La colonisation de l’Algérie : un exemple d’interventionnisme
p. 83-105
Texte intégral
1S’il convient de ne pas majorer le rôle des « sirènes préfectorales » dans les décisions des candidats, il n’en demeure pas moins vrai que les projets de colonisation ont pu être perçus par ces derniers comme une technique de règlement des difficultés départementales. Tel est le cas en Corrèze, affectée par la crise rurale de 1846 créant de fait les conditions favorables à un projet de « colonie limousine » initié par le préfet. Ce projet présente une variante des projets de colonisation qui ont foisonné jusqu’au Second Empire et, à ce titre, témoigne d’une pratique qu’il convient de replacer dans son « lieu » d’émergence. Néanmoins, si l’on s’accorde à reconnaître que la colonisation de l’Algérie a été une réponse au paupérisme, l’hypothèse d’une généalogie commune n’a guère été envisagée du fait, probablement, de la monopolisation du discours colonial par le Parti colonial à la fin du xixe siècle, qui a fixé dans l’historiographie la représentation d’une politique coloniale inspirée du libéralisme. Mais peut-on d’une part avaliser le binôme règlement du paupérisme/colonisation de l’Algérie et en dissocier les deux termes alors même que des thématiques similaires y ont été associées ?
2En effet, dans la première moitié du xixe siècle, la « nouvelle pauvreté »1, analysée par les économistes sociaux, a projeté dans l’espace public la question de la politique d’assistance qui n’est plus conçue comme un acte charitable mais envisagée dans la perspective d’une socialisation et d’une responsabilisation du pauvre. Il s’agissait par conséquent d’intégrer la question de la pauvreté dans une problématique de mise en cohérence du devoir de protéger les plus faibles tout en la maintenant en dehors de la sphère juridique afin de ne pas provoquer un droit à l’assistance. Conçue dans un contexte économico-intellectuel encore marqué par les théories physiocratiques mais de plus en plus exposé à l’idée de marché, progressivement dissocié de l’espace politique et juridique2, la question du paupérisme a ainsi produit des technologies du règlement de la question sociale interrogeant le rôle de l’État libéral de la Monarchie de Juillet. Au nombre de celles-ci figurent les projets de colonies agricoles conçues comme un outil d’aménagement – et d’équilibrage – du territoire national mais aussi comme un remède au paupérisme et à l’atomisation de la société. Si celles-ci n’ont pu voir le jour dans la métropole, elles ont trouvé une expression dans les projets d’installation de colons en Algérie dont celui de 1848 qui met en chantier par la même occasion l’État-providence.
3En conséquence, les méthodes de colonisation de l’Algérie ont conservé l’empreinte de ces débats, malgré l’orientation capitaliste de la colonisation après 1878 et plus nettement à partir de 1884, et ce après la courte parenthèse du Second Empire. Dans la deuxième moitié du xixe siècle, l’association du paupérisme à la colonisation de l’Algérie devient par certains aspects caduque, à tout le moins ne se décline plus de la même manière. En effet, à partir de cette date, la question sociale3 se confond presque avec la question ouvrière dont le règlement ne ressortit plus de l’assistance de l’État ni du devoir moral mais de la solidarité. De fait, la redéfinition du « pauvre » qui s’opère dès la fin du xixe, réduit le champ de l’assistance réservée aux personnes incapables de se prendre en charge : les vieillards, les infirmes et les incurables4. Dans le domaine colonial, si la pérennisation de la concession gratuite semble encore relever de l’assistance, l’exigence de compétences agricoles et d’un capital financier l’en ont fait sortir, au niveau de la gestion administrative et de la rhétorique officielle tout au moins. La mise en place en 1892 de l’Office des renseignements généraux chargé de la politique de colonisation en Algérie contribue à dissocier « assistanat » et colonisation, qu’on souhaite faire entrer dans une logique de profit et/ou de rentabilité.
4Pour ces raisons, l’exposé du projet de colonie limousine, traité comme une pratique du règlement du paupérisme, se délestera du « drapé idéologique colonial »5 pour privilégier la restitution des problématisations de cet objet par les contemporains et ce par la prise en considération du dispositif, c’est-à-dire « du dit et du non dit »6. La problématisation de l’objet « colonisation de l’Algérie » par les candidats concessionnaires et les autorités locales conclura l’étude de cette expérience interventionniste.
LE PROJET CORRÉZIEN DE COLONIE LIMOUSINE DE 1846 : UN PROJET ASSOCIATIF
5À l’instar de leurs contemporains, les Corréziens ont en 1846 élaboré une politique méthodique d’émigration en Algérie dans un contexte de crise agraire ayant aggravé le paupérisme rural endémique. Le projet de « colonie limousine » du préfet Pierre Meunier7, énième version des projets visant le règlement de la question sociale par la colonisation, s’inscrit dans la lignée des projets d’inspiration collectiviste.
6En mai 1846 le préfet Meunier, prenant acte de la « volonté » des Corréziens d’aller en Algérie, adresse au ministre de la Guerre, le maréchal Soult8, le projet de création d’un village limousin ou corrézien en vue d’y installer les « nombreux immigrants » hésitants, qui craignent « de s’y trouver isolés », aux dires du préfet. Les qualités des Corréziens : esprit communautaire, attachement aux « mœurs et aux coutumes de leur pays » dont témoignent les pratiques des migrants temporaires9, leurs qualités morales (sages, laborieux et intelligents) sont des gages de réussite.
7L’ébauche du projet reçoit l’assentiment du ministre de la Guerre qui réclame la liste des candidats et de leurs ressources pécuniaires10. Le 8 octobre 1846, la publicité est assurée dans la presse et dans le Bulletin des actes administratifs ; en décembre, les maires expédient au préfet le nom des candidats qui sont au nombre de 22 en 1847. Le projet élaboré par Théodore Eugène Juillet de Saint-Lager, prend forme en février 184711. L’auteur du projet, parent d’un magistrat de Tulle, est à cette date capitaine d’artillerie en poste à Alger. Il est par ailleurs correspondant et actionnaire de L’Union agricole d’Afrique12 créée par l’ordonnance royale du 8 novembre 1846 et dont le siège se trouvait à Lyon avant d’être déplacé à Besançon.
8Le projet de « colonisation civile pour une agglomération de trente familles corréziennes » se propose d’installer la colonie limousine dans la région de Médéa sur une concession de 400 ha attribuée par l’État, soit 12 ha par colon. Ce projet emprunte à l’Union agricole d’Afrique le principe communautaire mais s’en démarque quant au mode de financement et de l’accession à la propriété. Le projet corrézien n’envisage pas un apport de capital financier, ni par les colons ni par d’éventuels actionnaires ; celui du capital d’exploitation serait à la charge de l’État. Cette concession serait dotée à son arrivée de champs défrichés, de maisons d’habitation construites en maçonnerie et groupées autour des édifices publics, c’est-à-dire d’une église, d’un presbytère, d’une mairie avec une école, d’une maison pour l’instituteur, d’un lavoir, d’une laiterie, d’une étable et d’un abreuvoir, et ceinte d’une haie de cactus et d’aloès plantées par les colons qui formeraient un rectangle. Le cheptel composé de 20 paires de bœufs de labour, de 60 vaches, de 300 bêtes à laine, de 30 porcs et autant de truies serait fourni par l’État ainsi que « tout le matériel nécessaire et suffisant » et les premières semences. Le matériel resterait propriété commune de la colonie mais la moitié du cheptel serait rendue à l’État au bout de trois ans, le pâturage et les bois restant biens communaux. L’État aurait en outre à fournir à la communauté, les premières années, les vivres à raison d’une ration par individu de plus de 16 ans, une demi-ration par femme et enfant, le prêtre et l’instituteur en recevant deux et ce, pendant les deux premières années. En attendant les récoltes, les colons se livreraient la première année à l’élevage et à la récolte du fourrage ainsi qu’au jardinage ; la culture des céréales serait limitée à la satisfaction des besoins de la communauté. Pendant les trois premières années, le travail serait collectif et dirigé par le prêtre et par l’instituteur secondés par trois hommes choisis par la communauté, « mode d’opérer simple et paternel » qui offrirait la « garantie de loyauté et de bonne foi et devoir faire disparaître toute controverse entre les intéressés »13 précise l’auteur du projet. Le produit du travail serait réparti entre les membres de la communauté à raison de deux parts pour le prêtre et l’instituteur, une part par homme de plus de 16 ans et une demi par femme et enfant. De plus, la propriété collective serait transitoire et laisserait place au bout des trois ans de mise en valeur communautaire à la propriété privée : la concession serait alors divisée en lots dont 15 ha pour l’instituteur et le prêtre, 10 ha par famille de colons ; le cheptel serait réparti entre les colons.
