité patriarcale est sacrée et inviolable parce que les âmes des ancêtres le sont. Les membres de la famille, jeunes et vieux, hommes et femmes, se soumettent à cette autorité et demandent sa protection.
Un homme et une femme, par amour, partagent la même demeure. Voilà ce qu'est la famille depuis le christianisme. Notre nouveau Code civil repose précisément sur cette conception. Celle-ci n'est pas celle de l'institution familiale propre à notre nation, elle n'est pas non plus spécifiquement européenne. [...] Or, il se trouve que les spécialistes de droit civil veulent établir dans notre pays une famille issue d'un contrat librement conclu entre un homme et une femme (le mariage) : il s'agit là d'une conception froide et sans âme qui n'a jamais existé dans l'ancienne Europe. Ce n'est pas par le mariage que l'on fonde une famille. C'est pour perpétuer les célébrations familiales que l'on se marie. [...] En Europe, depuis l'entrée dans cette religion [chrétienne], ce Dieu du ciel, qui se prétend unique, a monopolisé la vénération et l'amour des hommes, et les descendants, de ce fait, ne savent plus vénérer leurs ancêtres. C'est ainsi que la piété filiale s'affaiblit, que les doctrines de l'égalité et de l'amour universel s'imposent, et que l'on s'éloigne des coutumes populaires et des liens de sang. La conséquence en est que l'institution familiale disparaît. On fonde alors une société égalitaire que l'on tente de soutenir à l'aide d'institutions juridiques individualistes. Fustel de Coulanges, le grand historien du droit, a écrit, en préface à ses explications sur les institutions familiales de l'Europe ancienne : « Assurément nous avons beaucoup de peine aujourd'hui à comprendre que l'homme pût adorer son père ou son ancêtre ». Cette phrase suffit pour faire comprendre la difficulté qu'il y a à expliquer ce qu'est la piété filiale à un chrétien, dans un pays chrétien. Dans notre pays, la religion des ancêtres n'a pas encore été entièrement balayée par une autre religion. Pourtant les dispositions du Code civil sont de nature à évincer notre religion nationale, à détruire notre institution familiale. [...] Hélas, en promulguant un Code civil extrêmement individualiste, on chercher à outrager des croyances vieilles de plus de trois mille ans. »
(« Minpô idete chûkô horobu [Avec le nouveau Code civil, c'en est fini de la loyauté et de la piété filiale] », Hôgaku shinpô, no 5, août 18919)
201891, Pierre Loti :
Toute cette servile imitation, amusante certainement pour les étrangers de passage, indique dans le fond, chez ce peuple un manque de goût et même un manque absolu de dignité nationale.
(« Femmes japonaises », Le Figaro illustré, no 20, 1er novembre 1891)
211895, Alfred Fouillée :
La sous-race sino-japonaise, mélange d'Asiatiques dolichocéphales et de Touraniens à crâne large, a l'industrie patiente, la ténacité appliquée surtout aux petites choses, la sobriété, la constance au travail ; ses défauts sont la sensualité et, dans certains cas, la férocité. Sous le rapport de l'intelligence il doit manquer quelque chose à la race jaune. »
(Tempérament et caractère selon les individus, les sexes et les races, Paris, Alcan, 1921, p. 328)
Les Japonais semblent supérieurs aux Chinois ; ils ont moins d'éléments touraniens ; ils sont plus flexibles et plus plastiques ; mais leur réalisme foncier est le même. Ils appliqueront merveilleusement les inventions occidentales ; il est douteux qu'ils deviennent eux-mêmes de grands inventeurs.
(Ibid., p. 331)
Il est hasardeux de s'attendre à ce que les Chinois ou même les Japonais révèlent désormais une originalité puissante, une élévation intellectuelle et morale, un sens de l'idéal qu'ils n'eurent jamais dans le cours de leur interminable histoire.
(Ibid., p. 354)
221895, Gustave Le Bon :
On fait aisément un bachelier ou un avocat d'un nègre ou d'un Japonais ; mais on ne lui donne qu'un simple vernis tout à fait superficiel, sans action sur sa constitution mentale. [...] Ce nègre ou ce Japonais accumulera tous les diplômes possibles sans arriver jamais au niveau d'un Européen ordinaire.
(Les Lois psychologiques de l'évolution des peuples, Paris, Alcan, 189510)
231897, Camille Mauclair :
L'Orient ! Il soulève une vengeance obscure et terrible, et ses noirs peuples abrutis entraînent vers nous sur leurs fourmilières les machineries oscillantes et immenses !
Dès longtemps le prétendu sommeil de ces races énervées ne m'a plus abusé. Tandis que nous construisions notre œuvre, et que s'édifiait notre ère, ceux de là-bas, lentement, s'ébranlaient aussi. Mais c'était une agitation obscure de bêtes souterraines, le balbutiement de consciences embryonnaires, une rumeur indistincte et informe, un étirement de l'ignorance camuse couchée contre les Tropiques. [...]
Par la toute-puissance de sa méthode, le Japon s'appropria l'Asie d'un seul élan de son génie dévorateur, et le danger commença de se concentrer sur nous.
(L'Orient vierge, roman épique de l'an 2000, Paris, P. Ollendorff, 1897, p. 13)
241898, André Bellessort :
Nous touchons ici à la différence essentielle qui nous sépare des Japonais. Nous croyons à l'identité consciente de la personne humaine : ils n'y croient pas. [...]
Mais quelle morale fonder sur ce flux éternel et changeant des êtres et des choses ? Ce que je nomme ma personnalité n'est que la chaîne ondoyante et insensible d'un convoi de forçats. [...] Cet individu, dont le résidu de mes actes renferme la semence, cet individu qui sera moi et n'aura jamais conscience d'être mon moi, qu'ai-je à faire de m'en préoccuper ? Quel motif d'intérêt me détournerait des voluptés faciles ? Ainsi raisonnerait l'Européen pour qui sa personne morale est comme une citadelle aux arêtes précises et solidement retranchée. Notre intelligence se plaît à creuser des fossés, élève des barrières, improvise des remparts. [...] Mais le bouddhisme supprime les frontières. Mon être ne commence ni ne finit dans les limites de ma personne, et l'inconnue que j'appelle mon âme est au fond de tout ce qui vit. Le mot « altruisme » ne signifie rien.
Je suis toi, et je suis aussi le songe de la pierre, le demi-sommeil du végétal, le souffle de la bête, l'énergie qui se cache sous les mille formes de la nature. Comment sortirais-je de moi ? Je m'étends encore plus loin que ne volent mes désirs. Imaginer des personnalités distinctes, de petits mondes bornés : quelle détestable illusion ! Je participe aux peines et aux plaisirs de l'univers et je n'ai même d'autre existence que d'y participer. J'embrasse tous les êtres en mon être ; et la sympathie n'est que la conscience de cette vérité suprême. Les Japonais acceptent ce « grand mystère de l'éthique » comme les chrétiens les mystères de leur foi. Leur ancien état social où l'homme s'appliquait expressément à ne point différer des autres hommes, où le code n'admettait ni la propriété personnelle, ni le droit de tester, transposait ainsi dans la communauté civile l'unité mystique du bouddhisme. Ne vous étonnez qu'ils n'aient conçu ni la liberté, ni même la « charité ». Ce sont des idées individualistes.
(Voyage au Japon. La Société japonaise, 189811)
L'imagination japonaise me frappe tout d'abord par son impersonnalité, et l'influence bouddhique ne s'est nulle part marquée plus profondément que dans ses conceptions artistiques et littéraires. L'individu n'y trahit jamais une vision originale de la nature ou de l'humanité. Tous les Japonais regardent avec les mêmes yeux, reçoivent du monde extérieur les mêmes impressions, nuancent leurs sentiments des mêmes teintes et considèrent la vie du même angle.
(Ibid., p. 804-805)
251898, Félix Martin :
Le premier [des] caractère[s] [distinctifs de cette race] est un instinct de combativité très développé, conséquence du régime d'oligarchie militaire qui a dominé jusqu'à nos jours au Japon. [...]
La seconde tendance qui domine dans l'âme japonaise est un orgueil extrême, une conscience de la supériorité du Nippon, de l'empire du Soleil levant, sur tous les pays du monde, et de la race japonaise sur toutes les races asiatiques et européennes. [...]
À ces deux caractères dominants, il faut ajouter l'absence complète d'esprit d'initiative et d'invention et, comme correctif, une faculté d'imitation et d'assimilation prodigieuse. Le Japonais n'a jamais rien inventé.
(Le Japon vrai, Paris, Eugène Fasquelle, 1898, p. 9-10)
261902, Hugo von Hofmannsthal :
Ce que l'Européen n'a pas : rester assis là dans l'attente comme le renard qui se tapit. [...] Pour la pureté morale le Japonais est apparenté aux fleurs et aux animaux. À une guenon affairée, à un crapaud jouant sérieusement, à un chat svelte. Il est entièrement présent à lui-même, comme dans la pointe d'un fin poignard. [...]
Le Japonais pêche corps et âme, il aspire le paysage fluvial en lui ; le soldat, le voleur est tout sabre, l'œil injecté de sang, le cheveu dressé ; le pénitent est tout entier pénitence, fondant sous les yeux d'un enfant.
(« Gesprâch zwischen einem jungen Europâer und einem japanischen Edelmann », 1902, cité et traduit par Christine Maillard, « Au-delà de l'exotisme », in Christine Maillard et Sakae Murakami-Giroux (dir.), Devenir l'Autre, Arles, Picquier, 2011, p. 54)
271904, Lafcadio Hearn :
Tous ces traits montrent à quel point l'individu était sacrifié à la famille, en tant qu'unité religieuse. Du domestique au maître, en passant par tous les degrés de la hiérarchie familiale, la loi du devoir était la même : l'obéissance absolue à la coutume et à la tradition. Le culte ancestral ne permettait aucune liberté individuelle ; personne ne pouvait vivre selon son bon plaisir. L'individu n'avait même pas d'existence légale, car l'unité sociale était la famille [...].
(Japan, an attempt of interpretation, New York, The Macmillan Company, ici cité d'après la traduction française de Marc Logé, parue sous le titre Le Japon, Paris, éditeur, 1904, p. 80-81)
La religion du foyer réglait au Japon tous les actes de l'individu dans la vie domestique ; de même la religion de la province ou du village réglait tous les rapports de la famille avec la société. La religion de la cité était fondée, comme la religion du foyer, sur le culte des ancêtres. Le temple paroissial shintoïste représentait pour la communauté ce que l'autel domestique représentait pour la famille. La déité qu'on y adorait était appelée ujigami, ou dieu de Fuji, terme qui désigna primitivement la famille patriarcale, ou la gens, aussi bien que le nom de la famille.
(Ibid., p. 82)
C'est un despotisme communiste religieux, une tyrannie sociale absolue, supprimant la personnalité, annihilant l'esprit d'entreprise, et faisant de la concurrence un délit public.
(Ibid., p. 245)
L'individu de toutes les classes, sauf de la plus basse, continue à être en même temps coercible et coercitif. Pareil à un atome dans un corps solide, il peut vibrer, mais l'orbite de sa vibration est limitée. [...]
L'homme ordinaire est soumis à trois sortes de pouvoir : au-dessus de lui, à la volonté de ses supérieurs ; autour de lui, à la volonté commune de ses égaux ; et au-dessous de lui, au sentiment général de ses inférieurs. Et le dernier genre de contrainte n'est pas le moins redoutable. [...]
Ainsi, de tous côtés, l'individu se heurte au despotisme de l'opinion collective. (Ibid., p. 372-373)
Pour comprendre même vaguement le Japon moderne, il faut étudier l'influence exercée par les trois formes de coercition sociale, dont il a été question dans le chapitre précédent. Toutes les trois ont empêché, contenu le développement de l'énergie et des facultés individuelles. Elles sont toutes trois des survivances de l'ancienne responsabilité religieuse. J'en parlerai en commençant par la tyrannie d'en bas. [...]
La deuxième sorte de coercition, communale ou communiste, apparaîtra comme dangereuse dans un avenir très proche, car elle implique la suppression pratique de toute concurrence entre individus.
La vie quotidienne d'une cité japonaise offre des quantités d'exemples de la façon dont les masses continuent à penser et à agir par groupes. [...]
Ces exemples montrent suffisamment quel était le caractère de l'ancienne organisation communiste, qui dure encore sous tant de formes. Ce communisme supprimait la concurrence, sauf entre les différents groupes. [...]
Reste encore à considérer une troisième forme de restriction : celle qu'exerça l'autorité officielle sur l'individu. Elle nous présente aussi plusieurs survivances du passé, qui ont leurs côtés tristes ou heureux.
(Ibid., p. 374-388)
281905, Ludovic Naudeau :
Pendant des siècles, l'ancien état social japonais s'est opposé à tout développement de la personnalité. Une race se débarrasse-t-elle vite d'un aussi pesant atavisme ? Le culte des ancêtres a eu et a encore au Japon les plus importantes conséquences : il annihile la volonté individuelle ; car, au point de vue des mœurs, il donne à la tradition, à la coutume, une force oppressive. [...] Dans ce pays, l'individu est, à un degré surprenant, prisonnier de la famille, de la commune, du clan, de la corporation, de la guilde et, depuis 1868, de la patrie, une patrie d'autant plus exigeante qu'elle est née d'hier. C'est une patrie-enfant, capricieuse et tyrannique. L'individu est l'esclave du « qu'en-dira-t-on », de l'usage établi, des précédents. En un mot, il doit suivre docilement l'opinion publique et les idées collectives. [...]
Les Japonais sont donc moins accoutumés que nous ne le sommes à penser et à agir individuellement. Ils ont moins que nous une volonté personnelle, une ambition personnelle, une énergie personnelle, des convoitises personnelles [...]. Les Japonais pensent « agglutinativement », ils ont l'instinct grégaire (ce même instinct qui fait se grouper à tout moment un troupeau) ; dans leurs gestes et dans leurs pensées, ils se subordonnent les uns aux autres et tendent à agir les uns comme les autres. Chaque volonté particulière semble attirée par le conglomérat de la volonté collective. Naguère, cette volonté collective c'était l'âme de cette petite patrie qu'on appelait le clan. Aujourd'hui, c'est l'âme nationale. [...]
Cette inflexible discipline imposée à l'individu par la collectivité, cette surveillance de chacun par tous rend très difficile aux plus faibles caractères aucune défaillance. [...]
Le « moi » du Japonais s'affirme avec moins de précision que le « moi » de l'Européen. Le Japonais ne se regarde point vivre autant que nous le faisons ; il s'analyse moins, il s'observe moins, et il regarde davantage le monde ambiant. Un Japonais est, moins qu'un Européen, conscient de sa propre existence, et, par conséquent, moins soucieux de la conserver. Il a moins d'« individualité ». Un Japonais ne pense point qu'il vit pour développer, pour cultiver son « moi ». Il ne croit point que la patrie doive être le champ d'expérience, le milieu favorable où son génie personnel s'affirmera : le piédestal où il hissera sa propre gloire.
(Le Japon moderne. Son évolution, 1905, cité par R Beillevaire, op. cit., p. 806-807)
291905, Charles Pettit :
Non seulement les intérêts français, mais ceux de toute la race blanche sont menacés par les ambitions et les intrigues du Japon... C'est un pays surfait qui a surtout eu le génie d'appeler ses femmes mousmés : en réalité, c'est un pays dangereux et farouche, peuplé de petits bonshommes aussi rusés qu'énergiques, qui masquent leur haine par un sourire et leur poignard par un éventail. Ces petits bonshommes-là se feront d'ailleurs connaître par eux-mêmes : ils détruiront l'équilibre du Vieux Monde et bouleverseront les laborieux travaux des diplomaties qui s'efforçaient de maintenir une paix universelle et féconde. Ils changeront notre politique comme celle de toutes les nations. Peut-être même dans l'avenir nous obligeront-ils à notre tour à transformer notre organisation sociale et économique.
(Pays des mousmés, pays de guerre, Paris, F. Juven, 190512)
Voilà bien le Japon : sous un vernis brillant, une barbarie innée.
(Pays des mousmés, pays de guerre, Paris, F. Juven, 1905, p. 153)
Toute l'histoire du Japon n'est qu'un perpétuel combat. [...] Pour un Japonais, se battre n'est pas seulement une gloire, c'est sa seule joie. Son mépris de la mort, son orgueil farouche, sa bravoure éclatante et, il faut dire aussi, ses instincts de cruauté, ses sentiments de rancune, sa ruse et sa perfidie, toutes ses qualités et tous ses défauts contribuent à former du Japonais le guerrier à la fois le plus courageux, le plus sanguinaire et le plus redoutable qui existe dans l'univers entier. Son caractère est félin : il attaque sournoisement comme le tigre ; mais une fois le combat engagé, il en a la férocité et la persévérance et lutte jusqu'à la dernière goutte de son sang. Par atavisme, il a du Chinois la dissimulation, la cruauté voilée, l'art à la fois monstrueux et exquis, et aussi la politesse exagérée, raffinement d'élégance et suprême hypocrisie. Du Malais au contraire, il tient la bravoure du mâle et une certaine brutalité plus franche, mais toujours l'amour du carnage.
(Ibid., p. 199-200)
Les Japonais, aussi bien individuellement que collectivement, ne se rendent pas assez compte de la valeur d'une vie humaine. Le mépris de la mort est par trop exagéré chez eux.
(Ibid., p. 209)
Le Bouchido a donné au Japonais le mépris féroce de la vie humaine ; nos traditions nous ont donné au contraire, comme idéal, le respect de cette vie.
(Ibid., p. 217)
Le Japon n'est pas un pays de mousmés, un pays d'opéra-comique. Le Japon est un pays de guerre, une grande puissance, formidablement organisée pour la lutte moderne. Le Japon est une nation profondément militariste, qui tient à ses traditions belliqueuses. Le Japon est un peuple resté discipliné d'une manière féodale. Son régime parlementaire ne signifie rien. Le Japon est un pays ambitieux qui rêve de se placer à la tête de tous les Asiatiques. Le Japon est une pépinière de passions remarquables. Le Japon a la haine de la race blanche.
(Ibid., p. 248)
301905, Pierre Loti :
Au milieu de tout ce monde, les petits matelots japonais, vigoureux, lestes, propres, font très bonne figure. Et les cuirassés du Japon, irréprochablement tenus, extra-modernes et terribles, paraissent de premier ordre. [...]
La guerre d'abord, entre la Russie et le Japon, la guerre s'affirme inévitable et prochaine ; sans déclaration peut-être, elle risque d'éclater demain [...].
(La Troisième jeunesse de Madame Prime, 1905, Paris, Proverbe, 1994, p. 30)
Et ils feront d'étonnants soldats, ces petits paysans extra-musculeux, au front large, bas et obstiné, au regard oblique de matou, sobres de père en fils depuis les origines, sans nervosité et par suite sans frisson devant la coulée du sang rouge, n'ayant d'ailleurs que deux rêves, que deux cultes, celui de leur sol natal et celui de leurs humbles ancêtres. [...] Et bientôt, on les enverra, par milliers et centaines de milliers, joncher de leurs cadavres ces plaines de Mandchourie, où doit se dérouler la guerre inévitable et prochaine.
