La guerre, les persécutions, la traque, l’extermination – 1939-1944
p. 141-207
Texte intégral
1La Seconde Guerre mondiale marque une étape bien sûr décisive dans l’histoire des juifs en général et des Français israélites en particulier, étape qui ne peut être étudiée en fonction de ce que nous savons aujourd’hui de l’extermination. L’historien Pierre Vidal-Naquet disait qu’il faudrait pouvoir faire l’histoire « sans connaître la fin », afin de mieux appréhender les perceptions, les attitudes et les comportements de ceux qui l’ont vécue au présent.
2Lors de la défaite et de la débâcle, les Français israélites partagent avec tous le traumatisme d’un pays en décomposition. Pendant l’été 1940, période d’installation du régime de Vichy et courte parenthèse entre le choc de la défaite et les premières mesures antisémites, ils tentent comme la plupart des Français de réorganiser leur vie dans un contexte nouveau.
3En zone Nord, une seconde période s’étend de l’automne 1940 à l’été 1942, des premières lois antisémites aux grandes rafles de l’été 1942. Elle se poursuit en zone Sud jusqu’en novembre 1942, lorsque tout le territoire est occupé. Pendant ces deux années, les Français israélites voient leur situation personnelle, matérielle et professionnelle se dégrader fortement. Mais jusqu’à l’été 1942 en zone occupée, et novembre 1942 en zone Sud, malgré des signes déjà inquiétants, ils ne se sentent pas, ou peu, menacés dans leur intégrité physique.
4La troisième période – de la fin de l’année 1942 à la Libération – voit le renforcement des mesures d’exclusion à la fois économiques et sociales, et la mise en place de la traque physique de tous les juifs de France, traque qui s’accélère encore dans les premiers mois de l’année 1944. Ce moment entraîne pour la plupart une entrée progressive dans la semi-illégalité, parfois la clandestinité totale. Quelques-uns, rares, demeurent jusqu’à la Libération chez eux et dans la stricte légalité. Les situations, parfois dans le même lieu, sont bien diverses.
5Cette périodisation suit dans ses grandes lignes les étapes des persécutions. Chaque cas particulier permet de l’affiner, donnant un exemple des accommodements et des stratégies personnelles. Au travers de ces parcours, on tente d’envisager comment les mesures antisémites, ensemble de lois particulièrement touffu et complexe, ont été comprises, interprétées, analysées, parfois anticipées. Les actions et réactions dépendent des informations, parfois des rumeurs, également des interprétations données à ces informations en fonction d’un contexte général.
6L’exclusion progressive devrait influer sur les appréciations politiques, mais le lien de cause à effet n’est pas systématique. Les Français israélites vivent et appréhendent la situation en fonction de systèmes de représentations mentales hérités du plus long terme : avant tout en Français. Pourtant, en particulier parmi les plus jeunes, au fur et à mesure de l’aggravation des persécutions, quelques brèches se glissent dans ce système de représentation.
7Trois thèmes sont abordés parallèlement à cette périodisation : les perceptions et relations avec la population française non-juive ; avec gouvernement de Vichy ; et enfin avec la résistance qui est surtout traitée à partir de 1943, lorsqu’elle s’étoffe et s’unifie. Dans ce cadre, les choix entre résistance « générale » et résistance juive sont apparus comme particulièrement révélateurs du poids des persécutions dans les perceptions.
L’EFFONDREMENT DE LA FRANCE (SEPTEMBRE 1939-FIN ÉTÉ 1940)
8Lors de l’entrée en guerre, totalement immergés dans l’ensemble national, les Français israélites sont traversés par des inquiétudes, troubles et ambiguïtés proches de ceux de leurs compatriotes, avec parfois quelques décalages liés à leur judéité.
9Les années vingt et trente, les conséquences de la Première Guerre mondiale, ont laissé entrevoir l’idée qu’il « pouvait y avoir quelque chose de supérieur à la défense de leur patrie517 », notamment la paix. Le patriotisme n’en demeure pas moins une valeur forte. On a vu que les Français israélites étaient un peu moins sensibles aux sirènes du pacifisme intégral, le patriotisme demeurant souvent pour eux la valeur la plus haute. Ce sentiment n’est pas pour autant le gage de visions et de perceptions plus sereines, ou seulement plus synthétiques, des événements. Comme l’ensemble des Français, ils estiment, lorsque la guerre est déclarée, qu’il est de leur devoir de se mobiliser contre l’ennemi. En partie plus prévenus contre le régime nazi, les enjeux de cette guerre sont-ils pour autant plus clairs et plus évidents ?
La mobilisation et la démobilisation de la drôle de guerre
Une guerre anticipée et repoussée
10Les témoignages postérieurs s’accordent tous pour reconnaître que la guerre était non seulement prévisible mais même attendue et prévue, notamment après les accords de Munich. Cet événement recèle aujourd’hui une telle charge symbolique que c’est peut-être cette date qui revient naturellement dans les récits.
11Les milieux militaires et les habitants frontaliers de l’Allemagne sont mieux préparés à ce risque. Autour de Jacques Lazarus, militaire basé à Colmar, « depuis à peu près 1937-1938, on avait le sentiment que la guerre ne pouvait pas ne pas venir518 ». À Strasbourg, la famille de Liliane J. pense aussi que la guerre est imminente. D’après son souvenir, ce sentiment était partagé par de très nombreux Strasbourgeois, juifs ou non. À Thionville, ville de garnison « en plein dans la ligne Maginot519 », les L. ont anticipé la guerre en envoyant une partie de leurs biens dans un garde-meuble à « l’intérieur » dans l’Yonne. René Cassin, très au fait de la situation internationale, est persuadé que le conflit ne peut être évité. En juillet 1939, il déclare à ceux qui veulent croire que la paix est encore possible que « la guerre sera mondiale520 ».
12Ce « sentiment général » d’une guerre à venir dépend plus du lieu de vie, de l’intérêt pour les questions politiques, et peut-être de la lucidité de chacun que du lien avec la judéité. Car la France entière ne vit pas, comme à Thionville ou en Alsace, sur « un pied de guerre » et les hommes comme René Cassin sont rares. Même si la crainte existe, beaucoup espèrent, selon la formule devenue célèbre, que « la guerre n’aura pas lieu ». Yvonne B., dont le mari avait été mobilisé une première fois en septembre 1938, quelques mois après leur mariage, reconnaît :
« Jusqu’au dernier moment, on ne croyait pas à la guerre. On est égoïste. On écarte l’idée521.»
13Même au prix de certains aveuglements. La déclaration de guerre n’est finalement une surprise pour personne, et la très grande majorité s’y résigne.
Faire son devoir
14La guerre a, en un sens, le mérite de clairfier la situation, au moins en apparence. La mobilisation s’effectue dans le calme et l’on ne compte pas plus de déserteurs qu’en 1914522.
« Quand la guerre éclata, chacun sans doute remplit son devoir patriotique523.»
15Les mobilisés rallient leur affectation et quelques anciens combattants de 1914-1918, non mobilisables en raison de leur âge et du nombre de leurs enfants, témoignant d’un esprit patriotique qui va au-delà du strict accomplissement de leur devoir, demandent leur incorporation. C’est le cas de l’historien Marc Bloch qui livre ensuite son admirable réflexion dans L’étrange défaite524. Le rabbin Jacob Kaplan, réserviste de l’armée territoriale, père de cinq enfants, est aumônier de guerre. D’autres servent la France dans le civil. Ernest J., négociant en céréales et propriétaire de plusieurs camions, est requis sur place à Strasbourg pour le ravitaillement. Dès les premiers jours de la mobilisation René Cassin est affecté, comme il l’a souhaité, au Commissariat Général à l’Information. Après avoir attendu quelques jours pour être reçu par son ministre, il devient conseiller juridique et s’attache surtout à défendre l’anglophilie. Les femmes aussi se mettent au service de la France. Dès septembre 1939, Cécile Brunschvicg, comme en 1914, fait passer la lutte féministe après « l’intérêt national », et exhorte les femmes comme les hommes à « être à leur poste525. » Elle tente – sans y parvenir – d’organiser l’enrôlement de volontaires féminines sur le modèle anglais.
16Mais ce zèle n’est pas toujours la règle. André Becker, très patriote, ancien de Verdun, est mobilisé par erreur « et il a fait des pieds et des mains pour être démobilisé526 ». Avec succès. L’âge, les responsabilités familiales – il est père de quatre enfants –, le sentiment d’avoir déjà accompli son devoir en 1914 ont très sûrement pesé dans sa décision. On peut aussi y retrouver l’écho de témoignages qui insistent sur la résignation et le manque d’élan des Français, sur leur volonté d’accomplir leur devoir sans pousser le dévouement plus loin. Comme leurs compatriotes, les Français israélites se souviennent de quatre années de guerre, du sang versé, de la jeunesse massacrée. Le poids de la Grande Guerre se fait encore sentir.
La guerre : contre qui et pourquoi ?
17Si, pour les historiens, la Seconde Guerre mondiale est, au contraire de la Première, souvent considérée comme inévitable, les motifs et enjeux de cette guerre demeurent, flous pour nombre de Français. Résultat sans doute du brouillage des esprits des années trente527, les causes de la guerre sont souvent éludées. Les références précises au système nazi, à ses aspects liberticide et expansionniste sont exceptionnelles, et plus exceptionnelles encore les références à l’antisémitisme.
18Toujours didactique et rigoureux, René Cassin est l’un des seuls à justifier la guerre contre l’Allemagne par la nature même du régime nazi. La neutralité ne peut exister « en face d’un État qui menace l’existence de tous, y compris les États neutres, en projetant au-dehors ses conceptions totalitaires déjà triomphantes au-dedans528 ». Les démocraties ne font qu’user de leur droit à la légitime défense. Cécile Brunschvicg considère que l’Allemagne est à l’origine de la guerre seulement car « Hitler […] a brisé le pacte de paix529 ». « Nous voici revenus au même point qu’en 1914, à la même nécessité de lutter […] pour le droit à la vie, le droit à la liberté530 » poursuit-elle, mais sans expliquer le fonctionnement du régime nazi. Comme si les faits parlaient d’eux-mêmes. Ce discours en creux, combiné avec un réel déficit d’explication sur l’enjeu même du conflit, est fréquent. La formule de Daladier qui veut que « la cause de la France se confonde avec celle de la justice531 » est maintes fois reprise. Le Manifeste des Anciens Combattants français à la nation affirme en août 1939 que cette guerre est, comme en 1792 et 1914, une « guerre de la liberté contre la tyrannie et l’esclavage532 ». La guerre est présentée comme un combat contre les ennemis de toujours et qu’ils soient nazis ne change pas vraiment l’aspect des choses. Pour beaucoup, ce sont avant tout, comme en 1914-1918, les « Boches ». Cette expression, rare dans les écrits publics, reste d’usage courant dans les correspondances privées et parfois employée dans quelques témoignages recueillis. René Cassin, dont les écrits publics témoignent toujours d’une impressionnante hauteur de vue, continue à l’utiliser dans sa correspondance avec sa femme au moins jusqu’en 1945533.
19Si le totalitaire et la volonté de soumettre l’Europe entière sont rarement explicités, l’antisémitisme est quasiment absent des discours publics à l’automne 1939. D’une part, il n’est pas considéré comme un danger en France, d’autre part, les Français juifs craignent toujours d’alimenter le thème de la « guerre juive ». La dénonciation de l’antisémitisme peut se révéler un argument à double tranchant. Le seul à souligner spécifiquement cet aspect est Jacob Kaplan, lors d’une émission radiophonique destinée à un auditoire juif et significativement intitulée « Douaumont534 ». Comme tous, le rabbin ancien combattant retrouve les accents de l’Union sacrée de la Grande Guerre, citant, une fois encore, l’incontournable – inusable ? – formule de Maurice Barrès sur les « familles spirituelles de la France ». Il reprend les thèmes récurrents du franco-judaïsme, rappelant le lien sacré entre la foi juive et la tradition française, l’attachement spécifique des juifs à la France qui, la première en Europe, leur a octroyé le statut de citoyen. Au passage, il souligne que l’Allemagne, elle, les a exclus de la nation, des fonctions publiques et notamment de l’armée. Les juifs peuvent combattre d’autant plus librement « qu’il n’est pas un seul coreligionnaire, outre-Rhin, qui porte les armes contre la France535 ». Mais le rabbin, même dans un discours écouté par ses seuls coreligionnaires, est assez fin diplomate pour éviter le piège de l’accusation de la guerre faite pour les juifs, véritable hantise.
« Dans celle-ci [cette guerre], il y a un lien de plus [entre les différentes religions] : la conscience claire de la parenté qui existe entre toutes les religions bibliques. […] Le racisme nous menace tous indistinctement. Les persécutions hitlériennes ne visent pas uniquement les juifs, mais aussi, nul ne l’ignore, les catholiques et les protestants. Aujourd’hui, la Patrie et la Religion courent le même péril536.»
20Le nazisme n’est pas l’ennemi des seuls juifs, mais de toutes « les religions bibliques » et in fine des Droits de l’Homme représentés par la France. C’est là un thème consistorial largement développé depuis le début des persécutions antisémites en Allemagne.
21Ces propos – explications rigoureuses de René Cassin, lyrisme de Cécile Brunschvicg sur la force du sentiment patriotique et de l’Union sacrée, interprétations spirituelles de Jacob Kaplan – semblent en décalage avec une population qui, juive ou non, est partie sans enthousiasme se battre contre des « Boches » et non contre des Nazis. Ce décalage est encore accentué par l’inaction de la drôle de guerre qui laisse espérer qu’il n’y aura peut-être pas de combats.
L’inaction de la drôle de guerre
L’arrière s’organise
22À l’arrière, la vie des civils s’organise. Les villes trop près du front ou de la frontière, jugées trop dangereuses pour la population civile, sont évacuées. Germaine J. et sa fille Liliane laissent Ernest J. à Strasbourg et s’installent à Vichy. Claude L. quitte Thionville avec sa mère et sa grand-mère pour Tonnerre où sont entreposés leurs meubles, puis s’installent finalement à Roanne. Adolphe L., démobilisé en pleine attaque allemande, les rejoint quelques mois plus tard.
23À cause des risques de bombardement, les pouvoirs publics ont conseillé de s’éloigner des grandes villes et en particulier de Paris. Les F. vivent quelque temps dans la maison d’une cousine germaine, située à Valmondois. Sur la demande expresse de ses parents, leur fille Nicole, alors jeune interne, accepte de venir y dormir mais se rend tous les matins dans son service hospitalier parisien. Ses parents rentrent à Paris quelques mois plus tard, avant l’attaque allemande. La famille H., élargie des grands-parents maternels, les A., d’une belle-sœur de madame H. et de ses trois enfants, rejoignent leur maison de vacances non loin de Paris, à la Celle Saint-Cloud. Léon H. va à Paris tous les jours pour son travail. Les Becker, surpris par la guerre en vacances à Cayeux-sur-mer, décident de rester sur place. Suzanne Aron, l’épouse de Raymond, s’établit avec sa fille à Toulouse, où son mari a été affecté juste avant sa mobilisation et y trouve un poste de remplacement au lycée de garçons. Darius Milhaud, malade537, s’installe avec sa famille dans sa maison aixoise, « l’Enclos ». Tout en écoutant les nouvelles de la radio, il compose sa première symphonie, commandée pour l’anniversaire de l’orchestre de Chicago, et une cantate pour la célébration du centenaire de la synagogue d’Aix autrefois inaugurée par son arrière-grand-père. Il y travaille avec Armand Lunel qui en écrit le livret entre février et mars 1940, alors qu’il est mobilisé. Pendant ce temps, Madeleine Milhaud, son épouse, organise une petite troupe de théâtre pour jouer dans les hôpitaux et les casernes.
24Bien sûr, tous ne peuvent pas quitter Paris ; les familles qui partent, souvent les plus aisées, disposent de moyens de repli, soit dans des maisons familiales, soit dans les lieux habituels de leurs vacances. La plupart de ceux-là possèdent aussi une automobile, signe d’une certaine aisance. Roger W., alors âgé de onze ans, est envoyé chez sa tante à Cherbourg, mais ses parents, tous deux employés du Consistoire, ne peuvent quitter leur poste et demeurent à Paris.
25Il est difficile de prétendre dépeindre, à travers ces quelques morceaux de vie, l’état d’esprit des Français israélites pendant la drôle de guerre. On peut seulement avancer qu’il ne diffère pas de celui de l’ensemble des Français. Ils aménagent au mieux leur vie quotidienne afin de poursuivre leurs activités, s’accommodant de cet état de guerre sans guerre avec résignation et patience.
Les soldats s’ennuient
26Raymond Aron ronge son frein à Charleville dans un service météo OGI où il dirige une douzaine d’hommes. Il travaille à l’édition posthume de L’Histoire du socialisme d’Élie Halévy et à un essai sur Machiavel. Il demande deux fois à être versé dans une unité combattante. Honneur qui lui est refusé. Robert Debré, médecin consultant au Grand Quartier Général, voit avec inquiétude le moral des troupes baisser et se fait réprimander pour avoir visité de trop nombreuses fois les premières lignes. Ce que Pierre Laborie appelle « la logique déprimante de l’attente et de l’inaction538 » frappe autant les Français israélites que leurs compatriotes. Il n’y a dans ce domaine aucune particularité ni dans l’analyse, ni dans l’attitude, ni dans le comportement.
27Ce relâchement de la tension des soldats n’implique pas le défaitisme, d’autant que l’armée française conserve la réputation d’être « la première armée du monde539 ». Quelques signes inquiètent cependant les soldats.
« À l’époque, on avait déjà eu un certain sentiment d’appréhension. […] Je ne sais pas, j’avais l’impression que l’armée n’était pas tout à fait prête. Mais enfin, c’était une vague impression personnelle. De l’autre côté, vous aviez des déclarations d’hommes politiques dont on pouvait penser qu’ils étaient beaucoup plus au courant que nous de la question. […] Et le défilé du 14 juillet 1939 avait été un défilé extraordinaire, la France avait montré qu’elle était capable. C’était quand même une armée qui me semblait pouvoir répondre, faire face à l’armée allemande540.»
28La défaite n’en est que plus brutale. Les Français israélites sont sensibles aux mêmes manipulations de l’opinion que l’ensemble de la population. Ils subissent les mêmes peurs et les mêmes désarrois qu’ils tentent de repousser ou d’oublier dans la vision d’une armée toujours aussi forte et invincible, et d’une France unie.
29Comme tous, les israélites ont organisé leur vie en fonction de la guerre et, comme les autres soldats, ils sont englués dans le confort trouble de la drôle de guerre.
Le désastre national
30L’offensive allemande déclenchée le 10 mai 1940 se déroule dans les conditions les plus difficiles. Ce n’est point, ici, le lieu de retracer par le menu ces combats qui mènent en quelques semaines la France à la défaite541. Les témoignages évoquent des chefs militaires accrochés à une stratégie dépassée, des troupes mal préparées et déboussolées et des soldats combatifs et courageux.
Le traumatisme de la défaite
31Il faut le rappeler : les mois de mai et juin 1940 sont extraordinairement meurtriers pour les troupes françaises542. Les soldats et les officiers de terrain tentent, dans la mesure de leurs possibilités, de se battre malgré des ordres qui apparaissent quelquefois contradictoires et incompréhensibles, y compris aux officiers.
32Ensuite, les soldats, parfois livrés à eux-mêmes, cherchent à sauver leur vie et celle de leurs camarades : pour continuer à lutter, puis pour « ne pas tomber aux mains de l’ennemi543 ». Jacques Lazarus qui se qualifie lui-même « de soldat perdu544 » finit par rejoindre son unité à Clermont ; Jacob Kaplan quitte Metz deux jours après l’ordre d’évacuation et se retrouve à Brive-Charansac ; Guy de Rothschild avance vers le sud avec une seule idée : « ils ne me prendraient pas vivant545 ». La volonté de ne pas être fait prisonnier serait-elle plus liée à la connaissance des exactions antisémites menées par les Allemands ? Peut-être. Mais elle ressemble plutôt au réflexe d’hommes qui veulent simplement préserver leur liberté. Le sentiment patriotique n’est pas non plus absent pour « une génération élevée dans le culte des héros de 14-18, bercée d’histoires de tranchées et du nom glorieux de Verdun546 ».
33Les Français et plus encore les soldats sont habités par une sensation d’impuissance, par la honte d’être vaincus et, pour certains par l’obscur sentiment d’une trahison. René Cassin, dans son journal entamé pendant la défaite, écrit sur la route de Tours, vers le 10 juin :
« Je me dégoûte de fuir, je sens tellement que ce n’est pas là que je pourrai lutter547.»
34Il poursuit un peu plus loin, mais sans date précise, « nos troupes se battent bravement mais que faire548 ! ». Les « météo », arme dans laquelle sert Raymond Aron, basés dans la région où se situe l’offensive, ont comme armement des fusils de 1885 ou 1888 ! Ils ne peuvent même pas tirer un coup de feu.
« Ce furent les semaines de la bataille et du désastre, qui ont été moralement intolérables. On avait le sentiment d’être totalement inutiles. Ensuite, on a été saisi par l’armée en déroute, puis emportés par l’exode civil. […] J’avais un sentiment de honte, d’indignité549.»
35Tous sont traumatisés par la vision de l’armée en débandade et par la panique d’un pays tout entier, panique encore accrue par le flot des réfugiés civils venus d’abord de Belgique et du Nord de la France puis, début juin, de la région parisienne. Dans Par d’étranges chemins. Souvenirs de mai-juin 1940550, Armand Lunel retrace, sans souci d’ordre chronologique, la cohue des réfugiés, la « France affolée », parfois prise « d’hallucination collective », dans un « vent de folie engendré par la déroute551 ». Ce texte, écrit en mai-juin 1945 lors du retour des premiers déportés, après des persécutions qui l’ont profondément bouleversé, souligne la violence du traumatisme de la défaite.
36Les civils, y compris ceux qui suivent l’exode, semblent moins marqués par l’immense stupeur d’un pays en déplacement que les soldats en déroute. Beaucoup partent. En juin 1940, Cécile et Léon Brunschvicg, accompagnés de leur fille, quittent Paris pour le Gers. Quand les combats se rapprochent, les Becker, à Cayeux depuis le début de la guerre, se dirigent vers Saint-Nazaire. Leur exode, d’après les souvenirs de Jean-Jacques Becker, pour pénible qu’il soit, ne rencontre pas trop de difficultés car ils ne partent pas de Paris et ont une voiture avec de l’essence. Les H., en Bretagne pendant les vacances de Pâques, restent sur place, puis se rendent à Toulouse. Mais là encore, le souvenir des enfants – sûrement protégés des inquiétudes parentales – n’est pas celui d’un exode trop difficile matériellement. Roger W., toujours chez sa tante à Cherbourg, est rejoint par ses parents. Ils partent tous vers le sud. Leur exode lui paraît à lui aussi « moins tragique que ce qu’on peut voir sur les films de cinéma552 ». En revanche, l’exode d’Yvonne B., enceinte de plusieurs mois, lui laisse un souvenir terrible. Accompagnée de sa tante qui est aussi sa belle-mère et de sa mère, elle parcourt, souvent à pied, des centaines de kilomètres vers le sud, pour revenir fin juillet à Paris. Le tout sous les bombardements.
« On était parties par peur des bombes sur Paris alors qu’elles volaient partout sur les routes553.»
