1. Historique de la systémique en santé mentale
p. 11-60
Texte intégral
La rigueur isolée est mort paralytique, l’imagination isolée est insanité.
Gregory Bateson
1Dans plusieurs milieux d’intervention en santé mentale, on considère utile, voire essentiel, d’utiliser l’éclairage de la théorie des systèmes ; ailleurs, au contraire, cette approche est déconsidérée. Connaître l’historique de la systémique dans le monde et au Québec, et celui de ses applications aux systèmes humains, particulièrement aux situations de problèmes de santé mentale et à la thérapie, aide à comprendre ce clivage.
2Ce premier chapitre présente les grands concepts systémiques et leurs auteurs, leurs applications en santé mentale ainsi que les facteurs qui en ont influencé l’évolution. On évoquera les caractéristiques des principales écoles, surtout les plus connues au Québec, ainsi que les apports de théories complémentaires. Les concepts sont nombreux, mais ils trouvent tous un écho dans les approches actuelles, au sein comme en dehors des problématiques familiales. Nous avons adopté une division par périodes ; notons que celle-ci est forcément arbitraire, car l’évolution des concepts et des pratiques s’est faite graduellement. Les nouvelles idées s’annonçaient souvent bien avant leur apparition en force.
Héritage historique
3L’idée de système se retrouve chez les philosophes grecs de l’Antiquité, qui voyaient l’Univers comme un tout unifié dont les parties sont interdépendantes. Leur enseignement, transmis en Europe au Moyen Âge, a été critiqué durant la Renaissance, tout en restant une référence fondamentale. Il a été largement refusé par les philosophes du siècle des Lumières, qui, réagissant à l’oppression des pouvoirs politique et sociaux, ont plutôt insisté sur la prédominance de l’individu et de la raison, alors que se développaient des sciences et une technologie indépendantes de la philosophie.
4Descartes avait affirmé dès le XVIIe siècle que la certitude ne pouvait provenir que de la rationalité scientifique, et que pour l’atteindre, il était nécessaire de distinguer clairement, c’est-à-dire rationnellement, l’esprit humain qui observe et la matière qui est observée. L’ensemble du monde scientifique a hérité de ce cadre d’analyse. Au XIXe siècle, les sciences positivistes se sont développées par l’expérimentation empirique, qui présupposait non pas une distance mais bien une séparation entre le sujet observateur et l’objet, et divisait les objets étudiés en parties les plus petites possibles, pour mieux contrôler le processus de recherche et ainsi assurer la validité des résultats. Cette méthode, valable avec des objets physiques, a été transposée à l’observation d’« objets humains » pensants et relationnels (Donnadieu, 2004).
1920-1960 : Les origines de la systémique
5Face aux effets délétères de la division des connaissances, donc de la perte d’une vision d’ensemble et des relations entre les objets étudiés, certains scientifiques ont cherché des principes autour desquels pourraient s’intégrer les sciences naturelles et sociales. Karl Ludwig von Bertalanffy (1901-1972), un biologiste qui cherchait les règles qui « organisent les relations dans les interactions entre les parties des organismes », constate que « les comportements de ces éléments sont différents quand ils sont étudiés en isolation ou à l’intérieur de l’organisme ».
6Bertalanffy critiquait le réductionnisme des sciences naturelles et disait que « les organismes vivants ne suivent pas les mêmes règles que la physique » et que, par conséquent, « on ne peut réduire les niveaux biologiques, comportementaux et sociaux au niveau de la physique » : les premiers sont des systèmes ouverts et le dernier est un système fermé. Il soulignait la nécessité de sortir de la mécanique pour s’orienter vers la relativité et la complexité. Il proposa de considérer les phénomènes observés comme « des systèmes, ou des ensembles d’éléments en interrelations entre eux et avec l’environnement ».
7Ses propositions pouvaient être traduites, pour les sciences humaines, par les principes suivants :
- un système doit être compris comme un ensemble ;
- on ne peut comprendre un ensemble en étudiant ses parties séparément ;
- un système humain fonctionne grâce à un niveau élevé d’échanges d’informations ;
- les systèmes humains sont autoréflexifs, c’est-à-dire qu’ils peuvent s’observer et s’analyser eux-mêmes, établir leurs propres buts, vérifier si les moyens pris sont adéquats et efficaces, et apporter des correctifs venant de l’intérieur ou de l’extérieur (Boss et al., 1993, p. 328-330).
8La théorie des systèmes fut immédiatement utilisée dans les domaines de la biochimie, du management et de la sociologie. Des groupes de recherche l’utilisèrent pour développer la cybernétique, science étudiant les façons suivant lesquelles un mécanisme ou un organisme contrôle le passage de l’information pour s’autoréguler. Elle ne s’occupe pas des objets, mais de la manière dont ceux-ci se comportent ; elle ne cherche pas le « quoi » ni le « pourquoi », mais le « comment ». Quelques équipes appliquèrent la cybernétique aux relations humaines et développèrent les concepts de feed-back, de boucles de rétroactions ouvertes ou fermées, d’homéostasie, d’ensemble, d’interdépendance, d’autorégulation et d’échanges avec l’environnement. Avec les théories de l’information et de la communication, qui étudiaient non pas le contenu des messages mais comment ces messages étaient émis, transmis, reçus et décodés, la cybernétique contribua fortement au développement du paradigme nouveau qu’a constitué la systémique.
9Le personnage central dans l’application de la systémique et de la communication à la santé mentale fut Gregory Bateson (1904-1980). Anthropologue, ethnologue et finalement épistémologue, il s’est intéressé aux façons suivant lesquelles les groupes sociaux utilisent leurs interactions pour créer la stabilité et le changement dans leurs relations, et transmettre d’une génération à l’autre leurs croyances, leurs normes et leurs tabous (Pauzé, 1998). Au-delà des contenus dans les échanges, il étudia ce qui se passe entre les individus. Ses contacts avec les groupes de recherche sur la cybernétique, l’information et la communication l’amenèrent à tenter de les intégrer en « un ensemble que nous pouvons appeler la cybernétique, ou la théorie de la communication, ou la théorie des systèmes ».
10Bateson chercha comment adapter la théorie des types logiques de Bertrand Russell à l’étude des comportements humains. Il appliqua aux mécanismes de régulation dans les groupes sociaux les idées de Milton Erickson sur la communication hypnotique comme moyen de contourner les blocages psychologiques et de libérer les forces internes des personnes. Il découvrit l’importance de la récursivité dans les comportements répétitifs. La récursivité est généralement perçue en systémique comme l’échange circulaire entre des personnes vivant une même situation, qui fait que le comportement de l’un ne peut être véritablement compris que si on considère les comportements de ceux qui l’entourent : un dominant ne peut exister que s’il y a des personnes qui acceptent sa domination ou sont forcées de s’y soumettre, et vice-versa, chacun influençant et étant influencé.
11Bateson proposa une dimension complémentaire : lorsque les comportements se répètent, chaque répétition fait s’accumuler de l’information sur l’acte posé dans un contexte donné ; et à chaque nouvelle répétition, les souvenirs des comportements antérieurs et de leurs contextes sont présents, mais changent et influencent le comportement nouveau. À partir des informations accumulées au cours de ses expériences antérieures du même type ou qu’il juge être du même type, l’organisme établit un lien avec le contexte actuel et décide de l’action à poser. Un système dont les règles sont souples peut s’enrichir et évoluer à chaque répétition ; un système dont les règles sont rigides peut se rigidifier davantage à chaque répétition.
12Pour Bateson, cette récursivité était plus importante pour comprendre l’action que le comportement lui-même : une décision se prend à partir de la hiérarchie des ordres de récursivité, laquelle détermine quelle information est la plus appropriée dans un contexte précis. Par exemple, la répétition de comportements affirmatifs d’un enfant a moins d’influence que la répétition des comportements contrôlants des parents, situés dans un ordre supérieur de pouvoir, pour déterminer ce qui doit être fait dans un contexte donné — à moins que les parents accordent à l’enfant une partie de leur pouvoir. Cela s’avéra fondamental dans l’étude des communications et des prises de décision.
13En 1948, Bateson collabora avec le psychiatre Jurgen Ruesch à Palo Alto. Déjà en 1935, il avait suggéré que les psychiatres devaient s’intéresser non seulement à l’histoire des individus, mais aussi aux contacts qu’ils entretiennent avec leur entourage (Pauzé, 1996, p. 42). En 1951, Bateson et Ruesch publièrent Communication : The Social Matrix of Psychiatry. Ils y affirment que la notion de communication est centrale en psychiatrie, et s’étonnent de la place exclusive faite à la personnalité.
14En 1952, une équipe de recherche sur « les paradoxes de l’abstraction dans la communication » fut mise sur pied avec Jay Haley, John Weakland, William Fry et, plus tard, Don Jackson. L’équipe appliqua ses résultats aux problèmes de communication de personnes schizophrènes ; ils conclurent que leurs comportements ne pouvaient être considérés que comme une adaptation à un contexte familial spécifique. Ils appliquèrent alors à l’étude de la famille, clairement identifiée comme un système, les concepts cybernétiques de feedback, de règles et de frontières.
15L’équipe fit paraître en 1956 « Toward a Theory of Schizophrenia », retentissant article fondé sur l’idée des messages à double contrainte (double bind). Bateson croyait que la communication des schizophrènes n’était pas privée de sens ni d’ordre, mais était rendue incompréhensible en raison d’une faille de structure logique dans la relation entre le locuteur et le contexte. Cette faille ne peut être comprise que si on considère la complexité de la communication : le message qui transmet faits et idées, le message affectif et le message sur la relation entre les personnes impliquées et avec le contexte. Les membres de l’équipe conclurent alors qu’une personne devenait schizophrène parce qu’elle avait été soumise dans son enfance à une répétition de messages à double contrainte, où le contenu logique était contredit par le contenu affectif et relationnel, et où les messages relationnels étaient souvent confus et contradictoires, sans que la personne puisse obtenir des informations nécessaires pour clarifier ces messages. Ils reconnurent plus tard que même si les problèmes relationnels et de communication jouaient un rôle important chez plusieurs schizophrènes, cette hypothèse de causalité principale n’était pas fondée. Leur erreur, qui provenait du fait que leurs hypothèses n’avaient pas été suffisamment vérifiées avant la publication, donna aux opposants de la systémique une arme qui est encore utilisée.
16Selon Paul Watzlawick (1990), la principale contribution de Bateson au domaine de la santé mentale a été de proposer aux psychiatres, lorsqu’ils entrent en contact avec des patients dont ils ne connaissent pas les contextes mentaux et sociaux, d’avoir une ouverture d’esprit, sans préjugés, comme un anthropologue, et non de se référer immédiatement à des modèles théoriques de maladie mentale ; de ne plus voir la maladie d’une manière isolée, mais de se demander comment les éléments différents sont en interaction, et dans quel contexte humain ce comportement peut avoir du sens.
17Bateson a affirmé qu’il n’existait « pas d’expérience objective, car notre cerveau crée les images, les sons, les odeurs que nous pensons percevoir » (Pauzé, p. 113). Cela se fait dans un processus non conscient, d’abord d’après les capacités neurologiques, et suivant un décodage effectué d’après un éventail de présupposés. Bateson s’opposait ainsi à l’absolu des sciences positivistes, pour qui seules les informations transmises par les sens donnent une connaissance objective et valable de la réalité. Et d’ajouter : « le langage présente les objets comme s’ils avaient des propriétés en soi, alors qu’elles sont toujours fonction des relations avec un autre objet ou avec l’observateur » (p. 116). Ce point de vue a été au fondement du constructivisme, puis du constructionnisme social.
18Enfin, bien que Bateson se soit intéressé aux sciences naturelles, aux mouvements sociaux et aux facteurs socio-économiques, ses travaux sur la santé mentale ont porté sur l’organisation des échanges et de la communication dans la famille, et ont négligé les aspects socio-économiques, culturels, physiques et biologiques, ce qui a contribué à l’exclusion de ces facteurs dans les recherches et les interventions qui ont suivi.
19Durant la même période, d’autres équipes de psychiatres ont élargi leur champ d’étude. Ils sont graduellement passés de l’étude du patient à l’étude des relations entre le patient et sa mère, puis entre le patient, sa mère et son père, et finalement à l’étude des relations dans la famille, en utilisant la théorie de la communication et la théorie des systèmes. Ils développèrent des concepts applicables dans tous les problèmes de relations en santé mentale, aussi bien dans les familles que dans l’organisation des soins. Ces psychiatres reconnurent aussi les effets de l’environnement social et physique sur les patients et leurs familles, mais se concentrèrent principalement sur l’étude de la famille.
20Le terrain avait été préparé par Nathan Ackerman (1908-1971), le « grand-père de la thérapie familiale ». Ayant commencé sa pratique médicale auprès de mineurs en chômage, il fut frappé par l’impact des facteurs environnementaux sur la santé mentale et sur le fonctionnement des familles. Par la suite, dans des centres hospitaliers et des agences familiales à Philadelphie et à New York, il travailla avec les familles pour améliorer la santé mentale des individus.
21Ackerman utilisait le concept de rôle social, et n’employait pas le terme « système », même s’il a insisté sur l’importance de l’homéostasie, « principe qui préserve la continuité de l’organisme humain dans des conditions environnementales en changement constant [...] et qui maintient l’équilibre dynamique de l’individu avec son environnement social » (1958). Dès 1937, il insistait sur le fait que la famille doit être vue comme une unité, avec des interactions qui influencent le développement et le fonctionnement de ses membres. Il écrira dans The Psychodynamics of Family Life (1958) que « la famille modèle les personnes qu’elle requiert pour remplir ses fonctions ».
22Ackerman a entre autres innové en faisant des visites à domicile pour évaluer l’effet des conditions matérielles sur le développement des enfants et sur le fonctionnement global des familles. Il a souligné la faiblesse des diagnostics traditionnels, qui « atomisent conceptuellement l’individu et le coupent des groupes qui l’entourent » au lieu de considérer « la manière dont les relations familiales influencent le fonctionnement des membres de la famille. » Pour lui, « fondamentalement, la biologie, la psychologie et la sociologie sont des éléments artificiellement séparés de la science du comportement ». Enfin, il considérait que « les diagnostics sont parfois inappropriés à cause de l’insistance sur les aspects pathologiques, négligeant des aspects tout aussi réels indiquant la santé ». Et d’ajouter : « la réhabilitation des personnes en détresse émotionnelle repose sur notre capacité d’utiliser pleinement ce qui est sain chez ces personnes et leurs familles ».
