Chapitre II. Les bruits publics à l’époque classique entre raison et passion, entre collectivité et individu
p. 95-115
Texte intégral
1Considérée par Thucydide comme « l’ébranlement le plus considérable qui ait remué le peuple grec, une partie des Barbares, et pour ainsi dire presque tout le genre humain »1, la Guerre du Péloponnèse constitue un tournant majeur2 de l’histoire des bruits publics en Grèce ancienne. Sous l’action conjuguée de terribles événements3 (comme les conflits longs et meurtriers, les violentes guerres civiles ou même encore la peste), le monde des valeurs traditionnelles semble vaciller. D’après Thucydide, le conflit déchaîne les passions, renforce l’amoralisme4, et provoque une crise religieuse à Athènes5. Profondément marqués par ces événements tragiques, les hommes de lettres reviennent sur les voies traditionnelles de la distinction glorieuse pour accorder leurs louanges aux personnes assez fortes pour ne pas céder au dérèglement des mœurs. La guerre semble définitivement mettre un terme à l’âge des bruits épiques.
2La conception du kleos telle qu’elle est développée par Euripide dans Iphigénie à Aulis permet de mesurer la distance qui sépare le monde des bruits publics classiques de leur prédécesseur homérique. Le chœur de la pièce implore ainsi Aphrodite : « Accorde-moi de plaire avec pudeur, de n’inspirer que des désirs permis (pothoi hosioi), et de connaître ta douceur à l’abri de ta violence. Diverses sont les natures des hommes, diverses leurs manières. Le vrai bien se révèle toujours, et qui le cultive avec soin en cueillera de beaux fruits de vertu. L’honneur, c’est déjà la sagesse. Il a ce don qui le distingue de reconnaître le devoir grâce à l’intelligence (gnômè), et toute la vie en reçoit une renommée (kleos) sans déclin. Il faut donc rechercher la vertu, la femme en évitant les amours clandestines, l’homme en poursuivant sous tous ses aspects, l’ordre (kosmos), grandeur de la cité »6. Euripide développe ici une conception de la belle renommée assez différente de celle proposée par Homère. Elle s’en distingue de deux façons.
3Lorsqu’il rappelle que la gnômè est nécessaire pour gagner un grand kleos, Euripide met en avant une intelligence raisonnable permettant de lutter contre l’emprise des passions ou la séduction des plaisirs, qui empêchent les hommes d’accomplir le bien7. On est loin du kleos homérique qui, dans le cas d’Ulysse, reposait sur la prudente réflexion (epiphrôn boulè) au Conseil comme sur l’intelligence pratique et rusée (mètis) au combat. Qualité humaine éminente chez Euripide8, la gnômè est désormais indispensable pour mener une sage existence9. Dans Iphigénie à Aulis, à Clytemnestre qui le supplie de sauver sa fille, Achille répond ainsi qu’il examine sa conduite à la lumière de la raison sans se laisser emporter par les tourments de son cœur10. Très différent du bouillant héros de l’Iliade, Achille sait, comme les sages, « vaincre l’élan de son cœur irrité »11 en suivant les meilleurs devins (mantis) : la gnômè et l’euboulia12. Il agit en cela comme les autres personnes gratifiées d’une belle renommée dans les œuvres de la fin du ve siècle et de la première moitié du ive siècle. Chez Sophocle, Chrysothémis propose ainsi à sa sœur vengeresse d’écouter sa raison plus que sa colère pour conserver leur belle renommée13. Particulièrement apprécié par ses concitoyens14, Périclès utilise, selon Thucydide, sa gnômè pour mener et contenir les passions de la foule15. Chez Antiphon, Isocrate et Platon, le mérite revient aux hommes vivant selon leur raison et non leurs passions16. Ce sont autant de manifestations d’une nouvelle morale collective qui, située à la confluence entre la morale hoplitique et la philosophie platonicienne ou aristotélicienne, tend à considérer l’homme accompli comme un être parvenant, pour le bien de la communauté civique, à se contrôler en résistant à ses appétits physiques17.
4Alors que, dans l’Iliade et l’Odyssée, Ulysse est l’un des seuls héros à fonder sa renommée sur la réflexion, Euripide estime par ailleurs que tous les hommes doivent s’illustrer par l’intelligence (gnômè)18 et « [poursuivre], sous tous ses aspects, l’ordre (kosmos), grandeur de la cité ». La belle renommée classique s’engage dans une voie civique nouvelle. De la fin de la Guerre du Péloponnèse à l’affirmation de la puissance macédonienne, les auteurs ne cessent de louer les personnes qui garantissent le bien-être de leurs concitoyens, œuvrent pour leur cité et assurent sa prospérité. Il s’agit le plus souvent de se montrer kosmios (réglé) dans sa vie quotidienne. Lysias affirme notamment : « la liturgie la plus difficile, c’est de mener jusqu’au bout une vie honnête et sage (kosmion einai kai sôphrona), de ne pas se laisser vaincre par le plaisir ni entraîner par l’appât du gain, enfin se conduire de manière qu’aucun de nos concitoyens ne puisse se plaindre de nous, ni ne se risque à nous intenter un procès »19. Platon développe une conception semblable dans Les Lois. L’Athénien rappelle en effet qu’à la différence de l’homme modeste et rangé (kekosmèmenos), celui « gonflé d’orgueil, exalté par les richesses, par les honneurs, par la jeune et déraisonnable (anoia) beauté du corps, enflamme son âme de démesure (hybris) (…). Celui-là reste abandonné de Dieu, et c’est la conséquence de cet abandon, il s’adjoint d’autres hommes encore qui lui ressemblent pour bondir dans la confusion et semer partout le trouble (…). Il ne se passe pas longtemps avant qu’il (…) n’ait ruiné de fond en comble sa maison et sa cité. Mais, confronté à cet état de choses, que doit faire et penser l’homme qui a du bon sens, et que doit-il éviter ? »20. L’examen détaillé de quelques bruits propres à l’époque classique permettra sans doute de cerner une partie des éléments de réponse aux deux questions posées par l’Athénien.
LA MAUVAISE RENOMMÉE DES FEMMES ADULTÈRES CHEZ EURIPIDE
5Parmi les passions qui poussent, contre toute raison, à commettre un acte honteux ou criminel, Euripide avance, dans l’extrait précédemment cité, l’adultère féminin. Si le Tragique rapporte quelques bruits sur les tromperies d’un mari21 ou bien fait allusion à la mauvaise renommée d’un adultère22, force est de constater que son théâtre, comme l’essentiel des œuvres de la période concernée, s’intéresse majoritairement aux forfaits commis par des épouses23. Les Thesmophories d’Aristophane suggèrent, par exemple, combien il est fréquent de voir les femmes soupçonnées de ce genre de crimes. Parmi toutes les critiques qui leur sont régulièrement adressées, la majorité concerne leurs relations extra-conjugales qui sont le fruit de passions déchaînées ou d’appétits sexuels excessifs24. Si ce trait de caractère leur est reproché dès l’époque archaïque25, les œuvres littéraires composées à partir de la Guerre du Péloponnèse semblent l’associer plus systématiquement qu’auparavant à leur mauvaise renommée. Les pièces d’Euripide, Hippolyte (428) et Hélène (412), pourraient soutenir cette hypothèse26.
Entre infamie et compassion, la triste renommée de Phèdre et d’Hélène
6Avant d’être subjuguée par un violent amour pour Hippolyte, Phèdre jouit d’une belle renommée (eukleès)27. Elle se révèle cependant incapable de résister à la passion amoureuse que lui insuffle Aphrodite. Effrayée par la honte liée à cet amour interdit28, elle songe à se suicider pour conserver sa noble renommée (phèmè)29 tout comme la fierté des siens30.
7Hélène alimente quant à elle les débats de l’époque classique. Contre la tendance générale consistant à la considérer comme responsable de la Guerre de Troie, certains choisissent de la défendre et de réprouver la renommée d’infamie qu’on lui prête31. Tel est le cas de Gorgias qui montre de la compassion pour une femme « à propos de qui s’est élevée, dans un concert unanime, tout autant la voix, digne de créance, de nos poètes que celle de la renommée (phèmè) attachée à son nom, devenu le symbole des pires malheurs »32. Dans le cadre de ses réflexions sur la culpabilité et le pouvoir de la parole, le sophiste de Leontinoi disculpe l’accusée en montrant qu’elle a agi sous la contrainte33. Pour réhabiliter l’héroïne victime de ses charmes et de la passion humaine34, Isocrate rédige, au ive siècle, un Éloge d’Hélène. Il lui rend hommage en célébrant sa beauté, sa puissance bienfaitrice tout comme son rôle dans l’union victorieuse des Grecs contre les Barbares35.
8Précédé par Stésichore d’Himère au vie siècle qui chante une Hélène innocente, dont seul le fantôme est allé à Troie36, Euripide choisit de la défendre en lui consacrant une pièce portant son nom : elle sera transportée en Égypte par Hermès et confiée à la garde du vertueux Protée ; restée fidèle à Ménélas, Pâris ne pourra qu’enlever son fantôme (eidolon)37. Pour évoquer sa renommée aussi triste qu’injuste, le Tragique choisit une large gamme de termes. Qualifiée à plusieurs reprises de duskleès38, elle laisse derrière elle une mauvaise phèmè39 et une phatis mensongère40. L’adultère qu’elle aurait commis avec Pâris constitue une faute si grave et si honteuse que sa famille et son pays voient leur honneur sali. Incapable de supporter le déshonneur d’Hélène (aischron kleos), sa mère Léda met fin à ses jours41. Les rumeurs sur son adultère ont sans doute également couvert de honte son vieux père42. Dans Les Troyennes, Hécube considère même qu’Hélène est « l’opprobre de Castor et le déshonneur (duskleia) de l’Eurotas »43.
