Chapitre 5. Les premières émissions maurétaniennes : Bocchus Ier (118 ?-80 ? av. J.-C.) Sosus (80 ?-49 ? av. J.-C.) Bocchus II ? (49 ? - 33 ? av. J.-C.)
p. 193-203
Texte intégral
1Dans ce chapitre, nous traiterons des premières émissions du royaume de Maurétanie. Contrairement à la plupart des catalogues, nous intégrerons dans l’étude de ces émissions royales toutes celles qui présentent l’effigie du souverain, même si elles font aussi mention de la cité émettrice. La double référence qui apparaît ainsi sur de telles monnaies invite en effet à les envisager aussi bien dans le cadre de la politique royale générale que dans celle, plus réduite, des cités elles-mêmes.
2Beaucoup de ces émissions sont particulièrement difficiles à rapporter à un souverain précis dans la mesure où nous connaissons mal cette dynastie maurétanienne. Sans revenir sur le détail de la succession des rois, reprenons les données proposées par G. Camps1 :
bocchus i | ||
Maurétanie occidentale | Maurétanie orientale |
3Rappelons ensuite que le roi maure, Bocchus Ier, annexe en 105 av. J.-C. la partie occidentale de la Numidie qui devient de ce fait partie intégrante de la nouvelle Maurétanie2. L’atelier de Siga, jusque là considéré comme « numide », sera donc dorénavant « maurétanien ». La numismatique reflète ici les fluctuations historiques.
4Notons enfin que si la frappe monétaire ne correspond, pour la partie annexée sur la Numidie, qu’à une reprise, après un arrêt de durée indéterminée, des émissions de l’atelier de Siga, c’est au contraire une nouveauté pour la partie la plus ancienne du royaume, à l’ouest de la Moulouya. Jusque là, en effet, la Maurétanie occidentale ne possédait pas ses propres frappes, ce qui n’exclut naturellement pas, d’une part la circulation des monnaies numides de l’atelier de Siga émises sous Syphax et Massinissa/Micipsa, même si cet atelier frappa en quantités relativement modestes, d’autre part et surtout, la circulation des innombrables monnaies de Massylie à l’effigie de « Massinissa et de ses successeurs » dont nous avons déjà parlé3. La circulation de ces bronzes est en effet attestée jusqu’à l’Atlantique, sans que nous sachions plus précisément depuis quand et avec quelle ampleur4.
5Lequel des souverains maurétanien est à l’origine des premières émissions du royaume ? Le premier d’entre eux qui nous soit vraiment connu par les sources littéraires est Bocchus Ier, mais après les attributions erronées de L. Müller qui lui donnait les frappes de Verminad, et celles de L. Charrier qui faisait de même avec des frappes barcides, J. Mazard convenait prudemment, qu’aucune classification raisonnée n’aboutissait à gratifier ce prince de frappes monétaires, « ce qui ne veut point dire que Bocchus (Ier) n’ait pas émis de monnaies » puisque l’usage en était ailleurs établi en Afrique du Nord. Cette position semble acceptée par G.K. Jenkins qui n’attribue de monnayages qu’à Bocchus II5.
6De fait aucun argument péremptoire ne permet d’attribuer à l’un plutôt qu’à l’autre des Bocchus les monnaies qui portent ce nom et chacune des deux hypothèses comporte ses difficultés. Les attribuer à Bocchus Ier suppose ensuite un hiatus gênant, dans la mesure ou nous avons aussi des monnaies de Bocchus II sans en avoir d’explicites au nom du roi intermédiaire, Sosus6. Assigner au seul Bocchus II toutes les monnaies au nom de ce roi n’est pas plus facile. Il faudrait alors rendre compte de la très grande hétérogénéité des frappes attribuées à ce souverain : émissions très rudimentaires à Siga et šmš, frappes très soignées, bilingues, à titulature complète à Iol (?). Expliquer cela par une plus grande ouverture d’Iol aux influences gréco-romaines serait difficile, dans la mesure où les émissions de Bogud, contemporain de Bocchus II, issues de l’extrême Occident sont de qualité parfaite7. D’autre part, comme le remarquait J. Mazard, il est difficile de penser que la Maurétanie, si loin fût-elle de l’emprise romaine, soit restée jusqu’en 49 avant J.-C. sans émission monétaire8. J.P. Morel remarque qu’à partir de la fin du iie siècle et surtout de la première moitié du ier siècle av. J.-C. on note une insertion totale de la Maurétanie dans les courants d’échanges transméditerranéens9. Cela suppose la circulation de deniers romains sur place et, par voie de conséquence, l’existence de monnaies de bronze divisionnaires. D’autre part, le nombre important, tant des monnaies de šmš au nom de Bocchus que des monnaies d’ateliers divers portant une effigie semblable sans titulature royale, est suffisant pour faire penser à un phénomène de frappes sur la longue durée avec négligence progressive, un peu comparable à ce que nous pouvons imaginer pour Massinissa et ses successeurs. Ce type de monétarisation de la région s’appliquerait mieux à l’époque de Bocchus Ier et Sosus qu’aux seules années 49 av. J.-C. et suivantes, durant le règne de Bocchus II.
