3. La diffusion et l’enjeu de la gratuité
p. 71-103
Texte intégral
1La diffusion est une composante essentielle, voire stratégique, de l’édition numérique. Une simple présence des revues dans Internet ne garantit pas une visibilité et un rayonnement adéquats1. En ce sens, il est judicieux d’élaborer des stratégies de diffusion et de mise en place adaptées à cet environnement virtuel et d’y allouer les ressources humaines et financières suffisantes. On peut distinguer trois grands volets qui participent au processus de diffusion : l’accessibilité et l’ergonomie du site, les formats de diffusion et les services offerts et, enfin, les actions stratégiques de positionnement dans le Web.
UNE INTERFACE WEB POUR LA DIFFUSION
2L’optimisation de la diffusion d’une revue ou d’une collection de revues est tributaire de plusieurs éléments dont, au point de départ, l’attention accordée à la conception du site Web. L’accessibilité est l’une des caractéristiques permettant au site de devenir un outil de communication efficace pour la recherche.
3Cette accessibilité dépend de l’environnement de communication de l’information. L’architecture du site et l’organisation de l’information devraient viser trois missions : 1° proposer des modes variés d’accès à l’information — navigation, recherche plein texte et champs (titre, auteur, description, mots-clés, etc.), classification documentaire —, 2° permettre l’exploitation de la puissance de l’hypertexte, 3° tirer profit des fonctions offertes par le site. L’aisance avec laquelle on peut consulter l’information constitue une valeur ajoutée au site. Le soin apporté à l’ergonomie de l’interface (le graphisme ou l’identité visuelle, la simplicité, la valorisation du contenu informationnel) et à la puissance des outils d’aide à la navigation prend aussi toute leur place.
4La conception d’un site devrait miser sur l’accessibilité du contenu informationnel et sur les conditions de consultation. Ces deux dimensions contribuent à assurer une large diffusion, dans la mesure où elles valorisent la richesse du contenu et sa mise en forme. Mais le contenu ne se suffit pas à lui-même, encore faut-il s’assurer que le site ait une visibilité maximale auprès des utilisateurs potentiels, notamment en veillant à ce qu’il soit répertorié par les outils de recherche.
LE SYSTÈME DE DIFFUSION
5Le système de diffusion d’un site combine plusieurs services dont la mise en route peut s’étaler dans le temps en fonction des priorités et des ressources disponibles. Dans cette perspective, il est utile de qualifier les divers services pour établir un programme d’actions2.
6Certains services de base s’imposent d’emblée. Le lecteur doit pouvoir naviguer aisément et toujours comprendre ce qu’il peut trouver en poursuivant sa route. Le défi du système de navigation consiste à modéliser correctement les différentes fiches descriptives et à les produire automatiquement depuis les unités d’information fondamentales que sont les articles de revue. Une navigation thématique devrait être aussi offerte, ce qui est rendu possible par l’exploitation des métadonnées3 associées aux articles. Cela permet d’offrir une navigation non plus basée sur l’organisation par revues ou numéros, mais sur des concepts comme des sujets, des auteurs ou des relations thématiques. Par la suite, la consultation peut débuter par la fiche descriptive d’un article qui devient le point d’entrée de l’article. Cette fiche descriptive doit contenir un lien vers toutes les versions disponibles de l’article ; une fois ce lien activé, le lecteur peut consulter l’article à sa guise.
7La navigation ne suffit pas lorsque la collection de documents est assez volumineuse, ce qui est vraisemblable pour une collection de revues. Un bon outil de recherche doit satisfaire deux préoccupations essentielles. D’abord, il doit permettre de composer des requêtes de recherche variées et complexes. L’outil de recherche doit pouvoir tenir compte non seulement du texte des articles, mais aussi de leurs métadonnées ainsi que de la structure des documents — par exemple, chercher des mots seulement dans les sujets ou les auteurs ou les titres de sections. Ensuite, il doit présenter les résultats de façon claire et utile pour les utilisateurs.
8La majorité des outils de recherche produisent des résultats aux requêtes posées en consultant des index précédemment générés. Ce type d’outil donne des résultats assez intéressants, particulièrement lorsqu’il permet, en plus de la recherche en plein texte, d’utiliser comme critère les éléments de la structure du document, tels que le résumé, le titre, les références bibliographiques, etc. Un autre type d’outil de recherche suscite beaucoup d’intérêt et mérite une attention particulière pour les collections d’articles de revues. Il s’agit d’outils de recherche dont les algorithmes réalisent une analyse linguistique afin de localiser et d’isoler les concepts et unités sémantiques du texte4. Ces possibilités couplées à la recherche structurée permettront d’exploiter au maximum les collections de documents.
9La gestion d’un accès filtré devient nécessaire dès que des restrictions sont imposées à la consultation des documents ou dès que des services personnalisés sont offerts aux utilisateurs. Un système de gestion des utilisateurs suppose l’élaboration d’une politique d’accès à l’information, l’identification des unités d’information et des services, qui peuvent faire l’objet de restrictions, et la définition de ce qu’est un utilisateur. Cela suppose aussi, ce que l’on verra plus tard, la mobilisation de ressources permettant non seulement d’implanter, mais aussi d’entretenir l’accès filtré.
10À ces services centraux, d’autres peuvent s’ajouter pour valoriser la consultation et l’exploitation de la documentation diffusée.
11La dissémination sélective de l’information est un service pertinent pour répondre aux besoins des chercheurs. Elle consiste à envoyer par courriel de l’information sur les parutions, directement aux personnes concernées, en fonction d’un profil préalablement défini de préférences et de besoins en information pour chaque utilisateur. La personnalisation de ce service consiste à recueillir les préférences des utilisateurs en matière de thématiques, d’auteurs, de revues, etc. et de leur offrir, en première ligne, des articles qui respectent ces préférences. Un lecteur pourrait ainsi, par exemple, recevoir par courriel les articles portant sur son domaine d’intérêt mais aussi, par le jeu des références croisées, les articles dans lesquels le texte d’un auteur donné est cité.
12Par ailleurs, les fonctionnalités d’aide à la lecture peuvent constituer une plus-value très appréciée par les utilisateurs. Pensons à l’annotation qui permet aux lecteurs, qui en ont souvent l’habitude, de prendre des notes lors de la consultation d’articles scientifiques. Pensons aussi aux signets qui permettent de revenir rapidement à certains éléments d’information ou de marquer un endroit précis à l’intérieur d’un document Pensons enfin aux liens créés par l’utilisateur qui constituent un outil intéressant d’acquisition de connaissances dans un corpus documentaire. À ces trois fonctionnalités, ajoutons la manipulation des images et d’autres contenus multimédias, telle que la modification des dimensions d’une image pour mieux en apprécier les détails, le démarrage et l’arrêt d’une séquence vidéo, etc.
UNE OFFENSIVE DE DIFFUSION DANS LA TOILE
13Le référencement et le positionnement stratégique d’un site dans les différents outils de recherche Internet (index et répertoires) s’avèrent d’une importance cruciale pour attirer les utilisateurs5. La diffusion du contenu des revues nécessite également une visibilité dans les principales bases de données disponibles aux chercheurs d’information dans le domaine des sciences sociales. D’où l’intérêt d’identifier ces bases de données et leurs revendeurs, d’examiner la représentation des revues dans celles-ci, d’analyser les possibilités offertes par ces bases et d’établir les principes d’une stratégie pour accroître leur dépouillement au sein de ces outils. Finalement, pour attirer de nouveaux publics, fidéliser les utilisateurs actuels et adapter les services offerts par le site aux nouvelles tendances, une campagne de webmarketing peut être envisagée.
Le référencement et le positionnement stratégique
14Les internautes utilisent massivement (85 %) les outils de recherche pour trouver de l’information dans le Web et, dans une proportion encore plus grande, ils ne prennent pas connaissance de plus de deux ou trois pages des résultats de leur requête de recherche6. D’où l’importance pour un site de revues en sciences humaines et sociales, en particulier, à la fois d’apparaître dans les bases de données des principaux outils de recherche (ce que l’on appelle le référencement) et de sortir dans une position privilégiée dans les résultats des requêtes à ces moteurs (on parle ici de positionnement stratégique). Le référencement et le positionnement participent étroitement aux objectifs d’un site de diffusion.
