Chapitre 2. Massinissa et ses successeurs (203-60 av. J.-C.)
p. 149-171
Texte intégral
1Avec ces monnayages, nous abordons l’étude d’un numéraire extrêmement abondant, qui correspond au véritable développement de l’économie monétaire numide, et qui constituera plus largement l’ossature du système monétaire africain d’un bout à l’autre de la région, le seul, en somme, qui fut utilisé de l’Atlantique aux autels des Philènes.
2L’analyse de ces monnaies que l’on appelle habituellement « de Massinissa et de ses successeurs » soulève de nombreuses difficultés. D’abord ce sont dans l’ensemble des émissions d’iconographie très peu différenciée, produites en masses sur une très longue période et sans indication explicite d’atelier émetteur. Il est donc difficile de les répartir suivant une chronologie interne et de distinguer ensuite les éventuelles évolutions pondérales. Quant aux ateliers émetteurs c’est essentiellement, pour l’instant, par déduction et probabilité que l’on peut les suggérer.
3L’épigraphie de la quasi totalité de ces monnaies est bien laconique puisqu’elle se réduit le plus souvent à deux lettres indiquant l’initiale et la finale du nom royal. Cela laisse place à beaucoup d’incertitudes dans la mesure où nous ne connaissons pas le nom de tous les souverains, où ces noms ne sont souvent attestés que par les sources gréco-latines qui peuvent les déformer gravement, et où ces lettres sont parfois susceptibles de se rapporter à deux souverains.
4Toutes ces monnaies sont bien connues des archéologues, puisqu’on les retrouve d’un bout à l’autre de l’Afrique du nord. Leur banalité même les a souvent fait dédaigner et a empêché que les trouvailles en soient systématiquement signalées. Leur situation est ici comparable à celle des bronzes puniques souvent négligés, et, longtemps, la seule trouvaille importante de bronzes numides qui ait donné lieu à une étude fut celle de Mazin en Croatie1. Ce n’est que depuis peu qu’on note un intérêt nouveau pour l’étude de ces monnayages, maintenant mieux répertoriés2.
Les deux ateliers : Cirta et Siga
5L’ensemble de toutes ces monnaies dites de Massinissa et de ses successeurs se divise en deux groupes d’importance très inégale et de caractéristiques très distinctes. Le groupe le moins abondant comporte des pièces caractérisées par l’effigie diadémée du roi (no 22-25) alors qu’elle est laurée sur les monnaies de l’autre groupe (no 8-21)3. Il existe aussi des différences stylistiques dans l’effigie royale. Si certains types de portraits sont communs aux deux groupes, la distinction ne tenant qu’au port du diadème ou de la couronne laurée, une variété d’effigie, en revanche, ne se retrouve que dans le groupe au diadème. L’exécution en est très soignée, en particulier pour le traitement des boucles de la barbe et de la chevelure. La forme générale de la tête est plus allongée en hauteur que sur les autres monnaies, la barbe plus longue et plus tombante.
6L’iconographie du revers est différente pour les deux groupes. Sur les monnaies à tête laurée on trouve un cheval au galop ou à l’arrêt, sur les autres un cheval au trot ou au pas accompagné d’un astre ou d’une palme.
7Toutes ces différences, révèlent-elles deux ateliers différents ou deux époques d’un même atelier ? L’étude de la répartition des trouvailles, indispensable ici, pâtit de l’absence de documentation. Il semblerait cependant que les monnaies à tête diadémée soient beaucoup plus rares en Tunisie que les autres, qui y sont très communes. Même s’il faut tenir compte du fait que les monnaies diadémées ont été émises en moindre quantité, l’observation garde tout de même une certaine valeur. Elle est renforcée par l’analyse de deux trouvailles de monnaies numides, l’une de Cherchell (Algérie centrale), l’autre de Tarhouna (Tripolitaine) : à Cherchell sur un total de 80 monnaies, on retrouve 29 monnaies à tête diadémée, alors qu’à Tarhouna il ne s’en trouve qu’une sur 176 monnaies4. Il semble donc que l’on trouve de moins en moins de monnaies à tête diadémée à mesure que l’on quitte le Maghreb central pour son extrémité orientale. D’autre part, les deux groupes obéissent à une métrologie très différente5. Tout cela nous amène à imaginer qu’il y eut en réalité deux ateliers. On pense naturellement aux deux grandes capitales du royaume numide : Siga et Cirta. Et dans ce cas, les monnaies à tête diadémée seraient émises à Siga, à laquelle d’ailleurs nous avions déjà proposé d’attribuer les monnaies de Syphax, elles aussi diadémées. Nous verrons que la métrologie de toutes ces monnaies de Siga semble identique, ce qui nous paraît un argument supplémentaire décisif. Et c’est donc à Cirta qu’il faudrait attribuer les monnaies à tête laurée, de loin les plus nombreuses, et dont nous verrons que la métrologie est calquée sur celle de Carthage.
8L’existence de portraits quelquefois très proches sur les deux séries n’est pas une objection décisive à cette hypothèse. Nous avons des exemples en Afrique de graveurs ou de coins « voyageurs », à Carthage et Lepti Minus notamment6.
9On remarquera que les seuls souverains mentionnés sur les monnaies « de Siga » sont Massinissa ou Micipsa, tandis que celles « de Cirta » font également mention de leurs successeurs, Adherbal et gn. Il semblerait donc que l’atelier de Siga ait fermé sous Micipsa ou juste après son règne, au profit d’une centralisation des frappes à Cirta, plus proche du lieu d’origine de la dynastie Massyle et ainsi promue au rang de véritable capitale7. Il y aurait là un processus de centralisation étatique conforme à l’idée que nous nous faisons de l’évolution du royaume numide. Et cela expliquerait la large prédominance numérique des monnaies de Cirta.
10Une dernière précision à propos de ces ateliers. Nous proposons Cirta et Siga car ce sont les deux « capitales » (avec toutes les nuances qu’il faut apporter ici à ce terme) du royaume numide, l’une située en Massylie, et l’autre en Masaesylie. Mais il est bien évident, compte tenu du nombre impressionnant de monnaies frappées, que l’on ne saurait exclure l’existence momentanée d’ateliers parallèles officiels ou semi-officiels, et cela sans parler des ateliers vraisemblablement marginaux dont nous envisagerons le cas plus loin. La centralisation évoquée plus haut se serait donc faite en réalité au profit de la Massylie en général, avec pour foyer monétaire principal la ville de Cirta.
L’atelier de Cirta
Massinissa (203-148 av. J.-C.)
11À la différence de Syphax, qui a apposé son nom complet sur un monnayage d’un certain volume et donc laissé des documents numismatiques qu’on peut lui attribuer sans hésitation, Massinissa s’est montré beaucoup moins explicite dans l’utilisation politique de son monnayage. En effet, si on laisse provisoirement de côté des monnaies à légende mn, qui peuvent être attribuées aussi bien à ce grand roi qu’à son fils Micipsa, il n’existe qu’une seule émission portant en toutes lettres le nom de Massinissa, sous la forme msnsn (no 9-10).
12Cette émission se compose de deux espèces divisionnaires, dont la plus grande (no 9) comporte au droit une effigie de Massinissa lauré, avec un sceptre sur l’épaule, et au revers un cheval au pas à gauche, accosté d’un sceptre. À l’exergue du revers, on trouve donc le nom royal, suivi du terme hmmlkt, désignant la fonction royale, et sur lequel nous reviendrons à propos des monnaies de Juba Ier8. L’autre pièce (no 10) comporte le portrait de Massinissa, un éléphant et la même légende msnsn hmmlkt.