7C’est donc Bocchus Ier qu’il faudrait créditer de l’introduction de frappes monétaires en Maurétanie. Les monnaies les plus significatives à cet égard seraient bien évidemment celles de Siga et de šmš qui portent le nom du roi en toutes lettres. Les émissions des autres ateliers joueraient un rôle politique secondaire, mais au moins équivalent en tant qu’instruments d’échange. Les similitudes iconographiques et stylistiques entre tous ces ateliers sont frappantes, qu’il s’agisse de l’effigie du roi stylisée et plus rudimentaire qu’en Numidie, ou des allusions au blé et à la vigne que l’on retrouve sur toutes ces monnaies. On remarquera dans cette première génération de monnayages maurétaniens l’absence de monnaies de métal précieux. Seules existent des monnaies de bronze. À notre connaissance, on ne trouve pas de monnaies de plomb, comme en Numidie.
Les Ateliers : SYG<N (Siga), RŠ>DR (Rusadir), TMD<T (Tamuda ), TNG> (Tingi), S<LT (Sala), ŠMŠ, KM> (Camarata) et TMKY (Timici)
8On peut reconnaître, dans le royaume de Bocchus Ier, huit ateliers attestés par les légendes monétaires. Ces dernières permettent, hormis deux cas, des identifications sûres, non sans soulever quelques questions d’ordre paléographique. Les monnaies de syg<n nous fournissent sous cette forme, la première attestation en écriture néo-punique du nom de Siga. Le toponyme est ici tout à fait reconnaissable et identifiable10. La seule hésitation possible est d’ordre paléographique : la première lettre du nom est lue différemment selon les numismates. Comme dans le nom de s<lt ou celui du souverain, bqš, on retrouve une sifflante dont il n’est pas toujours aisé de discerner précisément les détails d’une graphie que le néo-punique, écriture cursive au départ, ne différencie pas toujours selon des critères parfaitement et universellement établis. Il est donc parfois difficile, comme ici, de différencier les lettres s, š, et ṣ. Nous reprenons, pour notre part, les lectures bqš de L. Müller, syg<n et s>lt de G.K. Jenkins11.
9L’identification de la légende rš>dr, toponyme punique signifiant « le cap du (seigneur) puissant » avec une cité établie à l’emplacement de l’actuelle Melilla est sûre12. Il en va de même pour tmd<t, identifiée avec la cité de Tamuda dont la localisation ne fait guère de doute13. Les monnaies de Tamuda sont relativement abondantes14, ce qui explique l’existence de plusieurs variantes épigraphiques du nom de la cité dont nous retenons ici la plus complète.
10L’atelier de Tingi, l’actuelle Tanger, se retrouve derrière la légende tng>. C’est cette version que nous retenons dans notre description, en attendant qu’un corpus spécifique en indique les variantes, comme ttg>, ou tyng> dans laquelle l’utilisation du Y pour marquer une voyelle est peut-être le signe d’un état plus avancé de la notation du punique. Si l’homophonie ne suffisait pas, l’abondance des monnaies marquées de la légende s<lt sur le site de l’ancienne Sala fouillée par J. Boube établirait l’attribution de ces monnaies à cette ville15.
