Le temps des tensions
p. 193-256
Texte intégral
1Le temps des tensions, c’est celui où des facteurs de discorde se manifestent, sans pour autant qu’une crise continue bouleverse les esprits à propos de l’immigration italienne. Les perceptions réciproques se modifient, sans toutefois que cette ligne de pente résume à elle seule les manifestations observables ni même l’état profond de l’opinion publique. Une maturation opère dès la seconde moitié des années trente. D’abord de peu de poids, suggérée par quelques signes singuliers et sans doute fugaces, elle s’accentue et se radicalise durant le temps de guerre. Cette phase marque un retour à l’événementiel, tout au moins à une chronologie plus suivie, conforme à ce qui s’exprime sur le terrain. Si des moments décisifs apparaissent nettement, autour de faits bien identifiables, les processus à l’œuvre demeurent cependant complexes. Une lecture linéaire et univoque resterait insuffisante pour déchiffrer les tendances antagonistes qui interviennent. Bien plus qu’un panorama, c’est donc une dynamique qu’il faut essayer de reconstituer, pour suivre les effets d’engrenage qui prennent les esprits et en dégager la résultante, sans effacer les ambivalences éventuelles. La limite d’une telle démarche vient de ce que l’on s’attache surtout à faire ressortir les éléments émergents, moteurs de possibles recompositions, donc les points de rupture, les manifestations aiguës, alors que le fond de permanences est laissé dans l’ombre de la démonstration. Le risque serait de confondre ces deux aspects, d’oublier la part réductrice de l’analyse et la tendance, inévitable, à ne faire porter l’éclairage que sur les transformations en cours.
LA DÉGRADATION DE LA SITUATION INTERNATIONALE
2Dans la seconde moitié des années trente, la politique extérieure de Mussolini conduit les rapports diplomatiques franco-italiens dans une zone de turbulences. Cette évolution influe à son tour sur les perceptions réciproques. Les crises internationales à répétition, le crescendo des tensions, rendent bientôt prépondérant ce facteur. On peut sans difficulté y voir un contrecoup de la montée des périls qui pèse, là comme ailleurs : Français et Italiens sont pris dans l’étau d’un contexte politique qui se dégrade à l’échelle européenne. Les préoccupations politiques occupent alors une place centrale. Une telle polarisation montre l’étroitesse de ce qui peut devenir objet d’opinion, c’est-à-dire d’abord sujet d’intérêt. L’évocation de l’immigration italienne dans la presse régionale n’obéit quasiment plus qu’à une seule sollicitation : les événements mettant en cause le régime fasciste sur la scène internationale. Alors que l’intégration va son train, ce sont les effets en retour des affaires extérieures qui font resurgir la question et déterminent des clivages marqués.
La guerre d’Éthiopie
3Loin d’être un événement ponctuel, c’est au contraire une affaire à rebondissements, du contentieux de l’été 1935 à la guerre ouverte début octobre, puis à la proclamation de l’Empire italien d’Abyssinie après la chute d’Addis-Abeba en mai 1936. Les antifascistes se mobilisent précocement, ces débordements venant donner raison à leurs mises en garde contre la politique française de rapprochement avec l’Italie. Dès mars 1935, la section toulousaine du PSI approuve le projet du Comité de coordination pour l’unité d’action de convoquer un grand congrès de l’Italie émigrée contre la menace de guerre. Les préparatifs impérialistes réveillent aussi l’activisme des militants. Quelques-uns sont surpris à tracer des graffitis hostiles à Mussolini sur le parvis de la cathédrale, au sortir d’une cérémonie consulaire. La Fédération « Matteotti » du Sud-Ouest adopte bientôt une motion qui « dénonce à l’opinion publique l’imminence et la gravité du risque de guerre en Abyssinie, voulue et méthodiquement préparée par le fascisme italien contre la volonté du peuple italien459 », puis entreprend une tournée d’information à ce sujet dans la région. Né du regroupement des partis en exil, le Comité d’action contre la guerre qui se constitue alors est aussi à l’origine d’initiatives publiques. Le 30 novembre, de nombreux émigrés viennent écouter à Toulouse le témoignage des délégués régionaux revenus du congrès général contre la guerre à Bruxelles. Une motion pacifiste est adoptée et des réunions semblables se déroulent les jours suivants dans différentes localités460.
4À l’autre bord, ce conflit est l’occasion d’une propagande renouvelée des autorités italiennes. L’épopée impériale devient la grande affaire du régime et sa vitrine nationaliste. Nouveau champ d’expansion pour le peuple latin, la conquête s’offre aux Italiens de l’extérieur, sommés de resserrer les rangs derrière la mère-patrie. Ce thème est naturellement relayé par les consulats et les fasci qui organisent des réunions de sensibilisation tandis que les officiels font la tournée de l’arrière-pays. Vers l’Abyssinie !, documentaire sur « l’œuvre civilisatrice » italienne, est projeté gratuitement à Toulouse, avant de circuler dans la région461. Mais le patriotisme de l’organe missionnaire n’est pas en reste qui diffuse aussi cette bonne parole, retournant les responsabilités selon une subtile casuistique. La politique des sanctions est dénoncée, alors que le silence du pape est salué comme pacifiant. Quand le démocrate don Sturzo condamne la guerre au nom de la morale chrétienne, don Torricella exige justice et charité pour l’Italie elle-même, privée des territoires qui seraient nécessaires à sa croissance démographique462. Cette position pèse sans doute lourd dans les campagnes du Sud-Ouest où Il Corriere reste très lu. Suite aux sanctions décidées par la SDN à la mi-novembre, l’Italie assume une politique autarcique et l’ambassadeur de Rome à Paris lance un appel pour que chacun participe à l’effort de guerre. La campagne pour recueillir des fonds est plus impérieuse qu’aucune autre : tout Italien est appelé à y répondre, les émigrés comme les autres. Cette collecte est l’occasion de cérémonies ostentatoires lors de la remise solennelle du diplôme d’honneur aux donateurs et de l’alliance d’acier qui remplace celle offerte, scellant symboliquement des épousailles patriotes. Au consulat général, le missionnaire est là pour bénir les participants. Des cérémonies comparables se déroulent dans toutes les agences consulaires. Les quelques engagements volontaires sont acclamés, à l’exemple de celui du secrétaire et de neuf membres du fascio de Montauban dans la légion Tevere. Enfin, terme de la conquête territoriale et point d’orgue de celle de l’opinion, la prise d’Addis-Abeba le 6 mai 1936 est fêtée comme une grande victoire nationale, 400 personnes se réunissant au consulat général463. L’aventure abyssine s’intègre ainsi à la geste fasciste.
5Côté français, l’opinion publique évolue bien vite de la curiosité à l’indifférence, de la préoccupation au détachement. La montée des tensions suscite l’attention, le temps que la crise se noue. Pendant l’été 1935, les événements passent le seuil des préoccupations décelables, d’abord avec le faible impact de tout problème international en comparaison des questions intérieures. Mais l’intérêt croît à mesure qu’on en découvre la gravité, c’est-à-dire le risque de voir ce problème lointain faire tache d’huile : « la population souhaite que la Société des nations puisse [le] résoudre sans conflit, sans quoi elle se doute instinctivement des complications464 ». Au début des hostilités, à la mi-septembre, tous les rapports confirment que les gens espèrent une issue pacifique, c’est-à-dire un moindre retentissement sur l’équilibre entre puissances européennes. Ce point de convergence transcende les clivages idéologiques et masque les divergences de fond.
« L’attitude des protagonistes est jugée différemment suivant les opinions de chacun, mais tous, sans exception, font des vœux en faveur d’une solution amiable du différend et souhaitent que l’affaire demeure strictement localisée465. »
6L’intérêt retombe vite ensuite pour un conflit qui ne semble plus risquer de dégénérer. Au printemps, les ultimes batailles et la défaite du Négus ne représentent plus grand chose. En guise d’épilogue, l’adhésion du gouvernement français à la levée des sanctions contre l’Italie est enregistrée avec satisfaction.
« Nombreux sont ceux qui pensent désormais qu’il sera possible de reconstruire le Front de Stresa, de poursuivre la conclusion des pactes régionaux d’assistance mutuelle, de réorganiser le système de la sécurité collective auquel l’opinion demeure fidèle466. »
7Ces données mesurent les limites du soutien que les antifascistes peuvent rencontrer. Les réactions traduisent un sentiment pacifiste très ancré dont la lointaine Afrique fait les frais, et l’imaginaire colonial empêche de trop s’en offusquer. Si la politique expansionniste de Mussolini provoque donc des craintes, elle ne suscite pas encore l’hostilité à laquelle on pourrait s’attendre. Le risque est plutôt mis au compte de la réaction trop ferme, pas assez compréhensive, des autres nations. Loin d’apporter crédit au discours des fuorusciti, l’épisode éthiopien marque une étape supplémentaire dans la logique des renoncements. Dans un tel contexte, ces événements n’ont pas de répercussions décisives sur la manière dont sont perçus les immigrés.
8Il faut aussi prendre en compte le regain d’activité des Comités France-Italie qui appellent à la neutralité, justifiant plus ou moins ouvertement l’impérialisme italien par référence au pacifisme et à la fraternité latine. Les notables conservateurs qui les animent témoignent du positionnement complexe de ces milieux charnières et des alliances qui s’y nouent. Celui constitué à Pau à ce moment-là est parfaitement représentatif : les présidents de l’association des anciens combattants, du Comité de la foire ou de la Chambre du commerce de l’automobile s’y retrouvent aux côtés du dirigeant local de l’ANCI, d’un commerçant italien et de l’agent consulaire qui en est président d’honneur467. La solidarité est prouvée par l’exemple, autour de signes tangibles qui la mettent en scène. Pendant la campagne de collecte de l’or, le vice-président du comité toulousain, ancien consul honoraire et « père de l’immigration », va ostensiblement déposer un don au consulat468. Un Comité contre les sanctions, « ruineuses et dangereuses », diffuse aussi une pétition signée notamment par plusieurs Chambres de commerce méridionales. Tout ceci n’a pas directement à voir avec la population immigrée, mais contribue à conditionner l’évolution de l’opinion en la matière, car le discours développé à cette occasion participe à désamorcer par avance les répercussions. Encore une fois, ce sont les secteurs traditionnellement les plus xénophobes qui travaillent à faire baisser la tension. Si on regarde au résultat d’ensemble, les réactions envers les immigrés renvoient pour beaucoup au positionnement original des milieux conservateurs à l’égard de l’Italie et du fascisme.
9À cette occasion, La Dépêche offre à nouveau une tribune à l’antifascisme : les éditoriaux de une de Guglielmo Ferrero font entendre au lectorat méridional la voie des exilés qui « pendant dix ans ont expliqué qu’un régime comme celui qui gouverne l’Italie devait aboutir à une guerre469 ». Amer satisfecit pour ceux qui ont toujours dénoncé les illusions de la politique de conciliation, jusqu’aux récentes négociations à Stresa au printemps 1935. L’argumentaire vise à démontrer que, malgré la propagande pour faire adhérer les masses au « mirage colonial », la majorité se désolidarise et refuserait de prendre les armes. Distinguer le peuple italien de ses maîtres, dédouaner les émigrés de la politique de leur pays d’origine : l’enjeu d’opinion est bien toujours le même. Les radicaux ont pour ligne de réclamer l’arbitrage de la SDN et de dénoncer le nationalisme belliqueux, Mussolini étant accusé d’être seul fauteur de guerre. Mais ces positions de principe sont tempérées par le rappel d’une fraternité latine et l’idée que l’intérêt bien compris des deux peuples européens voisins impose de s’affranchir des passions de l’actualité. Le décalage est donc net entre l’antifascisme des exilés et celui d’inspiration radicale. Le malentendu perdure pourtant, voilé sous un consensus ambigu.
10Plus à gauche, les proscrits sont encore une fois associés à une démarche conjointe. Un grand meeting pour la paix est organisé le 20 octobre au Capitole par les socialistes et les communistes. Preuve d’un enthousiasme intact, Nenni et Antonini sont ovationnés par la foule « en délire470 ». Mais l’intérêt s’émousse ensuite, sans disparaître tout à fait. De ce côté, quelques idées fortes servent de repères collectifs : le discrédit du gouvernement français, complice de l’intervention impérialiste, et la menace de guerre, redoublée du péril autoritaire en France même. Réactivant la crainte du danger factieux de février 1934, l’excitation des esprits peut entraîner des rumeurs, comme l’imminence de « raids » fascistes contre les organisations syndicales471. La logique pacifiste impose donc sa ligne de conduite, se déplaçant au gré des inquiétudes, de la défense du peuple éthiopien à celle de la paix mondiale, primordiale. La réaction préconisée est le front commun contre le fascisme, appelé désormais Front populaire. De ce point de vue, cette période de maturation marque une étape pour l’évolution en France même : la nécessité de l’alliance à gauche en sort renforcée, prête à s’imposer. Qualifié pudiquement de « règlement diplomatique », le terme du conflit italo-éthiopien réalise en tous points les projets mussoliniens. Mais cela passe au second plan car l’antifascisme rejoint une préoccupation d’abord intérieure, selon des repères plus faciles à manier.
« Une certaine détente paraît se manifester en ce qui concerne le consulat dans les milieux extrémistes dont les préoccupations actuelles semblent venir du fascisme français plutôt que du fascisme étranger472. »
11En dévoilant les visées expansionnistes et le caractère incontrôlable du régime, la guerre d’Éthiopie porte un coup à l’idée de séparer l’Italie de l’Allemagne par une politique conciliante. Jusqu’alors, toutes les tendances, à l’exception des communistes, restaient favorables à l’idée d’un rapprochement. La diplomatie d’apaisement que semblait privilégier Mussolini en renforçait l’espoir. Pour la gauche, bien sûr, il a désormais jeté le masque : conquérant, déstabilisateur pour l’Europe. Mais l’appréciation ne procède pas seulement de ce jugement rationnel, reconstruit a posteriori. Le désir pacifiste est si fort que l’opinion peine à reconnaître les fauteurs de guerre et préfère se bercer d’illusions. Dans les courants modérés ou conservateurs, la latinité et la fraternité d’armes empêchent de rejeter tout contact, l’espoir d’un rapprochement garde la faveur de beaucoup. Ainsi, le contrecoup entre Français et Italiens est indirect, et pas forcément là où l’on pourrait croire. Dans le Sud-Ouest, tout indique que cet événement n’a pas marqué un tournant essentiel, ni une première en matière de visibilité politique des fuorusciti, déjà associés auparavant aux démonstrations symboliques de la gauche. La passivité l’emporte plutôt dans la façon dont la plupart des Français perçoivent la situation. Ce n’est donc pas cette fois-là que l’immigration fait les frais des aléas de la diplomatie du pays d’origine, pas non plus là que les antifascistes parviennent à faire changer les lignes de partage ni à gagner sensiblement sur l’opinion dominante.
La guerre d’Espagne
12Suivie dans le Midi sur un mode passionné, la guerre d’Espagne marque profondément les esprits. Même si son incidence n’est évidemment que très marginale sur les rapports entre Français et Italiens, elle participe à relancer l’audience et l’activité des antifascistes et s’accompagne dans l’opinion de phénomènes troubles qui préfigurent ceux de la drôle de guerre. Ces évolutions discordantes, en partie paradoxales, montrent encore la complexité des cheminements à l’œuvre et l’échec des lectures trop linéaires qui en seraient faites.
13L’affaire est d’emblée déterminante aux yeux des fuorusciti qui voient dans l’Espagne la cause de tous, puisque la république du Frente Popular joue l’avenir de la liberté européenne. Mais cette position, partagée en théorie par la gauche française, se double d’une motivation supplémentaire. Une fois établi que l’armée mussolinienne épaule les putschistes, l’engagement au sud des Pyrénées offre le moyen d’en découdre directement avec le fascisme et de répondre enfin à sa violence les armes à la main473. Dès la mi-août 1936, une colonne italienne est constituée par Giustizia e Libertà, les anarchistes et les maximalistes. Sous la direction de Carlo Rosselli, elle prend part au combat des Républicains jusqu’à sa dissolution à la fin de l’année. En octobre, les partis socialiste, communiste et républicain, constituent un corps italien autonome au service du gouvernement espagnol. Rassemblant environ un demi-millier d’hommes, ce bataillon Garibaldi s’engage sur le front de Jarama, lors du siège de Madrid, puis à Albacete. Amedeo Azzi, un socialiste exilé en Midi toulousain, en est le commissaire politique jusqu’à ce qu’il regagne la région après avoir été blessé en février 1937. Des militants se portent volontaires, issus de différentes tendances politiques. Leur combat est clair : liberté et révolution sociale, comme le disent les lettres envoyées à la Fédération régionale socialiste474.
14Cette cause soude les exilés. Dès les premiers jours de l’insurrection, ils constituent à Toulouse un Comité d’assistance aux combattants italiens en Espagne, issu de l’unité d’action et rassemblant toutes les tendances : LIDU, PSI, PCd’I, GL, parti républicain, groupe libertaire. Sa première motion affirme sa solidarité totale avec la république espagnole et sa volonté de tout mettre en œuvre pour la soutenir475. Il est bientôt complété par un Comité régional d’assistance aux familles de ces volontaires, dirigé par Bertoluzzi et Trentin. Les réseaux militants s’activent. Au terme d’une année d’efforts, plus de 20 000 francs ont été dépensés par la Fédération du Sud-Ouest « Matteotti », l’essentiel provenant de souscriptions spéciales, preuve que la cause républicaine rencontre un fort soutien auprès des émigrés476. Ces groupes politiques se retrouvent sur l’essentiel, dénonçant le « lâchage » des démocraties occidentales et la stratégie de non-intervention, expliquant que le fascisme est voué par nature à se propager. Ils tentent de sensibiliser l’opinion sur le scandale de la participation de troupes italiennes aux côtés des putschistes. Dans un papillon en italien apposé en plusieurs endroits de Toulouse, l’argument humanitaire le dispute à la dénonciation patriotique d’une armée nationale détournée de son rôle :
« Les aviateurs italiens, envoyés par le gouvernement italien, ont jeté ces jours-ci des tonnes de bombes sur la ville de Madrid, massacrant et estropiant des milliers de femmes et d’enfants. L’armée italienne est composée de soldats et non d’assassins477. »
15Cette mouvance reste extrêmement mobilisée : par conviction idéologique, par les volontaires engagés sur le terrain et les premiers morts au front, par les informations qui circulent, l’Espagne demeure au cœur des préoccupations. Amedeo Azzi partage dès son retour son expérience avec les militants en entreprenant une tournée dans la région478. La victoire contre l’armée mussolinienne à Guadalajara devient pour longtemps un des hauts faits d’armes de l’antifascisme italien et un lieu mythique de son combat. Quant à la solidarité, elle se donne à voir de toutes sortes de manières : que la Fédération socialiste envoie aux combattants italiens de la région un « bouquet de l’espérance » ou que sa section toulousaine organise une « soirée rouge » pour la République lors du premier mai de la guerre civile. La guerre d’Espagne est essentielle à plus long terme. Les contacts sont pris, les références communes établies. L’internement des Garibaldiens à leur retour en France y contribue dans l’épreuve. En juillet 1939, ceux-ci prennent l’initiative de se réunir à Montauban avec des miliciens espagnols libérés ou échappés des camps de rétention, afin de réaffirmer une alliance partagée désormais dans l’exil des proscrits479. En ce sens, cette expérience active la maturation de l’antifascisme dans sa dimension internationale. C’est particulièrement vrai dans le Sud-Ouest, en pointe au moment de la guerre civile, devenu par la force des choses la principale zone de repli des brigadistes et des miliciens après la défaite.
16Reste à voir les répercussions côté français. Aux beaux jours du Front Populaire, les fuorusciti pourraient sembler assurés d’être en phase avec l’opinion. Mais la non-intervention vient vite compliquer les choses, radicalisant d’un seul coup leur position. Après le tournant conservateur pris par le gouvernement Chautemps, les autorités redoutent le risque d’une contamination politique qui pourrait entraîner une implication dans le conflit. Noyés dans la masse des « rouges » de tous types, les antifascistes italiens font les frais de cette suspicion. Des avis de recherche laissent voir la crainte qu’ils ne développent des réseaux clandestins anarchistes, ou ne transforment le Midi en zone de repli pour des agitateurs. Pour le reste, le conflit au sud des Pyrénées semble surtout réactiver l’animosité contre le fascisme italien. Que quelques libertaires toulousains essayent de gêner un match de foot impliquant le club universitaire de Bologne n’est qu’anecdotique480, mais les milieux fascistes redoutent d’être la cible de débordements : à l’hiver 1936, des émigrés préviennent les autorités consulaires du risque de voir les communistes de l’Aude exercer contre eux des représailles481. L’effet d’entraînement semble plus large encore. Un peu en sommeil depuis les années vingt, la crainte resurgit de voir le fascisme italien s’implanter en France. Les préfets méridionaux soupçonnent certains émigrés de collusion avec les services italiens ou allemands et avec des émissaires du général Franco ; des instructions laissent entendre que des agents de l’OVRA assureraient le ravitaillement des putschistes depuis le secteur pyrénéen482. Ces informations, qui avivent la vigilance des autorités locales, contribuent peut-être à entretenir une méfiance diffuse.
17Cette tendance apparaît dans un département frontalier comme l’Ariège. Des Italiens y sont concentrés sur des chantiers de montagne, isolés des populations environnantes, soumis à l’emprise de leurs autorités de tutelle. Plusieurs rapports confirment qu’une partie de ceux employés aux travaux d’Auzat, pour le compte de la Société hydroélectrique des Pyrénées, sont recrutés par l’entremise des consulats et placés sur leur « recommandation », quelques-uns étant des sympathisants, en particulier l’ingénieur italo-suisse chargé de la direction483. Ce contexte suffit à laisser apparaître des phénomènes de rumeurs en haute Ariège où la menace peut prendre le visage de l’Italien. À l’automne 1937, l’arrestation dans le département d’un Transalpin suspect d’activisme pro-franquiste fait monter la tension. Le bruit court alors dans les milieux de gauche que le fascisme italien a investi la région comme base arrière pour monter des « coups tordus » contre la République espagnole : on évoque une réunion secrète à Foix, l’idée se répand que la vallée de Vicdessos, en amont d’Auzat, leur servirait de repère. La surveillance se renforce dans la crainte d’actes terroristes, le chantier est perquisitionné plusieurs fois. Ces rumeurs sont démenties par les services de renseignements, mais les soupçons ne cessent pas. Jusqu’à la fin du conflit, les ouvriers transalpins font craindre une « cinquième colonne » franquiste. À l’automne 1938, un rapport de police note encore que les milieux de gauche des vallées d’Ax et de Foix redoutent un coup de force de ces Italiens contre la République espagnole.
18Ainsi, l’influence de la guerre d’Espagne est duale. Occasion d’un engagement exceptionnel de la part des exilés, ceux-ci offrent un bel exemple aux Français de même sensibilité. Mais le contrecoup de la participation de l’Italie aux côtés de l’armée franquiste se fait sentir. Preuve encore une fois de la complexité d’évolutions paradoxales, les projections auxquelles ce conflit donne lieu s’alimentent à la marge de la figure du fasciste italien, en passe de devenir un archétype suscitant des peurs fantasmatiques. Ce n’est bien sûr qu’un aspect très particulier, même marginal, des réactions de l’opinion méridionale à la guerre civile. Mais l’effet de contrecoup laisse des traces et peut se lire comme le signe avant-coureur d’une évolution qui ne fera que s’amplifier. Pour les Français, le fascisme italien, au sens du fascisme dans l’émigration italienne, n’englobe déjà plus les mêmes référents. Partant, il ne déclenche plus les mêmes inquiétudes ni le même rejet. De l’obstacle identitaire à l’assimilation, on passe à l’image de l’ennemi pur et simple, ce qui est nouveau. La représentation dérive : d’une nuisance circonscrite, limitée à la colonie immigrée, elle tend à évoquer un péril aux contours imprécis mais qui pèserait directement sur la communauté nationale.