Aux fondements de la mauvaise renommée des femmes adultères
9En confiant ses souffrances à la nourrice, Phèdre s’engage dans un récit riche d’enseignements pour qui désire comprendre les sentiments prêtés par Euripide aux femmes qui, tentées par l’adultère, risquent de compromettre leur renommée (kleos). Elle rapporte effectivement : « L’amour m’avait blessée et je me demandais comment le supporter avec honneur. Pour commencer, je décidai de taire et de cacher mon mal (…). Je résolus ensuite de porter dignement ma démence et que ma vertu pourrait la dominer. Enfin, comme rien n’arrivait à me rendre plus forte que Cypris, je pris le parti de mourir (…). Ma passion consommée m’enlèverait l’honneur, je le savais, et que, ce que je suis, une femme, tous sont d’accord pour l’accabler. Malheur à celle qui, la première, osa souiller son lit en y faisant entrer un étranger (…) ! Je hais aussi celles qui n’ont que pudeur à la bouche, mais qui savent cacher leurs coupables audaces »44. Les haïr certainement, les éviter malheureusement non. N’obéissant qu’à son amour interdit pour Hippolyte, Phèdre s’engage dans une voie aussi audacieuse que périlleuse. Sa triste renommée renverse de ce fait le modèle homérique du kleos fondé sur un geste exceptionnel positif. Elle ne pouvait, à sa décharge, faire autrement. Incapable de résister par sa raison (gnômè)45 à la passion amoureuse46, elle ne parvient pas à se rendre plus forte qu’Aphrodite, à qui l’on attribue volontiers, à l’époque classique, un pouvoir irrésistible47.
10Parmi les désirs placés à l’origine de l’adultère, on relève, chez Euripide comme chez les autres hommes de lettres de la période ici considérée, la folle attirance pour les charmes physiques de l’amant. Tel est le cas pour Hélène. Douée d’une beauté exceptionnelle48, elle est utilisée par Aphrodite pour remporter le concours qui l’oppose à Héra et à Athéna. La femme de Ménélas déplore ainsi : « Ainsi que d’un appât usant de ma beauté (…) et promettant mon lit au berger Alexandre [arbitre du concours], Aphrodite triomphe et Pâris, désertant ses troupeaux de l’Ida, vient à Sparte, assuré de gagner mon amour »49. Alexandre n’est pas le seul à succomber aux charmes physiques d’Hélène50. Accusée dans l’Oreste de savoir perfidement jouer de sa plastique51, elle est capable de faire perdre la raison à bien des hommes. Dans Les Troyennes, Hécube conseille ainsi à Ménélas de s’en méfier tout particulièrement : « à sa vue, fuis ; crains que le désir d’elle ne te reprenne. Elle captive les regards des hommes ; elle ruine les cités, elle incendie les maisons : tant elle possède de charmes ! Moi, toi-même et ses autres victimes, nous la connaissons bien »52.
11Les Troyennes d’Euripide établissent la réciprocité de l’attirance entre les deux amants. Si Pâris succombe aux charmes d’Hélène, elle cède complètement au désir en le voyant. Hécube témoigne ainsi : « Mon fils était d’une rare beauté et c’est ton propre esprit, qui, à sa vue, est devenue Cypris. Les folies impudiques sont toujours Aphrodite aux yeux des humains, et le nom de la déesse commence à bon droit comme le mot aphrosuné [déraison]. Donc, en voyant mon fils dans son costume barbare et tout l’or éclatant, tu sentis ton âme s’affoler. En Argos, tu n’avais qu’un médiocre train de vie ; en abandonnant Sparte pour la cité phrygienne où coule un fleuve d’or, tu espérais pouvoir répandre à flots les prodigalités. Le palais de Ménélas ne suffisait pas à tes besoins de luxe insolent (truphè) »53. La vue de Pâris suscite un profond émoi chez Hélène. S’il s’explique en partie par la grande beauté du jeune homme, il faut reconnaître également que la passion amoureuse d’Hélène est attisée, comme souvent chez les femmes adultères54, par sa somptueuse parure et les richesses phrygiennes. Ainsi mêlé aux désirs sensuels, le goût du luxe barbare attire Hélène sur le chemin de la déraison, qui la conduit directement vers le déshonneur55 et alimente, à travers toute la Grèce, de méchantes rumeurs sur ses penchants56.
12De nombreuses allusions d’Euripide suggèrent enfin que la mauvaise renommée des femmes adultères repose sur leur lascivité. Cette idée est souvent évoquée dans son théâtre : les femmes se tournent plus volontiers que les hommes vers les plaisirs impudiques (môria)57. Telle est non seulement la conception d’Hippolyte58 mais aussi d’Andromaque59 et de Clytemnestre60. Les femmes qui contrôlent difficilement ce penchant naturel trouveraient alors dans l’adultère l’occasion de satisfaire leur goût pour les plaisirs charnels. Si la nourrice estime que Phèdre aurait pu les rechercher dans une liaison adultère61, Clytemnestre et Hécube mettent à l’index le comportement libertin et impudique d’Hélène62. On touche sans doute ici au topos, bien connu à l’époque classique63, de la Spartiate dévergondée et à une mauvaise renommée collective motivée par des modèles de paideia différents64. Contrairement à Athènes, les jeunes filles spartiates ne restent pas confinées à la maison. En plus d’apparaître nues dans les processions, elles doivent s’exercer, dans le cadre de leur éducation, à des activités sportives65. Ces pratiques, surprenantes pour beaucoup, expliquent sans doute leur image de femmes impudiques. Aristote dénonce ainsi leur laisser-aller (anesis) et leur dérèglement66. Dans l’Andromaque d’Euripide, Pélée constate quant à lui : « Même si elle le voulait, une jeune fille ne saurait rester chaste (sôphrôn) à Sparte, où, désertant les maisons avec les jeunes hommes, cuisses nues et péplos flottant, elles partagent, chose intolérable à mes yeux, pistes de course et palestres. Faut-il s’étonner ensuite si les femmes que vous formez sont impudiques ? »67.
Des femmes impies et nuisibles
13Les vœux formulés à l’adresse d’Aphrodite par le chœur de l’Iphigénie à Aulis suggèrent une dernière piste de réflexion pour traiter la question de la renommée des femmes adultères chez Euripide. Lorsqu’il affirme ne vouloir inspirer que des pothoi hosioi (désirs pieux, licites)68, il laisse entrevoir le caractère impie que l’adultère présente aux yeux des Grecs de la fin du ve siècle. De nombreux exemples appuient cette idée dans le théâtre d’Euripide. On reproche aux adultères, stigmatisés par une mauvaise renommée, l’impiété de leurs actes. Dans la tragédie portant son nom, le chœur assure ainsi au sujet d’Hélène : « la rumeur de la terre hellénique t’a proclamée infidèle et traîtresse, femme sans justice et sans dieu »69. Oreste comme Électre accusent leur mère de s’être comportée comme une femme sacrilège en ayant eu un commerce infâme avec un amant lui-même impie, Égisthe70. Cette conception est largement partagée par les autres hommes de lettres. Alors que Platon reconnaît aux hommes et aux femmes vivant dans la fidélité une existence suivant les lois de la sainteté (hosiôs) et de la justice (dikaiôs)71, Démosthène rappelle que « les seules femmes auxquelles les lois interdisent l’accès des sanctuaires publics, ce sont les femmes adultères (….) [afin d’]écarter des choses sacrées les souillures et les impiétés »72.
ANTIGONE AU SERVICE DE SON PÈRE
14Tout est affaire de protection mutuelle à l’intérieur de la famille. Autant le père doit protéger les siens73, autant ils doivent se mettre à son service. Il en va ainsi des épouses comme des enfants. La bonne renommée revient, dans les sources de la période considérée, à ceux qui parviennent à s’acquitter de cette tâche. Alors qu’Andromaque est récompensée par un noble klèdôn pour avoir su agir en épouse soumise et attentionnée74, Antigone espère recevoir une belle renommée (kleos) en servant son père en exil. Dans Les Phéniciennes, elle déclare : « Je laisse à mes amies regrets et larmes, et je m’en vais au loin mener la vie errante qui sied le moins aux jeunes filles. Hélas ! En mettant tout mon cœur au service de mon pauvre père, j’en aurais certes quelque [belle renommée] (euklea) »75. Si la piété filiale est déjà estimée dans la littérature archaïque76, les sources de l’époque classique sont cependant les premières à l’associer à la renommée77.
15Signe du vif intérêt porté par les Grecs de la fin du ve siècle à cette question, la littérature classique accorde une importance toute particulière aux mauvais fils. À la différence d’Antigone dont l’aide apportée à son père est récompensée par un noble kleos, les enfants qui ne respectent pas leurs parents sont, chez Platon, dénoncés par phèmè78. Les sources leur reprochent souvent d’insulter leurs parents79, de les négliger80, de s’opposer à eux81, de les dénoncer82, de les battre83, de refuser de les nourrir84 ou bien encore de ne pas s’occuper de leurs funérailles85.