9Le projet reçoit l’agrément du préfet Pierre Meunier qui propose l’encadrement des Frères de la Providence en remplacement des prêtres, peu disposés à aller en Algérie, selon ses propos, solution préconisée par Juillet de Saint Lager qui s’était dit convaincu « de la nécessité de mettre la petite colonisation sous le patronage de la religion et de l’Église [et avait suggéré d’] utiliser en Algérie [les] frères [de la Providence] dont les uns se livrent à l’agriculture, tandis que les autres se consacrent à l’éducation de la jeunesse. »14
10Le projet est ensuite soumis au Gouverneur général Bugeaud, qui tarde à répondre mais le ministre de la Guerre, sous la responsabilité du lieutenant général Trézel, émet lui aussi des réserves quant aux charges imposées à l’État15. Toutefois, il s’engage à accorder une concession à Médéa mais selon les modalités habituelles, l’État réalisant les travaux d’installation mais les édifices restant à la charge des colons possédant les ressources financières requises, c’est-à-dire 1 200-1 500 F. Les modifications demandées par le ministre font échouer le projet et, ainsi qu’il l’avait écrit à son correspondant d’Alger, le préfet a laissé l’émigration suivre son cours.
11La tradition historiographique a attribué une « essence coloniale » à ces projets d’association du capital et du travail, qui sont par ailleurs mis en œuvre au même moment en France dans le mouvement associatif naissant16. Certes, si les projets de colonie agricole sont issus d’une expérience coloniale, ils avaient néanmoins fait l’objet d’une expérimentation en Europe avant de servir de modèle aux économistes sociaux français à la recherche de « remèdes » au paupérisme du début du xixe siècle, sans constituer pour autant l’essentiel de leurs propositions17 ; la circulation de l’expérience expliquant la similitude des technologies déterminées par celle des présupposés politiques.
12Les colonies agricoles européennes ont eu pour cadre de référence l’expérience menée aux Indes néerlandaises par le général Van den Bosch, puis reproduite aux Pays-Bas en 181818 et en Belgique en 1822, mais ont aussi recours aux expériences analogues menées en Europe19. En France, c’est l’expérience des Trappistes du monastère de Melleray-en-Bretagne, reprise en 1817 et interrompue en 1830, qui sert de référence à bon nombre d’auteurs ainsi que diverses expériences mises en œuvre par de grands propriétaires20.
13Aux Pays-Bas, l’entreprise fondée sur le principe de l’association dans le travail et dans le financement, mise en œuvre par une société de bienfaisance ayant obtenu les capitaux nécessaires par le biais d’une souscription publique, avait été patronnée par le gouvernement. La colonie « Frederick’s-Oord » commença modestement en accueillant quelques colons, s’engagea dans un deuxième temps à prendre en charge les indigents moyennant une pension reversée par les hospices ou les municipalités et ouvrit un établissement de répression en 1821, à côté des colonies libres. Enfin, un institut agricole conçu comme une ferme expérimentale destinée à la formation des cadres vit le jour dans les environs, à Wateren. L’ensemble formé par les colonies agricoles abritait, en 1829, 7 284 individus. L’expérience belge, interrompue par la révolution de 1830, diffère de l’exemple hollandais dans la mesure où les bénéfices du travail des colons sont versés à la société alors qu’initialement, chaque colon ayant montré des aptitudes aurait du recevoir du bétail et la jouissance d’une exploitation. L’administration et le contrôle de la colonie furent confiés à différentes commissions et les colons, soumis à un engagement, furent encadrés par des inspecteurs choisis dans l’Armée et mis à la disposition de la colonie par le gouvernement.
14Ce sont ces deux exemples européens qui ont servi de modèle à Michel Louis François Huerne de Pommeuse, à Alban de Villeneuve-Bargemont et à Pierre Marie Sébastien Bigot de Morogues qui ont œuvré pour la mise en valeur des terres jusque-là incultes de Sologne, des landes de Gascogne, de Bretagne et du Limousin afin de donner du travail aux pauvres et aux délinquants. Le choix agrarien des initiateurs de ce projet de réforme sociale se présente comme une réponse à l’incertitude inhérente à la production industrielle soumise à la loi du profit, à l’origine de la nouvelle question sociale et, pour de Morogues, un moyen permettant de rééquilibrer le territoire21 eu égard à la vocation peuplante de l’agriculture.
15Leur projet de règlement global de la question sociale a ainsi fourni une panoplie de techniques : les colonies agricoles, pénitentiaires, militaires, l’encadrement et la mise au travail des enfants trouvés et abandonnés et la colonisation, privilégiant l’activité agricole. Toutefois, la solution coloniale a été conçue par ces auteurs comme une alternative à l’émigration et/ou à la colonisation22. Il est vrai, cependant, que ces projets émergent dans un contexte de doute quant à la nécessité de l’expansion coloniale, condamnée par des économistes français tel Jean-Baptiste Say et par les « agrariens » convertis à la physiocratie, dont nous nous avons pu mesurer l’influence chez ceux-ci. Mais les arguments avancés tiennent moins à une opposition irréductible à la colonisation qu’à la contradiction entre le projet colonial et la nature de leur programme23.
16Ce cadre théorique a servi de matrice aux différents projets nationaux et à ceux élaborés en Corrèze. Pour ce département en effet, l’étude menée dans le cadre de l’Institut national de recherche pédagogique par Gérard Bodé et Hubert Vénes, signale que, dès 1831, « l’exemple de Mathieu de Dombasle à Roville était connu » du « cercle d’agriculteurs aisés » qui a ainsi prôné la création d’une « école modèle […] s’inspirant de cette expérience »24. Ceci débouche sur un « projet de ferme-école, ou de ferme-modèle, présenté par la Société d’agriculture de Brive le 15 octobre 1831 » à laquelle était associée « une école d’enfants pauvres destinée à fournir la main-d’œuvre »25 mais qui n’aboutit qu’en 1843. À Tulle, en 1847, le préfet Meunier participe quant à lui à la fondation d’une ferme-école. Il nous est difficile d’affirmer qu’il a lu les ouvrages cités précédemment mais la présence de thématiques développées par ses contemporains permet d’envisager à tout le moins une sensibilisation au discours social de son époque. De même, comme tous les contemporains « éclairés », il n’ignore pas les tentatives de colonisation mais ses préoccupations sont celles que lui imposent sa fonction et qui s’imposent dans son environnement intellectuel et culturel. Ainsi, entre 1845 et 1847, le préfet Pierre Meunier, analysant la situation sociale et agricole du département, transpose les débats des économistes sociaux qui préconisent non pas d’agir sur les causes économiques du paupérisme mais d’orienter l’action sur les individus afin de suppléer à l’échec de la science économique sur la question sociale.
17En effet, dans ses rapports au conseil général en 1845, 1846 et 184726, le préfet avait souligné « l’arriération » de l’agriculture corrézienne qui, faute d’avoir modifié ses méthodes culturales, a un coût de production qui ne lui permet ni de concurrencer la production nationale ni d’investir du fait de la modestie des bénéfices retirés par les producteurs. Ce retard de l’agriculture est aussi imputable au morcellement des propriétés27, thème central de son action réformiste. Or, cette structure, selon son analyse, a des incidences sur l’ensemble de l’activité car, écrit-il en 1846, « la distribution du sol et l’organisation de la propriété sont telles dans le département, que l’exploitation des terres y est nécessairement livrée aux hommes les plus misérables et les plus ignorants ». Cette situation est imputable, poursuit-il, à l’exiguïté des parcelles, décourageant les fermiers entreprenants qui quittent la région, et à la pratique du faire valoir indirect, dont le colonage qui, juge-t-il, « n’est plus de notre âge »28.
18Cette analyse explique son projet d’émigration encadrée alors que le profil des colons sollicités révèle l’ambition de la colonie limousine. Les candidats inscrits, dépourvus de moyens financiers, sont originaires des cantons où domine la petite propriété. Ainsi la politique réformiste du préfet dans le département passait par la diminution du nombre des exploitants, le projet d’émigration n’étant qu’une facette de la modernisation de l’agriculture29. Mais, dans ce cas, il s’agit bien d’une politique générale de règlement du paupérisme, selon l’acception de Giovanna Procacci : celui-ci se distinguant de la pauvreté qui est individuelle alors que le paupérisme est une « condition générale qui affecte une société entière »30, menace sa stabilité par le maintien d’une situation inégalitaire dans une société qui a reconnu l’égalité naturelle des hommes.
