De la naissance à la mort des bruits publics
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Texte intégral
1Une phénoménologie des rumeurs et des renommées grecques anciennes constitue un préalable nécessaire pour espérer retracer leur histoire. Menée à partir des sources littéraires composées entre les débuts de la période achaïque et la fin de l’époque hellénistique, complétée par le biais d’informations tirées des textes grecs d’époque romaine, l’étude propose ici de suivre les bruits publics, pas à pas, depuis leur naissance jusqu’à leur disparition, afin d’en cerner les principales caractéristiques.
2Il apparaît que le phénomène des bruits publics, tel qu’il est représenté dans les textes grecs, se distingue nettement de la rumeur et de la renommée d’aujourd’hui. À la différence de nos rumeurs souvent vécues au quotidien comme des historiettes engluées dans le présent, les bruits publics des Anciens possèdent une force merveilleuse, qui les guide à chaque étape de leur vie. Média humain aux caractéristiques divines, les rumeurs et les renommées paraissent, quand elles ne sont pas lancées par les poètes, surgir d’elles-mêmes, connaissent des modalités de diffusion temporelle, spatiale et sociale qui étonnent par leur puissance et peinent, incontrôlables et insaisissables, à s’éteindre. De cette puissance, on retiendra qu’elle pousse non seulement les Anciens à personnifier des bruits publics, comme Ossa et Phèmè, en les dotant de pouvoirs divins mais aussi à voir en eux des médias en mesure de s’affranchir des obstacles matériels. Pris dans un rapport complexe avec le monde divin qui les guide souvent à distance, les bruits publics sont considérés comme une force qui unit. Susceptibles de surgir en un même instant dans plusieurs espaces à la fois, les rumeurs et les renommées sont aussi capables de transcender les barrières sociales et ainsi de renforcer les liens entre les membres d’une même cité ou bien encore de traverser le temps en colportant, d’une génération à l’autre, la gloire des héros d’antan et ainsi de contribuer à la construction de la mémoire des sociétés grecques.
3Reprises par les différents hommes de lettres de la période envisagée, les caractéristiques essentielles des bruits publics incitent à considérer leur phénoménologie sur la très longue durée, même s’il est indéniable que Phèmè a succédé à Ossa comme personnification de la rumeur et de la renommée, ou bien encore que des évolutions ont affecté leurs modalités de diffusion en leur donnant, dans le cadre de la cité classique, des espaces de transit ignorés des débuts de l’époque archaïque. La lenteur des évolutions affectant les représentations des bruits publics s’explique sans doute autant par l’expérience vécue des hommes de lettres qui ont tous vu en eux un phénomène collectif et anonyme, difficile à saisir, comme par leur volonté de poursuivre ou de discuter les topoi littéraires mis en place dès l’Iliade et l’Odyssée. Alors que notre rumeur contemporaine court, gronde ou couve, les bruits publics des Anciens volent, rapides, à tire d’aile, s’embrasent comme une traînée de feu, s’étirent comme une arme de jet que l’on bande, prolifèrent dans toute la cité et montent parfois, gigantesques, jusqu’au ciel… Entraînées dans le sillage de la tradition littéraire, reproduites et revisitées d’un auteur à l’autre, les images des bruits publics n’ont de cesse de se répéter et contribuent ainsi à faire de l’histoire des bruits publics en Grèce ancienne une histoire palimpseste.
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Le bruit qui vole
Ce livre est cité par
- Siron, Nicolas. (2019) Témoigner et convaincre. DOI: 10.4000/books.psorbonne.55158
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Le bruit qui vole
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