15Le référencement est un processus circulaire et évolutif : l’inscription n’est jamais définitive et doit être adaptée aux nouveaux besoins de visibilité. Une action fructueuse demande une connaissance à la fois des outils de recherche, des modalités d’indexation et des politiques éditoriales des répertoires. Pour les outils de recherche, les robots indexent de façon automatisée un site ayant ou non soumis une demande pour être intégré à la base de données. La connaissance des modalités d’indexation permet d’optimiser les pages Web pour les divers outils (pensons à AltaVista, Google, Nothern Light, America Online Search, fast Search, Netscape Search, etc.). Dans le cas des répertoires ou annuaires, qui classifient les ressources Internet à la suite de l’évaluation « d’éditeurs » humains et en référence à une politique de classement, la démarche est différente. Les « éditeurs » humains décident, en fonction de critères tels que la qualité du contenu, l’organisation de l’information, l’accessibilité au contenu, la fréquence de mise à jour, la pérennité de l’information, etc., d’intégrer ou non le site au répertoire (à titre d’exemple, citons : Yahoo !, la Toile du Québec, Lycos, Looksmart, Francité, Nomade, Open Directory). À défaut d’être partout, il est préférable de canaliser les ressources et l’attention pour le référencement vers les outils de recherche majeurs, qui sont les plus susceptibles d’attirer beaucoup d’utilisateurs. Cela, évidemment, sans négliger l’intérêt d’apparaître dans des outils de recherche spécialisés qui s’adressent à des utilisateurs plus ciblés mais qui correspondent à la mission du site.
16Le positionnement stratégique sera optimal si le site de diffusion apparaît dans les 20 ou 30 premiers résultats à la suite d’une requête dans un outil de recherche. Pour les répertoires, l’objectif, c’est d’être intégré dans la base de données. À cette fin, il convient de recenser, pour s’y adapter, les critères utilisés par les outils de recherche des répertoires. L’étude des mots-clés et des catégories par lesquels le site devrait être référencé, ainsi que des rubriques sous lesquelles le site devrait apparaître dans les répertoires ou annuaires, est capitale pour assurer le meilleur positionnement, mais aussi pour avoir une bonne correspondance avec le vocabulaire que l’utilisateur potentiel est susceptible d’utiliser dans sa recherche. Une surveillance régulière est de mise pour s’assurer du positionnement du site dans les outils de recherche, car les algorithmes de calcul de pertinence des outils changent et de nouveaux sites apparaissent dans les mêmes créneaux.
La visibilité dans les bases de données
17En plus de la visibilité atteinte par les outils de recherche et les répertoires, les bases de données importantes, qui dépouillent le contenu des périodiques en sciences humaines et sociales, constituent un autre mode de repérage des articles de revue.
18Ce n’est pas en soi une nouveauté : les directions de revue prennent déjà plusieurs initiatives pour s’assurer que leurs publications imprimées soient indexées par plusieurs bases de données, en se concentrant surtout sur les plus prestigieuses ou les mieux placées selon le domaine de spécialisation. Ces bases de données se veulent sélectives : elles retiennent les revues en fonction de critères de qualité et de rayonnement dans le domaine de spécialisation. La langue joue aussi un rôle : très peu de bases de données indexent massivement des documents en français — très peu de bases proviennent d’ailleurs du monde francophone — et les bases de données de langue anglaise sont assez sélectives, notamment sous l’angle de la langue de communication. L’objectif consiste à accroître la visibilité des revues en sciences humaines et sociales, tant dans les bases de données (les index) francophones qu’anglophones.
19Pour se ménager un meilleur accueil dans ces dernières, il est judicieux de produire des résumés « consistants » en langue anglaise pour chaque article diffusé. Plus formalisés que ceux généralement proposés, ces résumés auraient pour avantage d’améliorer les conditions de sélection dans les grandes bases de données, de faciliter la consultation dans le site, d’augmenter la diffusion d’articles auprès des utilisateurs non francophones, et d’enrichir les métadonnées (qui puisent dans les résumés). Ces résumés pourraient comprendre certaines rubriques, telles que 1° la contextualisation, 2° les objectifs, 3° la méthodologie, 4° les résultats, et 5° la conclusion7. Cet outil de communication scientifique serait grandement utile, notamment pour l’indexation dans les bases de données.
Les outils de promotion pour accroître la visibilité du site
20L’accroissement de la visibilité, l’augmentation du nombre d’utilisateurs et l’impact du site de diffusion dans et sur la communauté scientifique internationale sont fonction de la capacité de faire du site un lieu dynamique intellectuellement, qui nourrit, accueille et provoque des activités en mesure d’interpeller le milieu des chercheurs national et international. Quatre dimensions sont à retenir, à ce propos.
La communication et l’interaction du site avec les chercheurs et les étudiants constituent un élément de première importance. Pensons aux actions suivantes : offrir une infrastructure pour recueillir les commentaires des utilisateurs, animer une liste de discussion ou un forum favorisant l’échange d’idées scientifiques, organiser des événements sur le site (débats, conférences virtuelles, diffusion en primeur de certains contenus, entrevues en direct, etc.), publier une lettre d’information à périodicité fixe par courriel, alimenter une section « actualités » à l’intérieur du site, fournir l’accès libre au maximum d’information.
La pertinence, la qualité et l’intérêt des services parlent d’eux-mêmes. Leur conception et leur mise en application doivent pouvoir y contribuer. On a déjà parlé de la diffusion sélective de l’information et de l’aide à la lecture, mais on peut ajouter la personnalisation de l’interface avec le site de diffusion et la mise à disposition d’une liste de liens pertinents vers des sites d’intérêts connexes.
Comme acteur dans la communication scientifique, le site a tout avantage à s’inscrire dans une logique de réseau à l’échelle internationale, d’où l’intérêt stratégique des partenariats. Certaines pratiques simples y concourent : établir un réseau de sites de revues (sur cette question, voir le chapitre 5) ; procéder à des échanges de liens réciproques avec des sites poursuivant les mêmes missions ; mettre en place un programme d’échange de bannières publicitaires (forme de publicité complètement gratuite et ciblée) ; parrainer des sites de moins grande envergure traitant des mêmes sujets afin de les aider à obtenir de la visibilité tout en favorisant l’échange de services.
La publicité, visant à faire connaître les services du site, devrait suivre, pour l’essentiel, une démarche d’information. Pensons à des envois massifs aux groupes de discussion et aux listes de distribution pour « publiciser » le site, à des envois massifs par courriel à des usagers potentiellement intéressés par les services offerts par le site (prospection), à un communiqué de presse annonçant le site aux journalistes susceptibles de relayer l’information dans leurs publications respectives (médias traditionnels et nouveaux médias), à une conférence virtuelle avec des journalistes du domaine et des acteurs importants du milieu pour faire connaître les services offerts par le site de diffusion.
21Quels que soient les moyens ou les dispositifs utilisés, la promotion d’un site de diffusion de revues doit miser sur le dynamisme et la créativité du site. Au bout du compte, le facteur promotionnel le plus crucial pour un site de revues, c’est sa richesse documentaire, ses services, la qualité et le renouvellement de son information.
L’ACCÈS : C’EST GRATUIT OU TARIFÉ ?
22Les conditions d’accès aux revues, en termes d’accès libre ou tarifé, occupent une place centrale non seulement pour la diffusion numérique des revues, mais aussi pour leur capacité de durer. Lorsqu’une revue publie régulièrement et depuis quelques années en version numérique, il n’est pas rare que l’accès soit gratuit pour les numéros publiés depuis un certain temps (18 à 24 mois, par exemple). Une revue qui diffuse toute sa collection, grâce à la numérisation rétrospective, est susceptible de pratiquer la gratuité, là aussi. La question de l’accès filtré se pose avec davantage d’acuité pour la publication courante des numéros de revues.
23Dernièrement, la lettre ouverte signée par plusieurs milliers de chercheurs, à l’initiative de la Public Library of Science, prône la diffusion gratuite des articles après un délai de six mois suivant la date de parution initiale dans une revue. Ce délai, particulièrement court, peut être associé à une forme détournée de gratuité. De là, le débat public qui porte sur les conditions d’accès aux revues et, en particulier, sur la gratuité8. Dans la foulée, l’Initiative de Budapest pour l’Accès Ouvert9 a été lancée en février 2002. Dans l’énoncé introductif, on souligne que la réalisation de « l’accès libre nécessitera de nombreux modèles de recouvrement des coûts et mécanismes financiers », mais que le but est atteignable. Les sources de financement, autres que la commercialisation des revues, devront être exploitées ; à ce propos, plusieurs voies sont possibles.
24L’une des questions majeures, à laquelle tout éditeur (au sens générique du terme) de revues doit apporter une réponse, au moins provisoire, est celle du mode de financement de la publication et de la diffusion en version numérique. Ce dont on discute, en dernière analyse, c’est de la vie organisationnelle et financière de la revue, quel que soit son support. L’équation est relativement simple à poser, mais non moins problématique. La publication de qualité d’une revue demande des ressources quel que soit le lieu où cette publication est assurée : un éditeur universitaire, une bibliothèque, une société savante, un éditeur commercial, un institut ou autre. La diffusion gratuite de cette publication nécessite qu’il y ait une source de financement de ces ressources et souvent, en plus, qu’elle puisse compter sur des contributions bénévoles10. L’idée d’une diffusion numérique gratuite des revues, dans ce contexte, a tout lieu d’accentuer la précarité financière des revues et même de leur être fatale, à moins que la diffusion gratuite soit compensée par un mode de financement ad hoc conséquent11. À une certaine échelle (c’est-à-dire en considérant plusieurs revues), cela exige une réorganisation des circuits de financement public de la recherche, de la publication et de la diffusion des travaux scientifiques. Cette réorganisation mérite une grande attention ; il serait dommage d’éluder la question et d’éviter d’en débattre.
