8. Les minorités culturelles
p. 187-212
Texte intégral
1Dans un texte récent (2004), le politologue Pierre Birnbaum examine de façon éclairante la manière dont le modèle politique français se trouve appréhendé dans quelques théories classiques et contemporaines, celles-ci le définissant a priori comme un type idéal de rapport à l’espace public moderne, au carrefour de compréhensions particulières de la culture, de la citoyenneté et de la nation. Selon Birnbaum, il est possible d’affirmer que certains penseurs du politique et du nationalisme parmi les plus notoires (Berlin, Arendt ou Gellner hier, Kymlicka, Taylor ou Walzer aujourd’hui) ont fondé leur analyse du modèle français en se référant à un idéal-type officiel plus qu’à l’histoire effective de la construction historique de l’État-nation. Il s’agit bien entendu de l’idéal-type de la nation civique, de la nation-contrat, universaliste, républicaine, assimilationniste, volontariste ; un archétype valorisé ou critiqué selon la perspective des auteurs, mais qui ne s’en impose pas moins comme postulat indiscutable à toute entreprise comparative, notamment dans sa mise en opposition binaire avec le modèle allemand de la nation-culture, considérée comme déterministe et objectiviste, voire raciste en sa radicalisation historique. Plus récemment, à mesure que s’approfondissait la compréhension de la nation comme « communauté imaginée » (Anderson, 1996) au détriment de toutes les métaphores organiques ou essentialistes1, l’idéal-type de la nation civique en vint à être présenté en concurrence avec une autre tradition, dite de l’intégration « à l’anglo-saxonne », pluraliste, multiculturaliste et plus ouverte à la reconnaissance des identités ethniques. Alors que, dans la première comparaison, l’idéal-type républicain se voyait en général normativement valorisé pour son aspect intégrateur et individualiste, il faut noter que cette même caractéristique, par simple déplacement du contexte et de la perspective, revêt le plus souvent (hors de France au moins) une connotation négative renvoyant à l’assimilationnisme et la négation de la différence. Soulignons également la double nature, par conséquent ambiguë, de l’idéal-type formé à partir du modèle théorique de la nation française comme « institutrice du genre humain » (Dumont, 1991 : 250). Idéal-type au sens wébérien certes, décrivant une construction intellectuelle pure et abstraite, nécessaire à une meilleure intelligence de la réalité sans pouvoir lui correspondre absolument. Également idéal-type parce que type idéalisé, autrement dit artefact idéologique reflétant fidèlement l’image que cherche à renvoyer le nationalisme majoritaire (ou « nationalisme d’État ») français lui-même, qui – qualité essentielle ou défaut rédhibitoire selon les points de vue – subordonne toute appartenance collective ou culturelle à l’inclusion dans une volonté générale, un bien commun au final exprimé sous la figure de l’État souverain. Dans ce second sens, l’outil intellectuel employé par les penseurs du politique se révèle donc un idéal-type au carré, l’idéal-type (à prétention analytique, donc neutre) d’un idéal-type (reconnu comme idéologique).