16À l’inverse, les personnes louées pour leur piété filiale partagent les qualités indispensables pour obtenir une bonne renommée. À l’instar d’Antigone chez Euripide86, elles se distinguent avant tout par leur sôphrosunè87. Chez Aristophane, elles s’illustrent par leur audace nécessaire pour suivre un raisonnement droit et pour connaître leurs devoirs envers leurs parents88. Les mauvais fils, eux, brandissent, à l’image de Phidippide dans Les Nuées, un raisonnement tordu pour prouver l’utilité de battre leurs parents89 tandis que l’être tyrannique dominé par ses passions dépouille, chez Platon, ses géniteurs90.
17Le respect des parents est d’ailleurs considéré comme un acte pieux91. Les fils irrespectueux risquent d’encourir, comme le disent certaines maximes (phèmai), la haine des dieux et celle des hommes92.
18C’est qu’ils sont tout d’abord considérés comme nuisibles à leur communauté. On craint qu’ils emploient contre leurs concitoyens la violence dont ils usent à l’égard de leurs parents et compromettent ainsi le salut de leur cité93. À Athènes, une procédure de vérification des bonnes mœurs, la dokimasie, est censée leur fermer l’accès à l’archontat94 et à la tribune de l’Assemblée95.
19On estime par ailleurs que leur attitude bafoue les lois naturelles et humaines. Démosthène rapporte effectivement qu’« il faut apporter comme il se doit une aide à ses parents, déterminée tout à la fois par la nature et la loi, et s’en acquitter bien volontiers »96. La remarque ne surprend pas chez les Grecs de la fin du ve siècle, pour qui l’amour filial de certains oiseaux est érigé en modèle. Aristophane évoque à ce sujet les pelargikoi nomoi qui imposent aux cigognes de nourrir leurs parents97. Reconnu par Platon et sans doute par Sophocle98, ce comportement animal mérite d’être appliqué systématiquement par l’homme puisque, selon les dires de Xénophon, il est « le plus disposé d’entre tous les animaux à rendre à ses parents vivants ou morts les soins qu’il en a reçus »99. Loi naturelle, la piété filiale est également reconnue, par Hippias, comme une loi non écrite admise par tous les hommes100. On comprend alors la gravité du forfait commis par les fils irrespectueux. En manquant de respect à leurs parents, ils portent atteinte aux liens fondamentaux qui unissent les membres d’une communauté et menacent ainsi directement son bon fonctionnement.
20Si la piété filiale a toujours été louée, le contexte historique de la fin du ve siècle explique sans doute que les Grecs y portent davantage attention. Plusieurs événements, comme la violence qui se déchaîne pendant la Guerre du Péloponnèse, la peste athénienne et l’enseignement des sophistes, ont sans doute conjugué leurs effets pour mettre à mal le respect des valeurs traditionnelles. Alors qu’Athènes connaît de graves désordres au début du conflit qui incitent chacun, selon Thucydide, à ne craindre ni les dieux ni les lois humaines101, les sophistes ont, quant à eux, posé la question de l’autorité des lois et de la morale traditionnelle. Les Nuées d’Aristophane se font l’écho de telles discussions. Après avoir suivi l’enseignement de Socrate, Phidippide critique le bien-fondé de l’obligation de respecter son père : « N’était-il pas un homme, celui qui le premier établit cette loi, un homme comme toi et moi, et n’est-ce pas par la parole qu’il persuadait les anciens ? Serait-il donc moins permis à moi d’établir également pour l’avenir une loi nouvelle d’après laquelle les fils pourront battre les pères à leur tour ? »102. Les comédies d’Aristophane évoquent ainsi à plusieurs reprises des réformes farfelues et la mise en place de nouvelles lois contrecarrant directement la piété filiale traditionnelle103. Comme les projets idéalistes de Platon portant sur la question104, les pièces d’Aristophane expriment sans doute en cela des préoccupations propres à la fin du ve siècle. Dans cette atmosphère intellectuelle particulière, on comprend que les auteurs aient pu accorder une belle renommée aux personnes qui s’efforçaient, par une sage réflexion, de se distinguer en respectant leurs devoirs filiaux et en défendant les idéaux sociaux de la cité.
RUMEURS, ENRICHISSEMENT PERSONNEL ET DILAPIDATION DE FORTUNE
21« Il n’est de la vertu (euandria) aucune marque sûre et le désordre règne dans les natures qu’ont en partage les humains (…). J’ai vu chez l’homme riche la disette d’esprit et la grandeur de l’âme (gnômè) dans le corps du pauvre. Dès lors, quel signe choisira-t-on pour juger sainement ? La richesse ? C’est un bien mauvais juge que l’on prendra »105. Alors que l’Odyssée accordait un noble kleos aux personnes opulentes, Euripide refuse de retenir la richesse comme critère pour estimer un homme de bien. Dans un monde en désordre, bouleversé par la Guerre du Péloponnèse comme par la mobilité des fortunes à la fin du ve siècle et au ive siècle106, la qualité et l’honnêteté d’un homme ne peuvent plus s’évaluer à l’aune des richesses. Il lui faut user de la gnômè pour s’illustrer. La belle renommée s’obtient par un comportement réfléchi et non par des biens abondants. Cette conception n’est pas propre à Euripide.
22Confrontés aux mêmes bouleversements économiques et sociaux, les autres auteurs rapportent des rumeurs qui s’attachent moins à célébrer le niveau de fortune d’un homme que son attitude sage et tempérante face à elle. Probables témoins d’une économie morale traditionnelle qui accepte difficilement la rapidité des mutations socio-économiques107, elles condamnent surtout les hommes qui ont rapidement changé de condition sociale en s’enrichissant trop vite ou bien en dilapidant les richesses familiales.
Toussicard chez les barbiers ou la rumeur sur un enrichissement soudain
23La rumeur rapportée dans le Ploutos sur l’enrichissement de Toussicard fournit des informations utiles pour apprécier les critiques couramment émises à l’encontre des nouveaux riches athéniens au début du ive siècle. Aristophane évoque ce bruit lors d’une discussion entre Toussicard [Chrémylos] et Lœilauguet [Blépsidémos]108 : « Lœilauguet [à part] : Qu’est-ce que ça peut être que cette histoire ? Par quelle source et par quel moyen Toussicard est-il subitement devenu si bien argenté ? Je n’arrive pas à y croire. Et pourtant, saperlipopette, chez les coiffeurs, les clients ne parlaient que de l’enrichissement subit du bonhomme (…). [À Toussicard] C’est donc vrai ce qu’on dit ? Tu es devenu riche ? (…). Devenir comme ça tout soudain super-richissime, et là-dessus être dans les transes, c’est le trait d’un homme dont la conduite ne dit rien de bon (…). Et si tu as volé, morbleu ? Si tu reviens de là-bas avec de l’or ou de l’argent pris dans le trésor du dieu, et qu’à présent tu aies du remords (…). Il n’y a rien, chez personne, qui soit absolument à l’abri de la contagion. Devant le profit, personne ne résiste (…). Comme il est changé ! Elle est loin sa conduite d’antan (…) ! Même son regard qui ne tient pas en place, et qui dénonce évidemment en lui un malfaiteur (…) ! ». Toussicard : « Tu crois que j’ai commis un larcin, et tu cherches à obtenir ta part (…) ! ». Lœilauguet : « Ce n’est pas un larcin ? Alors, un vol à main armée ? (…). Écoute, mon cher, moi je veux bien t’arranger la chose aux moindres frais, avant que toute la ville soit informée »109.
24Comme le suggère la rumeur, les Athéniens du ive siècle portent un intérêt tout particulier aux personnes les plus argentées de leur communauté. Aristophane n’est pas le seul à en témoigner. Lysias rappelle que les Athéniens cherchent souvent à évaluer la fortune des hommes en vue : « Bien des gens paraissaient riches de leur vivant, qui, après leur mort, ont démenti l’opinion que vous en aviez. Par exemple, Ischomachos : tant qu’il vécut, tout le monde lui attribuait, paraît-il, plus de soixante-huit talents (…). De même pour la succession de Nicias : on ne l’évaluait pas à moins de cent talents (…). Il n’y a donc pas de doute : on fait de grosses erreurs aussi bien sur d’anciennes fortunes que sur de prétendus nouveaux riches »110. Ce sont surtout les nouveaux riches qui attirent le plus les regards. En amassant rapidement de grandes fortunes, ils changent de condition sociale et passent de l’obscurité à la lumière111. La rapidité de leur ascension, qui perturbe sans doute l’ordre social traditionnel, est souvent mal vécue. Si leur grossièreté est stigmatisée112, le changement rapide de leur condition est quant à lui disqualifié en étant comparé à celui des tyrans113. Ils sont également condamnés pour leur amour du gain qui fait d’eux des citoyens inutiles à la cité. L’accumulation rapide de richesses considérables pourrait effectivement laisser entendre qu’ils ne visent qu’un objectif : l’enrichissement personnel.
