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Chapitre II. Achille en croix de guerre

p. 153-164


Texte intégral

1Comment faire tomber Troie ? Pour Achille, ce ne peut être qu’à force de courage (andreia). Pour Ulysse, seule l’intelligence (sunesis) est susceptible de venir à bout des Troyens. Tels sont, selon les scholiastes1, les arguments développés lors de la fameuse querelle opposant, après la mort de Patrocle, les deux héros2. Dans le monde de l’Iliade où les basileis sont imparfaits par essence3, l’opposition entre un héros brillant par son intelligence et un autre s’illustrant par sa force au combat prend tout son sens comme exploration du champ de la royauté. Face à un Achille peu réfléchi, qui préconise de faire partir au combat les troupes achéennes alors qu’elles ont le ventre vide, Ulysse propose de n’attaquer qu’après le repas4 et lui fait remarquer : « Tu es certes plus fort que moi, et tu me dépasses de beaucoup à la javeline, mais je vaux beaucoup plus que toi en revanche par la raison (noos) »5. Cette remarque comme l’épisode de la querelle célébrée par un kleos exceptionnel résument à elles seules les deux voies empruntées par les héros homériques pour acquérir une bonne renommée au combat : la bravoure et l’intelligence.

2Fondamental dans l’Iliade, le partage des qualités entre héros ne guide que partiellement le traitement de la renommée d’Achille dans les œuvres littéraires postérieures6. Celles-ci retiennent surtout l’excellence militaire du fils de Pélée7, sans l’associer systématiquement aux qualités qu’Homère lui attribuait. Susceptible de se prêter, comme celle d’Ulysse, à des lectures différentes d’un siècle à l’autre, la renommée d’Achille constitue une référence incontournable en matière de réputation militaire. Aux meilleurs revient l’honneur de lui être comparé, et ceci quelles que soient les vertus dont ils ont su faire preuve lors du combat. À l’inverse, les plus mauvais sont déconsidérés par leur incapacité à marcher dans les traces des nouveaux Achille. Retenu généralement comme une figure positive, Achille permet d’ouvrir une autre porte de la fabrique des bruits publics et de comprendre combien l’héroïsme militaire de l’époque classique et hellénistique s’inspire de la geste d’un héros à qui Homère promettait déjà : « C’est ainsi qu’à ta mort, a survécu ton nom et que toujours Achille aura, chez tous les hommes, la plus noble (esthlon) des gloires (kleos) ! »8.

LE SACRIFICE DE LÉONIDAS, ENTRE CIVISME ET HÉROÏSME

3Le kleos guerrier des Spartiates mentionné par Hérodote s’écarte manifestement de leurs prédécesseurs homériques. S’il reste lié à la notion de belle mort au combat, il ne se fonde plus sur des aptitudes personnelles exceptionnelles. Reflet des mutations politiques et militaires survenues au cours des époques géométrique et archaïque, il est désormais accessible à tous les Spartiates comme en témoigne l’épisode des Thermopyles en 480 : « On dit encore que Léonidas, de lui-même, les renvoya [les alliés] parce qu’il tenait à sauver leurs vies ; pour lui et pour les Spartiates qui l’accompagnaient, l’honneur ne leur permettait pas d’abandonner le poste (taxis) qu’ils étaient justement venus garder (…) ; à demeurer sur place, il laissait une gloire (kleos) immense après lui, et la fortune de Sparte n’en était pas diminuée. En effet, les Spartiates avaient consulté l’oracle sur cette guerre au moment même où elle commençait, et la Pythie leur avait déclaré que Lacédémone devait tomber sous les coups des Barbares, ou que son roi devait périr (…). Léonidas pensait sans doute à cet oracle, il voulait la gloire (kleos) pour les Spartiates seuls, et il renvoya ses alliés »9.

4Autant le guerrier homérique remportait une noble renommée personnelle (kleos) grâce à la fougue et à l’audace qui lui étaient insufflées par une divinité pour qu’il se distingue par des offensives héroïques, autant les guerriers spartiates l’obtiennent grâce à une résistance collective10 consistant à mener des retraites stratégiques11 et à tenir le rang (taxis). Ils doivent désormais se distinguer par leur courage audacieux, par leur capacité à « tenir bon » (menein)12 mais aussi par leur sens civique13, comme l’indique l’épitaphe honorant les Lacédémoniens tombés aux Thermopyles : « Étranger, va dire à Sparte qu’ici nous gisons, dociles à ses ordres »14.

5Si le kleos des hoplites se fonde sur le dévouement à leur cité15 qu’il faut protéger des Barbares, il repose également sur la défense de sa renommée, qui assure son prestige dans le monde grec. La renommée ne revient donc pas au seul chef de guerre et Léonidas, dont le courage est récompensé par un grand kleos, prend un soin particulier à ne pas atténuer celui des autres Spartiates. Cet idéal égalitariste se marque dans les récompenses reçues par les chefs de guerre. Au ve siècle, on limite généralement les honneurs aux hommes qui cherchent à se distinguer par un kleos16 héroïque individuel. Après la bataille de Platées en 479, l’épigramme personnelle de Pausanias est effacée par les Spartiates, qui remplacent son nom par celui de toutes les cités qui ont remporté conjointement la victoire17. De la même façon, les Athéniens refusent à Miltiade, qui a obtenu un noble kleos grâce à sa victoire à Marathon (490)18, une couronne d’olivier qu’il réclamait pour lui-même19.