Différents franco-italiens et regain du nationalisme fasciste
19Tandis que la situation internationale se dégrade, un nouveau pas est franchi quand les relations franco-italiennes sont directement en cause. Le 30 novembre 1938, le comte Ciano, ministre des Affaires étrangères et gendre de Mussolini, prononce devant la Chambre un discours mentionnant les « aspirations naturelles du peuple italien ». Le régime relance alors ses revendications sur Nice, la Savoie, la Corse, la Tunisie ou Djibouti, relayé par un déchaînement nationaliste et des manifestations anti-françaises dans la Péninsule. L’Italie se place en outre aux côtés de l’Allemagne nazie, anéantissant les efforts pour l’ancrer à la France : ralliement au pacte anti-Komintern (novembre 1937), voyage d’Hitler à Rome et consolidation de l’alliance des puissances fascistes (mai 1938), crise de Munich durant laquelle Mussolini soutient les aspirations pangermanistes sur les Sudètes (septembre 1938), invasion de l’Albanie (avril 1939), accord militaire germano-italien dit « pacte d’acier » (mai 1939). Une telle compilation souligne a posteriori la cohérence profonde des événements. Pourtant, ce qui est reconstruction doit être pris comme tel, c’est donc un rappel pour mémoire dont il reste à mesurer les effets. Les premiers signes passent peut-être inaperçus et n’ont encore que peu d’influence face à l’aveuglement pacifiste qui domine les attitudes collectives. Mais la fin de l’année 1938 marque une dégradation sensible, à tel point que la situation s’inverse. Il semble alors que la signification accordée aux faits outrepasse leur matérialité. Ce qui est en cause – parce que perçu comme tel par les contemporains – c’est bien, déjà, le risque d’une guerre franco-italienne. Les rumeurs, devenues persistantes, ne font que s’amplifier jusqu’à l’été 1939, à tel point que les lettres reçues du pays d’origine par des fuorusciti « sont toutes remplies de bruits et d’appréhension de guerre avec la France484 ». C’est sur ce fond d’anticipations qu’on doit interroger les comportements rencontrés et évaluer les mouvements de l’opinion.
20Le gouvernement italien revient donc à un nationalisme agressif. Les discours de propagande, certes pas nouveaux, reprennent avec force. Le culte de la personnalité de Mussolini se décline de l’exaltation du chef à la célébration du père de la patrie, identifié dans un rapport fusionnel à son peuple. Les autorités consulaires louent son œuvre grandiose, les anciens combattants lui prêtent serment d’allégeance :
« Ô notre bien aimé Duce, nous vous renouvelons notre dévouement et notre éternelle fidélité. Nous vous servirons et vous suivrons partout et toujours avec courage et fidélité. Salutations fascistes des combattants de Toulouse485. »
21Autre élément récurrent des allocutions officielles : l’attachement à la mère-patrie. Au-delà de la préservation de la nationalité, c’est le thème de l’indéfectible fidélité aux racines, couplé à celui de la fierté patriotique. Les émigrés sont invités à révérer le drapeau national, à travailler dur pour envoyer de l’argent au pays, et surtout à faire vivre les valeurs de « l’italianité », afin de les transmettre intactes :
« Il faut élever nos fils dans le culte du fascisme pour qu’ils deviennent de vrais Italiens dignes de la grandeur de notre Duce. Nous devons être fiers d’être Italiens, fiers de notre race, fiers de notre pays486. »
22Motif connexe : le prestige retrouvé de la Patrie, cette Italie nouvelle régénérée par le fascisme. Tenue par un gouvernement ferme, la société serait redevenue prospère, « énergique », l’ordre et la discipline ayant triomphé de l’anarchisme révolutionnaire. La conquête de l’empire joue là un rôle capital, cette possession conférant le statut de grande puissance et laissant présager une domination plus vaste. Surtout, il est dit que le Duce a voulu les nouvelles terres pour que son peuple ne soit plus obligé de s’expatrier. Concrètement, le « plan Ciano » doit favoriser un rapatriement massif. Les autorités consulaires font tout pour convaincre les émigrés, allant jusqu’à vanter les salaires supérieurs à ceux pratiqués en France. Pour le public paysan installé dans le Midi, l’accent est mis sur la situation des campagnes et de l’agriculture, bouleversée par les progrès effectués. Depuis la bataille du grain et les grands travaux de bonification des terres, la Péninsule aurait rompu avec l’archaïsme rural qui a forcé tant de paysans au départ, offrant désormais des espaces à peupler :
« M’adressant plus particulièrement à des cultivateurs, laissez-moi vous dire que l’Italie nouvelle n’est pas celle que vous avez connue au moment de votre exil. Alors que les larmes aux yeux vous avez dû vous expatrier pour venir chercher votre pain quotidien, sachez qu’aujourd’hui, grâce à l’effort persévérant de vos compatriotes, l’Italie de Benito peut désormais vous accueillir. Pour vous, elle a conquis un empire !487 »
23Cette politique s’appuie sur des promesses matérielles censées garantir les conditions du retour. Le consulat général informe des « avantages » concédés : gratuité du voyage, emploi assuré, prime de 1 000 francs488. Les chefs de famille volontaires sont réunis à la Maison des Italiens pour recevoir ces indemnités et le contrat de travail, les convois quittent la gare en présence du consul et du secrétaire du fascio. Mais un second volet du plan est moins souvent évoqué. Non plus seulement un encouragement au retour, mais le bruit propagé d’un rapatriement d’ensemble le moment venu. Début 1938, le consul général de Toulouse réunit secrètement les officiers de réserve installés dans la région pour leur faire connaître les consignes dans l’éventualité d’une mobilisation489. Les autorités laissent entendre qu’un plan général serait appliqué et que tous leurs ressortissants doivent se tenir prêts au départ. L’information circule dans la colonie : à un Italien des Landes s’inquiétant de ce qu’il adviendrait en cas d’embrasement, l’agent consulaire de Pau annonce qu’ordre serait donné à tous de rentrer au pays490. Comme toujours, plusieurs formes d’incitations ou de pressions accompagnent cette politique. Ainsi, les démarches du vice-consul d’Auch auprès des ouvriers des chantiers pyrénéens, offrant 300 francs à ceux qui signeraient la promesse de se faire rapatrier en cas de conflit491.
24Quelques faits divers confirment qu’un regain de nationalisme traverse le milieu émigré. Ramenant le temps de l’ostentation, des gestes provocateurs affichent la fierté italienne. Slogans et graffitis fleurissent, tels les cartons inscrits « Place d’Italie » ou « Rue du Duce » apposés de nuit à Montauban492. Mais ce genre de bravades ne touche pas que les villes. Dans un petit village ariégeois, aussi, un fermier est surpris en train d’écrire « Vive Mussolini chef de l’Europe ! » sur la porte de la mairie493. Des attitudes de défi compliquent encore les relations. À Pau, les frasques du président du fascio troublent la population. Pendant la crise de Munich, il fait en plein café l’apologie de son parti, jusqu’à ce que des consommateurs indignés le chassent en lui disant de retourner dans son pays. Commerçant en postes TSF, il fait hurler la radio quand sont retransmis les discours du Führer et répond crânement aux mécontents « qu’un bersagliere vaut bien un officier français ». Ses provocations sont telles qu’un rapport de police conclut qu’il faut craindre des violences à son encontre. L’audience du fascisme reste pourtant faible dans la ville : au printemps suivant, seule une vingtaine d’Italiens répond à l’invitation de l’agent consulaire pour l’anniversaire de la création des fasci494. Ce cas illustre le rôle de quelques individus déterminés ou exubérants. Atypiques par rapport à la colonie, ils lui donnent pourtant – en négatif – une bonne part de sa visibilité et contribuent à fausser les perceptions de l’opinion. Ces comportements se produisent aussi entre relations de voisinage ou de travail. Ainsi, un trio d’Italiens employés à l’usine de Soulom (Hautes-Pyrénées) multiplie les fanfaronnades, exaltant les États fasciste et nazi, disant en substance aux autres ouvriers :
« Nous sommes venus en France, nous Italiens, pour vous civiliser. Vous pouvez partir en guerre, nous resterons, nous, pour garder vos moutons et soigner vos femmes ! Les Français seront au front et nous resterons à l’usine !495 »
25À Tardets (Basses-Pyrénées), c’est un scieur qui indispose la population en vantant la supériorité militaire et économique de l’Italie. On retrouve là ce milieu de l’émigration temporaire qui se montre évidemment plus perméable aux séductions du régime. Mais les forestiers ne sont pas seuls en cause. Dans les environs d’Oloron, un fermier se fait remarquer en affichant son admiration pour l’Axe et son mépris de la France, dont il dénigre la valeur militaire496. Le sujet suscite plus de frictions à mesure qu’augmentent les menaces. Un industriel de Mauléon-Barrousse (Hautes-Pyrénées) signale que neuf de ses bûcherons ont déclaré à leurs camarades qu’ils rejoindraient sur le champ leur pays pour prendre les armes contre la France en cas de conflit497. Ces démêlés montrent ce qui fait la matière et le motif des tensions : soutien aux régimes ennemis, atteinte aux symboles nationaux (l’armée), insinuation humiliante que les Français ne seront bientôt plus maîtres chez eux. Les propos de ce genre renouvellent les motifs d’altercation. Mais c’est l’éventualité d’une guerre, évoquée dans bien des cas, qui envenime le résultat des quelques bravades nationalistes qui s’expriment à la base.
Soupçons, crispations et coexistence
26L’hypothèse a été émise que l’assassinat des frères Rosselli en juin 1937 aurait provoqué un choc pour l’opinion française, la prise de conscience de la menace clarifiant les perceptions et entraînant un sentiment de solidarité avec les fuorusciti498. L’exemple du Midi toulousain ne confirme pas cette idée, sauf à en expliciter la teneur et les mécanismes, bien plus compliqués qu’il n’y paraît. Si les attitudes pro-mussoliniennes sont de moins en moins tolérées, il n’est pas sûr que le ressort profond soit exactement ou toujours une prise de conscience antifasciste, et encore moins que la conséquence soit un basculement de l’opinion en faveur des Italiens présents, fussent-ils exilés. On retrouve, encore renforcées, les ambiguïtés rencontrées pendant la guerre d’Éthiopie.
27La presse du Midi toulousain adopte dans l’ensemble une position d’apaisement qui distingue les Italiens présents, pacifiques et bienfaisants, de leur État d’origine, belliciste et provocateur. Même si les conséquences de la politique nationaliste sur cette communauté provoquent des inquiétudes, elle évite tout dérapage. Les représentations perdurent à peu de choses près : les proscrits pour le journal socialiste, beaucoup d’articles étant repris du Populaire499 ; les paysans qui ont relevé les terres gasconnes délaissées selon les autres organes de presse. Un hebdomadaire modéré du Gers – et fort peu xénophile – loue leur apport fertilisant, indispensable à l’équilibre du monde rural, concluant d’une formule sur cette présence étrangère dans les campagnes : « Reprise de vie en France, reprise de mort en Italie500 ». La Dépêche annonce avec un peu de dérision les initiatives mussoliniennes pour re-nationaliser l’émigration, alors que l’assimilation va son cours. L’incitation à consommer italien afin d’aider l’épargne nationale semble une loufoquerie de peu de poids, les premières mesures pour le rapatriement sont commentées sans alarme particulière501. Le journal fait par contre écho aux déclarations des antifascistes qui désavouent l’excitation anti-française entretenue chez eux, transformant ces noyaux militants en porte-voix de l’immigration toute entière502. Les organes catholiques et conservateurs de la région se félicitent de même du peu de cas que les émigrés font des injonctions de leur État d’origine :
« Les Italiens réclament des territoires, mais ils viennent en si grand nombre qu’ils veulent dans nos pays et s’y trouvent mieux qu’en Italie503. » « Cette agglomération ethnique nourrit le désir de rester en France. Elle garde des attaches sérieuses avec la première patrie mais aime la seconde. Quand on lui propose de rentrer en Italie, elle refuse et sollicite la naturalisation. Quand on lui parle d’une guerre franco-italienne, elle se révolte et lance un appel aux Italiens de France504. »
28Constatant ensuite l’échec du plan de rapatriement, La Garonne se félicite sur trois colonnes à la une que « les Italiens immigrés ne soient pas décidés à porter les armes contre nous ». La « véritable armée italienne » qui vit dans la région ne suscite pas crainte mais fierté en confortant la supériorité du « pays d’adoption » :
« Quand M. Ciano demande aux 80 000 Italiens résidant dans notre Sud-Ouest de rentrer au pays, 75 répondent à son appel, les autres préfèrent les douceurs de la vie française aux « avantages » de l’Éthiopie ! […] C’est une chose réconfortante de voir que les efforts faits pour nous arracher les Italiens soient restés vains505. »
29Ainsi, si le discours dominant de la presse régionale tend bien à faire de l’immigration italienne un enjeu, c’est celui d’une victoire remportée contre le nationalisme mussolinien dont elle signe l’échec. Ce réflexe, en partie très chauvin, contribue à adoucir les inquiétudes et à maintenir la balance du côté d’une appréciation positive. Cela ne veut pas dire que la presse évacue totalement la tension ambiante. Des interrogations percent sur les relations concrètes entre Français et Italiens, et sur l’avenir de leurs rapports en cas de guerre. Mais ces appréhensions ne prennent pas le dessus et ne deviennent jamais l’essentiel du message. Au moment de l’invasion de l’Albanie, même des journaux conservateurs retransmettent l’appel des antifascistes aux Italiens de France. À l’été 1939, au plus fort des bruits de guerre, le quotidien radical rend compte des grandes manifestations organisées par l’UPI à Paris et Lyon, gardant confiance dans le loyalisme de l’immigration :
« Fidèles à l’hospitalité française, ils refusent de retourner en Italie comme le réclame Mussolini […] ils manifestent à leur patrie d’adoption leurs sentiments de loyalisme et d’affection506. »
30Le traitement de la question par la presse régionale peut donc s’entendre de deux manières. La préservation d’un jugement favorable, modéré et confiant, agit certes comme un élément lénifiant. En même temps, ce parti pris contribue à masquer les dérives, certes ponctuelles, qui répondent déjà à une toute autre logique et à des représentations qui n’ont plus rien à voir. Car les tensions diplomatiques provoquent incontestablement une flambée d’hostilité réciproque sur le terrain. En réponse aux démonstrations anti-françaises de Rome, une manifestation réunit début décembre 1938 plus de 1500 personnes à Toulouse avec des slogans patriotiques pour la Corse et la Tunisie, et seule la présence des forces de l’ordre les dissuade d’aller faire le coup de poing devant le consulat507. Des incidents apparaissent aussi à l’encontre de « mussoliniens » notoires. Venant d’un Italien, la moindre attitude pouvant suggérer le nationalisme est mal reçue, surtout si elle semble attester une orientation fasciste. Au printemps 1937, par exemple, une vingtaine de personnes s’attroupe en criant « Au poteau ! Saligauds ! Mussolini ! » devant la maison d’une famille de Soupetard (Haute-Garonne)508. À la même époque, des incidents marquent le passage au nord-ouest de l’agglomération toulousaine d’un autobus d’enfants se rendant à une fête du consulat général. S’offusquant des chants nationalistes, les gens conspuent le fascisme et Mussolini. Cette hostilité n’émane d’ailleurs pas que de Français, puisqu’un maire doit intervenir pour séparer des Italiens du convoi et un autre, habitant la commune509. Mais le domaine politique n’est pas seul en cause, ni la focalisation seulement idéologique, car le clivage, rationnel à l’origine, prolifère au-delà, englobant des manifestations à la fois plus ténues et plus vastes. Toute affirmation identitaire trop voyante devient intolérable, l’expression de l’italianité passant pour l’indication d’un choix partisan et étant perçue comme une façon de pactiser avec le fascisme. C’est bien la preuve que les crispations se renforcent. C’est aussi le résultat de la tutelle consulaire et de son action pour capter le thème de l’identité nationale. De plus en plus sourcilleuse sur la question, l’opinion française atteste en négatif de cet amalgame où la marque culturelle est en passe de devenir marqueur fasciste. À ce moment-là, plus que jamais, les Italiens doivent se faire passe-murailles pour être acceptés.
31Dans un tel contexte, certaines attitudes pèsent. En milieu rural, les regroupements communautaires ne passent pas inaperçus. Dans l’Aude, par exemple, une ferme est connue à Saissac pour les Italiens qui s’y rencontrent chaque semaine ; jusqu’à vingt-cinq bicyclettes se voient devant une autre maison près de Castelnaudary où certains viennent écouter leur radio nationale510. Les rassemblements de ce genre sont vite pris pour des foyers propagandistes et cette visibilité suscite des antagonismes latents. C’est aussi ce que montrent les affaires liées aux écoles italiennes. Lorsque l’agence consulaire d’Agen demande en février 1937 à officialiser un enseignement du jeudi à Lannes, l’opposition est totale. L’instituteur public dénonce des manuels propagandistes, les conseillers municipaux rapportent que si l’autorisation était accordée les gens bloqueraient la classe car les Italiens sont « mal vus » et la famille de l’enseignante, au fascisme militant, « détestée ». Finalement, la municipalité utilise le renouvellement des cartes de travailleur étranger pour faire pression sur les parents, et le cours se vide511. À Cornebarrieu (Haute-Garonne), un Italien s’en prend à ceux qui y envoient leurs enfants, soutenu en cela par la population française512. Au printemps 1939, c’est aussi la découverte d’une de ces écoles clandestines qui suscite « surprise et protestations » dans la population paloise, d’autant que l’instituteur passe pour fasciste. Quant au préfet du Gers, il fait fermer plusieurs cours, de plus en plus mal tolérés par les populations avoisinantes513. Ces « écoles italiennes » choquent parce qu’elles contrecarrent le vecteur symbole de l’intégration nationale, lieu sacré d’unification sociale : l’école républicaine. Dans le climat de la fin des années trente, l’ouverture d’un de ces cours représente un premier signe de duplicité aux yeux des Français.
32Ces tendances se révèlent encore quand la suspicion prend jusque dans la gauche antifasciste. Titrant « À la porte les agents de Mussolini ! », l’organe communiste régional dénonce en première page l’attitude des ouvriers métallurgistes de la colonie italienne de Tarascon (Ariège) : « Que les adeptes du fascisme aillent parader à Rome et non à Sabart !514 ». Ce climat est assez prégnant pour provoquer de graves incompréhensions. Au printemps 1938, la SFIO et le PSI organisent une fois de plus une manifestation conjointe à Carcassonne. Mais le tract bilingue appelant au rassemblement suscite tant de polémiques entre socialistes des deux nationalités que certains Français refusent de participer, soupçonnant leurs pairs italiens d’approuver les revendications de leur gouvernement515. Ce refus de toute expression d’un nationalisme étranger n’est pas nouveau. Mais un soupçon plus indéfini se développe, désignant les Italiens comme agents ennemis. En 1938, Suite à l’ostracisme et aux menaces de voisins qui le soupçonnent d’être un espion et d’avoir acheté son domaine avec de l’argent donné par le consulat, un propriétaire de Lévignac (Haute-Garonne) est ainsi obligé de vendre pour s’installer en Agenais, où il est inconnu516. L’actualité internationale exacerbe bien sûr les tensions latentes. En pleine crise de Munich, le personnel unanime de l’usine des Phosphates tunisiens de Soulom (Hautes-Pyrénées) demande le renvoi immédiat de trois Italiens, considérés de longue date comme fascistes mais dont la rumeur publique évoque désormais les secrètes manigances et même le « complot politique ». Ces événements provoquent « une sérieuse hostilité à l’encontre des étrangers, mouvement qui pourrait être suivi, en cette période de troubles, de représailles517 ». En haute Ariège, la situation déjà évoquée d’Auzat provoque tant d’incidents que les autorités départementales réclament, sans résultat, la création d’un poste de gendarmerie sur le chantier. L’animosité croissante de la population aboutit à ce que les services de surveillance préconisent l’arrêt de tout recrutement de cette provenance518.
33Tout aussi révélatrices sont les dénonciations anonymes qui accusent des Italiens d’infiltration ou d’espionnage. Si les lettres sont souvent motivées par des inimitiés personnelles, querelles de voisinage ou jalousies d’atelier, l’accusation utilisée pour leur donner corps est en soit caractéristique. Elle témoigne que la moindre marque d’attachement à l’Italie porte vite au soupçon et que, même lorsqu’il s’agit d’un règlement de compte sans fondement, c’est cet argument qui sert à matérialiser une rancœur diffuse. Sous leur apparente diversité, quelques exemples suffisent à l’illustrer. À Saint-Béat (Haute-Garonne), un immigré est qualifié de « dangereux et mystérieux politicien fasciste qui se permet toutes sortes de méfaits519 ». À Mercus (Ariège), une méfiance collective entoure un ouvrier : « On l’appelle le Frisé et il peut être un agent de Mussolini520 ». Aux mines de Salsignes (Aude), la rumeur dénonce un manœuvre pour des propos anti-français tenus à la cantine ; partisan d’Hitler, il refuserait de respecter les consignes de défense nationale concernant le camouflage des lumières521.
34Les pouvoirs publics ne sont pas en reste, qui soupçonnent le fascisme de travailler à une infiltration des milieux émigrés pour les déterminer à agir en cas de conflit. La surveillance est renforcée autour d’une communauté qui redevient, pour partie, suspecte. Les journaux transalpins sont contrôlés et les consignes d’interdiction se multiplient. Début 1939, les préfets font le compte des Italiens mobilisables et répertorient par listes nominatives ceux « ayant conservé des relations dans leur pays d’origine et s’y rendant périodiquement ». Si on prend l’exemple de l’Aude, 109 sont mentionnés, la plupart ouvriers522. Le gouvernement Daladier soumet en outre tous les étrangers à un contrôle accru, obligeant leurs associations à une déclaration d’apolitisme (décret du 16 avril 1939). Comme le gouvernement italien n’autorise que celles d’anciens combattants à s’y plier, les fasci et autres organismes dépendants cessent leur activité. Mais en laissant entendre qu’ils auraient été dissous « pour mettre un terme à la situation pénible dans laquelle ont été placés ces derniers temps les inscrits et leurs familles dans plusieurs localités523 », le vice-consul d’Agen révèle la tension ambiante. En fait, la suspicion va croissant à mesure que se dégrade le climat international. Il y a une montée, progressive mais continue, de la crainte que les immigrés – du moins certains – représentent une menace interne. La perspective d’une guerre franco-italienne polarise ces réflexes. Certains s’inquiètent que les chefs de chantier italiens des carrières de montagne « détiennent des caisses entières d’explosifs524 ». La direction de l’usine de Tarascon prend même l’initiative de faire signer à ses ouvriers l’engagement formel de rester en France en cas de conflit, amenant le consul général à se plaindre de « procédés d’intimidation » propres à échauffer les esprits525. Si les zones employant des saisonniers sont particulièrement exposées aux réflexes de ce genre, les campagnes garonnaises ne semblent pas épargnées. Tout rassemblement d’immigrés laisse soupçonner des menées fascistes, comme à Roques (Haute-Garonne) où on dénonce que « ces messieurs continuent leurs réunions malgré des avertissements qui leur ont été faits526 ». Enfin, le missionnaire installé à Toulouse est lui-même expulsé pour motif politique527. Qu’on ne tolère plus sa connivence avec les autorités consulaires ou que des propos imprudents aient paru provocateurs, cette mesure symbolique prouve que le climat s’est durci.
35Le détail de ces faits divers ne doit cependant pas fausser l’analyse. Il n’y a pas de mouvement d’ensemble anti-italien, pas de flambée aiguë. L’effet de masse, c’est toujours la tranquillité de rapports villageois et professionnels au jour le jour, c’est encore un voisinage partagé dans le calme. En ce sens, il n’y a pas à proprement parler de basculement de l’opinion. Mais ces faits épars sont pourtant convergents et donc significatifs. Ils attestent d’une tension qui gagne et gangrène parfois jusqu’aux relations de proximité. La logique du soupçon s’alimente à deux sources déjà rencontrées. L’une, extérieure, provient de la pression internationale : la dégradation brutale de l’image de l’Italie entraîne le reste. L’autre, intérieure, résulte de l’attitude de quelques immigrés arrogants. Ceux-là suffisent à détériorer le climat. S’ils focalisent le rejet des Français, ils s’attirent aussi la haine d’une partie de leurs compatriotes. Les incidents où des Italiens s’associent, contre d’autres, au mécontentement français sont révélateurs à ce titre. Surtout, la similitude des points de frictions montre un mécanisme général : l’ennemi, c’est bien l’Italien comme fasciste, le fasciste italien qui complote dans l’ombre. Mais cette représentation, par ce qu’elle a de flou, se prête à toutes les dérives xénophobes. C’est d’ailleurs un des fonctionnements profonds de l’opinion : la réactivation d’une crainte précise envers les étrangers ramène au jour, dans son sillage, des peurs plus diffuses et plus obscures.
Les contrecoups sur les émigrés
36Encore une fois, les réactions ne sont pleinement compréhensibles que si on ressaisit dans leur globalité les luttes d’influences qui s’exercent. L’activité des antifascistes italiens contribue partiellement à désamorcer le climat de tension : indirectement, par l’ascendant exercé sur une fraction des émigrés, plus directement, en exprimant à l’attention des Français des positions visant à éviter l’amalgame. Ce résultat vient d’ailleurs de tout le travail antérieur, par lente imprégnation, et les réactions immédiates aux événements ne doivent pas masquer cet effet, encore bien plus profond et d’un plus grand poids.
