Annexes
p. 475-478
Texte intégral
ANNEXE I : GIOVIO COURRIER DU CŒUR
1Giovio joue les messagers entre Pietro Bembo et Vittoria Colonna, comme le 15 juillet 1530 lorsqu’il écrit à Bembo : « J’ai eu cette lettre incluse de Madame la marquise, votre amoureuse, que j’ai voulu vous envoyer pour vous être agréable1. »
2Pietro Bembo adresse ainsi plusieurs lettres à Giovio en 1530. Une première datée du 7 avril porte sur un sonnet de Vittoria Colonna : « J’ai eu seulement hier vos lettres du 17 mars envoyées avec un beau et très gracieux sonnet de la marquise de Pescara et avec la lettre qu’elle m’avait envoyée2. » Giovio sert manifestement d’intermédiaire entre Vittoria Colonna et Pietro Bembo, dont l’enthousiasme se lit : « Il me semble ne jamais avoir vu de rime de Sa Seigneurie plus belle parmi les nombreuses que j’ai pu voir et j’en retire un très grand bien. Sa rime est majestueuse, délicate, inventive et en somme excellemment élaborée, disposée et rédigée3. » Giovio se retrouve être son messager : « Entre temps, vous serez heureux de la remercier en mon nom4. » Vittorio Cian lui reproche d’ailleurs assez ce rôle. Alors qu’il évoque l’amitié entre Bembo et Vittoria Colonna, il fait la remarque suivante, fort peu amène : « Et il est curieux de trouver, à un certain moment, comme intermédiaire de leur amitié l’évêque de Nocera, le fameux Paolo Giovio, qui autant se révéla faible et inefficace5 comme historien, eut pareillement une large et pénétrante intuition de la personnalité dans ses biographies riches et colorées6. »
3Le 29 mai 1530, il fait même part à Giovio de son état de faiblesse : « Le repos et rester tranquille me conviennent davantage que de chevaucher et travailler et je penserai qu’il me suffit que vous me recommandiez dans vos lettres et que vous me donniez tout à elle7 », s’en remettant à Giovio comme intermédiaire auprès de la marquise de Pescara. Manifestement Giovio semble maintenir le contact entre eux d’après la lettre de Vittoria Colonna adressée à Giovio en juin 1530, dans laquelle elle s’exalte à son tour pour un « sonnet divin » de Bembo qu’il lui a transmis : « Je dis que je n’ai lu de sonnet d’aucun autre des [poètes] contemporains ou passés qui puissent l’égaler8 » et elle se dit « totalement amoureuse de lui, d’un amour cependant étranger de tout appétit sensuel9 » priant encore Giovio d’écrire en son nom à Bembo.
4Dans une autre lettre de Bembo, datée du 15 septembre, apparaissent toute son inclination et l’efficacité de l’action de Giovio :
Je me trouvais au lit souffrant d’une très grave fièvre avec de fortes douleurs et la pensée que c’était la fin de ma vie, quand me parvinrent vos lettres avec lesquelles vous m’avez envoyé celles que la marquise de Pescara m’avait écrites avec son avis sur mes rimes et avec d’autres très douces paroles pleines de courtoisie, ce qu’elle a ajouté surpasse la sagesse10.
5Le plaisir de recevoir les lettres de Giovio et surtout de la marquise est rendu encore plus manifeste dans le passage suivant :
Je me fis lire ces lettres et les ai écoutées avec un plaisir merveilleux, puisqu’il y a un endroit où elle parle de moi ainsi : “Écrivez donc et croyez que Dieu vous donnera de nombreuses années à vivre” ; je prends pour moi bon augure de ces paroles, me figurant qu’elles étaient arrivées à ce moment [précis], cela ne pourrait être rien d’autre que véritable et [étaient] pratiquement envoyées du ciel par sa main ; je commençai à me réconforter de telle sorte que depuis lors, je me suis senti toujours mieux et la maladie a pris une bonne direction et se calme et je suis en train de me remettre11.
ANNEXE II : LA DIVINATION À L’ÉPOQUE DE GIOVIO
6La correspondance de Giovio fait référence à diverses reprises à des prédictions astrologiques comme dans la lettre du 14 mars 1535 à Francesco Sforza : « Mais les astrologues donnent bon espoir qu’avec la bonne étoile de César […] nous obtenions la victoire contre tous12. » Mais il ne se montre pas pour autant aveuglé par les mages comme le note bien sa réflexion à Ottaviano Raverta, évêque de Terracine, dans sa lettre de décembre 1549 à propos des conjectures sur l’identité du futur pape :
Et parce que le pouvoir est donné par le destin, c’est-à-dire par la divine Providence, je ne me fonderai pas sur la naissance car il n’est pas d’aussi habile cardinal qui n’ait quelque astrologue flatteur qui ne lui promette le pontificat, mais je procéderai seulement d’après les humeurs de la Cour [pontificale], qui sont connues en grande partie des vieux courtisans. Et je dis qu’il faut faire autant d’hypothèses que nécessaire pour tirer les conclusions les plus raisonnables13.