13Ces deux rares monnaies constituent manifestement un ensemble, ne serait-ce qu’en raison de considérations stylistiques, et parce qu’elles sont les deux seules à attester une légende aussi complète. C’est cette légende particulièrement explicite qui nous les a fait attribuer chronologiquement au règne de Massinissa.
14Mais ces deux monnaies datent-elles bien du vivant de Massinissa ? C’est ce que l’on propose ici, et c’est le plus probable. Néanmoins, on ne saurait totalement exclure qu’elles aient été frappées bien après, à titre commémoratif, pour asseoir la légitimité d’un successeur : Micipsa ou Juba Ier. Leur petit nombre en fait de toutes façons des émissions à fonction surtout politique.
15La métrologie de ces monnaies ne saurait être analysée sur la base du très petit nombre d’exemplaires qui nous en sont parvenus. Notons simplement que la plus petite, par son module et son poids, cadre tout à fait avec la métrologie des autres monnaies de Cirta telle que nous l’envisagerons plus loin, et équivaut aux « unités » no 18. Il est plus difficile de préciser son rapport avec la plus grande : vraisemblablement de 1 à 3, à la rigueur 4.
Massinissa (203-148 av. J.-C.) ou Micipsa (148-118 av. J.-C.)
16On rapporte à Massinissa ou à Micipsa des monnaies marquées des lettres mn (no 11-12 et 22-24), constituant l’initiale et la finale du nom royal selon l’habitude numismatique numide. Ces lettres peuvent tout aussi bien désigner msnsn (Massinissa) que son fils mkwsn (forme punique du nom latinisé en Micipsa)9.
17Auquel des deux attribuer les monnaies à légende mn ? Aucune solution n’est absolument satisfaisante. Opter pour Massinissa, aboutit à ôter toute monnaie légendée à Micipsa. Or, il serait étrange que nous soient parvenues des monnaies de Massinissa marquées mn, des monnaies d’Adherbal, successeur de Micipsa, marquées >l, sans qu’il y en ait eu du règne intermédiaire de trente ans de ce dernier. Choisir l’attribution des monnaies marquées mn à Micipsa reviendrait à ne donner à Massinissa que les rares monnaies à légende complète (no 9-10) en y ajoutant, comme nous le verrons, certaines des monnaies totalement anépigraphes. Or bien des monnaies à légende mn ou mn/ht (no 11-12) s’intègreraient facilement par leur style à l’ensemble de ces dernières.
18À défaut de l’épigraphie, les effigies permettent-elles de reconnaître les émissions des deux souverains ? Le précédent de Syphax, pour lequel on disposait de deux groupes de portraits sans aucune ressemblance, est peu encourageant. Qu’en est-il pour Massinissa et Micipsa ? Il est nécessaire, pour répondre sur ce point particulier de commencer par évoquer la question du portrait royal sur les monnaies de Cirta en général.
19Pour Massinissa et ses successeurs, on se trouve devant plusieurs types de portraits. Les uns, en particulier ceux des monnaies à légende complète msnsn hmmlkt ou un peu développée mn/ht (no 9-11), révèlent une gravure experte et des effigies de très belle qualité. Il serait donc possible d’y voir de réels portraits du souverain, soit Massinissa pour les no 9-10 au moins. Et cela d’autant plus qu’une ressemblance est perceptible d’une monnaie à l’autre. En revanche, dès que l’on quitte ces émissions bien caractérisées, la situation devient inextricable. Tous les portraits anépigraphes, en effet, semblent avoir été exécutés sur le modèle de celui de Massinissa (des no 9-10), et malgré certaines belles réussites de gravure et, parfois peut-être, le souci d’individualiser un peu plus ce qui apparaît comme un type iconographique fixé, il serait vain de chercher à identifier précisément tel ou tel souverain en l’absence de légende. Pour les monnaies à légende bilittère, les plus nombreuses (à légende mn) montrent des portraits fort divers, tandis que les autres (à légende >l, gn ou kn) varient trop peu par rapport à l’effigie commune pour que l’on puisse en tirer des conclusions sérieuses. À supposer qu’il y ait eu au départ la volonté d’individualiser les traits de Massinissa, il semblerait donc que cette effigie ait ensuite servi de référence et de modèle à ses successeurs. Il faut en tout cas se garder aussi bien de l’optimisme aventureux d’un P. Troussel découvrant derrière ces portraits vingt-cinq rois numides, que du jugement désabusé de J. Mazard pour qui « ce serait faire beaucoup d’honneur à ces aguellids que de leur accorder un monnayage particulier10 ».
20Mais après tout s’agit-il bien d’un portrait royal ? On en a douté et certains ont voulu y voir l’effigie de Jupiter ou d’Hercule11. La question doit sans doute être posée différemment. On imagine mal qu’après le précédent de Syphax apposant indiscutablement son effigie nue ou diadémée sur les monnaies, Massinissa et ses successeurs soient revenus en arrière sur ce point, s’effaçant au profit d’une effigie divine. Ils ont plutôt enrichi l’effigie royale de connotations divines, comme la couronne de lauriers qui convenait aussi bien à Jupiter ou Hercule qu’à Apollon, et le sceptre jovien. Le premier à le faire fut sans doute Massinissa. Ses successeurs, trop falots jusqu’à Juba Ier pour renouveler l’iconographie monétaire, furent sans doute trop heureux de pouvoir fondre leur propre effigie avec celle du glorieux prédécesseur dont ils tiraient leur légitimité et un reste de prestige. Quoi qu’il en soit, ce n’est donc pas par le portrait que l’on pourra distinguer les émissions de Massinissa de celles de Micipsa.
21À défaut de l’épigraphie ou de l’iconographie, la métrologie permet-elle d’attribuer certaines émissions à Massinissa ? D’emblée, on peut penser que les très grands bronzes anépigraphes no 16, manifestement imités des pièces puniques de 15 shekels émises juste après 201 av. J.-C. (no I/103-104), leur sont contemporains. Ils sont donc bien de l’époque de Massinissa, et même plutôt du début de son règne. À ces monnaies, il faut bien trouver des sous-multiples, et il faut les chercher parmi les monnaies anépigraphes puisque le très grand bronze ne comporte aucune inscription. Nous verrons, lors de l’étude métrologique, que certaines monnaies no 18, ainsi que les no 17, 19 et 20 constituent avec ces très grands bronzes une échelle métrologique très cohérente, liée aux dernières émissions de Carthage.
22Au total, c’est donc la possibilité de proposer une échelle divisionnaire cohérente parmi certaines monnaies anépigraphes numides, échelle qu’on peut rapporter à un modèle punique des années 200 av. J.-C., qui permet de croire à un numéraire structuré et relativement abondant datant du règne de Massinissa. Il manque encore l’analyse stylistique qui permettrait de confirmer l’hypothèse, et surtout de voir comment les monnaies à légende mn s’articulent avec cet ensemble. On pourrait alors savoir si les lettres en question désignent Massinissa ou son successeur. On le voit, les études de numismatique numide ne font que débuter.
Gulussa (148 av. J.-C. - ?) ou Gauda (105 av. J.-C. - ?)
23Certaines monnaies de l’atelier de Cirta portent la légende gn (no 14) qui pourrait désigner Gulussa, l’un des frères de Micipsa, qui régna dans un premier temps avec ce dernier et leur frère Mastanabal. On sait en effet qu’à la mort de Massinissa, en 148 av. J.-C., son ami Scipion Emilien, appelé à son chevet mais arrivé trop tard pour revoir le vieux roi en vie, organisa la succession. Il divisa donc le pouvoir royal entre les trois fils de Massinissa : Micipsa reçut l’administration, Mastanabal la justice et Gulussa l’armée12. On ne sait si ce partage avait été réellement voulu par Massinissa, ou s’il n’était qu’une précaution prise par Rome afin d’affaiblir l’autorité des rois numides. Quoi qu’il en soit, Gulussa, avant et après la mort de son père, joua un rôle non négligeable, tant à la tête des troupes numides qui soutinrent les Romains au cours de la dernière guerre punique que comme diplomate en diverses occasions13.