19En effet, constatant l’inadéquation du système agraire au contexte libéral, le préfet n’engage pas une réforme agraire mais tente, dans son projet de colonie limousine, de donner aux pauvres le moyen de subvenir à leurs besoins par le travail et la propriété. Car dans la société postrévolutionnaire, indique Giovanna Procacci, le « bon pauvre » n’étant pas responsable de sa situation, a droit à l’assistance publique qui ne doit plus être l’acte charitable chrétien mais un moyen de réinsertion par le travail. Telle est bien l’orientation du projet de colonisation limousine qui relève de l’assistance mais diffère radicalement des politiques conjoncturelles mises en œuvre au même moment pour atténuer les effets du paupérisme, telle l’ouverture de chantiers en vue de la construction de chemins vicinaux. En effet, il vise la socialisation qui donnerait aux pauvres une place dans l’économie d’échange et favoriserait la naissance d’une classe de producteurs indépendants. Elle serait rendue possible par la possession du capital foncier, permettant par là-même de dépasser les conflits de la société industrielle liés au partage des revenus du travail. Le projet emprunte aussi aux économistes l’idéal agrarien dans lequel la production agricole, valorisée par le travail industriel et le commerce intérieur, est la « première base de la prospérité des états » et « peut suffire à la satisfaction des besoins réels »31. La taille des exploitations accordées aux colons limousins indique bien qu’il ne s’agit pas de pratiquer une agriculture de type capitaliste telle qu’elle s’esquisse en France, mais bien de leur offrir une activité permettant la satisfaction des « besoins réels ». La parenté du projet avec ces modèles théoriques est aussi manifeste au niveau du mode d’accession à la propriété qui passe par un encadrement technique des colons et celui de leur vie privée par l’intermédiaire du projet d’habitat groupé mieux adapté à la vie communautaire et au maintien du lien social.
20Les débats sur l’assistance aux pauvres sont en outre polarisés par le rôle de l’État qui a, dans la société postrévolutionnaire, institué la démocratie politique mais pas la démocratie sociale. Or, la question foncière, obérée par le problématique partage des communaux et dont le règlement incombe à l’État, est la condition préalable de réalisation de ces projets.
21C’est par conséquent à travers ce thème qu’a ressurgi la question de l’interventionnisme, actualisé par les économistes sociaux qui avaient encore en mémoire l’expérience anglaise de Speenhamland. Ce thème, qui se retrouve dans tous les projets de colonisation les plus connus, reproduit la ligne de fracture qu’illustrent les divergences entre Bigot de Morogues et Villeneuve-Bargemont.
22Pour Villeneuve-Bargemont en effet, le rôle de l’État doit se borner aux travaux d’équipement mais la gestion de la colonie, à l’exemple du modèle hollandais, doit être confiée à une société de bienfaisance, chargée de réunir les fonds complémentaires remboursables en vingt ans. Pour Bigot de Morogues, ce projet ne peut relever que de l’État et non de l’action privée, pour en garantir la continuité mais aussi pour soustraire les colons à l’exploitation des particuliers. Cette dernière proposition est radicalement opposée à celle de Villeneuve-Bargemont qui préconise la restauration des corps intermédiaires qui, sans remettre en cause le dogme libéral, complèteraient l’action publique alors que Bigot de Morogues fait de l’État le gestionnaire de l’intérêt général qui ne doit pas être confié aux associations privées, celles-ci défendant non seulement des intérêts particuliers mais s’arrogeant indûment des droits32.
23Le projet de colonie limousine apporte « ses » réponses à ces différentes préoccupations structurées par l’atomisation de la société de l’âge démocratique. Que l’Algérie ait été choisie comme champ d’application ne remet pas en cause la philosophie du projet mais, comme pour les colonies agricoles, l’insoluble question foncière a trouvé dans la nouvelle colonie une issue. Que ce projet ait été élaboré pour l’Algérie s’explique aussi bien par l’impossibilité matérielle de le mettre en œuvre en Corrèze que par la nature du projet de société. En effet, à défaut d’état interventionniste ou social en 1846, l’œuvre d’assistance engageant traditionnellement les autorités locales est ici menée conjointement avec l’État, ce qui est pour le moins inhabituel sous la Monarchie de Juillet. De plus, à l’instar des divers projets qualifiés d’utopistes et de ceux des réformateurs sollicités plus haut, l’entreprise d’assistance revêt un volet politique33 exprimé par sa tentative de conciliation des tendances qui divisent la France. Elles sont dévoilées par le choix de l’encadrement de l’association fondée sur le critère « ethnique »34, à la tête de laquelle l’instituteur et le prêtre assurent à parité le rôle « d’instituteur du social »35 en charge du maintien de la cohésion du groupe. Le principe démocratique, qui fonde la désignation des colons par la communauté, voisine avec la nécessité d’encadrer les masses par les « meilleurs » et les plus éclairés alors que le principe communautaire, égalitariste, peut aussi se comprendre comme un moyen de reconstituer les solidarités « naturelles » – horizontale et verticale – dans une société devenue juridiquement égalitaire mais atomisée. Ce projet fondé sur l’interventionnisme de l’État dans la colonisation de l’Algérie comme les pratiques écrites ou matérielles des candidats dévoilent une demande d’État.
DEMANDE D’ASSISTANCE : DEMANDE D’ÉTAT ?
24L’assimilation de la politique de colonisation à celle de l’assistance a été entretenue par la procédure administrative encadrant la politique d’émigration qui s’est appuyée sur un ensemble de pratiques existantes et sur le dispositif traditionnel d’assistance dont témoigne la démarche de certains candidats. Ainsi, les secours de route intégrés au dispositif de lutte contre la pauvreté initié par Turgot et adoptés en 177036, accordés initialement aux indigents pour des déplacements internes, furent à nouveau distribués par les municipalités et financés par le ministère de la Guerre à la suite de la circulaire ministérielle du 30 décembre 1845. Le passage gratuit pour l’Algérie prolonge cette assistance et devient au début de la colonisation un élément de décision de quelques postulants. Pour ces derniers, l’attribution des secours de route relève du « gouvernement » qui, selon le Trésor de la langue française, désigne l’ensemble des organes d’exécution d’un pays et l’administration de l’État mais est aussi employé en tant que synonyme d’État, acception que lui donnent les candidats qui s’adressent aux maires, premiers maillons de l’administration.
25Par exemple Jean Lavigne (Donzenac) demande en 1833 à « faire le voyage aux frais du gouvernement »37. En 1845, deux candidats « sont disposés à partir en Algérie mais sous condition que le passage soit gratis depuis Billac »38. Lazare Laurier, ouvrier terrassier « désireux de profiter des avantages que procure le gouvernement français aux Français qui veulent chercher du travail en Afrique »39 met lui aussi en avant l’information financière dans son courrier au préfet en juin 1841. Sous la Troisième République, on a pu repérer une évolution du rapport à l’État dans un courrier, celui de Lamiraud qui demande deux concessions attenantes et « toute indemnité de voyage due par la loi »40. La formulation est peut-être imputable à une maladresse d’expression mais elle pourrait être aussi révélatrice d’un nouveau rapport qu’avait révélé la demande d’État des révolutionnaires de février 184841.
26La procédure administrative a aussi contribué à confondre les formes d’assistance : les candidats s’adressent aux maires, interlocuteurs traditionnels qui ont en charge les bureaux de bienfaisance et qui ouvrent des chantiers en cas de nécessité. Le témoignage de l’ouvrier Joseph Hardi (Haute-Vienne) qui – décidé à partir en Algérie en 1885 mais ne disposant pas d’informations suffisantes concernant la politique de peuplement de l’Algérie puisqu’il semble ignorer que les demandes de concessions sont soumises à la création de centres – se rend à la mairie ; il indique dans son courrier qu’il se sent menacé par la précarité et sollicite une assistance exprimée en ces termes :
« Mes intentions sont d’aller en Algérie, voyant que l’industrie de Limoges à complètement tombée, et que je sui dans l’impossibilité de nourrir ma famille, je prends cette décision pensant mieux faire.
Je me suis adressé à la Mairie, là ; ont ma répondu qu’il fallait m’adresser à Mr le Préfet, pour savoir les pièces qu’il fallait produire, et en même temps pour obtenir de votre concours qu’il soit accordé du terrain gratuitement pour m’occuper moi, et mes enfants. »42
27En 1880, le candidat Pierre Taryre effectue sa démarche directement auprès du préfet, représentant départemental de l’État, et indique s’être déplacé « dans l’intention de pouvoir […] parler » afin de lui demander « un petit service »43.
28L’association colonisation/assistance se repère par ailleurs dans les démarches auprès des députés. S’il est d’usage d’évoquer la politique des passe-droits, il convient néanmoins de rappeler que le député est aussi un médiateur entre l’État et ses électeurs. Par conséquent, la conviction coloniale des députés, guère exposée publiquement, n’explique pas leur démarche car seul Édouard Delpeuch est membre du Groupe colonial. Léon Vacher est lui aussi sollicité, bien que dans sa déclaration de 1893, il se soit prononcé pour la fin des expéditions coloniales44. De son côté, les convictions coloniales de Michel Labrousse ne sont pas non plus déterminantes dans la démarche des candidats : en 1893, il se félicite de ce que la République ait relevé la Marine et l’Armée45 mais ne se prononce pas sur l’empire colonial. Le recours au député tient davantage à la nature de la politique d’assistance : la gestion administrative engage certes les autorités locales mais la faveur est accordée par le Gouverneur dépositaire du pouvoir de l’État. Les députés, à l’interface du local et du national, ont intégré cette fonction comme faisant partie de leurs attributions.