(Ibid., p. 141-142)
Madame Ichihara, qui s'est enrichie dans les singes, vient d'ajouter à ce commerce un intéressant rayon d'antiquités. Elle tient surtout les vieux ivoires, risqués ou drolatiques, et, pendant qu'elle s'occupe, sans avoir l'air de rien, à vous préparer le thé, sa fille ne manque jamais de vous en faire admirer quelques-uns : ivoires articulés, truqués, groupes de personnages à peine longs comme la dernière phalange du doigt, et qui remuent, qui se livrent entre eux à des actes, hélas ! souvent bien répréhensibles. Cette mademoiselle Matsumoto, une mousmé de seize ans ; qui sent le singe comme sa mère, mais qui est la candeur même, peut sans inconvénient manier de tels sujets, parce qu'elle n'en saisit pas la portée ; les yeux baissés et mi-clos, aux lèvres un pudique sourire, elle donne le mouvement aux subtils mécanismes ; plus délicats que des ressorts de montre, et s'y entend à merveille pour mettre ainsi en valeur de menus objets d'art, qui feraient certainement rougir dans leurs cages les pensionnaires du rez-de-chaussée...
De l'obscène et du macabre ; amalgamés par des cervelles au rebours des nôtres, pour arriver à produire de l'effroyable qui n'a plus de nom : c'est ainsi qu'on pourrait définir la plupart de ces minuscules ivoires ; jaunis comme des dents d'octogénaire. Figures de spectres ou de gnomes, si petites qu'il faudrait presque une loupe pour en démêler toute l'horreur ; têtes de mort, d'où s'échappent des serpents par les trous des yeux ; vieillards ridés, au front tout bouffi par l'hydrocéphale ; embryons humains ayant des tentacules de poulpe ; fragments d'êtres qui s'étreignent, ricanent la luxure, et dont les corps finissent en amas confus de racines ou de viscères...
Et cette mousmé si agréablement habillée, à côté d'une fine potiche où des branches de fleurs sont posées d'une façon exquise, cette mousmé au perpétuel sourire, étalant avec grâce tant de monstruosités qui ont dû coûter jadis des mois de travail, cette mousmé est comme une vivante allégorie de son Japon, aux puériles gentillesses de surface et aux inlassables patiences, avec, dans l'âme, des choses qu'on ne comprend pas, qui répugnent ou qui font peur...
(Ibid., p. 86)
Car enfin ce Japon n'avait pour lui que sa grâce et le charme incomparable de ses lieux d'adoration. Une fois tout cela évanoui, au souffle du bienfaisant « progrès », qu'y restera-t-il ? Le peuple le plus laid de la terre, physiquement parlant. Et un peuple agité, querelleur, bouffi d'orgueil, envieux du bien d'autrui, maniant, avec une cruauté et une adresse de singe, ces machines et ces explosifs dont nous avons eu l'inqualifiable imprévoyance de lui livrer les secrets. Un tout petit peuple qui sera, au milieu de la grande famille jaune, le ferment de haine contre nos races blanches, l'excitateur des tueries et des invasions futures.
(Ibid., p. 135)
311908, anonyme :
La race jaune, épuisée sans doute d'avoir engendré une des premières civilisations et les plus anciennes philosophies, réagit partiellement contre un passé qui l'écrase et, hostile aux conceptions modernes, passe dans ses villes murées des jours gris, ombre diaphane, d'aspect fragile, aux yeux bridés, au nez épaté, qui semble vouloir se volatiliser parmi l'âcre fumée de l'opium. Sommeil ? léthargie ? où se préparent peut-être des forces nouvelles ?
(Les Merveilles des races humaines, Paris, Hachette, 1908, p. 55)
321910, Louis Aubert :
Échauffourées de clan à clan, de guerrier à guerrier, suicides les ont, d'ailleurs, habitués à ne pas surestimer la vie humaine en leur pays surpeuplé et prolifique, où l'individu n'a jamais eu de droits à faire valoir ni de destinée personnelle à accomplir.
(« Impersonnalité japonaise », Revue de Paris, 15 janvier 1910, p. 259)
Pauvres ou riches ont à peu près mêmes vêtements, de coupe simple, de couleur sombre, et dont la qualité du tissu seule diffère ; même régime peu varié, de riz, de poissons, de végétaux ; même habitude de goûter en plein air des plaisirs simples : point de luxe provocant, accablant et qui contraigne les pauvres à se mépriser.
(Ibid., p. 266)
Jamais les Japonais, en tombant, n'ont invoqué leur dieu ou leur belle : le plus personnel des sentiments, le désir de vivre, c'est à une impersonnelle dévotion pour leur race qu'ils le sacrifient. Il est vrai qu'au Japonais la mort ne paraît pas avoir le caractère ascétique, douloureux, exceptionnel qu'elle a toujours chez nous, en Europe : on dirait que pour se renoncer il n'a pas même résistance à surmonter, comme si la personne humaine n'était pas sa propre fin et que le respect de la destinée pesât peu en balance avec le respect du devoir social.
À telle personnalité, tel univers : le nôtre bien ordonné, bien éclairé, bien solide, tout en résistances et en prises à l'entour de nous qui sommes au centre ; le leur, un monde léger, épars, qui s'effiloche, et défaille. Ils croient que l'illusion de la personnalité n'est qu'un épisode éphémère dans le passage d'une vaste impersonnalité à une autre impersonnalité, du néant au néant.
(Ibid., p. 268)
Derrière le Japon joli, le Japon mièvre, le Japon flâneur, le Japon esthète qui goûte voluptueusement les choses, jouit beaucoup de ses sens et laisse aller sa vie, est le Japon tendu et réfléchi du guerrier né, héroïque devant la mort, et de l'étudiant en sciences occidentales qui en cinquante ans a méthodiquement régénéré son pays : ce Japon-là est l'œuvre d'individus qui, de la naissance à la mort, ont accoutumé de s'effacer devant les intérêts de la communauté et d'y tout sacrifier113. »
(Ibid., p. 268-269)
Grâce à leur obéissance scrupuleuse et à leur art d'imiter, – vertus qu'ils ont toujours plus prisées que l'effort personnel de recherche et d'invention, – les individus sont interchangeables, et tous servent.
(Ibid., p. 270)
[...] Sent-on par l'opposition de ces détails de tous les jours les exigences de notre agressive personnalité, en contraste avec la fuyante impersonnalité d'un Japonais ?
(Ibid., p. 271)
Il est d'autres témoins linguistiques que de longue date le Japonais ne s'est jamais pris comme centre de l'univers et qu'il ne personnifie pas les choses inanimées qui l'entourent : les noms japonais n'ont pas de genres, les verbes n'ont pas de personnes, et sa grammaire est extrêmement sobre de ces mots qui en leur langue répondent à nos pronoms personnels. Excepté dans des cas où l'interlocuteur désire insister et dans les antithèses, c'est par le contexte qu'il faut deviner quelle personne parle. Le « je », le « me », le « moi », le « vous » semblent absurdes et tautologiques aux oreilles d'un Japonais, il discourera [sic] souvent pendant une demi-heure sans employer un seul pronom personnel. Le perpétuel retour de watakushi (lit. égoïsme, équivalent de « je », « moi ») et de anata (équiv. de « vous ») est l'un des signes les plus sûrs de la gaucherie d'un étranger qui traduit sa langue en japonais au lieu de penser impersonnellement comme ils le font. Dans la syntaxe japonaise la plupart des phrases sont sans sujet. Il n'en est pas, même sous-entendu, il n'existe pas du tout dans l'esprit du Japonais qui parle.
(Ibid., p. 272)
Mœurs d'aujourd'hui, langage d'autrefois, croyances d'avenir, autant de témoins de l'impersonnalité japonaise. Quand la mort se présente à eux, elle ne bouscule pas tout leur système d'idées : en supprimant leur personne elle ne nie pas brutalement une idée qui leur soit familière et nécessaire pour penser. Nous, au contraire, c'est la divine forme humaine que nous peignons au centre de nos toiles et ce nous est un scandale de penser que la pièce centrale de notre système de représentations court risque de s'écrouler à jamais.
Opposition fondamentale entre l'esprit des Japonais et le nôtre : les trois grandes crises de leur histoire correspondent aux intrusions dans leur vie close d'insulaires, de cette idée occidentale de personnalité.
(Ibid., p. 277)
Humanisme et individualisme d'Occident, naturalisme et impersonnalité d'Extrême-Orient, se comprendront-ils, se mêleront-ils ?
(Ibid., p. 278)
Mais cette morale occidentale est en ses origines aussi chrétienne qu'industrielle : elle a pour principe le culte de l'individu, pour idéal la plus grande liberté compatible avec l'égalité de tous, pour condition le respect scrupuleux des contrats. Cette morale émancipatrice de l'individu, comment va-t-elle s'accorder avec la vieille morale japonaise qui enserre l'individu dans les cinq types de relations confucianistes : rapports de gouvernant à gouverné, de père à fils, de mari à femme, de frère aîné à frère puîné et d'ami à ami.
(Ibid., p. 284-285)
Émancipé de l'autorité familiale, fier de ses droits devant l'État, chez le Japonais se forme présentement un individualisme raisonneur et jouisseur, à l'américaine, qui, attendant beaucoup plus de la vie, craindra la mort davantage.
(Ibid., p. 288)
331910 Michel Revon :
Les Japonais considéraient volontiers la poésie comme le produit d'une époque, plutôt que comme celui d'un individu ; en quoi ils n'avaient pas tort, étant donné surtout le caractère d'impersonnalité qui distingue l'âme indigène214
(Anthologie de la littérature japonaise, des origines au xxe siècle, Paris, C. Delagrave, 1910, p. 84)
341911, Louis Bastide :
Ce sont un peu de jolies médailles, toutes frappées avec le même coin.
(Mémoires d'un vice-consul. Mon premier séjour nu Japon (1880-1882), Dijon, Société bourguignonne et géographie et d'histoire, 1911, p. 92-93)
351912 Inoue Tetsujirô :
Chapitre 8 : Système familial et individualisme
Ce que je viens d'expliquer, c'est le processus historique par lequel notre système familial s'est développé jusqu'à aujourd'hui. Il se trouve néanmoins que, depuis l'introduction de la civilisation occidentale, autrement dit depuis la Restauration impériale, des changements considérables sont intervenus dans la société japonaise. Cela est patent dans de nombreux domaines, mais, en ce qui concerne notre système familial, il se trouve qu'il est fondé sur le principe de la prééminence du groupe. Cela signifie que l'on a considéré chaque famille comme un groupe. Il y a donc système familial quand on est dans un régime où se forment de beaux groupes vigoureux. Parmi les systèmes familiaux, le plus remarquable est celui de la famille synthétique. Le « familialisme », c'est de considérer qu'un tel principe de prééminence du groupe est nécessaire à l'organisation sociale, et donc de le promouvoir. En tant que doctrine qui proclame la prééminence du groupe, le familialisme est donc indispensable au maintien solide de l'organisation sociale. Voilà donc ce que j'appelle « familialisme ».
Or il se trouve qu'une conception opposée à ce principe de la prééminence du groupe a été peu à peu introduite. Il s'agit d'une doctrine qui affirme la prééminence de l'individu (individunlism). Elle est donc toute différente de la précédente. En Occident, le système familial s'est effondré avec la chute de l'Empire romain, et l'individualisme a alors outrageusement prospéré. Pour autant de telles tendances n'étaient pas totalement absentes dans l'Antiquité. Si elles n'étaient pas totalement absentes jadis, dans la Grèce ancienne, c'est néanmoins avec la chute de l'Empire romain que les conditions sociales changèrent profondément en Occident et c'est alors que l'individualisme prospéra outrageusement au grand jour. Le christianisme n'est pas étranger à cet épanouissement. Il a en effet considérablement favorisé le développement de l'individualisme. Il considère en effet que tous les hommes sont égaux et frères et sœurs en face de Dieu, si bien que l'expansion progressive de son enseignement a favorisé le développement de l'individualisme.
Mais ce n'est pas tout, bien entendu. La doctrine des droits est-elle aussi apparue. Cette conception est intrinsèquement liée à l'individualisme. Elle est pourtant absente du christianisme. Comme le bouddhisme, celui-ci prône un amour universel, de sorte que, même s'il n'affirme pas les droits, il regarde le genre humain comme constitué d'égaux, et étend donc le privilège accordé aux individus. On peut donc lier ces deux doctrines (droit et christianisme). Comme l'affirmation des droits est une affirmation du privilège des individus, je considère donc qu'elle favorise le développement de l'individualisme. Comme cette doctrine s'était considérablement développée en Occident, elle a pénétré au Japon en même temps que la civilisation occidentale. Pourtant l'individualisme est dans son principe totalement différent de la doctrine qui affirme la prééminence du groupe. Et il est venu exercer son influence sur un système familial fondé sur une telle doctrine. Dans les différents pays d'Occident, il n'y a pas que l'individualisme. La reconnaissance de la prééminence du groupe existe même en Occident. De même que les doctrines qui accordent la prééminence à la communauté ou à l'État. Parmi les premières, on compte le collectivisme ou le solidarisme. Pour les secondes, on parle souvent de nationalisme. Même si la reconnaissance de la prééminence du groupe existe aussi en Occident, force est de reconnaître que l'individualisme s'y est développé de manière beaucoup plus spectaculaire qu'en Extrême-Orient. Il y a là une caractéristique de la société occidentale. L'individualisme en revanche ne n'est pas développé en Extrême-Orient. Comme il y a été introduit, il a néanmoins exercé une forte influence sur le système familial. Arrivé avec la culture occidentale, il a agi par trois canaux principaux : le droit, la religion, la littérature.
(Kokumin dôtoku gairon [Traité de morale nationale], 1912 (12e éd. : Tôkyô, Sanseidô, 1935, p. 198-200)15)
361915 Félicien Challaye16 :
Impersonnalité des Japonais. – On a cherché à expliquer plusieurs traits de la psychologie du Japonais en opposant à la notion européenne de personnalité la notion japonaise d'impersonnalité.
La thèse a été soutenue par un écrivain américain M. Percival Lowell, dans son livre l'Âme de l'Extrême-Orient (The Soul of the Far East17.) L'auteur part de ce principe que l'impersonnalité représente un état inférieur de l'humanité. Selon M. Percival Lowell, la différenciation des individus a autant d'importance dans la vie intellectuelle et morale que la différenciation des espèces dans la vie organique. Le degré de différenciation de ses citoyens détermine le rang d'un peuple dans l'histoire de la civilisation. La civilisation japonaise est, à ce point de vue, aussi primitive que la civilisation américaine est avancée. « La civilisation japonaise, dit M. Percival Lowell, est comme les fleurs de leurs arbres : elles sont belles, mais ne sont pas destinées à donner des fruits. »
Thèse contestable. La civilisation japonaise a « donné des fruits », aussi bien du point de vue artistique et littéraire qu'au point de vue militaire et politique. Et ses résultats sont dus, en grande partie, à la solidarité, au courage, à l'esprit de discipline, à l'impersonnalité des Japonais.
L'idée d'impersonnalité japonaise a été analysée plus profondément par M. Louis Aubert, dans une étude qu'il est intéressant de résumer. (« Impersonnalité japonaise », Revue de Paris, janvier 191018)
M. Louis Aubert montre comment la notion de personnalité joue un moindre rôle dans la vie quotidienne du Japonais que dans celle de l'Européen. [...]
Ainsi la notion d'impersonnalité permet de réunir en une formule synthétique et commode la plupart des traits caractéristiques qu'il convient d'attribuer aux Japonais. [...]
Ainsi l'individualisme européen, introduit au Japon, y produit un véritable état de crise morale : l'impersonnalité japonaise en est diminuée, et avec elle la force de cette société, qui tient surtout à la discipline de tous ses membres.
(Le Japon illustré, Paris, Larousse, 1915, p. 39-42)
371919, Hermann von Keyserling :
Ici [à travers le Yamato] les humbles sont aimables au vrai sens du mot. Leur politesse, incontestablement, vient du cœur ; je n'ai constaté ni soif du gain, ni tendance à la tromperie. Peut-être se montrent-ils à moi sous leur meilleur jour parce que, suivant un conseil de mon guide à travers le pays, un jeune poète de Kyôto, je me comporte avec eux comme je le fais chez moi, en seigneur féodal, par rapport à des paysans à l'esprit patriarcal. »
(Das Reisetagebuch eines Philosophen, Reichl, Darmstadt, 191919)
La vie intérieure du Japonais se déroule principalement dans la sphère des sensations, comme chez l'enfant et la jeune femme.
(Ibid., p. 590)
Ainsi que l'affirment unanimement les connaisseurs, [les Japonais] sont essentiellement impersonnels, ils ont le sens de l'individualité extrêmement peu développé.
(Ibid., p. 613)
Le Japon se trouve dans la situation, non sans danger, d'un peuple nettement impersonnel et non individualisé, qui s'est abandonné entièrement à l'influence d'une civilisation dont la donnée fondamentale est une extrême individualisation. [...] Si ce peuple perd son sentiment primitif « de groupe », sa selfconscience au sens de la cité antique, son unité succombera. Tous les Japonais en qui ne vit plus l'esprit du vieux Japon (Yamato damashii) sont superficiels à un degré écœurant.
(Ibid., p. 649-650)
Les Japonais de l'ancien type ne se sentent pas des individualités au sens moderne du mot et, pourtant, ils ont plus de valeur humaine que la plupart des modernes.
(Ibid., p. 658-59)
Les Japonais ne sont pas des individualités, au sens que nous donnons à ce mot ; leur centre est constitué par le groupe auquel ils appartiennent ; c'est pourquoi l'occidentalisation ne leur profitera que tant que la nouvelle organisation pourra être mise en harmonie avec leur ancienne base. Tandis que chez nous le progrès a été une conséquence de l'individualisation, au Japon il a été jusqu'à présent une expression, entre autres, de la conscience individualisée qu'a le Japonais d'appartenir à un groupe, et ce progrès pourrait s'arrêter ou conduire à la désagrégation, si l'individu prenait conscience de son moi au sens occidental [...].
(Ibid., p. 665)
381922, Ludovic Naudeau :
M. Wilberforce s'efforça de le consoler et conclut :
– Avant tout, envisageons les faits avec sang-froid. Vous auriez tort de contester que le souci de l'opinion publique, la peur du « qu'en-dira-t-on » n'existent suprêmement parmi les Nippons ; nous pouvons même affirmer qu'une telle faiblesse détermine presque tous les actes de ces êtres à l'esprit grégaire. Connaissent-ils d'ailleurs jamais ce que nous appelons, nous, la vie privée ? Nulle existence intime n'est possible à ceux qui, habitant des maisons ouvertes à tous les vents, naissent, grandissent, aiment, souffrent et meurent entre des feuilles de papier. Dans une telle société, l'individu, habitué à se sentir toujours surveillé et à ne garder secret aucun détail de sa vie, sait comprimer chacun de ses soupirs, chacun de ses frissons ; il n'évite la réprobation de ses concitoyens qu'en se conformant, de la manière la plus étroite, à la discipline morale exigée par la collectivité...
(Plaisirs du Japon, Paris, Ernest Flammarion, 1922, p. 263)
391922, Albert Londres :
Dans tout ce pays, pas un homme qui fasse de l'effet ; la même matrice semble les avoir frappés tous. Ils ont certainement décidé entre eux de ne jamais chercher à paraître. Ils sont têtus comme s'ils détenaient la vérité intégrale. Ils ont fait vœu d'effacement, c'est sûr ! Tout comme les prêtres de célibat, car du plus haut au plus humble, on n'en voit pas un prendre une attitude. Si chez eux il y a de la pose – et il y en a – elle est en dedans. Pour la découvrir, il faudrait les radiographier.
Le silence, au fond de leur âme, atteint des profondeurs qui nous sont inconnues. On a dit qu'ils étaient hypocrites, ils ne sont que des gens à sentiments contenus. Il leur semblerait aussi incorrect de montrer ce qu'ils pensent, qu'à nous de nous dévêtir sur l'un des refuges de la place de la Concorde. Ils sont sans geste et, plus les circonstances leur commanderaient d'en faire, à la française, plus le long de leur corps ils serrent leurs bras courts. On jurerait de petits bonshommes mécaniques. Mais quel ressort20 !