11Venons-en à l’atelier de šmš. Nous établissons une distinction entre ce dernier et celui de Lixus. L’argument principal et traditionnel pour penser qu’il peut s’agir d’un seul et même atelier est que le toponyme actuel de Lixus, Tchemmich, signifiant peut-être « l’ensoleillée », rappelle la légende néo-punique mqm šmš, « lieu (sacré ?) du soleil16 ». On a voulu y joindre un indice tiré de la numismatique, mais à la vérité très peu probant17. Ces deux arguments pèsent peu, en tout cas, en regard des indications de trouvailles monétaires. En l’état actuel des données, le nombre le plus important de monnaies de šmš trouvé en fouilles se situe dans la région de Volubilis et ce nombre décroît au fur et à mesure que l’on monte vers le nord au point qu’on n’en trouve qu’une à signaler dans les fouilles de Lixus18. Ces données, même provisoires nous inclinent à considérer Lixus et šmš comme deux ateliers distincts. Si la localisation de Lixus est assurée, on ne sait où situer šmš. L’hypothèse de Volubilis est extrêmement tentante.
12Il reste à examiner le cas de km> et tmky. Nous admettrons avec L. Müller que les trois lettres qui composent la légende indiquant le nom de la première cité doivent se lire km> sans aucun doute19. En revanche l’identification de cet atelier avec une cité connue reste plus délicate. Un certain nombre de ces monnaies, comme le souligne J. Mazard, a été retrouvé près d’Oran20. Faut-il pour autant accepter l’identification km>-Camarata proposée, faute de mieux, par L. Müller ? S. Gsell en doutait fortement21 et l’on est tenté ici de suivre sa prudence, même si l’identification des lettres km> avec le nom de la cité de Camarata reste plausible par défaut. Stylistiquement très proches des précédentes sont les monnaies qui portent une légende néo-punique très distincte : tmky. La prudence de S. Gsell qui considère comme douteuse l’identification de tmky avec la cité de Timici bien attestée par Pline et par l’épigraphie peut cette fois paraître excessive et il nous semble que l’on peut raisonnablement suivre L. Müller dans l’identification tmky-Timici22.
Iconographie
13À l’avers de toutes ces monnaies, on retrouve une tête nue et barbue. Dans certains cas (Siga et šm šmš) elle est accompagnée du nom royal, bqš, qui permet d’y voir sans doute possible une effigie du souverain. On en a douté pour les monnaies où l’effigie n’est pas accompagnée d’une légende. Pour les monnaies de Tingi, L. Müller l’appelait en effet « effigie du peuple personnifié23 » et G.K. Jenkins, reprenant l’appellation utilisée par J. Mazard pour des monnaies plus tardives de la même ville, la considérait comme celle de « Baal-Melqart ». On ne sait si par cette expression il faut entendre une divinité résultant de la fusion de deux autres, soit Melqart et un Baal non identifié, où s’il s’agit d’une épiclèse de Melqart24. De toutes façons, cette appellation n’est guère attestée par les sources épigraphiques puniques de la Maurétanie. Le plus simple nous paraît de considérer ce portrait, très stylisé, comme celui du souverain25. Outre Tingi, on retrouve cette figuration anépigraphe du souverain à rš>dr, Tamuda, Sala, km> et Timici26.
14L’iconographie des revers est assez répétitive. On y trouve l’épi de blé ou d’orge, commun d’un bout à l’autre de l’Afrique du Nord, et dont la valeur est évidemment très générale, liée à la fécondité. Très répandu aussi est le thème de la vigne27. S’il est en général simplement représenté par une grappe de raisin, c’est Bacchus lui-même qui est figuré sur des revers de Siga. On sait que les vignes maurétaniennes auront une réputation solidement établie. Faut-il interpréter dès lors la présence du dieu sur ces revers comme le signe d’un culte maurétanien en l’honneur de cette divinité, dont on sait qu’elle sera adorée ailleurs dans le monde punique, à Lepcis par exemple, sous l’appellation sémitique de Shadrapha28 ? S. Gsell suggérait qu’il fallait surtout voir ici l’un de ces jeux de mots très prisés des monnayeurs, en l’occurrence Bacchus/Bocchus29. Il y a en fait vraisemblablement rencontre de cette quasi homonymie fortuite avec un culte lié à une production essentielle de la région.