2À partir de ce constat initial, notre argument sera développé en trois temps successifs. Tout d’abord, nous reviendrons succinctement sur les convergences de la pensée politique contemporaine quant à l’expression située de ce modèle français, évoquant à cette occasion certains des travaux les plus importants qui alimentent cette vision de « l’universel abstrait », ainsi que les raisons qui poussent aujourd’hui à remettre en cause le républicanisme dit « classique ». Ensuite, il conviendra de nuancer le tableau monochrome et unilatéral donné par partisans et adversaires du nationalisme majoritaire républicain (autant en désaccord sur le jugement à porter sur cette histoire qu’en accord sur ce qu’elle fut), en amenant quelques arguments politiques et historiques à même de relativiser la correspondance de la dynamique nationale française à son modèle idéal universaliste. Dans un troisième temps, nous tâcherons de montrer comment le nationalisme majoritaire français s’attelle aujourd’hui à une « gestion de la diversité » étatique, d’une part selon une insistance prononcée sur le modèle unitaire de l’État républicain au détriment de tout « communautarisme », généralement diabolisé comme figure de la fragmentation sociale et de l’essentialisation particulariste, mais, d’autre part, selon un accommodement implicite et sous-jacent à l’égard des nombreuses « différences » qui contribuent à modifier en profondeur les pratiques publiques et les relations entre identités collectives au sein de l’État-nation français. Enfin, dans une quatrième et dernière partie, nous tenterons de montrer que c’est seulement à condition de reconnaître la dimension indissociablement culturelle et politique de la nation républicaine, comme institution du sens et esprit objectif, que celle-ci pourra le mieux légitimer la quête perpétuelle d’un bien commun situé et contextualisé, qui seul peut nourrir l’expression concrète des droits et libertés individuels.
1. L’État-nation français comme modèle du nationalisme civique
3Qu’ils sympathisent avec le républicanisme abstrait des Lumières comme Habermas ou qu’ils le condamnent au nom des communautés culturelles sacrifiées comme Berlin ou Walzer, la quasi-unanimité des penseurs politiques contemporains s’accorde sur la signification « universaliste » du modèle national français. Dans le débat qui oppose libéraux et communautariens, les premiers valorisent en général la vocation républicaine d’arrachement individuel aux cultures particulières afin d’atteindre une « communauté de citoyens » dépourvue de tout ancrage ethnique, religieux ou racial, ayant comme seul contenu substantiel l’usage d’une langue commune. Pour Habermas par exemple, l’inclusion républicaine suppose que la communauté politique reste ouverte à l’intégration des citoyens de toute origine ou particularité, dans la mesure où « la formation de l’opinion et de la volonté publique et discursive rend possible une entente politique raisonnable y compris entre individus qui sont des étrangers les uns aux autres » (Habermas, 2000 : 66). Aussi, les libéraux reprochent au modèle républicain, construit comme type « pur » individuo-universaliste par le truchement de l’État rationnel, un ancrage national substantiel encore trop marqué, implicitement porteur de connotations ethniques (expression des mœurs majoritaires), lesquelles devraient être surmontées afin d’élaborer un « patriotisme constitutionnel » qui débarrasserait le politique des oripeaux de nationalisme culturel charriés à son insu.
4Sur l’autre versant, les communautariens comme Taylor ou Walzer, à la suite des analyses d’Isaiah Berlin, protestent contre cet « universalisme surplombant » abstrait et désincarné, d’obédience rousseauiste et jacobine, par conséquent négateur des identités culturelles et des communautés historiques, voué à s’institutionnaliser sous la forme d’un instrument d’homogénéisation contraignante et appauvrissante. Le républicanisme jacobin est ainsi qualifié par Taylor d’« intégrisme libéral » (Taylor, in Birnbaum, 2004 : 265) et par Walzer de « communautarisme de gauche » (Geisser, 2005 : 21) hostile au pluralisme culturel. Les communautariens font grief au modèle républicain d’avoir imposé une forme abstraite et bureaucratique à l’encontre des solidarités concrètes qui constituent la trame d’une collectivité historique. À la limite, la convergence de ces deux critiques libérale et communautarienne se trouverait chez un Kymlicka. Pour lui, l’État unitaire et centralisé français se présente à la fois comme manifestation d’une culture majoritaire hégémonique (puisqu’il ne peut exister pour Kymlicka de « culture sociétale » neutre sur le plan ethnoculturel) et à la fois comme instrument d’un assimilationnisme déguisé sous un pseudo-universalisme de surplomb (puisque aucun droit spécifique n’est reconnu aux collectivités minoritaires, qu’elles soient nationales, ethniques ou morales). Kymlicka écrit : « si la France, au temps de la Révolution, ne s’était pas attachée à faire disparaître ses minorités linguistiques, elle aurait certainement été conduite ultérieurement à développer quelque forme de partage multinational du pouvoir – à savoir des formules de fédéralisme ou de consociationalisme (…) » (Kymlicka, in Birnbaum, 2004 : 273). L’argumentation de Kymlicka se développe d’ailleurs sous la forme d’un avertissement lancé à toutes les sociétés postcommunistes qui s’efforcent d’appliquer le modèle républicain afin de mieux « priver leurs minorités nationales de tout pouvoir » (Kymlicka, in Birnbaum, 2004 : 273), ce qui en retour favorise l’exacerbation des conflits ethniques et la pétrification des identités.