(Albert Londres, Excelsior, 27 mars 1922, repris dans Au Japon, Paris, Arléa, 2010, p. 31)
401924, Pierre Drieu La Rochelle :
On ne peut pas multiplier l'Européen comme l'Oriental. Nous ne sommes pas des coolies.
(Mesure de la France, Paris, Grasset, 1964, p. 85)
411924, Thomas Raucat [Roger Poidatz] :
Elle allait livrer sa fraîche nature à la dure tutelle de deux vieillards qui la traiteraient comme une servante et en chefs absolus lui durciraient le cœur et l'esprit dans la rigidité de la tradition de sa définitive famille. L'autre serait à peu près morte pour elle. C'est la coutume obligatoire. Ainsi se perpétue la permanence religieuse de la famille, le respect aux volontés arbitraires des vieillards, l'adoration des ancêtres.
Toutes ces choses sont nécessaires. Elles forment la trame de notre vie sociale. Elles font notre grandeur et notre force. L'Empire est formé d'un faisceau de familles robustes et vivaces, dont les racines tenaces s'emmêlent dans la légende du passé. Au centre et les dominant toutes, la famille impériale.
Ces règles sont bonnes : la nation est unie et elle prospère.
(L'Honorable partie de campagne, Paris, Folio, 1984, [Gallimard, 1924], p. 243-244)
421930, Étienne Dennery :
Dans le domaine de l'homme, l'Asie avait ses réserves énormes d'êtres humains, ses foules innombrables, grouillantes, pullulantes. Elle gardait, à elle seule, une humanité plus fourmillante que celle de toutes les races blanches de tous les continents. [...] En face des immenses réserves humaines de l'Asie, [on pouvait parler] du « Crépuscule des Nations Blanches ».
(Foules d'Asie, Paris, Armand Colin, 1930, p. 2-3)
431931, Henri Michaux :
Les hommes sont sans rayonnement, douloureux, ravagés et secs, serviteurs de X, de Z ou de la papatrie.
Les femmes, l'air de servantes (toujours servir), les jeunes, de jolies soubrettes.
(Un Barbare en Asie, « Un barbare au Japon », Paris, L'Imaginaire, Gallimard, 1967, p. 198)
Pays qui, quoique plein et archiplein, on dirait qu'il n'y a rien dessus, où ni hommes, ni plantes, ni maisons ne semblent avoir de fondement ni d'ampleur.
(Ibid., p. 199)
Une religion d'insectes, le culte de la fourmilière.
(Ibid.)
441933, Karl Haushofer :
La cruauté et l'indifférence des souffrances d'autrui, mais aussi le stoïcisme dans l'endurance des siennes propres, est un trait commun à tous les éléments qui ont formé la race japonaise, un trait donc qui est particulièrement marqué dans cette race mixte. Aussi bien les Malais que les Paléoasiates sont sujets à ces états de stupeur mentionnés plus haut, qui peuvent encore être intensifiés par l'autosuggestion et des moyens médicamenteux, et dont la vision à distance et les accès d'« amok » sont des excès connus. Une bravoure sans arrière-pensée et une faculté de sacrifice illimitée pour la communauté font corps avec cette indifférence pour les maux particuliers et le dédain pour la personne individuelle. »
(Japan und die japaner, Berlin, Teubner, 193321)
Si la famille, le clan et la tribu (han) défendent chacun de leurs membres, ils exigent naturellement que chacun fasse le sacrifice de sa personnalité ; et chez le grand prêtre des ancêtres, l'empereur, l'action impersonnelle tient de beaucoup le premier plan.
(Ibid, p. 90)
Le respect des liens de famille et de tout ce qui tient à la famille, au clan et à l'histoire de la patrie est avant tout une valeur positive, une des plus fortes sources du sentiment national, même si l'individu peut sentir à l'occasion que sa liberté d'action en est limitée.
(Ibid., p. 105)
La conception du suicide se rapproche de celle de notre antiquité ; le sacrifice d'une personnalité pour un grand principe, pour l'État et pour la famille, est facilité dans une culture concentrée autour du service des ancêtres, par la jouissance qu'éprouve le sujet à la considération qui le suivra après la mort, plus que ce n'est le cas dans une culture comme la nôtre, où l'individu joue le rôle principal. [...]
Des considérations analogues expliquent le sacrifice de la personnalité féminine, qui allait de soi jusqu'à une date récente ; cette personnalité disparaissait dans le fondement qu'elle avait à donner à la culture par la famille et elle s'anéantissait dans son rôle principal de mère de famille.
(Ibid., p. 108-109)
Si nous voulons, au seuil de ces remarques sur les conceptions de droit qui règnent en terre japonaise, en souligner le trait dominant, il nous faut alors faire ressortir le fait que le droit de la communauté, historique et métaphysique, du district et de la cellule familiale l'emporte sur le droit de l'individu [...].
Un observateur aussi bienveillant et profond que Lafcadio Hearn22 a pu parler avec un certain droit de l'oppression des vivants par les morts, des générations actuelles par celles d'autrefois, et Percival Lowell23, avec quelque exagération sans doute, a pu dire de l'impersonnalité qu'elle était l'âme de l'Extrême-Orient.
Mais aussi le sobre Code civil commenté par de Becker montre très nettement les traits fondamentaux, si différents des nôtres, du droit familier japonais avec son renforcement de la puissance paternelle. A priori, l'individu a moins de droits, vis-à-vis de la famille et de l'État, que dans la majorité des autres régions du globe.
(Ibid., p. 154-156)
Le premier principe du droit de la cellule sociale japonaise n'est donc pas l'intangibilité et la prospérité, en un mot le bonheur de l'individu. C'étaient des biens dont il ne devait jouir que pour autant que la santé de la famille, sa durée dans l'État, avant tout le contact avec les ancêtres par des sacrifices spirituels réguliers et les traditions familiales en fussent garantis.
(Ibid., p. 156)
C'est peut-être un des traits les plus caractéristiques du caractère national, de l'âme ethnique et de la structure politique du Japon que l'évolution qui a amené à l'état de fait actuel ne se soit pas accomplie par un seul homme, mais par tout un groupe de chefs, qui ont toujours évité de se produire isolément trop à l'avant-plan et qui ont montré une coordination rare d'action. »
(Ibid., p. 206)
Le renouveau de l'époque Meiji ne pouvait être réalisé qu'avec les valeurs héritées de la féodalité japonaise, avec son désintéressement, avec son âpre simplicité prête au sacrifice, et qui, malgré Confucius, plaçait la patrie et l'Etat avant la famille, la famille avant l'individu, qui était persuadée qu'à l'instant de son sacrifice d'elle-même elle passait par les portes de la vraie vie.
(Ibid., p. 207)
451933, Oswald Spengler :
En trente ans, les Japonais devinrent des techniciens de premier ordre : dans leur guerre contre la Russie, ils révélèrent une supériorité technique dont leurs professeurs surent tirer maintes conclusions. Aujourd'hui, et presque partout, – en Extrême-Orient, aux Indes, en Amérique du Sud, en Afrique du Sud, – des régions industrielles existent ou sont en passe d'exister, qui, grâce au bas niveau des salaires, vont nous mettre en face d'une concurrence mortelle. Les privilèges intangibles des races blanches ont été éparpillés au hasard, gaspillés, divulgués. Les non-initiés ont rattrapé leurs initiateurs. Peut-être même les ont-ils dépassés, grâce à l'alliage qu'ils ont réalisé entre la ruse de l'« indigène » et la grande maturité atavique de leurs très anciennes civilisations. Partout où il y a du charbon, du pétrole ou de la houille blanche, une arme nouvelle peut être forgée, pointée contre le cœur même de la civilisation faustienne. Le monde exploité est en passe de prendre sa revanche sur ses seigneurs. Les multitudes innombrables de mains des races de couleur – au moins aussi capables, mais beaucoup moins exigeantes – anéantiront l'organisation économique des Blancs jusque dans ses fondements vitaux. Le luxe aujourd'hui habituel dont bénéficie, par rapport au coolie, le travailleur blanc sera sa perte. Le labeur même du travailleur blanc en arrive à être indésirable. Les énormes masses humaines concentrées dans les zones charbonnières septentrionales, les grands complexes industriels, les capitaux qui y sont investis, des villes et des régions entières, tout cela voit surgir la probabilité d'une défaite dans cette compétition. Le centre de gravité de la production s'en éloigne constamment, d'autant plus que le respect même des races de couleur pour les Blancs s'est évanoui dans la Première Guerre mondiale. c'est tout cela qui constitue la base réelle et irrémédiable du chômage régnant dans les pays des Blancs. Il ne s'agit nullement d'une simple crise, mais bien des prodromes d'un cataclysme.
Pour ces peuples « de couleur » (qui comprennent dans le présent contexte les Russes), la technique faustienne n'apparaît en rien comme une nécessité intérieure. C'est seulement l'homme faustien qui pense, ressent et vit sous cette forme. Pour lui, c'est une nécessité spirituelle, non basée sur ses conséquences économiques, mais sur les triomphes qu'elle lui apporte : Navigare necesse est, vivere non est necesse. Pour les « gens de couleur », au contraire, la technique n'est rien de plus qu'une arme dans leur lutte contre la civilisation faustienne, au même titre qu'une branche d'arbre qu'on jette au rebut, dès qu'elle a rempli son office. Cette technique machiniste disparaîtra avec la civilisation faustienne et, un jour, ses débris seront éparpillés de-ci de-là, oubliés : nos voies ferrées et nos paquebots, aussi fossiles que les voies romaines et que le mur de Chine, nos cités géantes et nos gratte-ciel en ruine comme ceux de Memphis et de Babylone. L'histoire de cette technique tire rapidement à sa fin inéluctable. Elle sera rongée et dévorée par l'intérieur, tout comme les formes imposantes de n'importe quelle autre culture. Quand cela se fera-t-il, et de quelle manière ? Nous l'ignorons.
(Der Mensch und die Technik, cité dans la traduction française d'Anatole A. Petrovsky parue sous le titre L'Homme et la technique, Paris, Gallimard, 1958, p. 175 et s.24)
461936, Albert de Pouvourville :
L'homme japonais – l'Europe le sait enfin – est le voisin commercial et industriel le plus courtois, le plus silencieux, le plus constant dans l'effort, et pourtant le plus redoutable. Ce n'est plus un fait à démontrer, mais à surveiller à chaque minute. [...] Existe-t-il un pays de race blanche qui puisse entrer avantageusement en rivalité avec un ouvrier si simple, si patriote, si habile, et avec une production si soutenue, et si adaptée aux besoins des consommateurs voisins ?
(« Le Japon et la maîtrise de l'Asie », Revue des Deux Mondes, tome XXXI, 1936, p. 76125)
471937, Kokutai no hongi (La Vraie Signification du corps de la nation) :
Le fondement de la vie de notre peuple, ce n'est pas l'individu, ni le couple, comme en Occident. C'est la famille. La vie de la famille ne repose pas seulement sur des relations horizontales comme celles entre époux, ou entre frères et sœurs ; son fondement, c'est la relation verticale entre parents et enfants.
À partir de celle-ci, les proches s'appuient les uns sur les autres, s'entraident et forment un groupe, et ce qui fusionne ainsi harmonieusement, conformément au corps de la nation, sous l'autorité du chef de famille, c'est bien notre famille nationale.
(Kokutai no hongi, 1937, traduit par E. Lozerand26)
481937, Louis-Ferdinand Céline :
Si les Allemands avaient gagné (si les Juifs avaient bien voulu, c'est-à-dire) la guerre de 14, eh bien les Français du sol, ils en auraient joliment joui ! ils auraient pris leur pied pépère avec les Fritz... Les grenadiers de Poméranie, les cuirassiers blancs !... Ah ! Alors ça c'est des beaux mecs !... Ça serait passé dans l'enthousiasme, un vrai mariage passionnel !... Les Français ils deviennent tout ce qu'on veut quand on réfléchit... Ils deviennent au fond, n'importe qui... n'importe quoi... Ils veulent bien devenir nègres... ils demandent pas mieux... Pourvu qu'un mâle bien cruel les enfouraille jusqu'au nombril ils s'estiment joliment heureux... C'est qu'une très longue succession, notre histoire, depuis les Gaulois, de cruels enfourailleurs. [...] Mais plus on se fait foutre... plus on demande... Et puis voilà qu'on leur promet aux Français, des bourreaux tartares !... C'est pas des choses à résister... Mais c'est une affriolance !... Comment voudrais-tu qu'on les retienne ?... Mais c'est le « bouquet » priapique !... « Des vrais de vrais ! » plus que sauvages !... Des tortureurs impitoyables !... Pas des sous-raclures d'Abyssins !... Mais non !... Mais non !... Que des tripières sur-calibrées ! En cornes d'Auroch ! Tu vois ça d'ici !... Ce voyage dans la Potosphère ! Ah ! Comme ils vont nous faire souffrir ! Ah ! Ces ardents. Ah ! Mon joyeux !... Ah ! Ces furieux !... Ah ! Mon timide !... Après on aura les Kirghizes... C'est au programme !... Ah ! C'est promis !... Et puis des Mongols !... encore plus haineux !... plus bridés !... Qui croquent la terre et les vermines... Ah ! Comme ils vont nous transverser !... Et puis d'autres, plus chinois encore ! Plus jaunes !... plus verts... Toujours plus acharnés au pot. Ah ils vous entament. Ils nous étripent !... C'est la Croix dans le plein du cul !... Plus ils sont étranges, plus c'est fou ! Plus ils dilatent, plus ils s'enfoncent ! C'est la vie des anges pour le pot !... Ils nous tuent... Voilà comme ils disent, les Français !...
(Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p. 191-19227)
491944-1945, Calvo :
Ce peuple de Singes petits et jaunes, aussi laids que vaniteux, avait l'ambition de dominer l'autre moitié du monde et pour cela, singeait littéralement les méthodes des Barbares, accumulant le matériel guerrier et se préparant manifestement à une attaque de grand style.
(La Bête est morte !, Paris, GP, 1944-1945, réédition Paris, Gallimard, 1995, s. p.)
501946, Ruth Benedict :
Toute tentative pour comprendre les Japonais doit commencer par une interrogation sur ce qu'ils entendent par « chacun à sa place ». Leur croyance en l'ordre et la hiérarchie et notre foi en la liberté et l'égalité sont aux antipodes l'une de l'autre ; il nous est difficile de donner à la hiérarchie le rôle qui devrait lui revenir comme possible mécanisme social. La confiance des Japonais dans la hiérarchie est la base de leur conception des rapports d'homme à homme, ainsi que de l'individu à l'État [...].
(The Chrysanthemum and the Sword. Patterns of Japanese Culture, Boston, Houghton Mifflin Co., 194628)
Les Japonais, plus que toute autre nation souveraine, ont été habitués à un monde où le plus petit détail de comportement est programmé et le statut fixé. Pendant les deux siècles où l'ordre public fut maintenu dans ce monde avec une main de fer, les Japonais ont appris à assimiler cette hiérarchie méticuleusement établie aux notions de sauvegarde et de sécurité.
(Ibid., p. 71)
511947, Robert Guillain :
Quant au peuple japonais, par son orgueil et son arrogance, par son obéissance passive de troupeau, il est dupe et complice à la fois. Du premier jour, Pearl Harbor est pour lui une légende menteuse qu'il accepte avec une crédulité coupable.
(Le Peuple japonais et la guerre – choses vues, 1939-1946, Paris, Julliard, 1947, p. 19)
La société japonaise moderne, héritière sur ce point de l'ancienne, conspire tout entière à la facilité de la mort par une sorte de dépréciation de la vie. C'est la gloire de la race blanche que d'avoir fait de la personne humaine, suivant les leçons de sagesse antique et chrétienne, une valeur unique et première. Un Occidental ne vit pleinement sa vie que quand il la comprend et la fait inimitable, et quand le sens même de son existence, c'est d'être précieuse : s'il la donne, il donne ce qui est irremplaçable. Bien plus, notre personnalité n'est pas seulement précieuse, elle est encore précise : elle se distingue fortement de celles qui nous entourent ; elle est indépendante et s'oppose même au groupe qui la comprend.
Sur tous ces points, comme elle est différente la psychologie des Japonais ! Nous avons déjà montré, nous aurons l'occasion d'y revenir, comment la collectivité noie les contours précis des personnalités, des individus ; et ce n'est pas tant, ici, l'effet du régime totalitaire du Japon moderne que celui de la civilisation orientale dans son ensemble, dont la tendance générale est de dissoudre l'homme dans ce qui l'entoure.
Elle ne se contente même pas d'enlever aux individus leur précision, elle retranche à la vie une partie de son prix. Subtilement, elle enseigne aux personnalités diminuées que la valeur de l'existence n'est pas si grande. Qu'importe le sacrifice d'une vie, si elle peut être remplacée par d'autres vies interchangeables ? Qu'importe si le groupe, qui est tout, survit, et si survit aussi l'idée pour laquelle le groupe a demandé à l'individu de périr ? La vie est remplaçable encore parce qu'elle est surabondante. Le Grand Japon en pleine expansion démographique gâche la vie sans avarice parce que la natalité y est forte, et que chaque mort y est remplacé par plusieurs vivants.
(Ibid., p. 48)
Tôkyô secrète soudain une foule grouillante comme une ruche. Le flot humain inonde les approches du temple de Meiji, s'engouffre dans les jardins sacrés aux noires verdures élyséennes, ondule sur le pont en demi-lune, et, déferlant sous les portiques taillés dans les cèdres géants, se brise en un million de révérences devant le sanctuaire.
(Ibid., p. 55)
Le vieux goût de ce peuple pour la révérence, sa disposition innée à s'aplatir devant ses chefs a pris, dans ces semaines de victoire, l'allure d'une passion.
(Ibid., p. 56)
Devant le blanc inclassable, imprévisible, jamais sûr parce que sa parole comporte toujours une part indiscernable de paradoxe, d'humeur ou de bluff, le Japonais se réfugiait dans le secret de ses forces cachées : le silence, l'obstination, le sens de l'action collective et la puissance patiente du nombre.
(Ibid., p. 57)
La logique du Japon est celle de l'instinct, et non celle de la raison. Instinct de la meute, qui se déplace d'une seule masse, indifférente à son désordre intérieur, compacte et sûre dans son avance ; guidée par des connaissances irraisonnées et des impulsions collectives autrement plus fortes que les jappements de ceux qui prétendent la mener.
(Ibid., p. 109-110)
L'unanimité leur [aux hommes] vient bien moins d'un sens raisonné de la discipline que d'un instinct grégaire. Avec une effrayante facilité ils adoptent les modes de la fourmilière.
La fourmilière, je suis chaque jour hanté par le spectacle qu'elle donne de son universel grouillement. Est-ce parce que la guerre a tout de même fini par agiter ce peuple lent ? Ou parce qu'elle a produit une congestion sans précédent dans les lieux publics ? Tôkyô est la cité des foules. Foules des rues, foules des gares, foules des sorties d'usine, foules des trains, des quartiers, des écoles, des salles de spectacles, des manifestations patriotiques, des sanctuaires nationaux : ce ne sont pas après tout, des foules, c'est une seule et même foule partout présente et partout semblable. [...] La couleur locale a disparu. Il reste l'odeur locale. Et sur l'image du troupeau humain, barbouillé au fusain sur le décor de la ville, se détachent seulement, quand on s'approche, les mille visages non pas jaunes, mais mats, foncés, halés souvent, dont les milliers de laideurs ne cesseront jamais de me fasciner.