25L’image des nouveaux riches est d’autant plus noire qu’ils sont soupçonnés de faire fortune sans recourir à des moyens légitimes comme le travail assidu, sage et intelligent114. La rumeur sur Toussicard imagine qu’il a bâti sa fortune grâce à des malversations. Cette critique nourrit toute la pièce d’Aristophane. Il dénonce, à plusieurs reprises, la mauvaise répartition de la richesse qui, dans un monde à l’envers, privilégie injustement les gens malhonnêtes115. Défenseur de la richesse stable et héréditaire contre celle des nouveaux riches, Aristophane condamne à l’inverse la pauvreté des gens honnêtes116. Cette situation injuste se comprend par l’extraordinaire pouvoir de séduction de l’argent qui pousse irrésistiblement les hommes à commettre des forfaits. Alors qu’Aristophane assure que « devant le profit personne ne résiste », Euripide déplore que les misérables enrichis tout à coup perdent la mesure117. Platon constate que la richesse jouit chez les hommes d’une renommée (phèmè) si grande qu’elle enfante mille désirs insatiables et sans bornes118. Il ajoute encore : « La passion de l’enrichissement ne laisse à aucun moment le loisir de se soucier d’autres choses que ses biens personnels (…). La soif inassouvie d’or et d’argent fait que tout homme est disposé à accepter tout métier, tout expédient honorable ou déshonorant s’il doit l’enrichir, et à commettre toute action pie, impie et pleinement infâme, sans aucun scrupule »119.
26La rumeur sur Toussicard permet d’envisager les diverses malversations mises en œuvre par les nouveaux riches afin de satisfaire leur amour du gain. Pour expliquer le soudain enrichissement de Toussicard, Lœilauguet recourt à l’hypothèse du larcin120 ou bien encore, délit fréquemment dénoncé à l’époque classique, à celle du vol d’un sanctuaire. Ce forfait passible de la peine de mort121 serait susceptible de causer la perte des États122. Il serait, selon Platon, l’œuvre téméraire d’hommes impies dominés par une folie criminelle123. Les marginaux, tels les esclaves, les étrangers, les esclaves des étrangers ou bien encore les tyrans124, y auraient recours plus souvent que les citoyens.
27Euripide décrit dans Andromaque une rumeur d’un genre comparable, qui coûtera la vie à Néoptolème. Il fait peut-être indirectement allusion à un vol qui aurait été commis, d’après Thucydide, dans le sanctuaire de Delphes durant l’hiver 424-423125. Les criminels pourraient, selon Éd. Delebecque, s’identifier à Néoptolème injustement accusé d’être venu à Delphes pour saccager et piller le temple. Le messager d’Andromaque décrit ainsi le stratagème monté par Oreste pour se débarrasser de lui : « Et le fils d’Agamemnon, parcourant la cité, à l’oreille de chacun tenait ces propos hostiles : “Voyez-vous cet homme qui parcourt les retraites du dieu emplies d’or, les trésors édifiés par les mortels ? De nouveau il est ici, comme il était venu jadis, pour saccager le temple de Phoibos”. Alors déferla dans la ville une rumeur (rhothos) sinistre »126.
Callias, fils prodigue ?
28Accusé en 399 d’avoir déposé pendant les Mystères, au mépris d’une loi des aïeux, un rameau de suppliant dans l’Éleusinion d’Athènes127, Andocide se défend en présentant l’instigateur du procès, Callias, fils d’Hipponicos128, comme un débauché. L’orateur utilise à cette fin de méchantes rumeurs qui auraient dénoncé, dans la seconde moitié du ve siècle, les prodigalités de son adversaire : « Si vous vous rappelez le temps où Athènes, au comble de la prospérité, commandait à la Grèce, et où Hipponicos était le plus riche des Grecs, vous savez qu’alors un bruit (klèdôn) courait par toute la ville, répété par les petits enfants et les bonnes femmes : “[Hipponicos nourrit dans sa maison un être criminel] qui met sa banque à l’envers”. Cette rumeur (phèmè) qui courait alors, comment pensez-vous qu’elle se soit vérifiée ? [Le criminel] qu’à son insu nourrissait Hipponicos, c’était son propre fils qui a ruiné sa fortune, sa santé morale (sôphrosunè), sa vie entière. Votre sentence doit frapper cet homme comme étant le mauvais génie d’Hipponicos »129. Habile, la stratégie d’Andocide répond à la fois aux critiques retenues par les détracteurs de Callias et, d’une façon plus générale, aux reproches adressés par les hommes de lettres d’époque classique aux mauvais riches.
29La rumeur citée par Andocide reprend en grande partie les méchants bruits qui, entretenus par ses adversaires, ont décrédibilisé Callias tout au long de son existence. Si l’on se fie aux perfides accusations de Lysias datant de 387, il aurait dilapidé l’immense fortune familiale bâtie grâce aux revenus de propriétés en Attique et des mines du Laurion130 : « Callias, fils d’Hipponicos, au lendemain de la mort de son père, passait pour l’homme le plus riche de la Grèce : ne dit-on pas que son grand-père avait estimé sa fortune à deux cents talents ? Eh bien, le cens (timèma) qui lui est attribué aujourd’hui est inférieur à deux talents »131. Très sévère, l’accusation est contredite par des épigrammes qui le disent suffisamment riche pour posséder, dans le premier quart du ive siècle, une écurie de courses capable de concourir aux quatre grands concours panhelléniques132.
30L’essentiel pour ses détracteurs est sans doute de le ranger aux côtés des mauvais riches qui sont régulièrement condamnés par les hommes de lettres en raison de leur incapacité à se maîtriser devant leur immense fortune133 et leur propension à se perdre dans des dépenses irréfléchies134, insatiables135 et impies136. À l’instar des autres fils prodigues dominés par leurs passions137 ruineuses, tels que le jeu de dés138, les prostituées139 ou le goût du luxe, Callias est soupçonné, par Eupolis dans ses Kolakes, de dilapider ses biens pour entretenir des parasites à qui il laisse porte ouverte. Accusé par Andocide d’avoir fréquenté en même temps une fille et sa mère140, il est encore l’objet de on-dit calomnieux chez Aristophane selon lesquels il aurait dépensé des sommes immenses pour assouvir ses débauches sexuelles141. Encore une fois, les accusations sont sévères et cadrent mal avec les témoignages élogieux de Platon et de Socrate. C’est notamment dans ses maisons de Mélitè et du Pirée que se déroulent le Protagoras et le Banquet de Xénophon. Il aurait, à cette occasion, agi comme un hôte affable, généreux et pourvu de vertu (andragathia)142.
31De la rumeur sur ses prodigalités, Andocide entend tirer parti en montrant que Callias bafoue le code de conduite imposé aux jeunes hommes de riches familles143. Elle lui permet de le présenter comme un criminel (alitèrios) dangereux pour son entourage comme pour sa cité. Par le gaspillage des richesses de sa famille, il met en danger sa survie et sape les fondements sur lesquels reposent l’autorité et la réputation de son père144. Contre l’usage beau et correct de la fortune qui impose de réaliser, par le biais des liturgies, des dépenses utiles à la communauté145, ses dépenses risquent de l’entraîner dans une mollesse (truphè) néfaste pour la cité146. Les plaisirs procurés par la richesse sont susceptibles de faire des hommes qui y sont sensibles de mauvais citoyens, jouisseurs et vicieux147. On soupçonne volontiers ces êtres dépensiers, peureux148 et paresseux149 d’être incapables de gérer correctement les fonds publics150, de travailler ou encore de se battre vaillamment.
32Le goût pour la truphè pourrait aussi placer Callias du côté des Barbares, que les auteurs classiques ont tendance à représenter comme amollis par le luxe151. Xénophon estime ainsi que les Perses ne cherchent plus à « s’endurcir physiquement par l’exercice et la sueur »152 car ils sont tombés dans le luxe et la mollesse des Mèdes153, qui les poussent à manger excessivement, boire jusqu’à l’ivresse, se couvrir chaudement et s’allonger sur d’épais tapis et non à supporter la dure vie de soldat154. Leur conduite est, selon Isocrate, la marque de personnes qui n’ont aucunement le souci de l’État155.
33Injustes, les bruits dénonçant Callias le sont certainement. Capable d’exercer les fonctions qu’Athènes lui confie durant la Guerre du Péloponnèse156, il est encore en mesure de protéger sa cité de ses ennemis en 390, lorsqu’il contribue, en tant que stratège, à anéantir un bataillon spartiate près de Corinthe157. Utile, la rumeur sur les prodigalités de Callias l’est encore davantage pour Andocide. Arme politique au service de sa plaidoirie, elle lui permet de remporter le procès contre Callias en jouant sur les craintes d’une cité qui entretient la nostalgie d’une époque fantasmée où les riches ne contribuaient pas, par leurs folles dépenses, à déstabiliser un ordre social durement éprouvé par la Guerre du Péloponnèse.
LES ON-DIT SUR L’EXPÉDITION DE SICILE158 ENTRE LA PEUR DU NOMBRE ET LE DÉCHAÎNEMENT DES PASSIONS
34À chaque époque, son bruit militaire. L’étude des rumeurs annonçant l’arrivée de foules ennemies doit moins souligner leur fréquence d’une époque à l’autre qu’établir leur singularité historique.