24Un autre souverain pourrait être représenté par ces lettres gn : Gauda, qui régna à la suite de Jugurtha, vraisemblablement à partir de 105 av. J.-C. et jusqu’à une date inconnue14.
25Aucun argument décisif ne permet de trancher. Le choix de Gulussa s’accorderait avec l’hypothèse selon laquelle une partie au moins des monnaies marquées mn désignent Micipsa. Mais alors pourquoi n’avons-nous pas de monnaies au nom de Mastanabal (légende ml), le troisième frère régnant ? Ce fragile indice ferait légèrement pencher la balance en faveur de Gauda (voir infra).
Adherbal (118-112 av. J.-C.)
26L’attribution des monnaies à légende >l, en revanche, ne fait aucune difficulté (no 13). À la mort de Micipsa, ses deux fils, Adherbal et Hiempsal partagèrent sa succession avec Jugurtha, un fils illégitime de Mastanabal. On connaît la suite. Jugurtha fit presque immédiatement assassiner Hiempsal et partagea donc la royauté avec Adherbal. Ce dernier reçut la domination de la Numidie orientale, « plus riche en villes », avec Cirta et l’atelier monétaire. Jugurtha recevait la partie occidentale, moins urbanisée15. C’est donc toujours à l’atelier de Cirta qu’il faut attribuer les monnaies au nom d’Adherbal.
Jugurtha (118-105 av. J.-C.)
27On remarquera que nous n’avons attribué aucune monnaie à Jugurtha. Il n’existe en effet aucun monnayage que l’on puisse lui reconnaître parmi ceux de la Numidie. Le fait paraît étrange et a poussé jadis les numismates à lui attribuer des monnaies que l’on propose aujourd’hui de reclasser tout autrement. L’absence de frappes au nom de Jugurtha paraît d’autant plus singulière qu’une source littéraire, le Bellum jugurthinum de Salluste, met particulièrement en valeur pour nous ce combat du Numide contre Rome, constituant l’un des rares traits de lumière qui éclaire l’histoire de la région à cette époque. En réalité, la nature du pouvoir de Jugurtha et les conditions dans lesquelles il l’a exercé peuvent d’une certaine manière expliquer ce manque. Nous savons que Jugurtha, au moment du partage de la Numidie entre Adherbal et lui, reçut « la partie de la Numidie qui touche à la Maurétanie, plus riche et plus peuplée » tandis qu’Adherbal recevait « l’autre, de plus d’apparence que de valeur réelle, mais plus abondante en ports et monuments ». Nous avons vu qu’Adherbal disposa donc de l’atelier monétaire de Cirta. La seule ville qui aurait pu battre monnaie pour Jugurtha était Siga. Or, cette dernière n’émet aucune monnaie portant d’autres lettres que mn. On en conclura, comme nous le verrons, que l’atelier avait été vraisemblablement fermé au plus tard sous Micipsa. D’autre part, à voir le tout petit nombre de monnaies au nom d’Adherbal qui nous sont parvenues alors que ce roi disposait de l’atelier de Cirta, on comprend que nous n’en ayons pas au nom de Jugurtha dont la domination ne semble pas avoir été citadine à cette époque.
28Mais plus tard, à partir de 112 av. J.-C., lorsque Jugurtha eut éliminé Adherbal et pris Cirta, pourquoi ne frappa-t-il pas monnaie ? On entrevoit une réponse possible qui tient sans doute à la nature de la domination de Jugurtha et au recrutement de ses armées. Il ressort très nettement de Salluste que les grandes villes échappent à Jugurtha. L’attitude des negotiatores italiens de Cirta, prêtant main forte à Adherbal contre Jugurtha est caractéristique. Leurs intérêts étaient du côté d’un royaume organisé, urbanisé, sédentarisé, bien relié aux ports, en un mot celui où se développe l’économie monétaire16. Or, même après l’éviction d’Adherbal, c’est justement l’autre Afrique que représente Jugurtha en conséquence de son opposition à Rome : celle des petits bourgs fortifiés de l’intérieur où sont ses trésors et où il se réfugie volontiers, celle où le système d’alliances tribales permet de recruter rapidement des troupes qui s’organisent et se désorganisent aussi vite, celle des confins désertiques17. Tout cela, joint à la stratégie qui fut la sienne d’une guerre de mouvement, n’était naturellement guère propice à la frappe de monnaie. Ce n’était pas le type de rétribution que ses troupes attendaient et le message politique véhiculé par la monnaie ne les aurait guère touchés. En schématisant le témoignage de Salluste, on peut dire que Jugurtha ne représentait pas l’Afrique de l’économie monétaire ; au contraire, dès lors qu’il s’opposait à Rome, il ne pouvait plus s’appuyer que sur le monde de la structure tribale opposée à la structure étatique de type hellénistique qui se mettait en place depuis Massinissa18.
Gauda (105 av. J.-C.- ?)
29On a vu que les monnaies à légende gn (no 14) pouvaient éventuellement être attribuées à Gauda, successeur de Jugurtha. On pourrait y objecter l’utilisation de l’écriture punique pour les légendes monétaires alorsqu’on attendrait plutôt du néo-punique à cette époque. Mais en réalité les inscriptions d’El Hofra montrent que l’on utilisait encore l’écriture punique sous les règnes conjoints de Micipsa, Mastanabal et Gulussa19, et les monnaies, elles, attestent cette même écriture jusque sous Adherbal. Il n’y aurait donc rien d’invraisemblable à ce que l’on la retrouve encore sous Gauda. Son remplacement dans les documents officiels en punique par l’écriture néo-punique s’est faite vraisemblablement sous Juba Ier si l’on en croit les monnaies. Rien ne s’oppose donc vraiment pour l’instant à l’attribution des monnaies à légende gn à Gauda. L’étude des trésors monétaires permettra sans doute de trancher prochainement.
Hiempsal ( ?-88 av. J.-C.- ?)
30Depuis la réattribution par G.K. Jenkins et L. Villaronga20 de monnaies jadis données à Hiempsal fils de Gauda par L. Müller et J. Mazard21, il n’en existe plus d’attribuable à ce roi.
K… N
31Pour les monnaies à légende kn (no 15), les sources littéraires existantes ne donnent d’autre choix que l’attribution à Capussa, cousin de Massinissa, et qui précéda quelque temps ce dernier sur le trône après la mort de Gaïa (206 av. J.-C.). J. Mazard excluait cependant cette possibilité, sans donner d’arguments. Cette absence d’argumentation amena G. Camps à reproposer l’attribution à Capussa, retirant ainsi à Massinissa le privilège d’avoir inauguré les émission monétaires massyles22.
32Le fait qu’en l’état actuel des connaissances, le rapprochement des lettres kn avec le nom de Capussa soit le seul possible ne doit pas constituer un argument péremptoire compte tenu de l’extême maigreur de nos sources sur la dynastie de Massinissa. En particulier, entre la défaite de Jugurtha en 105 av. J.-C. et le règne de Juba Ier dont l’on date approximativement les débuts des années 60 av. J.-C., nos connaissances sont très réduites. Il se peut fort bien qu’il y ait eu, durant ce laps de temps, l’un de ces partages du royaume, qui font le désespoir des historiens de l’Afrique antique, au profit d’un prince dont le nom correspondrait aux lettres kn. Qu’en est-il du point de vue numismatique ?