23En 1960, il fonda à New York le Family Institute qui a pris son nom après son décès. C’est là qu’a continué de se développer une thérapie familiale ouverte sur les facteurs environnementaux. Mais M. Elkaïm souligne qu’en dépit des qualités exceptionnelles d’Ackerman, ses productions théoriques ont été trop imprécises pour leur assurer l’influence qu’elles méritaient (1995, p. 12-13). Murray Bowen (1913-1990) a pour sa part étudié la famille principalement comme un système fermé. Il l’a définie comme un système émotionnel dont les membres sont essentiellement reliés et qui doivent se différencier. Les problèmes viennent principalement du manque de différentiation des membres ; la famille forme alors une masse émotionnelle indifférenciée, fusionnée, lieu d’une anxiété flottante irrationnelle, avec des attachements émotifs pathologiques insolubles et qui sont transmis d’une génération à l’autre. Ces relations familiales duelles sont instables en situation de conflit, et les membres cherchent à diluer la tension en introduisant une tierce personne pour ainsi former un triangle. Ce triangle peut se former avec un autre membre de la famille, un parent ou un enfant, une personne de l’extérieur, une personne qui n’est plus présente mais a eu de l’importance dans le passé et qui demeure présente dans l’imaginaire de la famille ou d’un de ses membres. Le triangle est « le plus petit système relationnel stable » ; mais pas nécessairement le plus efficace à moyen et long terme pour résoudre les conflits et permettre le développement harmonieux des membres.
24On doit à Theodore Lidz (1910-2001) les concepts importants de coupure et de clivage (schism et skew) dans les communications du couple ; il y voyait la source de la schizophrénie chez l’enfant.
25 Lyman Wynne (1923-2008), qui s’est aussi intéressé à la schizophrénie dans un contexte familial, a insisté sur l’importance des relations de rôles et des patterns de communication. Il a proposé les concepts relationnels de pseudo-mutualité où, dans les échanges, les individus agissent comme s’ils étaient d’accord quoi qu’il se passe, au détriment de la différentiation des personnes, et de pseudo-hostilité, où les échanges sont apparemment toujours opposés et même hostiles, mais restent superficiels et s’arrêtent dès qu’une certaine limite est atteinte. On doit aussi à Wynne l’idée d’une barrière de caoutchouc (rubber fence) qui peut se dresser entre les membres, et entre la famille et son environnement, frontière qui se déplace constamment en fonction de la structure relationnelle à maintenir, et non par rapport aux comportements et aux évènements. L’observateur qui ne se concentrerait que sur les faits et les évènements serait alors le témoin de rapprochements et de distanciations imprévisibles et inexplicables. Ce dysfonctionnement entraîne de la confusion et de la rigidité, une incapacité d’établir une intimité réelle et à s’engager dans des conflits générateurs de solutions et, finalement, l’aliénation des membres.
26 Ivan Boszormenyi-Nagy (1920-2007) présenta la famille comme un système actualisant des processus s’étendant sur plusieurs générations, où les membres se transmettent des dettes relationnelles en héritage. Ces dettes sont fondées sur des loyautés invisibles, généralement inconscientes, qui attachent les époux à leurs familles d’origine, où les parents ont souvent eux-mêmes reçu de telles dettes de leurs propres parents. Une famille saine a des règles équitables et une éthique relationnelle fondée sur le droit de chacun au respect de ce qu’il est et sur la responsabilité de chacun de respecter les droits des autres membres, et où il existe une ouverture aux changements physiques, relationnels et environnementaux. Une famille manque à l’éthique et empêche le développement de ses membres lorsqu’elle transmet la règle que les « dettes doivent être payées » sans tenir compte ni de l’origine dans le passé de ces dettes ni des besoins présents de ses membres, de ce qu’ils sont, veulent et vivent, ni du contexte, et lorsqu’elle exige que des patterns soient répétés d’une génération à l’autre sous peine de vivre la culpabilité écrasante du défaut de loyauté. Boszormenyi-Nagy fut le premier à souligner l’importance de l’éthique dans les relations interpersonnelles.
27Pendant ce temps, les scientifiques positivistes continuaient de chercher sinon à guérir, au moins à soulager les personnes souffrant de maladies mentales. En 1952, ils découvrirent les premiers psychotropes, qui ont transformé et humanisé le traitement des personnes psychotiques en permettant leur sortie des institutions, et favorisé leur réintégration sociale et familiale en les aidant à développer des façons de vivre satisfaisantes pour elles et socialement acceptables par leur entourage. Cette évolution dans les soins a radicalement modifié la structure de l’environnement des patients et leurs relations avec leur entourage.
Synthèse
28La première période de la systémique fut marquante dans le traitement de la schizophrénie et d’autres problèmes de santé mentale par le passage de l’attention de l’individu vers les systèmes où il vit et se développe, et vers les relations qui l’entourent et le modèlent, et par le passage de l’utilisation quasi exclusive de la psychodynamique et des sciences médicales à l’utilisation d’autres théories qui éclairent la compréhension des relations humaines, au point de transformer cette compréhension et de proposer un paradigme nouveau.
29De nombreux concepts-clés ont été élaborés. Plusieurs intervenants ont utilisé la théorie de la communication sans la relier à la théorie des systèmes. Certaines de ces avancées ont été réalisées par des psychiatres insatisfaits des résultats de leurs interventions et ouverts à la recherche de facteurs autres que ceux que présentait la psychiatrie classique. D’autres jalons ont été posés par des équipes multidisciplinaires parfois fort éloignées de la maladie ou de la pathologie. La thérapie familiale et les applications de la systémique ont été construites par des personnes de for mations et de motivations très diverses, et qui « bricolaient » (Watzlawick, 1990), mais qui ont su organiser ensuite un cadre rigoureux d’analyse et d’intervention.
30Ces chercheurs, en nombre suffisant pour former une masse critique, ont amené une transformation profonde de l’intervention auprès des patients et des systèmes qui les entourent, principalement la famille. Les concepts élaborés durant cette période furent tous mis en pratique dans les périodes suivantes et sont encore présents dans les schémas d’analyse utilisés par les écoles actuelles. Mais les applications se sont largement limitées au système familial, vu comme la principale source des problèmes de santé mentale de ses membres. La majorité des intervenants en santé mentale n’ont pas suivi la perspective environnementale ouverte par Ackerman.
31Notons enfin que cette période a été celle des débuts de l’utilisation des psychotropes, qui ont humanisé les traitements, permis pour plusieurs patients la sortie des institutions et favorisé leur réintégration sociale et familiale en les aidant à développer des façons de vivre satisfaisantes pour eux-mêmes et socialement acceptables dans leur entourage.
1960-1980 : Le perfectionnement de l’épistémologie de la systémique et le développement de la thérapie familiale
Aux États-Unis
32L’équipe du Mental Research Institute (MRI) de Palo Alto, comprenait Don Jackson, Paul Watzlawick, Virginia Satir et Jules Riskin. Ils précisèrent le rôle des concepts de règles, de normes, de relations symétriques et complémentaires dans la communication à l’intérieur de la famille. Don Jackson décrivit les règles du couple comme basées sur le donnant-donnant (quid pro quo) : chacun donne quelque chose pour recevoir quelque chose. Si les échanges sont équitables, le couple fonctionne bien ; s’ils ne le sont pas, le couple dysfonctionne.
33Watzlawick, Beavin et Jackson publièrent en 1967 Pragmatics of Human Communication, traduit en 1972 sous le titre de Une logique de la communication, qui présente les rôles de la communication dans les relations interpersonnelles, les niveaux de communication, les types différents de messages inclus dans chaque échange ; les paradoxes sont considérés comme une partie normale de tout échange important. Les auteurs avancent en outre que la seule façon de comprendre la famille est de la considérer comme un système ouvert.
34Pour vérifier ses hypothèse, l’équipe fonda en 1967 le Brief Therapy Center. Ils tentèrent d’abord d’établir un cadre structuré d’entrevue familiale pour arriver à un diagnostic rapide. Puis, devant leur échec, ils adoptèrent la suggestion de Bateson : des observateurs derrière un miroir sans tain notèrent les comportements des familles et les interventions qui semblaient apporter un changement (Watzlawick, 1990).
35Ils conçurent ainsi un modèle d’intervention visant la résolution des problèmes et la diminution rapide de la souffrance des familles. Le problème était vu comme ayant pour origine une tentative inefficace de résolution d’une difficulté et défini comme une situation où les règles familiales empêchent de chercher de nouvelles modalités de résolution plus efficaces. L’intervention ne devrait donc pas viser la compréhension des raisons cachées provenant du passé, ni le développement des membres, mais bien la modification des règles qui maintiennent les modalités faussées de résolution de problèmes. Puisque des « boucles de feedback » entretiennent ces façons inefficaces, l’intervention doit consister à établir des boucles différentes de feedback. Le contenu est peu important en soi ; le système développera lui-même ses règles nouvelles. L’approche est active et utilise surtout des techniques verbales indirectes et paradoxales pour réaliser le changement. Le thérapeute a un grand pouvoir ; ne pouvant pas ne pas influencer le patient, il a une responsabilité éthique face aux effets de ses interventions.
36Après le décès de Jackson, en 1968, les recherches de l’équipe mirent en lumière l’importance du rôle des deux hémisphères du cerveau dans la perception et les décisions de changement. L’hémisphère dominant, logique, est à l’origine des décisions qui maintiennent le problème ; l’intervention doit accéder, par des images, des recadrages, des ambiguïtés et des paradoxes, à l’hémisphère non dominant, analogique, qui va trouver des façons différentes de régler la situation. Le pourquoi logique est inefficace et doit être remplacé par le quoi et le comment du déroulement des faits. Le changement efficace n’est pas du premier ordre logique, qui toucherait les faits ou les comportements pour lesquels la demande de service a été faite. Il doit être un changement de second ordre, qui touche le cadre de décodage et d’attribution de significations que les membres avaient construit et qui les amenait à une organisation dysfonctionnelle de leurs relations. Par exemple, les structures familiales rigides sont fréquemment organisées comme protection contre des affects douloureux. L’effet pervers est le blocage de toute expression affective, donc le développement de nouveaux affects douloureux parce que non exprimés.
37Il faut noter que conformément à la pensée de Bateson, cette approche présuppose que le système familial a les ressources nécessaires pour faire face aux problèmes rencontrés, et qu’il trouvera par lui-même les moyens appropriés. Si les limitations physiques et les obstacles environnementaux sont reconnus en pratique, les publications n’en rendent pas compte.
38Par ses ouvrages Le langage du changement, Changements. Paradoxes et psychothérapie et La réalité de la réalité, Paul Watzlawick a eu une immense influence auprès de tous les thérapeutes systémiques et familiaux. Le MRI est probablement le centre qui a le plus marqué l’application de la théorie des systèmes dans le domaine de la recherche, de la formation et de l’intervention familiale. Son approche est essentiellement stratégique, mais ce qui en a été souvent retenu est l’aspect d’intervention paradoxale brève. L’épistémologie systémique alors retenue est que les systèmes en déséquilibre tendent à revenir à l’homéostasie, à un équilibre et à une stabilité. Les études se concentrent sur les modalités selon lesquelles ces systèmes utilisent des mécanismes homéostatiques de retour à la stabilité pour maintenir ou retrouver leur équilibre face à des changements jugés menaçants.
39Virginia Satir travaillait au MRI comme chercheure, formatrice et intervenante. Elle publia en 1964 Conjoint Family Therapy, traduit en 1982 sous le titre Thérapie du couple et de la famille. Après quelques années, elle quitta le MRI pour développer une approche plus orientée vers la croissance des membres de la famille par le développement d’une communication plus respectueuse et satisfaisante. Elle déclarait : « J’ai acquis la croyance profonde que tout humain peut croître. Mon objectif en intervention est de toucher cette capacité et de la montrer aux personnes, pour qu’elles puissent l’utiliser pour elles. »
40Tout en maintenant une analyse systémique de la situation et de l’intervention, Satir soulignait davantage les effets nocifs de la règle de non-expression des sentiments sur le développement des personnes, et prônait la valeur de l’expression de soi, le refus des non-dits, l’ouverture à soi et à l’autre, et la lutte contre les abus de pouvoir. Elle recherchait l’harmonie et le développement du bien-être dans le vécu des clients. Elle proposait une perspective féministe, contestant les effets du pouvoir tel que souvent défini par les thérapeutes mâles. Son approche était active, directive, respectueuse. Elle fut accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par les thérapeutes familiaux, spécialement par les femmes, et fut la principale référence dans de nombreux lieux de pratique. Elle exerça jusqu’à sa mort, en 1988, et eut une influence comparable à celle du MRI.
41Presque en même temps se développait l’approche dite structurale de Salvador Minuchin, à la Child Guidance Clinic de Philadelphie. Après une spécialisation en psychiatrie infantile à New York, il travailla en Israël auprès d’enfants orphelins de l’Holocauste, ainsi qu’avec des enfants venant de pays arabes ou d’Asie. De retour à New York en 1960, il travailla avec des jeunes délinquants des ghettos. Il relia les problèmes de fonctionnement des jeunes à la désorganisation familiale et environnementale (1993).
42Minuchin développa l’approche structurale avec une équipe composée d’Edgar Auerswald, Braulio Montalvo, Bernard Guerney, Bernice Rosman, Harry Aponte, puis Jay Haley, Marianne Walters et Charles Fishman. Sommairement :
- il est plus important de connaître les interactions entre les membres que les actions de chacun ;
- ces interactions sont profondément influencées par la structure du système : ses composantes, les positions relatives des membres, les frontières entre les sous-systèmes et entre les membres, et les règles de fonctionnement ;
- la communication est le moyen par lequel les membres se nourissent, et par lequel on peut les rejoindre.