6Si la renommée de Léonidas et de ses hommes se distingue assurément par sa dimension civique, elle semble néanmoins se profiler dans l’ombre des belles renommées homériques. Tout se passe comme si la geste d’Achille dans l’Iliade avait servi de terreau à ce kleos d’un genre nouveau. Comme Homère au sujet d’Achille, Hérodote insiste sur l’excellence militaire des Spartiates. Un courage exceptionnel leur assure une renommée inégalée dans le monde grec et reconnue largement par les Barbares. Le bruit (kleos) en est même parvenu jusqu’aux oreilles de Mardonios, qui, dans un geste héroïque, leur propose un duel : « Lacédémoniens, on vous dit en ce pays les plus braves des hommes, on s’extasie sur votre courage et l’on prétend que jamais vous ne fuyez du combat ou abandonnez votre poste (taxis), que jamais sans reculer, vous donnez la mort ou vous la recevez (…). Au bruit de votre renommée (kleos), nous comptions que vous enverriez un héraut nous défier, pour vous mesurer aux Perses en combat singulier, et nous étions prêts à vous donner satisfaction »20.

7Les Spartiates, au contraire, ont choisi de se battre et de mourir, après une lutte acharnée, qui, dans ses derniers instants, est portée par une frénésie guerrière quasi-homérique21. En suivant l’oracle de la Pythie, Léonidas préfère ainsi, comme Achille22, une existence courte qui lui apporte le kleos à une longue vie peu glorieuse.

8Les sacrifices du héros homérique et du roi spartiate sont de nature comparable. C’est bien, à chaque fois, le caractère volontaire et exceptionnel de leur acte qui leur permet d’obtenir une belle renommée. La simple mort au combat ne pourrait y suffire comme le suggère l’exemple de Tellos d’Athènes mentionné par Hérodote. À Crésus qui lui demande quel homme est le plus heureux du monde, Solon répond : « Tellos, dans une ville fortunée, a eu des fils beaux et bons ; il a vu naître des enfants de tous ses fils, et tous ses enfants rester en vie ; fortuné lui-même, pour un homme de chez nous, il eut une fin de vie très brillante ; dans un combat livré à Éleusis par les Athéniens à leurs voisins, il marcha à l’ennemi, le mit en déroute, et périt [d’une très belle mort] (kallista) ; les Athéniens l’ensevelirent aux frais du public là-même où il était tombé, et lui rendirent de grands honneurs »23. Plus encore que mourir pour la patrie, il semble falloir accepter le sacrifice volontaire de son existence pour espérer obtenir une belle renommée (kleos)24. Seuls les actes véritablement exceptionnels paraissent susceptibles d’apporter à leur auteur une telle gloire25. Un autre texte, certes tardif et destiné à flatter l’orgueil patriotique des Athéniens26, pourrait encore alimenter cette hypothèse. Dans son Oraison funèbre, Lysias note qu’à Marathon les Athéniens étaient prêts à mourir glorieusement (euklea thanaton). Contrairement à Tellos qui est tombé contre une armée grecque, ils acceptent de lutter, « sans raisonner sur le péril »27, contre un ennemi barbare largement supérieur en nombre28. Pour assurer le salut de leur patrie comme celui de la Grèce, ils acceptent délibérément de s’exposer à une mort quasi certaine. Leur geste héroïque fait d’eux « [des] hommes de cœur qui n’épargnaient point leurs personnes, faisaient à la vertu le sacrifice de leur existence, plus respectueux des lois de leur pays qu’effrayés par les périls de la guerre »29.

CLÉON, L’ANTI-ACHILLE

9Bien que mentionnée tardivement dans les sources littéraires30, la renommée de Brasidas s’est, de son vivant, largement diffusée dans le monde grec. À Amphipolis, les citoyens l’établissent comme oeciste de leur cité, lui offrent des funérailles publiques et organisent en son honneur des concours et des sacrifices annuels comme à un héros pour le remercier d’avoir libéré leur cité de la tutelle athénienne31. À Athènes, il est estimé par Thucydide32, par Aristote33 comme par Platon qui voit en lui un nouvel Achille34. La comparaison flatteuse s’explique par la carrière exceptionnelle qu’il a su mener à la tête de ses Brasideoi35. Ce n’est pas tant sa capacité à développer les qualités propres à Achille dans l’Iliade qui soutient son héroïsation36 que son excellence militaire. Proposée comme modèle à suivre par Thucydide, elle a pu servir de cadre de référence aux renommées comme aux rumeurs militaires qui ont couru dans les troupes athéniennes lors de la Guerre du Péloponnèse.

10En 422, à la veille de l’attaque d’Amphipolis, le stratège Cléon envoyé par Athènes se voit ainsi « contraint de faire ce qu’attendait Brasidas37. Les soldats athéniens étaient irrités de leur inaction ; ils calculaient à quelle expérience (empeiria) et à quelle audace (tolma) l’ignorance (anepistèmosunè) et la pusillanimité (malakia) de leur chef allaient se heurter. Ils se rappelaient la répugnance qu’ils avaient éprouvée à quitter leur pays pour venir combattre à ses côtés. Informé de ces rumeurs (throoi) et ne voulant pas condamner ses hommes à une inaction qui les affligeait, Cléon leva le camp et porta ses troupes en avant »38. Quel que soit le bien-fondé des reproches adressés à Cléon39, la rumeur condamne son incapacité à rivaliser avec le nouvel Achille spartiate dont l’excellence militaire repose sur des qualités qui n’alimentaient pas jusqu’alors le répertoire thématique des bruits publics.