33L’exécution peu soignée de l’iconographie des monnaies kn ne constitue pas en soi un critère suffisant de datation et pourrait tout aussi bien s’expliquer par une situation au terme d’une longue évolution du monnayage, qu’à ses débuts. Le fait que les lettres kn soient en écriture punique et non dans l’écriture néo-punique qui se développe très progressivement après la disparition de Carthage ne saurait être non plus un élément de datation, comme nous l’avons vu à propos des monnaies de Gulussa ou Gauda. En fait, de tels critères stylistiques et épigrapiques pris indépendamment les uns des autres ne sont guère signifiants et ces monnaies à légende kn doivent être considérées non pas isolément, mais au sein de l’ensemble des monnayages numides de Massinissa et de ses sucesseurs. Replacées dans cette plus large perspective, ces monnaies apparaissent beaucoup plus nettement, aux yeux du numismate, comme appartenant à tout un ensemble d’émissions dérivées d’un prototype constitué par les monnaies de Cirta à légende mn/ht ou mn, que comme les éléments précurseurs du monnayage massyle. Cela étant, il est clair qu’il ne s’agit pas là d’une démonstration, mais plutôt d’une sorte d’expertise dans laquelle joue essentiellement l’habitude que l’on peut avoir des monnayages étudiés. L’importance de l’enjeu d’une éventuelle attribution à Capussa mérite que l’on s’en tienne à des positions de prudence.
Les monnaies sans nom de souverain
34Dans notre catalogue, les monnaies anépigraphes sont classées, faute de mieux, selon leur valeur métrologique. Ce regroupement par valeur a naturellement l’inconvénient de réunir sous un même numéro des monnaies qui ont pu être émises à des périodes diverses. Ce classement métrologique est pourtant le seul possible en attendant que les études de liaisons de coins et les trouvailles permettent d’établir la chronologie relative des diverses émissions. Quel en est l’enseignement ?
35Partons d’une donnée relativement sûre. Nous avons vu que le très grand bronze numide no 16 a de grandes chances d’être lié aux très grands bronzes qui avaient été émis à Carthage après 201 av. J.-C. pour équivaloir, en période de pénurie d’argent, aux huitièmes de shekel que l’on n’était plus en mesure de frapper23. Si l’on veut bien créditer Massinissa de l’origine du monnayage massyle, on comprendra fort bien qu’il se soit ainsi inspiré des monnayages carthaginois émis au moment où lui-même accédait au pouvoir. Et cela d’autant plus qu’il entamait la véritable monétarisation d’un royaume qui ne disposait pas de ressources minières en métal précieux. Carthage et la Numidie en étaient alors au même point quant à la pénurie d’or et d’argent, la première pour des raisons conjoncturelles, la seconde pour des raisons structurelles. Quoi qu’il en soit, le parallèle métrologique est ici indéniable : même diamètre d’environ 45 mm pour les deux très grands bronzes, le punique comme le numide. Le poids est différent : 98 g à Carthage, 65,7 à Cirta, mais il faudrait davantage que le seul exemplaire numide connu pour tirer des conclusions sur ce point. L’identité de facture du flan, le diamètre égal, la parenté iconographique sur laquelle nous reviendrons, rendent indéniable le modèle punique.
36Cette première ressemblance nous invite à en chercher d’autres et l’on constate aussitôt des similitudes entre les derniers « trishekels » de bronze de Carthage (no I/105), sous-multiples des grands bronzes puniques que nous venons d’évoquer, et les monnaies de loin les plus communes du monnayage numide, les bronzes no 18 de 25-28 mm de module. Le diamètre est rigoureusement identique dans les deux cas. Le flanc est également semblable, et caractéristique, avec sa forme aux extrémités biseautées. L’iconographie montre également des points communs. À l’avers nous avons, orientées à gauche dans les deux cas, une tête divine à Carthage, à laquelle répond celle du souverain numide, peut-être divinisé. Les revers, toujours anépigraphes hormis les marques d’émission à Carthage, montrent un cheval dans les deux cas, au pas à droite à Carthage, au galop à gauche en Numidie. Les parentés sont donc évidentes entre les deux types de monnaies, surtout pour qui les a vues voisiner si communément parmi les monnaies habituellement trouvées en Tunisie. Le poids des pièces numides est plus léger : 14,5 g contre 17,7, mais il faut corriger ces chiffres dans la mesure où celui des monnaies numides a été obtenu toutes émissions confondues puisque leur chronologie est incertaine. Or il s’agit de frappes qui s’étendent sans doute sur un bon siècle. Il nous semble que tous ces éléments plaident en faveur d’une identité entre le système numide et celui de Carthage qui, on s’en souvient, avait déjà été à l’origine des monnaies d’Utique24.
37Les monnaies no 16 et 18 nous semblent donc relativement claires du point de vue de leur origine métrologique.
38La monnaie no 17, qui, par son poids et son module, apparaît comme un intermédiaire entre les deux précédentes dans l’échelle métrologique, présente avec l’habituelle tête laurée du droit, un cheval à l’arrêt au revers, accosté d’un caducée. Ces monnaies sont d’une très bonne qualité de gravure et ne semblent pas avoir été émises en grandes quantités. Leur émission, comme celle du très grand bronze no 16 ne devrait pas dépasser les premiers temps du monnayage numide.
39Or, ce qu’il convient de remarquer ici, c’est l’alternance iconographique que l’on commence à voir apparaître au revers de toutes ces monnaies, suivant l’espèce divisionnaire, entre un cheval au galop et un cheval à l’arrêt flanqué d’un symbole. Sur la plus haute division (no 16) nous avions un cheval au galop ; puis sur le no 17 un cheval au pas accosté d’un caducée et de nouveau un cheval au galop sur les monnaies les plus communes (no 18), que nous considérons pour cela comme l’unité monétaire. Si nous prolongeons le mouvement en direction des sous-multiples, nous retrouvons sur le no 19 un cheval à l’arrêt, surmonté d’un croissant et d’un globe, et enfin sur le no 20, qui représente la plus petite espèce divisionnaire, de nouveau un cheval au galop. Il y aurait donc là une volonté manifeste de différencier les espèces divisionnaires par l’alternance de deux représentations d’un même motif : un cheval tantôt à l’arrêt, tantôt au galop25. L’exemple d’un tel système ne remonte peut-être pas cette fois-ci à Carthage directement, mais à l’autre source d’influence déjà évoquée à propos du monnayage numide, celle des monnayages barcides où une alternance de variantes d’un même motif assurait une reconnaissance immédiate des espèces divisionnaires26. La volonté d’établir un système métrologique numide cohérent à une date malheureusement imprécise est donc parfaitement perceptible.
40Le pivot de ce système est, comme nous l’indiquions plus haut, la monnaie de 25-28 mm, la seule qui sera continuellement frappée, et cela de façon massive (no 18). Les multiples (no 16-17), rares, ont sans doute été émis très peu de temps aux débuts du monnayage. Le no 16, pourrait équivaloir à 5 unités et le no 17 à 2 unités. Le sous-multiple no 19, au cheval debout surmonté d’un croissant et d’un globule, est plus fréquent, sans atteindre cependant, et de loin, le volume de frappe de l’unité elle-même. Trop petit pour en être un demi, il en serait plutôt un tiers, ou mieux un quart. La plus petite monnaie (no 20) est sans doute un huitième d’unité.