43Minuchin conçoit les problèmes comme le produit d’une difficulté d’adaptation de la famille aux transitions de la vie, comme l’arrivée d’un enfant, ou à des changements dans les conditions de vie, comme un changement d’emploi, un déménagement, un appauvrissement. Cette difficulté résulte d’une structure dysfonctionnelle dans la famille, qui empêche le système de s’adapter aux changements internes et extérieurs en raison de positions et de frontières inadéquates, et de règles de fonctionnement qui ne correspondent pas aux exigences de l’étape de vie ou aux conditions dans lesquelles la famille se trouve. L’intervention est active, modifiant les positions et les frontières par la communication, la manipulation de l’espace et des positions physiques des membres ; elle vise à leur faire expérimenter et vivre des façons nouvelles de se relier.
44Cette approche active de Minuchin et son insistance sur l’idée que la psychiatrie pour enfants doit nécessairement engager la famille provoquèrent de fortes réactions ; des enquêteurs envoyés par le Département de psychiatrie de l’université de Pennsylvanie déclarèrent même « les idées du Dr Minuchin sont dangereuses pour le département ». Le psychiatre reconnut plus tard (1993) qu’il avait partiellement provoqué ces réactions, et que cette provocation lui semblait nécessaire pour contrer l’intolérance et l’insensibilité des autorités professionnelles devant les besoins des enfants et des familles, spécialement des milieux pauvres.
45Minuchin a accepté de se « salir les mains », c’est-à-dire de sortir de l’hôpital, d’aller travailler dans les quartiers défavorisés et de vérifier de façon systématique les effets des conditions sociales et physiques, comme le travail et le logement. Dans les publications de cette période, il s’est concentré sur la structure et la dynamique interne de la famille ; mais dans ses présentations ultérieures, il a souligné la nécessité de tenir compte des conditions environnementales et de travailler à les changer aussi bien que les conditions internes de la famille. En 1986, Minuchin déclarait que, comme d’autres systémiciens, pour bien faire comprendre la spécificité de son approche, il avait dû laisser de côté plusieurs éléments importants de l’intervention. C’est pourquoi dans ses écrits il insistait sur les aspects systémiques « purs et durs », alors que dans la réalité des entrevues familiales, il était attentif à chaque membre, était très chaleureux avec les enfants, et vérifiait des éléments du développement de chacun.
46Avec Jay Haley, Minuchin forma des thérapeutes familiaux qui n’avaient pas de formation universitaire, venant de milieux défavorisés, principalement des ghettos noirs. Il croyait que ces personnes pourraient mieux intégrer une pensée systémique, puisqu’elles n’avaient pas été socialisées dans les modèles de pathologie et de thérapie individuelles ; de plus, leurs connaissances expérientielles constitueraient un apport puissant pour saisir l’influence du milieu de vie. De fait, leur appréhension rapide des effets des conditions matérielles et leur attention au vécu et aux capacités des personnes qui réussissent à fonctionner dans un contexte difficile ont été enrichissantes pour les familles clientes et pour les nombreux thérapeutes qu’elles ont contribué à former.
47En 1976, Jay Haley quitta l’équipe de Minuchin pour fonder le Family Therapy Institute de Washington, avec Cloé Madanes. Comme Minuchin, Haley insiste sur la hiérarchie et le pouvoir lié aux positions familiales, et sur l’importance des conditions de vie, sociales et matérielles. Il étudie les hiérarchies familiales, les séquences de comportement et les patterns de communication dans l’ici-et-maintenant. Les problèmes viennent sur tout des façons inefficaces utilisées par les personnes et les familles pour régler une difficulté, et sont entretenus par la rigidité de fonctionnement du système. Les symptômes sont des façons dysfonctionnelles que les acteurs ne sont plus capables de modifier. Haley insiste sur le caractère symétrique ou complémentaire des échanges qui visent le contrôle des relations, et sur les paradoxes inévitables dans les communications. Il s’inspire de Milton Erickson, qui parvenait à atteindre les forces de changement par l’utilisation de techniques indirectes, de l’hypnose et de paradoxes (Haley, 1973). Il a une approche active, crée des plans et des stratégies adaptées à chaque situation, déséquilibre systématiquement le fonctionnement inefficace des familles par des paradoxes. Pour lui, le thérapeute ne doit pas être un compagnon d’exploration de l’âme, mais un artisan très terre à terre orienté vers le soulagement par le changement des contextes.
48Jay Haley a souligné que puisque « la tentative de solution devient une partie du problème », la façon dont les intervenants et les organismes définissent la situation et proposent une solution peut causer un nouveau problème ou aggraver le problème existant. Ses écrits (1971 ; 1981) contiennent d’excellentes analyses systémiques des institutions et de leurs interventions où l’auteur rappelle que les intervenants font partie du système action, que leur action n’est pas dégagée de ce qu’ils sont et que leurs biais personnels et institutionnels sont aussi importants que ceux de leurs clients.
49Son approche a été enrichie par les contributions de sa compagne Cloé Madanes (1981 ; 1988), qui apportent spontanéité et chaleur au rapport thérapeutique, ainsi qu’une attention ouverte au vécu des membres de la famille. Elle rejoint Satir dans l’attention portée à la compassion et au pouvoir de l’amour.
50La théorie de la communication fut étudiée autrement par Richard Bandler, John Grinder et Robert Dilts. Ils établirent que pour communiquer, chaque personne développe des modalités personnelles d’utilisation des canaux sensoriels externes et internes. Partant de la question « qu’est-ce qui fait que des intervenants sont plus efficaces que d’autres ? », ils observèrent le travail de certains « grands thérapeutes » comme Erickson et Satir. Ils conclurent que ces thérapeutes avaient élaboré des modalités de communication qui rejoignaient chez leurs interlocuteurs la programmation sensorielle externe de communication et la programmation interne d’attribution d’une signification, puis de prise de décision. Ils avaient ainsi le précieux avantage d’avoir un accès privilégié aux centres de décodage et de décision sans que leurs interlocuteurs s’en rendent compte.
51Ces chercheurs ont proposé des modalités d’analyse et d’intervention permettant de faire de façon consciente ce que ces thérapeutes, sauf Erickson, faisaient de façon inconsciente : la programmation neurolinguistique (Bandler et Grinder, 1975 ; 1976). La technique se répandit dans l’ensemble de l’Amérique et en Europe, et constitue un puissant outil d’intervention. D’après leurs recherches, l’intervention ne peut réussir que si le thérapeute commence par établir un « rapport » (plutôt qu’une relation) par un contact sensoriel adapté aux modalités de communication de l’interlocuteur : il écoute les personnes, s’adapte à elles, utilise leurs mots, leurs règles de pensée et leurs canaux sensoriels privilégiés de communication. Il peut ensuite les amener à découvrir des manières plus satisfaisantes, qu’elles connaissent souvent sans le savoir, d’utiliser leurs propres ressources.
52À Galveston, au Texas, une équipe dirigée par Harry Goolishian et Eugène MacDonald conçut la « thérapie à impacts multiples » : une intervention de psychiatrie communautaire en situation de crise centrée sur le problème et utilisant les ressources du système familial et de l’environnement. Cette approche met en avant le rôle de l’équipe pour développer une perception plus appropriée de la situation : les membres de l’équipe discutaient librement de leurs perceptions devant les membres de la famille. Cette technique avait un impact thérapeutique important, mais ne fut reprise ailleurs que plus tard, et avec difficulté, puisqu’elle mettait en cause le fonctionnement des équipes traditionnelles, fondé sur la distance entre l’expert et le patient.
53Un autre projet d’intervention de crise élabora, avec la collaboration de Jay Haley et du MRI, un modèle systémique centré sur les ressources de la famille et de l’environnement (Langsley et Kaplan, 1968). Cette approche, très active, comprenait des visites à domicile, un recours aux médicaments, des techniques de communication et l’utilisation des ressources du milieu. Elle se fondait sur la capacité des membres de la famille de « se rendre mutuellement sains s’ils le doivent » et visait le développement de leur responsabilité devant les effets de leurs comportements sur le fonctionnement de tous (Pittman, 1987). Le terme « doivent » indique bien ici que les thérapeutes pouvaient, de façon active et délibérée, provoquer des prises de conscience par des mises en situation expérientielles.
54Plusieurs approches de réseau prirent forme à la suite de Speck et Atneave (1973). La plupart visaient à favoriser le développement de solidarités environnementales pour contrer les conditions propices à l’émergence des problèmes de fonctionnement social ou de santé mentale. Quelques équipes s’orientèrent vers une prise de conscience des facteurs politiques et économiques à la base des problèmes, et vers des actions plus politiques.
Réactions critiques
55Cette nouvelle épistémologie provoqua de nombreuses réactions négatives. Une partie des critiques vint d’abord de la croyance en la prépondérance de l’individu et en la valeur exclusive de la science empirique, profondément ancrées dans les valeurs américaines. Des groupes scientifiques réagirent à l’affirmation que la théorie générale des systèmes pouvait constituer un cadre explicatif pour toutes les sciences ; certains ont tenté de la présenter comme une perspective philosophique et non une théorie scientifique (Boss et al., 1993, p. 346).
56Les institutions de psychiatrie et les professions d’aide interpersonnelle perçurent rapidement que la systémique constituait un changement radical dans la définition des problèmes et dans les interventions : le cadre de référence passait de l’individu aux relations entre les membres d’un ensemble et à l’organisation de leurs échanges, où les personnes se développent et fonctionnent principalement à partir des règles de fonctionnement de l’ensemble, non de leurs caractéristiques individuelles (Haley, 1971 ; Napier et Wittaker, 1978 ; Pittman, 1987).
57Devant la violence des critiques, Haley répondit en 1969 par une volée d’essais non moins grinçants : « L’art d’être un échec comme thérapeute » ; « L’art d’être schizophrène » ; « L’art de la psychanalyse » ; « 14 raisons pour lesquelles la thérapie familiale ne doit pas être admise dans une clinique d’hygiène mentale », etc. (Haley, 1990).
58D’autre part, plusieurs groupes féministes qui faisaient une analyse sociopolitique des problèmes humains s’opposèrent à l’approche systémique parce que, selon eux :
- telle que pratiquée par les hommes, elle faisait systématiquement des femmes les boucs émissaires des situations-problèmes (Hare-Mustin, 1978) ;
- elle masquait les causes souvent sociales et économiques des problèmes, en psychologisant et en « familialisant » les problèmes d’ordre matériel et économique ;
- elle postulait que le changement institutionnel ne dépend que des changements individuels ;
- en dépit des affirmations contraires relevées chez Minuchin et Haley, elle n’avait pas assez de perspective critique des positions occupées par les hommes et les femmes, ni des effets des règles familiales sur les membres plus faibles, et contribuait ainsi à perpétuer des inégalités et des oppressions structurelles.
59Il est intéressant de noter que ces groupes faisaient une analyse éco-systémique des situations, mais sans reconnaître cette appartenance, pour ne pas être identifiés au mouvement de thérapie familiale qui semblait monopoliser l’appellation systémique.
60Enfin, à l’intérieur des équipes systémiques, des principes théoriques et méthodologiques étaient critiqués, principalement l’importance accordée à l’homéostasie. En 1974, David Speer publia un article choc dans Family Process, « […] Is Homeostasis Enough ? », dans lequel il proposait de prêter plus d’attention au changement inhérent à tout système humain, c’est-à-dire aux forces morphogénétiques.
En Europe
61À partir de 1965, l’analyse systémique se développa graduellement dans les centres psychiatriques européens, mais d’une façon très différente de ce qui se déroulait aux États-Unis. À côté du point commun que constituait l’insatisfaction dans le traitement des schizophrènes, le contexte social et culturel était très différent. Comme le souligne Ausloos (1998), le vent de révolte qui culmina dans les événements de mai 1968 dans les différents pays européens était une rébellion contre des structures sociales rigides et oppressives. Il se manifesta dans les milieux de santé mentale par l’antipsychiatrie, avec Laing, Cooper et Guattari, et visa beaucoup plus qu’en Amérique la société et les institutions. Cela eut pour effet de ne pas réduire l’approche systémique à la thérapie familiale, mais d’orienter l’analyse vers le social, particulièrement vers les institutions dont le rôle est d’aider : les établissements médicaux, psychiatriques et sociaux, et vers la dialectique entre le macro et le micro-social (Onnis, dans Elkaïm, 1995).
62Un autre élément de différence culturelle se trouve entre le génie américain, pragmatique et orienté vers l’action, le quoi et le comment, et le génie européen, analytique et insistant davantage sur la conceptualisation et le pourquoi. Les articles dans Family Process comportaient souvent une réflexion épistémologique et philosophique importante sur le savoir et le savoir-être ; mais la plupart des volumes insistaient surtout sur le savoir-faire. Cette différence culturelle paraît dans les titres des traductions françaises, par exemple : Pragmatics of Human Communication, de Paul Watzlawick, devint Une logique de la communication ; du même auteur, Change : Principles of Problem Formulation and Principles of Problem Resolution devint Changement : paradoxes et psychothérapie. Ausloos (1998) souligne ces difficultés et même les contresens causés par une traduction littérale de termes qui n’avaient pas d’équivalent identique dans la nouvelle langue. Notons que c’est de l’approche européenne, plus conceptuelle, que vient l’expression « la systémique » pour renvoyer aux différentes facettes de l’analyse et de l’intervention systémiques.
63La différence culturelle se manifesta également dans l’approche du temps. Plusieurs Européens ne croyaient pas en l’intervention brève : « un changement doit prendre du temps » et « une intervention brève ne peut être que superficielle », oubliant peut-être que les premières thérapies de Freud ne comportaient qu’un petit nombre de rencontres. On ne pouvait pas accepter certains textes américains qui affirmaient que des changements significatifs pouvaient se faire rapidement.
64Une autre différence vint de l’influence très grande de la psychanalyse en Europe, alors que les théories comportementales avaient cours aux États-Unis. Convaincus que les patients ne peuvent changer que lorsque l’inconscient est rejoint, plusieurs thérapeutes attachèrent davantage d’importance aux façons indirectes paradoxales, qui amènent les patients et leurs familles à changer sans savoir pourquoi. De plus, les interventions directes étaient beaucoup moins acceptées, parce qu’on considérait qu’elles manquaient de respect pour les espaces des familles, en comparaison avec les interventions indirectes, déséquilibrantes paradoxalement, mais plus acceptables.