37Il y a d’abord l’action des groupes qui poursuivent un engagement ancien. Ceux-là activent leurs réseaux, battant le rappel des militants. Les partis antifascistes marquent d’une protestation chacune des avancées de l’Italie dans le camp de la guerre, organisant quand ils le peuvent des manifestations publiques. Au printemps 1938, une grande réunion se tient à Toulouse avec le Front Populaire français, à l’initiative de GL, du PSI et du PCd’I. Elle se clôture par l’adoption d’une motion de protestation contre « l’axe de guerre » Rome-Berlin-Tokyo528. Suite à la crise de Munich, puis au discours de Ciano, la Fédération régionale du PSI souhaite décider les émigrés à s’engager aux côtés des Français en cas de guerre529. Comme à chaque fois, le noyau militant cherche à animer un mouvement d’opinion. Les sections socialistes organisent donc des rassemblements d’amitié franco-italienne dans les principales localités du Sud-Ouest, en février 1939, puis après l’invasion de l’Albanie. Dans leurs bastions ouvriers, ce sont les communistes qui portent la démarche. À Carmaux, pour le 1er mai, le PCF invite un délégué syndical de la section italienne à intervenir dans sa langue pour commenter la situation internationale devant 500 personnes réunies à la Bourse du travail530. Ces prises de positions ne sont pas pour étonner. Bénéficiant de l’ancienneté et de la légitimité acquise dans la région, les organisations antifascistes se font entendre dans la presse à chaque moment critique. Bon nombre de communiqués montrent leur souci d’anticiper le contrecoup de ces événements en contrant d’éventuels sentiments italophobes.
« Français ! […] Le fascisme italien, par l’action de ses agents, vient d’entreprendre un énorme effort pour tenter de diviser les émigrés italiens de la population française. Avec sa méthode ignominieuse, le fascisme cherche à faire croire aux Italiens qu’une action xénophobe sera déclenchée par vous contre les Italiens installés dans ce pays […] Le peuple français sait très bien que les immigrés italiens antifascistes sont contre la politique criminelle instaurée par Mussolini531. »
Les antifascistes du Sud-Ouest « souhaitent rappeler à l’attention des masses immigrées dans la zone du Sud-Ouest de ramener les relations franco-italiennes dans une phase de mutuelle compréhension […] en s’appliquant surtout à empêcher que le peuple italien ne puisse jamais être tenu responsable de la politique criminelle du fascisme532. »
38L’Union populaire italienne (UPI) apparaît désormais comme un protagoniste essentiel. Organisée en sections locales regroupées en fédérations, elle prétend rassembler des adhérents issus de tous les courants, bien que dominée à l’échelle nationale par les communistes533. La section toulousaine est dirigée par deux personnalités socialistes : Pascuale Antonio Tenti, un maximaliste de la LIDU, et Emilio Zannerini, de la Fédération régionale du PSI. L’audience du mouvement dépasse son recrutement et, conformément à sa stratégie d’action de masse, ses sections se rendent visibles par des actes symboliques pour la paix et l’amitié franco-italienne. Lors de la crise de Munich, elles animent des meetings, recueillant les offres d’engagement volontaire. En Tarn-et-Garonne, le préfet souligne que le groupe départemental se fait entendre lors de chaque affaire grave et sait trouver l’écoute de la population. Après l’invasion de l’Albanie, l’UPI réunit à Montauban plus de 300 émigrés qui s’engagent collectivement à se mettre à la disposition de la France en cas de guerre534.
39Dans ce cadre, quel est l’impact des sollicitations au retour ? Si on s’en tient aux rares rapports des services de renseignements, on retrouve encore une fois la description d’une masse italienne silencieuse, sans réaction manifeste. Cependant, tout en reconnaissant la bonne adaptation de ces immigrés, plusieurs préfets insistent sur une appartenance encore très partagée. Dans les Hautes-Pyrénées, ils « tendent à conserver des liens étroits avec leur pays d’origine »535. En Quercy, ils ont, plus que toute autre nationalité, « tendance à s’organiser entre eux, fortement soutenus par leur consulat536 ». Sous son aspect statistique, la question des retours est rendue difficile par l’imprécision ou le caractère lacunaire des sources. La première alerte a lieu en mars 1938, quand le ministre de l’Intérieur exige que les préfets lui notifient tout départ d’Italien interrompant un long séjour sur le territoire français. Mais aucun mouvement particulier ne se développe. En janvier 1939, le gouvernement exige la tenue d’un état numérique mensuel des retours. Les évaluations au plan national montrent des départs peu nombreux537. La tendance est la même à l’échelle régionale : le plan de rapatriement est un échec et n’affecte que très marginalement la population installée dans le Sud-Ouest. Groupés par trains spéciaux en gare de Toulouse, ces convois acheminés vers Vintimille drainent l’ensemble de la région. Trois se succèdent au printemps 1939, emportant 217 personnes le 1er avril, 253 le 13 mai et 151 le 1er juin538.
40Tous les départs ne sont d’ailleurs pas forcément définitifs, les statistiques intégrant les travailleurs temporaires qui regagnent leur pays en période hivernale. Pour le reste, les contingences socio-économiques l’emportent sur la conviction idéologique. Ces Italiens sont souvent moins bien insérés, célibataires ou sans famille sur place. Selon les services de renseignements, la plupart n’ont pas de situation et se décident à cause de la prime. Le groupe qui quitte l’Ariège en mars ne compte que des familles de travailleurs industriels de Tarascon au chômage, l’un des deux chefs de famille qui abandonnent les Landes est un entrepreneur maçon en faillite. Pour le reste, le scepticisme des émigrés paraît complet. L’excès de propagande peut même renforcer la méfiance : une rumeur circule que les rapatriés seraient envoyés d’office en Libye539… Ce hiatus entre exhortation politique et pratiques quotidiennes ressort bien des dossiers de demande de visas aller-retour sur la même période. On y voit l’importance des projets de voyage émanant de femmes, souvent pour aller visiter ce qui reste de famille au pays, voir un proche malade, assister de vieux parents ou faire connaître les enfants derniers nés. Plusieurs affirment vouloir profiter des convois spéciaux à tarif réduit organisés par le consulat pour Noël ou Pâques, et leurs demandes restent bien reçues des autorités françaises. Malgré un contexte tendu, les relations normales se poursuivent donc à une autre échelle, les émigrés maintenant la relation d’entre-deux avec le pays d’origine. Alors que les autorités fascistes auraient souhaité une rupture, ce sont les pratiques habituelles qui perdurent.
41Cette période a aussi des répercussions à l’échelle individuelle ou familiale, dans le secret des consciences et sans plus d’extériorisation. Le risque d’une guerre franco-italienne contribue évidemment à accélérer les évolutions. Le geste spontané d’un métayer des Landes dévoile l’état d’esprit d’une partie des émigrés : se rendant de son propre chef auprès du poste de police le plus proche, il déclare vouloir refuser solennellement l’idée d’un ordre de rapatriement en Italie et demander la qualité de français pour ses deux fils nés en France, expliquant qu’il ne voudrait jamais prendre les armes contre le pays aux côtés duquel il a combattu lors de la dernière guerre et qui lui donne asile depuis dix-sept ans540.
42Les démonstrations collectives sont plus faciles à saisir et mieux rendues par les sources d’archives. Celles-ci attestent d’initiatives locales pour réunir les Italiens afin de donner forme à un engagement loyaliste. Échelonnées surtout du printemps à l’été 1939, quand les menaces se précisent, quelques-unes sont particulièrement remarquables, car elles s’accomplissent en marge de l’antifascisme institutionnel. Dans des localités secondaires, à l’appel d’individus isolés, souvent sans obédience partisane, des réunions parviennent à rassembler un nombre non négligeable d’Italiens. Leurs premières actions s’adressent à la population française, par le biais de déclaration solennelles et de gestes symboliques, dépôt de gerbe au monument aux morts, collecte pour la défense nationale ou les œuvres communales, etc. Accomplies souvent avec la bénédiction des municipalités, parfois dans leurs locaux mêmes, elles se rattachent moins aux réseaux antifascistes qu’à une solidarité franco-italienne de proximité. À Varilhes (Ariège), c’est un poissonnier qui réunit ses compatriotes à la mairie, où ils organisent une collecte au profit des pauvres de la commune et approuvent à l’unanimité une résolution solennelle de loyauté envers la France541. À Lourdes (Hautes-Pyrénées), une centaine d’Italiens font le même genre de déclaration et souscrivent pour la défense passive542. À Tarbes, 115 se réunissent pour conspuer Mussolini et Hitler, lancer une collecte et adopter une motion collective :
« L’Assemblée des Italiens du département des Hautes-Pyrénées, amis de la France, affirme solennellement leur attachement à la France, leur seconde patrie. En toutes circonstances, nous serons tous à ses côtés pour défendre ses libertés543. »
43Dans les Landes, une centaine d’Italiens du secteur de Mont-de-Marsan votent à l’unanimité un ordre du jour loyaliste. L’initiative en revient à un entrepreneur en maçonnerie, frère de l’animateur du fascio de la ville durant les années trente, lui-même en d’autres temps très engagé dans ce mouvement, ce qui explique la « stupéfaction » parmi les antifascistes et la population. L’organisateur dénonce à la tribune l’emprise allemande sur l’Italie :
« Nous, anciens combattants de la Grande Guerre qui l’avons faite aux côtés des camarades français, nous ne permettrons pas à une poignée de fous de lancer nos deux pays l’un contre l’autre. Nous demandons que de bons rapports entre les deux peuples soient immédiatement repris et que le roi Victor-Emmanuel III se débarrasse de son mauvais entourage afin que les deux sœurs latines puissent vivre en paix544. »
44Ce discours est très révélateur d’un positionnement nouveau. Rien n’y fait référence à l’antifascisme traditionnel, mais au contraire à des valeurs patriotiques, l’armée, le roi, trahies par l’évolution récente d’un fascisme qui se soumet au Reich. Ce mouvement se poursuit durant l’été, lorsque la guerre paraît inévitable. Des déclarations de loyauté sont remises au préfet des Landes stipulant que les signataires se tiennent à la disposition des autorités militaires françaises pour accomplir la tâche qui leur sera assignée. À Tarbes, l’assemblée générale des « Italiens amis de la France » réunit près de 200 personnes fin août, recueille 2 460 francs pour la Défense nationale et va en délégation déposer une couronne au monument aux morts545. Le discours de l’orateur local revendique une double fidélité avec la conscience aiguë d’une double appartenance. Afin de démentir la presse fasciste qui dit les Italiens brimés en France, il demande que soit poursuivi le « magnifique geste » de septembre 1938, où plus de 100 000 d’entre eux ont offert leurs services au pays d’accueil. Il se réclame des interventionnistes de la Grande Guerre, Mussolini lui-même et le « grand » d’Annunzio, contre les Tedeschi :
« Mais alors cette réunion est dirigée contre l’Italie ? Quelle erreur profonde. Au contraire, nous démontrons par notre geste que nous sommes ses meilleurs amis car nous ne voulons pas de cette alliance contre nature conclue avec cette puissance de proie qu’est l’Allemagne. C’est une honte pour l’Italie et les Italiens de ne pas être aux côtés de la France contre la barbarie […] Nous sommes et nous resterons les frères des Français non seulement par reconnaissance mais aussi pour l’accueil fraternel que nous recevons, pour les affinités de la race, pour le sang versé en commun sur tous les champs de bataille depuis 1848546. »
45Ces initiatives pourraient paraître anecdotiques. Pourtant, au-delà de l’antifascisme organisé dont le positionnement est connu, elles témoignent d’une mobilisation nouvelle à la base. L’urgence déclenche une évolution rapide, et l’idée d’un destin commun guide les attitudes de ce genre. Ces élans loyalistes sont donc bien ceux d’une communauté aux attaches devenues irréversibles ; l’engagement antifasciste y est en partie supplanté par l’expression pacifiste et l’affirmation que rien, désormais, ne peut être tenté contre le pays d’accueil.
LES CRISES DE LA GUERRE
Les Italiens et la mobilisation de septembre 1939
46L’ordre de mobilisation générale du 1er septembre, suivi de la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne, ouvrent une nouvelle période, au grand désarroi des émigrés. Si beaucoup se rendent les jours suivants au consulat général pour savoir ce que va être leur sort, une attitude circonspecte paraît prévaloir. Les Italiens se mettent prudemment en retrait pour ne pas provoquer d’incident. Après une période de flottement, les consignes de leurs représentants diplomatiques visent de même à temporiser. Le consul général organise des réunions d’information où, tout en vantant le régime « qui a su éviter la guerre au pays », il invite ses compatriotes à faire preuve de tact et de modération547. On retrouve donc une configuration habituelle : une masse passive, silencieuse et, dans un contexte où le moindre incident peu dégénérer, quelques éclats de fascistes fervents qui suffisent à poser problème. Cet effet de distorsion résulte des réactions les plus voyantes, les plus choquantes, mais aussi les plus marginales. C’est ce que remarque le préfet de Haute-Garonne, suite à une rixe mettant en cause un Italien :
« Certains étrangers, d’ailleurs peu nombreux, n’ont pas su conserver le sang froid et en tout cas l’attitude de neutralité que commandent les événements. Des faits de ce genre sont extrêmement regrettables car ils donnent l’occasion de faire accroire à l’opinion que tous les étrangers en général, et non une infime minorité, manifestent des sentiments hostiles à l’égard de la France548. »
47La guerre agit en tout cas comme révélateur, poussant une partie des émigrés à faire le choix de la France. Certains se présentent d’eux-mêmes en mairie pour déclarer vouloir rester dans le pays. Si on s’en tient au nombre d’engagements volontaires, l’élan de loyalisme est net sans être pourtant exceptionnel : une estimation d’ensemble donne 15 000 volontaires italiens à la mi-octobre, dont pas même la moitié aurait été incorporée en juin 1940549. Mais ce chiffre ne signifie pas grand chose si on ne fait pas la part du contexte qui a considérablement pesé pour réduire la portée d’un tel élan. Les organisations antifascistes sont bien sûr promptes à réagir, déclarant solennellement se placer aux côtés des démocraties. Dans la presse régionale, les Garibaldiens, l’UPI, la LIDU ou Giustizia e Libertà appellent les Italiens valides à se mettre à la disposition des autorités militaires françaises. Les pouvoirs publics ouvrent effectivement dans les villes des bureaux de recrutement pour étrangers, théoriquement destinés à les intégrer dans l’armée. La suite montre qu’ils servent surtout à faire patienter des volontaires dont on ne sait que faire : les incorporations sont encore peu nombreuses au terme de la drôle de guerre. Les antifascistes vont plus loin en souhaitant monter une légion italienne pour combattre. C’est l’objectif du Comitato nazionale italiano (CNI) constitué alors par les organisations non communistes, le PCd’I étant exclu pour avoir approuvé le pacte germano-soviétique. Sa section toulousaine, animée surtout par Faraboli et le PSI, lance une souscription pour la « liberté internationale » qui rencontre immédiatement un grand succès, et fait campagne pour convaincre les émigrés de s’enrôler. À Paris, les Garibaldiens organisent le recrutement, mais se divisent sur l’attitude à adopter si l’Italie s’engageait aux côtés de l’Allemagne.
48Dans les campagnes méridionales, cet élan se traduit, comme ailleurs, par des candidatures spontanées d’Italiens. Ainsi, en raison du nombre d’étrangers qui viennent chaque jour souscrire un engagement au bureau de recrutement de Carcassonne, le préfet de l’Aude autorise les maires à recueillir directement les demandes dans les communes, et au moins 199 Italiens s’y mettent à la disposition des autorités françaises550. Ce choix peut résulter de plusieurs logiques. Chez les plus politisés, l’impératif moral de choisir le camp des démocraties va jusqu’à demander la naturalisation pour être sûr de pouvoir s’engager, comme le fait le socialiste Enrico Bertoluzzi551 ; l’espoir d’un accès à la nationalité française est pour d’autres décisif, certains immigrés voyant dans cet engagement l’occasion d’obtenir une naturalisation accélérée552. On retrouve là les itinéraires types du fuorusciti et du jeune de la seconde génération, à leur point de jonction. Ce qui est sûr, c’est que le travail de terrain réalisé antérieurement par les associations et leurs leaders explique pour beaucoup les réactions contrastées que l’on découvre. Il y a des localités où l’on s’engage, d’autres où une absence apparente de réaction laisse croire à l’atonie. Autant que de la conscience individuelle, la réaction à l’événement est bien le résultat d’une dynamique collective et du travail militant. Résumant ultérieurement l’état d’esprit de ceux de l’Aude, le préfet dira que « l’élan des Italiens en faveur de la France a été irrésistible », particulièrement dans les centres sous influence socialiste :
« La propagande menée depuis quelques années par les syndicalistes italiens de Toulouse qui sont de haute valeur morale tels Faraboli, Enrico Bertoluzzi, etc. a donné des résultats appréciables553. »
49On sait ce qu’il advint de cet élan loyaliste. Loin de susciter l’ardeur des volontaires, le cabinet Daladier favorise la passivité générale. Comme le prouvent les consignes de censure, l’essentiel est de ménager l’État transalpin pour préserver sa neutralité. Le gouvernement tergiverse donc, puis refuse la constitution de bataillons italiens qui combattraient sous leur drapeau national et freine la propagande des Garibaldiens, avant de l’interdire. On retrouve localement la même gêne. Redoutant les plaintes des consulats, les préfets demandent aux maires « d’éviter tout incident de nature à piquer les susceptibilités de nos voisins italiens ou espagnols554 ». Aucune incitation en faveur de l’engagement n’est tolérée, et le loyalisme spontané tourne court en peu de temps. Ces interdits, vite posés, brisent la possibilité d’un sentiment de solidarité entre Français et Italiens. D’autres obstacles s’y ajoutent. Vu certaines remontrances adressées par voie hiérarchique, les officiers qui dirigent les bureaux de recrutement sont loin d’être toujours bienveillants. Les Italiens considérés comme fascistes sont bien sûr écartés d’office, mais aussi ceux soupçonnés d’avoir été en relations avec les agents consulaires555. Dans certains cas, tous ceux qui viennent offrir leurs services sont reçus avec méfiance. Fin octobre, la seule option offerte aux Italiens est de s’engager individuellement dans la Légion étrangère pour cinq ans ou pour la durée de la guerre. Certains notables regrettent le peu de considération de la République pour ces volontaires. Le radical Maurice Sarraut s’étonne en haut lieu que le commandement militaire les traite à la légère, au risque de les décourager, reprenant à son compte les propos d’un agrarien qui flétrit l’attitude à courte vue des autorités françaises :
« La plupart des étrangers qui se présentent ont la ferme volonté non seulement de défendre la France mais de devenir Français, du fait même qu’ils s’engagent dans l’armée française. Or, la première chose qu’on leur dit, est qu’ils resteront toujours Italiens ou Espagnols, que leur engagement n’a aucune importance. Conclusion : seuls les misérables s’engagent et les autres, nos braves cultivateurs, métayers, fermiers ou propriétaires, renoncent à leur idée de servir un pays pour lequel ils sont prêts à répandre leur sang mais qui refuse de les considérer comme ses fils556. »
50On voit que pour rester en cohérence avec une image positive de l’immigration, l’élan de septembre aurait dû être orchestré comme le passage où se scelle l’intégration nationale. La fin de non-recevoir donnée aux Italiens vient s’immiscer comme un élément déstabilisant dans les perceptions réciproques, où s’envenimeront les malentendus à venir. Même si ce travail de sape ne se voit pas encore, le coin est là, prêt à faire éclater l’équilibre précaire d’un imaginaire tendu entre enracinement et altérité.
Les remous dans l’opinion française
51La mobilisation est donc une étape très importante pour les relations entre Français et Italiens. Dans le Sud-Ouest, elle marque peut-être plus qu’ailleurs un seuil dans leur dégradation, au moment où une certaine italophobie se réveillait déjà. En tant que ressortissants de pays neutres, les Italiens comme les Espagnols ne sont astreints à aucune obligation militaire, sauf aux réquisitions générales touchant le personnel des entreprises travaillant pour la défense nationale. Mais ce cadre réglementaire fausse la donne en provoquant équivoques et incompréhensions par rapport au vécu de proximité et à l’émotion collective, évidente.
« Un état d’esprit se développe dans les campagnes à l’encontre des étrangers espagnols ou italiens qui y sont domiciliés ; les mobilisés, et surtout leurs femmes, ne voient pas sans une certaine jalousie ces derniers rester sur le sol pendant que nos nationaux sont appelés à la frontière557. »
52Le constat est le même en Ariège, où la présence d’étrangers jeunes donne lieu à des « commentaires défavorables558 », et dans l’Aude où des lettres de protestation indiquent « un état de mécontentement et de surexcitation des esprits vraiment inquiétant559 ». Il s’agit bien d’un mouvement de fond, répandu dans tous les milieux, assez fort pour que la presse reconnaisse la « suspicion » qui se développe : « On n’admet pas que des hommes en état de porter les armes ne s’engagent pas dans l’armée française ou ne regagnent pas leur pays560 ». On croit entendre ce mécontentement quand le maire d’une commune rurale décrit les parents de mobilisés qui éprouvent « une impression douloureuse à la vue des solides gaillards italiens se rendant paisiblement à leurs occupations561 ». Certains sont en tête des protestataires, en particulier les parents et les épouses de mobilisés. Plusieurs rapports notent l’agitation de « groupes de femmes » dans des communes ou sur les lieux de travail, preuve d’une exaspération assez puissante pour prendre une forme collective. Les anciens combattants réveillent aussi leurs réseaux associatifs pour faire respecter la discipline à l’arrière. Garants de la moralité en temps de guerre, ils fustigent injustices et privilèges, s’en prennent aux affectations spéciales douteuses des « embusqués », au rang desquels ces « nombreux étrangers et immigrés résidant en France [qui] se trouvent par là soustraits à l’impôt du sang dans leurs pays respectifs et risquent de créer une concurrence aux mobilisés français562 ». Ils proposent que tous ceux de 17 à 50 ans qui refuseraient de coopérer à la défense nationale soient expulsés, que les autres soient réquisitionnés et que ceux qui commercent payent une surtaxe de guerre. Dans un pays où le lobby et l’imaginaire ancien combattant sont si présents, où le prix du sang versé est dans toutes les mémoires, où l’armée, la Défense nationale et le devoir patriotique restent des références obligées, la mobilisation réveille les différences dans ce qu’elles ont de plus choquant, l’inégalité face à « l’impôt du sang ». Sensibles à la pression ambiante, plusieurs conseils municipaux émettent le vœu que les étrangers partagent les sacrifices : que l’on favorise l’enrôlement de ceux aptes à porter les armes, que les employeurs licencient ceux qui refuseraient de s’enrôler, qu’on leur impose une contribution de guerre.
53La tentation est grande de passer aux actes pour rendre effective l’idée d’équité nationale. Les exemples de tractations ou de chantages sont à comprendre ainsi, comme les « procédés d’intimidation » employés par endroits pour forcer les Italiens mobilisables à s’engager563. Quelques cas précis le donnent à voir de façon concrète. À Mazères (Ariège), un Italien se plaint d’avoir été contraint par le secrétaire de mairie à signer l’engagement volontaire sous peine d’être expulsé564. À Mauléon-Barousse (Hautes-Pyrénées), le maire somme les bûcherons d’y souscrire ou de regagner leur pays, ce qu’ils font565. La municipalité de Narbonne fait afficher, en toute illégalité, un avis ordonnant à tous les étrangers de s’engager. Plus subtile, l’incitation à se déclarer bénéficiaire du droit d’asile, ce qui revient du fait du décret-loi du 12 avril 1939 à être à la disposition des autorités françaises pendant la durée de la guerre. Les agents consulaires protestent contre ces maires zélés qui poussent les Italiens à revendiquer la qualité de réfugié, leur laissant entendre que ceux qui veulent rester en France y sont obligés566. Autre domaine de frictions, celui du travail, où la main-d’œuvre manque du fait du départ des mobilisés. Comme beaucoup d’exploitations françaises connaissent des difficultés, les autorités incitent les maires à organiser l’entraide de ceux restés présents567. Mais ces recommandations sont trop timides pour faire taire les critiques, et « la population apprendrait avec satisfaction que les pouvoirs publics ne se bornent pas à inviter les étrangers à aider dans leur travail les familles des mobilisés, mais les y contraignent568 ».