41Au total, on peut proposer le tableau d’équivalences suivant :
Carthage (201-146 av. J.-C.) | Numidie (201-60 av. J.-C.) |
no I/103-104 46 mm - 98 g | no 16 : Cheval au galop 45 mm 67, 5 g |
no 17 : Cheval à l’arrêt 35 mm 25 g | |
no I/105 27 mm - 17,7 g | no 18 : Cheval au galop 27 mm 14, 5 g |
no I/107 17 mm - 3,2 g | no 19 : Cheval à l’arrêt 17 mm 3,5 g |
no 20 : Cheval au galop 14 mm 2 g |
42Il existe de rares monnaies de billon (no 8), de même module et de même iconographie que les unités monétaires de bronze no 1827. Le poids en est cependant très différent : 7,5 g pour les billons au lieu de 14,5 g pour les bronzes, sans que l’usure des premiers justifient un tel écart. Il y a donc bien ici une volonté d’émettre des espèces de billon dont il est bien difficile d’établir la date d’émission ainsi que la place dans le système métrologique28.
43Au terme de ce rapide examen de la métrologie numide, quelques remarques s’imposent.
44Nous avons postulé pour l’« unité » numide un exemple carthaginois. Faut-il en conclure que le système numide relève en bonne et due forme de la métrologie du shekel ? On voit bien que la réalité est plus complexe. En fait, il se produit une sorte de glissement métrologique lors de l’emprunt numide au modèle carthaginois. La monnaie punique imitée est un trishekel, frappée pour compléter à Carthage une masse monétaire en circulation où abondaient les shekels de bronze frappés au cours de la deuxième guerre punique. Lorsque les Numides empruntent ce trishekel aux Puniques, c’est dans un contexte métrologique différent, pour construire ex nihilo ou quasiment, une masse monétaire. Et c’est ensuite en fonction de ce trishekel emprunté qu’il bâtiront leur propre échelle divisionnaire. De ce fait le trishekel punique devient en réalité une nouvelle unité monétaire, même si son origine remonte à la métrologie du shekel.
45Par ailleurs, on aura pu trouver que nous faisions la part belle aux distinctions métrologiques par le module au détriment du poids. Ce choix nous paraît fondamental si l’on veut essayer de débrouiller l’écheveau métrologique des monnaies africaines de bronze. Si le poids reste naturellement le critère essentiel de définition métrologique pour les métaux précieux, il n’en va pas de même pour les bronzes africains où des exemplaires d’une même série peuvent accuser de fortes différences pondérales sans que l’usure n’y soit pour rien. Manifestement les flans numides n’étaient pas précisément calibrés à l’unité. Il ne s’agissait que d’en obtenir toujours le même nombre d’un poids donné de métal brut, sans que l’on se préoccupe des disparités pondérales d’un flan à l’autre (frappe dite « al marco »)29.
46On le voit, il est extrêmement difficile de démêler la chronologie des monnaies numides anépigraphes. Certaines émissions remontent très vraisemblablement à l’époque de Massinissa puisque leur métrologie calque celle des derniers bronzes de Carthage. Il s’agit en particulier de celles qui constituent les multiples (no 16-17) et les sous-multiples (no 19-20) de l’unité. La cohérence du système, et, encore une fois, le parallèle punique en convainquent facilement. La difficulté vient en fait des unités no 18 dont certaines datent forcément aussi de la même époque, mais dont d’autres ont manifestement été émises, compte tenu des dégénérescences iconographiques et pondérales, sur une très longue période, vraisemblablement jusque sous Juba Ier (60-46 av. J.-C.). C’est donc provisoirement et faute de mieux que toutes ces monnaies, qui constituent le pivot de la circulation monétaire numide sont réunies sous le seul no 1830.
47Quoi qu’il en soit, on retirera déjà de toutes ces maigres données que les frappes numides étaient organisées selon un système suffisamment cohérent pour ruiner l’idée de frappes anarchiques que l’on a quelquefois répandue31, et cela explique mieux le succès d’un monnayage qui fut le principal instrument de l’expansion de l’économie monétaire en Afrique du nord initiée par Carthage.
Les monnaies de plomb
48On trouve assez fréquemment, principalement dans une zone allant de Constantine à Alger, des monnaies de plomb ou de plomb recouvert d’une feuille de bronze reproduisant les monnaies numides les plus communes32. Où, quand et pourquoi de telles monnaies ont-elles été émises ? On y remarquera d’abord la proportion beaucoup plus élevée de revers marqués mn que pour les monnaies de bronze. S’il est difficile d’en tirer des éléments de datation dans la mesure où la chronologie des monnaies-modèles est encore loin d’être elle-même établie, ce serait tout de même l’indice d’une chronologie haute, au plus tard à la fin du règne de Micipsa, pour certains au moins de ces plombs.
49Doit-on croire à des frappes officielles complémentaires ? Il est naturellement impossible, en l’état actuel de la documentation, de faire autre chose que des suppositions. Le seul point qui paraisse évident est que ces frappes constituent davantage une réponse à une demande de numéraire supérieure à ce que les ateliers pouvaient fournir comme monnaies de bronze, soit par manque de métal, soit par insuffisance de débit, qu’une production de faux-monnayeurs agissant clandestinement pour leur propre compte33. Outre le fait que la différence de métal ne pouvait tromper personne, l’existence de monnaies intermédiaires entre les espèces de plomb et de bronze, nous voulons parler des frappes à âme de plomb recouvertes de cuivre, paraît plutôt être le signe d’une insuffisance de métal que la suprême habileté de faux-monnayeurs. Si tel est bien le cas, une première hypothèse consisterait à penser que ces plombs reflètent les conditions dans lesquelles se serait faite la monétarisation de la Numidie. Si certaines émissions, comme les rares frappes de prestige à légende complète (no 9-10) servent un but d’affirmation du pouvoir royal, beaucoup d’autres, et en particulier le numéraire de plomb, sont l’indice d’une demande urgente et rapidement croissante de numéraire pour assurer les échanges quotidiens. La proximité du territoire de Carthage où la monétarisation avait déjà commencé de longue date, ainsi que la présence de commerçants étrangers constituaient un stimulant en ce sens, au moins pour les villes. La deuxième guerre punique joua aussi un rôle fondamental sur ce point. L’exemple barcide espagnol, l’affaiblissement de Carthage, l’intrusion de troupes romaines en Afrique, l’arrivée dans le jeu des relations internationales des rois numides dont l’alliance était sollicitée, ne pouvaient que précipiter des évolutions en cours. La monétarisation en était l’un des aspects. Rien d’étonnant à ce que les ateliers n’aient pu dans un premier temps satisfaire à une telle demande, même si celle-ci fut d’abord très vraisemblablement limitée aux villes. Émis par des ateliers officiels à cours de métal ou des ateliers parallèles, les plombs sont le révélateur de ce développement brutal de l’économie monétaire. La monétarisation des campagnes numides, comme d’ailleurs celle des campagnes de Carthage est une histoire très intéressante qui reste à écrire34.
50Une autre hypothèse pour expliquer l’existence des plombs, consisterait à y voir des monnaies votives, des substituts aux offrandes monétaires que l’on trouve couramment dans les sanctuaires ruraux de l’Afrique du Nord orientale. Pourtant, s’il s’agissait d’objets de substitution, on n’aurait sans doute pas pris la peine de frapper parfois des flans de plomb recouverts de cuivre. On les aurait tout simplement coulés. D’autre part, si certains de ces plombs ont été retrouvés dans la favissa d’El Hofra, aucun n’a été trouvé parmi les offrandes de Henchir el Hami, et la fragilité de ces monnaies en cas de crémation partielle ou totale des offrandes ne saurait seule expliquer leur absence dans ce dernier cas. En effet, une partie seulement des offrandes monétaires semble avoir été en contact avec le foyer sacrificiel35.