15D’autres thèmes sont au contraire très spécifiques et très limités, comme l’abeille des monnaies de rš>dr qui constitue une allusion au miel, l’une des principales productions de la région30. Un curieux motif fait son apparition sur les monnaies de Tamuda et de šmš. Il enferme quelquefois un globule et la perplexité des numismates le fait dénommer « zig-zag ». L’interprétation en est très problématique. Le prolongement de ce « zig-zag », qui se trouve ainsi redoublé, sur un exemplaire d’une monnaie de šmš pourrait faire penser à un éclair stylisé si la représentation habituelle de la foudre en numismatique n’était pas tout autre.
Métrologie et circulation monétaire
16Il est prématuré de chercher à établir nettement la métrologie de ces monnaies de bronze. On remarquera simplement à Siga, où les frappes sont les plus soignées, donc les plus significatives, l’existence d’une monnaie de 22-25 mm pour un poids de 10 g (no 42) qui nous rappelle très précisément les frappes barcides espagnoles de la dernière génération ou encore les monnaies de Syphax puis Massinissa et sans doute Micipsa de ce même atelier de Siga31. On retrouverait cette unité métrologique à rš>dr (no 46), un peu allégée à km> (no 53), et à tmky (no 55). Une certaine complémentarité des frappes se serait établie entre les ateliers puisque tng>, s<lt, et šmš ne semblent frapper que des sous-multiples. Les mieux différenciés de ces derniers se retrouvent à tng> avec un demi (?) de 16-20 mm pour 3,5 g (no 48-49) et un quart de 13 mm pour environ 2 g (no 50). Les « demis » se retrouvent à s<lt (no 51) et šmš (no 52). La Maurétanie aurait vu alors coexister au cours du ier siècle av. J.-C. ses propres monnaies relevant de cette métrologie d’origine hispanique et des frappes numides de Cirta à l’effigie de Massinissa dont la métrologie différente était issue de la Carthage punique. Il reviendra à Juba II, après les tentatives de Bocchus II et Bogud, d’organiser un monnayage de bronze réalisant une synthèse entre ces monnayages africains et celui de Rome.
17Toutes ces monnaies maurétaniennes n’ont pas été émises avec la même abondance et la même simplicité iconographique. Les émissions de Siga, relativement peu abondantes et jouant sur l’homophonie Bacchus/Bocchus ont certainement eu un rôle davantage politique que d’autres émissions poliades comme celles de Tamuda, Tingi, Sala ou šmš. Ces dernières, abondantes et se contentant d’une reprise stéréotypée et simpliste de thèmes royaux rudimentaires, avaient une fonction éminemment pratique. Il s’agit de petites divisions assurant les transactions usuelles au quotidien. On remarquera que la production d’aucun des ateliers que nous avons examinés dans ce chapitre ne peut avoir eu la prétention de jouer un rôle à l’échelle du royaume tout entier. La monétarisation semble avoir longtemps d’abord consisté dans une juxtaposition de petites circulations à l’échelle de chacune des cités. Et cela même si la présence de la titulature royale ou de revers plus fouillés sur les monnaies des ateliers de Siga et šmš laisse penser que le poids politique du roi pesait plus lourd sur les émissions de ces deux cités qui constituaient peut-être des « capitales », des regia, selon l’hypothèse d’A. Jodin pour Volubilis32.
Conclusion
18Nous en avons terminé avec les premières monnaies maurétaniennes dont nous faisons remonter l’apparition au règne de Bocchus Ier. On remarquera qu’en proposant ce classement, nous ne faisons que préciser ce que d’autres numismates, et en particulier G.K. Jenkins, avançaient en assignant nombre d’entre elles qui sont anépigraphes aux iie-ier siècles avant J.-C.33. Là où nous nous éloignons d’eux, c’est en proposant d’assigner éventuellement à Bocchus Ier plutôt qu’à Bocchus II les monnaies au nom de BQŠ dans la mesure où il nous semble qu’elles ont pu jouer un rôle de « prototype » par rapport à ces monnaies anépigraphes.