5Le terme « culture » bénéficiant d’une polysémie hyperbolique qui favorise sa puissance d’imprégnation, les démocraties libérales paraissent toutes touchées à divers degrés par une « poussée des identités culturelles », un phénomène qui met en question l’existence d’États-nations idéologiquement intégrés, jusque dans les années 1970, autour d’une concordance entre politique, culture et économie. L’entrée en crise de cette triple articulation sous les effets conjugués d’un affaiblissement des institutions collectives (écoles, syndicats, partis, églises), d’une globalisation de l’économie ainsi que d’une occultation de la question sociale s’est effectuée en concomitance avec l’affirmation d’une « diversité culturelle et identitaire » qui présente des facettes multiples : « Minorités nationales, peuples indigènes, minorités religieuses, populations issues des migrations, minorités sexuelles et “comportementales”, minorités “racisées”, (…) constituent autant d’espaces intermédiaires entre l’individu et la nation abstraite organisée en État » (Martiniello, 1997 : 27). Les revendications de ces groupes apparaissent tout aussi diverses que leur nature, allant de la reconnaissance symbolique à l’autonomie politique, voire la souveraineté par sécession, en passant par la demande de politiques préférentielles et de droits particuliers. Dans quasiment toutes les sociétés contemporaines se pose ainsi l’incontournable problématique de la conciliation entre la diversité culturelle et identitaire d’une part, l’unité politique et la cohésion sociale d’autre part. Ainsi que l’écrit Wieviorka (1996 : 36) :
… replacée dans une perspective internationale et comparative, l’expérience française n’est pas seulement celle d’un pays connaissant la même mutation que d’autres et où, toutes proportions gardées, la poussée des identités particulières demeure un phénomène encore limité. C’est aussi celle d’un pays qu’effraie l’idée même d’une telle poussée, et qui, de façon générale, se sent menacé pour sa place culturelle dans le monde (…).
6C’est dans ce contexte que la remise en cause de l’histoire établie (sur la colonisation, Vichy ou l’immigration), la crise économique et sociale ainsi que la montée d’un nationalisme conservateur radical (porté par le Front national) nourrissent une défiance à l’égard de toute reconnaissance minoritaire, immédiatement taxée de communautarisme, fragmentation, ghettoïsation. Dans cette optique, le repli sur le modèle d’intégration républicaine et la crispation sur une certaine idée de la laïcité incarnée par la stricte séparation entre sphères publique et privée continuent d’incarner le fondement même de la vie collective, toute particularité culturelle ou identitaire ne s’avérant acceptable (selon les libertés fondamentales d’association, de religion ou d’expression) qu’à la condition expresse de ne pas fonder une identité « politique » particulière, reconnue en tant que telle dans l’espace public.
7Avant de revenir sur la manière dont ce modèle répond aujourd’hui à la crise des institutions de l’État-nation, il convient de relater succinctement quelques éléments d’une évolution historique qui tendent à donner une image plus nuancée du modèle d’intégration française, notamment en reprenant et en discutant la réalité historique du nation-building par rapport à son idéal républicain.