54Incapables d’orchestrer l’élan loyaliste, seul apte à souder les différentes communautés, les autorités en sont réduites à tenter de calmer les esprits par l’exhortation au bon sens. La presse régionale, même conservatrice, s’en tient à la même ligne. Loin d’attiser le ressentiment, elle fait preuve de modération, autrement dit de réalisme. Mais en ne s’intéressant qu’aux aspects diplomatiques ou économiques du problème, ce discours reste en total décalage avec les perceptions du public. Les journaux appellent les populations des campagnes au « calme » et au « sang froid569 », rappelant l’intérêt de conserver cette main-d’œuvre et l’absolue nécessité de ne pas s’aliéner les États encore neutres. Là se mesure la transformation insensible du discours et des références implicites. Donnés depuis toujours comme un apport démographique à naturaliser, à franciser, à fusionner, les Italiens retrouvent le statut et l’image d’étrangers de passage, simple force de travail réversible. Il serait donc simpliste de ne voir là que la énième manifestation du rejet des étrangers et des tendances xénophobes de la société française. Paradoxalement, cela peut aussi se lire comme une crise de l’intégration dont la réaction de l’opinion est, en négatif, le symptôme. Crise de proximité, de voisinage, elle est dirigée contre les étrangers bien établis dans la société environnante, proches par leur situation et leur mode de vie, trop insérés pour qu’on accepte qu’ils échappent au sort commun. Née de principes ressentis comme bafoués, elle résulte d’une assimilation ajournée sur le plan symbolique.
55Mais ses effets ne s’arrêtent pas là. Comme souvent, les propos glissent, et les idées aussi. Un observateur pointe déjà la dérive : « la situation particulièrement délicate qui existe en raison de la présence des étrangers de nationalité espagnole et italienne […] a déterminé chez les familles des mobilisés un sentiment de protestation qui ne tardera pas à se transformer en xénophobie570 ». Divers incidents installent un climat pesant. Autour de Muret, la police relève « certaines réflexions, peu flatteuses, de parents de mobilisés à l’égard des étrangers571 ». D’où des querelles qui s’enveniment et des altercations de voisinage susceptibles de dégénérer. Les rapports d’enquête donnent, bruts, ces témoignages d’incompréhension mutuelle.
Une Italienne : « Ma voisine ne cesse de m’insulter parce que mon mari n’a pas été mobilisé en disant qu’il reste ici pour gagner de l’argent pendant que les autres s’en vont se faire casser la figure […] On a toujours préféré ne pas répondre. »
Une Française : « Je connais parfaitement ma voisine avec laquelle j’ai été camarade d’école, mais je dois dire que je déteste les Italiens. Je les ai entendu dire : « Tant mieux qu’il y ait la guerre comme ça nous gagnerons des sous ». Ces paroles là me font bisquer et c’est pour ça que je ne peux pas les sentir572. »
56Certains voit déjà dans les étrangers des privilégiés, des embusqués, voire des profiteurs. Dans tel village, une série de lettres anonymes rapporte au procureur les propos anti-français d’Italiens ajoutant, exécration typique, qu’une des leurs est une « avorteuse ». Là, on se réfère aux étrangers qui « détiennent les meilleures places et gagnent beaucoup d’argent », à leur « mercantilisme criminel » en temps de guerre573. Ailleurs, on dénonce les tendances subversives de récents naturalisés ayant déclaré vouloir tirer sur les Français si on s’avisait de les mobiliser. Le ton haineux ne trompe pas : « Les mères françaises veulent les abattre comme des chiens de parler ainsi en France574 ». Ainsi se module le registre de l’exécration, jusqu’au véritable racisme :
« Cela va arriver qu’aucun Français ne va pas revenir dans ses foyer après de si dures épreuves. À l’arrière nous sommes encadrés par des étrangers espagnols et italiens bien costaux et surtout bien fiers de rester parmi nous car ils sont les maîtres […] Nous demandons que les Italiens soient expulsés de notre pays ou bien qu’ils accomplissent les fonctions des Français, faire son service militaire et, s’il n’en est pas ainsi, des mesures doivent être prises pour faire disparaître cette sale race575. »
57La démonstration est double. D’un point de vue général, le traitement différencié face à la guerre est très mal vécu. Il provoque dans les campagnes une fracture durable et laisse s’installer un ressentiment dû aux épreuves non partagées. Cette situation rétablit avec brutalité une ligne de partage entre les deux communautés et, quelle que soit l’avancée du processus d’intégration, réinstalle les Italiens dans leur position d’étrangers face à la nation menacée. Mais les ambiguïtés liées à la situation internationale, aux contraintes légales et surtout aux atermoiements des gouvernements de la Troisième République ont des contrecoups plus profonds et bien plus graves. En arrière plan de cette émotion collective, parfois de manière nettement affirmée, on trouve en fait une toute autre thématique : celle de la xénophobie franche. Certaines lettres sentent déjà la délation vichyste, avec référence à « l’anti-France » et aux ennemis intérieurs. Comme pour tous les allogènes, l’opinion laisse voir à l’égard des Italiens les premiers dérapages d’une société sous tension.
Les macérations de la drôle de guerre
58Entre septembre 1939 et mai 1940, la drôle de guerre pourrait sembler un temps mort sur lequel il ne serait pas même besoin de s’arrêter. On sait pourtant que les logiques de confusion qui y sont à l’œuvre accélèrent les perceptions équivoques. La dynamique du soupçon, « l’espionnite », gagne les esprits, aboutissant à la plongée dans l’irrationnel du printemps 1940, quand la crainte imprécise de la « cinquième colonne » vient donner prise au délire collectif. Le trouble général gomme en partie les lignes de partage, ouvrant la voie aux recompositions futures. Encore une fois, la représentation de l’étranger est à la charnière de ces mécanismes. Mobile, elle épouse les contours d’une peur à laquelle elle contribue à donner forme, faisant basculer la perception dans les zones obscures de l’imaginaire. Les attitudes suivent la même pente, trouvant le dérivatif xénophobe. Suite à la répression des organisations communistes après le pacte germano-soviétique, les courants les plus marqués par la crainte de la subversion voient dans les étrangers les propagateurs du « virus » bolchevique. Bien sûr, les Italiens échappent mieux à cet amalgame qui atteint de plein fouet d’autres nationalités : l’insinuation prend pour cible privilégiée les juifs d’Europe centrale ou les Espagnols, réfugiés « rouges » de la guerre civile. Mais le contrôle postal montre qu’ils ne sont pas totalement épargnés pour autant :
« Il y a longtemps que je me méfie de l’Italie. Elle ne vaut pas plus que l’Allemagne. Peut-être encore moins parce que l’Italien est cauteleux, fourbe […] Il faut vivre avec ces étrangers pour les connaître. Jusqu’à vingt ans j’ai vécu avec des Espagnols dans le Sud-Ouest et depuis avec toutes sortes de races, surtout avec l’Italien. Et bien, nous sommes, nous Français, trop confiants et nous nous laissons entortiller et rouler, et vous voyez le résultat576. »
59Instrument stratégique de la nation en guerre, l’industrie de défense nationale cristallise la défiance. Un éditorialiste reconnaît que si « certains voient d’un mauvais œil la main-d’œuvre étrangère », tout le monde s’en méfie pour les emplois « sensibles577 ». La crainte des sabotages et de l’espionnage se retrouve à tous les niveaux. La Sûreté nationale soupçonne par exemple les agents diplomatiques italiens de fournir des renseignements à l’Allemagne578. Les autorités imposent d’ailleurs une surveillance renforcée des ouvriers qui travaillent dans les mines ou les usines de guerre, dans l’idée qu’ils pourraient s’y livrer à des actes de sabotage à la demande de leurs consuls. Mais le souci se diffuse à la base. C’est ce que trahit l’attitude d’un employé de la Poudrerie nationale du Fauga (Haute-Garonne) qui se met spontanément à disposition de la police pour infiltrer les milieux étrangers y travaillant579. C’est aussi ce qui justifie la virulente campagne du Midi socialiste contre le « scandale » des Italiens employés dans les secteurs stratégiques :
« Des entreprises travaillant pour la défense nationale ne se gênent pas. Pour avoir les meilleurs prix, elles embauchent la main-d’œuvre italienne non naturalisée… Il n’y a plus qu’à charger le consul d’Italie de diriger nos usines nationalisées de la guerre !580 »
60Les immigrés ne sont pas non plus épargnés lors de l’exode par la plongée qui reflète dans l’opinion l’effondrement brutal des repères sociaux. Avec une défiance qui touche à tout et à tous, des Français dénoncent ce qui leur paraît louche : l’attitude arrogante d’un fermier pendant le dépiquage, celle des régisseurs d’un château domanial581, les réunions clandestines que tiendraient les Italiens de Montlaur (Aude), la bravade d’un mineur, se disant communiste, qui déclare souhaiter que l’Allemagne gagne et que l’Italie s’engage contre la France « pour la tomber complètement582 », et, finalement, tous ceux dénoncés, ça et là, pour propos défaitistes. Avec le désastre des armées en Belgique, puis la débandade de la campagne de France, le climat vire à la panique. L’hystérie devient telle par endroits qu’un Italien récemment acquéreur d’un domaine peut être accusé d’agissements dangereux par tout un village coalisé, ou qu’un métayer est soupçonné de lancer des fusées pour faire signe aux avions ennemis583.
61Entreprise d’infiltration et de corruption, complicité agissante, « premier moyen de la conquête allemande », la menace de la « cinquième colonne » exaspère des perceptions déjà latentes et accélère la cristallisation de l’opinion en brassant des représentations sous-jacentes. La figure de l’étranger y a sa place, au même titre que d’autres archétypes comme le communiste, l’agent allemand infiltré ou le suspect. L’effervescence collective brouille les repères et décuple les effets de la peur. Face à une guerre qu’on ne voit pas, c’est l’obsession du danger intérieur, perceptible par exemple dans la diatribe xénophobe du député SFIO de Castelsarrasin qui évoque déjà, au lendemain du fiasco de Dunkerque, le risque de voir la France être poignardée dans le dos :
« Dans les villes on épure les cafés, on traque les métèques : et voici qu’aujourd’hui notre Midi si accueillant, si confiant, connaît certaines investigations destinées à le préserver de tous les méchants garçons qui l’ont envahi depuis des années (et tout récemment encore), prêts à poignarder notre pays dans le dos si la guerre devait se rapprocher un jour de nos provinces méridionales584. »
62Dans ce climat délétère du printemps 1940, les antifascistes tentent une dernière fois d’avoir prise sur l’opinion et d’éviter que ne dérapent les relations entre Français et Italiens. Malgré l’effondrement de l’association au niveau national, la mouvance des groupes de l’UPI lance toujours des appels au pacifisme et à la fraternité franco-italienne. Les socialistes italiens stigmatisent les quelques « fascistes encartés » qui grossissent, seuls, les rangs de la « cinquième colonne ». Sur le terrain des relations de proximité, le Comité d’assistance syndicale lance un appel à la solidarité des paysans italiens avec les familles de mobilisés585. Ces groupes n’abandonnent donc pas le terrain et continuent, vaille que vaille, à faire entendre leurs voix, bien faibles désormais. Malgré la cohérence de leur démarche, il est évident que la dynamique en cours dans l’opinion va à l’inverse, et avec une toute autre force.
63La monté du sentiment d’hostilité se tempère quand même quand l’intérêt individuel prime sur l’émotion collective. Les immigrés italiens restent pour beaucoup de Français une main-d’œuvre indispensable et appréciée. La censure du contrôle postal montre que l’on s’inquiète en privé de se trouver sans eux très embarrassé pour l’entretien des propriétés586. Cette donnée moins visible, plus silencieuse, ne doit pas être oubliée. Les relations de travail se poursuivent. Parfois, on l’a vu, dans l’animosité et le ressentiment, parfois aussi, souvent sans doute, cette proximité l’emporte, et cet Italien, le métayer du bout de la propriété, le valet de ferme qu’on loge, échappe à la dérive de l’opinion. De ça aussi les archives gardent quelquefois trace. Ainsi, un propriétaire du Lauragais, sentant la situation internationale se dégrader, s’informe de l’éventualité d’un internement des Italiens qui viderait ses fermes. Afin d’assurer « ses gens », il demande que soient protégés « ceux dont le loyalisme est établi587 ». Les réactions de ce type doivent prédominer à mesure qu’approchent les travaux estivaux, et quelques propriétaires entreprennent des démarches afin que « leurs » Italiens internés puissent reprendre leur activité. Il faut rappeler cet aspect des choses comme une donnée structurante, présente sur toute la période. Décrire ce temps des tensions, c’est faire porter l’éclairage sur les facteurs de rupture, en l’occurrence les effets de désagrégation. Mais le reste ne disparaît pas pour autant, et cette dynamique joue sur un substrat ou un arrière-plan matériel et relationnel qui en limite les effets.
Le choc du « coup de poignard dans le dos »
64Le 10 juin 1940, la déclaration de guerre de l’Italie à la France bouleverse la situation. Dans le contexte du désastre militaire, de l’accueil de fortune des réfugiés de l’exode arrivés en masse dans les villes méridionales, le jour même où le gouvernement abandonne Paris, les immigrés deviennent brutalement ressortissants d’une puissance ennemie. L’ambassadeur à Rome parle d’un « coup de poignard à un homme déjà à terre » ; « c’est au moment où la France est blessée que Mussolini lui déclare la guerre » déclare le Président du Conseil Paul Reynaud dans son discours radiodiffusé. Les plus hautes autorités contribuent ainsi à répandre la métaphore qui permettra à l’opinion de cristalliser son émotion dans une image destinée à faire date. Sa puissance d’évocation résume la déception ressentie après le revirement de la « sœur latine », tout en renvoyant au vieux cliché de la traîtrise italienne. Ce moment paroxysmique exacerbe les tensions latentes, souvent encore inaperçues, et tous les non-dits de la coexistence entre Français et Italiens. La population le vit sur un mode traumatique qui réveille les rancœurs accumulées, et l’italophobie trouve immédiatement à s’incarner car les immigrés fournissent un substitut au ressentiment contre leur pays d’origine. Des observateurs transalpins s’en émeuvent assez pour recueillir en quelques mois les éléments à charge, non sans arrières pensées :
« La haine qui explose le 10 juin contre les Italiens en France ne connaît pas de discrimination, n’est pas liée à des situations locales. Elle se manifeste également de Paris au Maroc, des villes de province jusqu’au fond des campagnes588. »
65Dans le Sud-Ouest, ainsi que le résume par la suite un préfet, « la population a fait preuve à l’égard des Italiens de sentiments xénophobes très marqués589 ». Diverses manifestations en attestent avec violence. À Toulouse, une cinquantaine de jeunes gens traverse le centre ville, brandissant des drapeaux tricolores en entonnant la Marseillaise, lançant des pierres contre la vitrine de la Maison du café, défonçant la devanture d’un restaurant lié aux festivités consulaires. La tension est si forte que la presse diffuse en bonne place les appels au calme du gouvernement et du maire590. Cas extrême, Marmande connaît une véritable nuit d’émeute. Près d’un millier de personnes parcourt les rues aux cris de « l’Italie au poteau ! », essentiellement des jeunes français et des réfugiés belges. Plusieurs magasins italiens sont pillés, la devanture d’un café-dancing défoncée, la villa d’un entrepreneur de travaux publics attaquée à coups de briques. Les forces de l’ordre reçoivent des projectiles, le commissaire de police est molesté lorsqu’il cherche à soustraire des Italiens à la vindicte populaire. Le calme ne revient que lorsque des renforts sont envoyés d’Agen et, surtout, « ce qui apaisa la foule, ce fut l’arrestation de tous ces Italiens considérés comme suspects et chefs fascistes ». Ce n’est que vers minuit que les manifestants se dispersent, menaçant de « remettre ça » le lendemain591. On voit bien le caractère d’exutoire collectif d’un tel déchaînement. Dans un moment d’intense frustration – il y a de nombreux réfugiés ou évacués des zones de combat parmi les manifestants – le ressentiment contre la « duplicité italienne » trouve une figure connue, le « traître italien » du coin de la rue. Il n’est pas indifférent que cette rage se tourne d’abord contre les commerçants, éléments voyants d’une colonie dont ils incarnent la réussite et donc, de l’avis de beaucoup, l’insupportable arrogance. Enfin, à tort et parfois à raison ils sont soupçonnés d’accointances fascistes, rendant tangible la menace de la « cinquième colonne ». En ce sens, les réactions sont à intégrer dans la continuité, comme un aboutissement des processus de décomposition en cours.
66Dans la nuit du 10 au 11 juin, les Italiens suspects sont arrêtés. Leur nombre ne semble pas avoir été très important : 150 en Haute-Garonne, 106 dans l’Aude, 116 dans le Gers, 29 dans les Hautes-Pyrénées592. C’est faible rapporté au nombre d’Italiens présents, un peu plus significatif si on le compare au nombre d’hommes adultes : 1,6 % des Transalpins dans l’Aude, 5 % des hommes de 17 à 60 ans. Mais la portée symbolique et le traumatisme causé sont considérables. Concrètement, la procédure est organisée dans chaque département, parfois dans des locaux de fortune, au dépôt d’artillerie de Tarbes ou dans les écuries de la caserne d’Auch. Certains centres servent quelques jours plus tard au regroupement : environ 900 Italiens amenés dans l’ancienne briqueterie de Mazères (Haute-Garonne), 3 500 dans les arènes de Béziers. Ceux qui ne sont pas relâchés sont ensuite dirigés vers des camps, notamment Montech (Tarn-et-Garonne), Bram (Aude) ou Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales). Ces internés focalisent la haine. Ceux qui sont transférés le 20 juin du camp de Mazère à celui de Montech traversent à pied des villages au milieu de foules qui les couvrent d’insultes593.
67Certaines rumeurs ont pu attiser les passions, comme celle concernant l’attaque des réfugiés de l’exode par l’aviation italienne594. Autour du 10 juin, l’idée diffuse d’un ennemi intérieur devient pour certains très précise en prenant les traits de l’Italien. Une défiance rétrospective s’abat sur la colonie, comme l’atteste un regain de dénonciations qui concernent souvent des actes bien antérieurs à la déclaration de guerre mais qui, soudain, deviennent suspects. Les moindres faits et gestes, les plus simples propos, peuvent être désormais interprétés de manière soupçonneuse par les Français. Ici, des anciens combattants disent se méfier de deux familles et demandent aux autorités « de les débarrasser au plus tôt de cette cinquième colonne » ; ailleurs, un maire prend l’initiative de dénoncer un Italien « indésirable » qui aurait déclaré « aimer mieux aller dans un camp de concentration que de servir la France » et qui réunirait ses compatriotes pour écouter la radio595. Les relations de voisinage en subissent le contrecoup au quotidien. En certains endroits, c’est la colonie dans son ensemble qui devient l’ennemi. La mémoire des témoins donne encore aujourd’hui la mesure de ce moment pénible, peut-être le plus dur, déclenchant dans les villages des méchancetés, des vexations, des « histoires ».
68Le « coup de poignard dans le dos » réactive en fait un imaginaire collectif qui remonte au xixe siècle, celui des clichés anti-italiens véhiculés par les formules inchangées de l’insulte ou de la moquerie. La traîtrise, la lâcheté, l’absence de vertu guerrière, le cynisme, la ruse, autant de traits négatifs qu’il devient à nouveau facile d’accoler à tout un peuple. Il ne s’agit pas de la substitution d’un système de représentations à l’autre. La colonie méridionale continue pour partie d’être vue comme une immigration terrienne et en voie d’assimilation. Mais dans un moment de tension extrême, où les réactions passionnées prennent le dessus, ce fonds socialisé de stéréotypes resurgit pour donner forme et contenu au malaise.
Le désarroi des Italiens
69Comme toujours, la xénophobie est amplifiée ou entretenue par les provocations d’une minorité. Mais celle-ci est voyante. Quelques incidents suffisent à montrer que des Italiens n’hésitent plus à exprimer haut et fort leurs sentiments, parfois revanchards. Un mécanicien à la société de produits azotés de Saint-Gaudens est soumis à une information judiciaire pour avoir manifesté sa joie le 10 juin, disant que « les Français mériteraient de se faire botter le cul par Mussolini et Hitler596 ». Un ouvrier à Lavelanet (Ariège) est condamné à un mois de prison par le tribunal correctionnel pour propos défaitistes : à la servante de son patron qui lui reproche de boire « alors que les soldats français tombent sur le champ de bataille », il répond que ça lui est égal et, « l’air narquois », qu’il a entendu à la radio que les Allemands ont enfoncé la Ligne Maginot597. La procédure publique de recueil des déclarations de loyalisme suscite des réactions de ce genre, tel ce métayer qui refuse de signer en disant « aimer mieux douze balles dans la peau que de servir la France598 ». Ces comportements restent très minoritaires, la masse des émigrés adoptant spontanément une attitude de prudente réserve. Mais quelques bravades individuelles suffisent à faire monter la pression dans une population sous tension.
70Pour ce qui est des Italiens arrêtés, ce sont les listes de suspects précédemment établies qui guident les autorités, peuvent s’y ajouter ceux dénoncés ou ceux qui refusent ensuite de signer les déclarations de loyalisme. Les rares documents qui consignent les professions révèlent une sur-représentation des entrepreneurs, des commerçants et des professions du bâtiment599. Même si un tel déséquilibre reste significatif, il faut garder une certaine prudence dans l’interprétation : les agriculteurs sont aussi moins infiltrés, moins connus des services de sécurité. Paradoxalement, ces internements réunissent les plus notoires des fascistes et certains antifascistes, anarchistes, communistes, anciens brigadistes, qui paraissent dangereux pour l’ordre public. Tel socialiste italien est interné pour avoir été identifié dans les années trente à Toulouse alors qu’il cherchait à perturber les manifestations consulaires. Le climat délétère de la drôle de guerre, « l’espionnite » et les instructions données par le gouvernement ont favorisé cet amalgame. Aux yeux des autorités françaises, les plus militants représentent de toute façon une menace pour la société. Ceci explique qu’une vingtaine d’Italiens retenus fin juin au camp du Vernet (Ariège) soit susceptible de faire l’objet de représailles de la part des autorités allemandes ou italiennes600. Cette confusion, entretenue par l’administration, reproduit et attise celle à l’œuvre dans l’opinion.
71Pour le reste, la politique de la France témoigne de la situation délicate d’une communauté issue d’un pays ennemi, mais beaucoup trop nombreuse et utile pour faire l’objet d’une mesure collective de mise à l’écart. Le gouvernement décide de ne pas interner les Italiens résidant et travaillant sur le territoire national qui font une déclaration de loyalisme et souscrivent l’engagement qu’ils sont à la disposition des autorités civiles et militaires. Tous les hommes de 17 à 60 ans sont invités à le faire, et le nombre de signataires est partout très élevé : 932 en Ariège, 2 065 dans l’Aude, 2 494 en Tarnet-Garonne ; dans les Hautes-Pyrénées, les 148 Italiens recensés dans la zone de Lourdes et les 216 dans celle de Lannemezan signent tous sans exception601. Il ne faut pas exagérer le loyalisme au vu de ces statistiques car ces déclarations ne résultent pas d’une démarche volontaire. Les Italiens doivent se présenter pour signer le formulaire devant les commissions de recensement qui officient dans chaque département. S’y soustraire revient à poser un acte de rébellion, assimilé à une forme d’intelligence avec l’ennemi, et à prendre le risque d’un internement immédiat. En l’occurrence, c’est plutôt le nombre des refus qui a une signification, étant entendu que les suspects, déjà internés, ne sont pas sollicités. En Lot-et-Garonne, au moins 36 hommes refusent de signer, 45 dans l’Aude, où la spécification des professions montre la très nette prépondérance des bûcherons, la place non négligeable des métiers du bâtiment et celle relativement faible des agriculteurs602. Cela correspond d’assez près aux attaches concrètes établies en France : moindres pour les forestiers, fortes pour les paysans.
72Ce moment vécu dans l’angoisse et l’incertitude provoque de toute façon un profond désarroi chez les émigrés. Tout ce qui encadrait la population a disparu : les associations sont interdites, les Maisons des Italiens abandonnées, les consulats fermés et placés sous scellés. Quand le missionnaire n’a pas été interné, il demeure un point de repère, comme à Toulouse où beaucoup viennent lui demander conseil. C’est une expérience douloureuse pour chacun, un moment où s’affrontent attaches, engagements, fidélités devenus contradictoires. Le dualisme consubstantiel à la situation d’émigration-immigration prend là une tournure éminemment conflictuelle, déchirante, qui se solde de manières diverses. Parfois transparaît la prise de conscience d’un choix irrémédiable, par le constat de l’enracinement, des attaches faites en France ou des devoirs envers la famille.