19Si l’on nous suit, on envisagera de créditer ce souverain d’un rôle quelque peu parallèle à celui de Massinissa ou Micipsa dans la monétarisation de son royaume, mais différent dans ses modalités d’application. Quel a pu être plus précisément ce rôle ? Le souverain n’a-t-il fait que suivre une évolution inévitable des techniques de l’échange commercial au quotidien, évolution amorcée dans et par les cités punicisées de son royaume ou a-t-il accentué cette évolution par volonté politique ? Selon G. Camps, qui pense surtout à la Numidie, la monétarisation est initiée par les rois. Puis, ce monnayage devenant insuffisant, les villes qui, entretemps ont grandi en importance, prennent le relais avec des frappes à valeur surtout économique et fort peu politique étant donné la permanence du contrôle royal34. En tout état de cause, on notera la différence fondamentale qui sépare les premiers monnayages numides de ceux de Maurétanie. Massinissa frappait en son nom seul, sans référence aux cités, alors que les deux mentions, ou parfois même la seule mention de la cité, se font en Maurétanie, ce qui peut être le signe de liens différents entre rois et cités dans les deux monarchies. Le roi numide aurait sur ce point agi de façon plus autoritaire. Pour A. Jodin, le pouvoir, sous Juba II, tendra ensuite à confisquer le droit de frappe accordé antérieurement aux cités35. Doit-on souscrire à ce jugement ? Il faut au moins le nuancer car certaines villes frapperont sous ce règne en tant que cités romaines, et šmš continuera ses émissions avec la double référence, royale et poliade, de même que Caesarea. Au total, il semblerait que les cités du royaume de Maurétanie aient profité d’une liberté plus grande qu’en Numidie, et que la propagande royale de Bocchus Ier se soit surtout exprimée à travers les émissions de Siga et šmš, les autres cités se contentant de reproduire, sans titulature, l’effigie royale. Beaucoup de monnayages poliades comportant uniquement des petites divisions d’iconographie répétitive, ont eu surtout un rôle dans les petits échanges quotidiens. Il serait intéressant de pouvoir suivre, à l’aide des données archéologiques, la progression de cette monétarisation dans les cités puis son extension éventuelle dans les campagnes.
20Quelques autres éléments doivent être soulignés. D’abord, et pour autant que les données permettent de le proposer, la permanence locale d’une métrologie d’origine hispanique et plus précisément hispanopunique qui avait auparavant servi pour les frappes de Syphax, Massinissa et peut-être Micipsa à Siga. Il semble qu’il y ait là, pour l’Afrique, une originalité régionale maurétanienne et numide d’Occident, de l’Atlantique jusqu’à un point qui reste à préciser vers l’est, mais qui englobe naturellement Siga. Il serait important de pouvoir mieux définir les divers éléments de cette permanence et les raisons qui l’ont permise. La métrologie est sans doute ici l’un des nombreux faits de civilisation qui révèlent l’homogénéité culturelle d’une région à travers le temps.
21C’est donc avec Bocchus Ier qu’une vraie monnaie maurétanienne, modeste puisqu’elle ne repose que sur des monnaies de bronze de valeur libératoire limitée, se développe. Peu spectaculaire, certes, mais indice d’une entrée définitive dans l’économie monétaire. Ces monnaies ne seront naturellement pas démonétisées par la suite, mais constitueront un appoint important aux émissions ultérieures. On remarquera aussi une différence très nette de qualité d’exécution entre les premières monnaies royales de Numidie, qui atteignent tout de suite une très belle technique de gravure sur certaines émissions de prestige comprenant plusieurs espèces divisionnaires bien différenciées36, et le caractère tout à fait rudimentaire et métrologiquement réduit des premières émissions maurétaniennes. L’absence en Maurétanie d’un modèle proche et d’une importance exceptionnelle, comme l’était celui de Carthage pour la Numidie, explique facilement ces différences. Le dynamisme commercial, religieux et culturel de Gadès, pôle de la région, ne s’exprime guère dans le monnayage maurétanien de l’époque de Bocchus Ier.