Elle est, cette foule, d'une incroyable lourdeur, faite de millions de maladresses presque paysannes, de piétinements embarrassés sur les getas de bois, de cavalcades balourdes dans les escaliers trop étroits, de poussées gauches qui encombrent les entrées de gare, font bouchons à la porte des tramways, empêchent à l'arrivée des trains la sortie des voyageurs.
(Ibid., p. 141)
Surpeuplé comme peu de pays sur la planète, il s'est cantonné dans un urbanisme avare et une architecture médiocre. Quais de gare, trottoirs de villes (quand il y a des trottoirs), bouches de métro, tout est trop petit pour la termitière grouillante.
(Ibid., p. 143)
Mouvement brownien, entrecroisement de particules, grouillement d'insectes, qui contribue encore à accentuer l'impression de fourmilière. Ils se croisent, se frôlent, vont on ne sait où, passent, bougent.
(Ibid.)
Pourtant ces mal-nourris, ces mal-logés, ces mal-fichus, je finis moi aussi par oublier quelque fois de les voir dans leur vie médiocre, leur technique attardée, leur mode de vie souvent si primitif, et soudain, dans un éclair, ne voyant plus que le groupe, je me dis : ce n'est pas en retard, qu'ils sont, mais peut-être en avance sur nous, en avance sur la route de la fourmilière humaine ! Si l'humanité progresse vers la fourmilière mondiale, vers la termitière unique, quelle avance ils ont sur nous, nous les Blancs attardés dans notre individualisme, nous les Français encombrés dans leur personnalisme ! Qui sait si le Japon n'a pas fait une conquête invisible autrement plus solide que toutes ses conquêtes dans l'espace, la conquête du temps ? Ne va-t-il pas se trouver dans un siècle, là où nous ne parviendrons peut-être qu'en trois ou quatre cents ans ? À peine sorti d'un moyen âge féodal, n'a-t-il pas plongé dans un collectivisme dont la pâte humaine est plus homogène que tout ce qu'ont pu rêver Marx ou Staline ?
Comme il est doué, en tout cas, pour la fourmilière de demain, si elle doit un jour s'établir ! Ses mœurs d'Oriental, toute sa philosophie, l'ont de tout temps disposé à ne pas s'isoler du groupe, à ne pas s'affirmer contre lui, mais à se dissoudre dans le milieu où il baigne, à se rendre perméable, à se fondre dans le tout qui l'entoure ; l'art lui a appris à se perdre dans la nature ; la religion dans le néant du « grand tout » ; la vie, dans la foule anonyme du clan. La nation moderne a su capter à son profit toutes ces dispositions au non-être.
Le « Japonais moyen » ne se sent jamais un univers complet qui peut se suffire à lui-même. Il n'est rien s'il est isolé. [...] Il est né fraction, molécule interchangeable. [...] Dans le Japon en guerre, le groupe arrive toujours à être le total absolu de ses membres. L'individu se prête à cette fusion, il la demande, il l'aime.
(Ibid., p. 145)
Au Japon, [...] tout se dilue, tout est fusion, coulée unique dans la masse.
La masse, une, entièrement fondue, entraîne tout. L'opposition ? phénomène inconnu en psychologie et en politique. [...] La masse, indifférente aux rares plaintes de ceux qu'elle emporte, charrie le monde japonais dans un courant sans retour.
Effrayant spectacle de la collectivité engagée sur une fausse route ! Comme il éclate ici dans sa clarté tragique, le problème de notre siècle, et sans doute des quelques siècles à venir !
(Ibid., p. 146)
Et puis quand le Japon, après avoir caché sa face pour pleurer à l'annonce de la reddition s'est montré à nous à nouveau, il entrait tranquillement dans la défaite, en arborant sur son visage le sourire japonais. [...]
Sourire japonais ! le plus énervant des « secrets » du Japon, celui qui résiste le plus longtemps, celui qui réserve le plus de révélations à qui sait, par une longue patience, déchiffrer une partie de son énigme. [...]
Notre cerveau est heureusement aussi peu encombré de logique que nos intérieurs d'ameublement. [...]
Notre sourire est la marque de notre souplesse. Car nous sommes d'une souplesse effrayante. Il y a dix siècles que nous nous assouplissons en courbettes devant ceux qui nous dirigent. Nous avons aujourd'hui de nouveaux maîtres qui veulent nous enseigner l'exercice de la liberté ? Mais nous avons tellement l'habitude d'avoir des maîtres, de céder à leurs caprices et d'y applaudir. [...]
Un Japonais, rappelez-vous, ce n'est pas une personnalité, c'est une possibilité.
(Ibid., p. 285-292)
521950, André Siegfried :
Aucun Asiatique n'est capable d'entretenir une machine, toute maison orientale est négligée, sans que son propriétaire, même s'il est riche et raffiné dans ses goûts, paraisse en souffrir. Confiez un édifice, une entreprise, une administration, de grands travaux publics à un Oriental et revenez au bout d'un an, de dix ans : vous verrez aussitôt la différence avec le temps où c'était un Européen qui en avait la charge. Individualité et responsabilité personnelle, voilà ce qui manque. En Asie, les gens ne font rien seuls, ils font toujours partie d'un groupe qui les domine et dont ils sont solidaires.
(L'Âme des peuples, Paris, Hachette, 195029)
531953, Jean Stoezel :
L'étude de l'organisation sociale, où l'on retrouve, statiquement, certains traits que l'histoire a montrés dans leur fonctionnement, apporte des éclaircissements aux énigmes posées par les comportements publics du peuple japonais. Il n'est pas douteux, en effet, que bien des aspects de l'organisation et du fonctionnement de la société japonaise rendent possible et même aisé un comportement totalitaire de ses membres.
C'est ce qui apparaît bien d'abord quand on étudie la condition des femmes.
(Jeunesse sans chrysanthème ni sabre, « Les grands traits de la société japonaise », Paris, Plon-Unesco, 1953, p. 50)
La condition des femmes fait ressortir le caractère d'inégalité de la société japonaise et, par suite, les comportements dépendants de certains de ses membres. Mais c'est là trop peu dire : l'inégalité est organisée, elle comporte un grand nombre d'échelons, les relations de subordination et de sur ordination sont complexes, et la notion qui caractérise vraiment cette structure est celle de hiérarchie. Visible déjà à l'époque archaïque, développée avec la féodalité au point qu'on a pu dénombrer jusqu'à trois cent soixante divisions à l'époque d'Edo, la hiérarchie a laissé subsister beaucoup de traces dans le Japon moderne. On le remarque d'abord dans la structure de la famille.
(Ibid., p. 52-53)
En réalité, comme Benedict30 en a bien eu l'intuition, toute la structure sociale japonaise est dominée par une notion de hiérarchie, directement fondée sur l'institution clanique de parenté. [...]
C'est qu'en réalité la position de chacun est déjà réglée dans la société, comme dans sa famille ; et ceci n'est pas une métaphore : la société n'est elle-même qu'une organisation de familles, les relations entre personnes sont conçues sur le type des relations entre parents.
(Ibid., p. 56-57)
Ce qui par conséquent caractérise probablement le mieux la société japonaise, c'est l'intégration de l'individu ; commencée dans la famille, et reposant toujours sur cette institution, elle est manifeste dans toutes les relations sociales, elle se retrouve dans toutes les autres institutions.
(Ibid., p. 62)
En un mot, la culture japonaise ne fait pas de véritable place à la notion de personne. Bien des alternatives familières à l'Occidental – liberté ou servitude, bien ou mal, bonheur ou malheur, démocratie ou totalitarisme – se trouvent sans objet si on veut les appliquer au Japon. Il faut prendre conscience de la distance qui sépare le Japon de l'Occident, non seulement dans l'espace, mais sur le plan psycho-social ; une notion non critique de la « nature humaine » risque d'égarer fâcheusement.
(Ibid., p. 64)
541954, Jacques Chéroy :
Un pays jusque-là relativement peu peuplé, traditionnellement soumis à des pratiques malthusianistes et régulièrement affligé de famines dévastatrices, voyait doubler, et davantage, le chiffre de sa population, cependant qu'au-dehors il rassemblait sous son drapeau une des masses d'hommes les plus nombreuses du monde.
(Où va le Japon ?, Paris, Hachette, 1954, p. 8)
Le trait sans doute dominant de l'éthique confucianiste – dont le régime Tokugawa avait si bien imprimé sa marque sur le caractère japonais – est la soumission de la personne aux exigences de la société, ou plutôt de l'ordre social. Cette soumission, au Japon, prend les formes les plus diverses, d'un conformisme de fourmilière aux plus hautes manifestations de la discipline consentie.
(Ibid., p. 15)
Conformisme, goût de la hiérarchie, dévouement à l'État, autant de traits de caractère facilitant singulièrement l'entreprise nationale inaugurée par Mutsuhito.
(Ibid., p. 17)
Aucune morale, mieux que la japonaise, n'a su glorifier l'énergie. Elle met en œuvre, pour la tremper, toutes les ressources de l'ascèse. Elle impose à l'individu toutes les rigueurs d'une discipline qui affermisse sa force d'âme.
(Ibid., p. 18)
551957, Aimé Perpillou et Lucien Pernet :
Encore un pays surpeuplé.
Dans les campagnes s'agglutine une énorme population rurale, presque aussi serrée que celle de nos lotissements de banlieue. »
(Géographie 5e, Paris, Hachette, 1957, p. 167)
561958, Michel Droit :
L'existence de l'homme japonais est l'une des plus réglées, des plus minutées qui soient au monde, et surtout l'une des plus conformes à celle de son voisin, car dans un pays où l'espace fait défaut, l'indépendance d'esprit et l'originalité du comportement seraient des fautes graves commises à l'égard du prochain.
(J'ai vu vivre le Japon, Paris, Fayard, 1958, p. 73)
571959, Martin Heidegger :
D31. – Il y a quelque temps, j'ai nommé (bien malhabilement) la langue : « la maison de l'être ». Si l'homme, par la parole de sa langue, habite dans la requête que l'être lui adresse, alors nous autres Européens, nous habitons, il faut le présumer, dans une tout autre maison que l'homme d'Extrême-Orient.
(« D'un entretien de la parole. Entre un Japonais et un qui demande32 », in Acheminement vers la parole, traduction de François Fédier, Paris, Gallimard, 1976, p. 90)
J. – La tentation est grande d'appeler à l'aide les modes de représentation européens et leurs concepts.
D. – Elle est renforcée par un processus que j'aimerais pouvoir nommer la complète européanisation de la terre et de l'homme.
J. – Beaucoup voient dans ce processus le triomphe de la Raison. N'a-t-elle pas été saluée comme une divinité à la fin du xviiie siècle, lors de la Révolution française ?
D. – Certes. On va même si loin dans l'idolâtrie de cette divinité que l'on peut dénigrer comme déraison toute pensée qui récuse comme non originale la prétention de la raison.
J. – La domination intouchable de votre Raison européenne, on la croit consacrée par les succès de la rationalité que le progrès technique nous met heure après heure sous les yeux.
D. – Cet éblouissement aveugle à ce point qu'on ne peut même plus voir comment l'européanisation de l'homme et de la terre attaque et ronge aux racines tout ce qui est essentiel. Toutes les sources paraissent devoir s'épuiser.
(Ibid., p. 100-101)
Pour les peuples d'Extrême-Orient et d'Europe tout ce qui concerne le déploiement de parole (et non seulement les langues) est de fond en comble autre.
(Ibid., p. 108)
J. – Dans notre ancienne poésie japonaise, un poète inconnu chante les parfums au même rameau s'entremêlant des fleurs de cerisier et des fleurs de prunier.
D. – C'est ainsi que je pense le déploiement réciproque, l'un en direction de l'autre, du large et de l'apaisement dans le même appropriement de l'annonce du désabritement de la duplication.
J. – Mais qui, parmi les gens d'aujourd'hui, pourrait y entendre un écho du déploiement de la parole, que nomme notre mot Koto ba : pétales croissant depuis l'annonce éclaircissante de l'inclination qui fait paraître ?
(Ibid., p. 139)
581960, Jean-Pierre Hauchecorne :
Le détachement des traditions, la liberté, tels qu'ils sont entendus outre Pacifique, s'appuient sur une abondance de moyens matériels et d'espace vital pour chaque individu, que les Japonais n'auront jamais l'espoir de posséder, ni même de développer. [...]
Une connaissance plus intime du Japon fait ressortir les traits suivants, – ici, je laisse la parole à un critique japonais bien connu, qui distingue douze « qualités » pour ses compatriotes, – qualités qui peuvent naturellement être des « vertus », à dose normale, ou des « vices », à dose anormale.
[...] 9 – le sacrifice de soi-même (« l'effacement de la personnalité a toujours été, pour les Japonais, leur philosophie et la base de leur éducation »).
(« Le caractère japonais », in Doré Orizek, Le Japon, un portrait en couleurs, Paris, Odé-Les Amis de l'histoire, 1960, p. 151)
591961, Arthur Koestler :
À l'heure de la bousculade où toute la ville paraît se ruer dans la panique et la frénésie, pour se jeter à l'assaut des trains électriques, en oubliant les sourires et la courtoisie, les jeunes gens timides se changent en brutes, et les frêles Mme Butterfly font penser à des lutteurs de catch.
(Le Lotus et le Robot, Paris, Calmann-Levy, 1961, p. 201)
La cruauté apparente de l'éducation japonaise n'est en fait qu'un mode de conditionnement qui n'exclut ni l'amour ni l'affection, au contraire, elle est basée sur une ferme conviction que l'enfant, au plus profond de lui-même, veut être reconditionné comme il convient, grâce à ces procédés, de même que la fleur accueille volontiers le petit réseau de fil de fer qui montre ses pétales à leur avantage. Mais les méthodes et techniques de ce conditionnement sont plus radicales, et atteignent des couches plus profondes de l'inconscient qu'aucune pédagogie occidentale ne pourrait le concevoir. Elles transforment non seulement le comportement extérieur, mais aussi les réflexes absolus et les contrôles inconscients comme le montrent par exemple les traits particuliers des Japonais en temps de guerre, dans le sommeil et dans les maisons d'aliénés.
(Ibid., p. 241)
60Années 1960, Rafael Steinberg :
Les dirigeants japonais sont [...] des personnalités anonymes, sans couleur. Individuellement, ils sont ternes, ternes, ternes. [...] Ils représentent, par nécessité, le plus bas commun dénominateur de la personnalité individuelle.
(« Why no one pays attention to Japan », The East, Tôkyô, II, 3, p. 11-1333)
611965, Hubert Brochier :
Le Japon est donc un pays qu'on peut qualifier sans hésitation de surpeuplé, quelles que soient l'imprécision de la notion de surpeuplement et les discussions que les spécialistes ont pu engager à ce sujet. Ce surpeuplement constitue le conditionnement majeur, non seulement des structures économiques et sociales japonaises, mais aussi, dans une assez large mesure, de ses principaux caractères d'ordre culturel et psychologique.
(Le Miracle économique japonais, Paris, Calmann-Lévy, p. 27-28)
Le surpeuplement est aussi responsable des aspects les plus superficiellement évidents de la vie japonaise : entassement de multitudes dans les grandes cités, avec l'importance parfois traumatisante que peuvent en acquérir les relations de voisinage, encombrement des trains et des moyens de transport, médiocrité enfin de l'habitat et empilement des familles dans des logements étroits. Tous ces traits, relativement anciens puisque la constitution de grandes cités remonte au xviie siècle et que l'entassement des familles rurales dans des locaux insuffisants existe depuis bien plus longtemps encore, semblent avoir marqué assez profondément la psychologie japonaise. Par la pression constante que le groupe exerce sur l'individu en raison de la proximité de la présence permanente d'autrui, s'expliquerait la maîtrise de soi du Japonais, sa soumission à un contrôle social permanent – donc le caractère social de son éthique considérée comme une morale de la « face » par opposition à la morale de culpabilité intérieure issue du christianisme34. On aurait ainsi la clef de la lenteur avec laquelle l'individualisme s'est développé, l'individu ayant toujours été, jusqu'à une date très récente, sacrifié aux intérêts du groupe et, par suite, du rôle que jouent au Japon le conformisme social, mais aussi l'étonnante aptitude du peuple japonais aux entreprises et aux travaux collectifs. Bien entendu, il y aurait quelque naïveté à expliquer tous ces traits par le seul conditionnement démographique. Nous ne faisons ici que rappeler brièvement des caractéristiques généralement admises par les commentateurs occidentaux ; l'honnêteté oblige à dire qu'elles sont parfois contestées par les Japonais, sans que d'ailleurs ils ne présentent aucune explication satisfaisante.
(Ibid., p. 40-41)
621966, Michiko Inukai :
La préoccupation excessive que les Japonais ont d'eux-mêmes, à la fois comme nation et comme individu, fait qu'ils s'inquiètent d'une façon presque morbide de ce que les autres peuvent penser à leur endroit.
(« Agreeing to Biffer » Japan Quaterly, xiii, 2, avril-juin 1966, p. 182-18335)
631966, José Maria Gironella :
III. Groupes humains. Grégarisme
[...] Malgré tout, un fait s'imposait de toute évidence et me permettait du moins de formuler une affirmation : Tokyo « sent » la multitude. Les Tokyotes circulaient dans les rues par groupes compacts, d'allure grégaire ; groupes d'étudiants, groupes de cheminots, groupes d'ouvriers de la construction, dont le casque changeait de couleur selon l'entreprise qui les employait, groupes d'athlètes, en uniforme souvent et à la file indienne, précédés d'un homme ou d'une femme portant pancarte.
Agitateurs ? Rarement. Ce qui est courant, ce sont des gens qui se rendent en masse au même endroit ou qui manifestent à propos de tout et de rien : pour fêter un champion de judo ou pour revendiquer les îles Okinawa. [...] Telle est la loi. L'individu, qui agirait pour son compte personnel, en serait qu'un franctireur. Ce qui importe pour le pays, c'est marcher coude à coude, rythmiquement, sans permettre au hasard d'intervenir... Pour le progrès, pour la solution des problèmes que la défaite de 1945 a posés, le mot multitude a plus de valeur que le mot individu ; et tout est prévu de longue date. [...]
Multitude... Ce mot, cette dépersonnalisation m'incommodaient. Dans le parc Sumida, j'ai compté jusqu'à vingt-sept jeunes filles qui, assises dans l'herbe, dessinaient le même arbre. [...] Triomphe de la collectivité. Comme les vagues de la mer. Les journaux tirent leur édition du matin à quatre millions d'exemplaires et leur édition du soir, à un million. Des millions d'yeux lisent les mêmes nouvelles. La déformation est telle, selon le professeur Topinaga [sic], qu'elle affecte jusqu'à la divinité. [...] Apparemment, on compte autant de dieux que d'îles, et tous ont la même voix. Peut-être ne portent-ils pas de pancarte, mais sans doute sourient-ils de la même manière, les dents éternellement et parfaitement rangées. Comme les autocars sur la route.
– Ma chère Mikedo [sic], tout le Japon est donc ainsi ?
– Oui, tout le Japon est grégaire C'est à peine si nous employons les pronoms personnels.
– Parlez-vous sérieusement ?
– Bien sûr, le « je » nous paraît haïssable ; le « tu » trop concret et le « il », trop accusateur.
– C'est incroyable !
– C'est ainsi, pourtant. Nous ne distinguons pas non plus entre le singulier et le pluriel, entre le concept de l'homme et le concept des hommes.
– Je ne saisis pas...