L’origine des revenus dans la situation actuelle
25Dans l’ensemble, les pouvoirs publics jouent un rôle majeur dans le développement de la recherche et son rayonnement. Ils soutiennent la recherche, favorisent la diffusion de ses résultats et contribuent à la conservation et à la diffusion des documents produits avec les bibliothèques. Plus particulièrement, la publication et la diffusion des revues sont rendues possibles grâce à des modalités de financement similaires dans des sociétés comme le Canada et la France. Pour cerner de plus près les enjeux concernant le modèle économique pouvant supporter de façon durable la diffusion numérique des revues, il faut porter attention au montage financier qui est actuellement mis en place pour la production et la diffusion des revues, dans un environnement centré sur la version imprimée.
26L’étude des états financiers de vingt-sept revues soutenues par les fonds publics fédéraux canadiens et étant localisées au Québec est révélatrice12. Sans pouvoir prétendre que cette situation soit identique en France, nos échanges avec les directions de revues et les éditeurs permettent de croire qu’elle s’en rapproche, surtout si l’on tient compte des revues indépendantes ou de celles éditées ou diffusées par des éditeurs ne participant pas à de grands groupes commerciaux. C’est ainsi que les ordres de grandeur dégagés des données témoignent d’une réalité plus générale au Canada et apparentée à la situation française.
27Ce montage est composé, pour l’essentiel, de deux sources principales. D’abord, par ordre d’importance, il y a les subventions publiques qui, au total, comptent pour près de 47 % des revenus13. Ensuite, la deuxième composante majeure (près de 41 %) provient des revenus de la vente des revues ; en cette matière, les ventes au numéro sont assez marginales, les abonnements étant responsables de 95 % des revenus de vente. Les autres revenus sont assez disparates et finalement peu nombreux : ce sera la publicité, une contribution de l’université, une autre subvention.
28C’est avec ces données, auxquelles il faut ajouter, évidemment, la structure globale des dépenses, que se pose la question de la gratuité. Cette question se pose dans son principe et dans son application.
La gratuité
29La diffusion gratuite de l’information, et de documents universitaires en particulier, favorise l’accessibilité, si bien que les statistiques de consultation seront nettement supérieures dans ce cas à celles que l’on aurait avec un accès filtré payant14.
30C’est la gratuité du service pour l’utilisateur qui est déterminante ; en ce sens, l’accès « gratuit » pour l’utilisateur, qui découle d’un abonnement institutionnel, peut avoir un résultat comparable, car la barrière à l’entrée pour le chercheur ou le lecteur, qui utilise le service en ligne, est levée en raison d’un abonnement de l'institution à laquelle il est rattaché — les services de proxy ont beaucoup élargi cet accès, apparemment libre pour l’utilisateur en première ligne. Il reste que, dans ce cas, l’accès est lié au paiement d’un abonnement institutionnel. Si on revient à l’idée de la gratuité, on peut affirmer que c’est une pratique désirable et souhaitable.
31Abstraction faite du délicat montage financier qui permet aux revues d’exister comme institutions de communication scientifique, la gratuité serait d’emblée une hypothèse à retenir. Mais la gratuité ne coûte pas rien (price free is not cost free) ! Qui doit assumer la production et la mise en ligne d’un service gratuit15 ? Récemment, à l’occasion du déménagement vers l’Université Cornell du serveur de prépublications arXiv, animé par Paul Ginsparg, véritable pionnier dans la diffusion libre de la recherche, on soulignait que ce service demandait annuellement une injection de fonds de 300 000 $16. Il ne faut pas s’en surprendre. Lorsqu’on traite de gratuité, que ce soit pour un serveur de prépublications ou un site de diffusion de revues, la question se pose : qu’est-ce qui rend possible la gratuité ? À cette question, trois hypothèses de réponse ont été proposées. On y revient tout de suite.
32L’autre dimension liée à la gratuité repose sur les considérations « éthiques » que l’on associe à la commercialisation en tant que telle. On peut prétendre que la commercialisation et ses résultats donnent un indice à la fois de la valeur que les lecteurs attachent à la revue et de sa diffusion réelle, ainsi qu’elle permet de sanctionner l’adéquation entre la politique éditoriale de la revue et les attentes des lecteurs. Toutes ces considérations peuvent avoir une certaine vraisemblance et justifier l’engagement dans le circuit marchand, mais fondamentalement les pratiques marchandes des revues sont beaucoup plus liées à la nécessité de tirer des revenus permettant de supporter les coûts engagés dans la production des revues — ce raisonnement est correct, dans ses grandes lignes, pour les éditeurs sans but lucratif et non, évidemment, pour les grands groupes commerciaux oligopolistiques. Pour l’essentiel, ce n’est pas pour des considérations « éthiques » que les revues sont inscrites dans des pratiques marchandes : il s’agit davantage d’une condition nécessaire pour assurer leur existence. Si tant est que cette existence n’est pas mise en péril, la gratuité constitue une option particulièrement intéressante.
33Dans les conditions actuelles (toujours en retenant le même échantillon), 41 % des revenus proviennent des ventes de la version papier. La production matérielle et l’expédition de la version papier correspondent à environ 25 % des dépenses d’une revue. Les grandes données de l’équation permettent de constater que la gratuité mettrait à mal la situation financière des revues, même dans l’hypothèse d’une diminution substantielle des dépenses liées à la suppression du papier.
34Deux considérations s’ajoutent. D’abord, l’hypothèse de la suppression du papier, pour les revues qui ont déjà ce support, est difficilement envisageable, du moins dans un proche avenir. Ensuite, la production technique de la revue—pour la production et la conservation—et la diffusion dans le Web en divers formats, ainsi que la production de métadonnées, la conservation numérique, l’application de normes de référencement permanent, les services d’accès et de consultation, une stratégie de diffusion dans le Web, un service de diffusion sélective de l’information et des éléments d’infrastructure intellectuelle et matérielle (tels la veille technologique et l’hébergement et la sécurité du serveur) exigent des ressources non négligeables. Tous ces éléments exacerbent le problème de la gratuité.
35C’est sous cet éclairage que la question de la gratuité du service pour l’utilisateur peut être considérée.
La gratuité par la réduction radicale des dépenses
36Trois hypothèses pour financer l’accès gratuit ont été évoquées. La première repose sur l’affirmation voulant que l’introduction du numérique permette de revoir à la baisse les coûts de production d’une revue. La réduction de la structure de coûts peut viser aussi bien les coûts liés à la production technique de la revue, que les coûts associés à l’existence organisationnelle de la revue.
37Pour ce qui est des coûts de la production technique, l’introduction du numérique est loin de faire jaillir un trésor caché. Certes, si on élimine le papier, on vient de dégager un espace budgétaire qui reste assez loin de certaines estimations, car les coûts liés au papier ne représentent environ que 25 % des dépenses d’une revue. Abstraction faite qu’il n’est pas du tout certain que l’hypothèse radicale de la suppression de la version imprimée soit souhaitable pour l’immédiat, la publication numérique ne peut être porteuse d’économies majeures que si, avec elle, on supprime le travail d’édition et de normalisation (comme on l’a vu). On fait, de plus, très peu de cas des différents services qui découlent d’une diffusion conséquente et efficace. En d’autres termes, il n’y a pas de mystères : il devient vain de faire miroiter l’existence d’un trésor caché si on prétend produire techniquement dans de bonnes conditions et avec professionnalisme les revues en respectant les normes compatibles avec la triple mission de production, de diffusion et de conservation. Les mêmes fonctions n’exigent pas nécessairement les mêmes ressources que pour les conditions actuelles liées à l’imprimé, mais toutes les expériences tendent à montrer que, pour des services professionnels de qualité et similaires à ceux pratiqués dans l’environnement papier, aucune économie substantielle ne permet de supporter la gratuité de la diffusion de la revue.
38Du côté de l’organisation de la revue, la capacité de réduire la structure de coûts s’avère limitée. Les frais reliés au travail de l’équipe éditoriale et à l’existence organisationnelle de la revue sont difficilement compressibles dans la mesure où, d’une part, ils sont restreints au minimum et, d’autre part, les revues fonctionnant déjà avec un travail gratuit, soit par prêt de services soit par bénévolat, les frais actuels ne comptabilisent qu’une partie des ressources nécessaires à leur existence. Avec l’introduction du numérique, les hypothèses de réingénérie des processus éditoriaux, d’arbitrage17, de correction, de préparation de la copie, etc. sont particulièrement stimulantes. Dans l’ensemble, on peut informatiser et numériser les processus allant de la soumission d’un manuscrit jusqu’à la parution de la revue18. Cette opération, prise globalement, sera étalée dans le temps, elle demande un investissement initial non négligeable et sera la source d’économies durables dont l’estimation est pour le moins approximative et incertaine. Pour l’avenir prévisible, à moins de mettre en péril l’existence matérielle et organisationnelle des revues ou de demander aux institutions de rattachement, quelles qu’elles soient, d’augmenter significativement leur contribution en services et en espèces, la gratuité ne peut reposer sur la réduction des frais liés aux structures éditoriales.