11Parmi ces dernières, on retient l’activité guerrière. Différente de la fougue (menos) insufflée par une divinité aux guerriers homériques pour obtenir un noble kleos, l’énergie guerrière focalise, à l’époque classique, toutes les attentions car elle permet aux Grecs de se distinguer des Barbares qui, attirés par la vie facile et inactive, se montreraient au combat, si l’on en croit Xénophon, aussi courageux que des femmes40.

12Comme le suggère la rumeur en dénonçant la malakia (mollesse, lâcheté) de Cléon, l’activité guerrière est attendue des chefs militaires dans l’œuvre de Thucydide. Ce n’est pas la première fois que de telles critiques sont émises par des Athéniens : lorsque Périclès défend sa politique et ses choix stratégiques au début de la Guerre du Péloponnèse, il s’en prend par exemple aux partisans de la tranquillité, condamne la rhathumia (insouciance, nonchalance)41 et loue le caractère actif (drastèrios) des Athéniens42. Il faut remarquer, dans une perspective comparable, que l’énergie (drastèrios) de Brasidas est appréciée chez les Spartiates43. On notera enfin que les défaites militaires sont souvent, chez Thucydide, attribuées à la mollesse des forces combattantes44, les victoires à leur ardeur et à leur volonté de lutter jusqu’au bout (prothumia)45.

13Thucydide n’est pas le seul auteur classique à associer l’énergie guerrière aux bruits publics. Euripide compte également cette vertu parmi les qualités utiles pour obtenir une belle renommée et la projette rétrospectivement sur le monde homérique. Si Médée condamne les mortels trop fiers à qui la nonchalance de leur allure a valu une fâcheuse renommée d’indifférence46, Ménélas estime, dans Hélène, que la mort glorieuse revient aux hommes énergiques (drastèrios), qui ne s’avouent jamais vaincus et qui considèrent que « s’il faut mourir, mieux vaut mourir en agissant »47. Son kleos acquis à Troie lui impose ainsi de lutter jusqu’au dernier souffle pour défendre la couche de son épouse48.

14La rumeur (throos) rapportée par Thucydide ne reproche pas uniquement à Cléon son inaction. Elle déplore également son manque d’expérience (empeiria) et son ignorance (anepistèmosunè) du combat. Stigmatisé par ces deux défauts considérés comme majeurs lors de la Guerre du Péloponnèse49, Cléon fait bien piètre figure face au nouvel Achille spartiate.

15Conséquence probable des innovations militaires réalisées lors du conflit, les Grecs retiennent désormais l’expérience comme un atout non négligeable50 et commencent à réfléchir à un art du commandement51. Euripide y fait allusion dans les Héraclides, en rappelant que « le rôle d’un homme qui prétend avoir la science du bon capitaine est de voir l’adversaire autrement que par l’œil des messagers »52. Cet intérêt se confirme au ive siècle. Alors qu’Isocrate célèbre, dans l’Éloge d’Hélène, la science (epistèmè) de la guerre de Thésée53, Platon propose de définir cet art en le nommant stratègikè technè54.

16Le throos rapporté par Thucydide ne critique ni la seule inaction ni même la seule incompétence de Cléon, mais bien son incapacité à allier ces deux qualités militaires. L’association de ces reproches contribue à démarquer une telle rumeur des bruits rapportés pour les époques précédentes. Alors que les renommées répondaient dans l’Iliade au principe du partage des aptitudes entre les différents héros et célébraient chez l’un sa force au combat, chez l’autre sa sagesse au conseil, la rumeur (throos) reproche à Cléon de ne pouvoir rivaliser avec Brasidas, un homme de guerre exceptionnel qui s’illustre par des qualités militaires combinatoires. La bravoure ne suffit plus ; il faut qu’elle soit associée à une science de l’action militaire personnelle et collective.

17Conscient qu’« [il n’est] pas seulement bon à donner des conseils aux autres, mais [qu’il sait] également, quand il le faut, agir et donner l’assaut »55, Brasidas est, lors de la Guerre du Péloponnèse, l’exemple même du chef accompli. Comme Achille relu par Euripide56, il s’illustre aussi par une rare intelligence (gnômè, xunesis), utile pour opérer des choix tactiques57, ainsi que par une solide expérience militaire, qui lui a peut-être permis de prendre conscience, après la bataille de Naupacte (429), de l’importance de la connaissance (epistèmè) et du métier (technè) en matière de combat naval58. C’est sans doute contre Cléon, à Amphipolis qu’il emploie avec le plus d’efficacité l’ensemble de ses qualités : après avoir observé longuement l’ennemi, il guette la faute du stratège athénien, médite une attaque par ruse, puis joue d’adresse, de métier et de hardiesse pour l’attaquer59. On comprend que les Athéniens aient pu être impressionnés par ses succès60 et faire courir des rumeurs dénonçant l’incapacité de Cléon à rivaliser avec un homme dont l’excellence militaire a favorisé l’héroïsation.