37Ceux qui restent sur place sont finalement peu nombreux. Nicole F., interne, est réquisitionnée – tous les internes masculins ont été enrôlés – à l’hôpital. Ses parents, Raymond et Yvonne F., partent avec leur fille aînée Jacqueline, de santé fragile et dont le mari est mobilisé depuis 1939. Ils sont hébergés quelques mois chez des amis dans la Creuse. Les parents de Jacques Lazarus demeurent à Luxeuil. Leur fils passe les embrasser lors de son périple pendant l’exode. La ville n’est pas encore occupée par les Allemands et ses parents refusent de partir.
L’armistice : soulagement, honte et refus
38Dans ce climat de désarroi, l’annonce de la demande d’armistice par Pétain, pour douloureuse qu’elle soit, apparaît à beaucoup comme une délivrance, un soulagement : le cauchemar de ce pays en fuite doit cesser. Armand Lunel, précise à quel point « ce qui est si net et si éclatant aujourd’hui [il rédige en juin 1945] fut, à l’époque, affreusement brouillé554 ». Guy de Rothschild confirme que « dans l’état de choc où nous nous trouvions, l’armistice paraissait aller de soi555 ». Jacques Lazarus se refuse à « refaire l’histoire d’une période [qu’il] connaît très bien556 ». En juin 1940 au moins, les Français israélites ne sont ni plus ni moins que les autres Français méfiants envers Pétain. Georges Jessula assure :
« L’idée, c’était que le maréchal Pétain était un patriote et qu’il allait tout arranger. On était tous pétainistes557. »
39Yvonne B., les W. ou les L. ont la même position. Ils se tournent vers le maréchal Pétain, « à la fois protecteur et autoritaire, patriote insoupçonnable, il est le garant de l’identité menacée558 ».
40Cette confiance n’est pourtant pas unanime, Pétain et l’armistice suscitant des sentiments plus nuancés, parfois ambivalents et quelques refus spontanés. Raymond Aron, Robert Debré, André et Georgette Becker analysent la situation d’un point de vue avant tout politique. Dans l’immédiat, les combats doivent cesser car « la continuation des combats, c’était la jeunesse sacrifiée559 » et « une nouvelle hémorragie, une nouvelle perte pourrait lui [la France] être fatale. Elle pourrait ne pas s’en relever560 ». Raymond Aron observant le désarroi de ses troupes, reconnaît qu’il éprouve, à l’annonce de l’armistice, « plutôt du soulagement561 ». Pourtant, chacun à sa manière, aucun de ceux-là ne se résigne réellement à l’armistice. Robert Debré, favorable à la poursuite de la guerre en Afrique du Nord, le refuse au nom de l’honneur du pays et du « serment fait aux Anglais de ne point conclure de paix séparée562 ». Raymond Aron, lui, pense simplement que « l’armistice ne signifiait pas la fin de la guerre » et ne se fait « pas d’illusion sur le gouvernement de Pétain qui [rechercherait] un accommodement avec Hitler563 ». Pour lui, « la question était : la Grande-Bretagne tiendra-t-elle le coup564 ? ». Pour André et Georgette Becker, l’armistice n’est que la conséquence inéluctable, inévitable de la défaite. De là à faire confiance au maréchal Pétain !
41Ils sont rares, en juin 1940, à refuser immédiatement, sans concession, et l’armistice et le nouveau gouvernement. Seuls deux de nos « témoins », éloignés par le sexe, les fonctions et l’âge, le condamnent sans appel. Leur refus relève à la fois de la réflexion politique et de l’affectif. Dans son journal, René Cassin commente les événements au fur et à mesure qu’il les apprend ; en juriste, en politique, il s’interroge sur le contenu de l’armistice, sur le devenir de la flotte et des colonies. Ces textes sont en même temps ceux d’un homme désespéré, utilisant un vocabulaire virulent – « les dupes, les traîtres » – pour désigner ceux qui acceptent ou demandent l’armistice. L’expression de « dupes » laisse aussi deviner l’analyse politique de celui qui fut un habitué de la SDN et qui, depuis 1933, a dénoncé toute tentative de compromis avec Hitler. Nicole F. entend le discours du 17 juin 1940 avec ses camarades d’internat. Toutes pleurent, mais elle est en même temps saisie d’une terrible colère contre ce « vieillard tremblotant […], ce vieux drapeau565 » qui décrète la fin des combats. Quand, quelques jours plus tard, elle se décide à sortir de l’hôpital pour affronter la vision de sa ville occupée, sa colère ne désarme pas, bien au contraire.
« Je me sentais complètement française, mais je ne me sentais pas non plus anti-allemande. Mais alors là, de voir chez moi, […] le drapeau allemand sur la gare de l’Est, de voir les rues avec leur nom en allemand,. […] Ça c’était insupportable. […] Avant la guerre, j’aurais dit, mes amis n’ont pas de frontière. Je me sentais très française, mais pas nationaliste. Mais je dois dire que l’occupation, c’était insupportable. Mais cette idée insupportable de l’occupation, n’était pas du tout liée à l’idée du nazisme, c’était l’occupation allemande. Je pense que j’aurai réagi autant si on avait été occupés par les Russes ou les Américains. C’était la France occupée. Mais qu’est-ce qu’ils venaient faire là ! Sans compter que je pensais qu’il n’y avait pas eu défaite566.»
42Le refus de l’occupation est spontané, direct, immédiat, affectif. Il n’est dicté ni par l’anti-nazisme, ni par l’antisémitisme auquel elle avoue ne même pas avoir alors pensé, ni par « aucune analyse politique567 ». Il est avant tout patriotique. Ce refus est peut-être plus fort parce que Nicole F. n’a pas assisté à l’exode, n’a pas eu sous les yeux le spectacle de la décomposition du pays, mais voit au contraire les troupes allemandes défiler, en bon ordre, dans Paris.
43Dans tous les récits de la période qui va du 10 mai au 17 juin 1940, que ce soit à travers les témoignages oraux ou écrits, y compris ceux qui sont contemporains, le fait juif n’apparaît pas ou quasiment pas. Ce qui prime est le récit de la désagrégation du pays, du désastre que vivent en commun tous les Français. Être juif n’existe pas ou passe largement au second plan au regard du cataclysme qu’ils partagent avec leurs compatriotes dans « la fraternité du malheur568 ». Les Français israélites ne sont pas inconscients du danger que représente la présence des Nazis et s’inquiètent du sort réservé aux juifs. Mais ils réagissent comme toujours d’abord et avant tout en Français.
44Avec quelques nuances « d’israélites ». Peut-être, davantage menacés lors des périodes de troubles, les juifs sont-ils plus sensibles à la décomposition de l’État et de la nation, car aussi « plus sensibles à ce que l’ordre républicain leur apporte569 ».
L’été 1940 des Français israélites : l’apparition insidieuse de la « question juive »
45La courte période de l’été 1940, après la défaite et l’armistice, marque pour l’immense majorité des Français l’entrée dans la fin de la guerre. Au début de l’été, la IIIe République décède, remplacée par le gouvernement du maréchal Pétain qui obtient les pleins pouvoirs et promulgue les premiers actes constitutionnels le 11 juillet 1940. Pendant cet été charnière, différents décrets d’exclusions visant les étrangers et les francs-maçons passent relativement inaperçus570. Les Français, massivement ralliés au maréchal, ne sont pas encore en mesure d’envisager un futur et de « déceler les engrenages que les perspectives du pétainisme laissent entrevoir571 ». Ces mesures sont certes un premier pas vers la « revanche » annoncée sur la République. Mais, mises à part quelques personnes particulièrement averties, les Français israélites ne peuvent alors imaginer qu’une politique antisémite s’étende à tout le pays. Cette période est donc traitée ici, non dans l’optique de ces futures lois encore inconnues, mais dans celle de la défaite que vient de subir la France. Car, après l’ouragan de la défaite et de l’exode, « une soif générale du normal » s’empare des Français, juifs ou non.
46Ils se posent alors des questions essentielles. L’une des premières est de choisir où vivre : à l’étranger, en zone dite libre, en zone occupée ? L’Exode a entraîné entre huit à dix millions de personnes sur les routes de France572 ; parmi eux, environ 100 000 juifs. Pendant l’été, la plupart des réfugiés regagnent leur domicile. Une petite moitié des juifs résidant dans la région parisienne demeure dans le Sud et, parmi eux, les Français israélites seraient proportionnellement un peu plus nombreux. À ceux-là, il faut ajouter ceux qui n’ont d’autre choix que de rester en zone non occupée, soit les 22 000 juifs d’Alsace et de Moselle évacués dans un premier temps, à cause de la proximité du front et ensuite expulsés – environ 3 000 personnes – par les autorités allemandes. La géographie des Français israélites sort donc bouleversée de la défaite. Alors que la grande majorité d’entre eux vivaient dans les grandes villes au nord de la Loire et principalement à Paris, ils se trouvent maintenant en partie dispersés dans les grandes villes du Sud, notamment à Toulouse ou Lyon, et dans des villes plus petites du centre de la France.
47Un peu plus de la moitié des personnes suivies dans ce travail change de lieu de résidence pendant l’été 1940. Pour certains, l’errance qui est la leur pendant la guerre débute dès cette période. Une très petite minorité de Français israélites choisit l’exil, dès l’été 1940. L’étude biographique permet d’introduire l’élément qualitatif : quelles furent les raisons de ces choix et dans quelle mesure le fait juif est-il – ou n’est-il pas – intervenu ?
Le choix de l’exil
48Partir à l’étranger est la décision que prennent dès la fin juin 1940 la famille Milhaud, les époux Cassin et Raymond Aron. Ernest J. envisage un départ dès cette période, mais il ne peut le réaliser qu’en janvier 1941 quand il obtient un visa pour les États-Unis. L’exil est alors un choix rare, et ce n’est sûrement pas un hasard si, hormis Ernest J., il est le fait de trois « personnalités ». Tous trois ont eu accès à une information des plus détaillées sur la réalité du nazisme. Leur notoriété, notamment pour René Cassin et Darius Milhaud573, fait d’eux des cibles pour les Nazis, mais aussi – ils s’en rendent vite compte – pour le nouveau gouvernement français.
49Darius Milhaud est un artiste connu et il ne dissimule ni qu’il est juif, ni ses idées de gauche. Il est une victime toute désignée. « Impotent », il se sait « incapable de [se] sauver ou de [se] cacher, si c’était nécessaire574 ». Grâce à sa création symphonique pour l’orchestre de Chicago, il obtient facilement des visas américains pour lui, son épouse et leur fils. Ils embarquent début juillet 1940 à Lisbonne et « fêtent » le 14 juillet sur le bateau qui les emmène aux États-Unis. Même si peu de ses œuvres sont éditées là-bas, ce qui l’oblige à se « remettre au travail afin d’alimenter les demandes éventuelles des sociétés de concerts575 », il sait qu’il peut y faire vivre sa famille. Pendant toute la guerre, il est professeur au Mills Collège en Californie où Madeleine enseigne aussi la littérature. Darius Milhaud a aussi la possibilité de partir avec sa famille, élément sûrement déterminant. Par-delà la connaissance et la conscience du danger qu’ils courent, les Milhaud réunissent les conditions matérielles et morales d’un exil.
50Dès le 17 juin 1940, René Cassin laisse percer son inquiétude sur le sort des juifs en France.
« Ici [chez Les L.-Brülh] la consternation règne : un fils disparu à O., la défaite et les sombres perspectives pour les Juifs, jeunes et vieux576.»
51Et dès le mois de juin, il a le sentiment de courir personnellement un danger en restant en France.
« Je dois combattre et si je reste, je serai menacé. Je ne pourrai plus enseigner577.»
52Parce que juif ? Parce que dirigeant d’une importante association d’anciens combattants plutôt à gauche ? Parce que proche du Front populaire ? On peut supposer que c’est tout un ensemble.
53Raymond Aron se sait exposé en raison de ses prises de positions et de sa judéité. Comme René Cassin, il connaît bien l’Allemagne nazie et ne se fait pas d’illusion sur la marge de manœuvre du nouveau gouvernement de Pétain. Sa femme, Suzanne, très marquée par son séjour en Allemagne auprès de lui en 1933, aurait été « plus sensible au côté juif. Parce que c’était pour lui578 ». Elle l’encourage fermement à partir.
54Cassin et Aron sont tous deux des intellectuels qui évaluent depuis déjà longtemps la situation internationale et s’en sont inquiétés, publiquement ou non. En juin 1940, ils partagent l’analyse du général de Gaulle – la guerre sera mondiale et les Alliés seront vainqueurs –, mais leurs points de vue diffèrent sur l’armistice et le gouvernement de Vichy. Raymond Aron est opposé au nouveau gouvernement, mais il lui reconnaît, jusqu’en novembre 1942, une part de légitimité. René Cassin, au contraire, ne cesse de démontrer, à travers tous ses écrits, que l’État français est non seulement illégitime, mais aussi illégal579. Surtout, tous deux placent au-dessus de tout leurs idéaux démocratiques et patriotiques. Leur exil est d’abord acte de résistance, volonté de poursuivre la guerre, de « servir avant tout » comme l’écrit à plusieurs reprises René Cassin dans son journal.
55Dès son arrivée, René Cassin, premier civil professeur titulaire de sa chaire à gagner Londres, se met au service du général de Gaulle. Lors de leur première rencontre, le général le salue par ces mots : « Vous tombez à pic pour m’aider580 » ; il le charge de rédiger les bases d’un accord avec Churchill581 et le nomme conseiller juridique de la France libre. Dès le 29 juillet 1940, René Cassin entame par une communication symboliquement intitulée « Sauvons l’unité de la France » une longue série d’émissions à la BBC. Raymond Aron s’engage au plus vite dans les Forces Françaises Libres. Il demande à être tankiste, mais son âge l’éloigne de ce poste et il est affecté à l’intendance. Début août 1940, André Labarthe lui propose de collaborer à la création de la revue La France libre. Raymond Aron hésite, car il s’était promis de lutter physiquement contre le nazisme, puis intègre l’équipe du journal à la fin du mois. Sous le pseudonyme de René Avord, qu’il adopte afin de protéger sa femme et sa fille demeurées en France582, il écrit régulièrement les « Chroniques de France583 » qui commentent l’actualité politique de Vichy et les opérations militaires.
56Si le fait juif est relativement peu intervenu au moment de leur départ, il semble paradoxalement plus présent à leur arrivée. Raymond Aron hésite beaucoup à quitter les forces armées parce qu’il est juif. Toute sa vie, il se sera demandé si ce choix a été le bon. En 1981, il s’en ouvre à Daniel Cordier qui lui rétorque que ces écrits étaient lus avec passion et avaient maintenu « une parole française libre […] dans le monde584 ». Raymond Aron lui fait une réponse qui bouleverse Cordier :
« Vous avez peut-être raison, mais vous oubliez que je suis juif585.»
57Ce témoignage est tardif, à une période où Raymond Aron reconnaît lui-même que sa judéité a pris plus de place dans sa vie. Quant à René Cassin, il se sent, dès le 30 juin, lors de son second rendez-vous avec le général de Gaulle, dans l’obligation de lui préciser qu’il est juif. La nouvelle n’émeut pas le général qui lui répond laconiquement : « Je le savais586 ». Mais cette réalité impose à René Cassin des sacrifices, notamment dans le domaine politique :
« À ce moment parce que j’étais juif et ignorais l’anglais, j’ai fait le sacrifice de ne pas m’occuper directement de toutes les affaires étrangères. Mais d’abord ne pas nuire. Ensuite, servir positivement587.»
58Pour comprendre ces départs, il faut aussi tenir compte d’une donnée que l’historien de biographies croisées ne peut négliger : ces hommes, l’ensemble de leurs parcours en témoigne, sont aussi des hommes d’exception qui ont eu la force de caractère de prendre à un moment une décision déchirante. Darius Milhaud n’est pas seul à vivre ce départ comme un « arrachement588 ». René Cassin, malgré sa détermination et la compagnie rassurante de sa femme, éprouve le même sentiment :
« Je suis très ému et serre les dents.
On quitte la France peut-être pour toujours. […] Simone est vaillante589.»
59La décision est particulièrement douloureuse à prendre pour Raymond Aron qui doit laisser sa femme et sa fille à Toulouse. Hasard – et symbole ? – Cassin et Aron voguent tous deux vers Londres à bord du même bateau, l’Ettrick590.
Rester ou rentrer en zone occupée
60Certains demeurent ou rentrent à Paris malgré l’Occupation. Pour Nicole F. qui a refusé de partir avec ses parents, en juin 1940, il n’est tout simplement pas question de quitter la capitale. Elle reste sur place et se demande tout de suite comment agir contre l’occupant. Yvonne Netter aussi reste à Paris. Elle est depuis 1939 en relation avec Madeleine du Fresne, militante du réarmement moral. Sous son influence et par foi personnelle, elle se convertit en décembre 1940 au catholicisme. Pensait-elle que cette conversion la mettrait à l’abri des lois antisémites ? Sûrement pas ; Yvonne Netter est avocate, elle sait ce que loi veut dire et donc que sa conversion est trop tardive pour lui épargner la déclaration.
61Au moment de l’armistice, Robert Debré se trouve avec le ministère de la Santé à Bordeaux. Il envisage de se rendre en Angleterre, mais sans succès, et se demande alors que faire. C’est dans cet état d’esprit qu’il reçoit un message du préfet Chiappe dont il a soigné le petit-fils. Celui-ci le met en garde contre un retour à Paris où, d’après lui, des mesures antisémites devraient être rapidement instaurées. Négligeant cet avertissement, Robert Debré rentre mi-juillet. Pourquoi ? Il semble qu’il ait dès lors envisagé de travailler dans la Résistance. De plus, et il garde cette attitude pendant toute la guerre, il s’efforce d’agir comme si les lois antisémites n’existaient pas et ne le concernaient pas. Ce n’est pas un reniement de ses origines, mais le refus d’accorder à ces lois toute légitimité et de s’enfermer dans un quelconque ghetto. On peut rapprocher cette attitude de celle de Léo Hamon qui, un peu plus tard, interdit de parler des lois antisémites en famille591.
62Les W. aussi rentrent à Paris fin juillet, tout simplement, parce que c’est chez eux et « qu’on ne savait pas où aller en dehors de la région parisienne592 », tout comme Yvonne B. et la famille Becker. La première, enceinte, accouche en novembre et préfère d’autant plus être chez elle, aux côtés de sa mère et de sa belle-mère, que son mari est prisonnier en Allemagne. Les Becker, près de Saint-Nazaire lors de l’armistice, auraient, d’après leur fille Annie Kriegel, un temps songé à s’embarquer en Angleterre593, mais son frère Jean-Jacques Becker dément cette possibilité594. Comme les W., ils n’auraient su où aller, le Sud de la France leur étant totalement inconnu. De plus, le nouveau gouvernement de Vichy n’ayant à leurs yeux aucune légitimité, la zone Sud ne se distinguait pas alors fondamentalement de la zone Nord.
63Ceux qui prennent le chemin du retour vers Paris souhaitent avant tout rentrer chez eux et reprendre le cours d’une vie presque normale. Les motifs politiques sont rares. À ce moment, ces Français israélites ont des attitudes proches de celles de la majorité des Français. Ce retour « à la normale » est assombri par la triste découverte d’une capitale occupée. Dès l’été, quelques manifestations antisémites se produisent à Paris595. Signe que les temps ont changé, l’antisémitisme est encouragé à s’exhiber ouvertement. Roger W., souvent plus sensible à cet aspect, est le seul témoin à s’en souvenir. Les autres ont en mémoire une ville pavoisée aux couleurs allemandes comme l’a décrite Nicole F. Les Parisiens et tous ceux qui vivent en zone Nord, qu’ils soient juifs ou non, sont désormais dans un pays où l’occupant impose ses lois – à commencer par ses horaires – et à côté duquel il faut bien vivre596. Que ce régime soit antisémite inquiète bien sûr les juifs, mais cet aspect n’est pas primordial en regard de la défaite et de l’Occupation.
S’installer en zone non occupée
64Après l’armistice, environ la moitié de « nos » témoins reste en zone non occupée. Le motif premier est « d’échapper aux Allemands597 », « d’être en dehors de [leur] emprise598 ». Le souvenir de la guerre de 1914-1918 et en particulier les récits, parfois amplifiés, des atrocités commises dans les territoires occupés demeurent présents dans ces « familles très patriotes599 ». De nombreux Français non-juifs préfèrent aussi, pour les mêmes raisons, s’établir en zone non occupée. Enfin, l’existence d’alternatives, parfois d’obligations professionnelles, de réseaux familiaux, ou amicaux, est déterminante.
65C’est tout naturellement dans leur large réseau familial que les H.-A. cherchent refuge. La famille se compose alors de Léon et Simone H., de leurs quatre enfants et des grands-parents maternels, les A. Lors de l’exode, ils se sont installés à Toulouse chez « une de ses innombrables belles-soeurs600 ». Ils décident ensuite de s’établir à Lyon, « berceau de la famille601 ». Ils y rejoignent un autre membre de la famille avec lequel le père de Simone H. est toujours en affaire. Léon H. continue à gérer ses affaires depuis Lyon puisqu’il franchit, au moins jusqu’en 1941, régulièrement et clandestinement, la ligne de démarcation pour se rendre à Paris. Sa fille suppose qu’il utilisait ses vrais papiers, son nom n’étant pas spécifiquement juif, et l’aide d’un passeur. Les H. rencontrent assez rapidement « d’autres réfugiés comme nous, juifs et parisiens, de la même classe sociale. Il y en avait un qui était bijoutier, et un autre avait un magasin dans Paris602 ». Mais ils voient surtout, comme avant-guerre, la famille. Les H. n’ont pas cherché à prendre contact avec la communauté juive organisée dont ils étaient de toute façon assez éloignés. Raymond et Yvonne F., accompagnés de leur fille aînée Jacqueline, résident quelques mois chez des amis qui mettent à leur disposition une maison dans la Creuse et s’installent ensuite à Toulouse. C’est à la demande de sa mère, Yvonne Netter, et de son oncle que Didier M. s’installe à Roanne. Conseiller parlementaire avant la guerre, il vit de quelques économies et surtout de ce que lui envoie son oncle, puisqu’il travaille pour l’usine familiale « en ramassant de la plume et du duvet chez les volaillers et d’anciennes plumes chez les brocanteurs603 ». Il voit peu de monde, mais sa chambre sert de relais à des amis qui franchissent la ligne de démarcation avant de rejoindre l’Espagne, puis l’Angleterre.