La gratuité permise par le paiement par les auteurs de frais de publication
39Une autre option serait d’assurer l’accès gratuit aux revues en ligne par un financement qui viendrait de la perception, auprès des auteurs, d’une contribution monétaire. Les auteurs payeraient un droit pour être publiés. Ce n’est pas la revue, ni l’utilisateur de la revue qui assure la gratuité, mais celui qui est diffusé, soit l’auteur.
40Cette pratique, qui existe déjà dans l’environnement de l’édition papier, est davantage présente dans certaines disciplines, associées aux sciences naturelles et aux techniques19 ; à l’occasion, on y a recours dans les sciences sociales, mais la contribution reste modeste et, bien des fois, est liée à un coût particulier dans le traitement de l’article — par exemple, lorsque l’iconographie est riche.
41Examinons les conditions de réalisation et le réalisme de cette hypothèse. D’abord, si cette pratique a cours dans certains milieux, elle est somme toute assez exceptionnelle en sciences humaines et sociales. La contribution financière des auteurs pour être publiés ne fait pas partie des usages (surtout si on se situe dans les revues publiées par des organismes sans but lucratif).
42Ensuite, l’introduction de cette pratique risquerait de rencontrer de grandes réticences. Elle supposerait que les auteurs possèdent la capacité financière pour répondre aux attentes des revues. À moins de modifier substantiellement le mode de financement de la recherche, cette supposition est gratuite. Les professeurs d’université n’ont pas d’allocation pour payer de tels droits, à moins de bénéficier de subventions de recherche. Or, la réussite aux grands concours de subventions en sciences humaines et sociales au Canada touche environ 35 % de ceux qui ont présenté un projet de recherche. Ces derniers ne sont qu’une fraction de tout le corps professoral, d’où l’introduction d’une ségrégation entre les auteurs en fonction non plus seulement de la qualité du travail à publier mais aussi de la capacité de payer pour la publication.
43Enfin, la seule façon de rendre cette pratique quasiment indolore serait de ramener ces droits à un niveau tellement bas qu’ils auraient un caractère symbolique. Quel est le seuil du symbolique ? 50 ou 100 $ CA (250 à 500 FF) de droits à payer par article 7 Dans un cas comme dans l’autre, on voit bien que le coût de l’introduction d’une telle pratique, en termes de relations avec les auteurs, d’image, etc., n’en vaut pas la chandelle étant donnée la modestie des sommes recueillies : on parle d’une somme totale de 900 ou de 1800 $ CA (4500 à 9000 FF) pour une revue de 18 articles par année. Cette hypothèse représente donc une solution douteuse.
La gratuité découlant de la reconnaissance des revues numériques comme bien public
44Selon cette hypothèse, la gratuité n’est pas imputable à l’effondrement supposé des coûts d’une revue ni aux « débours » des auteurs qui sont publiés, mais au statut qui est accordé à la revue comme document de diffusion des résultats de la recherche. L’identification des revues à titre de bien public change radicalement la façon de considérer ces documents et leurs conditions de production et de diffusion.
45Toute une série de biens sont identifiés de cette façon, pour lesquels l’accessibilité est largement facilitée ou sans restrictions. Pour ce faire, des modes de financement appropriés, qui passent généralement par les canaux publics, sont trouvés. Un bien n’est pas public par définition ; il n’est pas non plus exclu de cette désignation d’emblée. Les choses évoluent et se différencient selon les sociétés : on investira significativement dans le logement social ou on s’en retirera, selon les époques ; on facilitera l’accès au livre et à la documentation par une politique de développement du réseau des bibliothèques ou on reléguera cette préoccupation dans le fouillis des questions non prioritaires.
46Alors que la plupart des étapes participant à la recherche échappent à la sanction commerciale — et sont supportées par un financement public, direct ou indirect —, la diffusion des résultats de recherche par les revues y est encore soumise. Or, on pourrait tout aussi bien considérer, qu’en raison de l’intérêt et de l’utilité du contenu qu’elles révèlent et qu’en raison de la visibilité qu’elles donnent au système de recherche national, les revues devraient bénéficier de ce statut de bien public et jouir d’un accès le plus large possible. Il est vrai que les subventions publiques supportent les revues pour environ la moitié de leurs budgets. Même à cela, elles sont obligées de recourir aux circuits marchands pour une part notable de leurs revenus, ce qui devient une condition sine qua non d’existence. On pourrait imaginer que les revues, et le contenu qu’elles diffusent, soient reconnues comme un bien public, car elles constituent le prolongement naturel d’une chaîne dont les pouvoirs publics supportent les principaux maillons. Dès lors, il deviendrait important de leur assurer le meilleur rayonnement.
47Cette hypothèse n’est pas que pure spéculation. Elle s’est matérialisée en janvier 2000, avec l’annonce, par le Conseil national de recherches du Canada, de la diffusion gratuite de la version numérique de leurs quatorze revues pour les utilisateurs ayant une adresse IP se terminant par <.ca>. Cela a été rendu possible par l’engagement d’une agence gouvernementale (Travaux publics et Services gouvernementaux de l’État fédéral) à combler la perte de revenus découlant de l’application d’une telle mesure pour le Canada. Le mode de calcul de la contribution gouvernementale a été basé non sur le remplacement de la perte de revenus, mais sur le principe du recouvrement des coûts. On a donc pris l’ensemble des coûts directs, desquels ont été soustraits les coûts d’impression et de distribution, pour établir un coût de première copie, sans égard au format. De ce coût ont été déduits les frais rattachés à l’organisation de la revue, à l’arbitrage par les pairs, c’est-à-dire les frais liés à l’existence de la revue comme institution et processus de sélection des textes. Le résultat de ces opérations donne une estimation des coûts de production de la version numérique. C’est sur cette base que l’évaluation de la contribution publique a été calculée20.
48On peut considérer une autre avenue qui mettrait à contribution les bibliothèques universitaires dans un mode de financement pouvant assurer la gratuité aux utilisateurs. On peut dire que les bibliothèques « subventionnent » les revues par les abonnements institutionnels ou, selon une pratique maintenant courante pour les revues numériques, par des licences d’exploitation négociées institutionnellement et souvent en consortium. Or, les bibliothèques pourraient subventionner à la source la production des revues, dont la diffusion serait ensuite assurée gratuitement par un site de revues. Ce genre de partenariat, conclu dans des ententes pluriannuelles, permettrait de stabiliser le financement des revues et les coûts d’abonnement pour les bibliothèques. La Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition (sparc) préconise des modèles similaires. Maintenant, il faut tenir compte du nombre de bibliothèques et de leur taux d’acquisition des revues des sociétés nationales pour estimer si les contributions des bibliothèques peuvent suffire pour assurer un financement adéquat des revues. Cela ne semble pas le cas pour une petite société comme le Québec et cela est loin d’être certain pour l’ensemble du Canada, mais le serait probablement pour la France. En tout état de cause, l’apport net de ce côté serait sans doute complémentaire à des subventions gouvernementales ou à d’autres sources de financement ; ce montage pourrait cependant offrir un modèle économique viable.
49Quel que soit le mode particulier, la mise à contribution d’un « commanditaire public » répondrait, sans doute au mieux, à la situation des revues et à leurs objectifs complémentaires de production de qualité, de diffusion élargie et de stabilité organisationnelle. La grande difficulté tient à la reconnaissance du statut de bien public à la diffusion en ligne des revues et à la capacité d’« intéresser » une agence publique pour soutenir financièrement ce bien public. C’est certainement la voie qui offre les meilleures conditions pour valoriser la publication numérique et pour échapper aux règles de la commercialisation, auxquelles on note peu d’attachement de la part des éditeurs de revues.
L’effet de la gratuité de la version numérique sur l’imprimé
50Quel impact une diffusion libre de la version numérique peut avoir sur l’avenir de la version imprimée de la revue ? Toutes les consultations menées à ce jour auprès des revues québécoises et la prise en compte des pratiques des revues d’importance en sciences humaines et sociales qui ont, au départ, un support papier, conduisent à dire que la version papier est appelée à se maintenir pour une durée qui reste indéterminée. On peut prendre cette anticipation comme une donnée et se questionner sur l’interaction entre les deux supports, surtout si on ne pratique pas les mêmes conditions (économiques) d’accès : accès libre dans le Web et abonnements pour l’imprimé.