73Le loyalisme de conviction, c’est encore une fois chez les antifascistes qu’il faut le chercher. Au lendemain de la déclaration de guerre, les principaux groupes font connaître leur solidarité et se démarquent plus que jamais de l’Italie mussolinienne. Un appel est lancé aux émigrés pour qu’ils se placent dans le camp de la liberté603, la Fédération régionale « Matteotti » déclare solennellement que « la terre de France est aujourd’hui la patrie de tous les hommes libres604 », les anciens combattants italiens du Sud-Ouest affirment vouloir « faire cause commune avec la France605 ». De façon plus pratique, le secrétaire général du groupe de Garibaldiens des seizième et dix-septième régions militaires vient battre le rappel pour constituer des sections locales. Une dizaine d’engagements dans la Légion garibaldienne sont souscrits à Carcassonne, la centaine de personnes va ensuite en cortège au monument aux morts, des réunions identiques ont lieu à Castelnaudary et à Narbonne606. Ces tentatives de mobilisation échouent bien sûr du fait de la signature rapide de l’armistice. Au-delà des principales organisations, les groupes locaux donnent aussi de la voix et c’est peut-être le plus significatif, car cela traduit le cheminement qui se produit chez des émigrés jusque alors moins politisés ou ne relevant pas des formations militantes de fuorusciti. On retrouve la confirmation du rôle de sas joué par ces rassemblements à large base constitués aux beaux jours de l’UPI ou du réveil des Garibaldiens. Dans le Sud-Ouest, certains survivent à l’implosion des structures communistes qui a pu les faire disparaître ailleurs. Ils accompagnent alors la transition vers un engagement fait en conscience du côté de la France. Cela ressort, par exemple, de l’appel que le président de l’Association garibaldienne des Landes demande aux autorités françaises d’insérer dans la presse :
« En ce moment grave, personne n’a le droit de se dérober […] l’Immortel Guiseppe Garibaldi disait en 1870 : – la France est une grande nation, toujours à l’avant-garde du progrès humain, ennemie du despotisme, refuge pour les exilés, amie des opprimés. Si jamais la France se trouve dans une situation où elle aura besoin d’un allié, lâche serait cet Italien qui ne marcherait pas avec moi pour sa défense – […]Personne n’a le droit de s’abstenir, comme un seul les Italiens amis de la France doivent s’élever en masse [sic]. Le devoir de chacun est de s’engager607. »
74Enfin, une des conséquences moins souvent évoquées est le durcissement des clivages entre Italiens. Même si les indices sont ténus, marginaux, ils préfigurent nombre d’évolutions à venir. Ainsi, le 10 juin même, la gendarmerie de Lannemezan doit arrêter deux immigrés, notoirement nationalistes et fascistes, « pour les préserver de la colère de certains de leurs compatriotes qui veulent leur faire un mauvais parti », les traitant de « parachutistes » et « d’agents du consul608 ». Dans ce cas, il est intéressant de noter que ce n’est plus seulement par conviction politique que des Italiens assimilent les fascistes aux ennemis, mais avec le décalque des mêmes hantises qui travaillent à ce moment-là l’opinion française. Au-delà de l’aspect ponctuel de la crise, très aiguë dans les jours qui suivent le 10 juin, c’est un mouvement de plus longue durée qui s’annonce. C’est ce que traduisent les innombrables témoignages rapportant combien « la guerre » fut une époque pénible, la plus pénible. C’est ce qu’il faut comprendre quand un témoin explique que « la seconde guerre fut un moment difficile… parce que nous étions les ennemis ». Télescopant ainsi la stricte chronologie – l’état de belligérance ne dure que quelques jours puisque l’armistice franco-italien est signé dès le 24 juin – il réintroduit peut-être l’image exacte de la réalité perçue, avec ses pesanteurs, ses stases rebelles aux chronologies trop faciles. L’effet de traîne qui découle de ces journées conditionne toute la période à venir.
LES ANNÉES NOIRES
Une communauté au statut particulier
75Au lendemain de l’armistice, la colonie italienne se trouve très isolée. La presse de l’émigration a disparu, même Il Corriere jusqu’en février 1941, toutes les structures d’encadrement sont désorganisées. Alors que les agents consulaires n’ont plus de mission officielle, la Croix-Rouge italienne est le seul organisme accrédité par les autorités françaises pour établir des Comités locaux d’assistance. Dès septembre, une délégation visite le Sud-Ouest, constituant à Toulouse un comité présidé par son délégué général dans la région, le comte Carlo Zucchini Solimei. Don Masiello en est l’animateur de terrain, c’est lui qui reçoit ses compatriotes pour leur distribuer des secours en nature, tenter de regrouper les familles réfugiées ou faire parvenir leur correspondance au pays. Avant de regagner la Péninsule à la fin de l’année, le délégué général crée d’autres comités, à Agen autour de don Torricella, ou à Auch avec l’ex-dirigeant des anciens combattants. Cette solution provisoire laisse ensuite la place. Selon l’accord franco-italien du 4 février 1941, la Croix-Rouge n’officie plus qu’à titre privé et ces fonctions relèvent à l’ouest du Rhône de fonctionnaires nommés par Rome, les Délégués au rapatriement. Il ne peut s’agir en ce cas que de départs volontaires, toute pression ou propagande étant théoriquement prohibées609. Les nouvelles structures se mettent en place au printemps. Le comte Ottavio Gloria est délégué pour la région toulousaine et la zone libre de l’Aquitaine, Mario Caracciolo di Melito se charge à Agen de sa portion occupée610. Là encore, les correspondants locaux ressuscitent d’assez près les précédentes structures d’encadrement du réseau consulaire.
76Il faut aussi dire un mot du dispositif réglementaire mis en place par Vichy. On sait la volonté de rupture du nouveau régime. S’insérant dans un projet global d’épuration et de rénovation nationale, la traque des responsables de « l’abaissement » s’accompagne de la désignation de boucs-émissaires : anciens dirigeants, communistes, francs-maçons, juifs. Les étrangers entrent dans ce lot composite des « ennemis de la France ». Dès 1940, tout un arsenal de mesures visant à les exclure de la vie publique vient renforcer les dispositions d’exception prises par les derniers gouvernements de la Troisième République. Un sévère encadrement permet de fixer une limitation à leur emploi. Ceux considérés « en surnombre dans l’économie nationale » sont placés par simple décision administrative dans des Groupements de travailleurs étrangers (GTE), sorte de brigades disciplinaires devant accomplir des travaux d’utilité générale. Concernant les libertés publiques, leur circulation est limitée aux communes de résidence et limitrophes, la possibilité d’internement administratif est étendue à tout individu supposé dangereux pour l’ordre public ou la sécurité nationale, ce qui permet de pérenniser le système des camps. Enfin, le régime consacre la distinction entre Français « de souche » et « de fraîche date » en excluant les naturalisés de l’administration, des professions juridiques ou médicales, et en instaurant une procédure générale de révision des acquisitions de nationalité obtenues depuis 1927. Destinée surtout à écarter les juifs, cette mesure frappera moins les Italiens en proportion611, mais elle introduit une incertitude sur l’appartenance et remet symboliquement en cause l’assimilation. Cette législation n’est d’ailleurs que la partie visible, renforcée dans ses effets par nombre d’instructions.
77Voilà pour l’orientation générale. Mais l’Italie étant une puissance victorieuse, ses ressortissants bénéficient d’un régime de faveur qui tranche avec le traitement réservé aux autres nationalités. Leur statut résulte en fait des tractations entre le gouvernement de Vichy, qui tente de préserver sa souveraineté, et les autorités transalpines, qui cherchent à imposer leurs vues. La Commission italienne d’armistice de Turin et la délégation française trouvent d’abord un accord sur le sort des internés civils, encore assez nombreux du fait des mesures récentes. Une Commission italienne de contrôle est chargée d’organiser le rapatriement volontaire des internés de la zone sud, ce qui aboutit durant l’été 1940 à la libération de tous les suspects de juin, alors que la plupart des antifascistes demeurent internés, quand ils ne sont pas livrés au mépris du droit d’asile. Le camp de Bram est vidé, celui pour « politiques » du Vernet reçoit la visite de la Commission de contrôle en septembre. Sur les 344 Italiens qu’elle y examine, une quinzaine seulement accepte de se faire rapatrier612. Outre ces mesures d’urgence, diverses circulaires précisent la condition des ressortissants italiens en France. Sauf cas particuliers, ils échappent à l’essentiel des mesures de contingentement économique. L’administration est appelée à se montrer compréhensive, les préfets étant invités à instruire avec le maximum de célérité et « dans un esprit de large compréhension » leurs demandes de titres de circulation intérieure, sauf-conduits ou cartes temporaires, ainsi que d’autorisations administratives diverses. Dans le même temps, il est expressément rappelé aux fonctionnaires de ne tenir aucun compte des déclarations de loyalisme précédemment souscrites613. Si la vertu républicaine n’a donc plus cours, l’adhésion fasciste ne donne plus lieu au même soupçon. De manière générale, les Italiens bénéficient de garanties : aucune mesure de rigueur ne peut être prise contre eux sans que les préfets en réfèrent au ministre de l’Intérieur614, protection exceptionnelle à un moment où l’internement administratif est devenu la norme. Pour procéder à une expulsion, les autorités françaises doivent saisir la Commission italienne d’armistice, seulement pour des cas dûment justifiés, étant entendu que les fascistes ne peuvent en aucune façon être considérés comme « dangereux pour l’ordre public » ou « extrémistes615 ». Les sources semblent indiquer que l’essentiel des internements ou des expulsions prononcés à la demande des préfets méridionaux concernent des actes de petite délinquance : maraudage, chapardage de récolte, vol de vélo, braconnage, « chasse aux petits oiseaux par temps de neige », etc. Pour le reste, les « subversifs » ou supposés tels sont internés au Vernet : on y trouve pêle-mêle des syndicalistes, d’anciens brigadistes, des sympathisants de gauche, etc.616
78Ce cadre n’est pas de pure forme. Résultat de l’armistice, sa singularité explique la situation de la colonie italienne en zone non-occupée, et ce contexte pèse beaucoup. On sait que les antifascistes étrangers deviennent persona non grata dans la France de Vichy : réduits à la clandestinité alors qu’ils pouvaient avant-guerre s’appuyer sur des associations ou des organisations légales, internés pour certains. Pour ce qui est des Italiens, une large tolérance de facto est en outre accordée aux fascistes, via les contraintes imposées par la Commission d’armistice. Le sentiment d’impunité qui en résulte dans une partie de la colonie n’est pas étranger aux situations observables, ni à l’évolution des rapports entre Français et Italiens.
Un ressentiment qui perdure
79L’armistice franco-italien n’y change rien, les séquelles du drame de juin sont pour longtemps à vif. Durant l’été 1940, la rumeur publique accuse en plusieurs endroits les Italiens d’être gênants, de causer des ennuis. Personnalité en vue, Luigi Campolonghi fait par exemple l’objet d’une dénonciation tandis qu’il vit, très malade, replié à Nérac617. Pour en donner un autre signe, l’évêché de Carcassonne réclame d’abord le retour du missionnaire auxiliaire à la paroisse Saint-Vincent, récemment interné, avant de se féliciter qu’il regagne l’Italie, « vu les difficultés de la situation actuelle618 ». De tels indices bruts, très anecdotiques, n’ont d’intérêt que parce que le climat qui leur donne sens se retrouve partout. Tous les rapports s’accordent d’ailleurs sur le sens du constat. À l’automne 1940, le préfet déclare « inopportun » d’installer à Toulouse un fonctionnaire transalpin chargé du rapatriement, car cela pourrait être mal pris par la population. Début 1941, l’atmosphère est la même en Tarn-et-Garonne, où « l’hostilité contre les Italiens est générale, ils réunissent contre eux l’unanimité619 », tout comme dans le Lot-et-Garonne, où ils ont « mauvaise presse620 ». En explorant comment se manifeste un tel climat, on comprend ce qui se joue dans les esprits. Les services de renseignements évoquent la rancune envers l’Italie pour expliquer les comportements agressifs et les vexations constatés contre telle ou telle famille, connue comme fasciste ou internée en juin. Encore une fois, les relations sont compliquées du fait de l’attitude de morgue et parfois d’insolence d’une partie de la colonie, « l’arrogance patente » de quelques-uns qui « vont jusqu’à dire qu’ils sont chez eux, qu’ils sont vainqueurs, qu’ils le feront voir621 ». Dans les villages, ceux-là n’hésitent pas désormais à manifester une francophobie ouverte. Les rapports mentionnent des bravades, comme ce conflit de voisinage où des Italiens nationalistes harcèlent un naturalisé, ou des propos du genre : « Autrefois, c’est vous qui commandiez, mais maintenant c’est nous !622 »
80Pourtant, si on s’attache à l’attitude de la masse, les Italiens font plutôt le dos rond, comme pour se rendre invisibles. Les observateurs notent en général qu’ils « se conduisent bien », c’est-à-dire qu’ils ne se font pas remarquer. Pour ne pas s’exposer à des problèmes, craignant les réquisitions de main-d’œuvre, ils se font les plus discrets possible, sentant bien qu’il ne faut pas donner prise à l’agressivité. Ainsi que le résume un fonctionnaire en Tarn-et-Garonne : « On a l’impression qu’ils veulent se faire pardonner leur présence dans un département qui se passerait d’eux et où ils se savent indésirables623 ». Installés souvent depuis de nombreuses années, la plupart se concentrent sur leur exploitation, ne laissant voir qu’un retrait, voire un renfermement, bien paysan.
« Les Italiens pensent et agissent pour la plupart comme des Français […] Propriétaires de terres importantes qu’ils ont acquises au prix d’un labeur opiniâtre, ils n’ont d’autre souci que celui de les mettre en valeur et de les étendre si possible au profit de leurs enfants624. »
81Mais, sur la base du sentiment anti-italien, les glissements habituels se produisent, de la rancœur contenue à la xénophobie franche, assez générale chez certains pour englober indifféremment tous les immigrés en tant que tels. Le contrôle postal témoigne de la virulence d’émotions qui s’expriment parfois sur un mode injurieux, voire ordurier. L’utilisation de la langue natale peut renforcer l’antagonisme, étant ressentie comme un moyen de comploter, « afin que les Français ne sachent pas ce qu’ils disent », ce qui suffit pour donner à certains l’impression que « les étrangers [italiens] sont chez eux625 », perception bien connue pour exaspérer tous les désirs d’exclusion. Cette hostilité se marque dans la vie quotidienne et les relations de proximité qui se dégradent. Un observateur remarque que les moqueries des adolescents du camp de jeunesse de La Nouvelle (Aude) contre un restaurateur italien « seraient un enfantillage si c’était un cas isolé ; malheureusement, c’est un état d’esprit généralisé dans la jeunesse626 ». Cela donne matière à des vexations par mesure de rétorsion, quelques buralistes ne voulant par exemple pas vendre aux Italiens de tabac rationné. La situation des prisonniers accroît encore les tensions. Vécue comme un drame, orchestrée en ce sens par la propagande vichyste, cette absence indéfinie focalise la frustration des familles et de l’opinion française dans son ensemble. Si les affaires de « cocufiage » de prisonniers provoquent des cancans, celles mettant en cause des étrangers font scandale, au point de mettre en émoi toute une localité. Dans un tel contexte, seules des relations personnelles étroites peuvent permettre de désamorcer un peu les choses.
82La situation est particulièrement délicate en Lot-et-Garonne, département qui abrite un grand nombre d’immigrés, en limite de la ligne de démarcation. En 1941, les autorités s’y inquiètent des conséquences du sentiment italophobe, au sein même de l’administration et surtout des forces de l’ordre. À un immigré qui menace de faire intervenir la délégation italienne pour obtenir un permis de circulation, les gendarmes d’Astaffort répondent : « Ici on est en France, si vous voulez commander, vous n’avez qu’à aller en Italie !627 ». Quelques dérapages plus graves sont attestés, notamment une perquisition brutale au domicile d’un couple à Marmande. Informé que des policiers usent de l’injure, le préfet exige une stricte correction. Des instructions gouvernementales viennent réaffirmer que les Italiens dont l’attitude est correcte doivent bénéficier de mesures « bienveillantes » et rappeler à l’ordre les fonctionnaires fautifs628. D’autres faits divers laissent voir cette situation tendue où les invectives mutuelles ne sont jamais très loin. L’intérêt des rapports de police ou de gendarmerie qui en rapportent avec précision la teneur est de permettre de reconstituer les représentations à l’œuvre, de dépasser le constat d’un état de l’opinion pour appréhender les logiques de son fonctionnement. Ils montrent que l’insulte associe souvent « macaroni » et « boche ». Partant, l’animosité anti-italienne participe dès ce moment du rejet plus général de l’hégémonie allemande. Sous l’effet d’amalgame qui en résulte, les Italiens font office de bouc-émissaire, figures identifiables pouvant se substituer à l’ennemi nazi, honni mais invisible. On peut prendre deux cas révélateurs de transferts de ce genre, avérés dès l’été 1941. Tel villageois traite son voisin de « sale Italien », mais aussi de « boche », et le menace d’un sort identique au « parachutiste allemand » qu’il se targue d’avoir tué lui-même629. Quand la tenancière d’un café de Saint-Vite (Lot-et-Garonne) exige silence pour écouter le discours radiodiffusé du Maréchal et que des Italiens répondent qu’ils « s’en foutent de Pétain », elle agonit cette « bande d’Hitler et de Mussolini !630 »
83On sait le sentiment dominant dans la population méridionale à l’égard de la situation internationale. Sans forcément avoir de sympathie pour l’Angleterre, elle souhaite son succès en y voyant un moindre mal et la seule chance pour la France. Le retournement d’alliance esquissé par Vichy n’est pas suivi. Dans ce cadre, l’Italie est bien sûr associée à l’Allemagne et à une politique de collaboration largement rejetée. Ce rapprochement peut d’ailleurs se voir renforcé du fait que « les Italiens suivent avec intérêt le développement des opérations militaires », certains se montrant ouvertement « satisfaits de la tournure que prennent les événements631 ». Dès lors, toutes les péripéties de la guerre donnent matière à l’expression d’un contentieux qui s’alimente par analogie et par puissances interposées. Pendant la campagne de Grèce, un spectateur immigré se fait par exemple chahuter dans un cinéma de village où on lui crie « Va-t’en à Bardia espèce de macaroni ! », au moment même où la prise du site par les Anglais domine l’actualité632. L’antipathie envers les Italiens ne s’apaise donc pas. La mémoire du « coup de poignard » est là, bien sûr, mais aussi de nouveaux motifs de rancune qui servent d’exutoire au malaise général de la population. L’arrivée des Allemands semble d’ailleurs exaspérer encore les choses. Fin novembre 1942, les autorités du Tarn-et-Garonne décident de renforcer leur surveillance pour éviter d’éventuels incidents :
« Dans certaines communes, il est des Français qui regardent d’un mauvais œil les Italiens installés chez nous depuis une dizaine d’années et parlent même de les chasser du territoire dès la défaite italo-allemande que l’on espère prochaine633. »
L’esprit de résistance des antifascistes
84Face à ces tendances lourdes, il faut évoquer les minorités agissantes qui continuent à affirmer dans l’ombre une attitude en rupture, établissant indirectement les ferments d’autres rapports entre Français et Italiens. Au lendemain de l’armistice, beaucoup d’antifascistes se retrouvent dans le Sud-Ouest, installés de longue date ou nombreux à s’y être repliés suite à l’exode. Le socialiste Guiseppe Sarragat est descendu à Saint-Gaudens. Toulouse devient un pôle de rassemblement, pour l’avocat Emilio Lussu et Mario Levi de Giustizia e Libertà, Maria Albini, Ernesto Caporali, l’ancien député socialiste Giuseppe Sardelli, ou encore Giulio Vespignani, ancien d’Espagne et organisateur en juin de la Légion garibaldienne dans la région. Ils y sont en relation avec les exilés déjà présents et avec des Français de gauche, comme Julien Forgues, ancien secrétaire de l’Union départementale des syndicats. On trouve aussi d’anciens brigadistes libérés ou évadés des camps et des engagés volontaires de septembre 1939, venus après leur démobilisation à l’automne 1940634.
85Ces antifascistes sont sans doute mieux préparés à supporter le choc de la défaite. Le décalage joue à plein avec une opinion française assommée par l’énormité du désastre national, désarçonnée par la déliquescence de la vie politique, livrée aux perceptions refuge du maréchalisme. Pour les fuorusciti – en particulier pour les leaders sur lesquels on dispose de témoignages – la compréhension globale de la situation est plus précoce. Dans la cohérence de leur engagement, l’agression mussolinienne contre le pays d’asile n’est qu’une confirmation du jugement porté de longue date sur le fascisme. La guerre d’Espagne, qui les a tant mobilisé, a achevé de donner à leur lutte la dimension européenne qui leur évite de perdre la mesure des enjeux. L’effondrement de la France ne représente donc qu’une étape supplémentaire dans un combat engagé quinze ans plus tôt dans l’exil, et même avant en Italie. Mais si la cause reste la même, la nouvelle donne conduit certains à repenser ses objectifs immédiats. Dès juin 1940, Silvio Trentin écrit à un de ses amis du Sud-Ouest : « Je ne vis plus que pour assouvir cette détermination implacable : racheter à n’importe quel prix la honte dont le crime fasciste a souillé le nom de mon pays635 ». Réfugié depuis l’exode dans le petit village de Palalda (Pyrénées-Orientales), Pietro Nenni se rend début juillet dans l’Aude et pousse jusqu’à Toulouse pour essayer de renouer les contacts entre Français, Espagnols et surtout Italiens. Avec une acuité de jugement qui tranche dans le chaos ambiant, il écrit : « Sur la scène de Vichy, les morts enterrent les morts. Dans les villes, au fond des campagnes, l’esprit de résistance prend naissance636 ». Autre initiative précoce, durant l’été 1940, certains chefs de la Légion garibaldienne réfugiés en Lot-et-Garonne souhaitent publier à Agen Le Garibaldien, en liaison avec Sante Garibaldi, replié à Bordeaux, et Oreste Ferrari, l’ancien directeur de L’Attesa637. Autant d’indices convergents d’un milieu où subsiste, encore, un sentiment de combativité, et où peut s’exprimer, déjà, l’idée d’un refus. Cet état d’esprit encore atypique est propice aux recompositions futures.
86La clandestinité forcée n’empêche pas la survivance d’une mouvance antifasciste, même si elle ne peut plus se manifester sur la scène publique. En Midi toulousain, les socialistes maintiennent des liens étroits malgré la dissolution officielle du parti en juin 1940 : « depuis, aucune politique active n’a été constatée dans les milieux italiens de la ville, cependant le contact n’a jamais été rompu entre les militants638 ». Autour de Giovanni Faraboli, le Comité d’assistance syndicale poursuit discrètement son activité en envoyant des colis aux internés des camps français, grâce à des subventions américaines et suisses. De son côté, Pietro Nenni reprend début 1942 l’édition clandestine d’une feuille intitulée Nuovo Avanti qu’il tente de diffuser dans le Midi auprès de ses amis. À l’occasion de ses passages, il témoigne que Toulouse reste un foyer important pour cette mouvance, ses camarades se sentant plus soutenus dans cette ville frondeuse. Bien sûr, les préoccupations de ce milieu militant concernent en grande partie les stratégies de lutte pour la libération de l’Italie, beaucoup comptant dès ce moment sur un changement de régime qui leur permettrait de rentrer au pays. Les communistes italiens se réorganisent aussi dans la clandestinité. Ceux emprisonnés au Vernet forment un groupe à l’intérieur du camp. Certains dirigeants se retrouvent autour de Toulouse :
« Il y a Sereni, Dozza, Amendola et bien d’autres. Ils ont loué un jardin en dehors de la ville et se sont improvisés cultivateurs. Ils travaillent, étudient, parcourent la France d’un bout à l’autre et disposent d’une machine à imprimer portative. Ils sont assez bien reliés entre eux et bien renseignés, les uns croient que la guerre recevra une solution révolutionnaire, les autres sont plus prudents639. »
87Il est dès lors logique que la présence de ces antifascistes joue un rôle dans la constitution de foyers résistants, pour insuffler un sentiment de refus et donner un cadre où le penser. Sur le plan organisationnel, les structures communistes permettent un recrutement clandestin précoce parmi les étrangers. En Lot-et-Garonne, seul département de la région où ce courant disposait avant-guerre d’un bon ancrage rural, la 35e brigade FTP-MOI se constitue dès 1942 à partir d’un noyau italien de quelques militants aguerris qui servent d’éveilleurs. Pour les jeunes qui s’engagent par réseaux de voisinage et parentèles familiales, l’adhésion au PCd’I formalise à ce moment une rupture avec l’attentisme. Mais les premières actions sont classiques, non spécifiques, comme diffuser pour l’organisation communiste Front national une propagande de type patriotique, anti-Vichy et anti-Laval.