– C'est cependant facile. Nous croyons davantage au communautaire et au familial qu'à l'individuel.
(El Japón y su duende, 196336)
Le céramiste de Fukuoka ajouta, de cette voix de fausset qui est là-bas courante :
– De toute façon, l'union, nous la portons dans le sang. Oui, nous aimons le respect, la hiérarchie. Ici le communisme pourrait peut-être prendre racine. Vous n'ignorez pas que les Américains ont voulu nous démocratiser. Et savez-vous pourquoi ils y ont en partie réussi ? Parce qu'ils nous l'ont ordonné.
(Ibid., p. 40-41)
641966, Marie-Noëlle Cloes et Wim Dannau :
Jusqu'à présent les habitants du Japon passaient pour appartenir à une « race mécanisée », encline à imiter tout ce qui vient de l'étranger.
(Japon vieux pays tout neuf, Paris, Robert Laffont, 1966, p. 39)
651966, Raymond Charles :
Par tempérament, le Nippon est presque toujours respectueux de l'autorité. Fort souvent laborieux, méthodique jusqu'à la minutie – sans pour autant abdiquer son inclination au poétique –, il se dévoue à sa tâche, comme à sa patrie, de façon extrême. On n'ignore pas l'envers de telles qualités, qui se nomme abdication trop facile de la personnalité : d'où l'obédience à un conformisme qui rend dangereusement moutonnier, et aussi cet obscur et impérieux besoin de s'immoler tragiquement à une cause, à une idole. C'est la marque des peuples d'introvertis d'être « fascinés » par la dictature : « Leur type de héros aura la stature de César » (P. Grieger). De là leur manque d'esprit critique et d'indépendance [...]. Pareille tendance a été aggravée, dans l'archipel, par l'enracinement millénaire (sous une forme d'ailleurs très dépouillée) du confucianisme, puis du bouddhisme, dans le subconscient du Nippon : Confucius enseigne que l'ordre hiérarchique d'une société est naturel et absolu ; bénie est la soumission au destin, car elle est la source de tout bonheur véritable, prêchent de leur côté les doctrines bouddhistes. »
(Le Japon an rendez-vous de l'Occident, Paris, Castermann, 1966, p. 33)
En somme, le centre des inquiétudes est beaucoup moins ici l'individu que le groupe ; l'ego est toujours au-delà de lui-même. Ce qui, chez nous, relève de l'anthropomorphisme, appartient chez le Nippon à un véritable cosmo morphisme ; et celui-ci est vécu non dans l'extase d'une contemplation autiste, d'un isolement du moi face à la nature, mais collectivement, par la communion des âmes, qui est première et constitue l'instance de référence pour tout comportement singulier. C'est pourquoi l'âme japonaise est si déconcertante, si malaisée à cerner : elle est plurale, et non pas seulement pluraliste...
(Ibid., p. 35)
661967, Eijiro Inatomi :
Les Japonais [sont] dépourvus de « conscience de soi »... comme [le montre] le manque de séparation claire dans les parties du discours en langue japonaise contrairement aux langues européennes. [...] La phrase japonaise est un ensemble hétérogène, et non pas un agrégat de mots ou de phrases [sic] individuels. Ce qui correspond au fait que dans la vie réelle un Japonais n'a pas une conscience claire de son moi individuel, ne reconnaissant son existence propre que dans l'ordre hétérogène du monde...
La langue japonaise symbolise tout à fait quelqu'un qui n'a pas de sens précis du moi individuel... Cela correspond parfaitement au manque d'individualité. Le vide du moi, c'est ce qu'exprime la façon japonaise de s'habiller, de se nourrir et de se loger dans la vie de tous les jours.
(The Japanese Mind : Essentiels of Japanese Philosophy and Culture, in Charles A. Moore, éd., Honolulu, East-West Center Press, 1967, p. 234-23537)
671968, Alexandre Kojève :
La civilisation japonaise « post-historique » s'est engagée dans des voies diamétralement opposées à la « voie américaine ». Sans doute, n'y a-t-il plus eu au Japon de religion, de morale, ni de politique au sens « européen » ou « historique » de ces mots. Mais le snobisme à l'état pur y créa des disciplines négatrices du donné « naturel » ou « animal » qui dépassèrent de loin, en efficacité, celles qui naissaient, au Japon ou ailleurs, de l'Action « historique », c'est-à-dire des luttes guerrières et révolutionnaires ou du travail forcé. Certes, les sommets (nulle part égalés) du snobisme spécifiquement japonais que sont le théâtre nô, la cérémonie du thé et l'art des bouquets de fleurs furent et restent encore l'apanage exclusif des gens nobles et riches. Mais, en dépit des inégalités économiques et sociales persistantes, tous les Japonais sans exception sont actuellement en état de vivre en fonction de valeurs totalement formalisées, c'est-à-dire complètement vidées de tout contenu « humain » au sens d'« historique ». Ainsi, à la limite, tout Japonais est en principe capable de procéder, par pur snobisme, à un suicide parfaitement « gratuit » (la classique épée du samouraï pouvant être remplacée par un avion ou une torpille), qui n'a rien à voir avec le risque de la vie dans une lutte menée en fonction de valeurs « historiques » à contenu social ou politique. Ce qui semble permettre de croire que l'interaction récemment amorcée entre le Japon et le Monde occidental aboutira en fin de compte non pas à une rebarbarisation des Japonais, mais à une « japonisation » des Occidentaux (les Russes y compris).
(Introduction d la lecture de Hegel, 2e édition, Paris, Gallimard, 1968, p. 436)
681968, René Duchac :
Soumission, plus routinière que vraiment révérencieuse, désir de liberté combattu et souvent neutralisé par une peur de cette même liberté, optimisme en l'avenir fondé non sur une appréhension raisonnée des conditions individuelles de la construction de cet avenir, mais sur une sorte de sentiment instinctif de la solidarité des destins individuels au sein du destin national.
(La Jeunesse de Tôkyô, 196838)
691969, Jacques Robert :
Dans un pays où une féodalité trop prolongée a totalement « formalisé » les émotions personnelles en les obligeant à s'exprimer selon des rites une fois pour toutes fixés, où chacun vit engoncé dans des structures sociales exigeantes, où l'intimité même est perpétuellement menacée par l'obsédante pression du groupe et l'exiguïté de l'habitat, comment l'individu ne s'assurerait-il point une sorte de sécurité personnelle intérieure en se repliant derrière un masque qui n'est qu'un mur habile à dissimuler l'intégrité de ses émotions, un « espace psychologique » qui le sépare de la foule immense...
(Le Japon, « Chapitre premier. Les traits fondamentaux du peuple japonais », « Section I. Les constantes caractérologiques japonaises », Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1969, p. 61-62)
Dans un pays où chacun est l'humble serviteur du groupe, où il est malséant de contredire publiquement quiconque (car ce serait lui faire perdre la face), où l'élève se dissimule derrière l'autorité souveraine du professeur, le disciple derrière l'érudition du maître, vouloir briller - nécessairement au détriment des autres - paraît une incongruité. [...]
À quoi est dû cet étonnant et subtil comportement ? À toute une gamme de raisons au premier rang desquelles il faut sans doute mentionner une hiérarchie sociale implacable et de pénibles frustrations individuelles.
(Ibid., p. 64)
Encadrés depuis toujours par des hiérarchies multiples, habitués à ne vivre que pour le groupe, liés les uns autres par des liens subtils à la fois affectifs et formels, les Japonais n'ont jamais eu vraiment le goût de la contestation. Pour eux, la société est un tout qui les abrite et leur réserve une place. Cette place, chacun l'occupe, conscient de ses devoirs. Dès lors, le droit derrière lequel l'individu cherche en Occident sa protection perd-il au Japon sa valeur profonde. On n'aura recours à lui qu'en dernière analyse puisque faire appel à son aide, c'est somme toute rendre public un échec : celui de son intégration dans la société.
(Ibid., p. 75)
B) L'obéissance nipponne
Toute la philosophie du Japonais l'a disposé à se dissoudre dans le milieu où il baigne : l'art lui a appris à se perdre dans la nature ; la religion, dans le néant du « grand tout » ; la vie, dans la foule anonyme du clan...
S'il est une chose en effet dont tout Japonais est pleinement conscient, c'est qu'il ne représente rien par lui-même, en tant qu'individu. Dans cette immense fourmilière qui trottine inlassablement à sa gauche et à sa droite, devant et derrière lui, le Japonais se sent intensément solidaire des autres. Il sait que, seul, il ne peut rien. Avec les autres, il fera de grandes choses. À condition de former avec eux un tout. Le Japon n'est grand que dans sa totalité. Mais cette totalité postule qu'il n'y ait à proprement parler qu'une seule solidarité : celle du groupe et du groupe japonais. [...]
a) Le sentiment d'appartenance au groupe
Le Japonais a un besoin – presque physique – de se sentir encadré. Tout sentiment d'isolement lui est insupportable. Il se veut « accompagné » dans toutes les circonstances de sa vie. [...]
Il faut dire que, dès l'enfance, le Japonais a pris l'habitude d'être encadré. [...]
Le groupement social – la firme – n'est en effet, dans sa structure, que la reproduction de la famille japonaise : il en possède toutes les particularités. [...]
(Ibid., « Section 2. Les vertus cardinales de la nation japonaise », p. 117-119)
701970, Jean-François Delassus :
Son [du Japonais] sens de la hiérarchie s'acquiert presque physiologiquement sur l'échine de sa mère. Un seul exemple suffit à démontrer ce phénomène original : le cérémonial des courbettes. Quand sa mère s'incline devant quelqu'un, l'enfant est entraîné dans le mouvement. S'il bascule légèrement, il sent inconsciemment que la personne n'est pas très importante ; s'il bascule dix foix de suite, cette personne est supérieure ; s'il se retrouve la tête en bas et les pieds en l'air, le pauvre bambin sait qu'il a affaire à un personnage éminemment respectable.
(Le Japon : monstre on modèle, Paris, Hachette, 1970, p. 67-68)
Du sacrifice de la vie, la féodalité va faire une véritable institution à son profit. Exprimée d'une manière anarchique sur le champ de bataille, l'abnégation de soi-même culmine en apothéose d'autodestruction dans le seppuku, hara-kiri rituel, véritable somme de sadisme raffiné par le caractère impitoyable de la pression sociale sur l'individu et par l'acharnement à obtenir son consentement au sacrifice. C'est en effet dans la double perspective d'un ordre social et d'un enseignement moral auto répressif, niant les droits et jusqu'à l'existence même de l'individu, qu'il faut situer le suicide à la japonaise.
(Ibid., p. 83)
Les Japonais se caractérisent en fait par leur absence d'esprit critique. D'où leur passivité et leur conformisme, leur compagnie souvent ennuyeuse, un sens de l'humour à peine dégrossi et l'excès infantile dont ils font preuve dans l'émotion (quand elle est manifestée). [...]
Si la conversation avec des Japonais est aussi mortellement insipide, c'est qu'elle ne s'établit pas dans un rapport d'individu à individu. [...]
Lorsque je suis arrivé au Japon, un Américain m'avait lancé d'un air profondément désabusé : « Quand vous en connaissez un, vous les connaissez tous. » Cette remarque m'avait paru alors terriblement simpliste. Mais à l'expérience, la galéjade s'est révélée à peine exagérée. Pensant et agissant de la même manière, les Japonais sont anonymes. [...]
Géographiquement, la population elle-même est uniforme. Aucun contraste humain ne distingue les régions. Les habitudes de vie des habitants des montagnes ou des plaines, du littoral du Pacifique ou de la mer du Japon, du Nord ou du Sud, sont les mêmes. Ils se lèvent tous, été comme hiver, à six heures du matin, mangent exactement les mêmes choses, se vêtent de la même manière, ont les mêmes distractions. [...]
Leur personnalité étouffée par les impératifs sociaux et par le respect de la même étiquette, habitués à se taire, ressemblant aux autres et heureux de leur ressembler, les Japonais donnent une impression générale de médiocrité.
(Ibid., p. 101-103)
Une certaine impuissance physique dérive de ce complexe d'infériorité de l'homme japonais à l'égard de la femme. Mais elle a aussi une origine physiologique. La virilité des Japonais serait inférieure à celle des Européens. Des traités nippons de sexologie fort sérieux le reconnaissent implicitement. Pour les Japonaises qui ont goûté aux deux races c'est un fait indéniable, dont bien des Occidentaux sont les heureux bénéficiaires ! Certaines étrangères vivant à Tôkyô confient qu'un seul amant occidental vaut plusieurs amants japonais. Le bain brûlant (pouvant aller jusqu'à 50° C) que prennent chaque jour depuis des siècles les Japonais y est peut-être pour quelque chose...
(Ibid., p. 133)
711970, Nakane Chie :
Par conséquent, le pouvoir du groupe n'influe pas seulement sur les actions de l'individu, mais également sur ses idées, sur son univers mental. L'autonomie de l'individu s'en trouve réduite d'autant. Dès lors il est bien difficile de faire le départ entre la vie publique et la vie privée. Certains considèrent une telle situation comme un danger, comme un empiètement sur leur dignité individuelle ; d'autres au contraire se trouvent sécurisés par la vie communautaire, et c'est là, sans aucun doute, le cas d'une grande majorité de Japonais.
(Japanese society, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 197039)
721970, Nicolas Bouvier :
Japon : pays sans serrures, voilà encore une belle niaiserie et un bon tour que nous joue le langage. Pas de serrures parce que les individus n'ont pas d'importance. Mais d'une autre manière, c'est tout le pays qui est fermé.
(Le Vide et le plein. Carnets du Japon 1964-1970, Paris, Folio, 2009, p. 34)
Ici, bien plus longtemps qu'ailleurs, on peut se promener au grand jour avec une lanterne et chercher un homme. Peut-être parce que les Japonais ont depuis longtemps investi dans le collectif et le social une partie des fonctions, des ressources et des vertus que nous nous attendons à trouver chez un individu.
(Ibid., p. 47)
Si l'homme est vraiment un animal social, alors il ne l'aura nulle part été autant que dans cette culture. [...]
On peut donc bien parler d'une « âme collective », un peu dans le sens où Teilhard de Chardin l'entendait lorsqu'il envisageait le passage de la conscience personnelle à la conscience plurale. C'est ce qui donne tant d'attrait et de vigueur aux matsuri, fêtes où tout le monde est véritablement fondu dans la même attente et le même sentiment et où vous chercheriez vainement une personne qui ne soit pas « dans le coup ».
(Ibid., p. 59)
Suicides : on ne peut comprendre la facilité avec laquelle les Japonais renoncent à la vie si l'on ne sait à quel point cette vie peut être épineuse, contrainte, sans issue ni espoir de changement. Ce proverbe cité par Koestler : « En vérité, l'étiquette est plus lourde qu'une montagne, tandis que la mort est plus légère qu'une plume. » Ajoutons que dans la hiérarchie des valeurs, la vie vient bien après l'étiquette. Et pour tant qu'on soit un peu sophistiqué, on ne l'aime pas tellement non plus, la vie. Il n'y a pas tellement là matière à réjouissance ni à étonnement.
(Ibid., p. 74)
Quantité d'histoires nous paraissent énormes ! [...] On évolue ici dans un milieu où les réactions prescrites l'ont toujours emporté sur les réactions spontanées. Ici, c'est le social qui dicte.
(Ibid., p. 75)
La différence n'est pas tellement dans les fondements du caractère personnel, mais dans l'abdication de ce caractère au profit de formes sociales rigoureuses et déformantes, dans l'aliénation du « soi » en faveur du « on ».
(Ibid., p. 76)
L'âme au sens que nous lui donnons, l'âme-ombilic, modalité suprême de l'être, noyau central, au Japon se situe dans le collectif. Toutes les plus hautes vertus sont situées dans le social – dévouement à la famille, au clan, au pays – et les perturbations et événements essentiels sont tous dépendants d'un système de référence sociale.
(Ibid., p. 77)
Un homme sans maître : un bon à rien. Au Japon, qui n'a pas de maître – et il en faut pour tout : maître d'armes, maître à penser, maître de fleurs (on ne fait pas un bouquet sans maître) – est bon pour la fourrière.
(Ibid., p. 84)
Le peuple japonais est une grande tribu du Pacifique Nord qui a conservé dans sa psychologie bien des traits « primitifs » – entendez ce mot sans aucune nuance péjorative –, dont la structure sociale est rigoureuse, très homogène et nettement féodale, dont l'histoire est, jusqu'au xixe siècle, uniquement nationale, et dont presque tous les caractères particuliers sont le résultat d'une évolution en vase clos.
(Ibid., p. 91)
Les Japonais ont hérité d'un système dont le moteur est le sacrifice. On se sacrifie sans cesse et le système fonctionne bien. Le sacrifice est une « ressource naturelle » du pays [...]
(Ibid., p. 146)
D'après ce qu'on peut en connaître, il semble bien que la psychanalyse japonaise ne vise pas à épanouir la personne, mais à l'intégrer. La grande névrose dont on va vous guérir, c'est d'être asocial. Rétabli, vous rentrez dans le rang. Il n'y a aucune promesse de santé dans la révolte, si fondée soit-elle. Peut-être ce dégoût de la solitude, cette crainte du solitaire, du franc-tireur est-elle un des traits qui montrent le mieux la jeunesse psychologique du Japon. Dans les sociétés primitives, la solitude est l'affaire de spécialistes, de chamans qui se retirent pour établir un contact avec le divin, l'occulte. Nous nous moquons de voir les Japonais à dix, cent, mille dans la moindre de leurs entreprises – pour boire un verre il faut être au moins trois –, mais nous avons tort : cela ne les gêne pas. Seuls, ils n'auraient pas le même plaisir.
(Ibid., p. 208)
Dès qu'il s'agit d'options plus radicales où le bonheur d'un homme est véritablement en jeu, ils hésitent et finalement renoncent. Pas nécessairement par goût du chagrin – bien qu'il en entre un peu – mais parce qu'un homme, après tout, n'est pas si important.
(Ibid., p. 211-212)
731970, Roland Barthes :
Ainsi, en japonais, la prolifération des suffixes fonctionnels et la complexité des enclitiques supposent que le sujet s'avance dans l'énonciation à travers des précautions, des reprises, des retards et des insistances dont le volume final (on ne saurait plus alors parler d'une simple ligne de mots) fait précisément du sujet une grande enveloppe vide de la parole, et non ce noyau plein qui est censé diriger nos phrases, de l'extérieur et de haut, en sorte que ce qui nous apparaît comme un excès de subjectivité (le japonais, dit-on, énonce des impressions, non des constats) est bien davantage une manière de dilution, d'hémorragie du sujet dans un langage parcellé, particulé, diffracté jusqu'au vide.
(L'Empire des signes, Skira, 197040) La ville dont je parle (Tôkyô) présente ce paradoxe précieux : elle possède bien un centre, mais ce centre est vide. [...] L'une des deux villes les plus puissantes de la modernité est donc construite autour d'un anneau opaque de murailles, d'eau, de toits et d'arbres, dont le centre lui-même n'est plus qu'une idée évaporée, subsistant là non pour irradier quelque pouvoir, mais pour donner à tout le mouvement urbain l'appui de son vide central, obligeant la circulation à un perpétuel dévoiement. De cette manière, nous dit-on, l'imaginaire se déploie circulairement, par détours et retours le long d'un sujet vide.
(Ibid., p. 43-46)
Après avoir unifié la race japonaise sous un seul type, il [le Français à Paris] rapporte abusivement ce type à l'image culturelle qu'il a du Japonais, telle qu'il l'a construite à partir [...] de quelques photographies de presse, de quelques flashes d'actualité ; et ce Japonais archétypique est assez lamentable : c'est un être menu, à lunettes, sans âge, au vêtement correct et terne, petit employé d'un pays grégaire.