51Une troisième hypothèse serait celle de frappes d’urgence correspondant à un événement précis. Dans la mesure où beaucoup de ces monnaies de plomb imitent des émissions à légende mn, datant au plus tard du règne de Micipsa, on pourrait placer leur émission après le règne de ce dernier, au cours de la guerre de Jugurtha. Nous aurions alors le numéraire émis par ce roi au cours de sa guerre contre Rome, la faiblesse de ses moyens l’empêchant de faire exécuter des coins à son nom et de frapper un numéraire de bronze de bonne qualité. Il est sans doute plus prudent d’expliquer comme nous l’avons fait supra l’absence de frappes au nom de Jugurtha, et de voir dans les plombs l’indice d’un développement de l’économie monétaire numide qui dépasse, un moment, les capacités des ateliers royaux36.
Les motifs accessoires et les contremarques
52On trouve quelquefois sur les monnaies qui constituent l’unité du système, des motifs accessoires dont certains se retrouvent sous forme de contremarques. Parmi ces motifs, on trouve la tête d’Ammon, le « signe de Tanit » représenté de la façon suivante : , et un autre signe que l’on a confondu avec le précédent, mais qui est pourtant bien différent puisqu’il se présente ainsi : 37. Pour ce dernier signe nous suggérons d’y voir tout simplement un trophée. Sont attestés également le globule, l’œil, et le signe , appelé parfois « roue », de sens indéterminé. La tête d’Ammon est ici particulièrement intéressante. Si elle apparaissait simplement en contremarque, on l’aurait volontiers datée de l’époque de Juba Ier, puisque la tête d’Ammon constitue le motif du droit de certains de certains des bronzes les plus couramment frappées sous ce règne. Mais en réalité ce thème apparaît aussi dans l’iconographie originelle des monnaies, constituant ainsi un thème iconographique extrêmement intéressant pour cette époque-là.
53Dans un article sur l’hellénisation des royaumes numides vue à travers l’architecture, F. Coarelli et Y. Thébert ont bien montré l’influence de l’Égypte lagide sur les rois numides, perceptible en particulier dans les formes des mausolées des familles royales et princières. Consacrant quelques passages à la numismatique, les auteurs, à la suite de H.R. Baldus, attirent justement l’attention sur cette petite tête d’Ammon, qui marquerait plus particulièrement l’influence du culte d’Alexandre le Grand sur les monarques numides. La confusion entre Ammon et Baal Hammon aurait facilité l’adoption de cette idéologie38. Si cette « confusion » n’est pas aussi simple, comme nous le verrons à propos des monnaies de Juba Ier, l’influence alexandrine soulignée par nos auteurs n’en demeure pas moins évidente. Elle nous engage dans la perspective du culte solaire auquel il faudrait rattacher d’autres symboles comme le globule, qui vient des Puniques, ainsi que l’œil que l’on pourrait comprendre comme une réplique de l’oudja égyptien et qui fait ici sa première apparition sur le monnayage africain. Car si le motif est très fréquent dans la bijouterie punique, il n’apparaissait guère sur le monnayage de Carthage.
54Le signe dit « de Tanit » porterait ici particulièrement mal son nom puisque les allusions que nous trouvons sur le monnayage numide sont toutes en direction de divinités masculines, qu’il s’agisse d’Ammon ou de Baal Hammon. Viendrait-il en complément de toutes ces allusions aux dieux masculins pour représenter effectivement Tanit ? A-t-il une portée symbolique très générale qui ne le spécialise pas dans la représentation de Tanit ? Nous touchons là à un vieux débat qui dépasse très largement le cadre des monnayages africains. Le trophée, outre une éventuelle valeur religieuse, peut tout simplement commémorer une victoire sans que nous puissions dire avec certitude de laquelle il s’agit. Il reste le signe en forme de , que nous retrouverons sur les bronzes de l’époque de Juba Ier, en avant de la légende indiquant le nom et le titre royal. Sa signification reste mystérieuse, mais on y verrait la marque de l’atelier de Cirta. Il faut noter qu’on le trouve par ailleurs sur une stèle d’El Hofra39. Il pourrait donc avoir au départ une signification religieuse.
L’atelier de Siga
55Nous avons discuté plus haut des raisons qui nous ont fait attribuer à Siga une partie des monnaies « de Massinissa et de ses successeurs », celles qui portent la tête diadémée du roi. L’une de ces raisons était la métrologie différente des deux ateliers. D. Gérin, remarquant également cette différence, l’attribue à deux époques, implicitement d’un même atelier, où, contrairement aux idées habituelles que nous pouvons avoir sur la dévaluation comme phénomène systématique, les séries les plus légères, celles à tête diadémée, auraient été frappées avant les séries les plus lourdes à tête laurée40. Il nous semble plutôt que la métrologie légère des monnaies à tête diadémée s’explique par une continuité entre les monnaies de Syphax frappées à Siga et les monnaies de Massinissa et Micipsa frappées au même endroit. Nous avons vu les liens qui existaient entre les monnaies de bronze émises par les Barcides et celles de Syphax, puisque dans les deux cas nous retrouvions une unité de 10-11 g pour un module de 23-27 mm, un demi de 5,5 g pour un module de 18 à 22 mm, et un quart de 14 à 18 mm pour un poids de 2 à 3 g. Ces caractéristiques se retrouvent pour nos émissions à tête diadémée. Nous proposons donc d’y voir trois espèces divisionnaires différenciées par leurs revers, qui portent un cheval au pas pour l’unité, un cheval au trot accosté d’une palme pour le demi, un cheval au galop pour le quart. On aurait ainsi une identité métrologique parfaite du système de Siga, de Syphax à Massinissa ou Micipsa.
56On remarquera au sein de ces monnayages de Siga une proportion de monnaies à légende mn plus forte que dans les séries à tête laurée. Il faut y voir un signe d’ancienneté de ces frappes de Masaesylie qui, par ailleurs, ne font aucune allusion, du moins pour les exemplaires qui nous sont parvenus, à un roi postérieur à Micipsa, à supposer d’ailleurs que les lettres mn se rapportent à lui aussi et pas seulement à Massinissa. D’autre part, la rareté relative de ces monnaies de Siga par rapport à celles de Cirta, ou du moins de Massylie, pourrait laisser supposer deux choses : soit que l’atelier de Siga a été fermé dès que les frappes de Cirta, la région d’origine de la dynastie massyle, ont été suffisantes pour satisfaire à la monétarisation du royaume, soit que les frappes de Siga se sont finalement calquées, du point de vue métrologique et iconographique sur celles de Cirta. Il y aurait donc eu soit une centralisation des frappes dans cette dernière cité avec fermeture de l’atelier de Siga, soit une harmonisation des frappes dans les deux ateliers. Pour notre part, l’importance prise par Cirta, et que l’on entrevoit à travers les textes, montre que le centre de gravité du royaume numide, avec la victoire massyle sur les Masaesyles, s’est déplacé vers l’Orient et la région d’origine de Massinissa. Dans ces conditions, l’idée d’une centralisation à Cirta même, ou du moins en divers ateliers de Massylie, paraît préférable, et cela à une époque difficile pour l’instant à établir, mais qui daterait de Massinissa ou des premières années du règne de Micipsa.
57L’iconographie de ces monnaies de Siga ne change pas fondamentalement de celle des pièces de Cirta. On y voit apparaître l’astre et la palme accompagnant le cheval, ainsi que les globules en groupe, ou isolés et surmontés d’un croissant. Ces globules en groupe se trouvaient déjà sur le monnayage de Syphax et ils constituent donc un élément de plus en faveur de l’attribution à Siga. L’astre apparaissait, certes, sur des monnaies puniques émises aussi bien à Carthage même qu’en Espagne, mais la palme paraît, numismatiquement parlant, un motif plus spécifiquement espagnol41. On la retrouvera sur les bronzes ibériques dans la main d’un cavalier. Quant au cheval, nous en avons déjà discuté à propos des monnaies de Syphax, nous n’y reviendrons pas.