66Après sa démobilisation, Guy de Rothschild rallie la banque familiale « déjà installée à La Bourboule avec un ou deux membres de la famille, la plupart des collaborateurs, ses livres et ses comptes. […] Les locaux avaient été loués au lendemain de Munich, sur les conseils de la Banque de France dont le lieu de repli prévu était Châtel-Guyon604 ». Il habite une villa à La Bourboule, « charmant village situé au bord d’une rivière torrentielle » et travaille dans « des bureaux installés dans un ancien hôtel pas désagréable, mais fort peu commode605 ». Grâce à des passeurs, il reste en relation avec « la rue Laffitte », siège de la banque à Paris, qui lui transmet tous les quinze jours un mémorandum. Pendant l’été 1940, une forme de vie, bien loin des mondanités parisiennes, se restructure. « Des membres de la famille et des amis proches avaient gagné la zone libre et s’étaient réfugiés chez nous606 ». Ensemble, ils font des randonnées à vélo, s’essaient au ski et mènent une sorte de « vie collective607 » où tout télégramme, toute nouvelle de la zone occupée ou d’Amérique où sont réfugiés ses parents, tout nouveau visiteur, est un petit événement. Jacques Lazarus, quant à lui, demeure à Clermont-Ferrand avec son régiment, désigné comme régiment de l’armée d’armistice. Il le suit ensuite à Montluçon où il reste jusqu’à son renvoi effectif de l’armée en août 1941. En mai-juin 1940, Jules Isaac qui se trouvait dans sa maison secondaire à Saint-Palais, près de Royan, franchit clandestinement la ligne de démarcation et rejoint les bureaux de son ministère à Vichy. Il s’y installe avec son épouse jusqu’en décembre 1940, où, révoqué, il est obligé de quitter la ville. Le rabbin Jacob Kaplan, « en attendant [sa] démobilisation qui eut lieu en novembre, se rendit à Vichy rejoindre le Grand Rabbin de France, Isaïe Schwartz, afin de reprendre [ses] fonctions auprès de lui608 ». En effet, la plupart des organisations juives importantes se replient à Lyon, Marseille ou Vichy, comme de nombreuses organisations officielles.
67Certains n’ont d’autre choix que de rester en zone non occupée parce que leur lieu de résidence leur est immédiatement interdit609. Les L., venus de Thionville, vivent un temps à Tonnerre, puis en septembre 1940 à Roanne ; ils s’installent enfin à Riom où ils demeurent toute la guerre. Adolphe et Simone L. ne connaissent encore personne à Riom où il n’y a pas de communauté juive organisée. Claude, qui a passé son premier baccalauréat en juillet 1940 à Roanne, est immédiatement inscrit au lycée de Riom. Le jeune homme se sent, dès son arrivée à Roanne, puis à Riom, très en confiance car « l’antisémitisme n’existait pas. L’atmosphère était totalement différente de celle de Thionville ». Peu à peu, bien que n’ayant toujours pas une vie sociale très développée, les parents de Claude rencontrent quelques personnes, juives et non-juives, mais toujours dans « leur milieu610 ». La situation matérielle de la famille, certes plus précaire qu’à Thionville, n’est cependant pas trop difficile. Adolphe L. a l’avantage de posséder un métier qui lui permet de trouver assez facilement du travail et, à partir de mi-juillet 1940, il remplace un dentiste prisonnier. Simone L., elle aussi dentiste, cesse d’exercer pendant la période de la guerre. Les J., évacués de Strasbourg, restent à Vichy où ils sont arrivés dès l’été 1939. Ernest J. avait pris la précaution de vendre quelques actions et la famille peut pour l’instant en vivre. Liliane, qui a passé son brevet fin 1939, poursuit ses études au lycée de Vichy et reprend contact avec les Éclaireurs Israélites avec qui elle participe à l’accueil des réfugiés pendant tout l’été 1940. Il semble que ses parents fréquentent des réfugiés juifs et la communauté juive de Vichy.
68Pendant cet été, les Français israélites, comme l’ensemble de la population, tentent de renouer le fil de leur vie interrompue par la guerre, la défaite et la débâcle. Les inquiétudes sur l’avenir, ne sont pas ou peu exprimées. Les Français sont-ils en mesure, pendant l’été 1940, d’envisager un quelconque futur ? Ils s’appliquent avant tout à organiser leur présent, à « tenir », à s’adapter aux nouvelles circonstances, à vivre leur quotidien. Les questions politiques semblent de ce fait assez peu présentes.
Et la vie politique : l’acceptation du nouveau régime ?
69Hormis ceux qui s’y opposèrent immédiatement, les pleins pouvoirs obtenus par le maréchal Pétain le 10 juillet 1940 et l’installation du régime de Vichy semblent avoir laissé peu de souvenirs. Les mémoires écrits en parlent peu et les témoins interrogés étaient souvent trop jeunes pour en comprendre la portée. Même ceux qui, devenus adultes, ont posé des questions à leurs parents sur la guerre, ont peu abordé cette courte période de la politique française.
Les institutions israélites : entre inquiétude et soumission
70Pourtant à Vichy, dès l’été 1940, les autorités consistoriales et rabbiniques s’inquiètent. Après l’archevêque de Bordeaux et le pasteur Boegner, le grand rabbin Isaïe Schwartz demande à adresser par la voix des ondes « une parole de réconfort […] dans la détresse611 » aux juifs de France. Il lui est répondu que « la “voix d’Israël” n’avait plus désormais qu’à garder le silence612 ». Le 14 juillet 1940, aucun représentant officiel du gouvernement ne se présente, comme c’est l’usage, à la cérémonie de la synagogue de Vichy. À cela s’ajoutent des rumeurs sur la préparation de mesures concernant les juifs. En août, tous les pouvoirs sont remis entre les mains du grand rabbin car on estime que seul le judaïsme religieux peut dans cette situation délicate s’exprimer au nom des juifs de France. Les rabbins se réunissent entre le 3 et le 5 septembre, afin de réorganiser le culte et pallier les besoins les plus urgents liés au déplacement de population. La séance débute par une motion adressée au maréchal Pétain.
« L’association des rabbins français, réunie en assemblée générale à Lyon, le 3 septembre 1940, adresse un très déférent hommage à monsieur le Maréchal Pétain en qui la France en détresse a mis son espoir.
Le rabbinat donne au chef de l’État l’assurance que, s’inspirant toujours des Commandements du Judaïsme, il exhorte ses fidèles à servir la patrie, à favoriser la famille, à honorer le travail.
Avec l’aide de Dieu, sous la direction de leurs chefs spirituels, les Israélites de France auront à cœur de collaborer à la rénovation du pays, dans un esprit de concorde civique et de fraternité humaine613.»
71Le texte se termine, dans la plus pure tradition des institutions rabbiniques, par une bénédiction sur la personne du maréchal. Les rabbins de France ne se contentent pas de prendre acte de la naissance d’un nouveau régime. La déclaration est acte d’allégeance – simulée, sincère, équivoque ? Dans tous les cas, elle fait preuve d’un réel sens politique : martelant la fidélité des juifs à la patrie, elle argumente à l’avance, contre une possible discrimination.
Le fonctionnement du modèle franco-israélite
72Il serait par ailleurs impensable que ces institutions s’arrogent le droit de désavouer le nouveau chef du pays et, comme le veut la coutume, elles saluent le nouveau gouvernement.
73Les individus n’ont pas les mêmes obligations. Refus ou acceptation de l’armistice et du nouveau régime, les appréciations et les réponses, suivant aussi la tradition franco-israélite, ne tiennent que peu compte du fait juif. Nombre de ceux qui sont installés en zone non occupée pourraient se sentir proches de ce qu’écrit Guy de Rothschild sur cet été :
« Après l’angoisse de la guerre, la peur de la mort, la crainte de la captivité, ils [les Français installés en zone Sud] éprouvaient comme une impression de détente, ils retrouvaient une forme de liberté. Le désastre était trop immense pour qu’on puisse le mesurer d’un coup. Nous étions sur un territoire familier, au milieu de nos compatriotes solidaires, et pourtant nous étions amputés de toutes nos attaches humaines, matérielles, géographiques, économiques. […]
Retrouver une connaissance, un parent, un ami procurait un vif soulagement. C’était un début de rattachement à la vie, un commencement de normalisation, un embryon de sécurité614.»
74Et c’est en effet bien de cela dont il s’agit pour la plupart des Français, qu’ils soient juifs ou non : désaltérer cette « soif du normal » que décrit Robert O. Paxton. Cette normalisation est plus facile, même si l’on n’est pas chez soi, en zone Sud, sans la présence des occupants. Et ce, d’autant plus que le régime de Vichy ne s’est pas encore manifesté dans la vie quotidienne.
« Avant la guerre, j’avais fort bien compris ce qu’était un régime policier, davantage par les récits de la situation en Allemagne que par l’évocation de ce qui se passait en Russie soviétique. Jamais je n’ai ressenti une oppression de cette nature en zone libre, ni, à tort peut-être, éprouvé la crainte d’une surveillance policière française. J’étais trop en sympathie avec mes compatriotes pour y penser615.»
75Pour la plupart des témoins qui ne sont pas confrontés à la présence allemande, cet été est un moment d’apaisement après les épreuves. Face au traumatisme de la défaite, de l’exode et de l’occupation allemande en zone Nord, la mort de la IIIe République passe presque inaperçue à ces républicains si convaincus que sont les Français israélites. Ceux qui refusent le gouvernement de Vichy n’y voient de toute façon qu’« un avatar de la défaite616 ». Ceux qui l’acceptent, pensent « que si Pétain, le disait, ce devait être vrai617 » et qu’il n’y avait aucune autre solution. Là encore, les sentiments des Français israélites diffèrent peu de ceux de l’ensemble des Français.
76Dès l’été la question juive avait commencé à poindre. Elle devient réalité incontournable avec l’annonce du statut des juifs en octobre 1940. Robert Debré commente tristement.
« À la fin de l’année 1940, vint s’imposer à moi le problème juif ; c’était à mes yeux absurde, mais inexorable618.»
SUBIR LES PERSÉCUTIONS À TRAVERS LES DEUX ZONES (AUTOMNE 1940-FIN 1942)
77Le « problème juif » ne s’impose pas avec la même acuité dans les deux zones. La situation, notamment pour les Français israélites, est en zone Sud moins pénible qu’en zone Nord. La différence entre les deux espaces s’accentue sensiblement tout au long de l’année 1941, pour atteindre son point culminant après la grande rafle du Vel’ d’Hiv’ qui déclenche, parmi tous les juifs de Paris, une véritable panique et la fuite vers la zone non occupée qui apparaît alors, aux Français israélites au moins, comme une véritable « zone libre. »
Un appareil judiciaire tatillon et complexe
78Les juifs sont soumis à une législation pointilleuse et très fournie619. Eux-mêmes sont souvent désemparés, ne sachant si leur situation relève de telle loi ou de tel décret. La situation est particulièrement complexe en zone Nord où les juifs sont soumis aux tirs croisés des lois de Vichy et des autorités d’occupation, alors qu’en zone Sud, ils ne relèvent, jusqu’en novembre 1942, que de Vichy.
79La première mesure antijuive émane des Allemands qui, dès le 27 septembre 1940, interdisent aux juifs se trouvant en zone Sud de revenir en zone occupée. Dans le même texte, ils définissent qui est juif – selon des critères religieux – et enjoignent à la population juive de la zone occupée de se déclarer avant le 20 octobre. Les recensés voient ensuite la mention « juif » s’étaler en rouge sur leur carte d’identité. Dès la fin de l’année 1940, les entreprises et commerces juifs sont aryanisés et pourvus de commissaires gérants. Le premier statut des juifs de Vichy date du 3 octobre 1940 et s’applique sur la totalité du territoire, à partir du 19 décembre 1940. Les juifs sont exclus de nombreux postes de la fonction publique, des métiers de la presse, du cinéma et de la communication en général.
80Afin de combler les « lacunes » de la législation antisémite en zone Sud, Vichy élabore à son tour, à partir de 1941, des textes visant à l’exclusion des juifs de la vie économique. La législation de Vichy est, considérable et précise : en quatorze mois, entre le statut du 3 octobre 1940 et la loi du 29 novembre 1941, créant l’UGIF620, soixante lois et décrets sont institués621. Le second statut du 2 juin 1941 élargit la définition en précisant que sont considérés comme juifs ceux dont deux grands-parents appartiennent à la « race juive » et il impose le recensement des juifs dans les deux zones. L’exercice des professions libérales, industrielles, commerciales et artisanales et l’accès à l’université sont soumis à des numerus clausus. La loi du 22 juillet 1941 complète cet arsenal juridique par l’aryanisation des entreprises, biens et valeurs622. À partir de l’été 1941, les juifs sont de plus exclus de certaines régions ou départements. Les effets conjugués des lois de Vichy et des lois allemandes se font vite sentir : à l’été 1941, on estime que 50 % de la population juive de Paris est privée de tout moyen d’existence623.
81Dans le même temps, des moyens de contrôle de ces lois sont mis en place : en mars 1941, le Commissariat général aux Questions Juives est créé, puis à l’automne de la même année, la Police aux Questions Juives. En zone occupée, les arrestations commencent dès fin 1940, les rafles en août 1941 et les premiers convois de déportés raciaux quittent Drancy en mars 1942. Le 29 mai 1942, tous les juifs de la zone occupée sont astreints au port de l’étoile jaune. Cette mesure est suivie de toute une série d’interdictions, parmi lesquelles l’obligation de monter dans le dernier wagon du métro, de faire ses achats entre 15 et 16 heures, l’interdiction de fréquenter des spectacles, d’avoir le téléphone, la radio, un vélo… Pendant l’été 1942, d’immenses rafles sont organisées dans les deux zones, la plus importante étant, à Paris, celle du Vel’ d’Hiv’, en juillet 1942.
82Les Français ne font pas encore l’objet de rafles massives, mais ils peuvent être l’objet d’arrestations individuelles. Ils sont soumis aux mêmes mesures discriminatoires et leurs conditions de vie, ou de survie, sont de plus en plus précaires en zone occupée. L’occupation totale du territoire en novembre 1942 met fin à toute distinction entre les deux zones.
Les statuts de 1940 et 1941 : humiliation et soumission
Une « loi allemande »
83Si, dès l’été 1940, le Consistoire et le rabbinat français s’inquiètent d’éventuelles mesures discriminatoires, la majorité des Français israélites ne s’attend pas à des mesures imposées par le gouvernement de Vichy. Le statut d’octobre 1940 est perçu comme « une […] bombe624 » dont la lecture donne « la nausée625 ».
« C’était une énorme violence morale. Avant tout morale. Une violence colossale, colossale626.»
84Le statut les atteint dans ce qu’ils ont de plus cher : leur patriotisme. Les lettres de protestation sont autant de cris d’amour blessé à la France. « Nulle législation ne pourra m’enlever ma qualité de Français627 » écrit – s’écrit ! – en octobre 1940, Jules Isaac au maréchal Pétain. Comme bien d’autres, il déroule une impressionnante généalogie d’ancêtres au service de la France, un père et un grand-père militaires de carrière. Il rappelle que lui-même a « fait plusieurs campagnes pour la France, qui ne sont pas toutes militaires628 », que son fils a été mobilisé en septembre 1939. Dans sa lettre à Xavier Vallat, le rabbin Jacob Kaplan, après avoir cité de nombreux écrivains catholiques français qui défendent la religion juive comme « la mère de la religion chrétienne », évoque la participation des juifs, français et étrangers, aux deux dernières guerres et en particulier à celle de 1914-1918. Le rappel des morts de la Grande guerre et de la fraternité des tranchées se trouvent au cœur de nombreuses protestations. Une fois encore, il invoque Barrès et le sacrifice du rabbin Abraham Bloch et conclut :
« Aussi, rien ne m’est plus douloureux que de voir mettre en doute notre patriotisme629.»
85Claude L. commente sobrement :
« Ce n’est plus la France630 »
86Ce n’est plus la France qu’ils aiment, celle des Droits de l’Homme et du Citoyen. Car pour tous, en 1940 et souvent encore en 1941, l’ensemble des lois antisémites – qu’elles émanent du gouvernement de Vichy ou des Allemands – sont inspirées par ces derniers. Robert Debré, pourtant bien informé, reconnaît qu’il n’a compris qu’au cours de l’année 1941, avec la mise en place de l’UGIF, que « la politique antijuive du gouvernement de Vichy n’avait pas été imposée au Maréchal Pétain par les autorités d’occupation631 ». Cette idée est encore plus répandue en zone occupée.
« Le gouvernement de Vichy n’était pas considéré comme ayant une autonomie. C’étaient avant tout les Allemands632.»
Se soumettre : entre fierté, légalisme et crainte de la dénonciation
87Ces lois sont iniques et humiliantes, mais rares sont ceux qui s’y soustraient. Quelques-uns, comme Robert Debré, décident « de ne point tenir compte de ces lois d’exception et d’agir à tous égards vis-à-vis des autorités de la police française et allemande comme si je n’avais pas à m’en soucier ». Ce refus est une façon de ne pas plier face à l’inacceptable.
« Dans ce domaine aussi, il fallait résister633.»
88Robert Debré est l’un des rares à obtenir par la suite une dérogation qui lui permet de continuer à exercer la médecine. Est-il possible qu’il en est bénéficié sans s’être soumis à la loi ? On peut supposer qu’Yvonne Netter, qui dépose une demande de dérogation en 1941, a agi de même. En zone non occupée, le recensement n’est rendu obligatoire qu’avec le second statut en juin 1941. Bien qu’on puisse, un an plus tard, juger de ses effets en zone Nord, la très grande majorité s’y plie encore. Les témoins ont aujourd’hui un regard souvent négatif sur leur propre déclaration, la jugeant avec plus ou moins de sévérité. Liliane J. reconnaît sobrement que « c’était une bêtise634 », Roger W. estime que ce n’est pas très « futé635 » et, toujours directe, Yvonne B. estime avoir été « vraiment bête, au point qu’il n’est pas permis de l’être636 ! » Ces jugements, parfois sévères pour eux-mêmes, les conduisent à s’interroger sur les raisons qui pourraient expliquer, voire parfois justifier à leurs propres yeux leur démarche. Cherchant à se replacer dans le contexte mental de ces années, ils deviennent en quelque sorte leurs propres historiens. Il faut à nouveau rappeler que si ces lois et déclarations sont regardées aujourd’hui comme – au minimum – des auxiliaires de l’extermination, elles ne peuvent l’être ni en 1940, ni en 1941. L’honneur et la fierté, le souci de ne pas se renier, le disputent à la crainte de ne pas être en règle et à la peur d’une dénonciation.
89Jacob Kaplan, dans le sermon qui suit le premier statut des juifs, prononcé le 15 novembre 1940 à la synagogue de Vichy, rappelle aux fidèles qu’ils doivent rester « fiers d’être les fils d’Abraham, fiers de [se] réclamer de sa race, fiers d’appartenir à sa religion637 ». Le statut n’est déshonorant que pour ceux qui l’ont édicté car « si un déni de justice est déshonorant, ce n’est pas pour celui qui en est la victime638 ». Cette fierté d’appartenir à une religion qui a sa noblesse est d’évidence pour un rabbin, homme de foi avant tout.
90Cet « honneur » est partagé par d’autres, pourtant très éloignés de la religion. Yvonne B., qui se définit elle-même comme athée, se rend au commissariat d’Asnières, près de chez elle. Le commissaire qui ne la connaît pourtant pas personnellement tente de la dissuader, lui dit qu’elle a le temps, mais elle lui rétorque :
« Non, moi je n’ai pas honte, je suis française, je suis juive639.»
91Plus surprenant, Nicole F., élevée encore plus loin de toute religion par des parents athées, elle-même convertie au protestantisme par conviction, très prévenue contre le maréchal Pétain et à la recherche d’une filière de résistance, se déclare aussi. Aujourd’hui, elle s’en étonne elle-même et l’explique par une réflexion de sa mère qui lui avait répliqué lorsqu’à douze ans, elle voulait déjà se convertir : « tu renies640 ». Elle précise que, sur le moment, elle n’a pas réfléchi à ces différents aspects qui sont le résultat « d’une analyse actuelle641 ». En 1940, elle est allée se déclarer et c’est tout.
92Tous ont en tête le souci de leur propre dignité dans un moment où l’on voudrait la leur enlever.
« On ne se cache pas, on n’a rien à se reprocher, on ne se cache pas. Ceci n’a jamais été explicité mais c’était l’impression que j’avais. On n’a pas à se cacher. Nous avions une certaine fierté642.»
93Dignité n’égale pas naïveté ou inconscience. Dans sa lettre à Xavier Vallat, écrite lors de sa propre déclaration et lue le vendredi suivant dans la synagogue de Vichy, le rabbin Kaplan déclare qu’il sait bien que ce n’est pas « pour les honorer que vous obligez les juifs […] à répondre à votre questionnaire, […] mais que c’est pour leur appliquer des mesures d’exception d’où il ressort que c’est une tare d’être juif643 ».
94La fierté et l’honneur des Français israélites, c’est aussi leur citoyenneté. Ils sont juifs et ne le renient pas. Mais Français, ils obéissent à la loi française, fût-elle imposée par des occupants. Liliane J. entre en 1942 « tout naturellement dans la résistance644 ». Sa mère aide parfois à effectuer certains passages, son père est parti aux États-Unis craignant dès le début pour la situation des juifs dans une France vaincue. Pourquoi se soumettre ?
« Parce qu’on était français. Et par rapport aux étrangers, on se croyait protégés. Et aussi pour obéir à la loi française, pour être en règle645.»
95Protection de la citoyenneté française et volonté d’être en règle vont de pair. À Paris, André et Georgette Becker se font aussi recenser.
« Parce qu’on est légaliste. Donc on vous demande d’aller vous déclarer, c’est très désagréable, mais on va se déclarer646.»
96Même idée chez les W.
« On était disciplinés, on a tout déclaré. On s’est déclaré nous-mêmes et puis les vélos, la radio. Mes parents se déclarent simplement parce que c’est la loi, c’est tout. […] Autour de nous, la plupart des gens se sont déclarés. Nous, on s’est déclaré par discipline avant tout. C’est la loi et c’est tout647.»
97Plusieurs historiens ont souligné la relation entre le patriotisme, la soumission au statut et le « sentiment d’un sacrifice qui […] est demandé ou imposé pour le bien général648 ». Ce sentiment est en effet présent dans de nombreuses lettres de protestation émanant de personnalités connues et des autorités consistoriales. Il est cependant absent des témoignages recueillis. Si sacrifice il y a, il serait plutôt sur l’autel du judaïsme ou simplement d’ancêtres qu’on ne veut pas renier, d’une part de soi dont on n’entend pas s’amputer ; et d’une longue habitude légaliste.
98Légalisme souvent associé à la peur de la dénonciation. Roger W. souligne que ses parents n’avaient d’autre choix que celui de se soumettre. Est-il possible d’y échapper lorsqu’on est employé du Consistoire, bedeau à la synagogue de la Victoire et connu comme juif par tous ses voisins et connaissances ? Ceux qui n’ont pas de contact avec la Communauté, comme les Becker, ne se sentent pas pour autant à l’abri car « évidemment, les gens savaient que nous étions juifs […]. Les gens le savaient649 ». C’est encore plus évident dans une petite ville comme Luxeuil, où « tout le monde se connaissait650 ».
99Les Français israélites se déclarent donc à la fois par fierté, par légalisme et par crainte d’une dénonciation. Mais, dans tous les cas, cette déclaration leur coûte, les peine et les inquiète. C’est ce que raconte, admirablement Hélène Berr, dans son Journal651.
Citoyenneté française et dérogation
100Même si ce n’est pas toujours clairement affirmé, nombreux sont les Français israélites qui estiment, espèrent, ou se persuadent que les premières mesures antisémites ne sont pas réellement dirigées contre les nationaux et qu’ils pourraient échapper à leur rigueur. Sentiment confirmé par certains termes du statut qui fait valoir que ceux « qui ont rendu à l’État français des services exceptionnels652 » ou ceux « dont la famille est établie depuis au moins cinq générations653 » pourraient en être exemptés. Autour de Robert Debré, on pense de même :
« On ne soumettrait pas au statut les juifs de vieille souche française, ceux qui avaient combattu pour la France […]. Notre entourage était convaincu que le gouvernement de Vichy parviendrait à éviter dans la mesure du possible l’application du statut qui, pensait-on alors, lui avait été imposé654.»