51Dans la mesure où l’imprimé répond à un besoin réel des lecteurs et à des situations non moins réelles se rapportant à la consultation et à la diffusion des revues, on peut penser que la seule diffusion en ligne ne ferait pas table rase des motifs favorisant le maintien de la version papier. D’ailleurs, le bilan de certaines expériences dans le domaine semble aller dans ce sens21. Mais on pourrait, à l’opposé, estimer que l’accès en ligne gratuit aurait une influence négative sur le niveau des abonnements pour la version imprimée. Mais jusqu’à quel point ? Même en admettant une réduction de la moitié des abonnements actuels, le coût direct de la version papier (papier, impression, expédition) — revu avec la modification éventuelle de certains procédés de production (l’impression numérique) — devrait être compensé par les revenus d’abonnement. Autrement, on peut se demander si la demande pour la version papier est assez importante pour qu’elle soit maintenue. En somme, en prenant en compte l’ensemble de ces éléments et dans des termes qui restent approximatifs — diminution de moitié des revenus de vente et baisse correspondante des tirages, avec modifications techniques le cas échéant —, il est permis de penser que l’adéquation entre le coût de la version papier et les revenus des ventes (abonnements et ventes au numéro) est vraisemblable. À plus ou moins long terme et selon les situations particulières des revues, on pourrait d’ailleurs imaginer une seule livraison par année de la revue imprimée.
52Toutes ces questions sont ouvertes et laissent place à des appréciations diverses, compte tenu du degré d’incertitude concernant la réaction à la fois des directeurs de revue, des abonnés et des lecteurs, mais aussi quant à la présence d’un « commanditaire public ». Mais on ne peut passer à côté d’un enjeu de taille. Dans la mesure où, en toute hypothèse, la diffusion gratuite sur le site de diffusion fait fondre les revenus autonomes des revues et que les revues dépendent en totalité des pouvoirs publics pour exister au-delà de la production du format papier stricto sensu, cela peut être ressenti comme une position de grande vulnérabilité financière et éventuellement éditoriale des revues à l’égard des politiques publiques. D’où le besoin d’assurances fermes sur la détermination des autorités publiques d’assurer ce financement de façon durable et satisfaisante ; sans cela, les revues seraient à juste titre réticentes à faire un pari qui deviendrait très risqué.
L’accès filtré et payant
53Si la gratuité est impossible à pratiquer, parce que les éléments qui la soutiennent ne sont pas réunis, il faut s’en remettre à l’accès filtré et payant au site de diffusion. La situation n’est pas atypique, car une forme ou une autre d’accès filtré est pratiquée dans les principaux sites de diffusion de revues, y compris ceux qui sont sans but lucratif (Muse22, HighWire23 et BioOne24 — pour ne nommer que ceux-là). Cela a pour conséquence de concevoir un mode de commercialisation des revues et un système de gestion des abonnements. Le service tarifé de la consultation des revues en format numérique est courant dans le Web et quelques démarches font davantage école, encore que l’on soit loin d’un consensus.
54La question de la segmentation du marché est récurrente dans les discours et les pratiques, mais trouve des applications qui vont parfois dans des directions diamétralement opposées. L’évolution récente suggère plutôt que l’on doive privilégier la simplicité dans quelque mode de perception de revenus.
55Partant de la distinction, dans les coûts de production, entre les coûts associés à la production de la première copie (coûts fixes) et les coûts permettant d’assurer les copies supplémentaires (coûts variables), Colin Day25 proposait de segmenter les utilisateurs-lecteurs en introduisant des mécanismes de discrimination par le prix. Dans la mesure où l’un des segments paierait pour le service à un prix d’abonnement répondant au recouvrement des coûts de la première copie (beaucoup plus élevés) et que l’autre paierait un prix rendant compte du coût marginal, la nature même du service devrait varier ou le service devrait s’adresser à des utilisateurs nettement distincts. D’une part, au plus fort coût, il faudrait livrer un service enrichi ou diversifié et, d’autre part, un service de base au tarif réduit. Ou, autrement, on peut imaginer que les bibliothèques et institutions, dans la mesure où elles servent de relais dans la diffusion des revues à une multitude de lecteurs, devraient assumer un tarif à la mesure des coûts de la première copie et que les individus auraient à payer un abonnement à la hauteur des coûts marginaux.
56En se référant à la situation propre des sociétés savantes, Varian26 prônait une tarification différentielle qui s’appuie sur le constat qu’il y a deux catégories de lecteurs des revues produites par les sociétés savantes, soit les membres et les autres. La revue est livrée aux membres à titre d’avantage lié à leur cotisation annuelle. Les autres lecteurs sont susceptibles de fréquenter les bibliothèques et de consulter les revues par ce canal. Dans le contexte de la publication imprimée, la commodité de posséder un exemplaire de la revue plutôt que de se déplacer à la bibliothèque tombe sous le sens. Mais dans celui d’une publication numérique, la consultation à distance de la revue par l’entremise de la bibliothèque peut se traduire par la chute du membership et des abonnements « mécaniques », et donc par une perte majeure de revenu. Pour répondre à ce défi, il y a sans doute lieu de rendre l’abonnement individuel plus intéressant en intervenant par une différenciation des services offerts qui vise essentiellement à accroître l’avantage marginal de l’abonnement individuel sur la consultation en bibliothèque. Partant de là, il est possible, par le biais des licences, de restreindre l’accès aux abonnements institutionnels des bibliothèques aux réseaux campus des universités, ce qui bloque l’accès aux communications provenant depuis un poste hors campus. Ces restrictions procèdent d’une démarche essentiellement défensive et ne sont plus très pertinentes avec un service mandataire (Proxy). Autrement, de façon plus positive, il est possible de considérer la possibilité d’enrichir et de diversifier le service offert aux seuls abonnés individuels. Pensons aux liens hypertextes, à un outil de recherche plus performant, à un service de diffusion sélective de l’information (DSI), à la possibilité d’avoir la primeur, pour une certaine durée, pour la consultation des nouveaux articles, etc.
57Ce raisonnement montre bien l’enjeu des abonnements individuels pour la survie financière de plusieurs revues, mais, en même temps, souligne la difficulté d’y apporter une solution appropriée. Il est difficile de justifier, par exemple, que les bibliothèques, qui paient davantage, reçoivent un service moindre. On comprend assez bien pourquoi plusieurs éditeurs universitaires ont décidé de sacrifier les abonnements individuels pour ne retenir que les abonnements institutionnels.
58Par ailleurs, la segmentation se fait souvent sous l’angle du service offert. C’est ainsi que la grille de tarifs d’abonnement est fonction des versions utilisées. Diverses modalités sont pratiquées. Elles expriment différentes formes d’arrimage entre l’imprimé et le numérique. Une présentation descriptive et succincte des pratiques chez certains éditeurs universitaires permet d’y voir plus clair.
Diversité des modes de perception de revenu
59Ce balayage des pratiques au cours des dernières années part du point de vue de l’éditeur universitaire ou de la société savante, qui est d’abord et avant tout préoccupé du recouvrement de ses coûts et non du prélèvement d’une rente oligopolistique, comme c’est le cas pour les éditeurs commerciaux. La présentation des modes de perception de revenu par les éditeurs de revues peut être particulièrement complexe, si tant est que l’on prétende faire un inventaire des pratiques. Pour les fins de cette discussion, contentons-nous d’identifier les principaux modes de perception de revenu pratiqués par des éditeurs universitaires au cours des dernières années.
L’accès à la version numérique des revues est gratuit avec l’abonnement à la version imprimée de la revue. Le coût de la version numérique est, dans ce cas, supporté par les revenus générés par la vente conventionnelle de la revue27. Cela appelle trois considérations de nature différente. Premièrement, on imagine que ce modèle n’est possible que si les revenus de la revue dépassent significativement les coûts de production pour le papier et que dans la mesure où le format numérique entraîne des dépenses faibles ou marginales. Deuxièmement, ce modèle fait l’impasse sur l’accès à la seule version numérique de la revue, ce qui limite le choix des lecteurs éventuels. Troisièmement, dans le court terme, cette formule évite de poser le problème de la négociation des prix et des services avec les bibliothèques car, pour l’essentiel, les données financières restent inchangées, mais sont désormais arrimées à un service supplémentaire. Ajoutons que cette pratique, si elle devait se perpétuer, aurait pour effet d’occulter les coûts liés à la publication numérique ou d’émettre le message qu’il n’en coûte rien.
La version imprimée ne se vend pas seule, elle est jumelée à la version numérique ; par contre, la version numérique seule est offerte pour un prix d’abonnement légèrement moindre28. Dans ce contexte, la récupération des frais encourus pour produire la revue est à peu près également répartie sur les deux supports et il y a une incitation assez grande, en raison du faible écart des prix d’abonnement, à maintenir un abonnement pour les deux supports. Cette pratique peut favoriser un étalement dans le temps de la simultanéité des deux supports. Si on peut y voir un défaut, l’avantage présumé est sans doute que la version numérique, étant peu en compétition pour ce qui est des tarifs, ne compromet pas l’existence des revues par une chute des revenus. Pour des revues qui ont peu de marges bénéficiaires ou qui anticipent une rigidité de la part du lectorat, il s’agit sûrement d’une avenue sécuritaire.