Notes de bas de page
1 Voir chapitre précédent, p. 189.
2 S. Gsell, 1913, VII, p. 264-265 ; G. Camps, eb, B. 84, p. 1544 sqq.
3 Voir supra, même partie, chapitres 1 et 2.
4 J. Marion, 1967, p. 101. L’auteur, sur une recension d’environ 200 monnaies africaines antérieures à Juba II trouvées au Maroc, note 53 monnaies de Massinissa et de ses successseurs, dont 23 à Banasa, 2 à Thamusida et 16 de provenances diverses ou inconnues. Ces monnaies semblent, pour l’instant les plus anciennes monnaies arrivées en nombre significatif en Maurétanie. Le musée de Tétouan en contient 85 exemplaires : F. Mateu y Llopis, 1949, p. 33 sqq. Cela étant, compte tenu de la longue durée de circulation de ces bronzes on ne peut assurer que toutes ces monnaies arrivèrent avant les monnaies d’Espagne de frappe ultérieure (monnaies recensées pour Tanger par C. Alfaro Asins, 1997, p. 71). Quant aux monnaies d’argent, le trésor de Tanger est davantage lié aux opérations militaires de la deuxième guerre punique qu’à une circulation locale : L. Villaronga, 1989, p. 149-162. Il en va de même du trésor de Melilla : C. Alfaro Asins, 1993/2, p. 9-47.
5 L. Müller, 1860, p. 68 sqq. ; L. Charrier, 1912, p. 61 sqq. ; J. Mazard, 1955, p. 59 ; G.K. Jenkins, 1969, no 538-542.
6 Il est vrai que G. Camps donne à ce roi les monnaies no 39 et 41 : voir supra, p. 187, note 1. Nous ne souscrivons pas à cette identification.
7 Voir chapitre suivant, no 56-59.
8 J. Mazard, 1955, p. 59.
9 J.P. Morel, 1992, p. 232. Sur cette mutation, M. Coltelloni-Trannoy, 1997, p. 110.
10 Sur Siga, toponyme et géographie, J. Desanges, 1980, p. 151-153.
11 Pour Siga : L. Müller, 1860, III, p. 98 (Š) ; G.K. Jenkins, 1969, no 538 (S) ; pour S>LT : L. Müller, 1860, III, p. 163 (Š) ; G.K. Jenkins, 1969, no 715 (S) ; L.I. Manfredi, 1995, p. 91 et 188 (Š avec recensement des diverses opinions) ; pour le nom de Bocchus : L. Müller, 1860, III, p. 97 (Š) ; G.K. Jenkins, 1969, no 538 (S) ; et L.I. Manfredi, 1995, p. 316 (S). Nos lectures prennent pour référence la célèbre inscription bilingue du théâtre de Leptis Magna rédigée pour la partie punique en écriture néo-punique « normalisée » (M.G. Guzzo Amadasi-G. Levi Della Vida, 1987, no 24). On y constate que la distinction entre Š et S s’opère, entre autres, en fonction de trois critères immédiatement perceptibles : d’abord le Š reste une petite lettre par opposition avec la longue haste du S. D’autre part, la boucle du Š a tendance à retomber assez bas, presque au niveau du jambage gauche de la lettre. Enfin la boucle du S se recourbe nettement vers l’extérieur. Même si l’exiguïté du flan monétaire réduit la portée des deux premiers critères, le troisième, bien visible, notamment sur le no 111 de J. Mazard, 1955, semble justifier la lecture syg<n de G.K. Jenkins. Les mêmes critères autorisent sa lecture BQŠ. Pour le nom de Sala, J. Boube nous signale d’excellents exemplaires en cours de publication, trouvés dans ses fouilles de la ville, montrant que l’initiale du nom est incontestablement un S.
12 L. Müller, 1860, IV, p. 78-79 ; G.K. Jenkins, 1969, no 713. J. Desanges, 1980, p. 149-150 ; L.I. Manfredi, 1995, p. 84 et 182 avec bibliographie afférente.
13 Attribution à Thamusida par L. Müller, 1860, III, p. 162. Accord depuis J. Mazard, 1955, p ; 178 pour l’attribution à Tamuda essentiellement sur des critères de provenance. En dernier lieu, L.I. Manfredi 1995, p. 85 et 183. Sur le sens du mot Tamuda, J. Desanges, éd. Pline 1980, p. 149.