101Ils sont nombreux à se lancer dans des travaux généalogiques qui établissent leurs cinq générations d’ancêtres français, et à avancer les citations militaires de leurs pères et grands-pères. Léon et Simone H. s’adressent à un rabbin alsacien, réfugié et spécialisé en la matière. Ils remontent jusqu’en 1789. Un cousin de Madame W. se charge de réaliser l’arbre généalogique pour toute la famille.
102Mais ils ne sont que quatre, Armand Lunel, Jacques Lazarus, Yvonne Netter et Robert Debré, à officiellement solliciter une dérogation. Toutes les requêtes soulignent l’ancienneté de la nationalité, de l’implantation française des familles et les services rendus à la patrie, notamment lors des guerres.
103Armand Lunel fait lui-même des recherches et exhume de nombreux ancêtres, tous français. Son dossier de dérogation qui fait valoir que sa famille est installée dans le Sud-Est depuis le xiiie siècle, qu’il a fait deux guerres et qu’il a reçu le prix Renaudot, ne lui épargne pas la révocation de l’Éducation nationale en décembre 1940. Jacques Lazarus dit « regretter un peu cette démarche, quoiqu’à l’époque, elle paraissait naturelle655 ». Son colonel l’y encourage et il est français depuis bien plus que cinq générations. Il demande à un généalogiste de retrouver la trace de ses ancêtres ; à cette occasion, il découvre un arrière-grand-père médaillé de Sainte-Hélène ! Muni de son dossier et de lettres de recommandation de son colonel, il se rend à Vichy au CGQJ. Il est banni de l’armée en août 1941.
104La situation d’Yvonne Netter est particulière puisqu’elle s’est convertie au catholicisme le 6 décembre 1940, en l’église Sainte-Marguerite-Marie, à Paris. Dans sa requête, déposé auprès du CGQJ le 5 août 1941, il est précisé que l’ensemble de sa famille est catholique, y compris son fils et son frère, qui se seraient donc eux aussi convertis. Un faisceau d’événements l’ont entraînée à franchir le pas. Madeleine du Fresne, qu’elle rencontre en 1939, professe un catholicisme engagé et une spiritualité exigeante qui semblent très fortement l’influencer. D’après son fils, la défaite l’a par ailleurs profondément déprimée, et sûrement aussi les premières lois antisémites. Elle a pu trouver réconfort ou apaisement dans la religion et la spiritualité, domaines qui lui étaient jusque-là étrangers, elle qui n’était ni pratiquante, ni croyante. Sa conversion est sans doute sincère puisque, tout en continuant à se considérer juive, elle reste catholique pratiquante jusqu’à la fin de sa vie. On ne peut cependant exclure la pression des lois antisémites et des dangers qui pèsent sur les juifs. Elle-même évoque cet aspect dans ses souvenirs. Ni ses activités pendant la Première Guerre mondiale, activités qui l’assimilent aux anciens combattants, ni son militantisme féminisme – dont on suppose qu’il est peu apprécié par les nouveaux dirigeants –, ni l’ancienneté de l’installation de sa famille qui remonte au xviiie siècle, ni sa conversion ne lui évitent la radiation de l’ordre des avocats, mesure exécutive à partir de mars 1942. Seul Robert Debré obtient une dérogation.
105Le statut est appliqué avec rigueur et les exemptions sont exceptionnelles.
Difficultés matérielles et professionnelles
106Les difficultés professionnelles débutent dès décembre 1940 avec la révocation de nombreux fonctionnaires, s’accroissent pour toutes les catégories au cours de la seconde moitié de l’année 1941 et plus encore pendant l’année 1942. Bien que les lois antisémites touchent tous nos témoins, les biographies croisées permettent d’approcher des réalités fort diverses.
Révocations, licenciements, aryanisations
107Les premiers touchés par le statut d’octobre 1940 sont les fonctionnaires. Jules Isaac qui exerce ses fonctions à Vichy est révoqué en décembre 1940. Il se réfugie à Aix-en-Provence où il commence à rédiger Les Oligarques. Alors âgé de soixante-trois ans, il touche sa retraite. Il reste à Aix-en-Provence jusqu’à la fin de l’année 1942 où « les graves événements de l’automne 1942, l’occupation totale de la France mirent fin à la tranquillité relative de notre séjour aixois656 ». Armand Lunel, mis en retraite anticipée à quarante-huit ans, est cependant maintenu en activité encore une année à la demande du prince de Monaco. Afin d’améliorer ses revenus, il donne des cours privés.
108Jacques Lazarus, sans moyens d’existence à partir d’août 1941, rejoint sa sœur réfugiée à Saint Étienne où il l’avait aidée à trouver un travail dans un magasin. Il trouve plusieurs petits emplois puis est finalement engagé dans une compagnie comme prospecteur chargé de vendre des assurances. Mais il tombe rapidement sous le coup des décrets d’application de la loi qui interdisent aux juifs d’exercer des métiers les mettant en communication avec la population. Il travaille ensuite à Lyon, au « Comptoir national d’escompte », cette fois, dans un bureau sans contact avec la clientèle.
109Au cours de l’année 1941 – le second statut est publié en juin 1941 – et particulièrement pendant le second trimestre, les difficultés matérielles s’accumulent. Chacun, parfois aidé par le hasard, parfois servi par des arrangements préalables, souvent conciliant les deux, développe des stratégies personnelles pour échapper aux rigueurs de la loi.
110Yvonne Netter vit après sa révocation grâce à l’aide de son frère Léo qui, semble-t-il, a pu continuer à gérer ses affaires jusqu’au début de l’année 1942. Raymond F., lui aussi avocat au barreau de Paris, est radié. Les époux F. avaient vendu deux ans auparavant un petit hôtel :
« Mon père n’avait aucune idée d’actions ou de choses comme ça et il avait transformé cet argent en pièces d’or et ils sont partis bardés de ceintures bourrées pièces d’or. C’est une chance incroyable et ça a dû leur faire à peu près le temps de la guerre657.»
111Leur fille Nicole F. reçoit, huit jours avant de passer son internat, une lettre de l’Assistance Publique qui lui signale qu’elle ne peut se présenter au concours sauf à prouver qu’elle a au moins cinq générations de Français derrière elle, ce qui est sûrement son cas. Elle néglige cette possibilité et choisit la Résistance, non plus « à mi-temps [mais] à temps complet658 ». Son mari passe l’internat et ses revenus suffisent au jeune couple qui n’a pas d’enfant. Ils vivent dans l’appartement des parents de la jeune femme qui, réfugiés à Toulouse, l’ont mis au nom de leur gendre afin d’échapper aux lois d’aryanisation.
112André Becker conserve son poste jusqu’à fin 1941, début 1942. Dès 1940, mis dans l’impossibilité de réaliser ses tournées de vente de jouets en zone nord, il est nommé chef des expéditions et des ventes à Paris. La situation devient vite très tendue avec ses employeurs ; s’il n’est pas explicitement licencié, il est très fermement poussé à partir. La famille doit alors vivre sur ses seules économies que Georgette Becker avait eu la prudence ou la chance de retirer en liquide avant que les comptes ne soient bloqués. André Becker était prévoyant et économe et avait depuis longtemps mis de l’argent de côté sous forme d’actions ou autres. Cela a aidé la famille à survivre et ce, d’autant plus que leur train de vie a toujours été modeste. Annie s’initie à la sténotypie et travaille dans un bureau à partir de juillet 1942. « On mangeait de plus en plus mal », raconte Jean-Jacques Becker, qui précise immédiatement, « mais ça, ça n’avait rien de juif659 !»
113La famille H., installée à Lyon, reste en contact avec son affaire de tissus à Paris, ne serait-ce que par les allers-retours de Léon H., au moins jusqu’à la fin 1941. Le père de Simone H., Charles A., doté d’un tempérament très entreprenant, monte une affaire de fabrication textile à Lyon, fin 1940 ou début 1941. C’est à partir de la fin de l’année 1941 puis dans le courant de l’année 1942, lorsqu’un administrateur provisoire est nommé, que la situation matérielle de la famille se dégrade réellement.
114Dans le courant du premier trimestre 1942, Yvonne Netter, André Becker, et la famille H. perdent emploi ou entreprise. Ils ne peuvent désormais survivre que grâce à des économies ou à des aides familiales.
Situations mixtes, exceptions partielles et système D
115Quelques-uns conservent pour un temps – pour un temps seulement – leur emploi, leur affaire. Mais même dans ce cas, les difficultés se multiplient.
116Robert Debré, par un décret du 5 janvier 1941, est relevé des interdictions liées au statut des juifs du 3 octobre 1940660. Il est même élu à la chaire de clinique médicale des Enfants Malades, après un vote unanime du conseil de la faculté en septembre 1941. Seul membre du conseil de la Fondation de l’hôpital Rothschild présent à Paris, il y assume aussi « une sorte de responsabilité générale pour l’administration661 ». Il continue par ailleurs à exercer la médecine libérale. Robert Debré reste cependant, de par sa grande notoriété, une exception.
117Depuis La Bourboule, Guy de Rothschild dirige la banque familiale malgré la dépossession de ses parents. En effet, la nouvelle administration, une fois imposée l’aryanisation, « ne fit pas de zèle [et] incapable de gérer des affaires aussi personnelles, [lui] laissa la direction de l’ensemble662 ». Les actifs financiers et les biens de ses parents sont vendus, mais pour la plupart à des personnes qui acceptent de les conserver pour des temps meilleurs. Malgré les difficultés, la banque continue ainsi à fonctionner. Yvonne B. effectue des travaux de secrétariat et touche aussi une pension de femme de prisonnier de guerre. Elle fait parfois, de son propre aveu, un peu de marché noir.
118Adolphe L. et Maurice W. sont les seuls à conserver une activité légale tout au long de la guerre. Adolphe L. s’est inscrit au conseil de l’ordre des dentistes à Riom en juin 1940, donc avant le statut. La loi privilégiant les anciens combattants, il a pu continuer à exercer tout à fait légalement. Maurice W., salarié du Consistoire, devient employé de l’UGIF à partir de 1942663. Bedeau à la synagogue de la Victoire, il effectue les encaissements des quelques cotisants restés à Paris et confectionne des colis pour les détenus de Drancy. Le bain rituel dont s’occupait sa femme est rapidement fermé, tout simplement parce que personne n’y vient plus. Pour pallier l’amoindrissement de leurs revenus, ils « tapaient sur le livret A qui n’avait pas été saisi664 ». Ils avaient semble-t-il vendu leurs quelques titres et sorti leurs liquidités bancaires au moment du premier statut, avant que les comptes ne soient bloqués.
119Jusque vers le milieu ou la fin de l’année 1941, la situation des Français juifs, peut – presque – être assimilée à celle de diverses catégories de la population, soumises elles aussi à des difficultés particulières liées à l’état de guerre, de défaite et d’occupation. Face aux statuts, les Français israélites tentent dans un premier temps des démarches légales. L’appui d’une partie de leurs concitoyens les conforte dans cette logique. Mais l’échec quasiment général de ces solutions contribue à leur marginalisation. Au milieu de l’année 1942, la grande majorité ne survit que grâce à quelques travaux au noir, ou avec des économies. Hormis Maurice et Simone W. employés du Consistoire, aucun ne vit grâce aux institutions juives. Les recours sont familiaux, personnels, intégrés aux réseaux constitués dans la société française.
120À ces difficultés matérielles viennent s’ajouter la multiplication des arrestations et de nouvelles mesures d’exclusion. Il faut distinguer ici la situation de la zone occupée jusqu’au funeste été 1942 et celle de la zone Sud, où le tournant se situe lors de l’occupation totale du territoire français en novembre 1942. Cette diversité des situations dans le temps et selon les zones, la gradation progressive des persécutions est aussi à prendre en compte dans la perception de ces mêmes persécutions. Chacun pouvait en effet penser être un temps à l’abri, grâce à sa nationalité certes, ou grâce à sa profession et à son lieu de vie.
À Paris jusqu’à l’été 1942 : l’aggravation des persécutions
Premières rafles
121Outre les mesures économiques, la situation des juifs dans la zone occupée se dégrade rapidement au cours de l’année 1941 qui voit l’accumulation des lois restrictives, les premières arrestations et rafles massives. Les premières se déroulent en mai 1941 et touchent des juifs polonais, tchèques et autrichiens. Dès l’été 1941, des Français juifs sont aussi appréhendés. Parmi eux, quelques personnages importants dont Edmond Bloch665, fondateur de l’UPFI, et Pierre Massé, ancien sénateur de l’Hérault, ancien ministre. La « rafle des notables », au cours de laquelle les Allemands procèdent à l’arrestation de 743 personnalités juives en décembre 1941, affecte nombre de familles. Le frère de Robert Debré, Jacques, est conduit au camp de rassemblement de Compiègne-Royallieu. Grâce à l’intervention d’un ami conseiller à l’ambassade du Japon, il est libéré et franchit la ligne de démarcation puis les Pyrénées quelques mois plus tard. Dans la famille W., « l’oncle George », qui travaillait à la Fondation Rothschild, rue Picpus, pris dans la même rafle, est lui aussi relâché grâce à des relations. Un cousin de Roger W. sujet à « la folie des grandeurs […] inscrit dans l’annuaire comme André S., industriel666 », (alors qu’il son affaire était en réalité de petite envergure) et un beau-frère d’André Becker, mari de sa sœur Madeleine, marchand de biens d’une certaine notoriété, sont eux aussi appréhendés. Déportés en 1942, ceux-là ne reviennent pas.
122Fin 1941, les Français israélites ne sont plus en sécurité en zone occupée. Ils savent ou subodorent que la ni nationalité française, si ancienne soit-elle, ni les médailles militaires acquises lors des deux guerres, ne sont des protections efficaces vis-à-vis des autorités occupantes. Même les familles qui n’ont peu ou pas de contacts avec les institutions sont vite au courant, d’autant plus que les informations et les rumeurs circulent rapidement dans ce monde somme toute fait de peu de personnes, dans lequel chacun connaît personnellement ou indirectement des victimes, membres de la famille, amis ou simples relations.
123La fin de l’année est aussi marquée par des exécutions d’otages, par la raréfaction du charbon et de nombreuses denrées. La vie est de plus en plus difficile et violente. En zone occupée, tous les signaux, policiers, économiques, sociaux, se croisent pour que les Français israélites comprennent qu’ils sont en danger.
L’insupportable : l’étoile
124Ces signaux ne font que s’accroître dans les mois qui suivent. Si entre décembre 1941 et juillet 1942 les grandes rafles cessent, les arrestations individuelles se poursuivent tandis que les contraintes et mesures de restriction à l’encontre des juifs se multiplient. L’obligation du port de l’étoile en mai 1942, ultime avanie, demeure un souvenir particulièrement pénible.
« C’était très dur à porter, l’étoile. On avait l’impression d’être du bétail667.»
125Là encore les accommodements à la loi sont divers. Tous vont retirer l’étoile, mais tous ne la portent pas. L’amie de Robert Debré, Dexia, va la chercher pour lui, mais prévient le commissaire de police qu’il ne la mettra pas. Ce qui déclenche d’ailleurs une enquête du CGQJ, car Robert Debré, dispensé de l’application de la loi d’octobre 1940, affirme aussi être dispensé du port de l’étoile et se présente à l’Académie de Médecine sans elle668. Malgré l’enquête, il persévère. Nicole F. est « bien décidée à ne jamais la porter afin de ne pas limiter [ses] activités669 » dans la résistance. Sur le conseil de son mari, elle se résout tout de même à la coudre sur un de ses manteaux, afin d’être en règle si jamais… Cette précaution lui est utile lorsque quelques mois plus tard, elle est arrêtée à son domicile par des policiers français qui recherchent son père.
126Yvonne B., elle, ne sort jamais sans. Les trois membres de la famille W. aussi. Maurice W. « avait toujours, bien en évidence, ses rubans et sa médaille à côté de l’étoile. Ça faisait taire les gens quand on le traitait de sale juif670 ». Parfois il la cache avec un porte-documents qu’à partir de ce moment il a toujours avec lui. Roger, pendant l’hiver, la laisse sur sa veste au portemanteau du lycée.
127La famille Becker constitue à elle seule un exemple des divers accommodements. Une partie de la famille la met parfois671 : les enfants pour aller à l’école, Annie pour se rendre à son nouveau travail à partir de juillet 1942 et Georgette, leur mère, pour sortir de l’immeuble et aller faire ses courses dans le quartier. En revanche, André Becker « ne l’a jamais portée672 », ni son fils aîné, Henri, interne en mathématiques supérieures à Louis le Grand depuis janvier 1942. Jean-Jacques Becker se souvient même que pour sortir de l’immeuble son « père avait une sorte de porte-documents qui faisait comme s’il avait caché son étoile juive avec673 ». André Becker fait semblant de cacher une étoile qu’il se refuse à porter. Pourquoi ? La peur de la dénonciation. À un de ses camarades qui, après un cours de gymnastique alors qu’ils se rhabillent lui demande, « mais pourquoi tu la portes ? », le jeune Jean-Jacques Becker, alors en classe de troisième, répond « parce qu’on aurait peur sans ça d’être dénoncés674 ».
Arrestations, rafles et fuite vers la zone Sud
128Dès le début de l’année 1942, avant même la loi sur l’étoile, l’éventualité d’une arrestation est, avec raison, de plus en plus redoutée. Yvonne Netter est appréhendée à son domicile le 4 juillet 1942 par quatre policiers français et un Allemand appartenant à la Gestapo. Les causes de son arrestation sont assez floues. Il semblerait qu’elle ait été dénoncée comme résistante – responsable d’une boîte aux lettres, elle imprime chez elle des tracts clandestins qu’elle contribue à distribuer, pour le réseau France d’abord675 – et comme juive. Les deux causes ne sont d’ailleurs pas exclusives. Elle est internée à la caserne des Tourelles, puis envoyée à Drancy le 12 août 1942 où elle demeure quinze jours. Ces quinze jours au camp de Drancy paraissent l’avoir particulièrement meurtrie. Dans ses souvenirs, elle raconte en particulier sa crainte de la déportation, tout en précisant qu’elle ne savait pas alors ce que cela signifiait réellement et fait allusion au pouvoir de certains internés qui pouvaient désigner eux-mêmes le nom des déportés. Atteinte de dysenterie, elle est transférée au camp de Pithiviers début septembre 1942.
129À Paris, des rumeurs courent sur de possibles rafles. Les Français juifs semblent aussi inquiets que les étrangers. En janvier 1942, pour éviter les déplacements et les risques d’arrestation, Henri Becker est inscrit à l’internat ; son père, André décide de ne plus dormir chez lui et passe ses nuits rue du Faubourg du Temple, dans une chambre prêtée par une ancienne femme de ménage de la famille. Les Becker ont organisé leur vie en fonction de ces menaces et, en cas d’alerte, toute la famille est prête à franchir le palier chez leurs voisins accueillants. Les rumeurs ne sont pas toujours fausses. Les Becker qui n’ont aucune relation avec les institutions juives sont prévenus de la rafle du Vel’ d’Hiv’. Jean-Jacques et sa mère, seuls dans l’appartement guettent toute la nuit les bruits de pas…
« Ce soir-là on avait su qu’il y allait avoir une grande rafle. Ça s’était dit676.»
130Ils ne savent qu’ensuite que seuls des étrangers ont été arrêtés. La rafle du Vel’ d’Hiv’ constitue très sûrement une sorte de déclencheur qui pousse les juifs de la zone occupée à fuir en zone Sud. Tous, Français et étrangers ont compris que les femmes et les enfants risquent aussi l’arrestation. C’est un fait nouveau. Les W., extrêmement choqués par les événements, envoient leur fils à Toulouse. Eux, ne sachant où se réfugier, restent à Paris. Yvonne B., accompagnée de sa mère, de sa belle-mère et de son petit garçon, franchit dans des conditions difficiles la ligne de démarcation. Mais cette rafle n’est pas un événement isolé et unique : elle se produit à la suite de l’exclusion économique et sociale, d’autres rafles, d’autres arrestations, des privations, des vexations, de l’étoile. C’est l’accumulation de tous ces faits qui entraîne le départ, la fuite. La famille Becker, si elle passe en zone Sud quelques jours après la grande rafle, a d’ailleurs prévu et organisé son départ auparavant.
131Cette décision de franchir la ligne de démarcation était pour toute une famille lourde, compliquée et coûteuse. Il fallait non seulement s’organiser pour un départ discret, mais aussi trouver des passeurs dignes de confiance, ou que l’on espérait tels. Elle résulte d’une inquiétude très forte : une inquiétude vitale.
Et les Parisiens ?
132Si la pression devient assez violente pour susciter cette fuite éperdue et dangereuse de familles entières vers la zone Sud, elle n’est jamais attribuée à une attitude de la population française. Après le bref épisode des manifestations antisémites de l’été 1940, tous les témoignages s’accordent pour souligner l’absence de signes de haine au sein de la population parisienne. L’antisémitisme a force de loi, mais les Français israélites n’en ressentent pas, sauf exception, les effets en dehors de la législation. Bien sûr, des exceptions existent mais sont toujours considérées comme telles et jamais comme le signe d’une hostilité générale, tout au moins, envers les Français juifs. La crainte des dénonciations – et il y en eut – est là pour rappeler que les non-juifs n’étaient pas tous animés de bonnes intentions.
133Certains notent même un changement d’attitude. Roger W. n’a « plus jamais été traité de sale juif, même par ceux qui l’avaient fait avant. C’était arrivé quand j’étais en sixième, en 39. Mais plus jamais après677 ». Si son père arbore ses décorations militaires à côté de l’étoile, cela laisse supposer qu’il en attendait une certaine sympathie ou considération de la part de ses concitoyens. Jacques Biélinky fait le tour de Paris et observe les réactions lorsque l’étoile devient obligatoire. Le 20 juin 1942, il conclut :
« En somme, la population parisienne manifeste franchement sa sympathie pour les Juifs “décorés”, ceci enrage les familles parisiennes, d’inspiration… peu parisienne678.»
134Beaucoup pourraient reprendre à leur compte cette remarque et plusieurs, comme Robert Debré, Yvonne B. et bien d’autres, racontent la sympathie, la solidarité et l’aide de leurs compatriotes. Ces appréciations méritent sûrement d’être nuancées car elles sont autant la marque d’une reconnaissance personnelle que d’une réalité plus large. Cette solidarité existe cependant bel et bien. C’est d’ailleurs vers la société française et non vers les institutions juives que la plupart se tournent. Cette aide semble plus importante à l’égard des Français israélites totalement insérés dans le tissu national. Elle signale aussi, a contrario, à quel point l’antisémitisme des années qui précèdent était lié à la xénophobie et les immenses difficultés des juifs étrangers.
135Le fait que les mesures et la violence antisémites soient le plus souvent imputées aux Allemands, même si c’est la police française qui se charge de certaines opérations, joue aussi en faveur des persécutés, et peut-être encore plus lorsque ceux-ci sont français679.
« Parce qu’au fond, les Français n’aimaient pas tellement les Allemands. Il y avait d’autres guerres qui n’étaient pas tellement lointaines680.»