35Chez Homère, les rumeurs de guerre sont étroitement associées à la belle renommée militaire des héros. Au chant XI de l’Iliade, des bruits annoncent, à travers le monde grec, l’imminence de la Guerre de Troie, durant laquelle les Achéens comme les Troyens vont pouvoir s’illustrer. Une rumeur (kleos) apprend ainsi au roi de Chypre, Cinyras, que « les Achéens avec leur flotte vont faire voile pour Troie »159. L’emploi du terme kleos n’est pas neutre. Le sujet de la rumeur-kleos sera repris et chanté par les aèdes, qui, pourront comme l’espère Hector, faire parvenir aux hommes à venir le récit des exploits héroïques et, de cette façon, la renommée-kleos de leurs auteurs160.
36Au début du ve siècle, les bruits de guerre se focalisent surtout sur l’ampleur des effectifs militaires. Considéré encore comme un atout de première importance161, le nombre d’hommes est alors à l’origine de rumeurs qui ont pu semer la panique dans les communautés assiégées. À chaque fois, on redoute d’être encerclé puis noyé sous les masses ennemies. Tel est le cas du chœur des Sept contre Thèbes assailli par l’armée de Polynice162 mais aussi, selon Platon, des Grecs menacés par l’expédition de Datis en 490 : « Dix ans à peu près avant la bataille navale de Salamine, Datis arriva à la tête d’une expédition perse, lancée par Darius contre les Athéniens et contre les Érétriens, avec ordre exprès de les ramener les fers aux pieds et menace de mort en cas d’insuccès. Il ne fallut pas longtemps à Datis pour s’emparer par la force de l’Érétrie à la tête de troupes innombrables. Et il laissa se répandre dans notre cité une rumeur (logos) effrayante : pas un Érétrien ne lui avait échappé, car, disait-on, les soldats de Datis s’étant donné la main avaient pris comme une senne tout le territoire de l’Érétrie. Cette rumeur (logos), qu’elle fût vraie ou erronée, frappa de stupeur tous les Grecs en général et les Athéniens en particulier »163. Il faut replacer cette rumeur dans la stratégie du Grand Roi, qui vise à mener une guerre psychologique aux insulaires en leur démontrant que les récalcitrants seront les seuls à être impitoyablement traités. À la différence des Grecs qui reçoivent sa protection après s’être soumis à son autorité164, les Érétriens et les Athéniens sont promis à un dur châtiment165. Outre la destruction de leurs sanctuaires166, le Grand Roi envisage de réduire à néant leur cité en la dépeuplant. Il emploie à cet effet un stratagème déjà éprouvé167. Fondé sur la supériorité des effectifs perses, il consiste, comme le rapporte Hérodote au sujet de la conquête des îles ioniennes en 493, à s’emparer de la population adverse en l’encerclant168. Comme le laissent entendre les images d’Eschyle comparant l’armée de Xerxès à des forces élémentaires en furie s’abattant sur les Grecs169, l’impression d’être submergés par les hordes barbares est sans doute ressentie encore plus fortement par les Grecs en 480. Des on-dit terrifiants assurent effectivement qu’une immense armée170 déferle sur la Grèce. Elle assècherait les lacs et les rivières171, aurait mis sept jours et sept nuits à défiler sous les yeux du Grand Roi172 et masquerait le soleil par les flèches de ses archers173. Ces on-dit typiques du début du ve siècle constituent un antécédent déterminant pour les bruits nés lors des conflits qui déchireront le monde grec jusqu’à l’affirmation de la puissance macédonienne.
37Les on-dit sur l’expédition de Sicile174, qui bouleversent Syracuse en 415175, se situent à la croisée entre deux mondes. S’ils se nourrissent du topos des foules ennemies menaçantes, largement utilisé au temps des Guerres Médiques, ils se distinguent également par des caractéristiques propres aux bruits de la fin du ve siècle.
38L’émotion des Syracusains s’explique tout d’abord par le caractère exceptionnel de l’expédition athénienne. Aucune cité grecque n’avait jusqu’alors été assez puissante et assez audacieuse pour acheminer sur une distance aussi importante une telle armada176. Fruit du déchaînement des appétits athéniens177 et de on-dit mensongers lancés à des fins stratégiques par les Égestéens pour exagérer les richesses de leur cité178, l’entreprise paraît d’ailleurs si invraisemblable que bon nombre de Syracusains nient son existence179. Les personnes qui annoncent partout l’arrivée des Athéniens passent pour des insensées180. Athénagoras estime quant à lui que ce sont des perfides voulant effrayer les Syracusains pour s’emparer du pouvoir181.
39D’autres Syracusains, à l’image d’Hermocratès182, croient à la réalité de l’expédition et écoutent avec d’autant plus d’attention ces bruits qu’ils annoncent une terrible menace pour la cité. Celle-ci est d’abord d’ordre militaire. L’ampleur des effectifs de l’armée athénienne est redoutable. À cette époque, le nombre de soldats est encore considéré comme un fondement de la puissance militaire183 et alimente toujours de ce fait les bruits de guerre184. Même s’il peut être contré par la valeur, le courage et l’expérience185, il rassure les troupes qui détiennent cet avantage186 et effraie celles qui ne peuvent s’en prévaloir187, et ceci d’autant plus qu’elles prêtent l’oreille, comme lors des Guerres Médiques, à des bruits amplifiant le nombre des adversaires188.
40Les on-dit sur l’expédition athénienne sont d’autant plus effrayants que ce sont précisément des Athéniens qui ont l’initiative. Leur réputation les a devancés en Sicile. On redoute qu’ils asservissent violemment les Syracusains, en commettant des exactions comparables à celles qu’ils ont précédemment infligées aux Méliens189. Gylippos et les stratèges syracusains décriront ainsi les Athéniens pour encourager leurs troupes : « Des ennemis mortels, vous le savez tous, voilà ce que sont ces gens qui sont venus pour asservir notre pays ; s’ils avaient été vainqueurs, ils auraient infligé aux hommes les pires traitements, aux enfants et aux femmes l’ignominie totale, à la cité entière le plus infâme de tous les noms »190. À l’instar d’autres bruits nés durant la Guerre du Péloponnèse191, les on-dit sur l’expédition de Sicile mettent désormais en exergue la cruauté des Grecs. Contemporains d’un conflit qui, selon Thucydide, déchaîna les passions et vit fondre sur la Grèce des malheurs en une proportion jusque-là inconnue192, ces bruits dénoncent la violence et la fourberie malfaisante dont les belligérants ont pu faire preuve entre eux. Ils se démarquent ainsi de leurs prédécesseurs qui stigmatisaient surtout la cruauté des Barbares au combat. Il ne s’agit pas ici de prétendre que les Grecs n’ont auparavant jamais agi avec cruauté, mais de constater que les sources de la fin du ve siècle intègrent ce thème dans la vision interne du répertoire des bruits publics.
41Il faut revenir, dans un premier temps, sur la place occupée par la Guerre du Péloponnèse dans l’histoire des bruits publics en Grèce ancienne. Elle ne constitue pas une coupure nette et franche, susceptible de bouleverser complètement l’univers des rumeurs et des renommées. La trame générale du répertoire thématique des bruits publics est conservée dans le dernier tiers du ve siècle et dans la première moitié du ive siècle. Les sources prêtent alors une grande attention aux bruits militaires ou à ceux dénonçant les faits de mœurs. Elles accordent également à ces bruits des fondements identiques à ceux sur lesquels ils reposaient dans les périodes précédentes. Les rumeurs et les renommées se focalisent ainsi essentiellement sur les personnes s’illustrant par un acte exceptionnel et audacieux, qui engage, en bien ou en mal, l’avenir de leur communauté ou de leur famille. Les plus belles renommées reviennent le plus souvent aux personnes pieuses et courageuses, capables de sacrifier leurs intérêts personnels à leur cité.
42Ces constats ne doivent cependant pas masquer les différentes évolutions survenues à partir du conflit. Le répertoire thématique des bruits publics s’élargit. Il comprend désormais des bruits s’intéressant aux devoirs des membres d’une famille ou bien encore au comportement irréfléchi des hommes face aux richesses. Ces bruits d’un genre nouveau se font probablement l’expression d’un monde grec profondément déboussolé, acceptant difficilement les changements culturels, économiques et sociaux du milieu de l’époque classique. La plupart condamnent les évolutions en cours qui paraissent entraîner la cité sur la voie de la dégénérescence morale. Contre l’ébranlement des valeurs traditionnelles, provoqué par le conflit et l’enseignement des sophistes, ils célèbrent les hommes capables d’agir pieusement à l’égard de leurs parents comme de leur communauté. Ils dénoncent par ailleurs les personnes changeant trop rapidement de condition sociale, grâce à un enrichissement soudain ou bien à cause de la dilapidation de la fortune paternelle. À chaque fois, ils louent les comportements raisonnés, qui ne se laissent pas emporter par le déchaînement des passions.
43Les devoirs moraux, qui guident les bruits publics de l’époque classique, paraissent incomber à chacun. Alors que les bruits homériques concernaient essentiellement une poignée de héros soutenus par les dieux, ceux de l’époque classique semblent prendre pour cible un grand nombre de personnes. Le temps des bruits héroïques semble ainsi définitivement laisser la place à celui des bruits civiques.