18Premier exemple de ce genre dans nos sources littéraires, la rumeur (throos) décrite par Thucydide ouvre manifestement la voie à des bruits sur les compétences des hommes de guerre61. S’ils reflètent les innovations militaires engagées lors de la Guerre du Péloponnèse, ils ont pu aussi accompagner activement ces changements. En focalisant l’attention des contemporains sur les qualités techniques et individuelles des hommes de guerre, ils favorisent sans doute la professionnalisation et la personnalisation du commandement militaire. Ceci encourage les chefs de guerre à briller comme Brasidas par leur audace et leurs connaissances militaires pour satisfaire les attentes de leurs troupes. Cela conforte aussi les contemporains dans l’idée que le sort d’une bataille dépend de la qualité personnelle des chefs de guerre. Chez Thucydide, Hermocratès rassure les Syracusains menacés par l’expédition athénienne grâce à des rumeurs affirmant que « le plus expérimenté de leurs stratèges, à ce que j’entends dire, n’a pris le commandement qu’à son corps défendant et qu’il saisira volontiers le premier prétexte [pour renoncer à l’expédition contre Syracuse], s’il nous voit nous livrer à de sérieux préparatifs »62. À l’inverse, dans Les Helléniques, des on-dit annonçant l’arrivée d’Iphicrate démoralisent ses adversaires63. L’importance prise par les chefs de guerre dans l’expédition des Dix Mille trouve ailleurs un écho dans l’Anabase où des rumeurs circulent qui font craindre leur mort64. Cette tendance se prolonge à l’époque hellénistique qui accorde un intérêt plus grand à la personne du chef de guerre et à sa capacité de rappeler, par son comportement, les figures héroïques.

REPRODUIRE LA GESTE D’ACHILLE

19« En douze ans, Alexandre soumit une bonne partie de l’Europe, presque toute l’Asie, ce qui lui valut à juste titre, une gloire qui égale celle des héros et des demi-dieux d’autrefois »65. Formulé par Diodore de Sicile, ce constat signe le succès d’une stratégie politique menée par Alexandre tout au long de son existence. Avec le conquérant macédonien, l’utilisation de la renommée des héros homériques change de statut. De comparaison flatteuse à l’époque classique, elle devient une arme au service de l’idéologie royale.

20Nouvel Héraclès66, nouvel Ulysse, nouvel Agamemnon67, Alexandre, descendant par sa mère des Éacides68, ne pouvait éviter de se présenter comme un nouvel Achille. L’identification au héros homérique est vivement encouragée, comme le remarque Plutarque : « [Son pédagogue Lysimaque] n’avait aucune distinction, mais parce qu’il se surnommait lui-même Phœnix et qu’il appelait Alexandre Achille et Philippe Pélée, on le chérissait et il occupait la seconde place »69. À la différence de Léonidas ou de Brasidas qui ne retiennent qu’une partie de la geste d’Achille, Alexandre choisit de la reproduire au plus près. Il ne s’agit plus de s’inspirer mais d’imiter pour puiser, à la source de la confusion entre sa propre renommée et celle d’Achille, légitimité et autorité politiques.

21La stratégie est habile pour s’imposer à la tête de la monarchie macédonienne70 qui accorde le trône à celui qui sait, par son excellence militaire71, mener ses hommes à la victoire et se présenter comme le meilleur de ses compagnons (hetairoi). Elle l’est tout autant pour entreprendre la conquête de l’empire perse. Héros proclamé du panhellénisme, Alexandre présente son entreprise comme une guerre de libération des cités grecques d’Asie mineure alors placées sous le joug des Perses. Une série de cérémonies théâtrales à même de séduire les Grecs est organisée pour présenter son expédition comme une nouvelle Guerre de Troie. Lorsqu’il aborde en Troade, il est ainsi le premier à sauter à terre dans l’espoir d’imiter Protésilas, qui est, d’après Homère72, le premier Achéen débarqué à Troie73. Considérant l’Iliade comme un viatique pour la valeur guerrière74, il porte des armes qui dateraient de la Guerre de Troie75 et adopte surtout la même attitude qu’Achille. Pour que sa renommée soit chantée comme celle du héros homérique76, Alexandre choisit de réaliser des exploits comparables77. Comme Achille autour de l’Ida, il pille et saccage toutes les bourgades qui s’opposent à son avancée lors de sa campagne du Danube en 335. Il entend battre également les Amazones aux abords du Caucase et franchir l’Indus dont il compare l’impétuosité à celle du Xanthe78. Comme Achille au combat, Alexandre est prompt à courir aux dangers79, à payer héroïquement de sa personne80 et à surmonter la douleur de ses blessures81. Son comportement à l’égard des ennemis semble également calqué sur celui du héros. Après la victoire d’Issos en 333, il renvoie l’ambassade de Darius qui lui propose d’immenses richesses, une grande partie de son empire et sa fille en mariage82 et agit ainsi comme Achille au chant IX de l’Iliade. En 332, il inflige une punition à Batis, le commandant de Gaza, comparable à celle reçue par Hector83. Colérique comme Achille, il se retire enfin plusieurs jours sous sa tente en 326 quand il se sent outragé par le refus de ses soldats de poursuivre plus en avant84.

22L’anecdote mérite d’être relevée car elle signifie qu’Alexandre n’entend pas agir comme Achille lors de son seul séjour en Troade. La comparaison avec le héros homérique ne doit pas être considérée comme un simple argument de propagande utile pour séduire les Grecs au début de ses conquêtes. Après la mort de Darius III et la chute de l’empire achéménide, Alexandre continue de reproduire sa geste alors même que sa mission panhellénique visant à libérer les cités grecques d’Asie mineure est parvenue à son terme. Il faut sans doute considérer l’appropriation du kleos d’Achille comme une arme politique au service de son idéologie monarchique. Confondre sa renommée avec celle de héros tels qu’Achille mais aussi Héraclès, Ulysse ou Agamemnon, lui permet sans doute de se doter d’une image supra-humaine, qui est nécessaire à sa réputation d’homme d’origine divine85, à la mise en place de son culte86 ainsi qu’à la construction historiographique de sa légende87.