En zone Sud jusqu’à l’automne 1942 : un calme trompeur
136En zone Sud, la vie quotidienne des juifs, et en particulier des Français juifs continue avec une certaine apparence de normalité. Non que les problèmes matériels et professionnels soient absents : ils s’aggravent même à partir de la seconde moitié de l’année 1941. Mais encore à l’été 42, la différence entre les deux zones est immense car la pression morale et physique est bien moins forte qu’en zone occupée. Les arrestations n’ont pas touché la population française et, avant l’été 1942, il n’y a pas de rafles dans cette zone.
« Une France en miniature681 »
137Si la haine des juifs n’est pas ressentie, l’antisémitisme quotidien n’est pas pour autant totalement absent, ainsi qu’en témoigne Monique H. En sixième dans sa nouvelle école lyonnaise, elle se trouve un peu isolée : seule une petite fille accepte de jouer avec elle. Elle suppose aujourd’hui que celle-ci, fille de résistant et protestante, y avait été encouragée par ses parents.
138Malgré tout, les récits s’accordent, comme pour la zone occupée, à décrire des Français peu enclins à un antisémitisme virulent et voyant. Pour Guy de Rothschild, il n’y a pas, malgré le statut des juifs, de différence fondamentale entre la France « profonde » d’avant la guerre et celle qu’il côtoie alors.
« En réalité, la zone non occupée était une France en miniature et peu de choses avaient changé dans les habitudes et les relations des gens. Chacun partageait les mêmes difficultés, ce qui, en un sens, ajoutait à la fraternité de la défaite. La collaboration n’avait aucune réalité – aussi longtemps que les Allemands n’étaient pas présents682.»
139Son sentiment est sûrement accru par la vie relativement facile qu’il mène alors. Mais il est vrai que la vie en zone Sud peut conserver un temps les apparences d’une vie normale dont les Français juifs ne se sentent pas encore totalement exclus. Fin 1940, le jeune Claude L. avait refusé de partir aux États-Unis malgré les « cautions » envoyées par un oncle. « On ne quitte pas la France683 » avait dit le jeune homme à sa mère qui avait accepté sa décision. Dans cette zone, même les messages légaux sont longtemps ambigus. Alors que le second statut des juifs est en passe d’être publié ou même qu’il l’est déjà, le même jeune homme, dont le nom de famille ne laisse aucun doute, représente officiellement son académie au championnat d’escrime de France à Vichy. Il est à cette occasion présenté, toujours sous son vrai nom, à Jean Borotra, membre du gouvernement de Vichy. Ces aspects pouvaient laisser penser aux juifs de la zone Sud, au moins aux Français, qu’ils continuaient à être considérés comme des citoyens – presque – à part entière. Cela entretenait aussi la fiction que le gouvernement de Vichy protégeait les Français juifs et que les lois antisémites étaient dictées par les Allemands.
140De même, malgré les difficultés matérielles que rencontre Jacques Lazarus, malgré son éviction de l’armée, il ne se sent jamais mis au ban de la population. Il a toujours trouvé du travail sans trop de difficultés et n’a jamais perçu d’antisémitisme de la part de ses concitoyens.
« J’étais sous mon vrai nom. J’étais français et il n’y avait pas de problème. Je dois dire que pendant longtemps, je n’ai pas beaucoup éprouvé de problèmes particuliers. En tout cas pas avant l’occupation de l’ensemble de la France, après novembre 42684.»
141À Lyon, il rencontre les amis de sa logeuse, proche des Franciscains, et affirme :
« Je vivais alors tout à fait normalement685.»
142Il a pourtant été renvoyé de l’armée ! Est-ce parce que cette vie lui apparaît normale aujourd’hui, en regard des années qui suivirent quand il est entré dans la résistance et la clandestinité ? Est-ce au regard de l’immense tragédie de ceux qui, déjà à cette période, étaient internés, pourchassés et déportés ? Est-ce aussi à cause d’un esprit avant tout optimiste qu’il déclare posséder au plus haut degré ?
143Les nouveaux arrivants en zone sud confirment cette impression. Pour ceux qui ont franchi la ligne de démarcation pendant l’été 1942, l’atmosphère pourtant de plus en plus inquiétante en zone Sud est tout à fait différente de celle qu’ils ont connue. Yvonne B., sa mère, sa belle-mère, son petit garçon s’installent dans un premier temps à Lyon où la première a des connaissances et où elle trouve assez rapidement un travail. Les Becker se fixent un peu par hasard à Grenoble qui se trouve non loin de la ligne de démarcation et y louent un petit appartement. Les enfants reprennent le chemin de l’école et Annie, tout en poursuivant sa scolarité, trouve un petit emploi chez les Scouts de France, puis dans La République du Sud-Ouest.
144Malgré les rafles de cet été, la zone Sud est pour eux, une « vraie zone libre686 », une bouffée d’air après les angoisses vécues à Paris.
« Quand nous sommes passés en zone Sud, au moins au début, […] on a eu vraiment l’impression de liberté, d’une libération, de sortir. Alors je sais que cela n’a pas été vrai pour tous les juifs de zone Sud, en particulier pour les juifs étrangers, mais pour les juifs français, la zone Sud c’était… vraiment la zone libre… On avait un sentiment de libération687.»
145Ne pas être déclaré, ne plus avoir à porter l’étoile, permet aux Français israélites de se fondre à nouveau dans la population, de passer inaperçus. Alors que la zone Sud connaît une forte dégradation de la situation, avec la perte de l’emploi et du statut professionnel, avec les rafles de juifs étrangers, elle apparaît néanmoins aux anciens de la zone occupée comme une région favorisée où il est encore possible de vivre.
146L’antisémitisme d’État semble presque un non-sujet, y compris pour ceux qui en sont victimes. Il n’apparaît en tout cas pas comme une ligne de fracture divisant ceux qui seraient pour ou contre le régime de Vichy, pour ou contre le général de Gaulle, pour ou contre la Résistance. Et ce, d’autant plus que les mesures d’exclusion sont encore vues comme des mesures d’origine allemande. Les Français israélites se conforment à ces lois, mais refusent de se considérer seulement comme des persécutés : ils se veulent Français, partageant les malheurs de leurs compatriotes, avec des difficultés… supplémentaires. Peut-être cela les amène-t-il à sous-estimer la détermination avec laquelle est menée la politique antisémite ?
Nouvelles perceptions des dangers
147Aussi « libres » puissent-ils se sentir, les nouveaux arrivants, rendus méfiants par l’évolution des événements en zone occupée, ne se déclarent pas une seconde fois. Yvonne B. s’exclame :
« Une fois la bêtise, mais quand même pas deux688 !»
148Ni le nom de Becker, ni celui d’Yvonne B. n’étant pas spécifiquement juif, ils le conservent et se font refaire des papiers sans mentionner qu’ils sont juifs. Germaine J. et sa fille Liliane, expulsées de Vichy à la fin de l’année 1941, s’installent à Grenoble où elles ont de la famille. Elles vivent à l’hôtel et n’ont pas trop de difficultés matérielles grâce au pécule laissé par Ernest avant son départ. Elles non plus ne se déclarent plus. Signes que les perceptions du danger et les attitudes commencent à changer : les Français israélites acceptent de ne plus être tout à fait en règle.
149Les signes de « normalité » alternent avec les signes les plus brutaux d’exclusion, avant même les rafles de l’été 1942. Les expulsions massives de plusieurs régions en témoignent, le durcissement de la législation aussi. Et malgré son optimisme, Guy de Rothschild se résout aussi à l’exil dans le courant de l’année 1941. Sa femme Alix, exilée d’Allemagne, comprend mal l’optimisme de son époux sur une terre où pour elle, les « Français étaient devenus les paravents des Allemands689 ». Elle l’encourage à quitter la France et lui-même souhaite retrouver ses parents, exilés depuis le début de la guerre. Sans contact avec la résistance intérieure, il se sent inutile d’autant que la banque peut fonctionner sans lui avec des collaborateurs à la fois avisés et fidèles aux intérêts de la famille. La décision n’est cependant pas facile à prendre. Il a un temps l’impression qu’en s’exilant, il apporte de l’eau au moulin de la propagande vichyste et trahit son pays. Il obtient aisément un visa pour les États-Unis où ses parents entretiennent des relations cordiales avec madame Roosevelt en personne. Il est au couple un peu plus difficile de sortir du territoire car, à cause de leur nom célèbre, l’amiral Darlan répugne à les laisser partir. L’autorisation de sortie est finalement obtenue grâce à Pierre Pucheu, alors ministre de l’intérieur, que Guy de Rothschild a connu avant la guerre. Alix et Guy passent en Espagne en octobre 1941, puis s’embarquent au Portugal à destination de New York où ils demeurent jusqu’en 1943. Guy retrouve ses parents qui vivent dans la nostalgie de la France. Son fils naît en décembre 1942 ; il le prénomme David.
« Ce prénom hébreu, le “bien-aimé”, était presque un défi690.»
150Dès la fin de l’année 1941 et plus encore en 1942, malgré l’impression de vivre dans une « zone libre », les Français israélites changent d’attitude et de comportement, acceptant d’enfreindre la loi, ou envisageant un départ. Leurs perceptions du danger évoluent lentement.
Zone Sud : le tournant de l’été 1942 ?
151Les rafles de l’été 1942 ne sont pas, y compris en zone Sud, dirigées contre les Français israélites. Certains témoins, très jeunes au moment des faits, en ont d’ailleurs peu de souvenirs. Il en subsiste cependant quelques échos et des conséquences parfois importantes dans la vie de certains.
152Monique H. se souvient être allée pour la première fois de sa vie à la synagogue, à Lyon, le jour de Kippour 1942, le 21 septembre. Elle n’avait auparavant jamais assisté à une cérémonie religieuse avec ses parents, qui ne fréquentaient que très rarement la synagogue. Elle pense aujourd’hui que cette visite était liée aux rafles qui venaient de se dérouler dans les deux zones. Sa mère recherchait-elle un secours spirituel, un environnement qui lui était, malgré tout, familier ? Ou souhaitait-elle manifester sa solidarité avec ses coreligionnaires arrêtés ?
153Les rafles de l’été ont d’autres conséquences. C’est à cette occasion que se forme la « Sixième691 », organisation clandestine des EIF. Elle travaille main dans la main avec l’OSE692 et se voue tout spécialement au sauvetage des enfants et des jeunes gens. Le problème s’est posé de façon cruciale, à la fin des séjours de vacances de l’été de 1942, quand les responsables ont appris que certains parents avaient été déportés. À la fin du mois d’août 1942, les chefs éclaireurs sont réunis à la maison d’enfants de Moissac afin de trouver des solutions. Les EIF prennent en charge les enfants isolés puis, à la demande des parents, d’autres enfants. Ils les placent dans des familles d’accueil et organisent des passages clandestins. Dans un premier temps, ils fonctionnent sous couvert de l’organisation encore légale des EIF puis, à partir de janvier 1943, de façon totalement clandestine. Liliane J., éclaireuse depuis sa petite enfance, répond « tout naturellement » à l’appel de « Castor », Robert Gamzon693, pour « sauver des vies humaines694 ». Dès lors, elle s’occupe de cacher des jeunes garçons et filles. Les rafles du mois d’août 1942 ne visent directement ni Liliane, ni sa famille proche. Malgré son expulsion de Vichy, malgré l’exil de son père, ni elle ni sa mère ne se sentent encore directement menacées. Liliane J. comprend néanmoins, par le biais des EIF, qu’un danger vital menace les juifs étrangers. Cette situation inédite entraîne un bouleversement fondamental dans le cours de la vie de cette jeune Française juive.
154Si le cours de la vie du rabbin Kaplan n’est pas fondamentalement modifié par ces rafles et déportations, ces événements le conduisent à des actions et des interventions nouvelles, ainsi qu’à une perception différente des persécutions qui se déroulent en France et en Europe.
155Le premier convoi de déportation part de Gurs vers Châlons-sur-Saône, le 6 août 1942. Dès la fin juillet, les membres des institutions juives subodorent une vaste opération de transfert des juifs étrangers de la zone Sud vers la zone occupée. De nombreuses interventions sont mises sur pied auprès des autorités gouvernementales et religieuses695. Jacob Kaplan s’est rendu à la gare de Perrache pour assister les déportés. Très alarmé par ce qu’il voit, il entame des démarches auprès cardinal Gerlier, primat des Gaules. Le compte rendu de sa visite daté du 17 août 1942, est explicite. Il se dit désormais persuadé que « des milliers d’innocents ont été envoyés en Allemagne non pour y travailler mais pour y être exterminés696 ». Et il en veut pour preuve l’état de grande faiblesse physique de certains déportés, la présence parmi eux de femmes enceintes, de vieillards, de très jeunes enfants, de malades, toutes personnes qui sont dans l’incapacité d’accomplir un quelconque travail. Il s’appuie aussi sur les conditions inhumaines du voyage. Les autorités rabbiniques et le Consistoire ont déjà eu vent de déportations et de massacres massifs de juifs dans les pays de l’Est, mais il semble que ce soit la première fois qu’ils s’en inquiètent à partir du territoire français697. La protestation officielle, émise par le Consistoire le 24 août 1942, reprend les termes du rabbin Kaplan et affirme à nouveau que les déportés sont sous le coup « d’un programme méthodique d’extermination698 ». Pour le rabbin Kaplan, un pas est alors franchi. Il ne s’agit plus seulement de protester contre des discriminations, mais de lutter contre un danger de mort.
156L’été 1942 est un moment important de la prise de conscience des dangers dans la zone Sud. Une partie des autorités juives est désormais persuadée que les juifs déportés sont promis à la mort. Si les Français israélites n’ont que rarement accès à des informations aussi précises, ils savent cependant que les déportations concernent des familles entières. De plus, ces arrestations ont cette fois un écho qui dépasse le seul monde juif. La presse clandestine en parle699. À Toulouse, Monseigneur Saliège, suivi par quelques évêques de la zone Sud, fait lire, le 23 août 1942, dans tout son diocèse, une vigoureuse lettre de protestation contre des arrestations qualifiées de brutales et barbares. À partir de ce moment, le sort des juifs et les persécutions antisémites dépassent le seul cercle des juifs de France.
157Mais même le rabbin Kaplan ne semble pas penser, encore à l’automne 1942, que ce « programme d’extermination méthodique » puisse viser, au moins en zone Sud, les Français juifs. Lors d’un sermon en octobre 1942 à la synagogue de Lyon, il se félicite que les démarches du Consistoire aient aidé à la libération de plusieurs fidèles arrêtés dans la synagogue700 et conclut :
« Puisse cet acte de réparation être le prélude d’une amélioration de la situation épouvantable où se trouvent tant de nos coreligionnaires étrangers701 !»
158Les Français israélites, choqués et bouleversés par ces arrestations massives, n’y voient pas le prologue d’un sort qui les attend. Ils n’imaginent pas encore que leur vie et celle de leur famille soient en danger sur une terre qui se dit encore un peu française. C’est une différence importante avec la zone occupée. Il ne se produit, parmi les Français juifs, aucune fuite vers des régions réputées plus accueillantes ou moins policières, pas non plus de tentative massive et désespérée pour quitter le sol français. Le mouvement qui a touché la zone Nord après la rafle du Vel’ d’Hiv’ ne se reproduit pas, en zone Sud, après les rafles de l’été 1942. L’occupation totale du territoire en novembre est, pour eux comme pour tous les Français de la zone Sud, le basculement le plus important.
159La plupart des Français israélites continue malgré tout à raisonner et à vivre, intellectuellement et affectivement, en Français. La notion de peuple juif est le plus souvent totalement étrangère à leur culture et à leurs références. Pourtant les persécutions entraînent certains d’entre eux, souvent parmi les plus jeunes, à se détacher en partie de ce système dans lequel la patrie française est, quelle que soit la situation, la référence primordiale. Certains, sans penser en termes d’extermination – était-ce pensable ? –, ont déjà « basculé » du côté de la résistance juive. Leur référence n’est plus alors seulement la nationalité française, même si elle n’est pas absente, mais celle de « peuple juif », peuple qu’il faut sauver à la fois matériellement et spirituellement. C’est le cas de la jeune Liliane J. depuis l’été 1942.
160À partir des années 1943 et 1944, les choix se cristallisent et se clarifient autour de ces deux notions – qui ne s’excluent plus l’une l’autre – de solidarité avec le peuple juif et de solidarité nationale.
SURVIVRE (FIN 1942-LIBÉRATION)
« Accélérée par l’occupation totale du pays à partir du 11 novembre 1942, la jonction s’opère ainsi, dans les esprits, entre l’hostilité à l’Allemagne et l’hostilité à Vichy. S’il s’agit bien d’une mutation déterminante, d’un pivot à partir duquel un basculement devient possible, il serait prématuré de l’interpréter comme un brutal renversement de tendance et le choix d’une adhésion collective au mouvement de Résistance alors en pleine phase de structuration702.»
161Pour les Français israélites, l’occupation totale du territoire marque la fin de toute illusion de « normalité ». De novembre 1942 à la Libération, leurs conditions de vie s’aggravent durement. En zone Nord comme dans l’ancienne zone non occupée, les rafles et les arrestations individuelles se multiplient. Il existe cependant une grande variabilité des situations personnelles ; les plus tragiques alternent, parfois dans la même période et le même lieu, avec des situations presque normales.
162Des réflexes de protection ont été acquis pendant ces deux années et dès fin 1942, la plupart des Français israélites s’emploie rapidement à trouver des solutions de repli, souvent dans des lieux plus discrets et isolés. Le mouvement se reproduit, quelques mois plus tard, lors de l’occupation de la zone refuge italienne. À partir de 1943, petit à petit, nombre de Français israélites entrent dans une clandestinité au moins partielle. Certains changent leur identité, d’autres n’utilisent qu’à l’occasion de faux papiers. Quelques-uns se fondent totalement dans la clandestinité, le plus souvent dans le cadre de la Résistance. Rares sont ceux qui persistent jusqu’à la Libération dans la voie légale. Dans les mois qui précèdent juin 1944, l’accélération de la traque oblige presque tous les juifs à se cacher.
Une existence légale jusqu’à la Libération ?
163Malgré les difficultés matérielles et les risques de plus en plus grands d’arrestation, certains, en prenant tout de même quelques précautions, continuent à vivre dans la légalité, « au vu et au su de tout le monde703 ».
Paris, Riom
164Maurice et Yvonne W. restent à Paris jusqu’à la fin de la guerre. Après novembre 1942, ils font même revenir auprès d’eux leur fils, Roger, envoyé à Toulouse après la grande rafle de juillet. L’occupation de l’ensemble du territoire modifie la donne et la famille préfère être unie pour affronter les dangers. Preuve encore que l’occupation totale du territoire constitue une rupture, y compris pour les Français israélites en zone Nord. Ils respectent scrupuleusement toutes les obligations et interdictions : ils portent l’étoile, ne sortent qu’aux horaires autorisés et évitent de se promener dans les quartiers où les Allemands sont trop nombreux. Le risque le plus important est bien sûr la rafle ; c’est pourquoi, ils limitent leurs déplacements. À son retour, à partir de l’automne 1942, Roger s’inscrit à nouveau aux EIF qui ont, par autorisation spéciale, le droit de circuler hors de Paris, ce qui est normalement interdit aux juifs. Ils organisent des sorties et des promenades dans les forêts en Seine-et-Oise et en Seine-et-Marne.
« Ça avait plu à mes parents que j’aie une activité aérée704.»
165Il poursuit bien sûr ses études au lycée où ils ne sont, après 1943, que deux garçons à être « étoilés705 ». À partir de l’automne 1943, puis dans les mois qui précèdent la Libération « la hantise de la déportation706 » ne cesse d’augmenter. Maurice W., dans le cadre de ses fonctions à l’UGIF, se rend régulièrement à Drancy pour livrer des colis aux internés et observe les vagues de déportations. Les W. se font peu d’illusion sur le sort des déportés et, tout comme le rabbin Kaplan, ils supposent que ce n’est pas « pour les faire travailler qu’on remplit des trains d’enfants, de vieillards, de femmes enceintes et de malades parfois arrachés à l’hôpital [Rothschild] pour être embarqués à Drancy707 ».
166Pourquoi alors restent-ils à Paris ? Un départ leur paraît trop risqué. Et puis, vers où aller ? À Paris, « ils avaient […] le logement de fonction de ma mère, […] le chauffage, le charbon et tout ce qu’il fallait708 ». De plus, Roger, par ses récits sur les arrestations à Toulouse, le confirme à ses parents : aucun endroit en France occupée ne s’avère à même de leur fournir une réelle sécurité. L’emploi de Maurice W. à l’UGIF, ses médailles militaires leur apparaissent comme le gage « d’une certaine protection709 ». Ils se disent qu’ils seront la dernière catégorie visée et décident que la meilleure solution est « d’attendre [la Libération] en tordant le dos710 ».
167Les W. interprètent les messages de la société de façon ambivalente, laissant place à un espoir, même infime. En 1943, la famille reçoit de nouvelles cartes d’identité où la mention juif est perforée mais ils remarquent avant tout qu’ils ont encore droit à des papiers et donc qu’ils sont encore français. Dans le métro, lorsqu’ils sont en tête du train, des chauffeurs les attendent, eux qui sont soumis au dernier wagon. Des professeurs témoignent de la sympathie au jeune Roger. L’échelle des appréciations est tellement bouleversée par la violence des persécutions, surtout à Paris, que c’est parfois la simple marque d’une non-discrimination qui est interprétée comme un signe positif.
« Les professeurs me traitaient comme un élève comme les autres. […] J’avais droit aux biscuits du maréchal et aux sorties sportives comme tout le monde711.»
168De même dans la rue, lorsqu’il sort avec sa mère ou avec les EIF, toujours portant l’étoile, « les gens n’étaient pas agressifs, sauf tout à fait exception ». En avril 1944, lors de la première et dernière visite de Pétain à Paris, tout le lycée de Roger W. se déplace pour le voir et l’entendre. La visite est obligatoire et le jeune garçon, son étoile dissimulée par le revers de la veste se rend place de l’Hôtel de Ville. Mais Pétain est, dans sa famille, de moins en moins apprécié, comme par de nombreux Français, juifs ou non.
« De plus en plus, au fur et à mesure que le temps passait, de Gaulle est devenu un peu comme un dieu pour nous. Et au fur et à mesure que la popularité de de Gaulle montait et celle de Pétain diminuait712.»
169Devant le balcon de l’Hôtel de Ville, Roger entend la foule scander « Pétain au balcon », puis peu à peu, il discerne des « Pétain au poteau ! » Le prestige du vieux maréchal n’est pas pour autant totalement usé et le jeune garçon ne peut s’empêcher d’être admiratif.
« Et on l’a vu arriver au balcon. Et alors, c’était comme il était représenté, un magnifique vieillard. Il était superbe Pétain, ça il n’y avait pas de doute713.»