2. Une réalité historique parfois éloignée du modèle idéal
8Il nous faut procéder à un bref examen des deux critiques les plus couramment adressées au mythe de la nation républicaine universelle, émancipatrice des droits humains et libertés individuelles par leur assomption en une volonté générale. Ces deux critiques prétendent dévoiler la réalité effective de ce mythe républicain, à travers la divulgation de ses soubassements idéologiques, d’une part, et de ses pratiques historiques, d’autre part. La dialectique historique entre théorie universaliste des droits humains et incarnation particulière sous les traits de l’État-nation français se trouve ainsi mise en question sur ses deux faces. La première critique consiste à déceler sous l’universalisme abstrait la présence d’un assimilationnisme autoritaire, destructeur de cultures concrètes et de modes de vie authentiques, par le moyen de l’imposition de normes contraignantes dans le domaine linguistique (francisation), économique (industrialisation) ou social (urbanisation). La seconde critique entreprend de dénoncer l’hégémonie d’une culture ethnique majoritaire, un « ethnorépublicanisme » (ou « communautarisme majoritaire » : Geisser, 2005 : 21) appliqué à re-hiérarchiser les appartenances, c’est-à-dire à inventer une figure nécessairement stigmatisée et infériorisée de l’altérité, sur un mode sexuel, religieux ou racial notamment. Précisons que ces objections, a priori contradictoires puisque relevant pour l’une de l’abolition de la différence et pour l’autre de sa réification (donc de son accentuation artificielle), peuvent au final malgré tout se recouper. Ainsi, un courant multiculturaliste radical considérera la construction de l’État français comme un assimilationnisme interne doublé d’un colonialisme externe, double domination qui, aujourd’hui, se reporterait sur des populations immigrées sommées de s’intégrer, par le déni d’une partie de leur identité, tout en étant systématiquement discriminées à partir de cette identité même ou de l’image stigmatisante que la culture majoritaire s’en fait.
L’assimilation comme concrétisation idéologique du modèle universaliste
9Depuis une trentaine d’années, bon nombre de travaux politiques, sociologiques et historiques se sont évertués à remettre en question la mythologie tant nationale que républicaine, élaborée à partir d’un système de valeurs qui joint les idéaux révolutionnaires (droits de l’homme, égalité citoyenne, libertés fondamentales, État rationnel, souveraineté populaire) à un imaginaire « ethnique », renvoyant au destin universel d’un peuple, incarné par les épopées monarchiques et identitaires (Vercingétorix, Clovis, Charlemagne, saint Louis, Jeanne d’Arc, Louis XIV, Napoléon)2. Dans une citation célèbre comparant les idéologies nationales sous-jacentes à l’opposition franco-allemande, Louis Dumont (1991 : 249) affirmait : « dans sa propre idée de lui-même, le Français est homme par nature et français par accident, tandis que l’Allemand se sent d’abord allemand, et homme à travers sa qualité d’Allemand ». Le « Vive la nation ! » lancé à Valmy exprimera donc l’identité du peuple historique désormais dépositaire de la souveraineté territoriale et du peuple nouveau composé d’individus libres et égaux en droit : « le peuple d’un pays, d’un territoire se donne à l’universalité » (Dumont, 1991 : 263). La « société nationale » française naissante, héritière de la centralisation absolutiste ainsi que le montra Tocqueville dans L’ancien régime et la révolution, va, tout comme ses homologues anglaise ou américaine, identifier sa culture nationale et sa voie modernisatrice avec « la » modernité, « le » développement et « la » civilisation (Lapeyronnie, 2003 : 37). La « nationalisation » des sociétés à partir du XVIIIe siècle ne se réalise que par « la diffusion d’une “culture” standardisée combinant l’universalisme individualiste de la modernité à la particularité d’une continuité et d’une expérience historiques » (Lapeyronnie, 2003 : 38).