29De fait, de nombreux postulants ont sollicité l’intercession du député et ce particulièrement en Corrèze. Arthur Le Cherbonnier (député radical de 1876 à 1885 puis sénateur en 1885) recommande en 1878 Antoine Gasquet46, « cultivateur exerçant la profession de cafetier, domestique et menuisier ». Pierre Brunie47 maçon à Saint-Salvadour, attributaire à Oued-Imbert le 28 septembre 1882 et Gabriel Martinie, admis à Kherba le 3 juillet 188948 ont recours à la médiation du député Léon Vacher, radical et boulangiste (1876-1889 et 1898-1902).
30Le député Léon Borie, député de la Corrèze49 radical et boulangiste (1885-1893 et 1898-1902) intervient en faveur de Martial Massonie50, cultivateur au Cousin, commune de Bar, admis à Taza le 16 novembre 1889 et qui avait déclaré un avoir insuffisant de 3 000 F. En 1899, il est à nouveau sollicité par Pierre Vareille51 cultivateur jardinier, puis en 1900, alors qu’il est déjà concessionnaire, pour obtenir une remise d’échéance refusée par le Gouverneur52. Le même Vareille se retourne en 1902 vers le député Jean Tavé (1902-1914) afin d’obtenir un nouveau lot de terre et, en 1906, vers le député Hippolyte Rouby (1902-1907) dans le but d’obtenir un agrandissement de sa concession53.
31Jean-Baptiste Sauvage54, cultivateur, admis à Rabelais en 1889 s’est adressé au député radical Michel Labrousse (1885-1893 puis sénateur de 1894 à 1911) qui intercède aussi en faveur de François Lac, admis à Guiard le 4 février 189055. Jean-Baptiste Sauvage, dont la demande n’a pas été satisfaite, fait appel à Michel Labrousse qui intercède en sa faveur à la suite de la vacance d’une concession consécutive au décès d’un colon corrézien en 188956. Jean Lagorsse qui postule une seconde fois en 1901 après avoir refusé une première concession se tourne vers le sénateur pour faire aboutir sa demande57.
32Quelques demandes en provenance de Seilhac ont obtenu l’appui du député Édouard Delpeuch (1890-1898) : celle de Pierre Leyrat58, propriétaire de 2 ha valant 3 500 F et disposant d’un avoir de 4 500 F, admis à Hammam-Bou-Hadjar en 1891, comme les cultivateurs Jean Valette59 et François Chaliac60, admis la même année. Ceci expliquant probablement l’argument électoral des deux candidats « paysans », Laporte et Boussaguet, aux élections municipales de Seilhac en 1900 qui dénoncent la pratique de « certains de [leurs] adversaires » qui « oblige [nt] un homme, père d’une famille nombreuse, à aller ailleurs, dans les colonies, gagner le pain qu’on lui a enlevé à Seilhac. »61
33La formulation des demandes dévoile aussi le positionnement des candidats qui adoptent des attitudes imposées par les pratiques de l’assistance car, celle-ci ne relevant pas du droit mais d’un devoir moral à secourir les plus faibles62, doit se mériter. Nous voyons à l’œuvre cette attitude dans la démarche de rétablissement des situations d’Antoine Delpeuch et de Joseph Deynac, qui sont des « pauvres accidentels » mais qui ont l’intention par leur travail de mériter l’assistance accordée. En 1842, Antoine Delpeuch qui demande à aller travailler en tant que cultivateur, non inscrit sur aucune liste de concessionnaire et ne remplissant pas les conditions imposées par les circulaires ministérielles, sollicite néanmoins un passage gratuit « étant disposé à faire des efforts pour ne point laisser sa femme, ses enfants et sa mère dans la misère » et, ajoute-t-il, « que peut-être en considération de sa position et de ses intentions, M le ministre de la guerre voudrait le dispenser des […] frais de passage »63. Dans la demande de Joseph Deynac, l’exposé des revers de fortune à l’origine de « son émigration » est complété par une attestation de moralité sur sa conduite qui « n’a donné lieu à aucun reproche »64.
34Le dernier cas individuel, celui de Boutot, dont la situation est bien renseignée, est exposée ainsi au préfet par le maire de Voutezac le 24 octobre 1848 : « membre du conseil municipal, officier de la garde nationale, homme honnête et estimé, réduit à rien à la suite d’une expropriation, a été obligé de vendre son dernier meuble pour donner du pain à sa femme et à ses trois enfants en bas âge […] trop fier, trop humilié pour recourir à la charité publique ». Le maire poursuit en écrivant que « jamais homme n’a mieux mérité l’assistance personnelle » mais après avoir attendu vainement un emploi de la Préfecture il se résout à partir en Algérie. Le maire demande l’intercession du préfet pour l’obtention d’un passage gratuit immédiat, Boutot acceptant « un poste de commissaire de police, de surveillant […] et se livrerait au besoin à des travaux agricoles. N’ayant rien à attendre dans la Mère-Patrie, il demande place au soleil dans l’Algérie. Je ne peux croire que le gouvernement refuse de secourir un si grand malheur ou soit dans l’impossibilité de le faire. »65
35Sous la Monarchie de Juillet où les demandes d’assistance, émanant de pauvres accidentels, sont encore proches de la pratique charitable, les autorités ou les candidats insistent sur leur moralité et la volonté de réinsertion par l’effort personnel. Ce type de demande introduit aussi une relation particulière : c’est l’individu « privé » qui sollicite une demande d’assistance et non le citoyen.
36À la fin du siècle, la promesse de réhabilitation personnelle des deux postulants suivants les engage dans un processus de perfectionnement pour sortir de l’indigence. À défaut de mérite initial, l’intentionnalité affichée vaut mérite. Notons toutefois que la demande d’assistance s’est transformée en demande d’aide, à la différence des cas précédents.
37En Haute-Vienne, Alphonse Chambard, manœuvre, cultivateur et qui « travaille au chemin de fer de Limoges », s’adresse en 1883 au Gouverneur général car il a appris que celui-ci « donnait du terrain aux cultivateurs avec un petit logement » et s’engage à « rembourser toutes les années »66 l’avance accordée. Il précise au passage qu’il a été un ancien militaire. Pierre Romain, qui se présente en 1885 comme étant indigent, avait à deux reprises écrit au Gouverneur général car, il avait « entendu dire que le gouvernement venait en aide », tout en ayant la conviction « d’être obligé de rembourser l’argent avancé plus tard » et qu’il « accord [ait] du terrain »67.
38Le mérite qui donnerait droit à l’assistance est aussi associé aux services rendus et en particulier au mérite militaire. Cette mention est présente sur toute la période. En 1844, en Haute-Vienne, le maire de Linard, appuie la demande de Léonard Demarty, grenadier au 48e de ligne, de la mention suivante : « Les actions d’éclat qu’il a fait en Afrique le rendent digne de votre bienveillance »68. En 1901, la lettre de Joseph Meunier (Combressol) rappelle qu’il est un « ancien soldat, ayant fait la campagne de 1870 »69. Les faits d’armes des candidats ne sont pas les seuls valorisés, les acteurs n’hésitant pas à rappeler les services militaires rendus par des parents ainsi que le fait en 1854 le maire de Saint-Junien dans une lettre au sous-préfet de Rochechouart en faveur d’Irma Dejannes qui est la « fille d’un ancien chevalier de Saint Louis et de la légion étrangère »70. Jean Maumont « exempt du service par un frère à l’École de Saumur », et qui postule à un emploi dans les colonies, se présente au préfet de Haute-Vienne comme le « fils légitime de Jean-Baptiste ancien serviteur de l’État et de Limousine fille d’ancien serviteur de l’Empire, porté cinq fois à la légion d’honneur »71.
39Il s’agit moins de se prévaloir d’une qualification que de faire valoir un service en échange d’un don : ici, le passage gratuit ou la concession gratuite. Ce qui était implicite dans les exemples précédents devient explicite dans les deux courriers suivants. En 1877, Antoinette Delage expose au préfet de Haute-Vienne une doléance sous la forme suivante :
« nous aurions désiré […] aller habiter l’Algérie ; j’ose me permettre, M le Préfet, de vous demander, s’il ne serait pas possible d’obtenir une concession de terrain.
Si pour cela, il faut établir des services rendus à l’État, j’ai l’honneur de vous dire, M le Préfet, que mon mari a perdu deux de ses oncles maternels, […] dans les dernières Guerres. »72
40Dans une langue moins châtiée, Jacques Croze, originaire de la Corrèze, ne dit pas autre chose en 1899 :
« Mosiu Laferrière le gouverneur de l’agérie je vos envois deux mots de lettre pour vous demandé une consétion et pour avoir tous les ranségeman possible. Comme moi que je suis un anchien soldat d’Afrique sortent des zouaves appréssesvoirs servie la patrie avece honneur et fidélité et encore capable aubesoin je croi bien que je devré « henavoire » une. Moi javait lintention de la demandé à préssavoir fait mon service. […] Monsieur le gouverneur jemadressé à vou seul comme a un bon père de famille jecroi bien que vous ete bien le mettre pour faire cela. […] Monsieur le gouverneur tachez moyen je vousserais un bon citoyen de tou mon cœur […] escusés moi mongrifonage monsieur receve sincère salutation »73
41La nature des « services rendus à l’État » que font valoir les candidats sont de différentes sortes. Il peut s’agir, comme dans le cas de Jean Théodore Roch74 dont le père a été employé de mairie, d’une reconnaissance de services rendus à l’administration municipale, exprimée par le maire de Rochechouart en 1856. Le 6 décembre 1857, le candidat Seguy (Haute-Vienne), se « trouvan san travaille san resource » présente, à l’appui de sa demande d’obtention d’un « sertificat gratis pour allet an afrique pour [lui] et [sa] fame qui a le maleur de perdre tout ce que gavez de fortune », les états de service de sa famille dans une lettre au préfet dans laquelle il rappelle en ces termes les services rendus : « Mondefu pere Seguy maire 30 an mondefun grand pere maire 40 an de la meme commune de puyrat pre Bellac hautevienne »75.