65Le dernier point à noter, peut-être aussi important, fut que les Européens prirent connaissance en même temps, à partir de 1970, des publications des Watzlawick, Haley, Minuchin, Satir, Bowen et consorts. Ils furent ainsi protégés des divisions qui s’étaient construites entre les écoles américaines et insistèrent sur la perspective systémique générale. Ils se référèrent d’ailleurs plus à la cybernétique qu’à la théorie des systèmes.
66En Angleterre, John Bowlby avait commencé à voir les enfants avec les familles. Il percevait la famille non comme un système, mais comme le lieu le plus important du développement de l’enfant. La vague de l’antipsychiatrie attaqua les normes établies dans l’évaluation des problèmes de santé mentale. Ce n’est pas l’enfant qui est malade, mais la famille et la société, clament Laing, Cooper et leurs collègues. Une position systémique moins radicale se développa à l’Institut Tavistock de Londres, qui maintint en même temps son orientation analytique. Leurs écrits et ceux d’autres centres britanniques sont malheureusement peu connus dans le monde francophone.
67L’Italie fut le premier lieu important de développement de la systémique en Europe, avec Mara Selvini Palazzoli. Insatisfaite des résultats du traitement traditionnel des schizophrènes, elle se forma à Palo Alto et fonda en 1967 le Centre d’études de la famille, à Milan, avec Luigi Boscolo, Gianfranco Cecchin et Giulana Prata. La famille y était vue comme un ensemble dont l’organisation relationnelle pouvait nuire au développement des membres, principalement des enfants. Initialement, l’approche s’inspirait surtout du MRI et de Haley. Les principaux apports furent l’insistance sur la connotation positive des comportements, l’utilisation des rituels familiaux, le recadrage paradoxal et les prescriptions paradoxales, ainsi que le long intervalle entre les rencontres. Pour diminuer la rigidité des perceptions et indiquer la possibilité de changements, Selvini Palazzoli remplaça le verbe « être » par les verbes « sembler » et « montrer ». Elle utilisa de façon innovatrice une équipe placée derrière le miroir sans tain pour proposer des messages paradoxaux et déséquilibrer la famille par l’instauration d’un triangle : la famille, la thérapeute et l’équipe observante alliée à la famille. Elle insistait sur la neutralité du thérapeute. Le volume Paradoxes et contre-paradoxes (Selvini Palazzoli et al., 1975) eut une grande influence.
68Le Centre d’études de la thérapie familiale et des relations de Rome fut le deuxième centre d’intervention systémique, avec Maurizio Andolfi, Luigi Cancrini et Luigi Onnis. Il s’inspira initialement de Minuchin, de Haley, du MRI et aussi des travaux de Franco Basaglia, chef de file de la lutte contre les pratiques asilaires italiennes et promoteur de la désinstitutionalisation massive des internés. L’approche systémique fut perçue comme une méthodologie d’interprétation de la réalité sociale : l’école, le milieu professionnel, les hôpitaux. Andolfi, qui fonda ensuite l’Institut de thérapie familiale de Rome, donna une grande importance à la sécurité de l’enfant et, tout en maintenant une approche indirecte, insista sur la nécessité de prendre position et de se rapprocher avec une certaine chaleur des patients pour « faire tomber les murs ».
69Toujours en Italie, Stefano Cirillo fit une étude spécialement intéressante des règles et des jeux des familles naturelles et des familles d’accueil lors d’un placement, et des jeux entre les intervenants et les deux types de familles, et dans le système même des intervenants.
70Dans les pays francophones, l’apport des premiers systémiciens fut d’abord de diffuser la pensée et les méthodes systémiques par la traduction des ouvrages américains. Jean-Claude Benoît fut un artisan important de cette diffusion comme responsable de la collection des Sciences sociales appliquées des éditions ESF. Les applications de la théorie systémique progressèrent surtout dans deux champs. En psychiatrie, on utilisa la théorie de la communication et la cybernétique en faisant des liens avec les concepts psychanalytiques. Des centres virent le jour à Paris, à Genève et à Grenoble. Par ailleurs, on appliqua la pensée systémique aux institutions dans leur organisation et dans leurs relations avec leurs clients.
71Mony Elkaïm, psychiatre belge, suivit une formation en systémique à New York, au même hôpital que Minuchin et Andolfi. Son approche est ouverte à l’importance des environnements sociaux et professionnels ainsi que des conditions socio-économiques, et spécialement aux effets de la pauvreté sur le développement des membres et de la famille. En même temps, il a recentré l’attention sur les individus dans l’étude et le traitement de la famille. Il fonda l’Institut d’études de la famille et des systèmes humains de Bruxelles avec Isabelle Stengers, et en 1979, la revue Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratique de réseaux. Cette revue a publié de nombreuses traductions d’auteurs américains et italiens, d’excellentes études épistémologiques et des textes présentés lors des congrès sur la systémique.
72Guy Ausloos, psychiatre belge formé en France, en Italie et en Suisse, proposa une approche fondée sur l’existence des ressources internes des systèmes traités. Il recommanda, plutôt que d’imposer des façons de faire correspondant aux normes des systèmes traitants d’activer les ressources des systèmes traités qui prendront ensuite les directions qui leur conviendront. Il appliqua ces prémisses dans des interventions auprès de jeunes en institution ou dans leur famille, ainsi qu’auprès des alcooliques. Il fonda à Genève, avec Daniel Masson, la revue Thérapie Familiale.
73De nombreux autres systémiciens européens développèrent des aspects théoriques et pratiques de la systémique. Philippe Caillé propose une application conjointe de la psychanalyse, des contes métaphoriques et de la théorie des systèmes ; Helm Stierlin, en Allemagne, fit une intégration des méthodes américaines et de la culture allemande dans l’analyse des systèmes ; Jacques Pluymaekers développa en Belgique une excellente analyse des dynamiques systémiques institutionnelles ; Bernard Prieur, Pierre Angel et Sylvie Angel ont appliqué la systémique à l’intervention auprès des toxicomanes. Leurs écrits ont eu une grande influence.
Au Québec et au Canada
74Grâce à quelques formateurs attentifs, les connaissances acquises dans les centres américains ont été très tôt étudiées au Québec. Dès 1958, Heyda Denault, de l’École de service social de l’Université Laval, proposait une perspective systémique dans l’étude de la famille et puisait dans les publications de Nathan Ackerman. À Montréal, Myer Katz, de l’École de service social de l’Université McGill, en collaboration avec l’Institut Baron de Hirsch et les Services sociaux juifs à la famille, élabora une approche familiale qui considérait les problèmes comme relevant de l’organisation de la famille et de ses relations avec l’environnement social, au-delà des caractéristiques des personnes qui composaient la famille.
75En 1964, Nathan Epstein, formé à New York avec le Dr Ackerman, mit sur pied une équipe de thérapie familiale au département de psychiatrie de l’Hôpital général juif de Montréal. Cette équipe organisa ensuite un programme de formation à la thérapie familiale. Son modèle, plus tard appelé le modèle McMaster, du nom de l’université où le Dr Epstein s’établit après son départ de Montréal, se fondait surtout sur la théorie des rôles et de la communication, et était orienté vers la santé mentale. La même équipe forma dans les années 1970 le noyau de l’Institut de psychiatrie communautaire et familiale de Montréal. L’approche devint ouvertement systémique. Des formations données par Watzlawick, Minuchin, Haley et Ceccin contribuèrent à stimuler le développement d’une pensée systémique influencée par ces différentes approches.
76Dans les années 1970, d’autres intervenants innovèrent par une pratique systémique attentive aux capacités et aux droits des patients. Suzanne Lamarre, à l’hôpital Charles Lemoyne, explora l’approche de coopération plutôt que l’utilisation du pouvoir professionnel ; elle proposa la règle du respect de l’autonomie et de la vulnérabilité, et forma des équipes à cette approche.
77Gérard Duceppe et Jacqueline Prudhomme ont élaboré un programme de formation à la thérapie familiale systémique et développementale basée sur l’approche de Virginia Satir. Ils utilisaient aussi des éléments inspirés d’autres auteurs. Grâce au charisme des deux formateurs, leur approche fut acceptée par un grand nombre de thérapeutes. Ce noyau de formateurs fut à l’origine d’une revue spécialisée de haute qualité, Systèmes humains.
78Maurice Moreau, enseignant à l’Université Carleton puis à l’École de service social de l’Université de Montréal, avait suivi des formations avec Watzlawick, Minuchin et Satir. Il critiqua ces modèles en soulignant qu’aucun ne tient vraiment compte des facteurs sociaux qui pourtant constituent la principale source des problèmes de santé mentale vécus par les clients des agences sociales ; de plus, il était d’avis qu’à l’exception de Virginia Satir, les intervenants acceptent la reproduction des modèles d’inégalités perpétués par la société. Il proposa une approche critique qu’il appela d’abord « écosystémique », puis « structurelle », centrée sur l’identification et la dénonciation des inégalités et des oppressions causées par les conditions sociales : les comportements sont influencés directement par la position occupée par les personnes dans une société en raison des déterminants sociopolitiques reliés à cette position. L’approche cessait d’être surtout familiale et devenait une approche individuelle et de groupe, la famille étant vue comme le lieu de reproduction des valeurs traditionnelles inégalitaires.
79Une autre approche écosystémique, moins critique et qui préférait ne pas souligner son aspect systémique, prit forme dans les années 1970 avec Claude Brodeur, Richard Rousseau et Pierre Daher : l’approche de réseau (Brodeur, 1980). Elle posait les conditions environnementales comme premières sources des problèmes vécus par les personnes et les familles, et comme possédant les principales ressources pour la résolution de ces problèmes : dans cette vision, le problème vient du milieu, et la solution vient aussi du milieu. L’action portait sur le regroupement et la stimulation de l’environnement immédiat en prêtant attention aux ressources plus qu’aux problèmes. Elle s’avéra très valable pour les problèmes de santé mentale par la responsabilisation et l’activation des ressources environnementales.
80Quelques formateurs de l’Ouest canadien exercèrent aussi une grande influence, dont surtout Karl Tomm, à Calgary, qui employa les questions circulaires proposées par l’école de Milan comme moyen d’accéder aux significations et aux ressources inconscientes de la famille.
81Dans les organismes de santé mentale, l’utilisation des psychotropes devint de plus en plus fréquente. Ils ont favorisé une humanisation de certains soins, et la libération de nombreux patients des hôpitaux psychiatriques. Par contre, ils ont augmenté la psychiatrisation et la médicalisation de comportements vus comme des symptômes, même s’ils sont réactionnels aux contextes de vie. Des décisions administratives, fondées en partie sur le constat de l’échec de nombreuses hospitalisations et des effets pervers du développement d’institutions gigantesques puis en partie sur des motifs d’économie financière, ont amené des désinstitutionnalisations massives. Malheureusement, la mise en place de services appropriés dans la communauté s’est faite plus lentement que ce que requéraient les « ex-psychiatrisés ».
Synthèse
82Cette deuxième période a été celle des précisions conceptuelles, de l’élaboration de pratiques plus raffinées et du regroupement d’écoles de pensée et d’intervention. La plupart des approches ont insisté sur le langage et la communication pour rejoindre les systèmes observés et y introduire des changements. Quelques-unes considèrent comme tout aussi essentielle l’utilisation des ressources communautaires. Toutes les approches se fondent sur la reconnaissance du pouvoir et des capacités des familles et des personnes. Les différences et les complémentarités des pensées américaine et européenne constituent une nouvelle source de développement. Mais qui dit écoles dira toujours clans et conflits…
83Par ailleurs, le développement de la pratique systémique a provoqué des réactions défensives parfois assez violentes dans les institutions, et en retour, des prises de positions très fermes chez les systémiciens. Parmi ces derniers, on voit émerger des critiques non seulement des pratiques, mais des fondements épistémologiques des thérapeutiques institutionnelles. L’exercice du pouvoir des thérapeutes est mis en question, de même que le lien jugé trop exclusif entre la systémique et la thérapie familiale. De nouvelles pratiques ont apparu, plus « écosystémiques », ouvertes aux influences structurelles et aux échanges avec les environnements plus vastes que la famille. Les services communautaires sont plus utilisés.
84Si l’utilisation des psychotropes continue de permettre l’humanisation de certains soins, les décisions administratives de désinstitutionnalisation massive se sont prises sans que soit assurée la nécessaire mise en place des services externes appropriés.
85La période se termine par une turbulence des idées et des pouvoirs propre à provoquer de nouvelles percées dans les théories et les pratiques. Minuchin pouvait dire à bon droit, en 1978 : « Nous entrons dans une nouvelle phase pleine d’incertitudes et d’interrogations [...] il appartient aux nouvelles générations de trouver de nouvelles intégrations » (Elkaïm, 1995).
1980-1992 : Critiques, nouveaux concepts et pratiques systémiques nouvelles
86Cette troisième époque fut bien celle d’évolutions épistémologiques presque aussi importantes que celles qui avaient accompagné l’arrivée de la théorie des systèmes. La première transformation, commencée quelques années auparavant, porta sur les concepts d’homéostasie et de changement. Les premiers systémiciens avaient centré leurs études sur les modalités suivant lesquelles un système tente de maintenir ou de retrouver son équilibre face à des changements jugés menaçants, en utilisant des mécanismes homéostatiques de retour à la stabilité. Devant l’inéluctabilité du changement dans tout système vivant, l’attention s’est portée vers les forces de changement et vers les mécanismes par lesquels le système change son organisation et se transforme sans voir disparaître son identité. Ce fut la « seconde cybernétique », une transition radicale qui éclairait ce que les intervenants savaient : les systèmes vivants changent, quoi qu’ils fassent et quoi que nous fassions. On donnait ainsi un fondement théorique au postulat de l’intervention systémique : les systèmes ont des forces et des capacités d’adaptation et de développement.