(Ibid., p. 127-128)
741970, Herman Kahn :
Sens communautaire Traditionnellement, quoi qu'ils fassent et où qu'ils se trouvent, les Japonais se considèrent presque toujours comme les membres d'un groupe, et leurs satisfactions sont censées venir en grande partie de l'accomplissement d'objectifs communs. Dans la culture japonaise traditionnelle et aujourd'hui encore à un degré stupéfiant (en dépit de l'importance nominale attribuée à l'individualité démocratique et de l'érosion des formes et des liens traditionnels), le fait de dédaigner les coutumes, les attitudes, les tabous, les traditions ou les objectifs du groupe, de s'en désintéresser ou d'y résister, ou même simplement le fait de manifester un certain individualisme, est l'un des plus grands péchés qui soient.
(The Emerging Japanese Superstate. Challenge and Response, New Jersey, Prentice Hall, 197041)
Les Japonais conçoivent très mal l'idée d'égalité. En fait, il serait très difficile de trouver un mot chez eux qui exprimât le concept : « Tous les hommes ont été créés égaux. »[...]
Par tradition, tous les Japonais font partie d'une structure hiérarchique. Sauf l'empereur et le shogoun, tout le monde a quelqu'un au-dessus de soi, et sauf la dernière des filles d'un membre des parias buraku, on a toujours aussi quelqu'un au-dessous.
(Ibid., p. 43)
Il est significatif de voir que les jeunes Japonais se font psychanalyser afin de s'adapter aux concepts de la vie sociale et de l'unité du groupe. Bruno Bettelheim dit à ce sujet :
« Une controverse entre psychanalystes américains et japonais illustre bien à quel point peut changer le problème des générations suivant le contexte culturel : au Japon, on considère que la tâche du psychanalyste est d'aider le jeune individu à renoncer à sa recherche de l'identité du moi ; ce n'est pas dans l'individuation qu'il doit aspirer à la réalisation personnelle mais en acceptant sa place au sein de la famille où le fils est traditionnellement soumis à son père. Ainsi, un jeune patient, presque à la fin de son traitement, déclare à son docteur : "Pendant les vacances, ma mère m'a dit un jour que mon père était à nouveau plus content de moi." Le psychanalyste, après avoir examiné les changements intervenus dans la personnalité de son patient, affirme : "Son état psychique a désormais atteint tout le degré d'harmonie que peut souhaiter un être humain", suivant, bien entendu les habitudes et les goûts du Japon42. »
Et Robert Huntington estime que « dans la personnalité japonaise les frontières entre le moi et autrui sont fragiles, indistinctes et perméables ; le Japonais a une personnalité dépendante parce qu'opposée à l'idée d'indépendance, misant plus sur le groupe que sur elle-même ; plus conformiste qu'innovatrice, et plus encline à accepter un pouvoir personnel qu'une autorité légale et rationnelle43. »
(Ibid., p. 66-67)
751971, Jacques Lacan :
Qu'il y ait inclus dans la langue japonaise un effet d'écriture, l'important est qu'il reste attaché à l'écriture et que ce qui est porteur de l'effet d'écriture y soit une écriture spécialisée en ceci qu'en japonais elle puisse se lire de deux prononciations différentes : en on-yomi sa prononciation en caractère, le caractère se prononce comme tel distinctement, en kun-yomi la façon dont se dit en japonais ce qu'il veut dire. [...]
Qu'il s'appuie sur un ciel constellé, et non seulement sur le trait unaire, pour son identification fondamentale, explique qu'il [le sujet japonais] ne puisse prendre appui que sur le « tu », c'est-à-dire sous toutes les formes grammaticales dont le moindre énoncé se varie des relations de politesse qu'il implique dans son signifié.
[...] Singulièrement ceci semble porter le résultat qu'il n'y ait rien à défendre de refoulé, puisque le refoulé lui-même trouve à se loger de la référence à la lettre.
En d'autres termes le sujet est divisé comme partout par le langage, mais un de ses registres peut se satisfaire de la référence à l'écriture et l'autre de la parole.
C'est sans doute ce qui a donné à Roland Barthes ce sentiment enivré que de toutes ses manières le sujet japonais ne fait enveloppe à rien. L'empire des signes, intitule-t-il son essai voulant dire : empire des semblants. [...]
D'après nos habitudes, rien ne communique moins de soi qu'un tel sujet qui en fin de compte ne cache rien. Il n'a qu'à vous (manipuler) : vous êtes un élément entre autres du cérémonial où le sujet se compose justement de pouvoir se décomposer.
(« Lituraterre », Littérature, no 3, octobre 197144)
761973, Suzuki Tadao :
Le moi des Japonais se trouve dans un état d'indéfinition, pour ainsi dire par manque de coordonnées, tant qu'un objet particulier, un partenaire concret, n'a point paru et que le locuteur n'en a pas déterminé la nature exacte.
(Kotoba to bunka, Tôkyô, Iwanami, 197345)
771975, Éric Muraise :
En conséquence de quoi le Japon est un pays capitaliste estimé, libéral et non totalitaire, où pourtant la notion de « lutte des classes » est vide de sens, où l'individu accepte naturellement l'ordre établi et la conformité sociale. C'est le type même de la « société de participation » que l'Occident essaie vainement de promouvoir sans heurt et à sa mesure. L'Américain G. Ball a pu dire que le Japon offrait le meilleur exemple « d'une société de groupe, homogène, fonctionnant à un degré exceptionnel, par des processus de consensus, qui répondent exactement aux besoins de la société moderne ». Or, d'une certaine manière, tout cela résulte de rémanences du sentiment médiéval de l'honneur au Japon, dont le code est le « bushido ». »
(Histoire et légende du grand monarque ; celui qui vient des ténèbres, Paris, Albin Michel, 197546)
781977, Alain de Benoist :
Karl Haushofer (Le Japon et les Japonais, Payot, 1937) écrit : « Le sacrifice d'une personnalité pour un grand principe, pour l'État et pour la famille, est facilité dans une culture concentrée autour du service des ancêtres, plus que ce n'est le cas dans une culture comme la nôtre, où l'individu joue le rôle principal47. »
[...] La domination de soi triomphe au Japon. Les mouvements de l'âme obéissent à des règles minutieusement préétablies.
(Vu de droite. Anthologie critique des idées contemporaines, « Le Japon éternel », Paris, Copernic, 1977, p. 564-565)
Psychologie de groupe
Percival Lowell a dit de l'impersonnalité qu'elle était l'âme de l'Extrême-Orient48 : au Japon, le mot « individu » a un sens privatif. Mais il s'agit d'une impersonnalité active.
[...] La psychologie japonaise est une psychologie de groupe. Les affaires se traitent à plusieurs, et il est difficile de savoir qui sont les decision makers. Cette uniformité inquiète l'esprit de l'Européen.
(Ibid., p. 566)
Le droit individuel cède pareillement le pas au droit collectif.
(Ibid., p. 567)
Au Japon, il n'y a pas d'individus livrés à eux-mêmes. Il n'y a que les Japonais. En bloc.
Les habitants de Tôkyô s'entassent dans des appartements de 35 à 40 m2 en moyenne. Cette densité est assez bien supportée. Que ce soit au hibachi (foyer) [sic] ou dans le travail, le mot « entassement » n'a pas la même résonance déplaisante qu'on lui donne en Occident. Les Nippons aiment le contact.
(Ibid., p. 567)
Illogisme et rationalité, hyper-efficacité et sens aigu de l'inutile, « capitalisme communiste » : le Japon appelle à tout moment des qualificatifs contradictoires.
(Ibid., p. 570)
791977, Louis Dumont :
En ce qui concerne l'Inde et la Chine, pour ne rien dire de la diversité interne qui est un autre problème, je ne prétends pas qu'elles ne diffèrent pas profondément dans leur idéologie l'une par rapport à l'autre. Mais comparées à nous, elles sont semblables : les idéologies traditionnelles indienne, chinoise, japonaise, sont holistes.
(Louis Dumont, Homo æqualis, Paris, Gallimard, 1977, p. 17)
801978, Jean Cau :
Hiérarchie, respect de l'autorité, fabuleuse complexité de l'étiquette (il y a seize manières de dire toi ou vous, par exemple), nécessaire intégration à un groupe hors duquel l'individu n'est rien, tel est, à grands traits, le Japon. [...] Mais la violence, dans cet enclos où se pressent 100 millions d'êtres humains, doit à tout prix trouver des exutoires.
(Paris Match, 14 avril 1978, cité par A. Smoular, op. cit., p. 54-55)
811979, Roy Denman (attribué à) :
Alcooliques du travail, vivant dans des clapiers à lapins49.
(Extrait d'un rapport interne d'une mission de la Communauté européenne au sujet de la pénétration des produits japonais en Europe50)
821979, Ezra F. Vogel :
On pourrait soutenir que si le Japon a réussi à perpétuer un sens de la collectivité, il faut en voir l'origine dans son passage tardif et sans transition de la féodalité à une société aux structures modernes sans l'intermédiaire de centaines d'années d'individualisme comme dans les pays d'Europe occidentale. Mais quelles que soient ses racines historiques, la solidarité persiste dans les groupes parce que les Japonais s'y emploient. Que ce soit dans les villages, les villes, les banlieues des villes, ou sur les lieux de travail, les dirigeants s'évertuent à conserver le loyalisme des membres du groupe en répondant à leurs besoins. On enseigne aux enfants le prix de la participation au bien-être de tous, et si désolantes qu'ils puissent juger les contraintes collectives, les adultes restent sensibles aux comportements de groupe, persuadés qu'ils sont que l'on a toujours intérêt à freiner son égoïsme.
Même de nos jours, le Japonais a tendance à garder un loyalisme primaire à l'égard d'un groupe important dans lequel il exprime toutes les facettes de sa personnalité, des sentiments secrets et personnels à des sentiments conventionnels et pratiques. L'entrée dans un groupe ou le départ d'un groupe ne sont pas le fruit du hasard, car la solidarité est forte et permanente.
(Japan as number one. Lessons for America, 197951)
Dans les villages japonais, les mêmes familles continuent à vivre en grand nombre durant plusieurs générations. Dans les quartiers des villes, les familles changent moins souvent de domicile qu'aux États-Unis. Dans les grosses sociétés, des collègues engagés en même temps restent des relations proches tout le long de leur carrière et parfois encore après. Cette continuité favorise le développement d'une mentalité collective, et si cela peut entraîner des abus dans des domaines dépourvus d'importance comme la façon de parler et de s'habiller, cela aide certainement les membres du groupe à s'ouvrir davantage aux idées des autres.
(Ibid., p. 159)
Par rapport aux citoyens d'autres pays, le citoyen japonais a été en réalité assez passif. La génération des aînés, formée dans les années 1930 et 1940, ne s'est pas complètement défaite de l'habitude de se soumettre docilement sur des points très importants pour le pays.
Cela a conduit de nombreux intellectuels japonais et spécialistes occidentaux du Japon à s'inquiéter du poids écrasant du conformisme qui pourrait réduire la portée des courants d'opinion divergents et asphyxier l'individualisme, peut-être même en faisant revenir le Japon à des schémas totalitaires d'avant-guerre. Ces craintes ne sont pas injustifiées.
(Ibid., p. 192)
En raison de la puissance des liens du groupe, les gens ont tendance à se conformer aux lois de leur groupe : ils se soumettent à sa façon d'envisager les problèmes spécifiques plutôt que d'élaborer des théories personnelles. [...]
Ce poids du conformisme est lié de façon inextricable à l'aptitude de ces groupes à demeurer homogènes.
(Ibid., p. 194)
Les Japonais sont passés maîtres dans l'art de rendre les gens heureux au sein de grandes organisations. Les Américains ont, eux, tendance à voir dans les organisations une contrainte, une violence exercée de l'extérieur qui vient borner la liberté des individus. Dès leur plus tendre enfance, les Japonais font l'apprentissage des vertus de la vie en groupe.
(Ibid., p. 336)
831980, Jean Cau :
C'est la guerre et l'armée japonaise, la plus forte et la plus disciplinée du monde, compte, magnifiquement équipés, 54 millions de combattants sous les drapeaux.
(Paris Match, 29 septembre 198052)
841980, anonyme :
Dans la jungle des machines que survole la passerelle métallique, les hommes en combinaison blanche s'affairent comme des insectes surpris sous la lumière froide des néons. Ils se meuvent sans répit le long d'un ruban sombre qui charrie à l'infini des squelettes aux couleurs trop vives mêlés de blocs e métal argenté. Les gestes, répétés en succession rapide, en font des pantins hystériques, parodie de vieux films muets.
(« Made in Japan 1980 », Libération, 15-20 septembre 198053)
851980, Endô Shûsaku :
Les Japonais ne vivent jamais leur vie en tant qu'individus. Nous autres missionnaires européens n'étions pas conscients de ce fait. Supposez que nous ayons ici un Japonais tout seul. Nous essayons de le convertir. Mais il n'y a jamais eu au Japon un individu isolé que nous pourrions appeler "il". Il a un village derrière lui. Une famille. Et plus. Il a aussi ses parents disparus et ses ancêtres.
(Samurai. L'Extraordinaire voyage du samouraï Hasekura, Paris, Buchet-Chastel, 198754)
861981, anonyme :
Les Japonais [sont] étrangers à une affirmation positive de la valeur de l'individu.
(« Le Japon à la loupe », Match, 22 mai 198155)
871981, Jacques Lacan :
C'est au point que je me suis dit que l'être parlant par-là peut se soustraire aux artifices de l'inconscient qui ne l'atteignent pas de s'y fermer.
(« Préface » à l'édition japonaise des Ecrits, in La Lettre mensuelle de l'École de la cause freudienne, octobre 1981, no 3, p. 3)
881981, anonyme :
La foule ne ressemble en rien à celle des métropoles asiatiques aux rues sales et grouillantes. Ici, la multitude, vue de dos, fait penser à une foule européenne. Tous les gens sont propres, astiqués, et surtout disciplinés. [...] Et pourtant, quel grouillement !
(« Le Japon à la loupe », Match, 22 mai 198156)
891982, Augustin Berque :
Ces particularités [du cerveau japonais décrites par Tsunoda Tadanobu] contribuent sans doute à expliquer la capacité des Japonais à vivre et agir ensemble, nombreux, sur des étendues réduites, leur tendance à la grégarité, leur comportements de type communautaire.
(Vivre l'espace au Japon, op. cit., p. 34-35)
En français, moi, je suis je dans n'importe quelle situation, en japonais je suis une succession de rôles sociaux.
(Ibid., p. 45)
Cet effacement du sujet existentiel n'est pas seulement inscrit dans les structures de la langue ; il l'est dans les mentalités.
(Ibid., p. 53)
Si, à nos yeux d'Occidentaux, les rapports sociaux semblent si bien huilés au Japon, c'est fondamentalement parce que, à tout instant, chaque individu cherche à adapter son moi à la situation où il se trouve, et non à l'affirmer en l'imposant aux autres.
(Ibid., p. 60)
901983, Sakuta Keiichi :
Au Japon, l'individu s'est moins dégagé qu'en Europe des groupes secondaires. Cette moindre définition peut s'expliquer par une homologie structurale entre famille (groupe primaire) et groupe secondaire. Alors que la famille occidentale est marquée par une dominance conjugale (prééminence de la relation époux-épouse), la famille japonaise l'est par une dominance parentale (prééminence de la relation parent-enfant [...]). L'enfant, ne se sentant pas exclu de la relation fondatrice de la famille, n'a que faiblement conscience d'une discontinuité entre son moi et l'extérieur. D'où une plus faible autonomie du moi par rapport au groupe, primaire, puis secondaire. Autre facteur, le principe de consanguinité – très puissant au contraire dans la Chine voisine – le cède, au Japon, au principe de capacité : la reproduction du groupe primaire, l'ié, fait largement appel à l'adoption, à l'inclusion de non-consanguins (serviteurs, etc.) suivant leurs mérites, même aux dépens même de consanguins.
(Keiichi Sakuta, « Quand l'ancien crée le nouveau. Le rôle des solidarités traditionnelles dans la modernisation du Japon », Le Débat, no 23, janvier 1983, p. 60)
Que le Japon ait été modernisé sans l'aide de l'individualisme présente autant d'avantages que de désavantages. Comme l'organisation du type ié survit dans les entreprises et l'administration des temps modernes, ces groupes rassemblent l'énergie issue de la loyauté de leurs membres, et augmentent ainsi le rendement du travail. C'est là une des causes principales de la rapidité de la modernisation économique et technologique du Japon.
Mais cette modernisation sans individualisme présente des désavantages pour le Japon en ce que les valeurs démocratiques s'y actualisent plus lentement. Du fait que leur individualisme restait immature, les Japonais n'ont guère eu la possibilité de juger par eux-mêmes, et se sont souvent sacrifiés pour l'État ou pour une organisation intermédiaire sans conviction profonde. Le sacrifice de soi pour un groupe ne signifie pas toujours être malheureux. On se sent même quelquefois heureux en se sacrifiant. Mais le sacrifice aveugle et conformiste de soi n'apporte qu'une illusion de bonheur dans le cœur de celui qui se sacrifie, et ne contribue pas à élever le niveau spirituel de son groupe. Et cette situation continue dans une certaine mesure de caractériser le Japon d'aujourd'hui.
(Ibid., p. 68)
911983, anonyme :
On joue à l'automate avant d'être un écolier programmé. Très tôt, l'enfant s'amuse avec des robots et des jeux vidéo.
(« Le Japon de l'an 2000 », Géo, mars 198357)
921984, anonyme :
Je déteste le Japon, les Japonais, et leur côté foule « fourmilles que » time is money.
(Le Matin, 20 janvier 198458)
931984, Maurice Pinguet :
La norme éducative occidentale, que la diffusion de la psychanalyse ne fait que rendre plus consciente, exige au contraire que l'enfant soit relégué à heure fixe dans son berceau à lui, si possible dans sa chambre à lui, seul. [...] L'enfant japonais commence par une licence infinie, et sent peu à peu des liens l'entourer. L'œdipe est donc très différemment modulé : au Japon, on l'esquive, on le diffère, on le noie dans la symbiose de l'enfant et de la mère. [...]
L'individuation est donc plus tardive, plus fragile en climat japonais. [...]
Le lien maternel, d'abord biologique et affectif, prend une valeur morale. La conscience des peines souffertes par la mère, la mémoire de son sacrifice, de sa bonté, de son pardon enracinent le sentiment japonais d'obligation, qui sera plus tard transféré à d'autres appartenances et alimentera toute sa vie relationnelle. Obligations toujours concrètes, particulières, topiques, dont le réseau enlacera le sujet. En un mot, le surmoi japonais est la conscience du lien, le surmoi occidental de la loi. Nos fautes sont de transcendance, les leurs de défection. [...] Le lien japonais est un état de fait, produit par la vie commune, noué par l'entrelacs végétatif des solidarités silencieuses. Il se confond aux conditions mêmes de la vie d'un groupe, il s'efface dans le tissu du réel – alors que nos lois et nos valeurs se formulent en principes, en commandements, et se détachent de la vie pour la maîtriser et la corriger. [...]
Le sentiment japonais [...] ne conçoit la justice que comme l'euphorie de la réalité, l'équilibre des forces divergentes qui la composent. La présomption individuelle est d'emblée découragée : des gestionnaires, des entrepreneurs, mais des visionnaires, non. [...]