42Les services « civiques » rendus à la société, quoique relevant de devoirs sociaux accomplis dans le cadre familial, sont exposés par Gabriel Brugère qui n’hésite pas à se présenter en bon père de famille, satisfaisant aux normes sociales76. Marié, âgé de 50 ans, père de huit enfants, dont « 4 mâles travaillant avec état manuel, deux filles lingères », ayant ainsi satisfait à ses obligations sociales puisqu’il précise que « sa nombreuse famille […] déjà nourrie, élevée moralement », souhaite se rendre « utile » en se rendant en Algérie « pour y utiliser sa profession et celles de ses enfants ». À l’appui de la demande de Justin Gauthier77, le préfet de Rochechouart rappelle les sacrifices consentis pour l’éducation de son fils « ancien élève de l’école des arts et métiers d’Angers, aujourd’hui sous les drapeaux ». La mention du service militaire vient ainsi argumenter en faveur de la double utilité sociale de ce sacrifice : la formation professionnelle et celle du citoyen.
43Ainsi, les devoirs « civiques » créent une obligation que la société, que représente l’État, peut honorer : l’attribution d’une concession en Algérie s’apparentant ainsi au règlement de cette dette. Dans ces quelques cas mieux renseignés, on est passé du devoir moral de protection de l’État à la réclamation d’une dette. La demande de François Arrondeau adressée au Gouverneur général d’Algérie, le 12 mars 1885 marque ainsi l’aboutissement d’une évolution au cours de laquelle la demande d’assistance individuelle se transforme en devoir d’assistance des individus du fait de leur appartenance à la communauté politique :
« Le bienveillant accueil que vous avez fait à mes précédentes lettres m’engage à vous adresser une nouvelle demande.
Victime du coup d’État, ayant obtenu une pension viagère de 600 F insuffisante pour vivre ma femme et moi, j’ai demandé un bureau de tabac […]
Découragé de demander à un gouvernement pour lequel j’ai compromis ma liberté et ma fortune et les années arrivant j’ai porté mes vues sur l’Algérie où j’ai un fils dans le besoin, n’ayant qu’un bien modeste emploi à la sous-préfecture de Mostaganem. »78
44Dans les démarches comme dans les attentes, nous voyons en arrière-plan poindre la figure de l’État dont le rôle dans l’instauration d’une démocratie sociale, qui prendrait la forme d’un État-providence, est questionné tout au long de la période. Les deux témoignages suivants, rédigés à des dates éloignées dans le temps, rappellent que pour une catégorie de Français, la colonisation de l’Algérie – mais pas uniquement – s’est ainsi intégrée aux débats portant sur la demande d’État. La première, en 1863, adressée au préfet de la Haute-Vienne par Jean Maumont « âgé de 21 ans agriculteur élève de Chavaignac pourvu de diplôme depuis le 7 juin dernier », désirerait être envoyé par l’État en qualité de colon en Afrique »79. La deuxième rédigée en 1926 par le Corrézien Marcelin Mouton, adressée directement au Président de la République, expose son désir d’« aller dans les colonies françaises comme agriculteur exploitant ou bien ouvrier agricole » et s’enquiert de la poursuite de la politique du « gouvernement français » en faveur de « ce genre de professions » ainsi que du maintien des « faveurs » et des « conditions »80 qui y sont attachées. Les deux candidats complètent leur demande par l’indication de leur situation militaire, de leur moralité et de leur niveau d’instruction, comme le ferait un postulant à un emploi de la fonction publique.
45En 1885, la crise de la Manufacture de Tulle apporte l’illustration que le recours à la solution algérienne est synonyme de demande d’État. Ce recours est effectivement envisagé pour régler la crise provoquée par la suppression d’emplois à la Manufacture de Tulle, menacée de restructuration. Le 5 mars, l’annonce publique du licenciement de 800 ouvriers déclenche une série d’initiatives de la municipalité qui augmente sa dotation du Bureau de bienfaisance, ouvre des chantiers de rénovation de la voirie. Un deuxième train de mesures est envisagé : le recours à l’État, sollicité à plusieurs titres et par différents acteurs. Les trois députés Léon Vacher, Michel Labrousse et Lucien Pénières demandent au nom de l’égalité81 des mesures de mise à la retraite anticipée, l’embauche des ouvriers dans les établissements relevant de l’État, l’adjudication de lots sur la ligne ferroviaire Limoges-Uzerche en attente de réalisation et une nouvelle commande d’armes nécessitée par les événements du Tonkin sur proposition du député Vacher82. La démarche du conseil général auprès du ministre de l’Intérieur ne peut être dissociée de cet ensemble d’initiatives. Sur proposition du conseiller général Félix Vidalin, la commission départementale sollicite l’attribution préférentielle de concessions en Algérie aux ouvriers congédiés de la Manufacture qui en feraient la demande. Le courrier précise par ailleurs que « beaucoup de ces ouvriers sont fils de cultivateurs et présentent des aptitudes pour la colonisation »83. La réponse négative du Gouverneur général Louis Tirman, arguant de l’abondance de demandes en attente des colons satisfaisant aux obligations imposées et de l’absence de compétences et de ressources des ouvriers congédiés84, met fin à la politique de reclassement des ouvriers en Algérie.
46Cette dernière démarche, dissociée de l’ensemble, pourrait avaliser l’idée d’une politique visant à se débarrasser des problèmes sociaux par la colonisation. Or, toutes les initiatives des Tullistes ont un point commun : la question sociale provoquée par un fait d’ordre économique ouvre un droit à l’assistance et l’Algérie fait partie du dispositif d’assistance. La démarche, vue d’un point de vue global, confond ainsi assistance et intervention de l’État, confusion qui reflète une demande d’État que la Troisième République rejette. Malgré la similitude des démarches avec l’initiative préfectorale de 1846, la demande est formulée en d’autres termes. En 1846, le préfet se contente de demander une concession comme une faveur ; en 1885, elle est présentée comme une dette. En effet, à l’appui de sa demande, le conseil municipal évoque les « obligations » du « gouvernement républicain »85 ; la commission départementale rappelle que « la ville et le département […] ont été les premiers à témoigner hautement de leurs sentiments républicains »86. Les services rendus par la ville obligent l’État. Nous retrouvons en 1846 et en 1885 deux situations générées par un fait économique, structurel pour le premier et conjoncturel pour le second, où le règlement d’une question sociale est envisagé non plus à l’échelle locale mais à l’échelle nationale intégrant la solution algérienne dans une politique de remédiation via l’État.
47Ni le projet d’émigration encadrée de colonie limousine, ni la tentative du règlement de la crise de la Manufacture n’ont été des entreprises d’exclusion mais une technologie du règlement du paupérisme qui incluait aussi une utopie sociale. La solution coloniale, venue s’ajouter aux projets de réforme de l’assistance, ne pouvait pas rester étrangère au débat politique sur la participation de l’État. Alors que les autres propositions ne pouvaient se concrétiser dans l’environnement de la première moitié du xixe siècle, les projets « coloniaux » ont trouvé un champ d’application en Algérie87. Dans cette nouvelle configuration, les compétences de l’État, essentiellement politiques sous la Monarchie de Juillet et au début de la colonisation, se sont élargies pour devenir sociales : garant de l’intérêt général en France, il est devenu le pourvoyeur de moyens d’existence en Algérie. Mais, l’exemple limousin le montre, l’assistance accordée par l’État est restée malgré tout d’inspiration libérale, combinant interventionnisme et initiative individuelle, assistance et émulation selon les vœux des économistes. Ainsi, la colonisation de l’Algérie, associée à la question de l’assistance, a pu être confondue par quelques candidats avec une demande d’État qui évolue cependant et qui n’est pas exprimée par les candidats « investisseurs » de la fin du xixe siècle.