87L’étude de ces mécanismes mit en lumière le fait que le changement ne se réalise pas seulement par les mécanismes internes du système, mais aussi par des échanges avec des systèmes extérieurs. Les recherches des biologistes Maturana et Varela, et du physicien Von Foerster, établirent que, puisque le système observé et le système observateur étaient en relation continue et avaient des échanges constants, et que l’un et l’autre s’influençaient, ils formaient un nouveau système. C’est l’acte de puissance de la cybernétique de second ordre.
88Dans la cybernétique de premier ordre, on avait maintenu le principe positiviste que l’observé et l’observateur sont séparés ; dans la cybernétique de second ordre, l’observateur et l’observé sont en relation et constituent un nouveau système ; donc, les échanges entre les deux sous-systèmes amènent une modification de chacun ; l’observateur est influencé par l’observé autant que l’observé est influencé par l’observateur. La réalité nouvelle qui est construite chez chacun durant l’observation tient des deux perceptions de la réalité. Au fil des échanges, chacun change dans une co-évolution vers une signification et un projet. Et ce qui se développe chez l’observateur et chez l’observé est fonction de ce qui se passe non seulement en eux mais entre eux et dans le système (Elkaïm, 1995).
89Pour l’intervention, le changement était fondamental : l’analyse ne porte plus sur ce qui se passe « là, en dehors », sur ce que nous découvrons et pouvons partager avec l’autre, mais sur les échanges et la relation entre l’observé et l’observateur, sur le nous, sur les feedbacks entre ce que chacun pense et entre les épistémologies de chacun (Becvar et Becvar, 1996). Le mouvement ne dépend plus seulement du système observé mais aussi du système observateur et des échanges entre eux.
90Les comportements du système observateur sont autoréférentiels, c’est-à-dire que celui-ci réagit en référence à ses connaissances et aussi à ses expériences semblables ou du même type que les expériences rapportées par le système client ou qui sont vécues dans la rencontre. Elkaïm utilise le terme de « résonances » pour identifier les réactions de l’observateur face à ce que l’observé lui présente – sachant que l’un et l’autre est à la fois observé et observateur. Limitées et précises, les résonances ne correspondent pas à l’ensemble des expériences de l’observateur : une partie seulement de l’autoréférence totale est active. Elkaïm compare le processus au fait de feuilleter rapidement un livre contenant des centaines de pages : l’interaction avec l’autre fait « résonner » des pages plus que d’autres ; en en étant conscient, il est possible de choisir dans ces pages celles qui conviennent au mouvement désiré, faute de quoi, le choix se fait de façon automatique et incontrôlée.
91Pour expliquer comment chacun demeure soi et auto-organisationnel, la cybernétique de second ordre a précisé le concept de système ouvert : un système vivant est à la fois ouvert, dans ses échanges avec l’environnement, et fermé, pour maintenir son identité et son autonomie. Le système conjugue ces deux propriétés par son auto-organisation : il existe et fonctionne à partir de ce qu’il est, et il utilise les informations reçues de l’environnement en autant qu’elles correspondent à ce qui est jugé acceptable, recevable et utilisable par son organisation actuelle. Il transforme ce qui est différent en ce qui correspond à ce qu’il est ; ce qu’il ne peut transformer est refusé, déformé ou nié.
92Pour comprendre ce changement, M. Elkaïm appliqua les recherches d’Ilya Prigogine, Prix Nobel de chimie, sur les systèmes hors de l’équilibre. La première cybernétique considérait que les systèmes fonctionnent dans un jeu de fluctuations qui les ramène à un même état stable. Comme si le système demeurait fermé. Prigogine a démontré au contraire que les fluctuations et leur évolution dépendait des caractéristiques des systèmes, donc de leurs acquis dans le temps et de leurs interactions actuelles. Elkaïm ajouta que ces fluctuations peuvent être amplifiées par des éléments présents dans le contexte. En thérapie, ces fluctuations appartiennent aussi bien aux membres de la famille qu’au thérapeute. Les caractéristiques individuelles sont importantes, tout comme leurs interactions, ainsi que leurs échanges spécifiques avec l’environnement. Ces systèmes entrent en résonance et forment par leurs « couplages » des assemblages harmonieux qui varient constamment.
93L’intervention a été profondément influencée par ces évolutions théoriques : même si on a toujours su que « ce qui est reçu prend la forme de ce qui le reçoit », on précise maintenant que le système nouveau observé-observateur ne peut se constituer que si l’observé accepte de recevoir l’observateur, et vice-versa. Par suite, une intervention par l’observateur ne peut être efficace que si elle correspond à ce que l’observé croit être recevable. C’est ce que Minuchin soulignait en requérant de commencer par « joindre » la famille. C’est souvent ce qui explique que d’excellentes interventions ne sont tout simplement pas reçues.
94Ausloos affirme que pour être efficace et « résoner » de façon appropriée, le thérapeute doit se sentir à l’aise ou prendre les moyens de l’être. Il ne s’agit pas uniquement de savoir quel problème a le client, mais aussi de se demander : « quel problème ai-je avec le client et son problème ? » Dans la même ligne, Jacqueline Prudhomme insiste sur la nécessité d’aider le thérapeute à se sentir bien pour qu’il soit capable de répondre aux demandes du client.
95D’autres grandes théories postmodernes ont marqué l’évolution de la systémique. La théorie de la relativité comme le principe d’incertitude de Heisenberg appuyaient le refus des normes universelles, la critique de la science vue comme toujours exacte objectivement, et l’attention à la subjectivité. L’importance accordée aux faits fut relativisée, voire parfois remplacée par la mise en valeur des perspectives qui varient avec les personnes et les systèmes.
96On doit à Edgar Morin (1977) le concept de complexité, soit le caractère des ensembles comprenant de multiples composantes différenciées et de niveaux différents, qui semblent divergents voire opposés, mais sont en fait complémentaires et reliés de façon circulaire. Les incertitudes et les contradictions s’opposent à la logique rationnelle, cartésienne, mais pas à la richesse de la nature et de la pensée. Morin souligne que la complexité permet de comprendre qu’il existe une cohérence logique rationnelle réelle et des cohérences aussi logiques et aussi réelles à d’autres niveaux : analogique, métalogique. On peut appréhender des facettes de la « réalité », mais en raison des limites de notre pensée rationnelle, des ambiguïtés et des incertitudes demeurent ; toute explication logique qui tente de les éliminer est réductionniste et « mutilante ».
97Morin a une magnifique image pour expliquer la complexité quand il présente la nature et la pensée comme un tissu, avec une trame de base, et des brins de diverses textures et de multiples coloris qui viennent enrichir la trame et constituer avec elle le tissu complet. La réalité est une articulation de multiples niveaux différents, autonomes, complémentaires et en circularité. Ici se trouve le fondement théorique de la position qui ne dit plus « ..., mais... » pour dire plutôt « ..., et... », qui cherche dans les multiples facteurs présents ceux qui donnent un accès aux changements possibles qui conviennent au système, non pas ceux qui prétendent tout expliquer et qui s’opposent à tous les autres. La complexité exige dans toute situation d’adopter plusieurs angles d’observation, de ne pas être rebuté par les ambiguïtés, mais d’y voir plutôt des richesses.
98Aucune planification ne peut prévoir ces éléments de la réalité complexe. Le hasard fait jouer les influences de facteurs imprévus et souvent imprévisibles, qui amènent des réactions tout aussi imprévues dans le système client et dans le système action.
99Un autre apport théorique est venu de la théorie du chaos, développée entre autres par les astrophysiciens dans l’étude de l’évolution de l’Univers : comment du chaos primitif un univers organisé a-t-il pu émerger ? Ils ont constaté que dans le chaos existent les éléments de nouvelles organisations même si la désorganisation semble complète ; et l’organisation qui va primer sur les autres et donner forme au nouveau système dépendra des influences – internes et externes – qui s’appliqueront aux conditions primitives. Le début de la désorganisation est donc le début de la nouvelle organisation. Une petite influence qui s’exerce à ce moment amène une convergence des énergies, alors vulnérables aux pressions parce qu’elles ne sont pas encore organisées, et aura des effets de grande ampleur plus tard : c’est ce qu’on a appelé « l’effet papillon ». Des simulations informatiques ont montré que les lignes chaotiques qui se tracent développent graduellement une régularité et repassent dans des endroits répétitifs qu’on a appelés « attracteurs étranges ».
100La théorie du chaos a donné un nouvel éclairage à l’analyse et à l’intervention : même dans les situations très désorganisées il existe des éléments d’organisation. On n’a qu’à demeurer disponible – et « acceptable » par l’autre – et les répétitions vont nous indiquer les endroits d’intervention. Il est même préférable que ces interventions ne soient pas très fortes ; si elles sont faites au bon moment, comme en situation de crise, et au bon endroit, une organisation nouvelle, convenant au système en cause, va émerger d’elle-même et va se consolider avec notre appui.
101Le féminisme continua d’exercer son influence. Ses grands apports ont été l’attention prêtée à la politique ; l’insistance sur l’absence de critique des interventions systémiques devant la répartition inégale du pouvoir et l’utilisation qui en est faite dans la société et dans les familles ; la recherche de l’égalité ; la valorisation du partage et de l’intuition ; le postulat du not-knowing, soit le fait de commencer une intervention sans savoir ce qui existe et ce qui devra se faire ; et finalement, l’introduction de l’importance des sexes (gender) dans l’analyse et l’intervention. Le féminisme a souligné l’effet de l’identité sexuelle dans les actions pour proposer des attitudes dites féminines dans les interventions : la nécessité d’avoir de la compassion et de la douceur (caring) dans les interventions, et de toucher les membres de la famille. La plupart des thérapeutes manifestaient certes déjà de la compréhension et une certaine douceur dans leurs interventions ; les féministes en firent une règle (Goodrich, 1991). Deborah Anna Luepnitz (1989), dans une étude des principales approches de thérapie familiale à partir des théories féministes, souligne ces aspects. Elle fait remarquer que les explications cybernétiques pouvaient expliquer en quoi les relations intrafamiliales peuvent ressembler au fonctionnement d’un thermostat, mais pas en quoi elles en diffèrent (Elkaïm, 1995, p. 443).
102Plusieurs féministes continuèrent à refuser de considérer la complémentarité dans les relations de pouvoir homme-femme. Ce point était souvent l’objet d’abus : considérer que « le pouvoir abusif est “causé” par la soumission » ou qu’« il n’y a pas d’abuseur s’il n’y a pas d’abusées acceptant de l’être » marque les dérapages d’une construction mentale réductrice qui ne tient pas compte des contextes, de la complexité des conditions de vie des abusées, des responsabilités des mères avec enfants et d’un contexte social qui ne soutient pas les abusées. Les textes de Rachel Hare-Mustin, Deborah Luepnitz, Judith Avis, Cecyl Rampage, Marianne Walters, Peggy Papp et Olga Silverstein apportent une analyse systémique ouverte et critique.
103À ces positions s’ajoutèrent chez plusieurs intervenants le refus des interventions directes, jugées trop intrusives et heurtant leurs valeurs. Ils y voyaient le déplacement des approches médicales intrusives, voire agressives, comme les médications intensives ou la chirurgie, sans considérer que celles-ci sont parfois utiles.
104La non-imposition par le thérapeute de ses valeurs, de ses normes et de ses connaissances devint spécialement importante à cette période. Elle a amené des auteurs systémiques critiques importants comme Harold Goolishian, Harlene Anderson et Lynn Hoffman à refuser l’approche systémique, vue comme « une ingénierie fondée sur le contrôle ». Pour eux, le thérapeute qui utilise son pouvoir pour diriger, organiser des stratégies et intervenir directement par des directives ou indirectement par des paradoxes est pris dans son programme et ne peut rejoindre l’autre ; il domine le client et met des limites aux possibilités et au pouvoir de ce dernier ; il accorde trop d’importance aux techniques, au détriment de la relation, du partage et de la co-évolution. Ils proposent donc la collaboration, la non-intervention dans l’échange et l’approche qui ne sait pas (not-knowing) pour ne pas limiter les possibilités. Ils proposent la déconstruction des problèmes plus que leur résolution. Il est intéressant de lire les articles sur le sujet dans les numéros de Family Process des années 1988-1993. Goolishian et Anderson (1992) résument bien l’historique de la controverse et font ressortir les différentes épistémologies.
105Le développement de la cybernétique de second ordre, les recherches de Maturana et Varela sur l’étude des mécanismes de la perception amenèrent Heinz von Foerster à appliquer la position philosophique de Ernst von Glasersfeld et d’autres philosophes aux mécanismes de la construction par le cerveau d’une réalité, à partir des informations reçues de la réalité extérieure (Watzlawick, 1984 ; 1978). La réalité extérieure ne peut être perçue de façon complète parce que le cerveau ne perçoit que ce qu’il est capable de faire, en raison de ses limites physiques : ce que nous voyons n’existe pas en tant que tel, mais dépend de notre organisation sensorielle. De même, la personne donne un sens à ce qu’elle perçoit, perception incomplète, à partir de ses expériences antérieures. C’est pourquoi la réalité d’une famille n’est pas la même pour l’observateur et pour les membres de la famille ; et elle n’est pas la même pour chaque membre.
106La première implication pour l’intervention fut le développement du constructivisme. Dans cette approche, la réalité qui est considérée pour la prise de décisions est une construction faite par le cerveau, son « invention » d’une réalité. L’important n’est plus les faits et les comportements, même interactionnels, mais la perception, la signification et les croyances qui donnent un sens aux faits. Il est donc plus important de connaître la construction personnelle et systémique que de connaître les faits extérieurs – que le système observateur ne saurait d’ailleurs pas plus connaître objectivement que le système observé. L’action efficace de changement se fonde sur la construction conjointe d’une réalité susceptible de changement.
107Une perception différente de la construction de la réalité se développa, surtout dans les milieux anglo-saxons, à partir des travaux de Kenneth Gergen et de Michael White, et de l’influence de Michel Foucault : le constructionnisme social et l’approche narrative, que nous développerons plus loin.