En somme, le sujet occidental est porté à croire que son devoir est d'exercer à l'égard du monde une vigilance au nom du bien. Le sujet japonais est trop étroitement lié à son monde, qui est tout son bien : son devoir ne peut être que d'exercer sa vigilance contre soi-même, au nom du bien de ce monde.
(« L'Œdipe japonais », Le Débat, no 23, janvier 1983, p. 49-54)
941985, anonyme :
Japon. Des cages à lapins aux terriers à ménage.
(Le Figaro59)
951986, Kitamura Yoshiaki :
La notion d'individu au sens empirique ou biologique du terme existe au Japon comme partout ailleurs, mais sur le plan social et culturel elle perd la netteté de ses contours, et sur le plan des institutions elle est quasiment inexistante. L'individu est comme absorbé dans le groupe auquel il appartient [...].
(De l'identité japonaise, Cergy, Pof, p. 80)
961986, Mizubayashi Akira :
Pourquoi n'a-t-on pas connu dans ce pays quelque chose comme ce qu'on nommerait en Occident « sujet » ou « individu », à savoir un agent libre, délivré (apparemment) de tout lien de dépendance à la fois morale et politique, qui serait l'ultime garantie de la souveraineté populaire ?
(« Des positions inouïes du sujet », Traverses, no 38-39, novembre 1986, p. 30)
Contrairement à l'énonciation japonaise, fortement réglée par la dichotomie dedans/dehors en ce que l'usage de la parole est idéalement réservé aux membres d'un espace homogène (quasi) familial (nous y reviendrons), l'activité langagière française, par le fait même qu'elle s'ordonne avant tout autour de l'idée individuelle de la personne, se caractérise davantage par un fonctionnement unitaire.
(Ibid., p. 32)
Tout se passe, par conséquent, [en japonais] comme si la subjectivité de l'interlocuteur s'évanouissait, fût-ce un instant, dans la relève que celui-ci assume de la parole énoncée par le locuteur.
Ici, je songe au très séduisant exposé fait par Susumu Ono sur la bipolarité spatiale inscrite dans les articulations fondamentales de la langue japonaise, bipolarité qui gouverne l'indécidabilité des contours du sujet. Selon lui, l'espace discursif où s'effectue l'échange réel de paroles est un espace intérieur (uchi) qui s'ordonne autour du locuteur dans et par l'immédiateté de sa présence. Les êtres sont situés ou bien dans cet espace, ou bien dans le monde étrange et monstrueux qui s'étend au-delà de cette limite spatiale. Et Ono d'insister sur le fait remarquable que la parole est l'apanage de ceux qui sont unis et réunis par un intérêt commun dans une étroite communauté, sans faille et sans mélange.
(Ibid., p. 33-34)
971986, Augustin Berque :
À un moment donc de l'énonciation, le moi de l'énonciateur se tais, pour laisser parler un autre sujet, d'une autre dimension : le champ matriciel qui enveloppe son individualité. Ce mécanisme implique une forte homogénéité entre l'énonciateur et le champ auquel il ressortit ; sans quoi tout message sombrerait dans l'incohérence, toute œuvre se dissoudrait en insignifiance.
Du point de vue sociologique, un tel mécanisme relève de l’holisme, par opposition à l'individualisme. De fait, nombreux sont les sociologues japonais qui vilipendent celui-ci (qu'ils tiennent pour l'impasse de l'Occident) en exaltant celui-là (qu'ils tiennent pour la clef des succès nippons).
Cette opinion est particulièrement manifeste dans l'oeuvre de Hamaguchi Eshun, dont l'essai Nippon rashisa no sai-hakken (Redécouvrir la japonité) [...] a mis à la mode un concept concurrent de celui d'individu (kojin) : kanjin. Analytiquement, kanjin signifie « entre (kan) les hommes (jin) ». Le mot est une inversion de ningen (« homme », « être humain »). Kan magnifie la liaison, répudie la coupure, que de son côté l'individualisme exalte, entre chaque être humain et autrui. D'où la notion de kanjin-shugi (« transpersonnalisme »), que Hamaguchi oppose à kojin-shugi (« individualisme »), et qu'il donne pour le trait fondamental de la société japonaise. Celle-ci ne serait pas composée d'individus, mais, si je puis dire, de médi-hommes (kanjin) interdépendants.
Même si la thèse de Hamaguchi exagère l'antinomie entre société occidentale et société japonaise, c'est avec raison qu'il insiste sur la notion d'interdépendance. Celle-ci hante la littérature nippologique, qui souvent la réduit à la dépendance tout court. [...]
À mon sens, parler de dépendance est excessif. En effet, cela supposerait une priorité, une antécédence radicale du sujet collectif (le groupe, à travers autrui) sur le sujet individuel. Or, malgré qu'ils en aient, certains auteurs de nippologies – dans la mouvance intellectuelle de Nakane Chie, par exemple –, assimiler l'entité « le groupe japonais » à l'entité « l'individu occidental » n'est qu'une métaphore. Une métaphore dont la charge axiologique est pesante, mais qui n'en est pas moins inconsidérée. [...]
Que l'allonomie sans le contrepoids de la force propre soit un mythe, au même titre que le groupisme pur, n'entraîne pas pour autant qu'on doive parler d'individualisme. Ce dont il s'agit plus vraisemblablement – et en cela, le terme d'« interdépendance » me convient –, c'est du besoin permanent qui subsiste, en tout sujet individuel, de ne pas se couper du sujet collectif. Le moi japonais ne se sèvre jamais complètement de son champ matriciel. Or celui-ci n'est pas immatériel. Sa matière, c'est d'abord la collectivité ; mais la collectivité elle-même le/se rattache à la nature, ce champ matriciel plus vaste et plus profond encore.
(Le Sauvage et l'Artifice, Paris, Gallimard, 1986, p. 259-261)
981987, Patrick Beillevaire :
La conscience individuelle ne prétend pas ici à l'autonomie ; elle ne se pose pas pour soi dans l'absolu. Dans son mouvement même, au contraire, elle participe immédiatement de l'autre autant que l'autre d'elle. Cette implication mutuelle des positions subjectives rendrait au reste les Japonais réfractaires, selon Hamaguchi Eshun, aux analyses menées dans la perspective de l'individualisme méthodologique : le sujet japonais ne peut être saisi isolément ; il se définit plutôt comme une « part » (bun) dans un ensemble, comme un « être relationnel » (kanjin) dont la position varie en fonction du contexte (jôkyô), ou encore comme un point dans un « réseau » (aidagara).
(« Ethos et oikos. Figures familiales de la vie collective japonaise », in Augustin Berque (dir.), Le Japon et son double. Logiques d'un autoportrait, Paris, Masson, 1987, p. 41)
991988, anonyme :
Irréprochables Dupont-Dupond en costume Yohji, blindés de modestie souriante, on les voit danser à la queue-leu-leu aux Bains ou au Palace.
(« Japon en Seine », Figaroscope, 13 avril 198860)
1001989, Karel van Wolferen :
On explique généralement que les Japonais sont mûs par l'intérêt collectif. Et le Japon semble effectivement prouver que la vie peut parfaitement s'organiser de manière authentiquement communautaire. Autant qu'il soit possible d'en juger de l'extérieur, la majorité des Japonais acceptent sereinement de soumettre quotidiennement leurs désirs et intérêts personnels à ceux de la collectivité. Pour frappant qu'il soit, ce communautarisme résulte d'aménagements politiques sciemment introduits dans la société par l'élite dirigeante voici plus de trois siècles, et les Japonais d'aujourd'hui n'ont guère d'autre choix que de les accepter. En vertu de ces aménagements essentiellement politiques, chaque Japonais doit accepter que son développement intellectuel et psychologique soit inéluctablement limité par la volonté de la collectivité. Pour faire passer la pilule, cette volonté dite collective est présentée à tous les niveaux hiérarchiques comme bienveillante, dénuée d'autoritarisme, et entièrement déterminée par une culture unique en son genre.
(The Enigma of Japanese Power, 198961)
Les structures du pouvoir ont à la fois orienté et inhibé les recherches d'ordre intellectuel au Japon. L'idée de justice, la place de la loi et du droit dans la société y ont été façonnées par les dirigeants pour des raisons de convenance et n'ont jamais visiblement influencé leurs méthodes ou leurs attitudes. Les aspects que l'on dit typiques de la société ou de la culture japonaise – la vie de groupe, la loyauté envers l'entreprise et l'amour de l'harmonie, le manque d'individualisme et la quasi-absence de procès – trouvent leur origine dans des aménagements politiques et sont entretenus pour des raisons politiques.
(Ibid., p. 30)
Les Japonais sont élevés dans l'idée qu'une grande partie de leur vie sera organisée pour eux. Leur environnement les encourage rarement à « naviguer à vue ». C'est généralement dans la plus grande discipline qu'ils se livrent à des activités récréatives ou de détente.
(Ibid., p. 63)
Les dirigeants [Tokugawa] purent distiller leur imposante éthique de la soumission à partir d'un vaste ensemble de traditions. [...]
Parmi toutes les versions japonaises des doctrines philosophico-religieuses importées de Chine, le bouddhisme zen fut particulièrement utile pour renforcer cette éthique de la soumission. [...] Dire que Suzuki Shosan n'avait aucun respect pour l'individu relève de l'euphémisme. Le corps n'était pour lui qu'« un sac de mucus, de pleurs, d'urine et d'excréments » qui, de toute façon, n'appartenait pas à l'individu mais au seigneur qui, dans sa grande bonté, nous a donné la vie. Quant à penser que ce corps pût, entre autres, contenir un être individuel, cette idée relevait du non-sens.
(Ibid., p. 275)
L'endoctrinement à vie que subissent les Japonais a pour objectif principal de les maintenir sous le joug. Soutenue par ce phénomène politique, la culture renforce cet assujettissement de différentes manières. Les chansons populaires célèbrent l'acceptation du monde comme il est, de même que de nombreux récits et contes et une foule de feuilletons télévisés. Objet d'admiration, cette passivité pousse à se soumettre, par exemple aux exigences du système éducatif ou des entreprises, même lorsque celles-ci confinent à l'absurde. La résignation face à l'adversité, causée ou non par l'homme, est considérée comme un signe de maturité. [...] Quotidiennement les Japonais sont bombardés par une foule de signaux les encourageant activement à « noyer » leur individualité au sein des groupes sociaux auxquels ils appartiennent.
(Ibid., p. 296)
Même dans les domaines artistiques non traditionnels, l'idée que l'élève puisse être doté d'un potentiel individuel unique n'a eu que très peu d'influence. Les chefs d'orchestre et les professeurs de musique étrangers s'accordent à reconnaître la virtuosité des instrumentistes japonais, de même qu'une certaine inaptitude à l'expression personnelle. Ceci reflète en partie le manque de courage d'une société conformiste, mais aussi le fait que les musiciens qui n'ont pas séjourné à l'étranger ont rarement appris que c'était à eux d'interpréter la musique. La « manière parfaite » de faire une chose s'apparente aux exigences rigides qui déterminent les comportements collectifs ; l'artiste doit, en quelque sorte, se montrer l'émule du modèle. Les méthodes d'apprentissage japonaises présupposent que chaque art ou chaque technique a une existence prédéterminée qui fait loi et exige qu'on s'y soumette. Aucune place n'est faite à des variations personnelles correspondant aux goûts et aux aptitudes de l'interprète.
(Ibid., p. 411)
1011989, Guy Sorman :
Au Japon, la répression de l'individualisme et de toute velléité de révolte est appliquée par le respect d'une étiquette rigoureuse.
(Les Vrais Penseurs de notre temps, Paris, Fayard, 198962)
1021991, anonyme :
Le Japon nickel-chrome et robotisé a laminé les individus les plus audacieux.
(L'Écho des savanes, cité par J.-P. Honoré, op. cit., p. 42)
1031991, Dominique Nora :
Le Japon au lieu de motiver ses troupes par la carotte de l'enrichissement individuel, les soude par une série de valeurs unificatrices : vulnérabilité de la nation nipponne, unicité de la japonité, exaltation de l'étude, du travail, de la discipline et du sens de la hiérarchie.
(L'Étreinte du samouraï. Le défi japonais, Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 339)
1041991, Édith Cresson :
J'ai dit que [les Japonais] travaillaient comme des fourmis... Les fourmis travaillent beaucoup, c'est vrai... [...] Nous ne pouvons pas vivre ainsi dans des appartements minuscules, avec deux heures de trajet pour aller au travail, et travailler, travailler, travailler, et faire des enfants qui devront travailler comme des bêtes. Nous, nous voulons conserver nos garanties sociales, vivre comme des êtres humains, comme nous avons toujours vécu63.
1051991, anonyme :
Hors du groupe l'identité est ténue, quasi inexistante.
(Ça m'intéresse64)
1061991, Kozakaï Toshiaki :
Communauté cohésive
Une société pourrait être caractérisée, entre autres, par le degré plus ou moins fort de la pression à l'uniformisation s'exerçant sur ses membres. Quel que soit le statut qu'on accorde à cette norme d'uniformité, par exemple la « mentalité intrinsèque des Japonais », l'« idéologie au service de la classe dominante », et ainsi de suite, la plupart des recherches sur la société nipponne admettent la puissance de la pression vers l'uniformité [...].
(Les Japonais sont-ils des Occidentaux ? Sociologie d'une acculturation volontaire, 1991, Paris, L'Harmattan, p. 169)
Le Japonais doit choisir, à chaque fois qu'il fait face à une autre personne, un mot parmi de nombreux autres, suivant la nature de la relation qu'il définit subjectivement, pour se désigner soi-même en tant que sujet de la proposition qu'il va énoncer. Tant que l'interlocuteur, ne serait-ce qu'imaginaire, n'apparaît pas devant lui et par conséquent n'est pas défini, l'identité linguistique de celui qui parle ou pense demeure également indéfinie, ou plutôt elle n'existe même pas. Tandis que le sujet pensant occidental est défini de façon autonome sans tenir compte de la nature de la relation qu'il entretient avec celui qui l'écoute ou de la situation dans laquelle s'établit la communication, l'identité japonaise est indéfinie et ouverte. Elle est mouvante et allonome.
(Ibid., p. 177)
1071992, Stéphane Benhamou :
Par des attitudes stéréotypées, l'individu s'efface, s'intégre dans la paysage de la collectivité nationale, première étape d'une définition de soi qui n'est possible que par le regard de l'autre.
(50 honorables raisons de détester le Japon, Paris, Albin Michel, 1992, p. 154)
L'individu japonais se définit en tout premier lieu par son appartenance à un groupe. Dans une discussion, il s'exprimera par une succession de « nous », renvoyant à son entreprise, à sa famille ou son quartier. La définition de la personne est donc déduite de ces diverses appartenances.
(Ibid., p. 163)
Le conformisme et le consensus l'emportent toujours au Japon contre les prétentions individuelles.
(Ibid., p. 164)
1081992, anonyme :
Les salarymen en ont ras-le-bol. En effet, la race des petites fourmis en costume sombre, dévouées jusqu'au fanatisme à leur entreprise, est en voie d'extinction.
(Le Nouvel Observateur, 11 juin 199265)
1091993, Michel Maffesoli :
Pour ma part je considère que la compétitivité de l'économie japonaise, son agressivité dans la guerre économique, l'extraordinaire dynamisme de ses entreprises, la stabilité de sa monnaie, tout cela repose, pour partie, sur les potentialités du « kata » (forme, style) qui a constitué une sensibilité collective, et qui s'emploie, constamment, à la mobiliser.
(La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, Paris, Le Livre de Poche, p. 64)
1101993, André L'Hénoret :
La soumission et le sens de l'obéissance quasi militaire de nombreux Japonais m'étonneront toujours. Ce conformisme est évidemment le fruit de toute une éducation qui ne cherche guère à développer la personnalité et encore moins à rendre les jeunes attentifs à la voix de leur conscience ou de leur jugement propre. [...]
L'histoire du pays et les valeurs mises au premier plan peuvent en donner une explication. Shôtoku Taishi, prince impérial qui, après un séjour en Chine, a rédigé la première Constitution japonaise en dix-sept articles (en 604), commence par établir dans son article premier que « l'harmonie est inestimable » pour gouverner un pays. [...]
Il faut donc harmoniser sa conduite sur celle de la majorité. Les valeurs suprêmes prônées par la suite sont la loyauté et la piété filiale. [...]
N'est-ce pas là le terrain culturel qui a permis le redoutable fascisme des années trente ? Celui-ci perdure aujourd'hui d'une manière floue dans la conscience de la majorité des Japonais, en cette soumission quasi naturelle.
(Le Clou qui dépasse, Paris, La Découverte, 1993, p. 78-82)
1111995, Anne-Marie Cristin :
L'homme japonais a délégué à la matière même du miroir cette unicité de soi que l'Occident, au contraire, cherche à y capter à son profit. Offrir au je, anonyme potentat dont le savoir et les ordres nous traversent comme un fantôme, l'autonomie magique d'un corps qui soit distinct à la fois des autres et du monde, telle est devenue, après la grande et glaciale ivresse cartésienne, notre principale angoisse. Les Japonais ont ignoré ce besoin. [...]
Culture japonaise et occidentale – française en particulier – s'opposent à tous les niveaux où s'est élaborée notre conception verbale du sujet.
(L'Image écrite, ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, 1995, p. 93)
1121997, Jean-Marie Rouart :
Le roman japonais est récent. Il a un peu plus d'un siècle, et s'est constitué à partir des influences occidentales. Tout ce qui définit ce genre, si en accord avec l'individualisme un brin anarchisant des Européens, leur esprit critique, la mise en cause sociale, la fièvre égocentrique, paraissait à l'opposé de la société japonaise, où le moi, l'individu, ne comptaient guère. [...] Les Japonais n'ont pas connu notre âge classique. Ils sont passés directement de l'épopée légendaire, le Dit du Genji, au roman moderne.
(« Les Soleils noirs du Japon », Le Figaro littéraire, 13 mars 1997)
1131998, Jacques Attali :
Au-delà, la Chine deviendra [le] meilleur allié [du Japon] si les deux pays parviennent à transcender leur haine ancestrale [...]. Ensemble, ils pourraient alors organiser l'Asie en un continent auquel, pour un temps, plus rien ne résisterait.
(Dictionnaire du xxie siècle, Paris, Fayard, 1998, p. 186)
1141998, Marc Rigaudis :
Le drame de la société japonaise se joue dans le fait qu'il est impossible pour un individu normal « de rester en dehors », « de ne pas faire partie de... », « d'être exclu ».
(Japon mépris... passion, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 226)
1151999, Amélie Nothomb :
Mon compagnon d'infortune et moi nous fîmes traiter de tous les noms : nous étions des traîtres, des nullités, des serpents, des fourbes et – sommet de l'injure – des individualistes.
(Stupeur et tremblements, 1999, Paris, Albin Michel, p. 42)
1162000, Yves Bonnefoy :
J'ajoute, en ce point, qu'il y a dans le poète français une conscience de soi comme personne qui demeure forte, quelle que soit la qualité d'évidence des leçons d'impersonnalité, de détachement, qu'il rencontre dans la poésie japonaise fortement imprégnée par le bouddhisme. Ce n'est pas aisément qu'on oublie en Occident l'enseignement du christianisme, qui fut de dire que la personne humaine a une réalité en soi et une valeur absolue. La sensibilité poétique reste chez nous absorbée par la réflexion du poète sur soi, et les grands poèmes demeurent pris, par conséquent, dans une ambiguïté, partagés entre le souci de la destinée personnelle et le besoin de plonger dans la profondeur du monde naturel et cosmique, où cette destinée n'aurait plus de sens.