48Mais rien ne nous interdit de penser que la protection française, du fait de l’intégration de l’Algérie à la France d’un point de vue économique mais aussi symbolique, ainsi qu’on peut le voir sur les affiches des Services de renseignements où figurent les liaisons maritimes entre la France et la colonie qui prolongent le réseau national, a été un élément de la décision. On peut dès lors émettre l’idée que les candidats migrants ayant choisi la destination de l’Algérie ont aussi fait le choix de la protection de l’État tout autant que les colons de Nouvelle-Calédonie étudiés par Isabelle Merle. Comparant ces colons aux « entrepreneurs » et « conquérants » qui se dirigent vers le Nouveau Monde, elle rappelle effectivement leur origine urbaine alors que les « colons Feillet » appartenant aux classes dominées n’ont pas encore fait le choix de la rupture avec le monde rural. Pour ces derniers, « le départ aux colonies est largement conditionné par les soutiens que leur offre l’État français »88. Par ailleurs, le projet de colonisation de 1898 d’Henri Conjeaud, que nous ne connaissons que par les comptes-rendus dans la presse d’un correspondant de Vigeois qui signe « Jean d’Ici », apporte de l’eau à notre moulin. Dans son courrier, il insiste sur la conception du projet de colonisation qui se donne pour objet de créer des « centres agricoles » peuplés, dans un premier temps, par quelques familles choisies par une « Société française départementale pour la création de contrées agricoles à Madagascar », qui deviendraient propriétaires d’une exploitation de 15 à 20 ha au bout de 5 ans89. Ce projet de colonisation est conçu pour éviter la répétition d’expériences antérieures où les colons isolés ont été les victimes de « la rapacité de quelques audacieux […] qui n’ont travaillé qu’à leur propre fortune ». L’auteur précise que « Conjeaud répudie toutes vues de spéculation », qu’il n’est pas « millionnaire » et qu’il œuvre pour faire de Madagascar une « France Orientale ». La mise en œuvre du projet doit se faire, poursuit le correspondant, avec le concours des « pouvoirs publics, [des] administrations départementales, [du] Préfet, [du] Sous-préfet et [des] maires » – parce qu’il est « une œuvre patriotique […] philanthropique et nationale »90 – et celui des députés Michel Labrousse et Robert de Lasteyrie. Le financement s’inspire des principes mutualistes et serait assuré par les cotisations annuelles des adhérents de la société et des « dons et des souscriptions volontaires »91.
49La suite du projet nous échappe et a semble-t-il donné lieu à un abondant courrier mais cet exemple indique qu’au moment où la propagande coloniale insiste sur une colonisation capitaliste, perdure dans la société française une autre représentation92. En effet, il s’agit bien d’une colonisation qui profiterait aux petits colons, associant l’initiative individuelle et le patronage de l’État et qui ne doit pas être menée par des spéculateurs, entendons au profit des intérêts des entreprises privées. Or, ces thèmes ont été discutés tout au long de la colonisation93 et sont à nouveau mobilisés pendant la campagne contre la Guerre du Rif, témoignant que, pour une partie des Limousins, la colonisation est une affaire d’État, engagée différemment selon les époques, et non celle du Parti colonial. Les critiques de la colonisation de l’Algérie par les libéraux rappellent opportunément que la politique coloniale a été aussi un lieu de débat sur l’interventionnisme. Ainsi Jules Duval comparant les politiques de colonisation de l’époque note qu’aux :
« États-Unis et dans les colonies anglaises, ce sont les citoyens qui colonisent, sous la protection de l’autorité. En Algérie, c’est l’autorité qui prétend coloniser sous les yeux des citoyens et leur apprendre leur métier. Dans le Nouveau Monde, l’État se contente d’être quelque chose, en Algérie, il prétend être tout. Dans le Nouveau Monde, règne le principe de la liberté industrielle ; en Algérie, le communisme administratif plane sur tout. »94
50Cette situation, explique Paul Leroy-Beaulieu, est la conséquence d’une colonisation de l’Algérie qui « naquit d’un seul jet, par l’initiative du pouvoir » alors que « pour tous les peuples, la colonisation fut l’œuvre moins des gouvernements que des particuliers […] commencée et poursuivie par des légions d’aventuriers hardis et heureux, régularisée après coup par l’intervention gouvernementale »95. La critique porte aussi sur la politique de peuplement en Algérie dénoncée en son temps par Duval qui note qu’en Amérique l’administration « n’a pas visé à remplacer la nature et la Providence. »96
51Critique qui n’est pas dénuée de fondement car la colonisation officielle qui a opté pour le principe de la petite colonisation97, modifié mais pérennisé, a repris en les aménageant les propositions des agrariens favorables aux colonies agricoles. Elle a institué un modèle anticapitaliste fondé sur un système de concessions conçu comme alternative à la concentration de la propriété et à la spéculation, limitant ainsi le principe libéral de la liberté de transactions. Elle a repris le principe de l’encadrement de la population et de leur activité économique que Jules Duval qualifie de « communisme »98.
52L’étude des modalités de la réception de la colonisation de l’Algérie a montré la complexité des phénomènes sociaux et la multiplicité des appropriations ainsi que la difficulté d’établir un modèle dans la perspective d’une histoire nomothétique. Par ailleurs, malgré la spécificité de l’objet de notre étude, le choix de ne pas privilégier le couple France/Algérie, en ayant le souci d’insérer le flux migratoire dans un contexte global, a permis d’accorder plus de place aux dynamiques sociales et donc permis d’infléchir le schéma présentant des hordes de miséreux poussées par la misère et attirées par l’Eldorado colonial. À ce modèle mécaniste a été substituée une vision centrée sur les projets individuels qui sont le produit d’une interaction entre l’histoire personnelle des acteurs et leur insertion dans un environnement régional et international. Le dernier point examiné a porté sur l’association entre la colonisation de l’Algérie et le règlement des problèmes sociaux qui ont fait émerger des thèmes débattus par les historiens sociaux : celui de l’État et des modèles de société qu’impliquaient les pratiques d’assistance. Ceci nous a éloigné de l’Eldorado algérien ou de « l’hospice propre à recevoir les mendians [sic], les gens dénués de tout »99 qu’aurait pu représenter la colonie selon Joseph-Marie de Gérando. De même, en privilégiant la pratique sur l’analyse des idées, « l’idéologie coloniale » courait le risque d’être évacuée. Mais, comme le rappelle Paul Veyne « quand on a une pratique, on a nécessairement la mentalité correspondante »100. Or, la pratique renvoyait à la demande d’état et à la représentation d’un modèle de colonisation ayant esquissé l’expérimentation d’une politique d’assistance, inspirée des réflexions des penseurs sociaux, modèle désavoué par les libéraux101. On peut dès lors mieux comprendre la défiance des Français à l’égard de la colonisation, devenue dans les années 1880 l’affaire d’un parti colonial.
Notes de bas de page
1 Giovanna Procacci, Gouverner la misère : la question sociale en France (1789-1848), Le Seuil, 1993.
2 Pierre Rosanvallon, Le Capitalisme utopique : histoire de l’idée de marché, Le Seuil, 1999, p. 111.
3 Cette analyse s’appuie sur les ouvrages de Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Le Seuil, 1990 ; de François Ewald, L’État-providence, Grasset, 1986 et d’André Guesclin, L’Invention de l’économie sociale. Idées, pratiques et imaginaires coopératifs dans la France du xixe siècle, Économica, 1998.
4 L’État en France de 1789 à nos jours, op. cit., p. 182-183.
5 Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire suivi de Foucault révolutionne l’histoire, Le Seuil, 1978, p. 213.
6 Michel Foucault, Dits et écrits, III, p. 299, cité par Paul Veyne, Foucault, sa pensée, sa personne, Albin Michel, 2008, p. 49.
7 Nommé en Corrèze le 20/10/1838 et révoqué le 1/3/1848, propriétaire et avocat de son état avant son entrée dans la carrière préfectorale, Dossiers personnels des préfets de Corrèze, 2M20, ADC.
8 Il est secondé à cette date par Alexandre Moline de Saint Yon.
9 Caractère propre aux « populations restées en dehors du mouvement général de la civilisation », précise le préfet. Préfet de Corrèze au ministre de la Guerre, 14/5/1846, Immigration corrézienne, L1 dossier 5, AOM.
10 Minute de la réponse du ministre au préfet de Corrèze, 12/9/1846, Immigration corrézienne, L1 dossier 5, AOM.
11 Lieutenant Eugène Juillet de Saint-Lager, « Projet de colonisation civile pour une agglomération de trente familles corréziennes », 17/2/1847, 6M402, ADC.
12 L’Union Agricole d’Afrique, nouveau système de colonisation, BNF, S35202. Voir Michèle Madonna-Desbazeille, « L’Union Agricole d’Afrique : une communauté fouriériste à Saint-Denis-du-Sig, Algérie », Cahiers Charles Fourier, no 16, 12/2005, p. 51-63.
13 Projet de colonie limousine de Juillet de Saint-Lager adressé au préfet, 18/02/1847, 6M402, ADC.
14 Minute du courrier adressé à Juillet de Saint-Lager, 10/04/1847, 6M402, ADC.
15 Courrier adressé au préfet, 17/5/1847, 6M402, ADC.
16 Sous la Monarchie de Juillet se multiplient les débats autour de la restauration des corps intermédiaires et de la mise en œuvre d’une décentralisation susceptible d’atténuer les effets de la culture de la généralité dont l’atomisation de la société, privée de lien social. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les tentatives d’association, ouvrières ou phalanstériennes fouriéristes, qui sont des « projets de mise en œuvre de formes de contresociétés » (Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, op. cit., p. 184). Le projet associatif renvoie, écrit celui-ci, a une troisième dimension, celle de la liberté et apparaît à la fois comme « un moyen d’action et de défense » mais aussi comme un « outil d’intervention » (Le Modèle politique français, La Société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Le Seuil, 2004, p. 185).