88Il faut enfin mentionner le rôle de Silvio Trentin et l’importance du cercle regroupé autour de lui. Sa réflexion théorique sur le fascisme, ses ouvrages, en font une référence intellectuelle. Sa librairie du Languedoc, lieu privilégié pour l’antifascisme depuis 1934, agrège une mouvance propice à l’esprit de résistance. S’y retrouvent des intellectuels toulousains, d’autres réfugiés et des expatriés. Ainsi que le résume un habitué, professeur au Lycée Fermat : « Dès la défaite de mai 1940, l’armistice et la formation du gouvernement de Vichy, Silvio Trentin a inspiré à ses amis français la décision de résistance640 ». Cette détermination est d’ailleurs familiale, nombre de témoignages disant sa femme Beppa et ses enfants tous unis dans cette volonté. C’est là que certains rescapés du groupe parisien du Musée de l’Homme se retrouvent dès le début de 1941, autour de Jean Cassou et du socialiste toulousain Achille Auban. C’est aussi dans cette mouvance que Pierre Bertaux établit les contacts de son futur réseau, actif au printemps. Établissant la liaison avec Londres, il reçoit un opérateur radio et du matériel qui permettent une activité de sabotage et de renseignement jusqu’à son démantèlement par la vague d’arrestations de décembre 1941. Plusieurs Italiens y prennent part, comme Francesco Fausto Nitti, chargé de l’action directe, ou Joseph Marchetti, militant du PCd’I, ancien d’Espagne évadé du camp d’Argelès-sur-Mer. Silvio Trentin participe en personne au mouvement Libérer et Fédérer, dont le premier journal clandestin sort en juillet 1942. Dans la charte qu’il rédige, il inspire la ligne socialiste fédéraliste et un projet de reconstruction sociale inséparable du combat de libération. Quant à son fils Bruno, il anime avec celui du professeur Raymond Naves l’action de quelques lycéens de l’école hôtelière qui distribuent des tracts et sont finalement pris en train de maculer des affiches gouvernementales de « V » et de croix de Lorraine641.
89Malgré l’importance de tels précurseurs, il faut pourtant bien conclure sur la marginalité de ces Italiens-là, comme à cette époque de quiconque engagé dans une activité, voire une attitude, résistante. Hors de leur cercle, dont la librairie du Languedoc présente d’ailleurs un cas exceptionnel, ils n’ont encore presque aucun impact, faute de visibilité. Dans l’immédiat, d’autres facteurs sont déterminants pour expliquer l’évolution du sentiment public à l’égard de la colonie italienne. Ils dessinent une ligne de pente inverse, en total décalage avec l’engagement de ces antifascistes.
Les contraintes non partagées
90Durant ces années, plusieurs éléments contribuent à maintenir ouvert le contentieux et suffisent, même quand ils sont purement vexatoires, pour provoquer des crispations. Il arrive par exemple en 1943 que le consulat rétabli à Toulouse organise des distributions de tabac pour ses sympathisants, suscitant évidement envies et jalousies. Le problème des bals entretient aussi une acrimonie qu’on aurait tort de sous-estimer. Théoriquement prohibés en solidarité avec les prisonniers, quelques Italiens en organisent avec leurs propres musiciens. Un agriculteur, joueur d’accordéon, est ainsi connu comme un animateur de soirées clandestines dans les environs de Saint-Sixte, Saint-Nicolas et Sauveterre (Lot-et-Garonne). Pour les motifs les plus divers, souvent les plus futiles, des rixes entre Français et Italiens peuvent émailler ces rassemblements où les esprits s’échauffent, notamment à l’occasion de noces642. Ces antagonismes de proximité ressortent par exemple du témoignage d’un curé se plaignant de devoir souvent admonester un groupe de jeunes, en majorité italiens, qui se moquent des restrictions, « affichent impudemment leur indifférence pour les malheurs d’autrui » ; quand ils cherchent à faire dégénérer en bal une soirée au profit des prisonniers, ils manquent de compromettre la tranquillité d’un village où les deux populations vivent pourtant en bonne entente643. Ces cas ne sont pas isolés, au contraire. Soucieux de préserver la moralité générale, Il Corriere appelle la colonie à faire preuve de retenue et dénonce les fautifs comme « indignes644 ». Le préfet du Lot-et-Garonne signale même ce problème au délégué de Rome. Au printemps 1943, un rapport confirme encore en Tarn-et-Garonne que « la jeunesse italienne cherche à s’amuser, on la trouve partout dans les bals et les organisateurs de ces bals sont presque toujours des Italiens645 ». Vu le contexte immédiat, leur caractère provocateur ne fait que se renforcer, alimentant la chronique des « bravades italiennes » et installant l’image d’une communauté épargnée, qui profite des malheurs du temps.
91Un autre grief concerne les contraintes non partagées. On retrouve la configuration de la mobilisation : les différences sont d’autant plus inacceptables que les Italiens sont enracinés dans les campagnes, assez semblables à leurs voisins. Car si les Espagnols, réputés maraudeurs et vagabonds, peuvent servir un temps de repoussoir, les compagnies de travailleurs étrangers viennent bientôt encadrer les plus instables, tout en les mettant à l’écart. Le ressentiment croît d’abord du fait que les immigrés ne sont pas soumis aux tours de garde des voies ferrées, corvée très mal supportée par la population des petites communes rurales où les rotations sont rapides. L’appel des autorités pour qu’ils se portent volontaires ne connaît aucun succès, les Italiens restant presque partout indifférents. Au printemps 1943, la tension monte encore d’un cran avec le recensement des jeunes Français pour le Service du travail obligatoire (STO), y compris les paysans un moment épargnés. La mesure, qui suscite un rejet immédiat, accélère d’autant les évolutions, car les Italiens, eux, ne sont pas recensés. Divers document en attestent dans l’Agenais646. Comme toujours, les comportements d’une minorité exposent la colonie aux réactions d’hostilité. Que quelques jeunes immigrés fassent montre d’arrogance, allant jusqu’à narguer les recensés, et cela soulève l’indignation. Cette tension est propice à des altercations contre les plus provocateurs. Pour avoir dit que « la place des Français était à Berlin et que ça leur ferait du bien », un métayer est par exemple rossé de nuit par un trio venant de passer la visite médicale à Duras. Plus révélateurs encore, les exemples de réaction collective. C’est le cas quand les jeunes d’un village se regroupent pour interdire l’accès du cinéma aux Italiens, n’acceptant qu’un naturalisé. Ailleurs, ceux présents lors d’une soirée organisée par le Secours national au profit des prisonniers de guerre sont pris à parti par les villageois. À Lachapelle, c’est le maire qui doit intervenir pour calmer un groupe de jeunes Français décidé à s’opposer aux festivités d’une noce célébrée par le consul. Cette hostilité ne vise pas que les Italiens puisqu’elle est aussi forte contre les Espagnols. Au printemps 1943, l’opinion réagit partout en fonction des mêmes considérations :
« Les étrangers sont assez mal vus parce qu’ils bénéficient de plusieurs privilèges : ils ne prennent pas la garde sur les voies ferrées et ne partent pas en Allemagne647. »
Le soupçon de collaboration
92Le fait que le sentiment anti-italien, très ancré, en vienne à s’exprimer au travers du rejet de l’Allemagne s’épanouit en toute logique dans l’accusation de collaboration. Cette idée apparaît tôt, du fait d’incompréhensions mutuelles, d’effets d’amalgame et de la visibilité provocatrice de fascistes qui ont le champ libre. Bien antérieure à novembre 1942, elle prend tournure avant de rencontrer une situation concrète capable de l’amplifier. Il n’en reste pas moins que la présence de l’armée d’occupation transforme radicalement la situation en rendant possible des accointances tangibles, provocantes, et en induisant un clivage plus tranché. Un nouveau facteur de tension vient s’ajouter aux séquelles du « coup de poignard », ainsi qu’à l’animosité générale contre des étrangers considérés comme plus épargnés par la dureté des temps.
93Les émigrés ont la possibilité de travailler pour l’Allemagne selon les conditions définies par l’accord franco-italien du 4 février 1941. Seuls les volontaires peuvent y aller, sur leur demande expresse adressée à l’office de recrutement allemand, sans passer par les autorités françaises mais avec l’accord des représentant de Rome, Commission d’armistice ou consul. La propagande se développe dans ces milieux dès le printemps 1941, surtout vis-à-vis des ouvriers des villes, plus mobiles, auprès desquels elle a quelques chances d’aboutir. Dans l’Agenais, par exemple, un Italien de Bon-Encontre, utilisé comme interprète par l’armée allemande, circule dans les cafés et les restaurants italiens afin de recruter des jeunes pour l’Allemagne et la zone occupée : il leur fait remplir un formulaire à adresser au consulat de Bordeaux qui renvoie ensuite la convocation. Quatre ou cinq Italiens par jour se feraient inscrire648. À Carcassonne, un entrepreneur en maçonnerie se charge de la même tâche649. Ce mouvement de départs volontaires, difficile à évaluer dans son ampleur650, existe jusqu’à la Libération.
94Un autre élément alimente le soupçon. La mentalité paysanne se montre d’emblée rétive aux contingentements et aux contrôles en matière d’approvisionnement imposés pendant la guerre. Les agents de l’État n’en finissent pas de déplorer que les ruraux ne se préoccupent que de leurs intérêts et soient indifférents à la solidarité nationale. Si certains cultivateurs usent des possibilités de réaliser un profit au marché noir, le fait de tourner par tous les moyens les taxations qui leur sont faites ne représente pour beaucoup qu’une façon de maintenir inchangé un mode de vie et de travail. Cela englobe donc toutes sortes de commerces illicites, souvent de peu d’importance : vente de produits à la ferme, transport ou transformation clandestine de denrées contingentées (mouture de céréales, fabrication de fromage, etc.), abattages clandestins causés tant par les bas prix pratiqués par les commissions de ravitaillement que par le manque de fourrage. Alors que les pénuries sont au centre des préoccupations, l’hostilité se développe d’autant envers les paysans, rendus responsables des difficultés de ravitaillement. Ces affaires impliquent des Italiens dans la mesure où ceux-ci sont essentiellement agriculteurs, avec les mêmes petits trafics dans les procès-verbaux qui les mentionnent. Mais le constat est plus général. Si on prend le cas du Tarn-et-Garonne, plusieurs rapports attestent que les Italiens ont « tendance » à se livrer au marché noir et aux abattages clandestins, que « beaucoup, non touchés par les événements de France, ne subissant pas le sort de leurs compatriotes restés dans leur pays, continuent à faire grassement leurs affaires651 ». Cette attitude est si flagrante qu’après la Libération la section toulousaine des résistants d’Italia Libera se donnera pour projet d’instruire ces Italiens des campagnes, « réfractaires à tout sentiment idéologique, avides de gain, soucieux de leur bien-être652 ». Les rancœurs provoquées par ces affaires de marché noir sont bien connues, décuplées dans le cas d’étrangers : les Italiens passent ainsi pour des paysans profiteurs, et par extension pour une communauté égoïste. Le problème vient surtout des échanges effectués avec les militaires allemands qui ont naturellement tendance à démarcher leurs exploitations, souvent bien approvisionnées, quand ils cherchent à se ravitailler. En Lot-et-Garonne, les autorités indiquent comme un problème récurrent que « les Italiens, malgré les consignes qui sont faites, continuent à vendre aux troupes d’opération des produits de la ferme653 ». Cette attitude suffit à développer l’exaspération.
95Les relations peuvent être encore plus poussées. Suivant la ligne d’un régime fasciste totalement engagé dans le combat de l’Axe, une minorité d’Italiens adopte une attitude ouverte de collaboration. Si certains s’affichent vichystes, la possibilité d’engagement est de toute façon limitée de ce côté-là. Marié à une Française, un électricien parvient par exemple à entrer aux Service d’ordre légionnaire (SOL) en 1942, mais ne peut pas faire partie de la Milice du fait de sa nationalité654. Pour ceux-là, le rapprochement intervient d’autant plus facilement avec les Allemands. Certains faits divers le révèlent, comme quand une partie de la colonie italienne d’un village s’empresse de dénoncer un naturalisé comme espion communiste et gaulliste655. Mais ce sont surtout les rapports d’opinion qui l’indiquent de façon plus probante. Au printemps 1943, plusieurs observateurs notent en Tarn-et-Garonne que les Italiens ont « une tendance très nette à sympathiser avec les troupes allemandes656 ». La rumeur publique les soupçonne non seulement de les ravitailler mais encore de leur fournir des renseignements, les rendant parfois responsables de perquisitions ou d’arrestations. Un rapport résume ce qui peut ressortir aux yeux de l’opinion :
« L’élément italien […] se fait remarquer par sa vaillance, sa sobriété, son esprit de famille, son goût de l’ordre et aussi une tendance à se lier avec les troupes d’occupation qu’il renseigne. Des perquisitions opérées par les Allemands dans certaines fermes seraient la conséquence de délations italiennes657. »
96Les autorités fascistes retrouvent dans le même temps une certaine visibilité. En janvier 1943, les Délégations italiennes au rapatriement sont supprimées à l’ouest du Rhône et certains consulats rouverts. On peut à nouveau voir le consul général organiser des réunions patriotiques pour la colonie. Une réception de ce genre, donnée durant l’été à la mission d’Agen, montre la résurgence d’un nationalisme ostentatoire. En présence du consul général, du vice-consul et du secrétaire du fascio, on y acclame le Duce et son régime victorieux658. L’association des anciens combattants tente de reprendre ses activités, tandis qu’Il Corriere lance une campagne de presse patriotique vantant les succès guerriers de l’Italie, plus puissante que jamais. Tous ces éléments expliquent que le fond de ressentiment anti-italien puisse entrer en résonance avec le soupçon de collaboration, à tel point que les deux veines, inextricablement mêlées, deviennent indiscernables. Dans la première moitié de l’année 1943, la tendance précoce à assimiler le destin de l’Italie à celui de l’Allemagne se renforce à voir certains immigrés se lier avec les occupants. Propos patriotiques et xénophobes se retrouvent amalgamés, dans la plus grande confusion. Cet effet, visible seulement dans le détail des faits, révèle la complexité de perceptions impropres à être tranchées de façon trop manichéenne, impossibles à réduire à une ligne claire.
97Il peut en résulter localement de graves contentieux, comme au sud-ouest de Toulouse, en bordure du Gers, où les provocations ne manquent pas. Au printemps 1943, à l’issue du rassemblement à Rieumes d’une centaine d’émigrés venus rencontrer le consul général, « des passants auraient trouvé des inscriptions sur la route avoisinante, notamment une carte de l’Europe dotée d’une France réduite sur laquelle on aurait déposé des excréments659 ». Dans cette localité, deux fermiers animant avant-guerre le fascio local, toujours très liés à leurs autorités nationales, sont accusés par la rumeur publique de trafiquer au marché noir, d’avoir hébergé et ravitaillé à plusieurs reprises des soldats allemands venus chercher la marchandise en camion. Arrogants, convaincus de leur impunité, ils exigent des excuses publiques de tout Français leur en faisant reproche :
« C’est la gendarmerie qui, dans l’intention de prévenir des complications ou des représailles, a conseillé aux auteurs de ces incidents de se soumettre aux exigences des Italiens. Ces activités et les incidents qui en découlent, compte tenu de la conclusion humiliante pour les Français, risquent de pousser Français et Italiens à des antagonismes dangereux […] Depuis la défaite, ils ont par leur manière d’agir, indisposé la population de Rieumes. Si l’Axe est battu, il est possible que des représailles soient exercées contre ces familles660. »
98Dans le village proche de Fonsorbes, une animosité comparable s’exerce contre une famille connue pour ses opinions fascistes et pour recevoir à domicile des membres de l’armée allemande, de la Feldgendarmerie et de la Gestapo. Enfin, cinq affiches manuscrites contenant des menaces à l’égard des Italiens sont apposées une nuit de la mi-août 1943 sur le mur de la halle de Saint-Lys, les incitant à quitter la France le plus tôt possible sous peine de représailles sévères661, preuve que l’animosité s’est déjà généralisée et a pris une tournure xénophobe. Si on s’essaye à démêler les représentations à l’œuvre dans les situations de ce genre, on découvre une grande complexité et une certaine ambiguïté. C’est, par exemple, le président de la délégation spéciale d’une petite commune de Haute-Garonne qui refuse, lors d’une affaire de marché noir, de prendre en compte la parole d’un métayer italien du village, au motif qu’il s’agit « d’un étranger, d’un ennemi encore662 ». L’affleurement chauvin voisine avec le ressentiment du « coup de poignard », brouillant le message recherché par un régime qui s’engage de plus en plus avec l’Axe. Certaines altercations témoignent aussi d’une haine prête à resurgir à la moindre occasion. Il est révélateur que, quand une rixe s’engage à Nérac entre un jeune Français et un autre Italien, divers badauds finissent par s’en mêler en criant :
« Salauds de macaronis ! » ; « Fascistes ! » ; « Sales Italiens ! » ; « À bas l’Italie ! » ; « Il faut toujours vous y mettre à dix contre un ! » ; « Allez-vous-en avec vos sales boches ! » ; « On fera des camps de concentration assez grands pour tous vous y mettre ! » ; « Retourne en Libye ou a Caporetto, putain d’Italien !663 »
99On voit, là encore, les effets d’amalgame qui opèrent : stéréotypes anti-italiens traditionnels, accusation de fascisme et de collusion avec l’Allemagne, et, finalement, désir de vengeance contre une communauté désignée comme coupable. À Aiguillon (Lot-et-Garonne), après une nuit de vandalisme contre les magasins de deux commerçants, des graffitis attestent de cette confusion : « À mort les traîtres à la patrie », « À mort salo italo !664 ». Enfin, le tract signé du « Comité de Libération » de Villefranche-de-Lauragais (Haute-Garonne) affiché en plusieurs points de la ville une nuit de septembre 1943, violemment anti-vichyste, communique la liste nominative des « traîtres » de la ville qui devront être « châtiés » par un « tribunal révolutionnaire de la Résistance » à la Libération : au « groupe Collaboration » et au « groupe Milice » s’ajoute un « groupe Macaronis665 ».
100Malgré la diversité des situations, une même configuration se retrouve partout. Dans une population excédée par l’occupation, l’accusation de collaboration vient se développer en réponse à l’attitude ouverte de quelques Italiens qui font le choix de l’Axe et n’hésitent pas, par leurs comportements, à le faire savoir. Mais ce jugement, politique à la base, prend facilement l’apparence et même la signification profonde d’un rejet xénophobe. La vieille exécration du « macaroni » sert à lui donner forme. Partant, elle pousse insensiblement à ce que se développe un fond d’hostilité à l’égard de toute la colonie, victime de ces engrenages. On retrouve là un des effets les plus importants et pourtant les plus mésestimés des phénomènes d’opinion : les motifs ou les motivations rationnelles, objectives, qui contribuent à lancer un mouvement et à déterminer une appréciation s’abîment ensuite dans des prolongements plus confus, mélangés de sentiments obscurs.
Les réactions aux événements en Italie
101Le 10 juillet 1943, le front atteint l’Italie avec le débarquement anglo-américain en Sicile, puis le passage en Calabre. Le roi Victor-Emmanuel est appelé à reprendre le pouvoir, le Duce est démis de ses fonctions. Mais, alors que l’armistice est signé avec les Alliés en septembre, les Allemands libèrent Mussolini qui reconstitue au nord un pouvoir sous contrôle, la République sociale italienne, dite République de Saló. Le roi et le maréchal Badoglio qui dirige le gouvernement se replient dans le sud libéré auquel les Alliés accordent un statut de co-belligérance. À partir de là, la guérilla se développe en Italie septentrionale, les partisans s’attaquant à la fois à l’occupant germanique et au régime collaborateur. Face à ces bouleversements faut-il suivre l’hypothèse qu’un sentiment de solidarité prendrait désormais le dessus entre Français et Italiens, du fait d’un contexte similaire et de la participation de certains immigrés à la Résistance666 ?
102L’abondance des sources permet de reconstituer avec précision le profil de l’opinion méridionale. Si elle se passionne durant l’été pour les batailles de Sicile, c’est parce que la reprise des combats en Méditerranée est vue comme le prélude de la fin de la guerre. Entre crainte et espoir, on évoque un prochain débarquement sur les côtes provençales. La chute de Mussolini provoque l’enthousiasme, nombre d’observateurs soulignant que les Français détestent le Duce qu’ils ont toujours moqué. Mais l’essentiel touche aux spéculations sur les suites internationales. Certains prédisent un effondrement rapide de l’Axe, tous y voient une preuve de son affaiblissement. Le sujet s’éteint cependant assez rapidement. Si la remise en selle du chef fasciste relance la curiosité, elle fait retomber l’excitation en rendant plus aléatoire l’issue des combats. L’opinion passe donc en quelques semaines du plus grand optimisme à l’idée consternante que la guerre va durer un temps indéfini. Passé octobre, le public se désintéresse du front italien, considéré comme secondaire du fait de la lenteur des opérations qui s’y déroulent. L’intérêt des Français pour les événements d’Italie ne prend donc pas naissance dans un sentiment de solidarité, mais dans les retombées qu’ils en attendent pour eux-mêmes. Il semble même plus juste de dire qu’une partie au moins voit un revers mérité dans les difficultés qui assaillent la Péninsule. Durant l’été 1943, un employé du vice-consulat se plaint, par exemple, qu’une commerçante d’Agen se soit réjouie des communiqués mentionnant les nombreux morts du bombardement de Naples667. Si l’attitude est générale, l’explication reste inchangée :
« Le peuple français dans son ensemble a conservé une vive animosité contre les Italiens depuis leur intervention dans le conflit en juin 1940, et on entend souvent reprocher aux aviateurs de ce pays de s’être montrés plus durs que les aviateurs allemands en mitraillant la population civile et les débris de l’armée française en déroute. Aussi, malgré quelques regrets pour les destructions de monuments inestimables, la majorité de la population ne plaint pas beaucoup les malheurs du peuple italien, considérés comme une juste punition668. »
103Ces événements sont perçus au travers des clichés traditionnels, et on ironise plus que jamais :
« Le vieil esprit français se réveille pour railler les fanfaronnades italiennes, le public se délecte des affirmations savoureuses concernant la volonté italienne de mener la lutte jusqu’au succès final669. »
104Les émigrés, quant à eux, sont en plein désarroi. Ils craignent pour le pays et le sort des leurs. Des rumeurs de rétorsion laissent en outre entendre que les autorités françaises s’apprêteraient à leur faire payer le fait que certains n’ont pas eu une conduite correcte, refusant de prendre la garde des voies de communication, faisant intervenir leur consul dans des affaires administratives, refusant de céder leurs produits aux Français pour les vendre au prix fort aux occupants670. Le climat se révèle donc très tendu.
« Beaucoup d’Italiens qui par leur attitude fasciste s’étaient fait remarquer après la signature de l’armistice, ont eu peur d’être maltraités après la reddition de l’Italie. Quelques paroles ont été échangées ça et là, il leur a fallu subir les moqueries ouvertes de la population671. »
105L’armistice est évidemment salué avec enthousiasme par les antifascistes, comme ouvrant la voix à la Libération. À l’inverse, le « désappointement et l’anxiété » sont perceptibles chez les partisans de Mussolini, jusqu’à ce que l’évasion du Duce et la reconstitution du parti leur permettent de relever la tête. La crainte est en revanche générale quand les Allemands occupent la Péninsule, tous les Italiens craignant de subir, en France même, les représailles des troupes d’occupation.