Notes de bas de page
1 Thucydide, I, 1.
2 Sur la situation d’Athènes aux lendemains de la guerre, voir notament C. Mossé, La fin de la démocratie à Athènes. Aspects sociaux et politiques du déclin de la cité grecque au ive siècle avant JC, Paris, 1962 ; Histoire d’une démocratie : Athènes, des origines à la conquête macédonienne, Paris, 1971, pp. 99-114 ; Sacrilèges et trahisons à Athènes, Paris, 2009, pp. 143-168. Pour la crise des valeurs traditionnelles dans l’Athènes de la fin du ve siècle : Ed. Lévy, Athènes devant la défaite de 404. Histoire d’une crise idéologique, Paris, 1976, pp. 83-110.
3 Thucydide, I, 23.
4 Thucydide, II, 53, 2.
5 Thucydide, II, 53.
6 Euripide, Iphigénie à Aulis, 555-572 (traduction M. Delcourt-Curvers).
7 Euripide, Hippolyte, 381-383.
8 La remarque d’Euripide portant sur l’intelligence (gnômè) de Méléagre soutient cette supposition (Euripide, Les Suppliantes, 904). Euripide, Hélène, 1013-1016 va jusqu’à diviniser la Raison, en faisant de gnômè un principe immortel.
9 Voir P. Huart, GNÔMÈ chez Thucydide et ses contemporains, Paris, 1973.
10 Euripide, Iphigénie à Aulis, 919-923.
11 Euripide, Les Bacchantes, 641.
12 Euripide, Hélène, 757.
13 Sophocle, Électre, 992-1014.
14 Thucydide, II, 65, 8.
15 Thucydide, II, 22, 1.
16 Antiphon, V, Sur le meurtre d’Hérode, 69, 72 ; Isocrate, I, À Démonicos, 21 ; Platon, République, 573a-b et 565d sq et Les Lois, I, 647c-d.
17 Sur l’émergence d’un nouveau modèle d’homme au ive siècle : G. Cambiano, « Devenir homme », in J.-P. Vernant (dir.), L’homme grec, Paris, 1993, pp. 121-170 (en particulier p. 160 et pp. 166-167). Sur la morale populaire au ive siècle : K. Dover, Greek Popular Morality in Time of Plato and Aristotle, Oxford, 1974.
18 Phèdre reconnaît ainsi dans Hippolyte : « Ce n’est point, je crois, par naturelle infirmité d’esprit (gnômè) que [les hommes] font le mal, car un sens droit (eu phronein) est en partage à la plupart » (Euripide, Hippolyte, 377-379 ; traduction M. Delcourt-Curvers).
19 Lysias, XXI, Défense d’un anonyme, 19 (traduction L. Gernet et M. Bizos).
20 Platon, Les Lois, IV, 716a-b (traduction L. Brisson et J.-F. Pradeau).
21 Euripide, Hippolyte, 123-169.
22 Euripide, Hippolyte, 1025-1031 et 1298-1299.
23 Sur l’image des femmes dans la tragédie grecque classique, consulter par exemple C. Mossé, La femme dans la Grèce antique, Paris, 1983, rééd. 1991, pp. 103-125 et L. Bruit Zaidman, « Le discours masculin/féminin sur le genos gunaikôn dans la tragédie grecque », in V. Sébillotte Cuchet et N. Ernoult, Problèmes du genre en Grèce ancienne, Paris, 2006, pp. 147-158. Sur la sexualité des femmes à l’époque classique, voir notamment P. Brulé, Les femmes grecques à l’époque classique, Paris, 2006, pp. 95-144.
24 Le discours de la présidente des Thesmophories reprend ainsi les critiques traditionnelles adressées aux femmes et dont Euripide se fait souvent l’écho (Aristophane, Thesmophories, 331-351 et 383-413).
25 Voir ainsi le mythe de Pandore chez Hésiode, Les Travaux et les Jours, 57sq et l’Iambe des femmes de Sémonide d’Amorgos.
26 Voir aussi G. Pauliat-Golberry, La femme chez Euripide, Limoges, 1990.
27 Euripide, Hippolyte, 1-51.
28 Euripide, Hippolyte, 682-694.
29 Euripide, Hippolyte, 767-775.
30 Euripide, Hippolyte, 419-423.
31 Sur la relecture moderne du mythe d’Hélène, inspirée par les sophistes : B. Cassin, L’effet sophistique, Paris, 1995.
32 Gorgias, Fragmenta, fr. 11. 9 (Browse).
33 Sur la culpabilité d’Hélène et le problème de sa responsabilité : S. Saïd, La faute tragique, Paris, 1978, et en particulier, pour Gorgias, pp. 193-198 et 253-256.
34 Isocrate, IX, Éloge d’Hélène, 55.
35 Isocrate, IX, Éloge d’Hélène, 54-66.
36 Platon, Phèdre, 243a et République, IX, 586b. Pour une étude d’Hélène dans les textes antérieurs à Euripide (Homère, Stésichore et Hérodote) : N. Loraux, « Le fantôme de la sexualité », in Les expériences de Tirésias, le féminin et l’homme grec, Paris, 1989, pp. 232-252 et N. Austin, Helen of Troy and Her Shameless Phantom, Ithaca, 1994.
37 Sur l’Hélène d’Euripide : C. Segal, « The Two Worlds of Euripides’ Helen », TAPhA, 102, 1971, pp. 553-614 ; S. Novo Taragna, « Forma linguistica del contrasto realtà-apparenza nell’Elena di Euripide », in E. Corsini (éd.), La polis e il suo teatro, Padova, 1986-1988, I, pp. 127-147 ; S. G. Meltzer, « Where is the Glory of Troy ? Kleos in Euripides’ Helen », Cl. Ant., 13, 1994, pp. 234-255.
38 Euripide, Hélène, 270 et Oreste, 249-250.
39 Euripide, Hélène, 614-615.
40 Euripide, Hélène, 249-251.
41 Euripide, Hélène, 134-136 ; 280-281 ; 686-687.
42 Euripide, Hélène, 720-721. Une rumeur (baxis) affirme ainsi qu’Hélène partage la couche d’un Barbare (Euripide, Hélène, 223-225).
43 Euripide, Les Troyennes, 132-133 (traduction L. Parmentier et H. Grégoire).
44 Euripide, Hippolyte, 392-414 (traduction L. Méridier).
45 Euripide, Hippolyte, 391 et 1301-1306.
46 Démosthène, XL, Contre Boeotos, II, 8-9, 51 (epithumia) ; Isocrate, III, Nicoclès, 40 et Platon, Les Lois, VIII, 841c-e reconnaissent aussi que les adultères sont esclaves de la passion (epithumia).
47 Euripide, Hippolyte, 443 ; Platon, Les Lois, VIII, 840d-e. Voir aussi G. Pironti, Entre ciel et guerre : figures d’Aphrodite en Grèce ancienne, Liège, 2007.
48 Euripide, Hélène, 229-269.
49 Euripide, Hélène, 27-30 (traduction H. Grégoire). Voir aussi : Euripide, Les Troyennes, 924-937.
50 Isocrate estime aussi que Thésée fut vaincu par la beauté d’Hélène (Isocrate, X, Éloge d’Hélène, 18).
51 Euripide, Oreste, 126-131.
52 Euripide, Les Troyennes, 890-894 (traduction L. Parmentier et H. Grégoire).
53 Euripide, Les Troyennes, 987-997 (traduction L. Parmentier et H. Grégoire).
54 Eschine, I, Contre Timarque, 183 ; Euripide, Électre, 314-318.
55 Euripide, Le Cyclope, 179-187.
56 Les rumeurs dénonçant l’adultère d’Hélène font souvent allusion aux riches conditions de vie dont elle a profité en partant avec Pâris (Euripide, Hélène, 924 sq).
57 Euripide, Hippolyte, 966-967.
58 Euripide, Hippolyte, 643-644.
59 Euripide, Andromaque, 215-221.
60 Euripide, Électre, 1035 : « La femme est sensuelle (môron), je n’en disconviens pas ».
61 Euripide, Hippolyte, 491-496.
62 Euripide, Électre, 1027 et Les Troyennes, 983-997.
63 Platon, Les Lois, I, 637c présente le laisser-aller des femmes spartiates comme une évidence qui ne mérite pas d’être développée.
64 Sur la société spartiate : Ed. Lévy, Sparte, histoire politique et sociale jusqu’à la conquête romaine, Paris, 2003 et J. Christien et F. Ruzé, Sparte, géographie, mythe et histoire, Paris, 2007.
65 Xénophon, République des Lacédémoniens, I, 3-4 ; Plutarque, Vie de Lycurgue, 14, 4.
66 Aristote, Politique, II, 9, 1269b12-23.
67 Euripide, Andromaque, 595-605 (traduction L. Méridier). Voir aussi les analyses d’Éd. Delebecque sur cette pièce (Éd. Delebecque, Euripide et la Guerre du Péloponnèse, Paris, 1951).
68 Euripide, Iphigénie à Aulis, 554-557.
69 Euripide, Hélène, 1147-1148 (traduction H. Grégoire). Sur l’impiété d’Hélène : Euripide, Oreste, 518-525. Sur l’injustice de l’adultère : Euripide, Médée, 576-578.