14 Voir par exemple F. Mateu y Llopis, 1949, p. 33. Les fouilles de Tamuda ont, selon les données de l’auteur, fourni un matériel numismatique qui met bien en évidence le rôle principal d’instrument d’échange joué par les petites divisions émises localement sans prétention iconographique : 29 monnaies de Tanger et 27 de Lixus pour 51 de Tamuda (en excluant du nombre de 161 donné par l’auteur entre autres 85 bronzes de Massinissa et de ses successeurs considérés par lui comme frappes de Tamuda). Ces proportions mettent bien en valeur, dans le cas d’une cité d’ampleur moyenne, la place tenue par le monnayage local.
15 Publication à paraître des monnaies de Sala par J. Boube qui a bien voulu nous communiquer sa riche documentation. Une première approche de ces données dans son article 1992, p. 255-265.
16 Rapprochement couramment effectué entre šmš et le toponyme arabe depuis L. Müller, 1860, III, p. 168, entre autres par S. Gsell, 1913, II, p. 174, J. Mazard, 1955, R. Rebuffat, 1976, p. 140 ; M. Ponsich, dcpp, s.v. Lixus. Sur mqm šmš compris comme « ville du Soleil », L. Müller et J. Mazard, loc. cit. ; compris comme « nécropole du Soleil » : C. Bonnet, 1989, p. 98 ; compris comme « temple du Soleil » : J. Marion, 1972, p. 73 ; compris comme lieu de marché : G. Garbini, 1992, p. 185-186. Derniers points de la question : L.I. Manfredi, 1993/3, p. 95-102, 1995, p ; 88 sqq. L’auteur y réaffirme son hypothèse considérant ces émissions comme produites par un temple. Il n’existe aucun document faisant explicitement état de monnayages de temple dans l’Occident punique.
17 J. Marion (1972, p. 72 ; cf. L.I. Manfredi, 1990/2, p. 9) signale deux monnaies qui constitueraient des hybrides associant un droit de Lixus et un revers de šmš. En réalité, il semble bien que l’un de ces hybrides soit, selon J. Marion lui-même, trop abîmé pour que l’on puisse en tirer parti. Quant à l’autre ce n’est pas vraiment un hybride mais une monnaie associant sur une même face la titulature de Bocchus particulière à šmš et la grappe qui serait un motif spécifique de Lixus. Dans ces conditions on peut difficilement parler d’hybride et on pourrait plutôt penser à une imitation indéterminée, à un nouveau type de šmš ou encore à une surfrappe.
18 Signalée récemment par J.B. Giard et F.Z. El Harrif, 1992 p. 268 fig. 7. Par ailleurs A. Jodin, 1987, p. 288, augmente la proportion des trouvailles de monnaies de šmš à Volubilis par rapport à celles de l’atelier de Lixus : 66 pour 10 actuellement contre 38 pour 8 en 1959.
19 L. Müller, 1860, III, p. 143. Lecture reprise en dernier lieu par L.I. Manfredi, 1995, p. 83 et 181.
20 J. Mazard, 1955 p. 173.
21 L. Müller, loc. cit. ; S. Gsell, 1913, II, p. 164 note 5 ; Sur un exemplaire retrouvé à Quiza, J. Mazard, 1957, p. 57. G. Camps, 1981, p. 306 suggère une seconde identification avec Calama. Cela ne semble pas correspondre avec les indices de trouvaille (Oranie) données par J. Mazard.
22 L. Müller, 1860 III, p. 143 ; S. Gsell, 1913 V, p. 279 ; J. Desanges, 1980, p. 181 pour l’identification du site dans la région de Taougrit. ; L.I. Manfredi, 1995, p. 84 et 181 accepte avec réserves l’identification.
23 L. Müller, 1860, III, p. 84 sqq, répartit en quatre groupes les « têtes du peuple personnifié » en fonction des « races différentes » qui se partageaient la contrée. Il distingue : « les Libyens blonds de la race primitive », les Massyliens à coiffure en tresses qui étaient issus d’un croisement de Perses, de Gétules et de Phéniciens, les « Massassyliens de la race libyenne, mêlés avec des immigrants asiatiques » et les Maures aux cheveux retroussés ». Tout cela repose, bien sûr, sur Salluste, Bellum iugurthinum, XVIII.