23Chanté par Homère, pris en modèle par les poètes88, considéré par tous comme le patron de l’excellence guerrière, Achille et son kleos immortel font office de cadre de référence dans lequel s’inscrit une grande partie des bruits relatifs à la sphère militaire. C’est bien dans l’ombre du héros homérique que grandissent, au fil du temps, les belles renommées des guerriers. Constitue-t-elle pour autant un modèle de comportement appelé à être directement imité ? La question est d’importance car elle touche aux fondements de l’héroïsme guerrier aux époques classique et hellénistique.

24Dans Les Grenouilles, les propos prêtés par Aristophane à Eschyle suggèrent que l’héroïsme militaire athénien puise bien, à l’époque classique, son inspiration dans le monde homérique : « Et Homère, ce divin poète, à qui donc a-t-il dû son honneur et sa gloire sinon à ses enseignements sur ce qui est bien, sur la disposition tactique et l’équipement moral et matériel des combattants (…) ? C’est en prenant modèle sur Homère que mon génie a chanté les milles prouesses des Patrocle et des Teucer-Cœur-de-lion pour inciter le citoyen à se hausser à leur taille chaque fois que sonnerait le clairon »89. Éducateur de la Grèce selon les uns90, nourrice des hommes selon les autres91, Homère aurait ainsi, si l’on en croit Aristophane, exercé une influence suffisamment forte pour faire adopter aux guerriers de l’époque classique une attitude qui pourrait tout autant et peut-être plus relever du comportement des héros de l’Iliade que des valeurs civiques de la cité.

25Le détail des textes étudiés invite à nuancer le propos. Si Brasidas est considéré comme un nouvel Achille, c’est moins pour sa capacité à s’approprier les vertus homériques du héros que pour son excellence militaire, fruit de deux qualités appréciées lors de la Guerre du Péloponnèse : l’expérience et de l’art du commandement. Dans une perspective identique, le kleos de Léonidas prend véritablement sens quand il est replacé dans le contexte des Guerres Médiques et celui de l’affirmation des valeurs civiques de Sparte. En insistant sur son sens du sacrifice et en le plaçant au fondement de son kleos, Hérodote est peut-être tributaire d’une démarche assez habituelle en Grèce, selon laquelle les meilleurs doivent être comparés aux héros homériques pour être honorés, pourvu cependant, qu’ils agissent dans le cadre de la cité. On notera enfin que le modèle d’Achille reste une arme politique entre les mains d’Alexandre utile pour « profiler » ses exploits et ainsi servir son projet panhellénique de matrice homérique.

26Faut-il pour autant douter du fait que le kleos d’Achille constitue un puissant moteur comportemental ? Assurément non, car l’espoir que nourrit chaque soldat de construire sa renommée dans le prolongement de la sienne pousse les guerriers à briller sur les champs de bataille, sans pour autant l’imiter, mais en s’efforçant d’exceller comme lui. C’est bien parce que les troupes athéniennes reprochent à Cléon de ne pas être à la hauteur du nouvel Achille spartiate qu’il engage le combat, contre ses intentions premières. C’est bien parce qu’il cherche à brouiller les pistes sur sa condition humaine qu’Alexandre favorise les hommes qui le comparent au demi-dieu Achille, fils de la déesse Thétis, et met en scène des cérémonies théâtrales inspirées de l’Iliade. L’étape préalable à l’instauration de son culte héroïque passait sans doute, comme pour Brasidas avant lui, par la diffusion de bruits publics laudateurs à même de convaincre ses contemporains qu’il était d’une nature supérieure à la leur.

Notes de bas de page

1 Scholies HQC au vers 75 in G. Dindorf, Scholia Graeca in Homeri Odysseam, Oxford, 1855, pp. 361 sq.

2 C’est au chant VIII de l’Odyssée que Démodocos choisit de chanter cet épisode de la geste humaine (klea andrôn) dont la renommée (kleos) est montée jusqu’aux cieux (Homère, Odyssée, VIII, 73-77). Certains scholiastes renchérissent en supposant qu’Achille défend les qualités corporelles et Ulysse les qualités psychiques (Scholies BE au vers 77 in G. Dindorf, Scholia Graeca in homeri Odysseam, Oxford, 1855, pp. 362, 21 sq).

3 Homère, Iliade, XIII, 727-734 et Odyssée, VIII, 167-168. Voir aussi P. Carlier, La royauté avant Alexandre, Strasbourg, 1984, pp. 195-204.

4 Homère, Iliade, XIX, 199-237. Voir aussi l’ambassade d’Ulysse auprès d’Achille (Homère, Iliade, IX, 223-429).

5 Homère, Iliade, XIX, 217-219.

6 Sur la représentation d’Achille chez les auteurs classiques : K. C. King, Achilles. Paradigmes of the War from Homer to the Middle Ages, Berkeley/Los Angeles, 1987, pp. 50-109.

7 Pour la valeur guerrière, Achille l’emporte, dans l’Iliade, sur tous les autres héros (Homère, Iliade, I, 277 et XVIII, 105).

