Les monnayages des cités : conclusion
p. 347-349
Texte intégral
1L’étude du monnayage des cités ne se prêtait évidemment pas, comme celle des monnayages de Carthage et des rois berbères, à un découpage chronologique. Nous avons dû substituer à ce dernier une division géographique qui, si elle avait l’inconvénient d’un plus grand morcellement, faisait davantage ressortir la grande diversité de ces cités, et, par là-même, leur intérêt pour une étude régionale de l’Afrique du Nord.
2On remarquera de prime abord l’apparition tardive des émissions poliades. Les deux premières cités à battre monnaie après Carthage en Afrique sont Utique (?) et Iol. Elles le font dans le contexte de la deuxième guerre punique ou après cette dernière, concrétisant, dans le cas d’Utique, la fin de la suprématie sans partage de Carthage au Maghreb oriental, et dans le cas de Iol les avancées dans le Maghreb central de l’économie monétaire à la faveur du conflit. Ces deux foyers monétaires, importants régionalement, représentent pourtant peu de chose à l’échelle de l’Afrique du Nord. Le véritable mouvement de monétarisation qui suit, entre 200 et 30 av. J.-C., sera dû, dans le centre du Maghreb, aux rois numides héritiers de Massinissa, et plus tard, à l’ouest, aux souverains maurétaniens, avec le concours des cités. À l’est, la République romaine, héritière de Carthage, ne se soucie guère de répandre son monnayage dans la province ou d’encourager les frappes des cités locales.
3C’est donc dans la seconde moitié du ier siècle av. J.-C. que l’on verra éclore la grande époque des monnayages poliades. Cette éclosion est très différenciée, et le Maghreb oriental de plus vieille tradition urbaine, présente une bien plus grande variété iconographique que l’ouest de la région, plus tard venu à l’économie monétaire. L’ensemble de ces émissions poliades du Maghreb a l’avantage de nous présenter un tableau assez clair des diversités régionales à la fin de la République et au début de l’Empire. À l’est, on retrouve la confluence des apports d’Alexandrie, de Cyrène puis de Rome, qui viennent se greffer sur les traditions puniques locales. Suivant la proximité ou l’éloignement des centres d’hellénisation et de romanisation, suivant la force de la tradition punique, on voit alors se différencier les monnayages de Tripolitaine, qui restent fortement marqués par la tradition sémitique, ceux de Byzacène, déjà davantage romanisés, et ceux de Zeugitane, souvent simple adaptation des émissions de Rome. En Numidie, on trouve peu de monnayages poliades. La région était moins urbanisée et déjà largement monétarisée par les ateliers de Massinissa et de ses successeurs jusqu’à Juba Ier. Dans la grande Maurétanie de Juba II, les monnayages royaux assurent l’essentiel du renouveau de la masse monétaire en conjuguant la tradition avec l’exemple de l’Espagne romanisée. Les monnayages poliades y sont peu importants en Maurétanie orientale, où l’atelier de Caesarea frappe essentiellement la monnaie royale, plus affirmés en Maurétanie occidentale où des cités comme Tingi, Lixus et šmš assurent, avec des frappes émises sur le modèle gaditain, le fonctionnement des échanges locaux.
4L’apport des cités à la masse monétaire en circulation entre 30 av. J.-C. et les années 30 ap. J.-C. est donc très inégal suivant les régions. Essentiel dans l’Afrique proconsulaire et la Maurétanie occidentale, il l’est moins dans la zone intermédiaire largement alimentée par les monarchies dont les capitales furent Cirta puis Caesarea.
5Compte tenu de leur importance dans certains secteurs géographiques, quelle fut la raison de la disparition des monnayages poliades ? Ils avaient peut-être déjà disparu sous Juba II et Ptolémée en Maurétanie. Pourquoi ne reprirent-ils pas après la fin de la monarchie pour suppléer à l’extinction des monnayages royaux ? Pourquoi, à l’autre extrémité du Maghreb, où leur importance est évidente, cessent-ils sous le règne de Tibère ?
6On peut exclure l’idée qu’ils étaient devenus inutiles. Il suffit de voir le nombre d’imitations d’as claudiens que l’on retrouve en Gaule ou en Espagne pour comprendre que l’atelier de Rome était incapable de pourvoir aux besoins de l’Occident. Ces imitations sont abondantes au Maroc, où elles parvenaient par l’Espagne, plus rares dans le Maghreb oriental où l’archéologie semble montrer une véritable pénurie de numéraire nouveau à l’époque de Claude et Néron.
7Les monnayages poliades cessèrent donc pour d’autres motifs, et on pense quelquefois à une décision impériale y mettant fin pour des raisons politiques, par peur de leur voir jouer un rôle subversif d’opposition à la domination romaine. Mais un tel édit aurait laissé des traces, et il faut plutôt penser à un mouvement naturel de romanisation qui tendit d’abord à concentrer progressivement la frappe dans les cités les plus romanisées, municipes et colonies, comme cela se voit en Zeugitane. Puis il y eut une romanisation de plus en plus accentuée des motifs iconographiques, qui tendaient à calquer ceux de Rome, et enfin l’effacement devant le numéraire de l’Urbs, même si ce dernier était encore insuffisant.
8Pourquoi cette disparition fit-elle si peu de bruit ? Pourquoi n’en avons-nous aucune trace épigraphique ou littéraire ? Tout simplement parce qu’elle n’était qu’un moment d’un processus d’identification des cités africaines à Rome. Après la modification des institutions poliades et la romanisation des divinités locales, la disparition du monnayage devait paraître fort peu de chose. La romanisation n’était pas imposée, mais voulue, et supposait l’adhésion des Africains, du moins de ceux qui vivaient dans le système de la cité. Dans ces conditions, il n’y avait probablement aucun scandale pour eux, mais sans doute au contraire une fierté, à utiliser désormais la même monnaie que les citoyens qui vivaient à Rome. La disparition de la monnaie locale au profit de celle de Rome n’avait aucune raison de faire davantage de remous que l’abandon des formes traditionnelles des cultes africains au profit de formes romanisées. On préférait sans doute se contenter de l’abondante masse monétaire en circulation, même usée, en misant sur la croissance future de l’atelier de Rome, plutôt que de maintenir des frappes locales sous-évaluées, et qui ne pouvaient rivaliser avec la maîtrise des graveurs et des ouvriers monétaires de Rome que l’on ne faisait plus que copier. La sous-évaluation de la monnaie locale en réduisait la fonction économique, l’abandon des thèmes iconographiques locaux en limitait la fonction politique à une manifestation d’adhésion à l’ordre romain. Pourquoi, dès lors continuer les frappes ? Ce mouvement d’abandon ne pouvait être que du goût des autorités provinciales romaines.
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