10Les révolutionnaires français se nommaient « patriotes », et l’idée nationale se révélera intimement couplée par la république à la démocratie parlementaire et laïque jusqu’à la fin du XIXe siècle (au moment du boulangisme3 et de l’affaire Dreyfus), lorsque apparaît une nouvelle forme de nationalisme organique et ethnoculturel. Jusqu’alors, l’opposition au patriotisme républicain résidait dans un parti catholique, monarchiste, anti-libéral et, du fait de ses ramifications aristocratiques, profondément cosmopolite. De fait, la République « une et indivisible » après 1875 se construit d’abord à l’encontre des résistances régionales, liées aux forces religieuses et politiques qui rejettent les acquis de la Révolution. La bigarrure géographique, ethnologique et linguistique des terroirs français recouvre au XIXe siècle une diversité réputée ruineuse pour l’unité nationale. Depuis la révolte de la chouannerie vendéenne et les émeutes contre-révolutionnaires d’une paysannerie majoritairement monarchiste et catholique, « les particularités régionales n’apparaissent pas seulement aux républicains comme un archaïsme esthétique, mais comme une régression, voire une sécession criminelle » (Ozouf, in Chanet, 1996 : 6). Depuis l’historiographie nationaliste du XIXe siècle français (Lavisse, Michelet), et à la suite du ralliement des catholiques au républicanisme patriotique, s’est élaborée « une généalogie tout à la fois royale et nationale » (Gallissot, 1989 : 33), les fameux « quarante rois qui ont fait la France ». Cette mythologie nationaliste est restée communément admise jusqu’à la mise en évidence, notamment grâce à des historiens étrangers comme Eugen Weber, du « vaste programme d’endoctrinement des masses paysannes, qui “correspond à une sorte de colonisation” » (Ozouf, in Chanet, 1996 : 8). L’ouvrage de Weber, Peasants into Frenchmen, publié en 1976 et traduit sous le titre La fin des terroirs (Weber, 1983), constitue d’ailleurs la source et la référence essentielle des critiques d’obédience communautarienne comme Walzer pour souligner la contrainte étatique ayant présidé à la formation d’une culture nationale aussi tardive que la IIIe République, donc postérieure à 1870. Un historien réputé tel que Fernand Braudel ne se privera d’ailleurs pas, dans sa recherche d’une longue durée conduisant à définir L’identité de la France (Braudel, 1990), d’intituler son chapitre introductif « Que la France se nomme diversité », évoquant une France pré-révolutionnaire « diverse jusqu’à l’absurde » (ibid. : 32) quant aux unités de mesure, économies locales, costumes, organisations familiales, formes d’héritage, styles d’habitat, matériaux de toiture, sans parler des différences naturelles de climat, de végétation et d’animaux. La diversité de constitution des villes et des provinces se superpose à ce qui frappe le plus l’entendement, à savoir l’invraisemblable profusion des langues, qui complexifie la confrontation historique entre langue d’oc et langue d’oïl. Car, sans compter les langues quasi étrangères que sont à la périphérie du royaume le basque, le breton ou les dialectes flamands et allemands, les familles de patois provinciaux se subdivisent presque à l’infini. Les enquêtes réalisées à la Révolution montrent qu’à presque chaque village correspond une langue particulière, et que l’intercompréhension s’arrête à quelques dizaines de kilomètres de chaque point de référence. C’est seulement depuis le milieu du XVIIIe siècle, disent les informateurs à l’abbé Grégoire responsable d’une enquête de grande envergure, que s’impose le français comme langue d’échange4, en raison surtout des brassages de population, de la montée du commerce et du développement des moyens de communication, essentiellement les routes.