8 Homère, Odyssée, XXIV, 93-94.

9 Hérodote, VII, 220 (traduction A. Barguet).

10 Tyrtée, Élégies, IX, 16 et 19.

11 Aux Thermopyles, elles leur permettent de massacrer de nombreux Barbares. Leur renommée militaire repose-t-elle sur cette science de la guerre ? La question se pose encore pour les stratégies raisonnées des Lacédémoniens lors de la bataille de Platées. Mardonios voit une contradiction entre le kleos spartiate et les mouvements tactiques de leurs troupes (Hérodote, IX, 46-48). Leur science (sophiè) militaire les aide pourtant ici à remporter la victoire (Hérodote, IX, 62). Elle permet à Pausanias d’être gratifié d’une grande renommée (kleos) pour avoir sauvé la Grèce (Hérodote, IX, 78).

12 Hérodote, VII, 219 sq.

13 Sur la dimension civique du sacrifice de Léonidas, voir notamment N. Loraux, L’invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans la « cité classique », Paris, 1981, p. 103.

14 Hérodote, VII, 228.

15 Sans entrer dans le débat historiographique sur la révolution hoplitique et ses conséquences sociales et politiques, on remarquera que l’idéologie du combat hoplitique se fonde, à l’époque archaïque, sur une nouvelle échelle de valeurs exprimées dans les poèmes de Tyrtée : les guerriers doivent défendre collectivement le bien commun et la cité naissante. L’expression militaire de cette aspiration est la phalange au sein de laquelle les hoplites, tous égaux, prennent part au combat (pour un aperçu des interprétations historiographiques de la révolution hoplitique : P. Ducrey, Guerre et guerriers dans la Grèce antique, Paris, 1985, rééd 1999, pp. 47-49 et pp. 277-280).

16 Démosthène, XIII, Sur l’organisation financière, 21-22.

17 Thucydide, I, 132. Voir aussi Diodore de Sicile, XI, 33, 2.

18 Choerilus, Fragmenta Epica, fr. 22.15.

19 Plutarque, Vie de Cimon, 8, 1.

20 Hérodote, IX, 48 (traduction A. Barguet).

21 Hérodote, VII, 223 et 225.

22 Dans l’Iliade, Achille rappelle ainsi : « Ma mère [Thétis] souvent me l’a dit (…) : deux destins vont m’emportant vers la mort, qui tout achève. Si je reste à me battre ici autour de la ville, c’en est fait pour moi du retour ; en revanche une gloire (kleos) impérissable m’attend. Si je m’en reviens au contraire dans la terre de ma patrie, c’en est fait pour moi de la noble gloire (kleos) ; une longue vie, en revanche m’est réservée, et la mort qui tout achève, de longtemps ne saurait m’atteindre » (Homère, Iliade, IX, 410-416).

23 Hérodote, I, 30 (traduction Ph.-E Legrand).

24 De la même façon, si Eschyle, Les Sept contre Thèbes, 1005-1011 considère qu’Étéocle, tombé les armes à la main pour sa patrie, connaît une belle mort, il ne précise pas qu’elle lui apporte une grande gloire (kleos).

25 Mourir pour la Grèce ne suffit pas ainsi à Callicrate, qui, blessé mortellement avant le combat de Platées, regrette de ne pas avoir pu s’illustrer davantage (Hérodote, IX, 72). Tyrtée, Élégies, fr. 6, 1-2 n’utilise pas non plus le terme kleos pour évoquer la belle mort civique : « Il est beau (kalon) de mourir, tombé aux premiers rangs, en homme courageux luttant pour sa patrie ».

26 Sur l’utilisation civique et patriotique de la bataille de Marathon dans les oraisons funèbres athéniennes : N. Loraux, op. cit., pp. 157-174.

27 N. Loraux, op. cit., p. 102 considère la résolution des Athéniens de mourir à Marathon comme une décision immédiate et innée, opposée à la raison raisonnante qui soupèse la réalité du danger. Ellle est la marque d’une adhésion personnelle des combattants à un impératif social. Pour N. Loraux, la leçon à tirer de l’épisode est claire : « en ce moment capital de la krisis où l’Athénien renonce à la vie, c’est la cité qui décide à travers lui ».

28 Lysias, II, Oraison funèbre, 23.

29 Lysias, II, Oraison funèbre, 25.

30 Diodore de Sicile, XII, 74, 3-4.

31 Thucydide, V, 11, 1 et G. Daverio-Rocchi, « Brasida nella tradizione storiografica : aspetti del rapporto tra ritratto litterario e figura storica », Acme, 38/2, 1985, pp. 63-81.

32 Sans doute pour diminuer son échec personnel, Thucydide fait de Brasidas un homme paré de toutes les qualités (Thucydide, IV, 81, 3).

33 Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 10, 1134b prend ainsi comme exemple de justice légale les sacrifices organisés en son honneur.

34 Platon, Le Banquet, 221c : « De ce que fut Achille, on pourrait en effet trouver une image en Brasidas » (traduction L. Robin et M.-J. Moreau).

35 Le terme désigne les soldats du général Brasidas revenus de Thrace après l’expédition de 424. On compte parmi eux des hilotes, des néodamodes, des Lacédémoniens et des alliés (Thucydide, IV, 80, 2 et V, 34, 1).

36 G. Hoffmann, « Brasidas ou le fait d’armes comme source d’héroïsation dans la Grèce classique », in Héros et héroïnes. Kernos, suppl. 10, 2000, pp. 365-375.

37 Ayant pris position à Kerdylion, près d’Amphipolis, sur une hauteur, Brasidas peut voir les mouvements des troupes athéniennes et espère que Cléon, poussé par la témérité, monte à Amphipolis avec le seul corps d’armée qu’il possède alors.