La grille des tarifs pratique des écarts appréciables selon le statut de l’abonné ou le type de service car elle témoigne des coûts relatifs pour la production de la première copie et pour les « copies » additionnelles pour les différents supports ou est utilisée afin de favoriser l’évolution des comportements des abonnés. Dans ces cas, on remarque que les écarts dans les tarifs pratiqués se creusent Au mit Press, par exemple, la structure des tarifs est à deux paliers. Le premier répercute le coût de fabrication de la première copie (tous les coûts fixes, y compris le travail d’édition et de sélection) et est destiné aux institutions (160 à 205 $ US), alors que le deuxième, destiné aux individus, rend compte du coût marginal de fabrication (40 à 50 $ US)29. L’écart dans les tarifs peut aussi participer d’une vision stratégique visant à amener les abonnés à ne retenir que la version numérique de la revue pour favoriser la caducité de la version papier. La direction du Journal of Biological Chemistry a décidé de décourager l’achat simultané des versions papier (1750 $ US) et numérique (1300 $ US) de la revue, en ne proposant aucune modulation des tarifs pour les deux versions30.
Le prix des abonnements pour les différents supports est établi en fonction des coûts de production pour chacun de ces supports et la grille permet un abonnement séparé, pour l’un ou l’autre support, ou jumelé. Ce modèle a été proposé par la Johns Hopkins University Press31, qui est le leader du projet Muse. On offre, pour l’essentiel, seulement des abonnements institutionnels. Ce cas de figure, qui est à la fois flexible et simple, donne une assez grande visibilité à ce qu’il serait convenu d’appeler les coûts généraux de la revue et les coûts rattachés aux différentes versions. L’accès des individus aux revues est lié à l’abonnement de l’institution à laquelle ils sont associés ; les utilisateurs sont filtrés en vertu de leur adresse IP. Il y a sans doute un coût lié à l’abandon (ou quasi-abandon) de l’abonnement individuel qui peut être absorbé dans la mesure où le nombre d’abonnements institutionnels est considérable et il est envisageable d’accroître le nombre d’abonnements par institution avec une valorisation judicieuse du panier de revues offert. Or, cette deuxième considération n’a de pertinence que lorsque le nombre de revues est assez important pour avoir une démarche misant sur le panier, ce qui implique un volume d’opération assez important. Il faut voir là un avantage certain au regroupement des revues dans certaines structures de publication et de diffusion32.
60Plusieurs des pratiques que l’on vient de décrire se retrouvent aussi chez les oligopoles de l’édition commerciale qui dominent la vente des revues, dont la figure emblématique est Elsevier’s ScienceDirect. Dans ce cas, quelle que soit la formule, nous sommes dans une autre logique, celle des prix administrés dont le but est de percevoir la plus grande rente de situation. La logique de commercialisation à outrance s’impose, ce qui a provoqué, en contrepartie, la mise en place de consortiums de bibliothèques afin d’espérer atténuer le rapport de force et modifier les conditions de la négociation.
Le site de diffusion gère les abonnements
61Le rappel des divers modes de perception de revenu a mis en relief la logique qui sous-tend l’établissement des prix, indépendamment de leurs niveaux, et la façon de transiger avec le lectorat institutionnel et individuel33. À cela s’ajoute la nécessité de concevoir un modèle de relations fonctionnelles entre les abonnements pour la version imprimée et pour la version numérique de la revue. Quelques considérations permettent de traiter plus spécifiquement de l’infrastructure transactionnelle.
62Le point de départ consiste à donner à un site de diffusion un rôle de première ligne dans la gestion des abonnements, que ce soit pour les versions papier ou numérique. À l’heure actuelle, les revues gèrent elles-mêmes leurs abonnements ou les font gérer par un éditeur ou par une agence d’abonnement spécialisée, commerciale ou universitaire. Il y a donc un grand nombre de lieux de gestion des abonnements pour le nombre total de revues. La modalité la plus simple pour un site de diffusion de plusieurs revues, ce serait d’être la porte d’entrée principale des abonnements : il n’y aurait qu’une base de données, qu’un protocole, et éventuellement qu’une logique de tarification. Cela implique cependant un certain bouleversement dans la façon actuelle de fonctionner de la part des revues. De plus, dans la perspective où les abonnements individuels et institutionnels sont maintenus, cela impose deux modes de filtrage de l’accès, soit un accès par adresse IP pour les institutions et un accès par mot de passe pour les individus. L’abonnement individuel impose aussi l’infrastructure pour la transaction en ligne alors que les institutions n’utilisent généralement pas ce genre de paiement. À cela, il faut considérer l’effet que peut avoir l’abonnement institutionnel pour la version en ligne sur l’abonnement individuel, car l’accès aux revues qui est donné par l’abonnement institutionnel souffre de moins en moins de restrictions : avec un serveur mandataire, nul n’a besoin de consulter une revue depuis le campus, par exemple. Il y aura certainement glissement du nombre d’abonnés individuels, voire même une contraction, pour la version numérique34. Dans cette mesure, faut-il mettre en place un système de filtrage de la version numérique pour les individus ? En d’autres termes, les abonnements individuels ne devraient-ils pas être prévus que pour la version imprimée ?
63Les remarques précédentes supportent l’hypothèse voulant que le site de diffusion pratique l’accès filtré sous le seul mode de l’abonnement institutionnel. Cette formule est assez répandue car elle est d’une grande simplicité pour l’utilisateur, elle répond bien aux consultations ponctuelles des chercheurs dans un grand nombre de revues — consultations qui ne justifient pas des abonnements à chaque fois ou qui imposeraient des transactions à l’article —, elle est assez simple à mettre en place, sur les plans technique et organisationnel, et elle correspond de plus en plus aux usages dans les milieux de la recherche. Après la gratuité, c’est la formule qui favorise le plus la consultation des documents en ligne. Les individus se verraient dans la position de s’abonner à la version imprimée, en communiquant avec la revue ou avec son agence, ou de faire pression, au besoin, pour que leur institution souscrive un abonnement à la revue.
64Cela dit, rien n’empêche le site de diffusion, qui s’occuperait seulement d’abonnements institutionnels, de privilégier la vente par panier, c’est-à-dire la vente de l’ensemble de la collection des revues diffusées. Ce modèle, qui a été pratiqué par les groupes commerciaux oligopolistiques comme méthode de vente, est de plus en plus utilisé par les bibliothèques qui forment des consortiums et qui y trouvent leur intérêt en tant qu’acheteurs. Mais, dans tous les cas, le panier ne serait pas un instrument visant les mêmes fins que les oligopoles. Si on s’y limite, ce modèle peut être considéré rigide pour l’acheteur institutionnel spécialisé — pensons à un centre de recherche et à une université à l’étranger — qui ne verrait pas l’intérêt de l’abonnement à l’ensemble de la collection. En ce sens, dès le départ, il faudrait voir à l’introduction d’aménagements, de telle sorte que le modèle du panier soit panaché avec la formule de l’abonnement par revue pour atteindre la souplesse désirable. Dans tous les cas, il faut rechercher la plus grande simplicité dans les transactions entre le site et les institutions qui s’abonnent, soit à titre individuel ou comme participant à un consortium. Finalement, considérons que le modèle de l’achat par panier peut être avantageux pour les revues prises individuellement : cela accroît le rayonnement de plusieurs revues, dans la mesure où elles peuvent être accessibles à des clientèles de bibliothèques pour lesquelles il n’y avait pas nécessairement d’abonnement jusque-là.
Qui dit abonnement dit commerce électronique et anticipation de revenus
65L’accès tarifé impose l’implantation d’un système de diffusion des revues qui prévoit la gestion des abonnements, le contrôle d’accès aux documents, la « livraison immédiate » des articles, les multiples formats d’un même article, des statistiques d’accès, la gestion du catalogue des titres et la grille des tarifs, la gestion des comptes, y compris le dépôt des paiements et la répartition des recettes. Cela implique des ressources pour implanter une infrastructure pour les abonnements individuels et institutionnels et des coûts pour la gestion des abonnements et donc d’utilisation et de mise en service du système technique mis en place. Ce coût dépend des responsabilités du site pour les abonnements (individuels, institutionnels, pour la version électronique et la version papier). Par contre, si le site ne s’intéresse qu’aux abonnements institutionnels, le volume d’opérations diminue et le système de filtrage d’accès se simplifie. Une utilisation poussée de procédures informatisées devrait permettre une plus grande optimisation des ressources mobilisées pour cette gestion.