(« Le haïku, la forme brève et les poètes français », discours de réception du Masaoka Shiki International Poetry Prize, Matsuyama, Japon, 10 septembre 2000, repris dans Jérôme Thélot et Lionel Verdier (dir.), Le Haïku en France, poésie et musique, Paris, Kimé, 2001 ; cité d'après Yves Bonnefoy, L'Autre langue à portée de voix, Paris, Seuil, 2013, p. 230)
1172001, Philippe Forest :
Mon sentiment, mon hypothèse – car je manque des éléments de savoir objectif qui me permettraient de parler de théorie ou même d'interprétation – est que cet échec dont tu parles fut aussi la chance du roman japonais. Je formulerais les choses ainsi : les écrivains japonais ne sont pas parvenus à se doter de ce quelque chose dont les écrivains occidentaux, de leur côté, n'ont pas réussi à se délivrer. Ce « quelque chose », on peut l'appeler peut-être le « je ».
(La Beauté du contresens et autres essais sur la littérature japonaise, Nantes, Cécile Defaut, 2005, p. 182)
1182005, Corinne Atlan :
Dans une société où le collectif prime sur l'individuel, seul l'écrivain (ou l'artiste) est libre de s'exprimer au nom de tous les autres. La littérature de l'ère Meiji, avec le shi-shôsetsu, a donné sa véritable place à l'écrivain, en lui confiant la mission d'exprimer son individualité, dans une société imprégnée de confucianisme et basée sur l'effacement de l'individu au profit du groupe. [...] L'usage du « je » est presque absent de la langue japonaise. En français le « moi, je » est partout, et finalement l'écrivain est une voix, un « je », parmi tant d'autres. Inversement, en japonais, on omet souvent le « je », le sujet n'étant pas obligatoire dans la phrase. Plus qu'à l'individu lui-même, la langue japonaise s'intéresse à sa position sociale ou familiale, au degré de respect qui lui est dû. Ainsi, l'effacement de l'individu devant la collectivité est inscrit dans le langage. Pourtant la parole de l'écrivain en tant que « je » est toujours écoutée, car elle représente celle des autres, de ceux qui n'ont pas droit à l'expression de soi : c'est en leur nom que parle la littérature.
(Entre deux mondes : Traduire la littérature japonaise en français, Inventaire, 2005, p. 22)
1192006, Jacques Attali :
Surtout [le Japon] n'attire pas sur son sol l'élite du monde entier, ni ne promeut l'individualisme si nécessaire au « cœur », ni n'échappa à l'orbite de son vainqueur américain.
(Une brève histoire de l'avenir, Paris, Fayard, 2006, rééd. Le Livre de Poche, 2008, p. 99)
Même s'il est exceptionnellement bien placé pour dominer les technologies de l'avenir, des robots aux nanotechnologies, le Japon ne réussira pas à faire de la liberté individuelle sa valeur dominante.
(Ibid., p. 129)
[La] capitale du Japon n'a pas su saisir sa chance dans les années 1980 ; et elle ne sera pas non plus, en 2030, capable de créer des valeurs universelles : la liberté individuelle n'est pas son idéal philosophique.
(Ibid., p. 174)
1202007, Jean-Louis Margolin :
La famille, l'école, l'entreprise, les divers groupes auxquels on ne peut manquer d'appartenir, et auxquels on est hé par un réseau complexe d'obligations, forment autour de l'individu un filet au maillage extrêmement serré. Il sécrète conformisme, timidité, aussi bien que, plus positivement, fidélité, correction et efficacité.
(L'Armée de l'empereur, Paris, Armand Colin, 2007, p. 61)
1212007, Emmanuel Todd :
Les systèmes familiaux traditionnels allemand, japonais ou rwandais, incluent la valeur de l'inégalité entre les frères. La famille-souche exige la désignation d'un seul successeur, généralement l'aîné, primogéniture masculine, la cohabitation avec le fils adulte et marié suggère la présence d'un principe d'autorité. Ensemble, les valeurs familiales d'autorité et d'inégalité vont mener lors de la modernisation éducative, à l'émergence d'idéologies de transition, favorisant les idées de hiérarchie, de stratification sociale et raciale. Dans le domaine ethnique et international, le concept d'homme universel apparaît ici irrecevable. Si les frères sont inégaux, les hommes et les peuples le sont aussi, la crise pourra donc aboutir, selon le lieu, à la définition du Juif comme sous-homme, à l'affirmation d'une supériorité japonaise intrinsèque, ou au massacre des Tutsis. »
(Le Rendez-vous des civilisations, Paris, Seuil, 2007, p. 42)
1222007, Katô Shûichi :
Une des caractéristiques constantes [face aux groupes d'appartenance] est ce que l'on appelle le groupisme, c'est l'attitude qui consiste à toujours privilégier en principe la revendication du groupe lorsque l'opinion de l'individu est en contradiction avec l'intérêt, l'objectif, l'ambiance (le penchant sentimental) du groupe. L'individu doit choisir l'un des deux, soit changer d'opinion, soit sortir du groupe. [...]
D'où est venu ce type de groupisme ? Historiquement, il trouverait certainement son origine dans la longue tradition – et dans le système de coutumes et de valeurs qui y est né – d'une société agricole centrée sur la riziculture.
(Katô Shûichi, Nihon bunka ni okeru jikan to kûkan, Iwanami shoten, Tôkyô, 2007, traduit en français par Christophe Sabouret sous le titre Le Temps et l'espace dans la culture japonaise, Paris, CNRS éditions, 2009, p. 233)
1232008, Karyn Poupée :
Il ne s'agit pas pour chacun de se laisser passivement porter par le groupe, mais au contraire de l'aider à révéler sa puissance, à cultiver sa spécificité, et à protéger son honneur en accomplissant parfaitement sa tâche tout en restant à sa place dans une structure fortement hiérarchisée. La valeur de l'équipe résulte de la combinaison d'individualités consciencieuses qui visent un but commun dans un esprit d'entraide. L'appartenance à un groupe et les devoirs qui l'accompagnent est sans cesse rappelée à qui serait tenté de jouer « perso ».
(Les Japonais, Paris, Tallandier, 2008, p. 127)
1242009, Alan Macfarlane :
Le groupe prend impérativement le pas sur l'individu, la société est conçue comme un tout organique dont l'individu n'est qu'une partie, un doigt ou un orteil, que l'on peut trancher sans porter atteinte à l'ensemble. La vie japonaise se fonde sur une série de groupes – familial, social, politique, scolaire, syndical, d'affaires. Vraisemblablement les Japonais ont la civilisation la moins individualiste du monde66.
(Énigmatique Japon, Paris, Autrement, 2009, p. 74)
Quand nous étions au Japon, un ami nous a dit que les Japonais se sentent vides ; il n'y a rien, rien que du vide, au cœur de chaque personne. La vie se trouve dans ce qui entoure cet espace vide. Notre ami semblait dire que les Occidentaux se sentent habités par une âme et une personnalité individuelle, tandis qu'un Japonais, seul, est comme une pièce vide.
(Ibid., p. 75)
Le Japon est une société étroitement soudée qui ne laisse guère de place à l'individu.
(Ibid., p. 76)
1252009, Agnès Aflalo :
[À propos du Japon :] [La réglementation religieuse de la vie relativement rationnelle du bouddhisme] accorde une priorité accrue au groupe et à la solidarité et favorise le contrôle mutuel généralisé.
(L'Assassinat manqué de la psychanalyse, Nantes, Cécile Defaut, 2009, p. 144)
1262010, François Laplantine :
Le sujet n'étant sujet qu'en relation à un autre, il ne peut se considérer comme moi que s'il est perçu par un toi au travers duquel se profile un groupe. Il existe bien mais n'est pas en mesure de s'individualiser afin de contrôler la phrase et de se séparer du groupe. Il est dépendant d'une totalité, il est pris dans une synergie. Bref il ne peut exister de sujet que dans des relations avec d'autres et dans certaines circonstances, et il n'est nul besoin pour cela de faire intervenir une notion comme celle d'intersubjectivité. Ainsi, le véritable sujet ne doit-il pas être recherché ailleurs que dans l'ensemble des relations (sociales, mais aussi cosmiques).
(Tokyo ville flottante, Paris, Stock, 2010, p. 133-134)
1272011, François Lenglet :
C'est un pays communiste naturellement.
(émission C dans l'air, mardi 15 mars 2011, « Japon, la fusion des drames »)
1282011, Murakami Ryû :
The Japanese are often said to abide faithfully by the rides of the "group" and to be adept at forming cooperative Systems in the face of great adversity. That would be hard to deny today. Valiant rescue and relief efforts continue nonstop, and no looting has been reported. »
(« Amid Shortages, a Surplus of Hope », The New York Times, 16 mars 2011)
1292011, Mizubayashi Akira :
Au Japon, avant l'émergence de son identité propre, on fait partie d'une communauté de destins. Ce ne sont pas les individus qui fondent et incarnent la communauté ; c'est, au contraire, la communauté qui les fait exister en tant que tels. [...]
La place de l'individu est réduite. Il ne s'agit pas de s'affirmer contre les autres et de prendre des initiatives isolées.
(« Entretien », Libération – Le Mag, 26-27 mars 2011, p. xv)
1302012, Kurokawa Kiyoshi :
Its fundamental causes [of Fukushima Nuclear Accident] are to be found in the ingrained conventions of Japanese culture: our reflexive obedience; our reluctance to question authority; our devotion to "sticking with the progm; our groupism; and our insularity.
(« Message from the Chairman », Report from The Fukushima Nuclear Accident Independent Investigation Commission, The National Diet of Japan, 2012, p. 967)
Notes de bas de page
1 Nous sommes redevables, pour une première couche de ce travail, aux travaux de Patrick Beillevaire (Le Voyage au Japon. Anthologie de textes français, Paris, Robert Laffont, 2001), Jean-Paul Honoré (« De la nippophobie à la nippophilie », Mots, 1994), Alfred Smoular (Sont-ils humains à part entière ?, Lausanne, L'Age d'homme, 1992), Régis Poulet (« Le Péril jaune », http://www.larevuedesressources.org/le-peril-jaune,499.html#nb69, accès le 4 novembre 2013), et Michael Lucken (Pleurs artificielles : pour une dynamique de l'imitation, Paris, Publications du Centre d'études japonaises de l'Inalco, 2012).
2 Cité d'après http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/cb343488023/datel684.1angEN, accès le 7 novembre 2013.
3 Réédité en 1832 sous le titre Histoire du Japon, Paris, Bureau de la Bibliothèque catholique, 1828, p. 12.
4 http://gdz.sub.uni-goettingen.de/dms/load/toc/?PPN=PPN362052875&IDDOC=265099, accès le 2 janvier 2014.
5 D'après http://classiques.uqac.ca/classiques/spencer_herbert/premiers_principes/premiers_principes.html, accès le 7 novembre 2013.
6 http://www.bmlisieux.com/archives/coeuranu.htm, accès le 4 novembre 2013.
7 Nous n'avons pas dans l'état actuel de nos recherches, trouvé d'exemples antérieurs à la fin des années 1880. Rien de ce type par exemple dans les Lettres du Japon (Paris, Minerve, 2012, 1re édition française, Paris, Mercure de France, 1905) de Rudyard Kipling, écrites en 1888, alors même que l'auteur composa l'année suivante The Ballad of East and West, avec son célèbre passage :
« Oh, East is East and West is West, and never the twain shall meet,
Till Earth and Sky stand presently at God's great Judgment Seat ;
But there is neither East nor West, Border, nor Breed, nor Birth,
When two strong men stand face to face, though they come from the ends of the earth ! »
8 Cité d'après http://www.gutenberg.org/ebooks/1409, accès le 4 novembre 2013.
9 Traduit par Isabelle Konuma et Emmanuel Lozerand, cité d'après Hozumi Yatsuka hakushi ronbunshû, Tôkyô, Uesugi Shingo, 1913, p. 246-247, http://kindai.ndl.go.jp/info:ndljp/pid/952351/151, accès le 7 novembre 2013.
10 D'après http://classiques.uqac.ca/classiques/le_bon_gustave/lois_psycho_evolution_peuples/lois_psy_evolution_peuples.html, p.34-35 , accès le 7 novembre 2013.
11 Cité par Patrick Beillevaire, Le Voyage au Japon. Anthologie de textes français, Paris, Robert Laffont, 2001, p. 801-803.
12 Cité par Alfred Smoular, Sont-ils humains à part entière ?, Lausanne, L'Âge d'homme, 1992, p. 93.
13 Ibid.
14 Traduit par Emmanuel Lozerand.
1516 Remerciements à Christophe Marquet pour ce texte.
17 Voir supra, p. 271-274.
18 Voir supra, p. 283-285.
19 Cité dans la traduction française d'Alzir Hella et Olivier Bornac, parue sous le titre Le Journal de voyage d'un philosophe, Paris, Stock, 1948, p. 574.
20 Mais Albert Londres écrit aussi : « Ce n'est pas un peuple troupeau. Chacun possède une haute idée de son individualité. » (Excelsior, 25 mars 1922, repris dans Au Japon, Paris, Arléa, 2010, p. 21).
21 Cité dans la traduction de Georges Montandon, parue sous le titre Le Japon et les Japonais, Paris, Payot, 1937, p. 87.
22 Voir supra, p. 279.
23 Voir supra, p. 271-274.
24 Cité par Régis Poulet, « Le Péril jaune » ; http://www.larevuedesressources.org/le-peril-jaune,499.html#nb69, accès le 4 novembre 2013.
25 Cité par Régis Poulet, ibid.
26 D'après http://www.j-texts.com/showa/kokutaiah.html, accès le 4 novembre 2013.
27 Cité d'après http://ia600300.us.archive.org/35/items/BagatellesPourUnMas sacre/bagat.pdf, accès le 4 novembre 2013.
28 Cité dans la traduction française de Lise Mécréant, parue sous le titre Le Chrysanthème et le sabre, Arles, Philippe Picquier, 1987, p. 49.
29 Cité d'après http://classiques.uqac.ca/classiques/siegfried_andre/ame_des peuples/ame_des_peuples.html, p. 113 ; accès le 4 novembre 2013.
30 Voir supra, p. 295.
31 Il s'agit d'un « dialogue » entre « un qui demande » (D.) et un Japonais (J.).
32 L'original, écrit dans les années 1953-1954, a été publié en allemand en 1959.
33 Cité par A. Smoular, op. cit., p. 224.
34 Voir supra, p. 306-307.
35 D'après Herman Kahn, The Emerging Japanese Superstate. Challenge and Response, New Jersey, Prentice Hall, 1970 ; cité dans la traduction française de Pierre de Place, parue sous le titre L'Ascension japonaise, Paris, Robert Laffont, 1971, p. 62/334.
36 Cité d'après la traduction française de Paul Werrie, Le Japon et son secret, Paris, Plon, 1966, p. 31-37.
37 Cité par Kahn, The Emerging Japanese Superstate, op. cit., p. 87/334.
38 Cité par Marc Rigaudis, Japon mépris... passion. Regards de la France sur le Japon de 1945 à 1995, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 30.
39 Cité dans la traduction française de Laurence Ratier, parue sous le titre La Société japonaise, Paris, Armand Colin, 1974, p. 21.
40 Cité d'après l'édition Champs Flammarion, Paris, 1980, p. 12.
41 Cité d'après la traduction française de Pierre de Place, parue sous le titre L'Ascension japonaise, Paris, Robert Laffont, 1971, p. 42-43.
42 NdA : Bruno Bettelheim, « The Problem of Generations » Youth : Change and Challenge, éd. E. Erikson (New York : Basic Book, Inc., 1963), p. 73.
43 NdA : Robert Huntington, « Comparison of Western and Japanese Cultures », Monumenta Nipponica, Tôkyô, vol. xxiii, no 4, p. 477.
44 Repris dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001 ; et dans D'un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, ici cité d'après http://www.valas.fr/Lituraterre,031, consulté le 7 novembre 2013.
45 Traduit et cité par Augustin Berque, Vivre l'espace au Japon, Paris, PUF, 1982, p. 45.
46 Cité par A. Smoular, op. cit., p. 155.
47 Voir supra, p. 290
48 Voir supra, p. 271-274.
49 Le texte anglais semble être : « Workaholics living in rabbit hutches » (cage à lapins), d'après Endymion Wilkinson, Misunderstanding : Europe versus Japan, Tôkyô/Londres, Chûô kôronsha, 1981, p. 231.
50 Cité par Jean-Jacques Servan-Schreiber, « Aimer les Japonais ? », préface à Ezra F. Vogel, Le Japon médaille d'or, Paris, Gallimard, 1983 ; Folio, 1985, p. 10).
51 Traduit en français sous le titre Le Japon médaille d'or, Paris, Gallimard, 1983 ; Folio, 1985, p. 156-157.
52 Cité par A. Smoular, op. cit., p. 51.
53 Cité par Jean-Paul Honoré, « De la nippophobie à la nippophilie », Mots, 1994, p. 42.
54 Cité par Alan Macfarlane, Enigmatique Japon, Paris, Autrement, 2009, p. 74.
55 Cité par J.-P. Honoré, op. cit., p. 28.
56 Ibid.
57 Ibid., p. 29.
58 Ibid.
59 Ibid.
60 Ibid., p. 28.
61 Cité dans la traduction française de Danièle Lamelle, parue sous le titre L'Énigme de la puissance japonaise, Paris, Laffont, 1990, rééditée dans la collection Pluriel, Hachette, 1991, p. 11.
62 Cité d'après http://www.philo5.com/Les%20vrais%20penseurs/18%20-%20Kenji%20Nakagami.htm, accès le 7 novembre 2013.
63 Cité par Jean-Claude Courdy, Japonais. Plaidoyer pour les fourmis, Paris, Belfond, 1992, p. 9.
64 Cité par J.-P. Honoré, op. cit., p. 29.
65 Ibid.
66 Macfarlane décrit aussi dans ce livre le Japon comme une « foule solitaire », « composée d'individus seuls et réservés, qui trouvent très difficile de communiquer avec autrui ». Les Japonais seraient donc à la fois « englués dans du nattô », par le groupe, et « isolés comme des pieuvres » (ibid., p. 76).
67 http://www.nirs.org/fukushima/naiic_report.pdf, consulté le 9 novembre 2013.
Notes de fin
1 Il y a dans le livre, the Sont of the Far East, que M. Percival Lowell a publié en 1888, de curieux détails sur l'impersonnalité des Japonais, mais aussi de l'outrance et des préjugés. La thèse de cet Américain, disciple de Spencer, c'est que la différenciation des individus a autant d'importance dans la vie spirituelle, que la différenciation des espèces en a dans l'évolution de la vie organique. C'est le degré d'individualité de ses citoyens qui fixe à un peuple son rang dans l'histoire de la civilisation : une race d'esprits impersonnels, c'est une race qui est restée dans l'enfance. Et il conclut ainsi : « La civilisation des Japonais est comme les fleurs de leurs arbres, elles sont belles, mais ne sont pas destinées à donner des fruits. » Conclusion que ces vingt dernières années n'ont guère justifiée. Il est téméraire d'affirmer a priori que la civilisation japonaise représente la forme élémentaire d'une évolution dont la civilisation américaine est la forme achevée. Comme peuple, sinon comme individu, le Japonais a autant de personnalité, un caractère aussi tranché que l'Américain. La gloire mondiale que l'individualisme de chacun de ses citoyens a value aux Etats-Unis, la discipline de tous ses citoyens l'a assurée au Japon.
2 Ce caractère, commun à tout l'Extrême-Orient, a été finement étudié par M. Percival Lowell : The Soul of the Far East, Boston, 1888.
Auteur
CEJ-Inalco
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