38 Thucydide, V, 7, 1-2.

39 Il est notamment difficile de voir en ce stratège, qui a remporté une victoire incontestée à Sphactérie, un homme manquant d’audace (Thucydide, IV, 26-40 ; Plutarque, Vie de Nicias, 7-8). Sur Cléon : A. G. Woodhead, « Thucydides’ Portrait of Cleon », Mnemosyne, 13, 1960, pp. 289-317 ; J. K. Anderson, « Cleon’s Orders at Amphipolis », JHS, 85, 1965, pp, 1-4 ; M. L. Lang, « Cleon as the Anti-Pericles », Classical Philology, 67, 1972, pp. 159-169.

40 Voir Xénophon, Helléniques, III, 4, 15.

41 Thucydide, II, 39, 4. Voir aussi Thucydide, I, 120, 4.

42 Thucydide, II, 63, 3. Alcibiade agite de même le spectre de la ruine d’Athènes, si elle renonce à l’action pour l’inaction (Thucydide, VI, 18, 7).

43 Thucydide, IV, 81, 1.

44 Après Sphactérie, les Grecs accusent ainsi les Lacédémoniens de malakia (Thucydide, V, 75, 3).

45 Les Athéniens estiment avoir montré, dans la lutte contre les Perses, une ardeur résolue (prothumia) (Thucydide, I, 74, 1 et 2 ; I, 75, 1 ; II, 36, 4).

46 Euripide, Médée, 215-218.

47 Euripide, Hélène, 814.

48 Euripide, Hélène, 841-854. Voir aussi Euripide, Hélène, 988-993. On trouve des considérations semblables chez Xénophon et Isocrate. Sans toutefois associer explicitement la mollesse (malakia) à leur mauvaise renommée, ils expliquent la faiblesse militaire des Barbares par leur vie facile et inactive, qui les incite à se montrer au combat aussi courageux que des femmes (Xénophon, Cyropédie, VIII, 8 et 15 ; Isocrate, IV, Panégyrique, 149, 151).

49 S. Saïd et M. Trédé, « Art de la guerre et expérience chez Thucydide », C & M, 35, 1985, pp. 65-85.

50 C’est notamment le cas dans le domaine naval. L’expérience maritime des Athéniens est considérée comme un des fondements de leur puissance militaire (Thucydide, I, 80, 3). Voir J. Boëldieu-Trevet, Commander dans le monde grec au ve siècle avant notre ère, Université de Franche-Comté, 2007, pp. 137 sq.

51 Pour Brasidas : J. Boëldieu-Trevet, « Brasidas : la naissance de l’art du commandement », in Hommages à Yvon Garlan, Rennes, 1997, pp. 147-158.

52 Euripide, Héraclides, 390-392 (traduction L. Méridier).

53 Isocrate, X, Éloge d’Hélène, 31.

54 Platon, Ion, 540d-541a ; Euthydème, 290b, d, 291c ; Politique, 304e.

55 Thucydide, V, 9, 10.

56 À Clytemnestre qui le supplie de sauver sa fille, Achille répond qu’il examine sa conduite à la lumière de la raison (gnômè) sans se laisser emporter par les tourments de son cœur (thumos) (Euripide, Iphigénie à Aulis, 919-923). Si l’intelligence est nécessaire pour guider sa vie, elle est aussi utile aux commandants en chef : « Ce n’est pas le rang qui doit désigner le roi d’un pays ni le chef d’une armée. Que faut-il à un général ? L’intelligence (noos). N’importe qui peut conduire un État, pourvu qu’il y voie clair » (Euripide, Iphigénie à Aulis, 374-375 ; traduction M. Delcourt-Curvers).

57 Thucydide, IV, 81, 2 ; 123, 2 ; 128, 1.

58 Thucydide, II, 87, 4.

59 Thucydide, V, 6-10.

60 Brasidas ne laisse pas indifférent. Ses qualités poussent les alliés d’Athènes à passer du côté de Lacédémone (Thucydide, IV, 81).

61 Thucydide, VIII, 78-79 et Xénophon, Helléniques, I, 6, 4 utilisent encore throos pour décrire le mécontentement de troupes à l’égard de chefs considérés comme lents et incompétents.

62 Thucydide, VI, 34, 6-8. Hermocrate imagine, à l’inverse, que la présence de stratèges expérimentés est nécessaire pour vaincre les Athéniens (Thucydide, VI, 72, 4).

63 Xénophon, Helléniques, VI, 2, 20-26.

64 Xénophon, Anabase, II, 2, 16-21 ; VII, 6, 42-44.

65 Diodore de Sicile, XVII, 1, 4.

66 P. Goukowsky, Essai sur les origines du mythe d’Alexandre, Nancy, 1978-1981 ; P. Faure, Alexandre, Paris, 1985, pp. 209-276 ; C. Mossé, Alexandre, la destinée d’un mythe, Paris, 2001 ; C. Arnold-Biacchi, Alexander’s Coins and Alexander’s Image, Cambridge, 2006.

67 Plutarque, Sur la Fortune d’Alexandre, 331C-D.

68 Plutarque, Vie d’Alexandre, 2, 1.

69 Plutarque, Vie d’Alexandre, 5, 8. Il choisit encore de faire d’Héphaistion un nouveau Patrocle (Arrien, Anabase, I, 12, 1 et VII, 14, 2-4) et aurait souhaité diviniser sa mère (Quinte-Curce, IX, 6, 26 et X, 5, 30). Pour justifier son mariage avec Roxane, il rappelle qu’Achille s’est uni à une captive (Quinte-Curce, VIII, 4, 26).