17 Leur réflexion a porté sur les modalités de la bienfaisance en instituant les fameuses visites à domicile, sur l’assistance médicale et sur la prise en charge des vieillards et des enfants trouvés. Libéraux, ces économistes ont aussi placé au cœur de leur action la valorisation de l’épargne et ont milité pour la généralisation de l’enseignement. Soucieux de reconstruire les liens sociaux, ils ont par ailleurs encouragé les sociétés mutuelles. Enfin, leur intérêt pour les populations marginales les a conduit à s’intéresser au système pénitentiaire.
18 Les colonies agricoles, mises en œuvre dans ce pays en 1818 par un ancien militaire et gouverneur, Van den Bosch, qui avait expérimenté le principe à Java, sont connues du public français grâce à la traduction de son ouvrage, De la Colonie de Frederiks-Oord et des moyens de subvenir aux besoins de l’indigence par le défrichement des terres vagues et incultes (traduction d’un manuscrit du général-major Van den Bosch par le baron de Keverberg, Gand, J. N. Houdin, 1821), Villeneuve-Bargemont, Économie politique chrétienne…, op. cit., p. 406.
19 Villeneuve-Bargemont, reprenant l’exposé de Huerne de Pommeuse, cite les cas des colonies agricoles des vétérans en Autriche, militaires en Suède, mixtes en Russie ; des colonies pour indigents dans le duché de Hanovre, en Westphalie, au Wurtemberg, au Danemark et en Italie ; des colonies d’ouvriers à Hambourg. En Prusse et en Espagne, les colonies décidées par les souverains ont été constituées par l’apport étranger. En Bavière, l’expérience a été menée par le souverain en partenariat avec une société d’actionnaires et les propriétaires des alentours. Les terres asséchées ont été ensuite distribuées aux actionnaires, aux propriétaires et à des colons (Économie politique chrétienne…, op. cit., p. 379-400).
20 Valentin Vaysse de Rainneville dans la Somme, de la Haute dans le Rhône, Van Cassiède en Vendée, de Chabrillant dans l’Indre…
21 « Les colonies agricoles libres doivent avoir pour but principal de soulager la population ouvrière laborieuse, active et intelligente, au moyen d’une répartition du travail et de la propriété réparatrice des torts que lui font éprouver l’empiètement de la grande industrie sur la petite », Du Paupérisme…, op. cit., p. 407.
22 Pour Huerne de Pommeuse et Villeneuve-Bargemont, la perte des colonies oblige à reconsidérer le traitement du paupérisme et ils préconisent la colonisation intérieure, conçue comme un « déversoir à un débordement » de la population « sans moyens d’existence assurés », Huerne de Pommeuse, cité par Villeneuve-Bargemont, Économie politique chrétienne…, op. cit., note p. 455. La solution coloniale n’intervenant, précise de Morogues, qu’au moment où les ressources nationales ne seront plus suffisantes pour faire face à l’excédent de population et alors : « Il serait tems, non de déporter les pauvres des vieux états de l’Europe, mais de faciliter leur émigration au-delà des mers, quand nous ne posséderons plus un seul hectare de territoire, ou dont l’amélioration ne pourra plus accroître la force productive. Alors il faudra bien repousser les limites du sol sur les parages lointains ; Alger que nous possédons et qu’heureusement nous conservons sera là pour étendre au loin les limites de notre territoire, comme les Anglais ont les deux Indes pour recevoir leur population surabondante », Du Paupérisme…, op. cit., p. 562.
23 D’autres économistes influents sont intervenus dans le débat pour rappeler le risque de dissolution sociale, préoccupation majeure de l’époque. Sismondi, dans un ouvrage paru en 1837, met lui aussi en garde contre l’entreprise coloniale et rappelle la nécessité de maintenir « le sentiment de la vie sociale, de la vie civile » en créant, comme les Anciens, des cités (Les Colonies des Anciens comparées à celles des Modernes sous le rapport de leur influence sur le bonheur du genre humain, Genève, Impr. de Lador et Rammon, 1837, p. 11).
24 Les Établissements d’enseignement technique en France, 1789-1940, t. 1, La Corrèze, Service d’histoire de l’éducation, INRP, 2004, p. 19.
25 Ibid., p. 20.
26 Rapports du préfet au conseil général sur la situation économique et sociale, 1N, ADC.
27 Ce thème, récurrent dans les différents essais consultés, est formulé en ces termes par Enfantin : « Comme toutes les réactions, celle qui a eu lieu contre le système de la grande propriété féodale a été exagérée, non en ce qu’elle détruisit la féodalité, mais parce qu’elle détruisit aussi la grande propriété et la stabilité qui lui est nécessaire. Au principe ancien, au principe de conservation et d’immobilisation, on a substitué avec excès, le principe de division du sol et de mutation de propriétaires, sans songer que certains produits de la terre et certains sols, exigent impérieusement la grande culture et la perpétuité d’une même pensée dans le cultivateur. », Colonisation de l’Algérie, Bertrand, 1843, p. 100-101, BNF/Gallica, FRBNF30400313.
28 Rapport du préfet au conseil général sur la situation économique et sociale, 1846, 1N, ADC.
29 Dès 1845, il a présenté un projet de ferme-école qu’il compte installer à proximité de Tulle ; en 1847, il crée l’Association corrézienne pour l’encouragement de l’agriculture.
30 Le Gouvernement de la misère…, op. cit., p. 210.
31 Villeneuve-Bargemont, Économie politique chrétienne…, op. cit., p. 216.
32 « Les spéculateurs qui ont un grand intérêt à la modicité des salaires ; les gens qui auraient le désir de diriger, peut-être d’ameuter le peuple, et qui pensent que les pauvres se placeront plus facilement sous leur influence que ne feraient les ouvriers dans l’aisance ; ceux enfin qui ont contracté l’habitude et le goût de dominer les prolétaires, qui les entourent, et de les faire servir à leurs fins, seraient toujours enclins à rejeter tout ce qui pourrait atténuer l’indigence et à s’inscrire comme protecteurs de la mendicité, au nombre desquels se trouvent encore par malheur beaucoup de personnes riches, et notamment quelques personnes qui se persuadent à tort que les intérêts de position exigent la conservation de l’ignorance, de la superstition de la fainéantise », Du Paupérisme…, op. cit., p. 357.
33 Selon la définition qu’en donne Rosanvallon : « En parlant substantivement du politique, je qualifie ainsi tant une modalité de la vie commune qu’une forme de l’action collective qui se distingue implicitement de l’exercice de la politique. », Pour une histoire conceptuelle du politique, Leçon inaugurale au Collège de France faite le jeudi 28 mars 2002, Le Seuil, 2003, p. 14.
34 En 1842, des agriculteurs venus de Grasse avaient été regroupés dans le village de Cheragas (Charles-André Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 242). Cette conception de la colonisation est exposée sous le Second Empire par François Ducuing, Les Villages départementaux en Algérie, Schiller aîné, 1853. Elle est dénoncée par Jules Duval qui écrit que : « Les avocats des concessions reprochent aux ventes de mêler les populations. Il y aura, disent-ils, de toutes les nations, de toutes les parties de France […]. Que de conflits, que de disparates, que de tâtonnements alors qu’un concours fortuit mettra en présence ces éléments hétérogènes ! […] » car ils craignent de transformer l’Algérie en « tour de Babel », Concession et Vente des terres de colonisation, Libr. de Guillaumin, 1857, p. 25.
35 Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, op. cit., p. 94.
36 Voir Joseph Nouaillac, Turgot en Limousin, Limoges, Impr. de Bontemps, 1927, Extrait de la Revue limousine.
37 6M406, ADC.
38 6M406, ADC.
39 6M406, ADC.
40 Lettre de Jean Lamireaud, 29/12/1887, 51L/246/3485, AOM.
41 Pierre Rosanvallon, Le Modèle politique français, op. cit., p. 247 sq.
42 Lettre au préfet, 22/10/1885, 6M284, ADHV.
43 Pierre Taryre au préfet de Haute-Vienne, 22/2/1880, 6M284, ADHV.
44 Élections générales du 20/8/et 3/9/1893 : professions de foi, affiches, procès-verbaux, 3M185, ADC.
45 3M185, ADC.
46 51L/12/11099, AOM.
47 51L/11/11007, AOM.
48 51L/174, AOM.
49 Lettre du 06/12/1887 : Léon Borie est aussi à cette date membre de la commission du budget.
50 51L/51/14916, AOM.
51 51L/148/24416, AOM.