108D’autres équipes, s’inspirant de Paul Watzlawick et Milton Erickson, recherchèrent une intervention brève qui s’orienterait vers la solution du problème présenté, plutôt que de se consacrer à chercher « le » problème sous-jacent. Il s’agissait de prendre pour point de départ les clients, ce qu’ils veulent et ce qui leur convient. Le groupe le plus connu était dirigé par Steve de Shazer, au Brief Family Therapy Center de Milwaukee. Il nomma son approche « centrée sur les solutions ». Nous y reviendrons.
109L’influence de Virginia Satir demeura importante et a donné naissance à de nombreux regroupements. Steve Andreas (1991) et son équipe firent une synthèse de ses enseignements avec la programmation neurolinguistique, et développèrent des modalités d’intervention pour rejoindre dans les familles et chez les personnes les éléments prêts au changement mais qui ne peuvent le laisser paraître en raison de l’action défensive des éléments qui craignent ce changement. Ils rejoignent en cela l’action déséquilibrante paradoxale de l’intervention stratégique, d’une façon douce et ouvertement positive.
110Parallèlement à ces approches, en utilisant les travaux d’Onnis, Benoît et Pluymakers, plusieurs groupes appliquèrent l’approche systémique aux institutions. Plusieurs étaient très critiques, à la suite de Minuchin qui disait d’elles qu’elles ont été la source de ses plus grandes frustrations, à cause de « l’arrogance aveugle des services qui détruisent en voulant “protéger”, et qui reviennent avec facilité au confort des vieilles routines ». Compher (1989) démontra, comme l’avait fait déjà Jean-Claude Benoît, que souvent les organismes d’aide qui doivent réaliser un travail en commun « dansent » autour de leurs clients ou patients, en se préoccupant plus de la protection de leurs intérêts face aux autres organismes que de l’action à réaliser.
111D’autres groupes développèrent une approche moins radicale et cherchèrent à mieux connaître le fonctionnement systémique des organismes pour améliorer les services. Ils publièrent d’excellents articles appliquant leur approche à diverses problématiques, dont la toxicomanie. En France et en Belgique, de nombreuses équipes approfondirent cette analyse institutionnelle. Des équipes d’éducateurs développèrent une méthode d’entretiens non thérapeutiques, où les jeunes, leurs parents et l’équipe se rencontrent mensuellement pour discuter ensemble, sans supérieurs ni inférieurs, de l’évolution des jeunes et des moyens à prendre pour l’améliorer.
112Une nouvelle préoccupation éthique se développa alors, fondée non sur la déontologie professionnelle mais sur l’épistémologie de l’intervention : les systèmes intervenant-patient s’inter-influencent, ont des compétences différentes et doivent se respecter pour fonctionner avec efficacité. On reprend ici le postulat de Boszormenyi-Nagy, qui dit que toute relation se base sur l’éthique, qui elle-même repose sur l’équité entre les participants à la relation et sur la contribution de chacun au bien-être de l’autre. On dépasse les seuls standards sociaux et professionnels pour inclure la mutualité, la confiance, la responsabilité et l’autonomie. Von Foerster dit que « sans autonomie, il ne peut y avoir de responsabilité, ni par conséquent d’éthique » (Watzlawick, 1984). Quand on revendique l’autonomie, on accepte la responsabilité et l’éthique.
113Il faut savoir que durant la période, l’organisation des services devient de plus en plus positiviste, dans une gestion mécaniciste qui individualise les cibles d’intervention. Dans le champ de la santé mentale, les manifestations de problèmes d’adaptation personnelle et sociale sont médicalisées, avec une pharmacothérapie de plus en plus répandue. Le recours accru à des médications entraîne souvent des effets secondaires, habituellement négligés jusqu’à ce que les problèmes explosent. La désinstitutionalisation est terminée, et des services dans le milieu sont offerts par les institutions, mais leur principal objectif est souvent de prévenir la réhospitalisation. Les patients et leurs familles, appuyés par des organismes du milieu et par quelques cliniques, demandent des services visant à offrir une vie réalistement plus satisfaisante.
Synthèse
114On constate une transformation profonde de la systémique en santé mentale. Ces changements ont un fondement commun : la cybernétique de second ordre, la reconnaissance de la compétence des personnes et des familles, la construction conjointe d’une solution ou d’un développement par des échanges entre les champs de compétences complémentaires du client et du thérapeute. Le système observé n’est plus un objet à manipuler, mais un sujet de plein droit dont l’activité et la participation sont nécessaires dans la réalisation du nouveau système et l’atteinte de l’objectif. Le changement repose sur le travail commun.
115La hiérarchie dans le système n’est pas niée, mais on reconnaît la coexistence d’au moins deux hiérarchies différentes, fondées sur des pouvoirs et des positions complémentaires : le savoir du système thérapeute, qui a des connaissances et des compétences que le système client n’a pas, et le savoir du système client, qui a des connaissances et des compétences que le système thérapeute n’a pas ; et le pouvoir que détient seul le système client sur ses décisions de changement. Une nouvelle préoccupation éthique se développe, fondée sur l’épistémologie de l’intervention. Au-delà des standards socioprofessionnels, la relation repose sur l’autonomie, la mutualité, la confiance et la responsabilité. Comme le disait le systémicien français J.-A. Malarewicz, il est illusoire de penser pouvoir gérer le client.
1993-2008 : Élargissement de la systémique en santé mentale
116À partir des changements épistémologiques de la période précédente, l’évolution des théories et des concepts et l’élaboration de nouvelles applications pratiques se poursuit. Les débats théoriques, actifs en début de période, semblent diminuer en Amérique mais se relancent de plus belle en Europe. Faute d’espace, nous ne présentons ici que quelques-uns des auteurs les plus présents au Québec et les modèles innovateurs reliés à la cybernétique de second ordre ; les approches déjà présentées plus haut continuent néanmoins à être utilisées.
117Comme aux débuts de la systémique, des éclairages nouveaux viennent de la biologie, avec l’œuvre d’Henri Laborit (1942-1995), de l’astrophysique, avec Hubert Reeves, et, ce qui est nouveau, de la génétique, avec les travaux d’Albert Jacquard et d’Axel Kahn. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, une constante : on est face à des ensembles complexes liés entre eux, qui ne peuvent être compris si l’on n’en considère que les parties ; et la complexité est la règle. D’autres contributions viennent de la cybernétique, des théories de la communication, et de la gestion.
118Edgar Morin demeure une figure marquante. En reprenant le principe de la circularité des échanges dans la cybernétique de second ordre1, il développe davantage le concept de complexité (1990) : dans les systèmes composés d’un grand nombre de parties en mouvement, les interactions se font entre les parties et entre les niveaux de fonctionnement de ces parties. Ces interactions se poursuivent et les éléments comme leurs interactions changent d’après leurs propres résonances, indépendamment des interactions initiales. Comme la résonance en musique. Par conséquent, même si ces interactions peuvent être comprises une à une, elles sont si nombreuses et si variables qu’on ne peut toutes les prévoir, encore moins leurs effets. La complexité entraîne l’imprévisibilité : non seulement la réalité étudiée comporte de multiples éléments et plusieurs niveaux, mais surtout, elle comporte de multiples interactions entre ces éléments et ces niveaux ; de ces interactions émergent des effets qui peuvent être compris mais ne peuvent être prévus. Morin précise qu’il y a, non pas une complexité, mais un tissu de multiples complexités.
119Dans les cybernétiques de premier ordre, les systèmes étudiés étaient présentés comme complexes parce qu’ils comprenaient de nombreux éléments et de multiples niveaux de fonctionnement, et qu’ils étaient imprévisibles ; l’intervenant guidait le système observé dans l’identification et l’utilisation des moyens choisis. Dans la cybernétique de second ordre, le système observateur est en interaction constante dans ses propres éléments et ses niveaux de fonctionnement, et en interaction constante avec les multiples éléments et leurs niveaux de fonctionnement de l’autre composante du système nouveau.
120La puissance de cette perspective est que ce système évolue et se développe constamment grâce aux échanges ouverts et circulaires entre les composantes, c’est-à-dire entre les personnes et entre les niveaux de résonances de ces personnes ; le changement n’est plus linéaire, il touchera chaque composante et l’ensemble lui-même dans une imprévisible boucle de renforcement, aussi longtemps que les échanges se continuent. Si, en accompagnant le système client, nous offrons des renforcements d’après nos propres résonances en contact intuitif, touchées par les niveaux qui interagissent, nous pouvons contribuer à un nouveau développement, même à faire un saut en avant. C’est ce que font les grands thérapeutes. Lorsqu’on leur demande : « Pourquoi avez-vous fait X », ils répondent : « C’est ce qui convenait » (Watzlawick, 1990). On a ici la transposition de ce qui se produit en musique, lorsque les échanges non verbaux, intuitifs, entre les exécutants et le public amènent un niveau d’exécution imprévu. La thérapie n’est pas une succession mécanique de gestes. Ce qui fait la thérapie, c’est les résonances successives entre les gestes et les significations que leur attribuent consciemment ou non le patient et le thérapeute ; c’est la réaction à ce que chacun perçoit et ressent, puis l’acceptation et le développement des associations qui surgissent.
121Si une conséquence est la richesse plus grande des échanges, une autre est l’incertitude : on peut étudier ce qui se produit, mais on ne peut prédire ce qui va en ressortir. Morin insiste : dans les systèmes humains, l’imprévu, donc l’incertitude, est la règle. C’est ce pourquoi il critique de façon virulente le positivisme, qui réduit la connaissance d’un tout à la connaissance des parties qui le composent, et dont le concept maître est le déterminisme, l’application de la logique mécanique aux problèmes du vivant et du social.
Ce mode de pensée [celui du positivisme] obéit essentiellement à des principes de disjonction, de réduction et d’abstraction. Il rend difficile l’appréhension des solidarités, interactions et implications mutuelles qui lient les objets. On en arrive à une intelligence aveugle qui isole les objets les uns des autres, les soustrait à leur environnement, désintègre les ensembles, systèmes et totalités. Ce mode mutilant d’organiser notre pensée nous aveugle plus profondément que l’erreur d’observation ou l’incohérence logique (1990).
122Et d’ajouter plus tard :
La pensée linéaire est réductrice, et apporte de la sécurité ; la certitude sert à unir, non à penser de façon autonome et critique (2000).
123Contrairement à la pensée déterministe, la pensée complexe vise à étudier les ensembles et les parties à partir de trois principes : 1) le principe dialogique, qui unit deux principes ou notions antagonistes qui apparemment devraient se repousser mais qui sont indissociables et indispensables pour comprendre une même réalité ; 2) le principe de récursion organisationnelle, annoncé par Bateson : les causes et les effets sont une boucle qui se reproduit et s’organise elle-même ; et 3) le principe hologrammatique : chaque partie contient le tout.
124Pour Edgar Morin, la pensée complexe ne s’oppose pas à la logique ; elle respecte rigoureusement les principes de la méthode scientifique que sont l’ordre, la séparabilité et la logique, mais elle suit une logique qui n’est pas purement rationnelle ; elle fait un aller-retour incessant entre certitudes et incertitudes, entre le concret des parties et l’abstrait de la totalité ; elle distingue pour relier. Mais en raison des limites du langage cartésien, comme l’avait souligné Bateson (1972), il n’existe aucun terme adéquat pour représenter la combinaison de deux concepts reliés et indissociables.
125De même, la complexité ne s’oppose pas à la simplicité de l’action : lorsqu’on touche, par déduction ou par intuition, un élément significatif dans les échanges entre les personnes, on introduit une modification qui va amener des changements dans les échanges à d’autres niveaux, et finalement dans l’ensemble.
126Un corollaire : le principe dialogique s’applique aussi aux sciences positivistes et à la pensée complexe ; l’antagonisme qui les sépare disparaît si les sciences exactes sont reconnues comme touchant l’humain et les écosystèmes, mais sans en donner la seule explication et la seule intervention valables.
127Une application surprenante de la pensée complexe : Morin affirme que si le tout est plus que la somme des parties, il peut également être moindre, car ses parties peuvent avoir des qualités qui ne sont pas utilisées dans l’organisation de l’ensemble à un moment donné.
128Guy Ausloos (1998) applique à l’intervention les apports de la cybernétique de second ordre, de la complexité et de la théorie du chaos : faire des interventions minimales pour produire un « effet papillon » correspondant aux caractéristiques du système et non à nos préoccupations ; éviter de tout organiser dans les rencontres, pour la même raison ; cultiver le lâcher prise et ainsi laisser de l’espace à l’autre ; accepter et utiliser les « turbulences » durant les entrevues, car c’est alors que peuvent apparaître des sources imprévues de changement ; ne pas essayer de tout comprendre, et suivre plutôt ce que l’autre nous offre pour plus tard offrir notre réflexion, car nos constructions influencent celles de l’autre.
129Albert Jacquard, biologiste, généticien et philosophe, précise que le déterminisme existe bien, mais qu’il s’agit en fait de la rencontre de multi-déterminismes qui deviennent ainsi imprévisibles. Il souligne que toute personne et tout système est en devenir, influencé mais non soumis à ces déterminismes. Il ajoute :
La cybernétique de second niveau est une écoute de l’autre, qui a les mêmes droits et la même valeur que moi. Cela m’oblige à le considérer comme un prochain, ce qui n’est pas toujours facile. Sinon, par paresse, pour préserver mon confort, je peux être tenté de ne pas faire cet effort et de retrouver face à lui tous les droits que j’ai face à un objet (1997, p. 96-97).
130Boris Cyrulnik, psychiatre et éthologue, spécialiste de l’intervention auprès des victimes de traumas profonds, a développé le concept de résilience pour désigner la capacité de traverser des situations traumatisantes et d’en sortir plus fort, plus riche, en dépit des blessures qui demeurent. Il montre qu’à côté des capacités personnelles, la première caractéristique de la résilience réside dans ses relations avec l’environnement : la personne a d’abord été aimée ; à la suite de son trauma, elle a reçu de son entourage une affection, un soutien, qui la nourrit, tout en lui demandant des efforts pour continuer (1999, 2000, 2006). La présence de ces pôles de soutien et d’exigences dans le contexte affectif et social fournit « des tuteurs de résilience ».