70 Sur les difficultés d’Alexandre pour monter sur le trône : N. Sekunda et J. Warry, Alexander the Great. His Armies and Compaigns 334-323 B. C., Londres, 1998.

71 Choisi par l’armée, le roi macédonien tire davantage de légitimité politique en brillant au combat qu’en faisant valoir sa filiation directe avec son prédécesseur. À la mort d’Amyntas III en 359, c’est ainsi Philippe II, frère du roi défunt, et non le jeune Amyntas IV qui monte sur le trône. Régent de son neveu dans un premier temps, il est confirmé par l’Assemblée des Macédoniens comme roi après sa campagne victorieuse contre les Illyriens en 359. Sur les institutions macédoniennes : M. Hatzopoulos, Macedonian Institutions under the Kings, Athènes, 1996.

72 Homère, Iliade, II, 701-702.

73 Diodore de Sicile, XVII, 17, 1-3 et Arrien, Anabase, I, 11, 5-6.

74 Plutarque, Vie d’Alexandre, 8, 2 et La Fortune d’Alexandre, 327E-328A.

75 Arrien, Anabase, 1, 11, 7.

76 Plutarque, Vie d’Alexandre, 15, 8.

77 Quinte-Curce, IX, 6, 22. Il souhaite aussi organiser, lors de ses funérailles, un grand combat entre ses Amis (Diodore de Sicile, XVII, 117, 4).

78 Diodore de Sicile, XVII, 97, 3 ; Quinte-Curce, IX, 4, 14.

79 Plutarque, Vie d’Alexandre, 60, 5-6 ; Arrien, Anabase, I, 13, 6.

80 Alexandre présente au combat la même énergie et la même endurance qu’Achille, qui explique ainsi à Agamemnon : « Que me revient-il à la fin d’avoir tant pâti en mon cœur, à jouer chaque jour ma vie au combat (…) ? J’ai passé, moi, d’innombrables nuits sans sommeil, j’ai traversé des jours sanglants à guerroyer, à lutter contre d’autres hommes, afin de leur prendre leurs femmes. J’ai été, avec mes nefs, ravager douze cités d’hommes. Sur terre, j’en compte onze encore prises par moi en Troade fertile. À chacune, j’ai ravi un ample et précieux trésor » (Homère, Iliade, IX, 320-331).

81 D’après Alexandre, « pour le faiseur d’exploits la souffrance est inéluctable » (Arrien, Anabase, VI, 13, 5). Au siège de Gaza en 332, « il se mit alors à saigner abondamment : tout le monde était inquiet (…). Sans même changer de couleur, il donna l’ordre d’arrêter l’hémorragie et de panser la plaie. Il resta longtemps en première ligne, cachant ou surmontant sa douleur » (Quinte-Curce, IV, 6, 18-19). Voir encore : Arrien, Anabase, III, 30, 10 ; IV, 3, 3 et VI, 10, 1-2. Cette capacité à supporter les blessures au combat le rapproche des meilleurs guerriers homériques. Dans l’Iliade, Ulysse définit ainsi l’idéal héroïque au combat : « Je sais que ce sont les lâches qui s’éloignent de la bataille. Celui qui est vraiment un héros au combat, celui-là doit tenir, et de toutes ses forces, qu’il blesse ou soit blessé » (Homère, Iliade, XI, 408-410).

82 Arrien, Anabase, II, 25, 3.

83 Quinte-Curce, IV, 6, 29.

84 Arrien, Anabase, V, 28, 3.

85 D’après Plutarque, Vie d’Alexandre, 27, 9, sa visite à l’oasis d’Ammon est à l’origine d’un bruit (logos) invitant à voir en lui le fils de Zeus.

86 Sur le culte d’Alexandre : C. Habicht, Gottmenschentum und griechische Städte, Munich, 1970 ; G. L. Cawkwell, « The Deification of Alexander the Great : a Note », in Ventures into Greek History, I. Worthington (éd.), Oxford, 1994, pp. 293-306 et E. Badian, « Alexander the Great between two Thrones and Heaven : Variations on an Old Theme », Journal of Roman Archaeology, Suppl. 17, 1996, pp. 11-26.

87 P. Pédech, Historiens compagnons d’Alexandre, Paris, 1984 ; G. Schepens, « Das Alexanderbild in der Historikerfragmenten », in Politische Theorie und Praxis in Altertum, Darmstadt, 1998, pp. 85-99 et J. Auberger, Historiens d’Alexandre, Paris, 2005, pp. 9-27.

88 À l’époque hellénistique, Théocrite, XVI, Les Charites ou Hiéron, 73-81 compare volontiers les exploits d’Achille à ceux de Hiéron II pour le flatter.

89 Aristophane, Les Grenouilles, 1034-1043 (traduction V.-H. Debidour).

90 Platon, République, 606e.

91 Tel est l’avis d’Héraclite le rhéteur au ier siècle de notre ère : « Dès l’âge le plus tendre, à l’esprit naïf de l’enfant qui fait ses premières études, on donne Homère pour nourrice (didaskalia) : c’est tout juste si, dès le maillot, on ne fait pas sucer à nos âmes le lait de ses vers » (Héraclite, Allégories homériques, 1, 5).

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