66Il est assez difficile d’anticiper les réactions des utilisateurs à la mise en place d’un site de diffusion avec accès au plein texte, sous condition d’abonnement. En principe, ce service devrait susciter un certain engouement, mais, en même temps, on doit constater une certaine lenteur dans l’assimilation des nouvelles donnes dans les comportements individuels et institutionnels. Les institutions sont davantage susceptibles d’emboîter le pas. Quoi qu’il en soit, le degré de rentabilité de la vente des revues en version numérique est un sujet qui demanderait une étude détaillée. On peut penser qu’en toute logique, les transactions dans Internet connaissant un essor impressionnant, que cette tendance devrait toucher tous les genres de contenu, y compris le document universitaire, et qu’elle devrait se manifester dans tous les pays. Mais les ratés et les dégringolades dans plusieurs secteurs du commerce électronique conduisent à penser que l’on ne doit pécher ni par trop grand optimisme ni par l’attitude contraire.
67Les attentes concernant les recettes tirées de la vente de produits numériques ont été déçues et risquent de ne pas remplir leurs promesses ; elles n’ont pas réussi à procurer les marges nécessaires pour supporter les coûts inhérents à la transition vers le document numérique, si bien que la plupart des projets des presses universitaires ou d’organismes du milieu de la recherche ont dû obtenir un support financier appréciable pour pouvoir se réaliser.
68En contrepartie, on peut imaginer dégager de nouveaux revenus de la diffusion numérique. On pense à l’accès à des lectorats nouveaux que le papier ne pouvait rejoindre. De même, les éditeurs peuvent éventuellement découvrir de nouveaux vecteurs de diffusion, avec l’entrée en scène d’acteurs mineurs qui s’associeraient à des consortiums, alors qu’ils ne font pas partie des clients actuels (bibliothèques de collèges, de municipalités, de lycées, d’écoles secondaires, etc.). Des revenus supplémentaires peuvent aussi venir des revendeurs sous la forme de paiements de droits à l’article.
69Tout en faisant preuve de prudence dans les anticipations, on se doit de noter que les bibliothèques ont confirmé leur intérêt pour la documentation universitaire sur support numérique. Cet intérêt se manifeste, en particulier, par leur politique d’acquisition. Partout, des investissements appréciables — que l’on peut considérer insuffisants, sans doute, mais non moins significatifs — sont consentis pour l’acquisition des équipements nécessaires pour fournir un service de qualité dans la consultation de la documentation numérisée. Il faudra mesurer, dans quelques années, l’impact de ces transformations sur la perception de revenus venant de la documentation numérique et, particulièrement, des revues. Mais il semble que l’acquisition tarifée des revues devrait être en croissance, surtout pour l’abonnement institutionnel.
70L’évolution des usages dans la diffusion numérique du document universitaire, et des revues en particulier, fait vieillir rapidement les considérations et anticipations, dans leur dimension factuelle. Il reste que les incertitudes et difficultés ne se sont pas dissipées dans le tourbillon de l’évolution continue que connaît la toile. Dans leur nature propre, elles sont toujours posées, mais demandent des réponses ou des façons de faire qui se formulent dans une perspective dynamique. En d’autres termes, le mode de perception de revenu mis en place ne peut éviter de se mesurer à certains enjeux qui ont été soulignés dans ce chapitre et, plus particulièrement, à la gratuité dans l’accès aux résultats de recherche.
Mettre en place un modèle économique
71La pierre d’achoppement d’un système de diffusion numérique reste, dans l’esprit de plusieurs, le modèle économique qui permettrait de financer les opérations du système mis en place dans une structure à but non lucratif. Dans un contexte où les conditions nécessaires à la gratuité ne seraient pas réunies, la question se pose d’autant plus qu’un mode de perception de revenus dans Internet se heurte, pour plusieurs, à la représentation et à l’imaginaire rattachés à la toile, qui plaident pour la gratuité. Cela dit, les transactions dans le Web pour avoir accès aux documents numériques se généralisent. D’ailleurs, les revues établies et publiées par les éditeurs universitaires et les sociétés savantes pratiquent très souvent un accès filtré au corpus des revues diffusées numériquement, impliquant un mode ou un autre de paiement.
72Ce n’est ni une fantaisie ni une obsession pour toucher des bénéfices, mais une condition minimale pour assurer la vie économique des revues. Dans la mesure où la « réingénérie » des circuits de financement public de la recherche et de sa diffusion n’est pas acquise, les directions de revue, avec leurs partenaires, doivent se résoudre à poser le financement de la diffusion numérique par accès filtré comme une donnée nécessaire.
73Certains points de référence peuvent être soulignés dès à présent. Le mode de perception de revenus devrait être simple et donner une certaine visibilité aux coûts réels de production des supports imprimé et numérique ; en ce sens, une modulation du prix en fonction du service ou du produit livré s’avère judicieuse, sans qu’il faille pour autant sombrer dans la complexité. On peut très bien concevoir qu’il y ait plus d’une logique tarifaire qui se pratique sur le même site de diffusion. Le mode de tarification procéderait, à la source, selon la logique de l’abonnement annuel en privilégiant les institutions. Sans privilégier des écarts très marqués, le prix des abonnements institutionnels devrait rendre compte du statut des bibliothèques comme relais de communication de la documentation auprès d’un large lectorat, mais aussi de leur place stratégique dans le système de communication scientifique ; en ce sens, il s’agit de partenaires pour lesquels une tarification au panier de revues est sans doute bien acceptée. On a distingué précédemment cinq logiques tarifaires qui sont pratiquées. Chaque formule est à évaluer en tenant compte des objectifs de chaque revue. Parallèlement à ces formules, il serait difficile de ne pas développer une approche mettant l’accent sur le panier de revues auprès des clientèles institutionnelles.
Notes de bas de page
1 « A New Approach to Finding Research Materials on the Web », clir Issues, no 16, 2000; <http://www.clir.org/pubs/issues16.html#approach>.
2 Voir : Lynch, Patrick J. et Sarah Horion, Yale Style Manual — Site Design, 1997 ;<http://info.med.yale.edu/caim/manual/contents.html> ; Communications Jean Lalonde, Les bâtisseurs de l’inforoute — Site indépendant d’assistance et de référence en conception de sites Web au Québec (section : 5 questions pour éviter l’échec d’un site Web d’entreprise, 1996-1998 ; <http://www.cjl.qc.ca/batisseurs/5questions.htm/> ; Nielsen, Jakob, Top Ten Mistakes in Web Design, 1996.
<http://www.useit.com/alertbox/9605.html/> ; Nielsen Jakob, Top Ten New Mistakes in Web Design, 1999 ; <http://www.useit.com/alertbox/99053o.html>.
3 Les métadonnées sont des informations sur des objets numériques, comme l’article de revue. Dans ce dernier cas, les métadonnées décrivent le contenu des articles. Elles sont utiles au repérage mais également à l’administration, à la description, à l’accès et à la conservation de l’information. Elles identifient, notamment, le contenu de l’article ou son sujet, le titre, le nom de l’auteur, le résumé et sa structure.
4 Voir <http://www.nstein.com> ou <http://www.nominotechnologies.com>.
5 Tracey, Stanley, « Moving Up The Rank », Ariadne, no 12, novembre 1997; <http://www.ariadne.ac.uk/issues12/search-engine/>; Tracey, Stanley, « Keyword Spamming: Cheat Your Way To The Top », Ariadne, no 10, juillet 1997;
<http://www.ariadne.ac.uk/issue10/search/engines/> ; Tracey, Stanley, « The relavant of underpants to searching the Web », Ariadne, no 24, juillet 1997, <http://www.ariadne.ac.uk/issues24/search/engines/intro.html> ; Liberatore, Karen, « Getting to the Source », Macworld, 22 septembre 2000; <http://macworld.zetne.com/features/pov.4.4.html> ; Murphy, Kathleen, « Cheaters Never Win », Internetworld, mai 1996 ; <http://www.internetworld.com/print/1996/05/20/undercon/cheaters.html>.
6 Georgia Institute of Technology, Graphic, « Visualization and Usability Center », Tenth User Survey, 1998;
<http://www.gvu.gatech.edu/user_surveys/survey-1998-10/>.
7 Hartley, Jakob, « Is it appropriate to use structured abstracts in social science journals? », Learned Publishing, vol. 10, no 4, octobre 1997, p. 313-317; voir aussi la norme iso/iec isp 12059-13:1996 sur la réalisation de résumés.
8 <http://www.publiclibraryofscience.org/> ;voir le débat que suscite cette initiative dans Nature : <http://www.nature.com/nature/debates/e-access> ; Ann Okerson conclut son intervention de la façon suivante : « Extremist language and extremist imagery are out of place and have an obstructionist effect. If we can set aside extremism, I believe we can already see around us the elements of new forms of publication that are inspiring and encouraging » ; <http://www.nature.com/nature/debates/e-access/articles/okerson.html>.
9 Rowland, Fytton, « Electronic Publishing: Non-Commercial Alternatives », Learned Publishing, vol. 12, no 3, 1999, p. 209-216.