Circulation monétaire
58Il serait pour l’instant vain de tenter de préciser les détails de la circulation monétaire des bronzes de Massinissa et de ses successeurs. On les retrouve d’un bout à l’autre du Maghreb, aussi bien sur le site de Misurata (Libye), aux extrémités orientales du monde punique d’Afrique, qu’à Kouass, sur les bords de l’Atlantique. Nombre de trésors ont été perdus, comme celui de Téboursouk, cité par Gauckler. D’autres, heureusement réapparaissent, comme celui de Cherchell, publié par D. Gérin. De nouveaux sont découverts, comme celui de Tarhouna (Libye)42. Nombre d’exemplaires de ces monnaies peuplent les médailliers publics sans indication de provenance. Une étude de grande ampleur, systématique et stylistiquement comparative des collections publiques du Maghreb est le seul moyen d’avancer sur les questions de chronologie, d’ateliers et de circulation monétaire.
Conclusion
59L’image que l’on retire d’une étude de ces monnayages numides de l’époque de Massinissa et de ses successeurs, même si cette étude reste rapide et étayée de données encore très insuffisantes, est loin de correspondre à l’idée que l’on en donne parfois d’un monnayage anarchique et tombant dans la rusticité dès qu’il s’éloigne de modèles qu’il aurait trop suivis par manque d’originalité. Qu’il s’agisse de la métrologie, de l’abondance des émissions ou de l’image de la personne royale, nous avons affaire à un numéraire de qualité, dont l’abondance même témoigne de son efficacité. On ne saurait plus parler d’anarchie métrologique puisque nous avons pu déceler deux séries de modules et de poids parfaitement cohérents et reliés aux deux systèmes puniques en vigueur, celui de Carthage même pour les monnaies de Massylie et celui des Barcides pour la Masaesylie. Nous avons vu également qu’il y eut une tentative pour instaurer une échelle divisionnaire complète, même si sur ce point les divisions autres que l’unité restent frappées de manière exceptionnelle. Faut-il en conclure que des monnaies de Carthage constituaient en Numidie la petite monnaie divisionnaire43 ? Seules des études très précises de circulation monétaire permettraient de l’affirmer. On aura par ailleurs remarqué l’absence dans les monnayages numides postérieurs à Syphax de monnaies d’argent et d’or, à part quelques billons. Est-ce dû à une absence de ressources en métal précieux ? C’est sans doute la raison principale, car il est vrai que la région ne pouvait guère compter sur elle-même pour s’en approvisionner et qu’une large circulation du denier romain devait compenser la chose44. On peut aussi penser que les métaux précieux n’étaient pas monnayés45. Les formes et les modes de transmission de la richesse en Numidie n’ont pas fait l’objet d’études permettant de préciser ce point. Quoi qu’il en soit, la présence de toutes ces nombreuses monnaies de bronze prouvent mieux que ne le feraient des espèces d’or et d’argent la réelle monétarisation du pays, du moins des villes.
60En ce qui concerne l’image du pouvoir et du panthéon transmise par les monnaies, on ne peut qu’être frappé par leur complexité qui transparaît malgré l’aspect relativement stéréotypé de l’iconographie monétaire. Les symboles accessoires qui apparaissent sur les monnaies vont puiser aussi bien dans le répertoire égyptien pré-lagide, soit par l’intermédiaire de Carthage, soit directement, que dans le domaine phénico-punique ou hellénistique. Les aspects astraux qui reviennent sur ce monnayage, et en particulier les aspects solaires, avec des allusions explicites à Ammon et implicites à Apollon, des références très vraisemblables à Jupiter, Melqart et Baal Hammon au moyen de jeux d’équivalences, montrent toute la richesse d’un panthéon sans doute axé autour d’un dieu solaire et maître du monde, très certainement numide, mais qui se prêtait sans doute volontiers aux syncrétismes et empruntait aux autres religions formes et symboles. Et cela d’autant plus que la royauté numide elle-même, créant un État au sens hellénistique du terme, s’ouvrait de plus en plus aux échanges avec le monde extérieur, comme le montrent par exemple les inscriptions bien connues de Délos46.
61La monnaie dans ce royaume numide joue donc pleinement tous ses divers rôles, économiques, politiques et culturels. Si l’influence de Carthage fut pour cela fondamentale, nous l’avons dit, il ne faudrait pas pour autant minimiser le rôle personnel des rois numides qui furent tout autant, comme le soulignent Y. Thébert et F. Coarelli, les artisans de la « permanence berbère » que de « l’intégration dans la Koiné culturelle méditerranéenne alors dominée par les modèles grecs »47.
Notes de bas de page
1 igch, 644 ; voir bibliographie dépouillée par D. Gérin, 1989, p. 9 sqq.
2 Inventaire des trouvailles : P. Visona, 1989, p. 18 sqq.
3 Certains exemplaires des no 19-20 montrent quelquefois la tête diadémée, sans doute pour des raisons de commodité de gravure.
4 Pour le trésor de Cherchell, D. Gérin, 1989 ; Celui de Tarhouna est encore inédit. Nous en préparons la publication avec M. Fakroun, inspecteur du Service des Antiquités de Tripoli.
5 Pour la description métrologique précise des deux groupes : D. Gérin, 1989, p. 12-14.
6 Voir infra, p. 285
7 Cela expliquerait que malgré le passage de la région sous le contrôle de Jugurtha lors du partage du pays effectué par Rome entre les deux rois après l’assassinat d’Hiempsal (cf. Salluste, Bellum iugurthinum, XVI, 4, où l’on nous dit que Jugurtha reçut la partie de la Numidie qui touche à la Maurétanie) nous n’ayons pas de monnaies de Siga à l’effigie de Jugurtha.
8 Ch. F. Jean, J. Hoftijzer, 1965, p. 155, s.v. mmlkh. Voir infra, p. 177.
9 L. Müller, 1860, III, p. 13 sqq., n’ayant pas saisi le fonctionnement des abréviations de l’onomastique numide (mention de l’initiale et de la finale du nom), considère les légendes bilittères comme des abréviations de noms de magistrats. Il attribue par ailleurs à Massinissa des monnaies barcides d’argent, et à Micipsa d’autres monnaies barcides ainsi que l’ensemble des bronzes dits « de Massinissa et de ses successeurs ». Cette partie de l’œuvre de L. Müller est incontestablement la moins réussie de son ouvrage par ailleurs remarquable. On doit à L. Charrier, 1912 p. 3 sqq., l’attribution correcte des bronzes no 12 à Massinissa et ses successeurs, mais avec une utilisation inadéquate des légende bilittères. C’est finalement J. Mazard, 1955, p. 30 sqq. qui établira un premier classement satisfaisant. Pour la forme mkwsn, A. Berthier, R. Charlier, 1955, no 63-64.
10 J. Mazard, 1955, p. 23-24 à propos de l’opinion de M. Troussel, 1949, p. 129-176.
11 L. Müller, 1860, III, p. 25 sqq qui finit par conclure à des effigies royales. Pour S. Gsell, 1913, V, p. 158, il s’agit du portrait de Massinissa repris par ses successeurs ; A. Berthier, 1981, p. 176 pense au contraire à une effigie divine ; H.R. Baldus, 1979, p. 191, y voit une image idéalisée du souverain.
12 S. Gsell, 1913, III, p. 363 sqq.
13 S. Gsell, 1913, V, p. 141.
14 S. Gsell, 1913, VII, p. 262-263.
15 Salluste, Bellum iugurthinum, XVI, 4 ; S. Gsell, 1913, V, p. 192-193 et VII, p. 146 ; C. Saumagne, 1966, p. 147-148.
16 Salluste, Bellum iugurthinum, XXI, 2 ; XXVI ; S. Gsell, 1913, VII, p. 148 et 151 ; sur les étrangers établis à Cirta, F. Bertrandy, 1985, p. 488-502.