70 Euripide, Électre, 598-600, 914-944. En faisant de Cassandre son épouse secrète, Agamemnon est lui aussi accusé d’agir au mépris du dieu et de la religion (Euripide, Les Troyennes, 39-44).
71 Platon, Les Lois, VIII, 840d.
72 Démosthène, LIX, Contre Nééra, 85-86 (traduction L. Gernet).
73 Chez Euripide, Héraclès est condamné par une mauvaise renommée car il n’assume pas son rôle de protecteur paternel en massacrant ses enfants (Euripide, Héraclès, 1146-1152).
74 Euripide, Les Troyennes, 643-658.
75 Euripide, Les Phéniciennes, 1737-1742 (traduction H. Grégoire et L. Méridier). Voir aussi Sophocle, Œdipe à Colone, 1405-1413.
76 Hésiode, Théogonie, 603-607. Voir aussi X. De Schutter, « Piété et impiété filiales en Grèce », Kernos, 4, 1991, pp. 219-243 et H. G. Gadamer, « L’image du père dans la pensée grecque », in H. Tellenbach, L’image du père dans le mythe et l’histoire, Paris, 1983, pp. 131-144.
77 Notamment Lycurgue, Contre Léocrate, 15.
78 Platon, Les Lois, XI, 932a6. À l’image d’Œdipe, les parricides voient leurs terribles forfaits colportés partout par des rumeurs (Sophocle, Œdipe à Colone, 237-240) et sont interdits de sépulture dans leur cité (Sophocle, Œdipe à Colone, 406-407 ; Platon, Les Lois, 873a-b, 878e).
79 Sophocle, Électre, 612-621.
80 Aristophane, Les Nuées, 990-999.
81 Euripide, Les Suppliantes, 361-364.
82 Andocide, I, Sur les Mystères, 19.
83 Aristophane, Les Nuées, 1325, 1359, 1364, 1443 ; Lysias, X, Contre Théomnestos, 8.
84 Sophocle, Œdipe à Colone, 337 sq ; 1264-1266.
85 Notamment Eschine, I, Contre Timarque, 13, 99 ; Lysias, XIII, Contre Agoratos, 45 ; Lycurgue, Contre Léocrate, 147.
86 Euripide, Les Phéniciennes, 1691-1692.
87 Isocrate, I, À Démonicos, 15-16.
88 Aristophane, Les Nuées, 990-999.
89 Aristophane, Les Nuées, 1447 ; voir aussi Démosthène, IV, Philippiques, 40.
90 Platon, La République, IX, 574a-c. Voir aussi Platon, Les Lois, XI, 930e.
91 Platon, Les Lois, XI, 932a6. À l’image d’Œdipe, les parricides voient leurs terribles forfaits colportés partout par des rumeurs (Sophocle, Œdipe à Colone, 237-240) et sont interdits de sépulture dans leur cité (Sophocle, Œdipe à Colone, 406-407 ; Platon, Les Lois, 873a-b, 878e).
92 Platon, La République, V, 463d.
93 Eschine, I, Contre Timarque, 191 et 11 ; Xénophon, Mémorables, II, 2, 13.
94 Aristote, Constitution des Athéniens, LV, 2-3.
95 Eschine, I, Contre Timarque, 28.
96 Démosthène, IV, Philippiques, 40 (traduction M. Croiset).
97 Aristophane, Les Oiseaux, 1353-1357.
98 Platon, Alcibiade, 135e et Sophocle, Électre, 1058-1062.
99 Xénophon, Cyropédie, VIII, 3, 49 (traduction Éd. Delebecque)
100 Xénophon, Mémorables, IV, 4, 20 et Platon, Hippias majeur, 291d.
101 Thucydide, II, 53.
102 Aristophane, Les Nuées, 1421-1424 (traduction H. Van Daele).
103 Tel est encore le cas dans Les Oiseaux : « Car tout ce qui est ici réprimé par la loi, comme indigne, tout ça, chez nous autres les oiseaux, c’est excellent. Ici, la loi tient pour une indignité les voies de fait exercées sur un père. Eh bien, là-haut, chez nous, c’est une excellente chose de foncer sur son père et de le rosser en lui disant : “Lève un peu ton ergot, si tu n’es pas une poule mouillée” » (Aristophane, Les Oiseaux, 755-759 ; traduction V.-H. Debidour).
104 Platon, La République, V, 463d-e ; Les Lois, XI, 932 b-c.
105 Euripide, Électre, 367-374 (traduction L. Parmentier et H. Grégoire).
106 Les changements rapides de fortune sont un lieu commun de polémique politique (Isocrate, VIII, Sur la paix, 124 ; Démosthène, III, Olynthiennes, 29 ; VIII, Sur les affaires de la Chersonèse, 66 ; I, Contre Timocrate, 124).
107 Isocrate, XV, Sur l’échange, 159-160 reconnaît ainsi la méfiance nouvelle des Athéniens du ive siècle à l’égard des grandes fortunes : « Quand j’étais enfant, la richesse paraissait si assurée et si respectable que presque tout le monde cherchait à paraître plus riche qu’il n’était en réalité, afin d’avoir une part de l’estime (doxa) que cela entraînait. Maintenant il faut préparer et méditer une défense pour sa fortune comme pour les plus grands crimes, si l’on veut rester sans dommage » (traduction G. Mathieu et É. Brémond).
108 Nous adoptons ici les traductions de V.- H. Debidour car elles tentent de retranscrire les jeux de mots dont les noms propres des personnages d’Aristophane sont porteurs.
109 Aristophane, Ploutos, 332-378 (traduction V.- H. Debidour).
110 Lysias, XIX, Sur les biens d’Aristophane, 45-49 (traduction L. Gernet et M. Bizos).
111 Démosthène, IV, Philippiques, 68 et VIII, Sur les affaires de la Chersonèse, 66.
112 Aristophane, Les Guêpes, 1309.
113 Lysias, XXV, Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie, 30.
114 Aristophane, Ploutos, 556 ; Platon, Ménon, 89e – 90a ; Isocrate, XV, Sur l’échange, 160.
115 Aristophane, Ploutos, 35-38, 45-50, 804-805. Voir aussi Ed. Lévy, « Richesse et pauvreté dans le Ploutos », Ktèma, 22, 1997, pp. 201-212.
116 Aristophane, Ploutos, 28-29, 32-38, 219, 503-504, 751-752, 776-777, 829-838.
117 Euripide, Les Suppliantes, 742-743.
118 Platon, Les Lois, IX, 870a.
119 Platon, Les Lois, VIII, 831c-d (traduction L. Brisson et J.-F. Pradeau). Cette conception est aussi partagée par Isocrate, XXI, Contre Euthynous, 6 et Lysias, XXI, Défense d’un anonyme, 19.
120 Parmi les larcins fréquemment cités, on retiendra : le prêt à intérêt (Démosthène, XLV, Contre Stéphanos, I, 70), des procès juteux (Démosthène, I, Contre Aristogiton, 49-53) et l’appropriation de la fortune des femmes par des mariages intéressés (Lysias, XIX, Sur les biens d’Aristophane, 13-15).
121 Isocrate, XX, Contre Lokhitès, 6.
122 Platon, Les Lois, IX, 854c.
123 Platon, Les Lois, IX, 853d – 854c.
124 Xénophon, Hiéron, IV, 9-11.
125 Thucydide, IV, 118, 3 (Trêve d’un An). Sur cette hypothèse : Éd. Delebecque, Euripide et la Guerre du Péloponnèse, Paris, 1951, pp. 194-196.
126 Euripide, Andromaque, 1090-1096 (traduction L. Méridier).
127 Andocide, I, Sur les Mystères, 110-116.
128 Sur ce personnage et sa famille : W. Petersen, Quaestiones de historia gentium atticarum, Slesvici, 1880, pp. 37 sq.
129 Andocide, I, Sur les Mystères, 130 (traduction G. Dalmeyda).
130 Xénophon, Poroi, IV, 15.
131 Lysias, XIX, Sur les biens d’Aristophane, 48.
132 J. Bousquet, « Deux épigrammes grecques (Delphes, Ambracie) », BCH, 116, 1992, pp. 585-606 (en particulier p. 589).
133 Lysias, XIX, Sur les biens d’Aristophane, 48 ; Xénophon, Revenus, IV, 15.
134 Euripide se méfie de l’extraordinaire pouvoir de séduction de l’or (Euripide, Médée, 965) comme de sa capacité à écarter les humains de la voie de la sagesse (Euripide, Héraclès, 772-776).
135 Aristophane, Ploutos, 107-109 et 188-189 place l’Argent du côté de l’insatiabilité, du dérèglement et de la démesure.
136 On pourra rapprocher Callias d’Aphobos qui est, chez Démosthène, qualifié d’impie après avoir dilapidé les richesses familiales (Démosthène, XXVIII, Contre Aphobos, II, 16).
137 À l’image de l’être tyrannique décrit par Platon (Platon, La République, IX, 574c-d), les hommes dominés par leurs passions sont soupçonnés par Démosthène de se perdre dans des prodigalités aussi audacieuses (Démosthène, XXVII, Contre Aphobos, I, 62) qu’insolentes (Démosthène, XXXVI, Pour Phormion, 41-45) ou impudentes (Démosthène, XXVII, Contre Aphobos, I, 7, 38, 57).