131Cyrulnik critique la culture des institutions, qui « chronicise » et encourage l’enfant blessé à faire une carrière de victime en répétant des slogans défaitistes et en favorisant une « délicieuse démission » par une prise en charge d’expert. Il considère qu’il est nécessaire que l’environnement aide ces personnes « à traduire en mots les images et les émois ressentis, pour leur donner un sens » ; qu’il « réponde aux pourquoi, pour pouvoir construire un sens, pour pouvoir comprendre ». Car quand on comprend, quand on peut lutter, on peut faire des projets. C’est ce qui permet de développer non seulement des comportements nouveaux plus satisfaisants, mais surtout un nouveau cadre de référence cognitif, émotionnel et expérientiel. Cette façon semble-t-elle s’opposer à l’approche centrée ou orientée vers les solutions ? On peut au contraire les voir dans une perspective dialogique de complémentarité.
132Dans le domaine des sciences positivistes de la santé, l’environnement thérapeutique a connu une transformation fantastique par le développement de la cartographie du génome humain. Tous les problèmes de santé physique et mentale semblent désormais potentiellement accessibles à des interventions correctrices, ou même préventives. Les journaux annoncent en grands titres la « Découverte du gène responsable de la dépression », ou de la schizophrénie. Ce n’est qu’à la fin des articles que parfois les chercheurs ajoutent que « des facteurs environnementaux peuvent influencer le développement ou non de la maladie »… L’Université Laval et le centre hospitalier Robert-Giffard de Québec projettent une Neurocité qui soutiendra des projets de recherche sur les maladies mentales. Dans le journal Le Soleil du 1er juin 2007, le directeur du centre de recherche de l’Université Laval est enthousiaste : « Maintenant que nous savons que tout vient du cerveau, nous pourrons traiter les maladies mentales comme nous pouvons maintenant traiter les autres maladies. La psychanalyse était un passage nécessaire, mais le cerveau, c’est comme la prostate ou le foie, ça vient des cellules du père et de la mère. »
133L’application à l’intervention en santé mentale de la cybernétique de second niveau amène une concentration sur ce qui se passe dans le système qui unit le thérapeute et le client, pour stimuler les forces de ce dernier et l’amener à utiliser les ressources du milieu. Le constructionnisme social, avec Michael White, David Epston et Kenneth Gergen, se répand rapidement. Les différences avec le constructivisme sont importantes : l’attention à la construction de la réalité se porte non pas sur les mécanismes internes et biologiques de la perception, mais sur les relations sociales et l’influence du discours social dominant, qui précèdent la perception et le décodage. Si, pour le constructivisme, la construction du monde se situe à l’intérieur de l’esprit de l’observateur, dans un processus intrinsèque à l’individu, pour le constructionnisme social, la construction du monde se fait à l’intérieur des relations sociales. Le langage, les valeurs sociales et l’interdépendance, voire la dépendance aux pouvoirs dominants, sont les facteurs importants. Ausloos (1998) fait remarquer que l’aspect politique peut avoir été faussé par une compréhension erronée de concepts philosophiques en raison des différences entre les contextes culturels entre le pays où les concepts de Michel Foucault ont été formulés, la France, et les pays où ils ont été appliqués : en Nouvelle-Zélande et en Australie, puis dans les pays anglophones. Hendrick (2007) souligne encore ces caractéristiques du constructionnisme social : l’influence du social sur les valeurs personnelles ; la collaboration et le respect mutuel ; la co-construction de réalités nouvelles dans une conversation, confirmées par un groupe, et pas nécessairement la famille.
134C’est le constructionnisme social qui a donné naissance à l’approche narrative. Un premier postulat : c’est par la conversation que les familles – même celles où l’on parle peu – transmettent leurs valeurs et harmonisent ou non leurs différences ; donc, l’intervenant, sans idées préconçues sur le contenu à privilégier, doit écouter le récit que fait le client de sa situation, de son évolution ; il laisse émerger des hypothèses, qu’il partage ; et sous la direction de l’intervenant, dans une conversation et non dans une entrevue formelle, le client développe une perception nouvelle de l’influence de son environnement, réorganise la narration de sa situation, et co-construit dans la relation une réalité ouverte au changement, aux interactions différentes. Rien n’est imposé, tout se construit ensemble. Le client ne collabore pas au plan de traitement : le client et l’intervenant y travaillent ensemble : le client est responsable et décide du sujet abordé, et l’intervenant est responsable du processus de construction de la recherche du changement.
135Second postulat important : le refus des pratiques de pouvoir. L’approche narrative reprend les positions critiques de Lynn Hoffman, qui refusait toute hiérarchie : « la thérapie est une conversation au sujet d’un problème, menée par un groupe où le thérapeute est un “je” relationnel comme les autres » ; l’important est de « prendre une position authentique ». On intègre aussi des visions comme celles de Goolishian et Anderson, qui refusaient « les théories cybernétiques, qui ne sont pas une science de la compréhension, mais une sorte d’ingénierie fondée sur le contrôle » (Elkaïm, 1995, p. 514 et 517). C’est pourquoi Mony Elkaïm croit que le constructionnisme social se situe aux limites de la systémique ; il dit néanmoins avoir de la sympathie pour cette approche (Prisme, 1996). Le premier postulat mentionné est incontestablement systémique ; la relation est très importante, ainsi que la position prise par l’intervenant. Certains intervenants de cette tendance, dont Michael White au début, font des liens avec l’environnement et utilisent des groupes de résonances, quand d’autres, comme le faisait remarquer Marc-Antoine Gingras, ne pensent pas en termes de système, l’action ne visant qu’à soutenir la personne à se soutenir elle-même.
136Une autre approche qui se développa rapidement est l’approche dite centrée vers les solutions. Dès 1980, Steve de Shazer élabora une analyse systémique raffinée fondée sur la coopération. Il appliqua la théorie des systèmes de façon rigoureuse. Il s’éloigna du MRI en proposant non la résolution des problèmes, mais le développement des personnes en situation par l’utilisation de leurs compétences. Il travailla en coopération avec le système client : puisque les recherches indiquaient que la plupart des familles poursuivaient les changements après la fin de l’intervention, elles devaient avoir les capacités de changer, une fois le changement initié. De Shazer affirma que la résistance comme opposition au changement n’existait pas : ce qu’on appelle résistance est une façon pour la personne de demander à l’intervenant de s’y prendre autrement pour qu’elle puisse utiliser ses capacités. Enfin, il souligna le fait qu’il est plus facile de répéter ce qui est déjà connu que de faire apprendre des comportements nouveaux.
137En 1992, avec sa compagne Insoo Kim Berg, il centre tout sur l’organisation d’un système d’action où le client choisit ses cibles et ses objectifs et propose les moyens à utiliser. L’exploration cherche à déterminer ce que le client veut atteindre, plus qu’à comprendre ce qu’il veut quitter, le problème. L’intervenant n’est plus un expert qui sait ce qu’il faut faire, mais un vendeur qui cherche ce que le client veut acheter. Il s’agit d’un changement paradigmatique dans la définition du changement et des responsabilités : le mouvement part du désir du client, c’est lui qui établit les objectifs valables et accessibles pour lui, et le travail du thérapeute consiste à l’encadrer et le supporter dans son travail. C’est l’épistémologie de la cybernétique de second ordre, qui va plus loin que ne l’avait été le MRI : l’intervenant n’essaie pas de comprendre ce qui se passe comme s’il était responsable de l’établissement des cibles et des moyens ; dès que le rapport est établi, il s’oriente vers la recherche par le client des exceptions, des situations où le problème est moindre ou n’existe pas, et qui contiennent donc des solutions possibles (Berg, 1996, 2001).
138L’équipe développa des moyens pour amener le client à découvrir lui-même les objectifs qu’il sait, consciemment ou non, être significatifs et valables, et être accessibles avec ses capacités actuelles. En plus des moyens déjà connus, elle proposa des techniques comme la question miracle et la question d’échelle. Il y a une différence fondamentale avec l’approche narrative : ce n’est pas une conversation, c’est un cheminement structuré ouvertement qui veut aboutir à une solution le plus tôt possible. La rigueur de l’approche transparaît dans une anecdote racontée par Scott Miller : alors qu’il était membre de l’équipe, il demanda à Insoo Kim Berg de l’aider à visionner l’enregistrement d’une entrevue dont il n’était pas satisfait. Berg accepta de l’aider, mais mit la cassette au panier et lui dit : « Apporte-moi une cassette d’une entrevue dont tu es satisfait, et nous allons chercher comment tu peux encore mieux travailler. »
139D’autres auteurs continuèrent dans la même ligne, en s’orientant plutôt qu’en se centrant sur la recherche des solutions. William O’Hanlon avait travaillé avec l’hypnose ericksonnienne. Il donna plus d’importance à la reconnaissance de la valeur de ce que le client avait vécu par une écoute plus longue au début, visant à connaître les faits significatifs et les métaphores ou images qui ont une signification symbolique pour le système client. Le client commence par présenter la situation problème, que O’Hanlon appelle la carte des problèmes ; l’intervenant recherche ensuite ses succès passés pour établir la carte des succès, identifier des solutions qui ont déjà réussi et entrer ainsi dans la carte des solutions possibles, où le choix d’une action se fait (1995, 1997). À partir de ce que le client propose, l’intervenant utilise fortement ses résonances et son intuition pour saisir ce qui est important ; parce qu’il semble prendre davantage de responsabilité quant aux choix qui sont faits, même s’il suit ce que le client apporte, son approche semble se distinguer de l’approche centrée sur les solutions et du constructionnisme social.
140Scott Miller étudia aussi l’hypnose ericksonnienne, puis travailla dans l’équipe du BFTC de Milwaukee ; il collabora avec Insoo Kim Berg dans la rédaction de deux ouvrages sur le traitement de l’alcoolisme. Avec Mark Hubble et Barry Duncan, il fonda ensuite l’Institute for the Study of Therapeutic Change. Leur objectif : identifier « ce qui fonctionne » en thérapie ! Ils étudièrent les éléments qui se retrouvent dans les interventions qui réussissent, et ils vérifièrent leurs hypothèses dans leur centre de thérapie brève orientée vers les solutions (Miller et al., 1997, 1999). Ils ont ainsi constaté que les personnes et les systèmes réussissent leurs changements selon, par ordre décroissant d’importance :
- leurs capacités et les ressources de leur environnement ;
- le sentiment que leur thérapeute les écoute et accorde de la valeur à ce qu’ils disent, à ce qu’ils croient être important, et à leurs capacité à mettre en œuvre les moyens pour résoudre les difficultés présentées ;
- l’espoir qu’ils ont de réussir ;
- les approches et les techniques utilisées par le thérapeute.
141Une maigre quatrième place pour la technique thérapeutique !
142Plusieurs thérapeutes ont développé leur version d’une approche orientée vers les solutions. Giorgio Nardone et Paul Watzlawick publièrent ainsi un ouvrage présentant quelques façons d’intégrer l’approche stratégique du MRI et les approches de thérapie brève ; le livre parut en français en 2000 sous le titre Stratégie de la thérapie brève.
143Au Québec, la Fondation pour la recherche sur l’approche systémique (FRAS), créée en 1991 sous l’impulsion de Guy Ausloos et Suzanne Lamarre, organisa quelques colloques visant le partage d’études et la formation. Lors du colloque international de 1993 Chaos et complexité : l’approche systémique en santé, avec Isabelle Stengers, Guy Ausloos, Isabelle Orgogozo, Luigi Onnis et l’astrophysicien Trinh Xua Thuan, on proposa de considérer les problèmes organisationnels dans les services de santé dans la perspective du chaos et de la complexité. Plutôt qu’un encadrement dans une structure rigide, pensée et organisée de l’extérieur, on s’orientait vers une dé-prise en charge partielle, avec un encadrement respectueux des spécificités des organisations et des problématiques. Une telle orientation implique l’acceptation d’une imprévisibilité qui permet de reconnaître et d’utiliser les forces existant dans les dynamiques des organismes. Le désordre temporaire serait compensé par une plus grande efficacité dans les soins de santé.
144La FRAS revint à la charge dans ses colloques suivants : 1995 – Paradoxes organisationnels : faire avec ou se faire avoir ? Et 1996 – Intervention et gestion : dénouer les paradoxes, oser l’imagination et la créativité dans nos politiques et nos pratiques. Le thème récurrent : dans le changement, il faut oser la complexité et l’empowerment responsable. La FRAS organisa également des journées de formation en collaboration avec la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal, et elle participa au Certificat en santé mentale de la FEP.
145Robert Pauzé a introduit l’approche systémique au Département de psycho-éducation de l’Université de Sherbrooke.
146L’Institut de psychiatrie communautaire et familiale de Montréal a poursuivi ses programmes de formation à l’intervention systémique en santé mentale avec la collaboration de conférenciers européens.
147Toujours à Montréal, le Centre de psychothérapie stratégique a introduit l’approche centrée sur les solutions au Québec. Ses formateurs appliquaient initialement le modèle de Palo Alto, et se sont tournés vers l’approche centrée sur les solutions, dont la perspective leur paraissait spécialement adaptée aux caractéristiques et aux capacités des personnes clientes. Ils ont ensuite incorporé l’approche narrative à leurs activités de formation, suivant Michael White et David Epston.
148Le Groupe d’étude des systèmes humains, avec Pierre Asselin et Linda Roy, encore à Montréal, en collaboration avec Mony Elkaïm et plusieurs organismes européens, a continué d’assurer une formation à l’intervention systémique institutionnelle, entre autres pour le soutien de personnes ayant reçu des diagnostics multiples, et les malades atteints du cancer. L’intervention systémique tient compte ici des relations qui s’établissent au sein de trois groupes et entre ceux-ci : les patients, leurs familles et les intervenants. La complexité des situations et des types de réactions affectives entraîne une difficulté d’organisation et de relations dans les équipes. Le défi est de ne pas se laisser enfermer par les diagnostics et de travailler avec les ressources.
149D’autres groupes nouveaux ont offert une formation à l’intervention systémique, comme le Centre de formation en court terme planifié systémique, à Québec, actif dans les CLSC, et le Centre d’études, de recherches et de formation en intervention systémique, à Montréal.