52 Député Léon Borie au « Gouverneur des biens de l’Algérie », 15/05/1900, 51L/148/24416, AOM.
53 Minute du courrier du Gouverneur général au député Hippolyte Rouby, 02/07/1906, 51L/148/24416, AOM.
54 51L/262/36360, AOM.
55 51L/243/34052, AOM.
56 Lettre du 21/06/1889, 51L/262/36360, AOM.
57 51L/195/28991, AOM.
58 51L/294/39350, AOM.
59 51L/294/39354, AOM.
60 51L/294/39343, AOM.
61 Profession de foi de Laporte et Boussaguet, Élections municipales, Seilhac, 1871-1939, 3M451, ADC.
62 Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, op. cit., p. 160.
63 Maire de Brignac au préfet de Corrèze, 12/11/1842, 6M402, ADC.
64 Maire de Beaulieu-sur-Dordogne au préfet de Corrèze, 18/08/1845, 6M406, ADC.
65 6M402, ADC
66 Lettre du 24/05/1883 au Gouvernement général d’Algérie, 51L/135/23031, AOM.
67 Lettre de Pierre Romain, de Limoges, 24/10/1885, 1L/199/29404, AOM.
68 12/07/1844, 6M285, ADHV.
69 Lettre au Gouvernement général d’Algérie, 17/07/1901, 6M403, ADC.
70 28/008/1854, 6M285, ADHV.
71 10/08/1863, 6M285, ADHV.
72 Lettre du 26/02/1877, 6M284, ADHV.
73 Saint-Pantaléon-de-Larche, 03/05/1899, 6M402, ADC.
74 Lettre du 04/09/1856, 6M285, ADHV.
75 Lettre du 06/12/1857, 6M285, ADHV.
76 22/8bre/1860, 6M285, ADHV.
77 Sous-préfet de Rochechouart au préfet de la Haute-Vienne, 15/10/1875, 6M285, ADHV. Le positionnement de ce candidat, « victime du coup d’état » n’est pas sans ressembler à ceux étudiés par Louis Hincker, Citoyens-combattants à Paris : 1848-1851, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2007.
78 6M284, ADHV.
79 Jean Maumont de Saint-Bonnet-la-Rivière au préfet de Haute-Vienne, 10/08/1863, 6M284, ADHV. Nous soulignons.
80 Marcelin Mouton au Président de la République, 25/01/1926, 6M403 ADC.
81 Les deux autres manufactures ont été moins affectés par les licenciements : 300 annoncés pour Saint-Étienne et aucun pour Châtellerault, Compte-rendu de la réunion publique du 22/03/1885, Le Corrézien, 26/3/1885, 8pr30, ADC.
82 Séance du conseil général du 30/03/1885, Le Corrézien, 16/04/1885, 8pr 30, ADC.
83 Courrier du 23/04/1885 au ministre de l’Intérieur, Émigration des ouvriers congédiés de la manufacture d’armes, L5 dossier 4, AOM. Délibérations de la séance de la commission départementale du 13/04/1885, 1N243, ADC.
84 Minute du courrier du Gouverneur général Louis Tirman au ministre de l’Intérieur, 07/05/1885, Émigration des ouvriers congédiés de la manufacture d’armes, L5 dossier 4, AOM.
85 Séance du conseil municipal du 20/03/1885, Le Corrézien, 14/4/1885, 8pr30, ADC.
86 Séance de la Commission départementale du 3/6/1885, Le Corrézien, 25/06/1885, 8pr30, ADC.
87 E.-L. Bertherand, Les Orphelinats de la colonisation à propos du peuplement de l’Algérie, sous les rapports ethnologique et hygiénique des immigrants, Alger, Victor Aillaud, 1877, 3137, AOM. ; Noël-Bernard Baillet, Réflexions sur la colonisation de l’Algérie à l’aide des enfants trouvés ou abandonnés terminées par une : pétition aux autorités de la Seine-Inférieure pour obtenir l’envoi de vingt-quatre enfants de l’hospice de Rouen dans les établissements agricoles créés dans le voisinage d’Alger, Rouen, Impr. de H. Rivoire, 1850, B1520, AOM.
88 Expériences coloniales : la Nouvelle-Calédonie, 1853-1920, Belin, 1995, p. 247.
89 Correspondance du 18/01/1898 parue dans le no du 23/1 sous le titre « Colonisation de Madagascar », La République de Corrèze, 62PR16, ADC.
90 Correspondance du 05/01/1898, La République de Corrèze, 62PR16, ADC.
91 23/01/1898, La République de Corrèze, 62PR16, ADC.
92 Henri Brunschwig explique l’échec de la politique de peuplement en Algérie par le fait que « ce sont les milieux financiers qui exploitèrent l’affaire algérienne, aux dépens des paysans de France, auxquels elle aurait dû profiter » (La Colonisation française, du Pacte colonial à l’Union française, Armand Colin, 1960, p. 40).
93 Rappelons à cet effet les propos de Bugeaud critiquant le projet capitaliste de Lamoricière qu’il qualifie de « colonisation bon marché », et qui obligerait « L’État [à] abandonner ses devoirs, [et à] renoncer à la tutelle de la société nouvelle, pour la livrer à la spéculation », Observations de Monsieur le maréchal Gouverneur-Général sur le projet de colonisation présenté pour la province d’Oran par M Le lieutenant-général de Lamoricière, Impr. du Gouvernement, 1847, B 6189, AOM, p. 16. Sa position anticapitaliste est partagée par Enfantin qui en 1843, après avoir déploré la constitution anarchique de la propriété en Algérie, en rappelle les causes : « la législation qui permettait l’établissement de ces baronnies isolées, qui favorisait le jeu désastreux de ces bandes noires d’agioteurs [et qui] n’a pas été une lumineuse importation en Algérie ». Mais le contexte colonial, explique-t-il, n’est que le reflet d’un dysfonctionnement global de l’économie car « [peu de personnes pensent que] ces deux vices sont les fruits de deux vieilles branches non de l’arbre de la science, mais de l’arbre de la richesse, tel que nous cultivons en France ; qu’ils sont les fruits de la propriété foncière féodale et de la propriété commerciale anarchique […] », Enfantin, Colonisation de l’Algérie, op. cit., p. 108-109 et 190-191. La position qu’exprime ici Paul Leroy-Beaulieu rend compte des débats provoqués par la colonisation : « Dans la situation actuelle, écrit-il, il y a une œuvre de colonisation à accomplir. Doit-on l’abandonner aux simples particuliers. Cela est impossible. Les particuliers jouent un rôle important dans la colonisation, comme explorateurs, comme aventuriers, comme pionniers, comme commerçants. Mais ils ne peuvent exercer une action méthodique, prolongée, synthétique, sur tout un pays barbare ou sauvage. Ils poussent parfois à l’extrême l’amour du lucre, l’esprit d’injustice et d’oppression. Précurseurs utiles et indispensables, ils ont cependant besoin d’être contenus et contrôlés par une puissance publique. », L’État moderne et ses fonctions, 1900, Guillaumin, BNF/Gallica, FRBNF37746480, p. 454-455.
94 Concession et Vente des terres de colonisation, op. cit., p. 48, 1518, AOM.
95 Ibid., p. 3.
96 Ibid., p. 9.
97 La confrontation des propositions de l’agrarien Bigot de Morogues à celles du colonisateur libéral Christophe de Lamoricière est éclairante. « Les progrès de l’industrie, en déterminant l’accumulation de capitaux, ont eu pour conséquence, non seulement la multiplication des fabriques et des grandes entreprises commerciales, mais encore celles des grandes exploitations rurales, qui concourent à diminuer le nombre des bras employés à la culture de la terre, comme les autres concourent à réduire le nombre des ouvriers que la fabrication appelle. Cependant, les grandes fermes n’agglomèrent pas la population comme le font les grandes fabriques. » (De Morogues, Du Paupérisme…, op. cit., p. 32). En 1847 Lamoricière, dans son projet de société capitaliste, reprend à son compte l’idéal de la petite propriété. Sa préférence va à ce type de structure eu égard, écrit-il, à la nature du sol algérien et à la nécessité d’un travail plus minutieux engageant tous les bras de la famille et poursuit-il, « la petite culture est donc plus forte que la grande, puisqu’elle admet sur le même espace un plus grand nombre de bras », Observations de Monsieur le maréchal Gouverneur-Général…, op. cit., p. 19-20.
98 Les contraintes culturales imposées aux concessionnaires sont à l’origine de ce qualificatif, le communisme se définissant par « l’absorption de l’individu dans l’État ». Jules Duval poursuit son réquisitoire et s’interroge sur les pratiques en Algérie car, écrit-il, « déterminer le nombre minimum de brebis et de béliers que doit entretenir un éleveur, en prescrire la race et la qualité […] n’est-ce point là du communisme, et du plus cru, un empiètement manifeste sur les prérogatives de l’industrie privée ? » (Concession et Vente des terres de colonisation, op. cit., p. 28).
99 De la bienfaisance publique, Bruxelles, Société belge de librairie, 1839, p. 111.
100 Comment on écrit l’histoire, op. cit., p. 217.
101 Daniel Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, op. cit., p. 111.
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