17 S. Gsell, 1913, VII, p. 155-158.
18 Selon Salluste, Bellum Jugurthinum, LXII, 5, Jugurtha paye immédiatement 200 000 livres d’argent à Métellus. Il disposait donc de réserves d’argent ; mais celui-ci n’était pas monnayé ou l’était en deniers.
19 A. Berthier, R. Charlier, 1955, p. 9-11 sur la transition insensible dans le corpus épigraphique de l’écriture punique à l’écriture néo-punique. Sur la coexistance des deux écritures et la difficulté de les utiliser comme critère de datation, F. Bertrandy et M. Sznycer, 1987, p. 79-80.
20 Voir Ière partie, chap. 3, p. 107-108.
21 L. Müller, 1913, III, p. 38-41 ; J. Mazard, 1955, p. 46-48. Les doutes venaient de S. Gsell, 1913, V, p. 159-160.
22 J. Mazard, 1955, p. 26 ; G. Camps, 1984, p. 29-32 ; eb, XII, p. 1770-1772.
23 Voir supra, p. 120 sqq pour les bronzes puniques.
24 Cette identité des systèmes avait déjà été pressentie par S. Gsell, 1913, V, p. 158-159 : « Tout ce monnayage des royaumes masaesyle et massyle se modèle sur celui de Carthage : le système métrologique semble bien être le même, le cheval reparaît sur les bronzes numides, les légendes sont en punique ». L’importance du module de 27-28 mm commun aux dernières monnaies de Carthage, aux bronzes numides et aux as romains d’époque julio-claudienne avait déjà été remarquée par le R.P. Delattre, 1898, II, p. 226 sqq. cité par R. Cagnat, 1909, p. 202.
25 C’est cette cohérence iconographique qui nous a fait attribuer toutes ces subdivisions à l’atelier de Cirta même si certaines d’entre elles portent une effigie diadémée. Le diadème nous apparaît ici comme une simplification du motif applicable par la petite dimension de la gravure.
26 Voir supra, p. 145.
27 Les deux exemplaires que nous connaissons viennent l’un du sanctuaire de Henchir el Hami (no 98 du catalogue sous presse), l’autre de la région de Thuburbo Majus. Le premier (8,40 g) a conservé toute son argenture, celle du second (6,59 g) est moins visible, même si elle reste certaine.
28 On pourrait aussi envisager l’hypothèse d’un essai accompli au début du règne de Juba Ier : cf. infra, p. 179 sur l’introduction du billon par ce roi. Faut-il mettre le poids de 7,5 g en rapport avec celui du shekel (7,6 g) ?
29 D. Gérin, 1989, p. 11 et note 11.
30 La solution viendra de l’étude de plus en plus précise des trésors trouvés aussi bien en Croatie qu’en Afrique du Nord. Il faut, en attendant, se garder de généraliser trop vite. Ainsi, pour D. Gérin (1989, p. 15), qui a par ailleurs le mérite de fournir un catalogue très soigné du trésor de Cherchell, les monnaies anépigraphes au globule (no 18) sont antérieures aux monnaies à légende bilittère (no 12). Cette conclusion reviendrait à attribuer au seul Massinissa la totalité d’un numéraire anépigraphe qui paraît beaucoup trop abondant pour avoir été émis au cours d’un seul règne. Il faudrait également admettre qu’entre 148 et 60 av. J.-C, date de l’avènement de Juba Ier qui inaugurera un nouveau type de monnayage, la Numidie se soit contentée des seules émissions à légende bilittère. Massinissa serait alors non seulement le premier à monétariser efficacement la Numidie, mais aussi le seul souverain à le faire, ses successeurs se bornant à vivre sur cet acquis pendant près d’un siècle si l’on excepte les émissions à légende bilittère. L’hypothèse n’est pas totalement à exclure, mais demanderait de solides vérifications. Une autre position extrême, considérant à l’inverse, les monnaies anépigraphes comme toutes postérieures aux monnaies à légende reviendrait à dater des règnes de Jugurtha, Gauda et Hiempsal toutes ces monnaies anépigraphes, ce qui ne correspond guère, on l’a vu, à l’examen des données métro
31 J. Mazard, 1955, p. 27.
32 L. Müller, 1860, III, p. 31 signale une trouvaille de monnaies de plomb faite à Constantine en 1842. Cette trouvaille est à rapprocher de igch 2304, trouvé à Constantine en 1914, contenant 1400 monnaies de plomb pour 611 de bronze, et de la trouvaille d’Alger faite en 1940 : 154 monnaies de plomb et 4 de bronze. (M. Cantineau, L. Leschi, 1941, p. 263-277 : igch 2303)
33 On rejoint ici l’opinion de S. Gsell, 1913, V, p. 158 pour qui l’abondance des monnaies de plomb et leur thésaurisation laissent supposer un cours légal. On ne croit pas qu’il puisse s’agir de tessères.
34 À cet égard la présence de monnaies de plomb en milieu urbain (cf. note 30 : Alger) montre qu’il n’y avait pas systématiquement d’opposition entre une circulation monétaire de type urbain, accaparant les exemplaires de bon aloi, et une circulation périphérique, rurale, utilisant des monnaies de moindre valeur.
35 On peut, il est vrai, penser que Henchir el Hami se situait hors de la zone de « circulation » de ces plombs.
36 On partage les doutes de G. Camps, 1960, p. 207 sur l’hypothèse de M. Troussel, 1949, p. 129-176, qui voit dans les plombs des frappes effectuées par de petits dynastes locaux.
37 J. Mazard, 1955, p. 35, no 38 y voit une variante du signe de Tanit. D. Gérin reprend cette appellation sous réserves : 1989, p. 15. On retrouve peut-être ce trophée sur une stèle d’El Hofra : A. Berthier, R. Charlier, 1955, no 74, pl. XVII A. Les représentations d’armes sur les stèles et monuments sont fréquentes : F. Bertrandy, M. Sznycer, 1987, no 31, 40, 96, 97, 106, 111, 112 et p. 72-73 ; H.G. Horn, C.B. Rüger, 1979, p. 126-127, 131, 159.
38 F. Coarelli, Y. Thébert, 1988, p. 812-813 après H.R. Baldus, 1979, p. 194-195.
39 A. Berthier, R. Charlier, 1955, stèle XXII A.
40 D. Gérin, 1989, p. 15.
41 Abondante bibliographie sur les symboles accessoires depuis S. Gsell, 1913, IV, p. 358 sqq. ; voir aussi M. Le Glay, 1966, I, p. 153 sqq. et F. Bertrandy, M. Sznycer, 1987, p. 55-78 avec bibliographie.
42 Ce trésor, exhumé récemment, contient 175 monnaies numides de Cirta, pour la plupart en très bon état de conservation. 9 d’entre elles portent la légende mn. S’y ajoute un seul exemplaire de Siga. Les frappes, stylistiquement très homogènes, sont proches, même pour les anépigraphes, des monnaies no 11 à légende mn/ht. Pour une bibliographie des trouvailles, voir P. Visona, 1989, p. 18 sqq.
43 Un exemplaire de Tarhouna a été sectionné pour servir de monnaie divisionnaire.
44 Il manque une étude sur les mines antiques de l’Afrique du Nord comparable au travail de C. Domergue, 1990. Quelques vagues indications chez S. Gsell, 1913, IV, p. 49 et V, p. 157.
45 S. Gsell, 1913, V, p. 155-157 ; G. Camps, 1960, p. 208-209.
46 M.F. Baslez, 1981, p. 160-165. Pour l’époque de Hiempsal II : V.N. Kontorini 1975, p. 89-99.
47 F. Coarelli, Y. Thébert, 1988, p. 764.
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