138 La morale réprouve ce jeu car il entraîne à dépenser son capital : Aristophane, Ploutos, 242-244 ; Lysias, XIV, Contre Alcibiade, 27.
139 Aristophane, Ploutos, 242-244. Démosthène, LIX, Contre Nééra, 30.
140 Andocide, I, Sur les Mystères, 124.
141 Aristophane, Les Grenouilles, 422-430. Athénée, XII, 52, 536f – 537 rapporte que Callias a puisé sans vergogne dans les richesses familiales pour se perdre dans les plaisirs.
142 Xénophon, Banquet, VIII, 39-40 ; 43.
143 Démosthène, IX, Troisième Philippique, 30. Voir aussi la condamnation des prodigalités d’Alcibiade par Andocide, IV, Contre Alcibiade, 31-32.
144 Isocrate, XVI, Sur l’attelage, 31.
145 Par exemple Lysias, XIX, Sur les biens d’Aristophane, 56-63 ; Andocide, II, Sur le retour, 18 ; Démosthène, X, Quatrième Philippique, 45 ; Isocrate, VII, Aréopagitique, 32, 35.
146 Eschine, I, Contre Timarque, 105.
147 Isocrate, I, À Démonicos, 6 pense ainsi que « la richesse est la servante du vice plus que la pureté morale, elle donne toute liberté à la mollesse et pousse les jeunes gens à la recherche du plaisir ».
148 Aristophane, Ploutos, 122-123, 199, 202-203.
149 Démosthène, LXII, Contre Phénippos, 24. Platon, La République, IV, 421d.
150 Eschine, I, Contre Timarque, 30.
151 Euripide, Héraclès, 643-648 ; Aristophane, Les Acharniens, 65-74.
152 Xénophon, Cyropédie, VIII, 8.
153 Xénophon, Cyropédie, VIII, 15.
154 Xénophon, Cyropédie, VIII, 8-11, 16-17.
155 Isocrate, IV, Panégyrique, 150-151. Pour Platon, Les Lois, III, 695e-696a, elle expliquerait d’ailleurs la décadence de l’empire perse.
156 Callias est probablement à l’origine de décrets très importants pour les finances d’Athènes en 434 ou en 422 (H. B. Mattingly, « Athenian Finances in the Peloponnesian War », BCH, 92, 1968, pp. 465-476).
157 Xénophon, Helléniques, IV, 5, 13-14.
158 Sur cet épisode : W. Liebeschutz, « Thucydides and the Sicilian Expedition », Historia, 17/3, 1968, pp. 289-306 ; S. Cataldi, Plous es Sikelian : ricerche sulla seconda spedizione ateniese in Sicilia, Alessandria, 1992 ; M. Giangiulio, « Atene e la Sicilia occidentale del 424 al 415 », in Atti delle Seconde Giornate Internazionali di studi sull’area elima (Gibellina 19-22 sett. 1991), Gibellina-Pise, 1997, pp. 865-887 ; L. Kallet-Marx, Money and the Corrosion of Power in Thucydides : the Sicilian Expedition and its Aftermath, Londres, 2001.
159 Homère, Iliade, XI, 15-22.
160 Homère, Iliade, XXII, 304-305. Voir aussi Homère, Iliade, XXII, 110.
161 Hérodote, les Grecs comme les Perses placent le nombre d’hommes au fondement même de la puissance militaire d’un peuple (Hérodote, V, 3 et I, 136 ; V, 2, 9, 119 ; VI, 13 et VII, 157). Voir aussi Thucydide, I, 18.
162 Eschyle, Les Sept contre Thèbes, 116-121 et 282-286. Pour retranscrire cette crainte, Eschyle transforme l’expédition argienne en mer agitée, en torrent invincible ou en avalanche meurtrière (Eschyle, Les Sept contre Thèbes, 62-64 ; 85 et 212-213).
163 Platon, Les Lois, III, 698c-d (traduction L. Brisson et J.-F. Pradeau).
164 C’est tout du moins la politique du Grand Roi à l’égard des Déliens (Hérodote, VI, 97).
165 Hérodote, VI, 94.
166 Hérodote, V, 102 et VI, 101.
167 C’est notamment le cas lors de la prise de Samos par les Perses en 516 : « Les Perses prirent au filet toute la population de Samos et ne remirent à Syloson qu’une île dépeuplée » (Hérodote, III, 149).
168 Hérodote, VI, 31.
169 Notamment Eschyle, Les Perses, 52-54 (torrent en furie) ; 90 (invincible houle des mers).
170 Les chiffres fabuleux des effectifs perses donnés par Hérodote, VII, 60, 185, 186, 226 soulignent combien les Grecs croient voir le monde entier les envahir (Hérodote, VII, 56, 7-8). Voir aussi Eschyle, Les Perses, 11-12 et 39-40.
171 Par exemple Hérodote, VII, 21, 3-5 ; 43, 1-4.
172 Hérodote, VII, 56.
173 Hérodote, VII, 226.
174 Cette expédition est entreprise par Athènes à la suite des appels de son alliée Égeste qui est, en 416, attaquée par Sélinonte, cité fidèle à Syracuse. D’importantes divisions opposent alors les Athéniens. Nicias prône la prudence tandis qu’Alcibiade propose une entreprise grandiose destinée à conquérir la Sicile et la Méditerranée orientale (Thucydide, VI, 16-18, 6). L’Assemblée choisit la voie de l’entre-deux : elle vote le projet mais dote des pleins pouvoirs trois stratèges aux ambitions différentes : Lamachos, Nicias et Alcibiade qui, rappelé dès le début de l’expédition à Athènes pour s’expliquer dans l’affaire du sacrilège des Mystères d’Éleusis, s’enfuit et se réfugie à Sparte.
175 Thucydide, VI, 32, 3.
176 Thucydide, VI, 31, 6 ; VI, 37. La puissance et l’audace des Athéniens étonnent les Grecs : Thucydide, VII, 28, 3. Dans l’Archéologie, Thucydide considère par ailleurs que la Guerre du Péloponnèse est plus importante que la Guerre de Troie par ses effectifs militaires comme par la puissance des armées engagées (Thucydide, I, 1, 10, 11).
177 Thucydide, VI, 24, 3. Thucydide remarque que les désirs (epithumiai) de la majorité du peuple sont trop violents pour que ceux qui désapprouvent l’expédition les empêchent de la monter.
178 Thucydide, VI, 8.
179 Thucydide, VI, 32, 3.
180 Thucydide, VI, 33, 1.
181 Thucydide, VI, 38 et 40.
182 Thucydide, VI, 33, 1-3.
183 Par exemple Thucydide, I, 80, 3. Euripide, Hécube, 883-885 considère aussi le nombre d’adversaires comme un facteur de puissance.
184 Dans l’Anabase et la Cyropédie, Xénophon mentionne régulièrement des on-dit s’intéressant à l’ampleur des effectifs ennemis (Xénophon, Anabase, I, 8, 1-11 et I, 3, 1-2 et 20-21 et Cyropédie, II, 1, 2-4 ; III, 3, 29-33 ; V, 2, 30 ; VI, 2, 9-20).
185 Thucydide, I, 121, 2 ; IV, 10, 4 et IV, 126.
186 C’est le cas des Athéniens lors de l’expédition de Sicile (Thucydide, VI, 24, 3). Voir aussi Thucydide, II, 89.
187 Par exemple : Thucydide, IV, 10, 4 ; IV, 125, 1 ; VIII, 1, 2.
188 Tel est, selon Hermocratès, le propre des on-dit de ce genre (Thucydide, VI, 34, 7).
189 En 416, les Athéniens montent contre Mélos une expédition importante. Après la prise de l’île, ils exécutent les hommes, vendent les femmes et les enfants comme esclaves (Thucydide, V, 84-116). La violence du traitement impressionne le monde grec. Pour montrer sa désapprobation, Thucydide met en scène le dialogue des Athéniens et des Méliens, durant lequel les premiers exigent la reddition de l’île au nom du droit du plus fort, les seconds la refusent au nom de la justice. Sur le concept de « raison d’État » dans ce dialogue et les relectures modernes qui en ont été faites : P. Butti de Lima, « I Melii in attesa della “revanche” », Anabases, 5, 2007, pp. 27-58.
190 Thucydide, VII, 68, 2 (traduction J. Voilquin). Pour eux, l’asservissement de Syracuse ne serait qu’un préalable à celui de la Sicile et du monde grec entier (Thucydide, VII, 66, 1).
191 Se référer ici à nos analyses (pp. 235-239) sur la perfidie lacédémonienne et l’empoisonnement des puits athéniens.
192 Pour la description lucide de la Guerre du Péloponnèse et de la violence du déchaînement des passions qu’elle occasionne : Thucydide, I, 23 et III, 81-85.
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Ce livre est cité par
- Siron, Nicolas. (2019) Témoigner et convaincre. DOI: 10.4000/books.psorbonne.55158
- Larran, Francis. (2014) Théomnestos au tribunal ou l’injure comme arme du citoyen. Cahiers « Mondes anciens ». DOI: 10.4000/mondesanciens.1241
- Grand-Clément, Adeline. (2015) Le paysage sonore des sanctuaires grecs. Délos et Delphes dans l’Hymne homérique à Apollon. Pallas. DOI: 10.4000/pallas.2698
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