« Dès l’annonce des mesures prises par les Allemands en Italie, l’inquiétude se fit générale chez tous les Transalpins, sans aucune différence d’opinion. De très nombreux retraits de fonds furent effectués par eux dans les établissements de crédit et certains furent sur le point de quitter leur domicile. Cet affolement s’est apaisé mais une sourde inquiétude ne cesse de régner dans cette population672. »
106Une période d’incertitude encore plus grande s’ouvre donc. L’encadrement consulaire est à nouveau désorganisé. Les autorités d’occupation ne tolèrent plus que les agents prêts à collaborer, les autres sont rapatriés. Elles font fermer le consulat général début octobre, évacuant le comte Gloria et son personnel, sauf huit employés qui ont fait allégeance. Par la suite, les représentants encore en poste sont ceux de la République de Salò, inféodés au Reich. Un dénommé Ruffini s’intitule « régent du consulat d’Italie » en occupant ses anciens locaux à Toulouse, un fonctionnaire est envoyé à Agen par le consulat de Bordeaux, la délégation de la Croix-Rouge italienne perdure à Auch, tandis qu’à Carcassonne le titulaire est maintenu parce que ses relations sont excellentes avec les Allemands673. Vichy recommande d’ailleurs bientôt à l’administration préfectorale d’établir le contact avec « les bureaux consulaires italiens qui bénéficient ostensiblement de l’appui des autorités allemandes674 ». Cette situation, qui entretient la confusion, contribue à favoriser des attitudes de complicité, ou tout au moins de passivité. La chute du régime mussolinien a au total des conséquences compliquées. Loin de se traduire par un sentiment unanime et univoque de libération, c’est un motif de crainte supplémentaire qui provoque un réflexe attentiste chez les émigrés, voire une soumission accrue aux autorités d’occupation. L’espérance des antifascistes peut à peine s’exprimer, vite déçue par la répression conduite par le pouvoir vichyste. Craignant des représailles de la part des Français, une partie de la minorité fasciste s’engage de façon plus poussée aux côtés des occupants.
Les Italiens requis au STO
107En novembre 1943, les autorités allemandes décident d’englober à leur tour les Italiens dans les réquisitions du STO. Formées en majorité de membres de l’Office allemand de placement, des commissions de recensement départementales examinent tous les hommes de seize à cinquante ans et répartissent ceux déclarés aptes entre trois affectations : travail en Allemagne, pour l’organisation Todt ou maintien sur place. Ce prélèvement s’insère comme le reste dans les tractations et les marchandages de Vichy qui considère qu’il permet d’alléger les charges imposées à la France en matière de main-d’œuvre675. Il provoque chez les émigrés un choc comparable à celui du printemps pour les Français. Une mesure de représailles était redoutée depuis la déclaration de guerre du gouvernement Badoglio à l’Allemagne, le bruit courait que tous les Italiens sans distinction allaient être rassemblés, les hommes valides pour être envoyés travailler à Berlin, les autres, vieillards, femmes et enfants, pour être rapatriés676. Après l’annonce effective du recensement, tous les rapports disent l’inquiétude considérable, encore accrue chez les ouvriers du bâtiment qui se savent les premiers exposés.
« Aujourd’hui, il n’y a plus de fascistes ou d’antifascistes, on ne trouve que des hommes qui appréhendent de partir. Leur plus grand souci est de savoir si on ne va pas les incorporer dans l’armée et les amener sur le front russe ou en Italie. S’ils avaient à choisir entre le camp de concentration et l’armée, 75 % opteraient pour l’internement à condition que ce soit en France car aucun ne désire aller en Allemagne677. »
108Le désir est très fort d’échapper aux réquisitions. En Tarn-et-Garonne, par exemple, un médecin dit avoir été assailli de demandes, et l’Office de placement allemand déclare bientôt ne plus tenir compte d’aucune intervention en faveur d’Italiens678. Les stratagèmes se multiplient. Certains envisagent de passer en Espagne, des escrocs monnayent la promesse de passe-droits pour 10 000 à 12 000 francs. Craignant des mesures de rétorsion contre ceux qui n’ont pas manifesté leur adhésion au fascisme, une part de la colonie semble tentée de donner des gages aux occupants.
« Certains même, qui jusqu’ici ont été neutres, se sont transformés en fervents admirateurs du régime fasciste. Certains, autrefois réfractaires pour prendre la garde des voies ferrées, se font un plaisir de remplacer leurs camarades afin d’étaler au grand jour qu’ils se sont rendus utiles aux autorités allemandes. D’autres viennent aux renseignements pour obtenir au plus tôt leur naturalisation qu’ils ont sollicitée depuis quelques années. D’autres vont chez le médecin se faire établir un certificat […] À la campagne l’inquiétude est moins grande. Les fermiers, métayers et ouvriers agricoles savent qu’il n’est pas possible de faire un grand prélèvement parmi leur corporation sans gêner la production. Parmi eux, d’autres font valoir les services qu’ils ont rendus aux autorités d’occupation en les ravitaillant clandestinement, en leur procurant des denrées contingentées soustraites au ravitaillement général679. »
109Les autorités allemandes opposent au début une fin de non recevoir aux doléances des Italiens. Dans un second temps, elles choisissent dans la colonie quelques notables, aux sentiments politiques sûrs, afin de former des commissions informelles auxquelles soumettre les cas épineux. Ce système représente un efficace instrument d’allégeance : des jeunes, sur le point de partir en Allemagne, sont bientôt avisés qu’ils ne seront pas inquiétés ou pourront être employés dans leur région. Dans ce contexte, le rejet du STO a des conséquences duales et paradoxales. Ainsi que le prouvent les sources, le réflexe de soumission est fort : « pour éviter tout ennui, la grande partie de ces étrangers sollicite l’indulgence des autorités d’occupation et déclare avoir appartenu depuis toujours au parti fasciste680 », exhibant parfois de fausses cartes de confection récente. De l’avis même des Italiens embarqués au départ du premier convoi pour l’Allemagne, il est notoire que ceux qui ont pu se targuer de leur appartenance au parti fasciste ont obtenu des sursis ou ont même été exemptés.
110Montrant une autre attitude, les réfractaires proprement dits sont nombreux. Dès l’annonce des mesures, des Italiens prennent la fuite ou cherchent à se cacher à la campagne. Dans les Hautes-Pyrénées, où la main-d’œuvre immigrée est plus industrielle, presque 10 % de ceux concernés ne se présentent pas au recensement, moins de la moitié des 741 hommes recensés sont déclarés aptes pour l’Allemagne. Sur ceux d’entre eux qui sont convoqués ultérieurement, 40 % sont maintenus sur place, proportion particulièrement élevée du fait des entreprises stratégiques présentes dans le département, 25 % parviennent à obtenir un sursis ou une exemption, 24 % partent effectivement, 11 % sont portés « défaillants681 ». Pour ceux-là, les rapports notent, imperturbablement : « a quitté son domicile depuis quelques temps », « personne dans le ménage ne sait ce qu’il est devenu », etc. Le samedi 23 octobre, un premier convoi de 179 ouvriers italiens destinés à l’organisation Todt du Pas-de-Calais part de la gare Roguet à Toulouse.
111En ces circonstances, l’opinion française témoigne encore une fois de son ressentiment, surtout dans les centres urbains. La rumeur d’un départ généralisé des Italiens, déportés en Allemagne ou rapatriés, tout comme l’annonce de leur réquisition, sont commentées favorablement, sans provoquer de sentiment de solidarité dans la population. L’animosité demeure d’ailleurs très vive dans les départements où beaucoup d’étrangers reçoivent des affectations spéciales sur place. Dans les Hautes-Pyrénées, ceux qui sont versés à l’Atelier de construction de Tarbes bénéficient des hauts salaires qui y sont pratiqués, ce qui passe pour une mesure de faveur et mécontente les Français. Afin d’apaiser les esprits, le préfet demande de ne leur allouer qu’une paye normale et va jusqu’à proposer le départ pour l’Allemagne d’un contingent d’Italiens, car la mesure devrait être « d’un heureux effet sur la population682 ». Au sein du monde agricole, en revanche, la perspective de prélèvements massifs mécontente ceux qui risquent d’en pâtir. Une bonne part de la main-d’œuvre est déjà prise, soit par l’organisation Todt, soit par les Compagnies de travailleurs étrangers, laissant certains domaines abandonnés. Dans ce contexte de pénuries, le recensement des Italiens au moment des travaux d’automne gène bien des propriétaires ou des chefs d’exploitation. C’est donc une nouvelle fois les nécessités issues d’une relation de travail qui suscitent une solidarité propre à dépasser les sentiments dominants dans l’opinion. Les archives ont gardé trace d’interventions de maires et surtout de propriétaires ou d’employeurs en faveur de « leurs » immigrés. Des arrangements sont trouvés, comme faire bénéficier certains de l’exemption prévue pour ceux qui exploitent plus de trente hectares, le propriétaire acceptant de déclarer leur bailler une surface supérieure à la réalité.
112Le moment des réquisitions au STO constitue donc une phase charnière où les choix s’accélèrent. Il n’a évidemment pas pour conséquence une entrée massive dans la Résistance, mais plutôt une tendance générale à échapper par tous les moyens au départ. Parmi ceux-ci, l’obtention de divers passe-droits tient une place non négligeable, y compris ceux offerts par le zèle fasciste. Au-delà du rejet, unanime, de la réquisition, les réactions qui en découlent chez les Italiens sont très contrastées. Pour bénéficier de protections, une partie est poussée vers une soumission accrue à l’occupant, une autre est au contraire conduite à adopter une attitude réfractaire. Dans ce cas, les défections inaugurent un comportement marginal, illégal, un passage à la clandestinité qui peut déboucher sur l’engagement résistant dans le maquis, ainsi que cela s’est produit pour les Français. L’épreuve accentue donc les clivages intracommunautaires, dans la mesure où certains, en quête d’échappatoires pour eux-mêmes ou à monnayer, développent avec les Allemands une collaboration repérable, poussant à un clientélisme fasciste et suscitant la posture complice d’une partie de la masse italienne. De son côté, l’opinion méridionale fait preuve de réactions tout aussi contradictoires. Elle est dans les villes hostile aux Italiens, dont le départ est souhaité. Dans les campagnes, l’inquiétude concernant les problèmes de main-d’œuvre prend le dessus, au moins chez ceux qui l’utilisent. La solidarité se reforme une fois de plus sous la contrainte de l’activité agricole. À plus long terme, le STO représente une épreuve partagée par la communauté italienne dans son ensemble et en tant que telle. Jouissant longtemps d’un statut et d’une situation singulière, épargnée de l’avis de bien des Français, elle semble rejoindre le sort commun, pour la première fois peut-être depuis la mobilisation. Le rapport entre ces deux événements est donc inversé, mais chargé de la même force symbolique.
Les dernières recompositions
113Les derniers temps de l’Occupation sont ceux de la montée en puissance de la Résistance face à l’occupant nazi et au régime collaborateur de la Révolution nationale. Les conflits qui en résultent s’apparentent chaque jour une peu plus à une guerre intestine. Dans ce contexte, la question de la résistance des Italiens, ou des Italiens dans la Résistance, est complexe car elle fait coexister plusieurs dimensions, qui ont pu être des objectifs complémentaires ou dissociés pour les acteurs eux-mêmes : libération de la France, dans une perspective intégratrice, et libération de l’Italie, dans une dimension nationale683. Dans le Sud-Ouest, ces développements interviennent alors que la communauté immigrée est implantée depuis une vingtaine d’années. Même si le gros de sa population reste passif, apeuré, attentiste, un clivage actif se recompose en son sein entre deux minorités, résistants et collaborateurs. Reprenant pour partie, pour partie seulement, la fracture plus ancienne entre fascisme et antifascisme, il la dépasse aussi dans un combat patriotique de libération avec des Français soumis, eux aussi, aux mêmes divisions, aux mêmes déchirements et aux mêmes dérives.
114Il faut évidemment mentionner ce qui relève d’une composante spécifique, proprement italienne. Dès l’été 1943, le mot d’ordre de rentrer poursuivre la lutte dans la Péninsule circule chez les antifascistes. C’est en tout cas l’hypothèse des services de renseignements pour expliquer qu’un certain nombre de détenus politiques du camp du Vernet ait accepté de se faire rapatrier par les autorités transalpines, se conformant ainsi à la consigne lancée par le Collectif italien du quartier B qui fait à ce moment-là assaut de propagande auprès des nouveaux arrivants684. Des fuorusciti et des militants des partis clandestins regagnent donc leur pays pour prendre part aux combats des partisans. Après l’effondrement du régime fasciste, des émissaires de l’insurrection nationale d’Italie septentrionale prennent contact en Suisse avec les Alliés, en octobre 1943, afin d’organiser un plan d’ensemble contre les Allemands et un gouvernement provisoire susceptible d’assumer le pouvoir au sortir de la guerre. Ce Comité italien de libération (CIL) regroupe sur la plus large base les partis d’action, libéral, démocrate-chrétien, socialiste, le PCd’I et la « Démocratie de Travail ». En France, un regroupement similaire se met en place dans la clandestinité. Joseph Marchetti, dit Alfred Vinet-Vert, fonde fin 1943 le premier CIL à Toulouse, avec Attilio De Feo et Nino Pelloni. Conformément à ses ambitions, ce comité diffuse ensuite des tracts appelant, dans leur langue, les émigrés à se rassembler pour assurer la libération nationale et à se soustraire par tous les moyens aux réquisitions du Reich685.
115En ce qui concerne la situation hexagonale, plusieurs types d’engagement se manifestent. Des Italiens prennent part aux corps francs communistes de la MOI qui déclenchent, les premiers, l’action directe et la lutte armée contre les troupes d’occupation. En Lot-et-Garonne, par exemple, Bruno Cisilin exécute le premier un soldat allemand à Agen, puis le secrétaire départemental de la Milice. On sait le rôle joué en la matière par des antifascistes déjà aguerris à ce type de combats. Toujours dans ce groupe Lot-et-Garonnais de la 35e brigade FTP-MOI, les témoignages indiquent que les nouvelles recrues font l’apprentissage du sabotage sous la direction d’un ancien brigadiste du PCd’I686. Certains d’entre eux participent de la même façon à des attentats. Le plus connu est celui réalisé le 1er mars 1944 à Toulouse contre le cinéma Les Variétés fréquenté par les Allemands. Enfants d’émigrés, Rosine Bet meurt à vingt ans le lendemain des suites de ses blessures, tandis qu’Enzo Godeas, dix-neuf ans, est fusillé le 22 juin. Cette affaire donne d’ailleurs une visibilité tardive à l’activité « terroriste » d’Italiens de l’immigration687.
116Une spécificité de la résistance des Italiens en France tient à ce qu’elle se double, et parfois s’entremêle, de la volonté de lutter contre les fascistes, quitte à régler quelques comptes. Ces rivalités internes à l’émigration aboutissent à des représailles dans l’ultime phase de l’occupation. En Lot-et-Garonne, la 35e brigade adopte dès 1943 la tactique d’opérer des réquisitions forcées chez des Italiens compromis, « récupération » de vélos chez un fasciste, attaque et racket d’une ferme faisant du marché noir avec les Allemands, etc.688. Plusieurs sont ainsi pillés à Monclar-d’Agenais. Même s’il ne s’agit souvent que de petits dommages – on dérobe à l’un ses pots de confit – leur valeur emblématique atteste la volonté d’ouvrir le conflit au sein de la communauté. Plus tard, en juin 1944, un trio d’Italiens armés de mitraillettes opère de la même manière du côté de Castelsarrasin, se faisant remettre de force des sommes d’argent ou de l’essence par des paysans de même nationalité689.
117Pour les résistants de la MOI, ces procédés se durcissent avec la « campagne des gerbières » qui consiste à détruire des récoltes, du matériel et parfois même des locaux agricoles, généralement chez des « traîtres », afin de saboter les réquisitions. Elle débute près d’Agen le 4 juillet 1943 par la destruction par le feu d’une gerbière de six tonnes de blé et d’une batteuse commise par deux Italiens. Les incendies se succèdent durant l’été, nombreux à viser des fermes italiennes690. On retrouve à l’identique cette technique des dommages économiques en Tarn-et-Garonne quelques mois plus tard. Après qu’un courrier y ait menacé de représailles des Italiens connus pour leurs sympathies germanophiles ou leur commerce avec l’occupant, d’importants sinistres ravagent quelques-unes de ces exploitations691. Des tentatives d’attentat sont perpétrées contre des commerçants et des industriels soupçonnés de fascisme ou de collaboration. Dès l’été 1943, une bouteille suspecte est découverte devant le magasin montalbanais d’un Italien considéré comme mussolinien. Mais ces cas concernent surtout les derniers mois de l’Occupation. Au printemps 1944, des bombes artisanales visent des établissements appartenant à des personnes suspectées de trahison : une est retrouvée à Toulouse devant le « Restaurant de Nice », dont les gérants sont Italiens, une autre sur la fenêtre d’un entrepreneur de Saint-Gaudens connu comme fasciste et pour avoir des relations suivies avec les Allemands, deux explosions se produisent à Galan (Hautes-Pyrénées) chez un autre entrepreneur italien. Ces représailles politiques n’ont pourtant qu’un effet confus, voire contreproductif, sur l’opinion publique. Les rapports d’enquête montrent qu’il y a souvent décalage, les Français y voyant moins des opérations patriotes que des affaires plus ou moins crapuleuses propres à la colonie.
« L’impression recueillie sur place est que ni incendies ni menaces n’ont provoqué de sérieuse émotion. La plupart des gens croient à un règlement de compte entre Transalpins692. »
118Là où, comme en Lot-et-Garonne, existe un noyau de résistants italiens, certaines affaires prennent un tour extrême. Les archives de la 35e brigade mentionnent dès décembre 1943 une attaque manquée contre un agent supposé de l’OVRA, la police politique de Mussolini. Dans la matinée du 7 janvier 1944, don Torricella est abattu à Agen à coups de revolver par deux jeunes ayant demandé à le voir dans son bureau. Le communiqué de l’organisation le désigne comme « chef fasciste italien et propagandiste acharné », condamné pour ces raisons-là. Cet acte, dont le retentissement est considérable, révèle la radicalisation des antagonismes politiques et le climat de violence dans la colonie. Conformément à l’évolution générale, les conflits tendent donc à dégénérer en guerre « anti-collabo ». Quelques liquidations pures et simples viennent mettre un terme à l’activité des plus compromis. Dans la nuit du 21 avril suivant, un Italien connu comme le principal informateur de la Gestapo de Tarbes est exécuté à Auriébat (Hautes-Pyrénées), dans la ferme de ses patrons, par un petit groupe de personnes693. Le cadavre d’un autre, tué par balles, est découvert à Nègrepelisse (Tarn-et-Garonne) le 5 mai. Connu pour ses idées fascistes et ses visites à la Kommandantur de Montauban, il avait la réputation d’être en affaires avec la Gestapo. L’enquête indique qu’il se sentait menacé par certains compatriotes, notamment communistes694. Le 22 mai, à Labatut-sur-Rivière (Hautes-Pyrénées), un autre encore est enlevé en voiture et fusillé pour avoir dénoncé un couple de ses compatriotes, arrêtés fin avril par le SD de Tarbes après avoir ravitaillé le maquis. Même si toutes les représailles contre les Italiens collaborateurs ne sont pas du seul fait de leurs compatriotes, ces actions permettent de saisir l’ampleur du contentieux qui déchire la colonie, travaillée elle aussi par une logique de guerre civile.
119Pour le reste, la participation des Italiens à la Résistance n’a pas encore été envisagée d’une manière systématique. Dans le Sud-Ouest, le rôle nourricier de foyers d’agriculteurs cachant et approvisionnant les clandestins est difficile à évaluer, comme toutes ces formes d’implication souvent mésestimées – couvrir, héberger, ravitailler, etc. – indispensables pour comprendre les moyens d’action d’une population paysanne. Cette activité est en tout cas attestée pour des familles entières du Lot-et-Garonne, impliquées toutes générations confondues695. De façon individuelle, beaucoup d’Italiens prennent aussi part à différents réseaux ou maquis. On peut en avoir une idée par les enquêtes accompagnant les demandes de naturalisation établies après la guerre. Si on prend l’exemple des Hautes-Pyrénées696, on trouve tout l’échantillon des modes d’engagement : cultivateur qui approvisionne les résistants, ouvrière agricole ravitaillant le maquis, membre du groupe MUR de Maubourget, engagé du corps franc Pommiès, et surtout des réfractaires au STO qui rejoignent divers foyers clandestins, tel le groupe « Paulus », avant d’être incorporés au régiment FFI de Bigorre, le groupe « Gelber », pour participer comme chasseur à diverses opérations de parachutage et de sabotage dans la région de Lannemezan, le maquis « Vergez », ou encore le maquis espagnol des Pyrénées, etc. Cette présence éparse, disséminée au sein des groupements, est justement révélatrice d’un engagement qui n’est pas spécifique.
120Enfin, des Italiens ou des jeunes nés de parents qui le sont prennent part aux combats de la Libération. Ils y participent au sein des formations de maquisards dont ils sont membres, comme lors de la prise de Carmaux par le groupe FFI « Lenoir » du Tarn. Toujours en Lot-et-Garonne, le bataillon FFI « l’Indomptable » offre un cas particulier. Participant, sous le commandement d’Enzo Lorenzi, aux principaux accrochages de l’été 1944 dans cette zone, il est composé pour une bonne part d’Italiens, sur un effectif total de 360 hommes en août697. La portée de cet engagement est considérable et sa publicité éclatante. Membre originel de la 35e brigade dans le département, Bruno Cisilin est en tête du premier détachement de maquisards qui entre en libérateur dans la ville d’Agen. La participation à la Résistance prend ainsi le sens d’un geste extrême d’intégration. C’est la signification donné au sacrifice de ceux tombés pour la cause, recomposant à l’intention des Français l’image d’une immigration dont la réputation a été profondément dégradée. L’héroïsation d’Enzo Godeas au travers des tracts du groupe local du Comité italien de libération nationale et du Comité régional de la Jeunesse garibaldienne en donne le meilleur exemple. Sa rhétorique patriote reprend les éléments positifs du registre de la ruralité et exalte l’assimilation :
« Il est mort pour que la France vive ! Le 22 juin 1944 tombait à Toulouse […] le jeune Enzo Godeas de Castelculier (Lot-et-Garonne). Son crime : chasser les envahisseurs hitlériens et les traîtres à leur service. Il avait lutté pour la libération et l’indépendance de sa patrie d’adoption. Pour cela, il a été lâchement fusillé. Enzo Godeas appartenait à une honnête famille de paysans italiens qui depuis de nombreuses années vivent modestement de leur travail sur la terre hospitalière de France […] Digne descendant des nobles traditions de paix et de liberté du peuple de Giuseppe Garibaldi, le héros qui combattit pour l’indépendance des peuples, notre jeune camarade n’hésita pas à rejoindre un groupe de la Résistance afin de prouver aux Français que les Italiens de France, à l’exception de quelques fascistes notoires, n’étaient pas leurs ennemis mais qu’au contraire ils s’élevaient contre la politique néfaste du fascisme qui avait tenté de briser l’amitié plus que séculaire qui unit nos deux peuples. Comme lui, et pour la même cause, d’autres Italiens ont payé de leur vie leur attachement à leur pays d’adoption : la France […] Cette participation des émigrés à la lutte commune est la meilleure réponse à la campagne xénophobe de division entreprise par les boches et par les traîtres vichyssois à leur service !698 »
121Il est clair que cette participation diffuse, non spécifique, à la Résistance française est amenée à fonctionner comme vecteur de réconciliation. Car cela ouvre la possibilité de contrebalancer les effets dévastateurs des tensions suscitées par la guerre et l’occupation. Des jeunes forcent le processus d’intégration par leur engagement, partagé dans une fratrie de génération qui efface les différences d’origine. Peu importe que cette attitude soit celle d’une petite minorité, ce qui est d’ailleurs le cas des résistants de toutes origines. Dans le jeu des représentations réciproques, elle permet de rétablir comme avant guerre une appréciation compliquée de nuances politiques, plutôt que façonnée par les stéréotypes italophobes. Elle instaure une ligne de partage établie non plus sur l’opposition entre deux communautés nationales, mais en fonction de la position à l’égard de l’occupant, celle-ci divisant de la même façon l’une et l’autre. Ainsi se reconstitue un critère majeur d’exclusion ou d’assimilation symbolique à la Nation. Même si cela ne se manifeste pas immédiatement, le combat dans la Résistance est seul susceptible d’asseoir dans les années qui suivent une image valorisante de la communauté immigrée et une symbolique intégratrice. Le martyrologe qui s’établit à ce moment-là, ramené à quelques figures édifiantes, incarne d’ailleurs l’honneur des exilés et le sacrifice de la seconde génération. On entame là une autre phase qui s’ouvre au lendemain de la Libération.