170À Riom, Adolphe et Simone L. vivent aussi jusqu’à la fin de la guerre « au vu et au su de tout le monde. On savait même que j’étais au maquis. Et eux étaient monsieur et madame L. C’était incompréhensible…714 ». En novembre 1943, Adolphe L. achète, tout à fait légalement et à son nom, un cabinet dentaire à Vic-le-Comte. La légalité n’est cependant pas totale. Pendant l’année scolaire 1942-1943, Claude, en mathématiques supérieures à Clermont-Ferrand, prend tous les jours le train dans lequel ses camarades de classe l’appellent par son vrai nom. Arrivé à la gare de Clermont, il montre cependant au contrôle allemand de faux papiers fournis par un officier de l’ORA que sa tante connaissait. Ce n’est pas encore la clandestinité, mais déjà une forme d’illégalité, rendue possible par le silence de ses camarades. À partir de 1944, l’arrestation est de plus en plus une éventualité contre laquelle il est nécessaire de se prémunir. Le propriétaire de la maison qu’ils louent a fourni aux L. une clé qui leur permet, en cas de danger imminent, de s’éclipser par une porte dérobée. Quand une rumeur de rafle court, ils se réfugient chez des amis chrétiens et réintègrent leur logement le lendemain.
« On avait un sentiment d’inquiétude, mais on n’avait pas de sentiment d’inquiétude vis-à-vis de la population. Il y avait le boucher, le boulanger, comme la propriétaire et le secrétaire de mairie, le libraire, ces gens-là n’avaient manifesté aucune animosité et en classe je n’ai jamais eu la moindre remarque. Moins qu’à Thionville, sans comparaison715.»
171Leur qualité de Français et la complicité d’une partie de la population leur a permis de continuer à se fondre dans la société française sans occulter leur qualité de juifs pratiquants. En 1942, avec d’autre réfugiés juifs, ils avaient fêté Kippour dans une salle prêtée par un pasteur protestant réfugié de l’Est. Les persécutions ne modifient pas leurs fréquentations qui restent exclusivement françaises, juives ou non, et dans un milieu social proche du leur. Il en est de même pour la famille W. à Paris qui, elle, reste en relation avec le milieu institutionnel dans lequel elle vivait déjà avant la guerre.
172Ces deux familles trouvent dans la population française des marques de bienveillance et des raisons d’espérer. Cependant leur situation demeure exceptionnelle, comme celle d’Armand Lunel à Monaco.
La protection du prince de Monaco
173Personnage en vue de la petite communauté juive de Monaco, Armand Lunel est connu de tous les notables de la ville par ses écrits et parce qu’il a eu tous leurs enfants comme élèves ! La principauté lui avait d’ailleurs versé son salaire un an après sa révocation. Conscient que la traque des juifs devient de plus en plus impitoyable, il requiert, par l’intermédiaire du ministre d’État716, la protection du prince. La réponse est partiellement positive.
« Il y a, à Monaco, entre 30 ou 40, 50 vieilles familles installées depuis très longtemps […]. Ces familles-là, le prince de Monaco les prend sous sa protection personnelle. Aujourd’hui, vous ne risquez rien et si les circonstances viennent à changer, je vous préviendrai mais surtout, ne sortez pas des frontières717.»
174La principauté reste, jusqu’à la Libération, un lieu de refuge pour les « vieilles familles » françaises. Mais les juifs étrangers et les réfugiés se trouvent pris dans la même nasse que dans le reste de l’ancienne zone italienne.
175Ces récits viennent confirmer l’idée esquissée au début de la guerre que la population française aurait eu envers les Français israélites une attitude neutre et indifférente en 1940-1941, puis plutôt bienveillante face à la brutalité des méthodes nazies ; bienveillance muée, lorsque la situation l’a exigée, comme c’est le cas pour les L., en une solidarité et une entraide actives. En revanche, l’exemple de Monaco souligne a contrario, les difficultés extrêmes des juifs étrangers et la différence entre eux et les Français israélites.
Errance et clandestinité partielle
176Pour de nombreux Français israélites, la vie se déroule de plus en plus à la lisière de la clandestinité, souvent dans l’errance à la recherche de lieux de refuge.
Une légalité de plus en plus entamée
177Yvonne B. et la famille H. quittent Lyon peu après l’arrivée des Allemands. Toujours accompagnée de son petit garçon, de sa mère et de sa belle-mère, Yvonne B. se rend à Nice où elle a de la famille. Sa préoccupation essentielle est la recherche de nourriture, « parce qu’on crevait de faim718 ». Elle trouve un emploi chez un marchand de légumes en gros. Mais elle perd son travail au mois de mars et se rend dans le Puy de Dôme où une connaissance lui procure un logement. La situation plus rurale lui semble aussi plus favorable pour se cacher et se nourrir. Toutes les trois voyagent sous leur vrai nom – sans la mention juif – qui est le même pour toutes. Seul accroc, le second prénom d’Yvonne, Rébecca. Elle le transforme sur ses papiers en Roberte, second prénom qu’elle conserve après la guerre.
178Après novembre 1942, la famille H.-A. se sépare. Les A., parents de Simone H., partent de leur côté en Saône-et-Loire. En mars 1943, Léon et Simone H., accompagnés de leurs quatre enfants, rejoignent « la forteresse huguenote » au Chambon-sur-Lignon où ils demeurent jusqu’à la Libération. L’endroit leur a été indiqué à Lyon par des amis réfugiés juifs, comme eux. L’isolement, la protection efficace et réputée chaleureuse de la population, la présence d’une école ont emporté leur décision. Leurs papiers sont à leur nom, mais ne sont pas tamponnés. En quelque sorte de « vrais-faux papiers ». Pendant l’année 1944, Simone H. se rend en Saône-et-Loire, pour voir son père malade. Lors du contrôle à Lyon, elle montre sa carte de réduction famille nombreuse car son nom de jeune fille, à consonance juive, est toujours inscrit sur sa carte d’identité. Si, après novembre 1942, la crainte d’une arrestation est suffisante pour entraîner toute la famille dans un lieu plus à l’abri que la grande ville de Lyon, elle n’empêche cependant pas Simone H. d’entreprendre un voyage relativement long pour rendre visite à ses parents. Une autre anecdote permet de saisir l’appréciation du danger qu’a alors la famille. À la fin de l’année 1943 ou peut-être au début de 1944 – Monique H. ne connaît pas la date exacte –, une ancienne « nounou » des enfants, Maria, Suissesse retournée dans son pays en 1939, fait savoir qu’elle est disposée à accueillir l’un des quatre enfants. Les parents refusent. Monique H., bien plus tard, a demandé à sa mère les raisons de ce refus. Celle-ci lui a expliqué qu’ils avaient simplement préféré que la famille reste ensemble, le danger demeurant alors imprécis. Pourtant, à partir du printemps 1944, la famille passe quelques nuits mouvementées. L’alerte est parfois donnée, une rafle pourrait avoir lieu : les enfants sont placés chez gens de confiance et les parents se cachent dans les bois. Leur situation matérielle au Chambon est de plus en plus précaire car leur affaire est dotée d’un administrateur provisoire avec lequel les relations ne sont pas excellentes. Dépourvus d’argent, ils arrivent cependant à survivre grâce au tissu qu’on leur fait passer jusqu’au Chambon. Comment, par qui ?
« On faisait du troc avec les paysans, donc on mangeait. Du tissu contre de la nourriture. […] Pour le reste, on marchait en sabots, on se passait les vêtements entre nous. L’été, on marchait pieds nus. Et dans les sabots, on n’avait jamais froid719.»
179Les époux Brunschvicg, eux aussi, se cachent. Léon Brunschvicg, malade, est accueilli dans une clinique à Chambéry puis à Aix-les-Bains où il meurt le 18 janvier 1944. Cécile Brunschvicg se réfugie dans un établissement pour jeunes filles sous le nom de madame Léger. Elle s’occupe de l’administration et enseigne la littérature. En octobre 1944, elle regagne Paris.
180À Paris, des policiers français ont fait irruption dans l’appartement de Nicole F. et de son mari ; ils sont à la recherche du « juif Raymond F. ». Sa fille est arrêtée, conduite au commissariat des Ternes. Son mari, résistant comme elle, se rend à la préfecture pour plaider la cause de sa femme. Mariée avec un non-juif et en règle – elle a pris le manteau sur lequel l’étoile était cousue –, elle est finalement relâchée. Elle prévient ses parents qui se partent de Toulouse fin 1942 pour Cordes, dans le Tarn, où « un ami, le procureur de Toulouse, […] met à leur disposition une maison familiale720 ». Ici encore, aucun recours pour ces grands bourgeois parisiens à une institution juive :
« Mes parents se sont sauvés par des relations dans la société française721.»
181Ils restent à Cordes jusqu’à la fin de la guerre, continuant à vivre de leurs économies. Ils se font appeler « monsieur et madame Raymond », mais sûrement sans modifier leurs papiers. Leur nom d’emprunt semble un secret de polichinelle, puisque le maire demande un jour à « monsieur Raymond F. s’il veut bien lui faire l’honneur d’être président de la coupe de football de la ville722 ». En fait, conclut Nicole F., « mes parents ne se sont pas particulièrement cachés723 ». Mais à partir de 1944, ils apprennent eux aussi, en cas d’alerte, à quitter discrètement leur logis par un passage qui aboutit directement chez des amis.
182Les Becker demeurent à Grenoble jusqu’à la Libération, sous leur vrai nom, plus alsacien que juif. La situation, bien plus dangereuse avec l’occupation de cette zone par les Allemands en septembre 1943, s’est fortement « dégradée à peu près dans l’année 1944724 ». À tel point que pendant cette année – Jean-Jacques Becker ne se souvient plus exactement quand –, André Becker décide de louer une chambre en ville aux deux garçons sous le nom de Boulanger, traduction de Becker, « de façon à ce que, en cas d’arrestation, toute la famille ne soit pas arrêtée725 ». Tous deux disposent de faux papiers au cas où ils seraient raflés, mais Jean-Jacques poursuit sa scolarité sous son véritable nom et ne se rend dans la chambre que le soir. La clandestinité concerne une partie seulement de la famille et encore, pas totalement : on suppose que les garçons sont plus exposés que les femmes et les filles. Les précautions restent relativement minimes. Et ce, d’autant plus que les deux jeunes gens – Jean-Jacques a alors seize ans et Henri, dix-neuf – en profitent pour aller, plus que ne le leur autoriserait leur père, fréquemment au cinéma ! Jean-Jacques Becker ne se souvient pas avoir eu peur, peut-être à cause de son jeune âge et aussi, dit-il, parce qu’il était « tout petit » et donc attirait peu l’attention. « Mais à part ça, il fallait avoir l’œil, il ne fallait pas tomber dans une rafle726 ».
183La rafle est de plus en plus, à travers toute la France, l’inquiétude première des juifs, Français ou non.
Le rabbin Kaplan plaide pour la clandestinité
184Pour les autorités juives, la question du passage à la clandestinité se pose au début de l’année 1944 et de façon encore plus cruciale au printemps 1944. En janvier 1944, à la suite de l’arrestation d’Isaïe Schwartz, Jacob Kaplan devient grand rabbin par intérim. Dès le début de l’année, il envoie sa femme et ses enfants dans une petite ville à cinquante kilomètres de Lyon où il espère qu’ils seront plus à l’abri.
185À Lyon, lors d’une réunion du grand rabbinat en janvier 1944, il insiste pour que dans cette situation où « le judaïsme tout entier est visé727 », les synagogues qui peuvent s’avérer de véritables pièges pour les fidèles soient fermées. En effet, les attentats et arrestations dans les synagogues se sont multipliés dans les derniers mois. Jacob Kaplan a, en janvier 1944, une vision très nette du danger. La logique n’est plus du tout la même que deux ans auparavant : il pense en 1944 que le « programme d’extermination systématique728 » concerne maintenant tous les juifs de France, quelle que soit leur ancienneté dans la nationalité française. En posant la question des responsabilités du grand rabbinat et du Consistoire lors des premiers recensements, il dénonce les pièges de la légalité. Celle-ci et l’espoir d’une quelconque protection du gouvernement de Vichy, y compris pour les Français juifs, sont désormais, de son point de vue, un leurre et un leurre dangereux. Mais la légalité conserve encore des adeptes. Le rabbin Maurice Liber s’oppose à cette fermeture, seulement « concevable si l’on faisait un geste officiel qui serait porté à la connaissance du gouvernement, lequel serait rendu responsable pour la protection insuffisante qu’il accorde aux lieux de culte729 ». Maurice Liber demeure malgré les événements dans un esprit de « normalité ». En fin de compte, la fermeture des synagogues est décidée par cinq voix sur neuf, mais elle est progressive et suit plus qu’elle n’anticipe les rafles. Ce n’est qu’en juin 1944 que le Consistoire et le grand rabbinat condamnent leurs bureaux et la synagogue de Lyon. Il a fallu pour cela qu’en avril, la Gestapo vienne perquisitionner dans les locaux du Consistoire et que, quelques semaines plus tard, elle arrête tous les fidèles qui, dans la cour de la synagogue, attendaient le service religieux. Comme tous les membres du Consistoire encore présents à Lyon, le rabbin Kaplan entre alors dans une semi-clandestinité. Il n’habite plus dans son logement dont l’adresse est connue des services de police et de la Gestapo, mais continue à circuler avec ses vrais papiers. Le 1er août, le rabbin est arrêté à la gare Saint-Paul, où il attend sa femme, par trois jeunes miliciens… qui, après de nombreuses péripéties, finissent par le relâcher en fin d’après-midi730.
186La primauté française est tellement enracinée parmi certains Français israélites qu’ils sont dans l’incapacité de lier leur sort à celui de tous les juifs. L’opposition entre les rabbins Liber et Kaplan qui disposent des mêmes informations est révélatrice. Le premier veut demeurer et rendre le gouvernement de Vichy responsable. Peut-il croire encore à une quelconque indépendance du gouvernement de Vichy en janvier 1944 ? Le second se place à la fois dans une perspective immédiate – la vie des juifs est menacée – et dans une perspective politique sur le plus long terme – il faut préserver la légitimité des institutions juives en vue de la Libération. L’information identique, décryptée de façon personnelle, entraîne des attitudes différentes.
187Pourtant l’horreur s’est déjà abattue sur les juifs, Français et étrangers.
Proscrits, clandestins, pourchassés, arrêtés, déportés
188À partir de la fin de l’année 1942, puis en 1943, la clandestinité partielle ou totale devient la seule solution pour de nombreuses familles.
Jules Isaac, proscrit
189C’est au cours de l’année 1943 que les persécutions font de Jules Isaac un proscrit. Après novembre 1942, il quitte son « refuge aixois » où il ne se sent plus en sécurité. Avec sa femme, Laure, il se retire quelques mois au Chambon-sur-Lignon, où enseigne leur fils aîné et où il entame la rédaction de Jésus et Israël. Courant 1943, les Isaac s’installent dans une ferme près de Saint-Agrève, en Haute-Loire. Peu de temps après, les Allemands décident de renforcer leur défense dans la région. Arrestations et rafles redoublent. Au début du mois d’octobre 1943, le couple déménage à nouveau pour la ville de Riom, choisie sa proximité avec Clermont-Ferrand où habite leur fille et son mari, Juliette et Robert Boudeville, et où se trouvent les bibliothèques utiles à Jules Isaac pour son ouvrage731. Il s’installe dans un hôtel, « sous une fausse identité, avec de faux papiers bien en règle732 », au nom de monsieur et madame Imbert. Preuve que même les Français israélites savent qu’après novembre 1942, on ne peut plus circuler sous le nom d’Isaac. On peut supposer que ces faux papiers ont été établis grâce à leurs liens avec des résistants, par l’intermédiaire de leur fille et de son mari, ou par celui de leur fils Jean-Claude, lié au même réseau que son beau-frère733.
190À la fin du mois d’octobre 1943, le drame s’abat sur la famille. Leur fille Juliette, son mari Robert Boudeville et leur fils Jean-Claude sont arrêtés comme résistants. Le lien est immédiatement fait avec leurs parents car Juliette avait omis de modifier sa carte d’identité où était mentionné son nom de jeune fille. La Gestapo est rapidement sur leur piste. Le 7 octobre 1943, Laure Isaac est arrêtée à leur hôtel à Riom, alors que son époux se trouve chez le coiffeur. La femme, la fille et le fils de Jules Isaac sont déportés par le convoi 61, parti de la gare de Bobigny le 28 octobre et arrivé à Auschwitz le 30 octobre.
191Jules Isaac, pour qui jusque-là « la vie familiale préservée […] et le travail continué restaient de forts soutiens734 », se trouve seul, désemparé, désespéré. Par le biais de relations, il est accueilli jusqu’à la Libération dans une famille du Berry, à Levroux, où il est « l’oncle ». Il devient alors totalement clandestin. Après quelques mois, pendant lesquels il se remet un peu physiquement et moralement du choc atroce qu’il a vécu, il reprend l’écriture de Jésus et Israël.
« Plus lépreux que jamais, condamné à mort sans le savoir, je trouvais dans la Résistance secours, amitié et comme une nouvelle famille735.»
192Bien qu’à partir de ce moment, tous ses travaux intellectuels soient consacrés à l’antisémitisme et son histoire, c’est bien dans la société française qu’il trouve chaleur et secours.
Juive et catholique
193C’est aussi auprès de son amie Madeleine du Fresne qu’Yvonne Netter, internée au camp de Pithiviers obtient aide et assistance. Malade, elle est admise à son arrivée à l’hôpital du camp où son amie qui s’est installée dans un hôtel à proximité peut lui rendre visite. Elles mettent sur pied un projet d’évasion rocambolesque mais efficace. Catholique depuis décembre 1940, Yvonne Netter assiste régulièrement à la messe. Un dimanche de février 1943, elle enfile la veste de son amie et passant par la chapelle, se retrouve chez le jardinier qui la recueille quelque temps. Jusqu’à la Libération, Yvonne Netter vit dans la clandestinité totale. Dans un premier temps, elle rejoint son frère Léo à Toulouse où elle habite, avec Madeleine, jusque vers la fin de l’année 1943. À la suite de l’arrestation de son frère et de sa famille736, les deux femmes reviennent à Paris où elles sont cachées par une concierge. Elle est aidée par Madeleine du Fresne et par son réseau de connaissances catholiques, parmi lesquelles les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Elle reprend ses activités de résistance pour le réseau Comète à partir de mai 1944.
LES VOIES DE LA RÉSISTANCE
194La Résistance a déjà été évoquée à travers plusieurs personnages qui ont décidé de lutter très tôt contre l’occupation allemande ou dans le sauvetage. De novembre 1942 jusqu’à la Libération, elle se structure et se développe, sans jamais devenir majoritaire et encore moins mouvement de masse. Pendant cette période, Jacques Lazarus entre dans la Résistance juive en 1943 ; la même année, Claude L. et Henri Becker « montent » au maquis ; André Becker s’engage aussi, et sa fille, Annie Kriegel, intègre un groupe de la MOI.
195Derrière ces divers engagements se pose la question, devenue aujourd’hui classique, de résistance juive ou de juifs dans la résistance737. De nombreux juifs, sans renier en aucune façon ce qu’on nomme aujourd’hui leur identité juive, résistent par patriotisme, par refus de l’occupation et du nazisme, pour la libération de la France et le rétablissement de la démocratie qui entraînent logiquement la fin des discriminations. Le fait juif, secondaire, n’est pas à l’origine de leur choix et ils refusent d’ailleurs de se voir « enrôlés » dans les rangs d’une résistance juive qui leur est étrangère. Leur point de vue doit être respecté. Les Français israélites, en s’engageant dans une résistance avant tout patriotique, suivent aussi une tradition républicaine bien ancrée dans le judaïsme français738.
196La résistance juive a souvent été considérée comme le port d’attache de juifs étrangers qui, il est vrai, furent nombreux dans ses rangs. La séparation entre étrangers et Français apparaît cependant, à regarder de plus près sa composition, quelque peu artificielle. Issue pour partie des EIF, elle a aussi été un pont entre les diverses composantes du judaïsme français. Liliane J. et Jacques Lazarus en témoignent. La résistance juive a deux objectifs essentiels : d’une part, contribuer à la sauvegarde du peuple juif dont la résistance « générale » s’occupe peu739, d’autre part participer à la libération du territoire national. On a longtemps opposé, à propos de la résistance juive notamment, l’idée d’action « passive et active740 », mais la grande majorité des historiens considèrent aujourd’hui que cette opposition est caduque. D’une part, une branche de la résistance juive est armée et militaire et, d’autre part, « cacher les enfants, organiser le passage de la ligne, puis le franchissement des Pyrénées, est-ce vraiment là une résistance passive741 ?»
197Juifs en résistance et résistance juive correspondent dans ces deux cas à des définitions relativement précises, même si elles laissent de côté « la part juive » de certains choix ou négligent « la part patriotique » d’autres choix. Il est un peu plus malaisé de trancher en ce qui concerne la MOI, créée par le Parti communiste dans les années trente afin d’organiser le recrutement et le regroupement des étrangers et dans laquelle existait alors une « sous-section yiddish ». Pendant la guerre, les sections de la MOI rassemblent des étrangers de tous horizons, mais les juifs, notamment d’origine polonaise, y sont majoritaires.
La résistance juive
Des consistoriaux dans la résistance juive
198Liliane J. et Jaques Lazarus intègrent tous deux la résistance juive. Liliane et sa mère Germaine J. restent à Grenoble jusqu’en septembre 1943. Quand les Allemands occupent la zone italienne, elles se réfugient à Uriage où des « amis, allemands d’origine, avaient un petit appartement742. » Dès son arrivée à Grenoble, Liliane J. avait cessé sa scolarité pour devenir permanente du sauvetage, mais jusque-là les deux femmes avaient conservé leur véritable identité, Liliane utilisant parfois de faux papiers pour ses déplacements dans le cadre de la Sixième. À Uriage cependant, elles se fabriquent elles-mêmes de fausses cartes d’identité. Au début de l’été 1944, la jeune fille cède « aux supplications de sa mère743 » qui, face à l’aggravation du danger, veut la mettre à l’abri. Elles passent toutes les deux la frontière suisse et rejoignent de la famille à Genève. Et « à la Libération d’Annemasse, [Liliane J.] reprend son vélo et repasse la frontière744 ».
199Avant novembre 1942, Jacques Lazarus avait eu des contacts avec la résistance mais avait eu « l’impression […] que ce n’était pas très sérieux. […] Après l’occupation de toute la France en novembre 1942, j’ai eu l’intention de rejoindre les Forces Françaises Libres. Parce qu’après tout, j’étais jeune, j’étais ancien militaire, il était normal que j’essaie de rejoindre une unité combattante ou la résistance745 ». Ses motivations sont alors essentiellement patriotiques. Il quitte Lyon, muni d’un faux passeport pour traverser les Pyrénées, mais doit faire demi-tour. Dans le train du retour, il rencontre un des ses anciens camarades de l’école de Strasbourg qui lui apprend l’existence d’une armée clandestine à laquelle il appartient, l’Armée Juive746. Jacques Lazarus abandonne alors l’idée de rejoindre les Forces Française Libres et se joint à eux en février 1943.