150Toutes ces approches reposent sur la cybernétique de second ordre et sur l’acceptation, fondamentale, des compétences des personnes en situation. Hendrick précise ainsi qu’il s’agit moins de développer de nouvelles compétences que d’activer celles qui existent déjà (2007). Depuis plus de 20 ans, Guy Ausloos soulignait l’importance de tenir compte de la compétence des familles, et de diminuer l’attention sur la pathologie. Pour lui, « les solutions appartiennent au client, non au thérapeute » ; « le client est l’expert de sa vie, le thérapeute l’expert du processus ». Il remarquait qu’on utilise actuellement avec toutes les familles des concepts développés 30 ans plus tôt pour étudier des familles dont un membre était schizophrène (1995). De même, Marianne Walters remarquait que dans la formation à l’intervention systémique, il y a trop de médical – dans le sens de la recherche de la maladie –, alors qu’il s’agit souvent de repérer des comportements de la vie quotidienne.
151Ces questions ont contribué à l’augmentation de l’importance attribuée à la famille. Presque tous les intervenants reconnaissent aujourd’hui que lorsqu’un enfant ou un parent a un problème de santé mentale, les autres membres de la famille sont affectés et peuvent avoir besoin d’aide pour s’adapter et réagir de façon adéquate, aussi bien face à la personne malade que pour leur propre développement. La revue Prisme de l’hôpital Sainte-Justine publia en 1996 un numéro intitulé S’allier ou s’aliéner la famille, qui présente la thérapie familiale et les interventions auprès de la famille. Claude Villeneuve propose, dans une approche dite intégrée, de « recourir à la famille dans une structure de thérapie souple, adaptée aux besoins d’un système de santé en pleine réforme » (2006). L’approche proposée est interpersonnelle-systémique, et est vue comme un complément aux pratiques psychothérapeutiques habituelles et aux médications. Et de fait, dans presque tous les organismes de santé mentale, on travaille maintenant avec la famille ou des membres de la famille, surtout lorsque des enfants sont en cause. La lecture n’est pas toujours systémique, mais il y a une reconnaissance théorique et pratique de l’importance de tenir compte de la famille et de l’environnement, et de les utiliser si possible. Malheureusement, les ressources appropriées font souvent défaut.
152Certains centres maintiennent une intervention systémique qui intègre le travail médical, pharmacologique, psychothérapeutique et familial : la famille n’est plus vue comme responsable de la maladie du membre, mais comme un facteur causal possible parmi d’autres, et surtout comme un facteur essentiel de changement et d’adaptation à la maladie. Il y a une alliance face au fardeau familial, à la vulnérabilité au stress, et pour le développement des habiletés sociales du patient et des habiletés spécifiques des membres de la famille. Par exemple, pour le contrôle de l’expression émotionnelle, à laquelle le patient sera particulièrement vulnérable, on utilise des méthodes psycho-éducatives plus organisées que dans les anciennes thérapies familiales. La famille est explicitement présentée non comme malade, mais comme partie de l’équipe (Gosselin et Viau, 2004). Plutôt que de la considérer comme faisant partie du problème, on travaille non « sur elle », mais avec elle, comme partie de la solution.
153On assiste donc au développement d’alliances d’un nouvel ordre (Hovarth et Greenberg, 1994 ; Piché, 2000 ; Pinsof, 1995). Sans nécessairement se rallier ouvertement aux approches présentées plus haut, il s’agit moins d’amener la famille à collaborer avec l’équipe professionnelle, mais plutôt que les deux parties collaborent dans un rapport fondé explicitement sur le respect des compétences, la reconnaissance des droits des patients, et aussi sur le fait qu’aucun intervenant ne saurait forcer une personne à un changement qu’elle refuse. Cette alliance comprend trois éléments : un investissement dans la relation, le respect de la position de l’autre, et la collaboration, qui implique non la soumission de l’un ou l’autre mais, comme dans une équipe sportive, la reconnaissance de rôles différents et complémentaires.
154Pour Pinsof (1996), accepter le point de vue de l’autre pour établir l’alliance est plus important que suivre les principes d’intervention, à moins que cette attitude bloque l’intervention. Il ajoute deux remarques intéressantes :
- L’alliance est nécessaire pour une psychothérapie efficace mais ne suffit pas à établir un traitement efficace. Il faut chez le thérapeute des compétences, des connaissances et des habiletés ; et chez le système client, il faut une motivation et les capacités requises pour réussir les changements désirés. On retrouve ici les conditions du changement présentées par l’équipe de Miller.
- L’alliance varie selon les systèmes en cause, et selon l’évolution du traitement, qui comprend l’évolution des alliances à l’intérieur du système client. J’ajouterais : selon l’évolution de l’intervenant, et selon l’évolution des alliances à l’intérieur de l’équipe d’intervenants. On touche ici la question des niveaux de la complexité.
155Dorothy Becvar constate que si la thérapie familiale est maintenant établie et reconnue, avec un solide contenu théorique fondé sur la recherche, il y a autant de difficultés à la pratiquer qu’il y a 25 ans. Cette réalité s’explique par l’opposition entre le paradigme systémique et les paradigmes des modèles médicaux traditionnels, et aussi par les contraintes des normes administratives, qui ne considèrent que les dossiers individuels et comptabilisent le nombre d’activités plutôt que leurs résultats (MacFarlane, 2001). Jean-Claude Benoît va plus loin : les autorités en place offrent la formation à la thérapie familiale, puis une fois les thérapeutes formés, elles les accusent de déranger et de vouloir prendre le pouvoir : « Vous troublez vos collègues… » Benoît suggère de faire de la thérapie familiale sans s’en vanter, sans prestige, et d’attendre que les résultats parlent d’eux-mêmes (2006). Au Québec, on constate la même situation dans de nombreuses équipes de santé mentale.
156Ces restrictions ont peut-être un effet valable : ce que Minuchin et Elkaïm réclamaient semble se produire : la « défamilialisation » de l’intervention systémique. Sans quitter la famille, la systémique sort de son lien exclusif avec la thérapie familiale, s’ouvre à d’autres problématiques et élargit ses interventions. Les équipes de santé mentale se tournent vers les personnes souffrant de déficits d’attention, du syndrome d’Asperger, vers les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer, vers les personnes ayant subi un traumatisme cérébral, ayant des déficits physiques et intellectuels, ou vivant une dépression, et même vers les abuseurs physiques et sexuels (MacFarlane, 2001). Plutôt que de thérapie, on parlera de gestion de cas et de collaboration.
157Ces équipes comprennent des professionnels nouveaux, non « d’appoint » ou « de support », mais membres à part entière en raison de leur contribution au diagnostic et au traitement. Par exemple, le psycho-éducateur aide les familles de patients chroniques ou en crise à développer les façons de réagir plus appropriées et plus satisfaisantes pour tous (MacFarlane, 2001). Souvent, la thérapie familiale n’est plus suffisante, une intervention intégrée complexe est requise, avec une analyse systémique et la collaboration de plusieurs intervenants. On utilise des techniques et des stratégies issues d’autres modèles d’intervention, ce qui a toujours existé, mais n’était pas toujours reconnu ouvertement. La thérapie de milieu, la thérapie occupationnelle, l’art thérapie, la zoothérapie sont des moyens systémiques de modifier les expériences relationnelles de la personne. Dans de nombreuses équipes, les réunions se font avec la participation du patient, et parfois, c’est lui qui prend les décisions, à l’intérieur d’un espace établi à l’avance.
158Cette défamilialisation se réalise surtout hors des institutions traditionnelles. Les organismes œuvrant en santé mentale hors réseau sont de plus en plus nombreux. En plus de s’ouvrir aux approches non thérapeutiques fondées sur les capacités et la responsabilité des personnes en situation, ils partagent l’idée de Mony Elkaïm que les contextes socio-économico-culturels font vivre aux marginalisés et aux personnes des milieux défavorisés les mêmes pressions contradictoires que les familles dites pathologiques. D’autres, comme l’avait fait Minuchin, voient les usagers comme des pourvoyeurs de services de qualité, dans une logique d’empowerment, et de transformation des structures de services (Mowbry et al., 1997).
159Encore ici, ces intervenants ne se rattachent pas ouvertement à la systémique, mais leurs écrits sont manifestement systémiques : les personnes y sont vues comme faisant partie d’ensembles complexes dont la structure et les règles de fonctionnement influencent leur qualité de vie et leur développement (Nelson et al., 2001 ; White et al., 2002 ; Émard et Aubry, 2004). L’action proposée tient compte des structures de relations entre les personnes et les organismes, et entre les différents niveaux d’organismes.
160Ces transformations amènent des questions éthiques nouvelles. Jean-Claude Leclerc (2006) soulève une interrogation de plus en plus présente : quels sont les droits et pouvoirs respectifs des patients et des intervenants ? Les droits des patients requièrent que des services soient mieux pourvus ; cela implique-t-il que tous les services désirés devraient être mis sur pied ? Cela signifie-t-il que, en rupture avec le paternalisme et les lois antérieures qui permettaient d’enfermer tous les « marginaux », les patients et ceux qui s’opposent au système officiel de santé sont compétents pour évaluer un diagnostic et juger d’un traitement ? Ici, certaines valeurs peuvent ne pas être communes au patient, à son entourage et aux intervenants responsables de l’intervention. Où commence et où s’arrête la responsabilité des uns par rapport aux autres ?
***
161Que retenir ? La systémique n’a pu atteindre pleinement l’objectif des premiers systémiciens, celui de réaliser les échanges entre les diverses sciences pour contrer les effets pervers de la spécialisation. Mais plusieurs professionnels ouverts parviennent à intégrer la systémique et les sciences positivistes dans leur pratique quotidienne. La systémique a apporté des éclairages neufs et des modalités d’intervention importantes en santé mentale. La perspective ouverte par la première cybernétique a transformé l’analyse et les interventions : les humains sont à la fois des personnes individualisées et les parties d’ensembles complexes où ils sont interdépendants et se développent par la communication et les échanges. La cybernétique de second ordre a fait faire un saut qualitatif : l’observateur et l’observé ne sont pas séparés mais profondément reliés, et s’influencent entre eux ; d’où la nécessité du respect mutuel et de la collaboration entre le soignant et le soigné, et l’importance de construire ensemble les solutions. Les systémiciens thérapeutes procèdent de diverses façons. Les uns visent la neutralité et axent l’intervention sur le processus des échanges et la perception des significations, quand d’autres utilisent ouvertement leurs valeurs, leurs « résonances » dans un rapprochement et une collaboration actifs, en affirmant pouvoir maintenir une distance émotionnelle suffisante pour conserver leur marge de manœuvre.
162Les apports des premiers systémiciens demeurent présents dans les connaissances et dans la pratique actuelles, sans pour autant freiner les changements épistémologiques et les innovations pratiques. Notre connaissance se développe à partir des découvertes de ceux qui nous ont précédés. Les écrits permettent de partager et de transmettre les connaissances telles qu’elles existent à un moment ; ils fixent ces connaissances dans le temps, mais ils ne sont pas finaux ni fossilisés. Comme le souligne Haley : leur rôle est d’être utilisés comme occasions et prétextes pour la réflexion, l’échange, la recherche et l’expérimentation. Le point commun à tous ces auteurs est le refus de suivre les règles institutionnalisées lorsqu’elles sont inefficaces ou entraînent des effets négatifs plus importants que leurs avantages, ainsi que la recherche d’innovations dans le respect de la dignité des personnes en cause. Ils ont été critiques tout en proposant des solutions. Affranchis de l’obsession du passé, ils se préoccupaient de l’avenir et du devenir.
163La systémique en santé mentale doit relever de nouveaux défis : les progrès de la pharmacologie et de la génétique permettent de grands espoirs pour l’amélioration des soins et le développement des patients. Comment s’établira la collaboration entre ces sciences et la systémique ? Trappeniers et Boyer (2006) nous avertissent : « L’approche des médicaments seuls déresponsabilise tout le monde, et fait que nous ne sommes plus des sujets acteurs de notre histoire, mais seulement un paquet de molécules soumis à l’industrie pharmaceutique. » Boris Cyrulnik rappelle que nous devons réussir l’intégration des faits biologiques dans la complexité vivante interactionnelle. Il y a la biologie mentale et la croissance humaine ; il y a la génétique et la contribution de l’environnement dans les processus complexes amenant la maladie mentale. En lien avec la complexité, la circularité et la dialogique de Morin, il nous faut accepter que le changement vient de la critique et de la contradiction, oser la recherche des complémentarités et des éléments positifs de chaque domaine, et refuser de demeurer dans les oppositions et les conflits systématiques.
164Autre point important : comment les soignés, dans la ligne de la cybernétique de second ordre, développeront-ils leur position, leur espace et leur pouvoir, en collaboration avec les groupes professionnels et les structures décisionnelles déjà en place ? Ces structures sont trop souvent rigides et déterminées par un ministère loin de la pratique ; au Québec, une réforme récente le reconnaît d’ailleurs, et recommande la décentralisation, la créativité, l’initiative, la souplesse et l’adaptation aux conditions du milieu (Rousseau et al., 2007).
165Les chercheurs et les intervenants des débuts de la systémique en santé mentale ont pour la plupart disparu, et laissent une vaste place à occuper. Les équipes de praticiens qui réfléchissent et expérimentent n’ont pas toujours le temps d’organiser par écrit et de transmettre leur pensée et leurs méthodes d’interventions. Plusieurs interventions innovatrices s’élaborent, mais, restant méconnues, ne peuvent être suffisamment amplifiées pour influencer l’évolution des savoirs communs. Nous faisons face à des défis de l’envergure de ceux que nos prédécesseurs ont rencontrés, et pour lesquels ils ont su trouver des solutions.
Notes de bas de page
1 Voir sur ce sujet l’excellent article de von Foerster : « Éthique et cybernétique de second ordre », dans Watzlawick et Nardone (2000).
Auteur
Christian Côté a été travailleur social dans une agence familiale et dans un département de psychologie infantile. Il a enseigné l’intervention systémique individuelle et familiale de 1970 à 1998 à l’École de service social de l’Université Laval. Il a travaillé au Centre de consultation conjugale et familiale et au Centre de formation en court terme planifié systémique à Québec.
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