7Giovio précise ses positions sur la question des astrologues dans une lettre du 17 septembre 1536 à Annibale Raimondi, membre de sa famille14, à la fois mathématicien et lui-même astrologue, lettre dans laquelle il lui adresse des reproches pour son manquement à sa promesse de lui écrire souvent : « Si pour l’avenir vous ne vous corrigez pas, je m’emploierai à vous tourmenter vous et votre astrologie et à en faire une mention tellement peu honorable dans mes histoires, que tous les astrologues vous voudront du mal15. » C’est à ce moment que Giovio expose son opinion sur l’astrologie :
Et l’on ne pourra pas dire que j’ai déjà écrit mal contre l’astrologie parce qu’un quelconque astrologue m’a fait une méchante prédiction, comme on dit qu’il fut fait à Savonarole et à Pic de la Mirandole, puisque vous savez que Gaurico et cet autre-là notre ami m’ont promis le chapeau rouge d’après ma date de naissance, alors que vous, vous êtes venu en m’embrouillant et en me disant que je ne sais quelles conjonctions s’opposent pour me l’interdire16.
8Pour renforcer la conviction de la justesse de ces prédictions, il est notable que Giovio a été en effet pressenti plusieurs fois pour la dignité cardinalice. Raimondi s’est peut-être montré meilleur interprète des astres que les autres, car Giovio n’obtint effectivement jamais la pourpre cardinalice. Cette lettre visiblement spontanée semble suivre les pensées de Giovio et alors qu’il rappelle ces exemples il en vient à constater la qualité de Raimondi :
Mais je me rends compte que pendant que je vous menace de dire du mal de vous et de votre astrologie, je commence à vous louer, puisque vous vous êtes montré meilleur astrologue que je ne voudrais et que vous m’avez annoncé ces mauvaises conjonctions que je vérifie cependant trop souvent et je les vois avec certaines trognes dont je voudrais plusieurs fois être aveugle pour ne pas les voir ou être en pierre ou en bois pour ne pas les entendre17.
9Les doutes de Giovio en matière de divination viennent peut-être alors du fait que les astrologues se sont trompés en diverses occasions qu’il a eu tout loisir de vérifier précisément en tant qu’historien. En fait, il semble que cela le pousse à la circonspection. Finalement, il ne paraît pas remettre en question les capacités divinatoires de Raimondi dans sa lettre, mais se montre cependant défiant et aime visiblement appuyer ses réflexions sur des faits concrets aisément vérifiables. Cela ne l’empêche pas non plus de compter parmi ses amis Paolo Interiano à la fois historien, mathématicien et observateur des astres.
10Cette question de l’astronomie passionne d’ailleurs certains intellectuels de l’époque de Giovio. Paola Zambelli18 s’est justement intéressée à ces développements et certaines remarques de Giovio semblent bien accréditer la possibilité de telles réflexions dans son milieu. Mais l’élément le plus important à retenir est l’adhésion, quoique réservée, de Giovio à l’encontre de l’étude des étoiles, pour expliquer certains phénomènes dans des conditions cependant précises.
11Cette notion éclaircie permet de mieux apprécier l’opinion de Giovio sur les ennemis de la foi selon cette perspective. En effet, comme on a pu l’observer dans des textes comme ceux de Postel, les Turcs sont présentés comme un peuple superstitieux. Giovio, convaincu dans une certaine mesure du sérieux de l’astrologie, ne devrait donc pas les fustiger de la même façon. Aussi, la mention du père de Muleameth prophétisant l’accession au trône de ses deux fils ne doit pas avoir le même impact selon cette optique : il ne s’agirait plus du fruit du délire d’un personnage exotique au jugement obscurci par des croyances idolâtres, mais d’une hypothèse à confronter avec les faits.
Notes de bas de page
1 Giovio, 1956, p. 125.
2 Bembo, 1562, fol. 152.
3 Bembo, 1562, fol. 152.
4 Bembo, 1562, fol. 152.
5 Vittorio Cian écrit fiacco ed inefficace come storico, « faible et inefficace comme historien », montrant bien son jugement plus que défavorable de ses qualités d’historien, en revanche il lui accorde une certaine pénétration des caractères humains.
6 Cian, 1885, p. 163.
7 Bembo, 1562, fol. 153.
8 Cette lettre est conservée à la Bibliothèque nationale Ambrosienne de Milan, codice H, 245 inf., fol. 1.
9 Bibliothèque nationale Ambrosienne de Milan, codice H, 245 inf., fol. 1.
10 Bembo, 1562, fol. 153 verso.
11 Bembo, 1562, fol. 153 verso.
12 Giovio, 1956, p. 353.
13 Giovio, 1958, p. 153.
14 Il s’agit d’un parent de la belle-sœur de Giovio, Maria Raimondi. Il fut un grand ami de Giovio de la même manière que Giorgio Vasari, dans Zimmermann, 1995, p. 115.
15 Giovio, 1956, p. 188.
16 Giovio, 1956, p. 188.
17 Giovio, 1956, p. 188.
18 Zambelli, 1995.
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