200Dans quelle organisation est arrivé Jacques Lazarus ? L’Armée juive ou AJ747, fondée en 1941, réunit diverses tendances du mouvement sioniste. Son but est à la fois le sauvetage du peuple juif, la libération de la France et la création d’un État juif en Israël. Le 1er juin 1944, elle devient l’Organisation juive de combat (OJC) puis intègre la branche militaire des EIF. En février 1943, Jacques Lazarus, à la demande de ses chefs, quitte son poste à la banque pour s’installer à Grenoble, alors en zone italienne. Devenu permanent, il est aussi pris en charge matériellement. Le dimanche, il entraîne des jeunes gens, souvent issus des EIF, au maniement des armes. En novembre 1943, il participe à la création du premier maquis juif au Rec, près d’Albi, puis à ceux de Biques et Coubes, finalement transférés au printemps 1944 dans la Montagne Noire où, tout en conservant leur autonomie, ils sont intégrés au corps franc dirigé par Roger Mompezat qui relève de l’autorité de l’Armée Secrète. Il prend alors le nom de Peloton Trumpeldor748. Étant un des seuls soldats de métier, Jacques Lazarus a en charge l’instruction militaire. Ce maquis juif « s’est singularisé par le fait qu’à côté du drapeau tricolore on levait le drapeau bleu-blanc qui était le symbole de la pérennité du peuple juif, le symbole de la Palestine juive […] C’était un mouvement totalement sioniste749 ». Les maquisards arborent des épaulettes bleu-blanc sur leur uniforme. La pratique religieuse n’est pas oubliée : on chante et prie en hébreu, la prière du matin est quotidienne et le shabbat est respecté. Il s’agit bien de préserver la survie d’un peuple, de sa religion, de ses traditions.
La résistance juive : un choix
201Au-delà de la part de hasard – la rencontre avec cet ancien condisciple – Jacques Lazarus choisit réellement la résistance juive plutôt que la résistance française.
« À ce moment-là, j’ai décidé de rejoindre l’Armée Juive plutôt que de mettre à exécution mon projet de rejoindre la résistance extérieure. Parce que malgré tout étant tellement malmené en tant que juif, si je puis dire, soumis à tellement de tracasseries. Et puis étant en quelque sorte rejeté de la nation, alors que j’avais cinq générations et même au-delà de Français…750 »
202Ce choix n’implique pas le rejet de la France, mais il avoue une certaine amertume :
« Je dois dire que je n’éprouvais plus de réel enthousiasme à l’égard de la France, qui m’avait exclu, et que ma qualité de juif l’emportait alors sur ma qualité de Français751.»
203Les motivations d’entrée dans la Sixième de Liliane J. sont proches mais pas exactement identiques. Lorsqu’elle répond à l’appel de Robert Gamzon pendant l’été 1942, il n’est pas question de résistance juive ou non-juive, mais seulement « de sauver des vies humaines, surtout des enfants. Dans ma tête, c’était surtout du sauvetage752 ». Pourtant, elle s’applique aussi à préserver l’identité, la culture et la religion juives de ceux qu’elle appelle encore ses « protégés ». Elle leur rend visite régulièrement afin de s’assurer qu’ils ne manquent de rien et leur procure :
« un petit bain juif, une bouffée d’air. [C’était] un moment où elles pouvaient parler librement de ce qu’elles étaient, parce qu’il fallait qu’elles fassent toujours attention753.»
204En effet, les enfants ou adolescents cachés, même si leurs hôtes étaient au courant, devaient taire leur appartenance et censurer toute référence à la religion et à la culture juives, voire certains mots de leur vocabulaire. En présence de leur « assistante sociale », ils pouvaient se laisser aller. Cela souligne combien l’identité juive se conjugue parfois sur un mode ténu. Liliane J. est particulièrement vigilante avec les sœurs de Notre-Dame-de-Sion qui cachent de nombreuses jeunes filles car elle se sent le devoir de conserver ces jeunes gens dans la religion de leurs parents. Là encore, il est bien question de sauvetage du peuple juif, sauvetage physique, spirituel et culturel.
205Cette génération d’enfants de consistoriaux avait trouvé dans les EIF ou, pour Jacques Lazarus, dans l’école de Strasbourg, de nouvelles expressions de leur judéité. Elles sont renforcées par les persécutions et annonciatrices de l’après-guerre.
La MOI : un cas particulier
206Bien que les juifs y soient nombreux, la MOI n’est pas à proprement parler une résistance juive. La jeune Annie Kriegel y entre, un peu par hasard grâce à un contact procuré par son professeur de philosophie. « Responsable technique754 », elle est chargée de la recherche de fournitures pour l’imprimerie clandestine, d’un service de faux papiers et de collecte de fonds. Elle apporte aussi argent, tickets d’alimentation et vêtements aux maquis. Annie Kriegel convient que le hasard est primordial dans cette adhésion, mais elle y trouve « une appartenance755 ».
« Français ou immigrés, les juifs sont désormais dans un malheur commun. Peu importe la langue, ce qui compte, c’est que leurs préoccupations, leurs soucis, […] procèdent des mêmes besoins756.»
207En outre, la Jeunesse Communiste était alors l’une des seules organisations à accepter de prendre en charge les très jeunes gens et en particulier les filles. Annie Kriegel insiste par ailleurs sur son extrême jeunesse et le fait que son accès à la maturité se déroulait dans un contexte où « ce qui comptait, ce qui correspondait à notre expérience vécue, ce qui grandissait en nous, c’était que tout découlait du fait central que nous étions juifs757 ». Si toutes ces raisons d’entrer et de rester dans une résistance à dominante juive sont tangibles, on peut cependant se demander dans quelle mesure ces explications ne sont pas aussi influencées par son parcours ultérieur. Lorsqu’elle écrit ses lignes, Annie Kriegel est en effet devenue une figure du monde français juif et une ardente militante pro-sioniste. A contrario, on peut aussi penser que cette trajectoire personnelle et ce rapprochement avec le judaïsme et la judaïcité furent en partie une conséquence de sa jeunesse traversée par la guerre et les persécutions. Issue d’un monde en voie de déjudaïsation, Annie Kriegel fait, dès la Seconde Guerre mondiale, un choix original parmi les Français israélites et au sein de sa propre famille.
Des juifs dans la Résistance
208« L’esprit résistant758 » anime tous les membres de la famille Becker, mais chacun a un parcours particulier. Lorsqu’il était encore à Paris, André Becker avait été contacté par Renée Lévy du réseau du Musée de l’Homme mais n’avait pas trouvé l’organisation très sérieuse et n’avait donc pas répondu à son appel. À Grenoble, « la maison servait de boîte aux lettres, c’est-à-dire que sans arrêt passaient des résistants759 ». Quelques mois avant la Libération, André Becker est chargé d’un service de fausses cartes d’identité. Sans activité, il assistait à de nombreuses séances du palais de justice où il a rencontré un jeune accusé qui, après sa libération, lui confie cette charge.
209Henri Becker, de deux ans l’aîné d’Annie, souhaite depuis plusieurs années prendre part à la résistance. Très jeune, il a à peine quinze ans, il participe à Paris à la manifestation du 11 novembre 1940. Dès 1942, alors que la famille est encore à Paris, il exprime à son père son désir de partir en Angleterre. Celui-ci refuse : son fils n’a que dix-sept ans ! Arrivé à Grenoble, il entre – enfin ! – dans la Résistance, à partir du début de l’année 1943. Il milite dans un premier temps au sein des Jeunesses Communistes sans être du tout lié à la JC-MOI à laquelle participe sa sœur Annie. Il n’est même pas sûr aujourd’hui d’avoir eu, à l’époque, connaissance de leur existence. Il est en même temps au mouvement Combat et ensuite aux MUR760. Il rejoint le maquis du Vercors, fin 1943-1944, ce qui l’oblige à cesser sa scolarité. Il devient alors agent de liaison entre le maquis et Grenoble où il continue à partager le logement des « Boulanger » avec son jeune frère, Jean-Jacques.
210C’est dans la même période, en juillet 1943, que le jeune Claude L. rejoint le maquis. La filière lui est indiquée par des amis de ses parents, mais il ne se préoccupe pas de sa tendance politique. Il apprend par la suite qu’il est, lui aussi, à Combat, dans les MUR d’Auvergne. Il participe à la libération de Clermont puis est démobilisé fin septembre 1944761.
211Ces deux jeunes gens, l’un plutôt déjudaïsé, l’autre plutôt consistorial, rallient au cours de l’année 1943 des mouvements de résistance française. Ils sont des Français dans la résistance, accessoirement juifs, et non des juifs résistants.
« C’était un engagement en tant que Français. Un engagement patriotique762.»
212Ils rejoignent dans cette démarche Nicole F. et Robert Debré que leurs activités résistantes obligent au cours de l’année 1943 à basculer dans la clandestinité.
213Robert Debré s’est employé depuis 1941, avec l’aide de son amie Dexia et d’organisations catholiques et protestantes, à organiser le sauvetage d’enfants juifs763. Le laboratoire de l’hôpital des Enfants Malades est devenu un atelier clandestin de fabrication de faux papiers. L’action de Robert Debré, ainsi que de Dexia qui n’est pas juive, est avant tout humaniste. Il ne s’agit pas de sauver un peuple juif qui n’a pas d’existence à ses yeux, mais avant tout de protéger des personnes en danger. Robert Debré n’a que peu de relations avec les organisations juives qu’il juge d’ailleurs sévèrement :
« Les organisations israélites [étaient] parfois timorées, à la fois par crainte pour leur propre personne et par l’inquiétude de conversions ultérieures vers lesquelles seraient attirés les enfants confiés à des institutions de religion chrétienne764.»
214Il exerce cependant à l’hôpital Rothschild, d’où une des infirmières convoie les enfants jusqu’en Touraine où il possède une maison. Ils sont ensuite dispersés dans des familles de cultivateurs tourangeaux. Sa collaboration à la création du Comité médical de la Résistance est, elle, politique – au sens large du mot – puisqu’il s’agit de penser et organiser le système médical de la France après la Libération765. Muni d’une des très rares dérogations au statut des juifs d’octobre 1940, il continue à exercer officiellement à l’hôpital et à l’Université, au moins jusqu’au mois de mai 1943766. Après sa révocation du service public, il conserve sous son vrai nom une activité libérale. Cependant, la police allemande est sur la trace du Comité médical et de ses membres dirigeants. Pour échapper à une arrestation, il bascule dans la clandestinité en septembre 1943. Muni de toute une série de faux papiers, d’abord caché quelque temps à Paris, puis chez des amis en Île-de-France, et enfin à nouveau à Paris, il travaille « avec plus d’ardeur que jamais au projet de réforme des hôpitaux, de la faculté, de la santé publique, de la politique démographique767 ». Dans ses mémoires, il associe sa clandestinité exclusivement à la résistance et jamais aux persécutions antisémites. Pourtant, il était en danger d’arrestation aussi en tant que juif.
215Nicole F., elle, n’a aucun lien avec des organisations juives, ni même avec des organisations de sauvetage. Cela ne l’empêche pas de mettre son appartement à la disposition de nombreuses personnes qui cherchent un abri. Elle accueille des aviateurs anglais, des membres de la Résistance, des familles juives… Ceci n’est pour elle qu’un épiphénomène car l’essentiel de ses activités est dans la Résistance. Afin de renseigner Londres sur les implantations de l’armée allemande autour de Paris, elle circule énormément, munie de faux papiers, autour de la capitale. Elle vit toujours dans l’appartement de ses parents, sous son vrai nom et étrangement, alors que la police est venue chercher son père, qu’elle-même a été libérée de justesse, elle ne songe pas que sa déclaration en tant que juive puisse être la source d’un réel danger. Son éloignement de toute forme de judaïsme – bien qu’elle soit allée se déclarer –, son mariage avec un non-juif, sa conversion au protestantisme – qu’elle ne pratique pas – et son engagement total dans la résistance relèguent le fait juif loin au second plan. L’inquiétude qui prime sur toutes les autres est l’arrestation comme résistante et la crainte de la torture, avec en plus la peur de parler et le risque de la déportation. Mais elle ne fait alors aucune différence entre les camps de juifs et ceux de résistants, et n’a jamais pensé, pendant la guerre, à une extermination des juifs.
216Le danger est venu en effet de ses activités résistantes. Vers la fin 1943, son réseau est démasqué et la Gestapo perquisitionne chez elle. À partir de ce moment, elle et son mari vivent dans la clandestinité, cachés par leur réseau en attendant de pouvoir gagner l’Angleterre. Mais trouvant le temps d’attente trop long, ils décident de gagner l’Espagne par leurs propres moyens. À cette occasion, elle rend visite à ses parents qu’elle revoit pour la première fois depuis 1940. Le jeune couple est à Alger au début de l’été 1944.
217Jacques Lazarus, Liliane J., Annie Kriegel d’une autre façon, ont, à travers leurs combats, privilégié leur identité juive sans pour autant renier leur appartenance française. Mais la plupart des Français israélites conservent un système de représentation directement hérité du franco-judaïsme dans lequel la liberté des juifs dépend de celle de la France. Henri Becker l’exprime clairement :
« J’étais français avant tout, l’antisémitisme me choquait et c’était une raison de plus, pour participer en tant que français, le plus tôt possible à la résistance768.»
218Raymond Aron, résistant à Londres, lui fait écho :
« Toutes les mesures que pouvaient prendre les Français contre les Juifs me touchaient en profondeur précisément parce que je suis français, si je puis dire, avant d’être juif769.»
La Résistance extérieure : des Français israélites à Londres
Être juif à Londres
219Londres, où réside Raymond Aron, devrait être le dernier endroit où être juif a de l’importance. C’est paradoxalement le contraire. Le fait juif existe ne serait-ce que par la présence d’un antisémitisme plus ou moins larvé mentionné par tous nos « témoins ». C’est d’autant plus étonnant que ceux qui ont vécu à la même période sous le joug des lois antisémites sur le territoire français soulignent au contraire la rareté de ces manifestations de la part de leurs compatriotes. Dans son journal, René Cassin expose ses inquiétudes dès octobre 1940. En février 1941, il pense que certains à Londres accepteraient le principe de lois raciales « sous une forme atténuée770 ». Guy de Rothschild, dans une lettre à sa femme, se plaint de « la recrudescence de l’antisémitisme dans les milieux français771 » depuis le début de la Libération du territoire français. L’existence de cet antisémitisme parmi les Français Libres, une longue habitude de discrétion en tant que juif et le service de la patrie encouragent les Français israélites à accepter certaines situations et à se censurer « pour ne pas nuire », comme l’écrit René Cassin dans son journal.
220René Cassin consent dès le mois de juin 1940 à ne pas se mettre en avant, et, en janvier 1941, refuse le titre de chancelier. Guy de Rothschild, arrivé à Londres au milieu de l’année 1943, très conscient de l’embarras que son nom célèbre et symbolique peut causer au gouvernement de la France Libre, accepte, après trois mois au camp d’entraînement de Camberley, son affectation dans un modeste bureau londonien. On l’a vu, Raymond Aron, renonce difficilement à l’action militaire pour écrire dans une revue. Dans ses « Chroniques de France », il n’aborde pas la situation des juifs en France alors qu’il en était régulièrement informé. Longtemps après, il s’en explique dans Le spectateur engagé. Bouleversé par les mesures antisémites, « précisément […] parce que français772 », très inquiet pour les siens, il préfère éviter le sujet. Résistant français, il craint aussi que son combat ne soit associé à sa judéité. Tous s’appliquent sur ce sujet à la discrétion. René Cassin choisit son journal privé pour l’évoquer « l’antisémitisme londonien », Guy de Rothschild une correspondance tout aussi privée et Raymond Aron attend de longues années…
221Pourtant, dans l’intimité, l’inquiétude pour le sort des juifs de France et de leurs proches restés sur le territoire français ne cesse de croître. Ils sont tous bien informés des événements en France. Ce qui se passe en Europe de l’Est est moins su, mais des informations filtrent. Guy de Rothschild rencontre Arthur Kfistler à la fin de l’année 1943 à Londres. Dès lors, il n’a « plus aucun doute quant au sort des Juifs envoyés dans “les camps de travail773” ». A-t-il pour autant deviné qu’il s’agissait d’un génocide qui devait concerner l’ensemble des juifs d’Europe ? Raymond Aron, qui dispose aussi d’une information précise, répond pour sa part le contraire. Faisant preuve d’une grande honnêteté intellectuelle, il reconnaît que « la vérité, c’est que je ne sais pas exactement ce que j’ai su », parce que précise-t-il, « je ne voulais pas y songer » mais aussi parce que « partiellement, c’était inconcevable774 ». René Cassin possède l’information la plus détaillée et la plus solide sur la déportation et la Solution Finale. Dans son journal, il écrit son anxiété sur le sort de ses parents. Au début de l’année 1943, son texte rend compte d’une véritable détresse.
« Mais depuis le 11 novembre, les angoisses sur le sort des nôtres sont au maximum. […] Aucune nouvelle des “Juifs” de notre famille. Des cris de détresse, des appels au secours arrivent de France. Il faudra bien vite gagner, pour trouver vivants ceux qu’on aime775 !»
René Cassin, Français israélite
222René Cassin accepte cependant de représenter la France Libre, en tant que juif… par patriotisme. Dès l’hiver 1941, il rencontre les représentants de la communauté juive anglaise qui consent à aider financièrement la France libre, « sans condition776 », souligne-t-il dans son journal. Il participe à plusieurs manifestations londoniennes contre les persécutions antisémites. En septembre 1942, avant même l’occupation de tout le territoire français, il établit un mémoire pour « le sauvetage des israélites de France » dans lequel il propose que les États-Unis demandent au Vatican d’intervenir auprès du gouvernement de Vichy, afin d’évacuer les juifs de France vers l’Argentine777. Le projet ne connaît aucune suite, mais il prouve l’extrême inquiétude de René Cassin quant au sort de tous les juifs de France. Par la suite, il s’oppose vigoureusement à la politique menée par le général Giraud envers les juifs d’Algérie et n’a de cesse d’exiger le rétablissement du décret Crémieux, ce qui est acquis seulement le 21 octobre 1943778. Son allocution aux « Israélites de France » et son engagement à la direction de l’Alliance israélite universelle sont particulièrement révélateurs de son état d’esprit.
223L’allocution « aux Israélites de France779 » se situe entre les promulgations des deux statuts des juifs, alors que le Commissariat aux Questions Juives vient d’être mis en place. S’adressant à l’ensemble des juifs de France, René Cassin entend leur signifier le soutien de la France libre. Il s’exprime à la fois en tant que Français libre et que juif.
« Cette voix n’émane ni d’un rabbin ni d’un des aumôniers de l’armée de Gaulle, ni même d’un fidèle attaché à vos rites.
Cependant certaines solidarités qui somnolent aux temps de prospérité se réveillent spontanément dans l’épreuve780.»
224Comme lors de sa réponse aux anciens combattants en 1938, René Cassin est fidèle à ses ancêtres, français et juifs. Dans ce qui pourrait être une définition de sa propre histoire familiale, il insiste sur les liens lointains qui unissent les juifs des trois grandes communautés avec la France781 et souligne la dette de tous les juifs de France envers la patrie émancipatrice. En ancien combattant, il précise que la dette fut toujours payée par la défense de la patrie et rappelle la contribution des juifs étrangers, engagés volontaires lors de la Première Guerre mondiale. Enfin, il affirme que, dans leur majorité, les Français n’accréditent pas ces mesures importées et imposées par les occupants. Cette allocution est un discours de rassemblement de tous les Français contre « l’ennemi et ses collaborateurs782 ». Pour René Cassin, défense de la France, défense des Droits de l’Homme et défense des juifs forment, dans la droite ligne du franco-judaïsme un tout indissociable. Il note d’ailleurs dans son journal, en octobre 1940, que les manifestations d’antisémitisme qu’on trouve parfois à Londres nuisent à la cause de la France Libre parce qu’elles sont en « contradiction [avec] la loyauté de leur patriotisme783 ».
225C’est dans ce cadre de défense des intérêts français que René Cassin prend la direction de l’une des plus prestigieuses institutions juives françaises, l’Alliance israélite universelle. Entre décembre 1941 et fin mars 1942, il est envoyé en mission dans les territoires relevant de la France libre, au Levant et en Afrique784. Il est chargé d’y faire reconnaître l’autorité de la France libre, de remettre en place la légalité républicaine et de développer les établissements scolaires français. Il visite aussi les écoles de l’Alliance en Palestine785. Au printemps 1943, le général de Gaulle lui demande expressément de diriger l’AIU afin de préserver les intérêts de la France en établissant sa souveraineté sur des institutions auparavant sous l’autorité du gouvernement de Vichy, et de s’opposer à la mainmise des Anglais, très présents dans cette région du monde. René Cassin, patriote et sensible à l’action de l’Alliance dédiée à la diffusion de l’humanisme à la française et à la défense des persécutés juifs dans le monde, ne pouvait qu’accepter. Le 3 avril 1943 est réuni, sous sa présidence, un Comité provisoire de la direction de l’AIU à Londres et en novembre de la même année, un Comité élargi se réunit à Alger. Ce Comité affirme rapidement son autorité sur les établissements de l’Alliance en Afrique du Nord, en Égypte, Turquie, Syrie, Iran, Irak et Liban.
226Le parcours de René Cassin est une véritable mise en pratique de la symbiose franco-juive. Il s’adresse à ses coreligionnaires, prend la direction d’une grande œuvre juive et s’impose, parce que juif, des sacrifices politiques. Toujours et avant tout pour le service et la grandeur de la « France des Droits de l’Homme ».
227Les attitudes et les comportements des Français israélites – fuite vers la zone Sud, passage dans la semi-clandestinité ou la clandestinité totale – recoupent les grandes évolutions de la politique antisémite et le renforcement des persécutions. Tous vivent les derniers mois de l’occupation dans la terreur d’une arrestation. Si les Français israélites n’imaginent pas, pendant un temps, que la déportation puisse les concerner, c’est aussi parce qu’ils reçoivent des messages, à la fois de la société civile et des institutions, qu’ils n’interprètent pas – ou ne veulent interpréter – de façon totalement défavorable. Ils ne sont cependant pas aveugles à leur propre situation et s’ils restent longtemps légalistes, ils écornent la légalité lorsque celle-ci devient invivable ou leur paraît trop dangereuse. La légalité n’est d’ailleurs pas un bloc : les situations mixtes et nuancées, entre la semi-légalité et la clandestinité totale sont fréquentes.
228Les paramètres personnels entrent alors en jeu de façon particulièrement forte. Car cette périodisation et ces adaptations sont aussi construites en fonction d’une chronologie spécifique dans laquelle chacun est confronté avec une réalité qui lui est singulière. C’est à ce point de rencontre que se mêlent de façon inextricable, pour chaque individu, destin collectif et histoire personnelle. Bien que vivant quelque temps dans la même ville, Riom, et soumis à la même législation, l’histoire de la famille Isaac, marquée par la déportation et la traque de Jules Isaac, ne recouvre pas celle de la famille L. qui sent la protection efficace de la population et conserve son identité jusqu’à la fin de la guerre.
229Pourtant, Jules Isaac, Claude L. et ses parents se retrouvent sur un point. Au fond d’eux-mêmes, ils n’abandonnent jamais leur condition de Français. L’adaptation à des conditions extrêmes, dans une période si troublée, n’implique pas la remise en question des systèmes de représentations et des modes de références plus anciens. Même ceux qui se sentent moins solidaires de la France ne se perçoivent pas pour autant comme exclus de la population française avec laquelle ils se sentent toujours en profonde harmonie.