10 Initiative de Budapest pour l’Accès Ouvert, 14 février 2002, <http://www.soros.org/openaccess/fr/read.shtml>.
11 Keller, Michael, « Innovation and Service in Scientific Publishing Requires More, Not Less, Competition », Nature,
<http://www.nature.com/nature/debates/e-access/Articles/keller.html>. Keller est éditeur chez HighWire Press.
12 On se base ici, comme pour les estimations qui suivent, sur un échantillon de 27 revues supportées financièrement par le crsh. Cet échantillon a été choisi de façon aléatoire par l’organisme subventionnaire et représente la moitié des revues financées qui ont leurs bureaux administratifs (leur adresse de secrétariat) au Québec.
13 Deux organismes sont mis à contribution à l’occasion de concours, mais toutes les revues ne sont pas en position de cumuler les deux subventions (au total, on a 33 revues subventionnées par le Fonds fcar et environ 55 par le crsh). Du côté français, il faudrait compter la valeur des prestations de services fournies aux revues par le cnrs, en plus des subventions monétaires annuelles.
14 Kiernan, Vincent, « Why Do Some Electronic-Only Joumals Struggle, While Others Flourish? », The Chronicle of Higher Education, 21 mai 1999; <http://chronicle.merit.edu/weekly/v45/i37ao2501.htm>. Ce texte a été repris dans The Journal of Electronic Publishing, vol. 4, no 4,1999;
<http://www. press.umich.edu/jep/04-04/kieman.html>. Lawrence, Steve, « Free Online Availability Substantially Increases a Paper’s Impact », Nature, webdebates:
<http://www.nature.com/nature/debates/e-access/articles/lawrence.html>.
15 Slowinski, F. Hill et Patrick Bernuth, « How “Free Distribution” Impacts Your Business Model: Is It Really Free? », Learned Publishing, vol. 14, no 2, 2001, p. 144-148.
16 Butler, Declan, « Los Alamos loses physics archive as preprint pioneer heads east », Nature,
<http://www.namre.com/namre/debates/e-access/articles/ginsparg.html>.
17 Si la remise en cause des procédures d’arbitrage par les pairs et des propositions de rechange sont appelées à jouer le rôle de mécanismes de réduction des coûts administratifs, il faut commencer probablement par discuter cette question au mérite et voir si elle est reçue favorablement. Donavan, Bernard, « The Thruth About Peer Review », Learned Publishing, vol. 11, no 3,1998, p. 179-184; Nadasdy, Zoltan, « A Truly All-Electronic Journal: Let Democracy Replace Peer Review », The Journal of Electronic Publishing, vol. 3, no 1,1997;
<http://www.press.umich.edu/jep/03-01/EJCBS.html>; Harnad, Stevan, « The Invisible Hand of Peer Review », Nature, 6 juin 2000;
<http://helix.nature.com/webmatters/invisible/invisible.html> ; van Rooyen, Susan, « A Critical Examination on the Peer Process », Learned Publishing, vol. 11, no 3,1998, p. 185-191; van Rooyen, Susan, « The Evaluation of PeerReview Quality », Learned Publishing, vol. 14, no 2, 2001, p. 85-91.
18 HighWire Press, Bench Press, <http://benchpress.highwire.org> ; Beebe, Linda et Barbara Myers, « Digital Workflow : Managing the Process Electronically », The Journal of Electronic Publishing, vol. 5, no 4, 2000 ; <http://www.press.umich.edu/jep/05-04/sheridan.html> ; Wood, Dee, « Online Peer Review », Learned Publishing, vol. 11, no 3,1998, p. 193-198.
19 Pensons, par exemple, au New Journal of Physics : <http://njp.org/>.
20 Ces informations nous ont été transmises par Aldyth Holmes qui est directrice des Presses scientifiques du cnrc. La mise en oeuvre de cette mesure fait ressortir certains points. D’abord, la contribution financière du cnrc pour ces revues n’a pas fléchi et la façon de les produire n’est pas modifiée par cette mesure. Ensuite, un nouvel acteur (public) est intervenu pour les fins de la diffusion en assurant un accès libre aux utilisateurs canadiens et le prix de cette intervention a été établi en référence au coût de production de la revue, mis à part les coûts liés au support papier. Enfin, l’accès filtré et payant a été maintenu pour les utilisateurs non canadiens et autres organismes ayant une adresse IP sans <.ca> et ces revenus sont censés pouvoir équilibrer l’ensemble du budget des revues au cnrc.
21 Après trois ans d’existence, le bilan du projet Muse soulignait en 1998 que la diffusion numérique n’avait pas fait péricliter le nombre d’abonnements ; chez Blackwell, on note qu’il y a un intérêt pour les formats numériques, mais pas tendance à une substitution du support papier pour le support numérique : les utilisateurs préfèrent plutôt combiner une version numérique avec la version imprimée de la revue. Pourtant, on ne considère pas moins que les abonnements pour la version papier sont appelés à disparaître lentement Dans ces deux cas, l’accès en ligne n’est pas gratuit. Pour Muse, qui pratique surtout l’abonnement institutionnel donnant accès aux individus rattachés aux institutions, la consultation se rapproche, dans les faits, de la gratuité pour les individus, mais le maintien d’un abonnement pour la version papier relève d’abord des bibliothèques. Dans le second cas, l’accès est filtré et payant pour les individus et les institutions. Si on peut retenir ces exemples pour la discussion des tenants et aboutissants de l’accès filtré et payant (qui suit), les constats qui sont faits ici ne peuvent être transposés sans réserves, dans la mesure où l’accès gratuit dans le Web change l’environnement général pour les utilisateurs. Marie R Hansen dir., Project Muse, Process Report, The Johns Hopkins University Press avec The Milton S. Eisenhower Library, janvier 1995 à juin 1998,40 p. Hodson, Richard, « The demand for journals — fàct versus fiction », Learned Publishing, vol. II, no 3, juillet 1998, p. 205-208.
22 <http://0-muse-jhu-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/>.
23 <http://highwire.stanford.edu/>.
24 <http://www.bioone.org/bioone/?request-index-html>.
25 Day, Colin, Pricing Electronic Products, communication présentée à aaup/arl Symposium on Electronic Publishing, novembre 1994 ; <http://www.press.umich.edu/jep/works/colin.eprice.html>.
26 Varian, Hal R., « Pricing Electronic Journals », D-Lib Magazine, juin 1996; <http://www.dlib.org/dlib/june96/06varian.html>.
27 Voir University of Chicago Press pour les revues telles que The American Journal of Human Genetics, The Astronomical Journal, Current Anthropology et Astronomical Journal. Il s’agit, pour l’essentiel, de revues publiées pour des sociétés savantes ; <http://0-www-joumals-uchicago-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk>. On pourrait aussi citer les publications de sociétés telles que l’Associationfor Computing Machinery, Institute of Physics, American Institute of Physics, Australian Academy of Science. Robnett, Bill, Online Journal Pricing, The Haworth Press inc., 1997; <http://0-web-mit-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/waynej/www/robnett.htm>.
28 Plusieurs des revues qui se sont jointes à HighWire Press pratiquent ce genre de tarification. Citons au passage AJP: Endocrinology and Metabolism, Genetics, Journal of Applied Physiology et Physiological Reviews. <http://highwire.stanford.edu/>.
29 On parle ici de revues telles que Evolutionary Computation, Journal of Economics & Management Strategy, The Quarterly Journal of Economics, The Journal of Interdisciplinary History; <http://0-mitpress-mit-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/>.
30 <http://highwire.stanford.edu/institutions>. Selon l’éditeur adjoint de la revue, Robert Simoni, le prix de la version numérique est établi afin de valoriser l’autonomie et l’indépendance de la revue numérique par rapport à la version papier et non qu’elle apparaisse comme un ajout à la version imprimée. Robnett, Bill, Online Journal Pricing, The Haworth Press inc., 1997; <http://web. mit.edu/waynej/www/robnett.htm>.
31 <http://www.press.jhu.edu/press/journals/>.
32 D’ailleurs, Johns Hopkins University Press qui a proposé en 1998 aux éditeurs universitaires de se joindre au projet muse, afin de bénéficier de leurs services pour la production et la diffusion des revues, a vu croître le nombre de revues participant au projet, de 44 à plus de 100. La vente des abonnements au panier ou à la collection sectorielle devient particulièrement intéressante ; <http://0-muse-jhu-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/proj_descrip/subscribe.html>.
33 Nous n’avons pas considéré le niveau des prix en fonction de la qualité des formats numériques diffusés ni des services offerts.
34 On peut douter qu’il y ait une forte demande pour l’abonnement individuel en ligne ; dans un proche avenir, l’abonnement individuel devrait se concentrer sur la version imprimée pour ceux et celles qui n’auraient vraiment pas accès à la version numérique par le biais des bibliothèques, notamment, ou qui y seraient réfractaires. Par la suite, il conviendrait de suivre les réactions des lecteurs et de s’ajuster.
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