24 J. Mazard, 1955, p. 180 sqq. ; G.K. Jenkins, 1969, no 720 sqq. ; RPC, no 861 (Baal-Melqart) et 862 (Baal). L.I. Manfredi, 1995, p. 184 souligne les liens, purement iconographiques, qui relient les représentations du dieu des monnaies de Tingi avec l’iconographie de monnaies attribuées à Hippo (infra no III/116-117).
25 Nous avons donc rangé parmi les monnaies royales les émissions de l’atelier de Tingi qui, par la tête du droit nous paraissent de l’époque de Bocchus Ier. Dans ces conditions, les monnaies de Tingi décrites ici seraient les plus anciennes de cet atelier. Elles se distinguent très nettement de celles qui suivront chronologiquement et que les numismates considèrent habituellement comme leurs contemporaines (voir infra, III, no 153-154). Sur les monnaies plus récentes, l’effigie est très différente : la barbe n’est plus le petit collier pointu caractéristique de l’effigie royale, mais une barbe ronde habituelle aux représentations du dieu Océan, qui apparaît en particulier sur les monnaies bilingues. L’absence de représentation du cou est également caractéristique de toutes les représentations d’Océan.
26 J. Marion, 1972, p. 115, définit quatre types de représentation de l’effigie du droit « 1 : Tête de profil, cheveux courts et drus, barbe arrondie. Style assez soigné ; 2 : Tête grossière à long nez saillant. Pas de barbe apparente, cheveux hirsutes, courts et drus sur le sommet de la tête, rayonnants sur la nuque ; 3 : Figure barbare. L’œil est représenté par un globule. Pas de barbe. Cheveux courts et drus. Cou mince et court. Très fort relief ; 4 : Figure grossière à chevelure ou capuchon saillant. Cou long et épais. » Ces distinctions, qui ne vont pas jusqu’à l’étude charactéroscopique, restent d’un intérêt très réduit.
27 J. Marion, 1970, p. 101-111. I. Gabard, R. Rebuffat, 1988, p. 219 sqq.
28 Voir infra, p. 258.
29 S. Gsell, 1913, VI, P. 158, qui, d’ailleurs, attribue ces monnayages à Bocchus Ier.
30 P. Fernandez Uriel, 1992, p. 328 sqq.
31 Voir supra, p. 145 sqq et 167 sqq.
32 A. Jodin, 1987.
33 G.K. Jenkins, 1969, s.v. Camarata, Lix, Rusadir, Sala, Tamuda, Tingis.
34 G. Camps, eb, C. 74, p. 1986-1989. Sur le rôle des cités dans le commerce du royaume, voir aussi S. Gsell, 1913, V, p. 251 sqq et VI, p. 79 sqq. Pour les débuts de la frappe en Maurétanie, P. Salama, 1979, p. 114 observe que le volume des émissions des deux Bocchus dut être très faible. Il faut nuancer le propos dans la mesure où l’auteur n’envisage que le monnayage portant expressément le nom royal. Or, ce monnayage n’est pas le plus abondant.
35 A. Jodin, 1987, p. 502.
36 Voir supra, p. 159 sqq.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Bestiaire chrétien
L’imagerie animale des auteurs du Haut Moyen Âge (Ve-XIe siècles)
Jacques Voisenet
1994
La Gascogne toulousaine aux XIIe-XIIIe siècles
Une dynamique sociale et spatiale
Mireille Mousnier
1997
Que reste-t-il de l’éducation classique ?
Relire « le Marrou ». Histoire de l’éducation dans l’Antiquité
Jean-Marie Pailler et Pascal Payen (dir.)
2004
À la conquête des étangs
L’aménagement de l’espace en Languedoc méditerranéen (xiie - xve siècle)
Jean-Loup Abbé
2006
L’Espagne contemporaine et la question juive
Les fils renoués de la mémoire et de l’histoire
Danielle Rozenberg
2006
Une école sans Dieu ?
1880-1895. L'invention d'une morale laïque sous la IIIe République
Pierre Ognier
2008