Notes de bas de page
459 Ibid., 13 juil. 1935.
460 Ibid., 7 déc. 1935.
461 Rapport de police spéciale de Toulouse, 28 nov. 1935. AD HG : 1960-13.
462 Il Corriere, 2 janv. 1936.
463 Rapport du préfet de Haute-Garonne, 7 mai 1937. AD HG : 1960-13.
464 Rapport du préfet du Gers, 26 juil. 1935. AN : F7-13034.
465 Rapport du préfet des Basses-Pyrénées, 24 sept. 1935. AN : F7-13040.
466 Rapport du préfet de Haute-Garonne, 30 juin 1936. AN : F7-13034.
467 Avis de constitution d’un Comité France-Italie à Pau, 12 juin 1935. AD PA : 1M 312.
468 La Nuova Italia, 30 janv. 1936.
469 La Dépêche, 21 juil. 25 août, 20 oct. et 11 nov. 1935.
470 Le Midi socialiste, 21 oct. 1935.
471 Note du préfet du Tarn, 24 oct. 1935. AD Tarn : 4M 2-128b.
472 Rapport du commissariat central de Toulouse, mai 1936. AD HG : 1960-84.
473 L. Rapone, « La guerre d’Espagne », in L’Italia in esilio, Rome, Éd. du CEDEI/Presidenza del Consiglio dei Ministri, 1993, p. 330-332.
474 Il Nuovo Avanti, 19 sept. 1936.
475 Ibid., 15 août 1936.
476 Ibid., 31 juil. 1937.
477 Rapport du commissariat central de Toulouse, 24 janv. 1938. AD HG : 1960-14.
478 Il Nuovo Avanti, 26 mars 1937.
479 Ibid., 8 juil. 1939.
480 Rapport du commissariat central de Toulouse, 26 déc. 1937. AD HG : 1960-13.
481 Dossier d’enquête d’épuration, 1945. AD Aude : WM 1566.
482 Dépêches du ministre de l’Intérieur aux préfets, 10 déc. 1936 et 6 déc. 1937. AD Ariège : 6M 73.
483 AD Ariège : 6M 72 & 73.
484 Rapport de police spéciale de Mont-de-Marsan, 3 mars 1939. AD Landes : 1M 205.
485 Télégramme de l’ANCI du Sud-Ouest, 31 oct. 1938. AD HG : 1960-14.
486 Allocution du secrétaire du fascio de Toulouse, 31 oct. 1938. AD HG : 1960-14.
487 Allocution du secrétaire du fascio de Metz en visite à Toulouse, 15 mai 1938. AD HG : 1960-14.
488 Rapport de police spéciale de Toulouse, 30 déc. 1938. AD HG : 1960-14.
489 Rapport du commissariat central de Toulouse, 3 mars 1938. AD Landes : 1M 205.
490 Lettre de l’agent consulaire de Pau, 17 déc. 1938. AD Landes : 1M 205.
491 Rapport de la gendarmerie de Bagnères-de-Bigorre, 21 juin 1939. AD HP : 4M 249.
492 Rapport du préfet du Tarn-et-Garonne, 31 janv. 1939. AD T & G : 1M 832bis.
493 Rapport de la gendarmerie de Saverdun, 15 juin 1938. AD Ariège : 6M 35-2.
494 Rapports de police spéciale de Pau, fév. -mars 1939. AD PA : 1M 312.
495 Rapport du sous-préfet de Bagnères-de-Bigorre, 13 oct. 1938. AD HP : 4M 190.
496 Rapport du sous-préfet d’Oloron, 10 fév. 1939. AD PA : 1M 312.
497 Rapport de la gendarmerie de Bagnères-de-Bigorre, 21 juin 1939. AD HP : 4M 249.
498 P. Guillen, « Les réfugiés antifascistes et les relations franco-italiennes dans l’entre-deux-guerres », Relations internationales, juin 1993, n ° 74, p. 137-151.
499 Le Midi socialiste, 12 août 1938.
500 La République des Travailleurs, 14 mai 1939.
501 La Dépêche, 9 juil. et 18 nov. 1938.
502 Ibid., 5 et 24 déc. 1938.
503 La Croix du Midi, 11 déc. 1938.
504 La Garonne, 8 avr. 1939.
505 Ibid., 8 juin 1939.
506 La Dépêche, 31 juil. 1939.
507 Ibid., 8 déc. 1938.
508 Lettre du consul général d’Italie au préfet de Haute-Garonne, 15 mars 1937. AD HG : 1960-13.
509 Lettre du maire de Cornebarieu et Rapport du commissariat central de Toulouse, 31 mai 1937. AD HG : 1960-13.
510 Rapports des commissaires de Castelnaudary et de Carcassonne, juin 1940. AD Aude : WM 3673.
511 Rapport de l’inspecteur d’Académie du Lot-et-Garonne, mars 1937. AN : F7-15173.
512 Lettre du consul général au préfet de Haute-Garonne, 14 juin 1937. AD HG : 1960-13.
513 Rapport de police spéciale de Pau, 13 avr. 1939. et Note du cabinet du préfet du Gers, 20 mars 1939. AD PA : 1M 312.
514 La Voix du Midi, 7 oct. 1938.
515 Rapport du préfet de l’Aude, 3 avr. 1938. AD Aude : 6M 347.
516 Enquête de l’INED sur les agriculteurs italiens du Lot-et-Garonne, 1951. AN : CAC 760138-Art. 17-TR 1279.
517 Correspondance du vice-consul à Auch et Rapport de police spéciale de Tarbes, sept. 1938. AD HP : 4M 190.
518 Correspondance du préfet de l’Ariège et Rapport de police spéciale de Foix, janv. -nov. 1938. AD Ariège : 6M 72.
519 Lettre anonyme au préfet de Haute-Garonne, 17 mars 1937. AD HG : 1960-13.
520 Lettre anonyme au préfet de l’Ariège, 20 sept. 1937. AD Ariège : 6M 73.
521 Rapport de la gendarmerie de Cuxac-Cabardès, 4 oct. 1938. AD Aude : 6M 310.
522 Rapport de police spéciale de Carcassonne, 14 janv. 1939. AD Aude : 6M 347.
523 Lettre du vice-consul à Agen au préfet du Lot-et-Garonne, 10 mai 1939. AD L & G : 1M 51.
524 Lettre anonyme au préfet de l’Ariège, 26 avr. 1939. AD Ariège : 5M 109.
525 Lettre du consul de Toulouse au préfet de l’Ariège, 17 fév. 1939. AD Ariège : 6M 72.
526 Lettre anonyme au préfet de Haute-Garonne, mai 1939. AD HG : O 800.
527 Si l’arrêté date du 15 juin 1939, sa date d’exécution reste incertaine. Note des Renseignements généraux, 25 janv. 1950. AD HG : 1318-8.
528 Il Nuovo Avanti, 9 et 16 avr. 1938.
529 Ibid., 24 déc. 1938.
530 Rapport de police de Carmaux, 2 mai 1939. AD Tarn : 4M 2-132a.
531 Communiqué de la section montalbanaise de l’UPI. La Dépêche, 23 sept. 1938.
532 Communiqué commun des groupes régionaux du PSI, PCd’I, PR, GL et LIDU. Le Midi socialiste, 2 janv. 1939.
533 E. Vial, « L’Unione popolare italiana (UPI), 1927-1940 », Mezzosecolo, déc. 1999, p. 155-183.
534 Rapports du préfet du Tarn-et-Garonne, 30 déc. 1938 et 2 mai 1939. AD T & G : 1M 832bis.
535 Rapport de police spéciale de Tarbes, 19 déc. 1938. AD HP : 6M 182.
536 Rapport du préfet du Lot, [s. d. probablement nov. ou déc. 1938]. AD Lot : 4M 101.
537 M.C. Blanc-Chaléard, « Les mouvements d’Italiens entre la France et l’étranger : éléments pour une approche quantitative », in Italiens et Espagnols en France (1938-1946), Cahiers de l’IHTP, 1992, p. 39-50.
538 Rapports des services de police de Toulouse, avr. -juin 1939. AD HG : 1960-14.
539 Rapport de police spéciale de Mont-de-Marsan, 3 mars 1939. AD Landes : 1M 205.
540 Rapport de police spéciale de Mont-de-Marsan, 16 janv. 1939. AD Landes : 1M 205.
541 Rapport de police spéciale de Foix, 24 avr. 1939. AD Ariège : 6M 35-1.
542 Rapport du commissaire de police de Lourdes, 4 juin 1939. AD HP : 4M 249.
543 Rapport de police spéciale de Tarbes, 8 mai 1939. AD HP : 12W 66.
544 Rapport de police spéciale de Mont-de-Marsan, 5 mai 1939. AD Landes : 1M 61.
545 Rapport du préfet des Hautes-Pyrénées, 1er sept. 1939. AD HP : 4M 69.
546 Rapport de police spéciale de Tarbes, 26 août 1939. AD HP : 12W 66.
547 Rapport de police spéciale de Toulouse, 14 nov. 1939. AD HG : 1960-14.
548 Rapport du préfet de Haute-Garonne, 15 sept. 1939. AD HG : 1960-87.
549 J.L. Crémieux-Brilhac, « L’engagement militaire des Italiens et des Espagnols dans les armées françaises de 1939 à 1945 », in Exils et migration, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 579-592.
550 Instructions du préfet de l’Aude et listes des engagés volontaires, sept. 1939. AD Aude : WM 167 & 2883.
551 Enquête des Renseignement généraux, 19 mai 1942. AD HG : 1318-1.
552 Lettre d’un volontaire de Sainte-Colombe-sur-l’Hers, 21 sept. 1939. AD Aude : WM 167.
553 Rapport du préfet de l’Aude, 1er fév. 1940. AD Aude : 6M 347.
554 Instructions du préfet de Haute-Garonne, 8 sept. 1939. AD HG : 1960-87.
555 Rapport de police spéciale de Montauban, 12 sept. 1939. AD T & G : 4M 412.
556 Lettre de Maurice Sarraut au préfet de Haute-Garonne, 9 sept. 1939. AD HG : 1960-87.
557 Rapport du préfet de Haute-Garonne, 8 sept. 1939. AD HG : 1960-87.
558 Rapport de police spéciale de Foix, 26 sept. 1939. AD Ariège : 6M 72.
559 Note du préfet de l’Aude, 31 oct. 1939. AD Aude : 6M 347.
560 La Garonne, 6 sept. 1939.
561 Lettre du maire de Lafitte-Vigordane, 19 sept. 1939. AD HG : 1960-87.
562 Le Midi socialiste, 28 nov. 1939.
563 Rapport du préfet de Haute-Garonne, 8 sept. 1939. AD HG : 1960-87.
564 Lettre du consul de Toulouse, 23 sept. 1939. AD Ariège : 6M 72.
565 Rapport de la gendarmerie de Bagnères-de-Bigorre, 19 sept. 1939. AD HP : 4M 249.
566 Lettre de l’agent consulaire de Montauban, 7 sept. 1939. AD T&G : 4M 412.
567 Instructions du ministre de l’Agriculture aux préfets, 29 août 1939. AD Tarn : 11M 6-2.
568 Rapport de police spéciale de Toulouse, 11 sept. 1939. AD HG : 1960-87.
569 La Garonne, 6 et 12 sept. 1939.
570 Rapport du préfet de l’Aude, 10 sept. 1939. AD Aude : 6M 347.
571 Rapport de police spéciale de Toulouse, 11 sept. 1939. AD HG : 1960-87.
572 Rapport de la gendarmerie de Limoux, 10 oct. 1939. AD Aude : 6M 347.
573 Lettres de protestations, sept. -oct. 1939. AD Aude : 6M 347.
574 Rapport de police spéciale de Carcassonne, 7 sept. 1939. AD Aude : 6M 343.
575 Lettre « de Français et Françaises » d’Ax-les-Thermes, 11 sept. 1939. AD Ariège : 6M 72.
576 Commission de contrôle postal d’Agen, 30 avr. 1940. AD L & G : 1M 32.
577 La Dépêche, 24 avr. 1940.
578 Circulaire secrète de la Direction générale de la sureté nationale, 22 mars 1940. AD T & G : 4M 412.
579 Lettre au préfet de Haute-Garonne, 5 juin 1940. AD HG : O 800.
580 Le Midi socialiste, 19 mars 1940.
581 Note du préfet du Tarn-et-Garonne, 18 mai 1940. AD T&G : 4M 412.
582 Rapport de la gendarmerie de Cuxac-Cabardès, 10 mai 1940. AD Aude : 6M 346.
583 Rapport de la gendarmerie du Mas-d’Agennais, 4 juin 1940. AD L&G : 1W 230.
584 Le Midi socialiste, 6 juin 1940.
585 Il Nuovo Avanti, 11 mai 1940.
586 Commission de contrôle postal d’Agen, 30 avr. 1940. AD L&G : 1M 32.
587 Lettres au préfet de l’Aude, 9 juin et 19 juil. 1940. AD Aude : 6M 347.
588 Gli Italiani nei campi di concentramento in Francia, Roma, Società editrice del libro italiano, oct. 1940, p. 4.
589 Rapport du préfet de Haute-Garonne, 22 nov. 1940. AD HG : 1318-1.
590 Le Midi socialiste et La Dépêche, 11 juin 1940.
591 Rapport du commissaire de police de Marmande, 11 juin 1940. AD L&G : 1M 31.
592 AD Aude : WM 3673. AD HP : 12W 66. Le Midi socialiste, 13 juin 1940.
593 Témoignage de don Maglio, in G. Rosoli, « Gli emigrati italiani nei campi di concentramento francesi del 1940 », Studi Emigrazione, sept. 1980, no 59, p. 304-329.
594 F. Debyser, « Psychose collective et vérité historique : les attaques aériennes italiennes sur la Loire et le centre de la France en juin 1940 », Revue historique de l’armée, 1972, no 3, p. 66-91.
595 Lettres au préfet de l’Aude, 12 et 13 juin 1940. AD Aude : 6M 347.
596 Note du procureur de la république, 28 juin 1940. AD HG : 2054-559-5.
597 Notice individuelle d’étranger détenu à la maison d’arrêt de Foix. AD Ariège : Y 245.
598 Rapport de police spéciale de Castelnaudary, 12 juin 1940. AD Aude : WM 3673.
599 Listes nominatives des Italiens suspects, juin 1940. AD Aude : WM 3673.
600 Rapport du préfet de l’Ariège, 22 juin 1940. AD Ariège : 5W 368.
601 Déclarations de loyalisme, juin 1940. AD Ariège : 6W 29. AD Aude : WM 2883. AD T&G : 4M 386. AD HP : 12W 66.
602 Listes nominatives des Italiens ayant refusé de signer, juin 1940. AD L&G : 4W 189. AD Aude : WM 3673.
603 La Dépêche, 15 juin 1940.
604 Le Midi socialiste, 12 juin 1940.
605 La Garonne, 12 juin 1940.
606 Rapports de police spéciale, juin 1940. AD Aude : 6M 347 & WM 3673.
607 Rapport de police spéciale de Mont-de-Marsan, 13 juin 1940. AD Landes : 283W 67.
608 Rapport de la gendarmerie de Lannemezan, 10 juin 1940. AD HP : 12W 66.
609 Instructions du secrétaire d’État à l’Intérieur, 11 mars 1941. AD HG : 1318-1
610 Circulaire du secrétaire général pour la police, 3 mai 1941. AN : CAC 880312-Art/6-MI 34153.
611 B. Laguerre, « Les dénaturalisés de Vichy », Vingtième Siècle, oct. -déc. 1988, no 20, p. 3-15.
612 AD Ariège : 5W 367. A. Koestler, La lie de la terre, Paris, Éd. Charlot, 1947, p. 224.
613 Circulaires du secrétaire d’État à l’Intérieur, 3 oct. et 21 déc. 1940. AD Aude : WM 2586. & AD Ariège : 6W 24
614 Circulaires du secrétaire d’État à l’Intérieur, 18 oct. 1940 et 7 juil. 1941. AD Hérault : 2W 595.
615 Note du secrétaire d’État à l’Intérieur, 10 oct. 1940. AN : CAC 880312-Art/7-MI 34154.
616 État nominatif des Italiens au camp du Vernet, 1942. AD Ariège : 5W 367.
617 Rapports de police spéciale d’Agen, 2 juil. et 13 déc. 1940. AD L & G : 1W 120.
618 Correspondance de l’évêché de Carcassonne, 12 juin et 19 juil. 1940. AD Aude : 6M 347 & WM 3673.
619 Rapport de la gendarmerie du Tarn-et-Garonne, 29 janv. 1941. AD T&G : Msup 1017.
620 Rapport de police spéciale d’Agen, 21 avr. 1941. AD L&G : 1W 122.
621 Rapport de la gendarmerie de Villeneuve-sur-Lot, 27 août 1941. AD L&G : 1W 121.
622 Note des Renseignements généraux, 6 oct. 1942. AD L&G : 1W 120.
623 Rapport de la gendarmerie du Tarn-et-Garonne, 27 oct. 1941. AD T&G : Msup 1017.
624 Rapport de la gendarmerie du Tarn-et-Garonne, 30 mars 1942. AD T&G : Msup 1017.
625 Lettre d’un habitant de Montignac-de-Lauzun (Tarn-et-Garonne), 6 sept. 1941. AN : CAC 880312-Art/7-MI 34154.
626 Lettre du délégué de la Croix-rouge à Montpellier, 27 août 1941. AD Aude : WM 2586.
627 Rapport de la gendarmerie d’Astaffort, 4 déc. 1941. AD L&G : 1W 120 & 121.
628 Instructions du secrétaire d’État à l’Intérieur, 28 mars 1941. AD Hérault : 2W 595.
629 Rapport du sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot, 25 juil. 1941. AD L&G : 1W 121.
630 Rapport de police spéciale d’Agen, 11 juin 1941. AD L&G : 1W 120.
631 Rapport de la gendarmerie du Tarn-et-Garonne, 29 janv. 1941. AD T&G : Msup 1017.
632 Rapport de la gendarmerie de Port-Sainte-Marie, 25 mai 1941. AD L&G : 1W 121.
633 Rapport de la gendarmerie du Tarn-et-Garonne, 24 nov. 1942. AD T&G : Msup 1017.
634 Enquête des Renseignements généraux, 19 mai 1942. AD HG : 1318-1.
635 Lettre de S. Trentin à A. Auban, 15 juin 1940. Archives D. Latapie : Dossier Trentin-CERRT 1974.
636 Journal, 10 juil. 1940. P. Nenni, Vingt ans de fascisme, Paris, Maspéro, 1960, p. 120.
637 Rapport de police spéciale d’Agen, 27 juil. 1940. AD L & G : 1W 120.
638 Enquête des Renseignement généraux, 19 mai 1942. AD HG : 1318-1.
639 Journal, 11 fév. 1942. P. Nenni, op. cit., p. 141.
640 Témoignage de G. Canguilhem in Silvio Trentin e la Francia, Venise, Marsilio, 1991, p. 176-178.
641 Rapport des renseignements généraux, 16 déc. 1942. AD HG : W 1975-74.
642 Rapports de gendarmerie, 1941. AD L&G : 1W 121.
643 Rapport de l’officier de liaison auprès du vice-consulat d’Agen, 7 avr. 1943. AD L&G : 1W 122.
644 Il Corriere, 12 nov. 1942.
645 Rapports de la gendarmerie de Castelsarrasin, 18 mai et 19 juin 1943. AD T&G : Msup 1019.
646 Rapports de la gendarmerie du Lot-et-Garonne et du sous-préfet de Marmande, mars 1943. AD L&G : 1 W 122.
647 Rapport de la gendarmerie des Hautes-Pyrénées, 20 juil. 1943. AD HP : 21W 124.
648 Rapport de police spéciale d’Agen, 3 juin 1941. AD L&G : 1W 120.
649 Dossier d’enquête d’épuration, oct. -nov. 1945. AD Aude : WM 1566.
650 Cf. l’estimation quantitative pour le Gers, in R. et D. Fabre, « La main-d’œuvre au service de l’Allemagne dans la région de Toulouse », Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale et des conflits contemporains, juil. 1983, no 131, p. 93-96.
651 Rapports de gendarmerie, mai-déc. 1943. AD T&G : Msup 1017 & 1019.
652 Rapport de police spéciale de Toulouse, 16 mars 1946. AN : CAC 800042-Art/38-MI 15204.
653 Rapport du sous-préfet de Marmande, 15 mars 1943. AD L&G : 1W 122.
654 Rapport de police spéciale de Villeneuve-sur-Lot, 17 nov. 1943. AD L&G : 1W 120.
655 Rapport des Renseignements généraux, 25 janv. 1943. AD L&G : 1W 122.
656 Rapport de la gendarmerie de Castelsarrasin, 19 juin 1943. AD T&G : Msup 1019.
657 Rapport de la gendarmerie du Tarn-et-Garonne, 22 mai 1943. AD T&G : Msup 1017.
658 Il Corriere, 31 juil. 1943.
659 Rapport de l’agent administratif cantonal à Rieumes, 4 avr. 1943. AD HG : O 797-2.
660 Rapport des Renseignements généraux, 24 mai 1943. AD HG : O 797-2.
661 Rapport des Renseignements généraux et Communication de la gendarmerie, août-sept. 1943. AD HG : O 800.
662 Lettre du président de la délégation spéciale de Labastide-Clermont, 3 janv. 1943. AD HG : O 797-2.
663 Rapport du commissaire de police de Nérac, 3 janv. 1943. AD L&G : 1W 122.
664 Procès-verbal de la gendarmerie d’Aiguillon, 26 juin 1943. AD L&G : 1W 122.
665 Lettre du maire de Villefranche-de-Lauragais, 20 sept. 1943. AD HG : O 792-2.
666 P. Guillen, « Les Français et la résistance italienne », Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, juil. 1986, no 143, p. 79-90.
667 Procès-verbal de police, 19 juil. 1943. AD L&G : 1W 122.
668 Rapport de renseignement, juil. 1943. AD HP : 21W 124.
669 Rapport du préfet du Tarn-et-Garonne, 1er août 1943. AD T&G : Msup 465.
670 Note des Renseignements généraux de Toulouse, 3 nov. 1943. AD HG : 1318-1.
671 Rapport de la gendarmerie de Castelsarrasin, 18 sept. 1943. AD T&G : Msup 1019.
672 Rapport du commissaire de police de Moissac, 22 sept. 1943. AD T&G : Msup 1698.
673 Situation des consulats italiens en zone-sud, 15 nov. 1943 et 3 fév. 1944. AN : CAC 880312-Art/7-MI 34154.
674 Note du secrétariat d’État aux Affaires étrangères, 4 janv. 1944. AN : CAC 880312-Art/6-MI 34153.
675 Lettre du secrétaire général auprès du chef de gouvernement, 10 nov. 1943. AN : F60-641.
676 Notes des Renseignements généraux de Toulouse, 9 et 15 oct. 1943. AD HG : 1318-1.
677 Note des Renseignements généraux de Muret, 20 oct. 1943. AD HG : 1318-1.
678 Notes au préfet du Tarn-et-Garonne, nov. 1943. AD T&G : 17W 34.
679 Note des Renseignements généraux de Toulouse, 18 oct. 1943. AD HG : 1318-1.
680 Note des Renseignements généraux de Toulouse, 3 nov. 1943. AD HG : 1318-1.
681 Rapport du préfet des Hautes-Pyrénées, janv. 1944. et statistiques, jusqu’à fin fév. 1944. AD HP : 19W 43.
682 Rapport du préfet des Hautes-Pyrénées, 22 oct. 1943. AD HP : 19W 43.
683 G. Perona, « Les Italiens dans la Résistance française », in Exils et migration, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 627-650.
684 Rapport des Renseignements généraux de l’Ariège, 20 juil. 1943. AD Ariège : 5W 69.
685 Tracts de la section toulousaine du CILN. Archives D. Latapie : documents franco-italiens.
686 Témoignage écrit de N. Titonel, 1984. Archives C. Urmann.
687 Le Grand écho du Midi, 15 mai 1944.
688 Rapport du commandement militaire de l’IR 35, 25 avr. -31 déc. 1943. Archives C. Urmann.
689 Rapports de la gendarmerie de Castelsarrasin, 21 et 25 juin 1944. AD T&G : Msup 1018.
690 Lettres du vice-consul à Agen, 27 août et 1er sept. 1943. AD L&G : 1W 122.
691 Rapport de la gendarmerie de Montauban, 7 déc. 1943. AD T&G : Msup 1018.
692 Rapport de la gendarmerie de Montauban, 7 déc. 1943. AD T&G : Msup 1018.
693 Rapport du préfet des Hautes-Pyrénées, 1er juin 1944. AD HG : M 1520.
694 Rapport de la gendarmerie de Montauban, 5 mai 1944. AD T&G : Msup 1018.
695 C. Maltone, Écrire pour les autres, mémoires d’une résistante, Talence, Presses Universitaires de Bordeaux, 1999.
696 Notices individuelles des Renseignements généraux, 1945-1949. AD HP : 45W 9 & 42W 28-2.
697 Rapport de l’état major régional FFI de la 17e région militaire. Archives C. Urman.
698 Tract du Comité italien de libération nationale et du Comité régional de la Jeunesse garibaldienne, Agen, 29 juin 1944. BDIC : Fo Res 2A.
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