230L’évolution de leurs perceptions politiques, sur le gouvernement de Vichy, la collaboration, la Résistance, suit d’ailleurs un mouvement général qui est plus proche de celui de l’ensemble des Français que de celui des persécutions. Certes, ils semblent être un peu plus nombreux à entrer dans la Résistance précocement, ou à se sentir proche d’elle. Leur culture républicaine et leur attachement patriotique en sont avant tout la cause. Par la force des choses, la « question juive » est devenue centrale dans leur vie quotidienne et matérielle, mais elle n’est pas pour autant devenue centrale dans leur mode de pensée. Le père de Monique H., qui s’ennuyait au Chambon, écoutait fréquemment la radio en compagnie de son voisin, comme lui réfugié juif. Les conversations politiques sur l’avenir de la France et les commentaires sur le déroulement de la guerre emplissaient l’essentiel de leurs conversations. Mais Monique H. ne se souvient pas avoir jamais entendu les deux hommes parler de la situation des juifs de France ou d’Europe.
231La guerre et les persécutions amorcent cependant parmi les Français israélites des divisions : certains, blessés et choqués par les persécutions, pensent de façon nouvelle en termes de peuple juif, sans que cette notion ne soit en contradiction avec celle de peuple français. Cette évolution, déjà perceptible dans les années trente, est réellement mise à jour par les persécutions. Elle touche plus une génération de jeunes gens restés en contact avec le fait juif et souvent passés par les EIF. Elle est aussi annonciatrice des évolutions de l’identité juive et du rapport à la francité des Français israélites dans les années d’après-guerre, évolution qui sera patente, notamment à travers l’État d’Israël.
Notes de bas de page
517 J.-J. Becker, La France en guerre. 1914-1918. La grande mutation, Bruxelles, Complexe, 1988, cité par P. Laborie, L’opinion française et Vichy, op. cit., p. 200.
518 J. Lazarus, 6 février 2001.
519 C. L., février 2000.
520 R. Cassin, Les hommes partis de rien, Paris, Plon, 1974, p. 12.
521 Y. B., février 1999.
522 Le pourcentage est de 1,5 %, in P. Laborie, L’opinion française et Vichy, op. cit., p. 202.
523 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 108-109.
524 M. Bloch, L’étrange défaite, Paris, Gallimard, Folio-histoire, 1990.
525 La Française, septembre-octobre 1939, C. Brunschvicg, « Les heures difficiles ».
526 J.-J. Becker, février 2000.
527 Voir J.-J. Becker, Comment les Français sont entrés en guerre, op. cit., et Pierre Laborie, L’opinion française…, op. cit.
528 « L’évolution des conditions juridiques de la guerre économique », in Politique étrangère, no 5, octobre 1939, p. 1-25. R. Cassin développe ces mêmes thèmes à travers plusieurs articles dont « Présent et avenir de la neutralité » in Esprit International, no 53, 1er janvier 1940, p. 2-24, « L'État-Léviathan contre l’homme et la communauté humaine », in Les Nouveaux Cahiers, avril 1940, article reproduit dans La Pensée et l’Action, op. cit., p. 63-71.
529 La Française, novembre 1939, C. Brunschvicg, éditorial.
530 Ibid.
531 La Française, septembre 1939, reproduction de l’appel de Daladier.
532 AN, fonds R. Cassin, 382 AP 10.
533 Ibid.
534 J. Kaplan, « Douaumont », émission de la Voix d’Israël, prononcée en novembre 1939, in Les temps d’épreuves, op. cit., p. 75-80.
535 Idem, p. 78-79.
536 Idem, p. 79.
537 D. Milhaud fut toute sa vie de santé fragile.
538 P. Laborie, L’opinion française sous Vichy, op. cit., p. 211.
539 R.W., 6 avril 2001.
540 J. Lazarus, 6 avril 2001.
541 Voir bibliographie.
542 92 000 hommes sont tués et environ 200 000 blessés en seulement quelques semaines de combats. Voir, F. Cochet, Les soldats de la drôle de guerre. Septembre 1939-août 1940, Hachette, collection « La vie quotidienne », 2004.
543 J. Kaplan, Justice pour la foi juive. Dialogue avec Pierre Pierrard, Paris, Cerf, 1995, p. 65.
544 J. Lazarus, 6 avril 2001.
545 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 123.
546 Idem, p. 117.
547 AN, fonds R. Cassin, Journal, 382 AP 27. Certains écrits de ce journal ne sont pas précisément datés.
548 Ibid.
549 R. Aron, Spectateur engagé, op. cit., p. 79-80.
550 A. Lunel, Par d’étranges chemins. Souvenirs de mai-juin 40, Monaco, L. Jaspard, 1946.
551 Idem, p. 41
552 R. W., 6 avril 2001.
553 Y. B., avril 1999.
554 A. Lunel, Par d’étranges chemins, op. cit., p. 110.
555 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 131.
556 J. Lazarus, 06 février 2001.
557 G. Jessula, novembre 2000.
558 P. Laborie, L’opinion française sous Vichy, op. cit., p. 230.
559 R. Debré, L’Honneur de vivre, op. cit., p. 213.
560 R. Aron, Spectateur engagé, op. cit., p. 96.
561 Idem, p. 80.
562 R. Debré, L’Honneur de vivre, op. cit., p. 213.
563 R. Aron, Spectateur engagé, op. cit., p. 80-81.
564 Ibid.
565 N. F., 9 février 2001.
566 Ibid.
567 Ibid.
568 A. Lunel, Par d’étranges chemins, op. cit., p. 62.
569 D. Schnapper, juillet 2001.
570 22 juillet 1940 : commission de révision des nationalisations de 1927 ; 30 juillet 1940 : loi de « francisation » de l’administration ; 13 août 1940 : dissolution des « sociétés secrètes ».
571 P. Laborie, L’opinion française sous Vichy, op. cit., p. 235.
572 Idem, p. 218.
573 R. Cassin a alors 53 ans et est un homme public, D. Milhaud à 48 ans jouit d’une grande réputation dans le domaine musical.
574 D. Milhaud, Notes sans musique, op. cit., p. 302.
575 Idem, p. 306.
576 AN, fonds R. Cassin, Journal, 382 AP 27.
577 AN, idem, à la date du 22 juin 1940.
578 D. Schnapper, juillet 2001.
579 Sur les appréciations sur Vichy des deux hommes, voir R. Aron, Mémoires, op. cit., p. 246-250.
580 AN, fonds R. Cassin, 382 AP 27, Journal, à la date du 28 juin 1940.
581 Il est signé le 7 août 1940.
582 Il conserve ce pseudonyme jusqu’à leur arrivée à Londres en juillet 1943.
583 R. Aron, Chroniques de France : « La France libre », 1940-1945, Paris, Gallimard, 1990.
584 D. Cordier, « René Avord à Londres », in « Raymond Aron 1905-1983, Histoire et politique », Paris, Commentaire, no 28-29, 1985, p. 26.
585 Idem, p. 27.
586 AN, fonds R. Cassin, 382 AP 27. Daté du 30 juin 1940.
587 AN, ibid.
588 D. Milhaud, Notes sans musique, op. cit., p. 305. L’italique est de l’auteur.
589 AN, fonds R. Cassin, 382 AP 27. Daté du 23 juin 1940.
590 D’après le journal de R. Cassin, ce serait son épouse, Simone, qui aurait conseillé au « jeune Aron » de troquer sa capote bleue de l’aviation française contre celle de l’infanterie polonaise afin de pouvoir monter à bord. AN, 382 AP 27.
591 L. Hamon, Vivre ses choix, Paris, Robert Laffont, 1991.
592 R. W., 6 avril 2001.
593 A. Kriegel, Ce que j’ai cru comprendre, op. cit., p. 118.
594 J.-J. Becker, février 2000.
595 Sur le détail de ces manifestations, voir R. Poznanski, Être juif en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette, 1994, p. 57-60.
596 Voir Ph. Burrin, La France à l’heure allemande. 1940-1944, Paris, Seuil, 1995, p. 7.
597 M. H., avril 1999.
598 D. M., novembre 2000.
599 M. H., avril 1999.
600 Ibid.
601 Ibid.
602 Ibid.
603 D. M., novembre 2000.
604 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 132.
605 G. de Rothschild, idem, p. 135.
606 Ibid.
607 Ibid.
608 J. Kaplan, Justice pour la foi juive, op. cit., p. 66.
609 Le 16 juillet 1940, une ordonnance allemande ordonne l’expulsion des juifs et des autres Français jugés indésirables d’Alsace-Lorraine. Un mois plus tard, les juifs de Moselle sont à leur tour expulsés.
610 C. L., avril 1999.
611 Rapport sur les activités du grand rabbin de France depuis juin 1940, présenté à la séance annuelle du Consistoire central, 2 décembre 1940, cité in M. Moch et A. Michel, L’étoile et la francisque, Paris, Cerf, 1991, p. 41.
612 Ibid., p. 41.
613 CDJC, fonds J. Kaplan, carton guerre.
614 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 134.
615 Ibid.
616 J.-J. Becker, février 2000.
617 M. H., avril 1999.
618 R. Debré, L’Honneur de vivre, op. cit., p. 219.
619 La Législation antisémite n’est rappelée ici que dans ses très grandes lignes, voir R. Poznanski, Être juif en France pendant la Seconde Guerre mondiale, op. cit., et M.-O. Baruch, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997.
620 Union générale des israélites de France. Cet organisme devait regrouper tous les juifs de France qui étaient normalement dans l’obligation de s’y affilier. Il suscite de fortes protestations de la part des juifs. Son existence et ses dirigeants ont fait l’objet d’une historiographie polémique. Pour une mise au point, voir M. Laffitte, Un engrenage fatal. L’UGIF, 1941-1944, Paris, L. Lévi, 2003.
621 Voir M.-O. Baruch, Servir l’État français, op. cit.
622 Les décrets d’application concernant chaque profession paraissent au fur et à mesure de l’été et l’automne 1941.
623 AIU, CC-4, rapport du 30 juillet 1941 « Les Juifs à Paris sous l’occupation allemande. »
624 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 136.
625 Ibid.
626 C. L., février 2000.
627 Bib. Méjanes, fonds J. Isaac, non classé. Cette lettre est rédigée après le refus d’une entrevue demandée par J. Isaac à Pétain ; elle précède de quelques jours la publication du statut au Journal officiel.
628 Bib. Méjanes, fonds J. Isaac, ibid.
629 CDJC, fonds J. Kaplan, lettre du 31 juillet 1941 à X. Vallat.
630 C. L, février 2000.
631 R. Debré, L’honneur de vivre, op. cit., p. 221.
632 J.-J. Becker, février 2000.
633 R. Debré, L’honneur de vivre, op. cit., p. 220-221.
634 L. J., avril 2001.
635 R. W., 6 avril 2001.
636 Y. B., avril 1999.
637 J. Kaplan, « La justice d’Abraham et le statut des juifs » in, Les temps d’épreuves, op. cit., p. 84.
638 Ibid.
639 Y. B., avril 1999.
640 N. F., 9 février 2001.
641 Ibid.
642 C. L, février 2000.
643 CDJC, fonds J. Kaplan, lettre du 31 juillet 1941 à X. Vallat.
644 L. J., 6 avril 2001.
645 Ibid.
646 J.-J. Becker, février 2000.
647 R. W., 6 avril 2001.
648 R. Poznanski, Être juif pendant la Seconde Guerre mondiale, op. cit., p. 145.
649 J.-J. Becker, février 2000.
650 J. Lazarus, 9 février 2001.
651 H. Berr, Journal (1942-1944), Paris, Taillandier, 2008.
652 Cité in M. Marrus et R. Paxton, Vichy et les juifs, op. cit., p. 620. En outre, l’article 3 permet aux juifs de conserver des emplois subalternes dans la fonction publique s’ils sont anciens combattants, décorés de la Légion d’honneur, pupilles de la nation ou encore ascendants, veuves ou orphelins de militaires morts pour la France.
653 Ibid.
654 R. Debré, L’Honneur de vivre, op. cit., p. 220.
655 J. Lazarus, 5 février 2001.
656 Bib. Méjanes, fonds A. Lunel. J. Isaac, Survol en guise d’introduction, op. cit.
657 N. F., 9 février 2001.
658 Ibid.
659 J.-J. Becker, février 2000.
660 CDJC, CC XXXVIII, 117.
661 R. Debré, L’Honneur de vivre, op. cit., p. 233.
662 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 141.
663 R. W., 7 avril 2001.
664 Ibid.
665 Libéré ensuite grâce à Xavier Vallat, compagnon des Croix de feu.
666 R. W., 6 avril 2001.
667 Y. B., avril 1999.
668 CDJC, CC XXXVIII, 117.
669 N. F., 9 février 2001.
670 R. W., 7 avril 2001. Maurice W. avait la Médaille militaire et croix de guerre.
671 Cependant, d’après le témoignage d’Henri Becker, aucun membre de la famille n’a jamais mis l’étoile. Annie Kriegel signale l’avoir portée dans son livre, Ce que j’ai cru comprendre, op. cit., et Jean-Jacques Becker se souvient aussi l’avoir portée quelquefois à l’école. Les Becker franchissent la ligne de démarcation fin juillet 1942, ils n’ont donc subi l’étoile que fort peu de temps ; on peut supposer qu’Henri, alors interne, ne l’a jamais vue sur les membres de sa famille.
672 J.-J. Becker, février 2000.
673 Ibid.
674 Ibid.
675 BMD, archives Y. Netter, Dos Net, Boîte 2, « Demande de changement de la carte d’internée politique en internée résistante », datée d’octobre 1958 et de 1962. Attestation de P. Fribourg pour le réseau France d’abord.
676 J.-J. Becker, février 2000. Voir aussi le récit d’A. Kriegel, Ce que j’ai cru comprendre, op. cit.
677 R. W., 7 juin 2001.
678 J. Biélinky, Journal, 1940-1942. Un journaliste juif à Paris sous l’Occupation, Paris, Cerf, 1992., p. 226.
679 Des manifestations de sympathie sont signalées dans les rapports de police après la rafle du Vel’ d’Hiv’.
680 Y. B., avril 1999.
681 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 139.
682 Ibid.
683 C. L., février 2000.
684 J. Lazarus, 5 février 2001.
685 J. Lazarus, 9 février 2001.
686 Y. B., avril 1999.
687 J.-J. Becker, février 2000.
688 Y. B., avril 1999.
689 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 138.
690 Idem, p. 150.
691 Le nom de « Sixième » fait allusion à la sixième section, service d’action sociale, de la quatrième direction « Jeunesse » de l’UGIF.
692 OSE, œuvre de Secours à l’Enfance, est une organisation juive, ouverte en 1933 en France pour accueillir les enfants juifs réfugiés d’Allemagne. Voir J. Hazan, Les orphelins de la Shoah, Paris, Les Belles Lettres, 2000, p. 21-61
693 Robert Gamzon, totem Castor, est le fondateur des EIF.
694 L. J., 6 juillet 2001.
695 Voir sur cet été, in R. Poznanski, Être juif en France, op. cit., p. 401-427 et M. Moch et A. Michel, L’étoile et la francisque, op. cit., p. 138-157.
696 CDJC, archives J. Kaplan, carton guerre, « relation de l’entretien du 17 août avec le cardinal Gerlier. »
697 Le premier convoi de déportés part de Drancy en mars 1942.
698 Lettre de protestation du Consistoire, cité par M. Moch et A. Michel, L’étoile et la francisque, op. cit., p. 152.
699 Voir R. Poznanski, Propagande et persécutions. La Résistance et le problème juif, Paris, Fayard, 2008.
700 Dans la nuit du 20 au 21 octobre, des policiers ont pénétré dans la synagogue de Lyon et y ont arrêté une cinquantaine de juifs étrangers qui s’y étaient réfugiés. Ils sont relâchés quelques jours plus tard.
701 J. Kaplan, « Abraham et ses descendants dans l’épreuve », lecture sabbatique de Leh-Leto, 23 octobre 1942, synagogue de Lyon, Les temps d’épreuve, op. cit., p. 118.
702 P. Laborie, L’opinion française sous Vichy, op. cit., p. 280.
703 C. L., février 2000.
704 R. W, 6 avril 2001.
705 R. W, 6 avril 2001.
706 Ibid.
707 Ibid.
708 R. W, 7 avril 2001.
709 R. W, 6 avril 2001.
710 R. W, 7 avril 2001.
711 Ibid.
712 R. W., 6 avril 2001.
713 Ibid.
714 C. L., février 2000.
715 Ibid. Le même boulanger leur garde une malle et des titres au porteur.
716 Équivalent du premier ministre dans la principauté de Monaco.
717 G. Jessula, avril 1999.
718 Y. B., avril 1999.
719 M. H, avril 1999.
720 N. F, février 2001.
721 Ibid.
722 Ibid.
723 Ibid.
724 J.-J. Becker, février 2000.
725 J.-J. Becker, ibid.
726 Ibid.
727 CDJC, archives J. Kaplan, boîte guerre, « Compte rendu de la séance du grand rabbinat du 10 janvier 1944 à Lyon ».
728 CDJC, archives J. Kaplan, ibid.
729 CDJC, archives J. Kaplan, ibid.
730 J. Kaplan raconte cette aventure assez extraordinaire dans Justice pour la foi juive, op. cit., p. 107-123. Il réussit en quelques heures à prendre de l’ascendant sur ces trois hommes relativement ignorants et à les convaincre de le relâcher. Il pense aussi que la perspective de la Libération a sûrement poussé ces miliciens à moins de sévérité. Sachant qu’eux-mêmes risquaient un procès, ils ont peut-être voulu que quelqu’un puisse témoigner en leur faveur.
731 L’université de Strasbourg s’est repliée à Clermont-Ferrand avec une partie de sa bibliothèque.
732 Bib. Méjanes, fonds J. Isaac, Expériences de ma vie : Expériences IV, 1943. Les heures noires. Manuscrit.
733 R. Boudeville dirige l’antenne de l’agence Havas à Vichy. Il appartient au réseau du Super NAP, destiné à noyauter les administrations centrales. Jean-Claude Isaac, le cadet, sert d’agent de liaison.
734 Bib. Méjanes, J. Isaac, Survol en guise d’introduction, op. cit.
735 Bib. Méjanes, J. Isaac, ibid.
736 Son frère Léo est arrêté avec sa femme et leurs deux enfants lors d’un déplacement entre Revel et Toulouse. Léo et son fils sont déportés à Bergen-Belsen alors que sa femme Antoinette et sa fille sont envoyées à Auschwitz. Antoinette Netter meurt à Auschwitz en mars 1944. Léo et ses deux enfants survivent.
737 Voir notamment, M. Bensoussan, « France 1940-1945 : des Juifs en résistance », Le Monde juif, Revue d’histoire de la Shoah, septembre-décembre 1994, no 152, p. 7 ; M-L. Cohen et J.-L. Dufour, dir., Les Juifs dans la Résistance, Paris, Tirésias, 2001, avec le témoignage de J. Lazarus, « La spécificité de la résistance juive », p. 59-66.
738 P. Cabanel propose un parallèle avec les protestants dans la Résistance. « Beaucoup de protestants ont été résistants, qui ne le doivent pas à leur foi, mais à la culture profondément républicaine que leur appartenance religieuse leur a donnée. » Les Protestants et la République, Bruxelles, 2000, Complexe, p. 87.
739 Sur les relations entre résistance et juifs, voir R. Poznanski, Propagande et persécution, op. cit.
740 On peut rappeler que l’organisation de la « Sixième » consacrée au sauvetage n’eut pas, à la Libération, la qualification d’organisme de résistance. L’OJC est la seule organisation juive à être reconnue officiellement, c’est-à-dire habilitée à présenter des dossiers d’homologation des résistants. La reconnaissance des actions se fait alors automatiquement sous son label.
741 M. Bensoussan, « France 1940-1945 : des Juifs en résistance », art. cité, p. 9.
742 L. J., 6 avril 2001.
743 Ibid.
744 Ibid.
745 J. Lazarus, 9 février 2001.
746 Il s’agit d’Ernest Lambert, membre de l’AJ, fusillé en 1943 comme otage à Portes-lès-Valence.
747 Voir J. Lazarus, L. Lazare, J. Mattéoli, Organisation juive de combat : Résistance/sauvetage. France 1940-1945, Paris, Autrement, 2008.
748 Nom hautement symbolique : Joseph Trumpeldor, ex-officier de l’armée tsariste, puis pionnier en Palestine est l’un des chefs de la première légion juive créée pendant la guerre de 1914-1918, mort en 1920 en défendant une colonie juive en Galilée.
749 J. Lazarus, 9 février 2001.
750 Ibid.
751 J. Lazarus, « Sous le drapeau bleu-blanc », Les juifs dans la résistance et la Libération, textes réunis par le RHICOJ, Paris, éd. du Scribe, 1985, p. 132.
752 L. J., 6 avril 2001.
753 Ibid.
754 A. Kriegel, Ce que j’ai cru comprendre, op. cit., p. 210-223.
755 Idem, p. 195.
756 Idem, p. 194.
757 A. Kriegel, ibid., p. 194.
758 J.-J. Becker, février 2000.
759 Ibid.
760 Mouvements Unis de la Résistance résultant de la fusion des trois mouvements Combat, Libération et Franc-Tireur, en janvier 1943.
761 C. L., février 2000.
762 H. Becker, 6 avril 2001.
763 Sur les activités de sauvetage de R. Debré, voir L’Honneur de vivre, op. cit., p. 229-231.
764 Idem, p. 229.
765 Sur ses activités dans le Comité médical de la Résistance, idem, p. 238 et sq.
766 CDJC, CCXXXVIII 117.
767 R. Debré, L’Honneur de vivre, op. cit., p. 249.
768 H. Becker, 6 avril 2001.
769 R. Aron, Spectateur engagé, op. cit., p. 105.
770 AN, fonds R. Cassin, 382 AP 27. Journal de guerre, février 1941.
771 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit., p. 187.
772 R. Aron, Spectateur engagé, op. cit., p. 105.
773 G. de Rothschild, Contre bonne fortune, op. cit. p. 184.
774 R. Aron, Le spectateur engagé, op. cit., p. 106.
775 AN, fonds R. Cassin, 382 AP 27, Journal, janvier 1943.
776 AN, fonds R. Cassin, idem, février 1941.
777 Cette note est citée par R. Cassin plusieurs fois dans ses archives, mais nous n’en avons pas retrouvé le contenu précis, ni le destinataire. Voir M. Agi, René Cassin, Paris, Desclée de Brouwer, 1990, p. 150-153.
778 Le 14 mars 1943, le commandant en chef français civil et militaire en Algérie signe deux ordonnances. La première proclame la nullité de toute action discriminatoire envers les juifs et la seconde abolit à nouveau le décret Crémieux. Les juifs d’Algérie seraient donc soumis aux lois indigènes, c’est-à-dire aux lois rabbiniques. Une année s’écoule entre le débarquement anglo-américain et le rétablissement total du décret Crémieux, le 21 octobre 1943.
779 AN, fonds R. Cassin, 382 AP 81. Communication radiodiffusée de R. Cassin, le 12 avril 1940.
780 AN, fonds R. Cassin, ibid.
781 R. Cassin est issu par sa mère d’une ancienne famille bayonnaise, alliée à un Alsacien, et par son père à une famille provençale.
782 AN, fonds R. Cassin, 382 AP 81.
783 AN, fonds R. Cassin, 382 AP 27, septembre 1940.
784 Depuis la création du Comité National en septembre 1941, R. Cassin est commissaire national à la Justice et à l’Instruction Publique.
785 Sur l’AIU pendant la guerre et le rôle de R. Cassin, voir A. Chouraqui, L’Alliance israélite universelle et la renaissance juive contemporaine, Paris, PUF, 1965, p. 283-295 et Archives juives, no 34/1, 1er semestre 2001.
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