11Le travail d’Eugen Weber permet de radicaliser ce constat historique. Le paysan français de la fin du XIXe siècle est considéré comme un sauvage, largement illettré, ignorant le système métrique, la monnaie et la langue française. L’hexagone pour Weber est « un empire colonial qui s’est formé au fil des siècles, un ensemble de territoires conquis, annexés et intégrés dans une unique structure administrative et politique » (Weber, 1983 : 689) : le Languedoc et le Centre au XIIIe siècle, l’Aquitaine et la Provence au XVe, la Bretagne au XVIe, la Navarre, le Pays basque, le Béarn, le Roussillon, la Franche-Comté, une partie de l’Alsace et des Flandres au XVIIe, la Lorraine, la Corse au XVIIIe, la Savoie et Nice au XIXe. La France de 1870 ne correspond en aucun cas à la définition de la nation que donne classiquement Mauss, « une société matériellement et moralement unifiée ». Pas d’histoire commune, peu d’échanges économiques ou de communications, « la culture française ne devint réellement nationale que dans les dernières années du siècle » (Weber, 1983 : 691), et ce, grâce à un travail d’acculturation autoritaire qui promeut la désintégration des cultures locales selon un processus dit de modernisation. C’est une véritable mission civilisatrice engagée par l’administration républicaine à l’égard des Landes, de la Corse, de la Savoie ou de la Bretagne. Selon Eugen Weber, si Renan avait pris la peine en 1882 de réfuter la conception allemande de la nation-culture portée par Herder, Fichte ou Humboldt en insistant sur le consentement et l’État comme volonté politique, c’est parce que les langues et traditions s’avéraient bien incapables de constituer une communauté nationale en France, laquelle ne sera effective qu’à la suite d’une centralisation accomplie par la force d’un pouvoir étatique5.
12Un autre exemple de la constitution d’une société nationale par l’État tient à la progressive élaboration d’une définition de la « nationalité » et, par contrecoup, des catégories visant à classifier l’étranger, l’exilé, le réfugié. Les lois sociales de la IIIe République inaugurent l’adoption inédite de mesures fondées sur la « préférence nationale », concernant les accidents de travail, le soutien aux personnes âgées, les droits syndicaux ou l’accès à certaines professions. La « nationalisation du social » (Noiriel, 1998 : 307) ne peut avoir lieu que grâce à un sérieux accroissement des contrôles bureaucratiques et policiers, ainsi qu’à la généralisation des procédés d’identification individuelle, dont l’anthropométrie et les papiers d’identité. Par ailleurs, le politologue Rogers Brubaker (1997) a pu montrer comment la Révolution française avait oscillé entre le cosmopolitisme des droits de l’homme (accordant la nationalité aux sympathisants révolutionnaires comme Cloots et Paine) et une suspicion généralisée envers les potentiels « ennemis de l’intérieur », devenus rapidement des « étrangers » (émigrés, prêtres, aristocrates). Le « droit du sol » (jus soli), en général considéré comme l’une des preuves de l’intégration civique à la française, reposerait moins selon Brubaker sur une générosité envers les résidents étrangers que sur la nécessité de pouvoir les enrôler en cas de guerre et de les soumettre à l’impôt. L’extension significative du jus soli sous la IIIe République naissante (1889) s’appuie sur des arguments démographiques et militaires, tout en trouvant en l’égalitarisme républicain une légitimation ultime : la nécessité de faire disparaître les « différentes nations dans la nation française » qui constituent un défi à l’unité nationale. La « rhétorique de l’intégration » pour les immigrés dits de la deuxième génération serait fondée en dernière instance sur la confiance française en son génie messianique propre.
13Tout en tenant compte des réalités liées à ces pratiques assimilationnistes de la part d’un centralisme auto-proclamé universaliste, il semble nécessaire d’apporter quelques nuances au tableau. Tout d’abord, il faut signaler que ce processus historique s’inscrit dans une problématique générale, la modernisation, qui dépasse de loin le seul cas de la société française et peut être étendu à la quasi-totalité des États-nations existants, y compris pour une large part les États multinationaux, lesquels n’en sont pas moins intégrés autour d’une « culture sociétale » prédominante, pour parler comme Kymlicka. Ensuite, l’assimilationnisme républicain compris comme un colonialisme interne par Eugen Weber a été relativisé par de nombreux ouvrages de l’historiographie récente. Ainsi, alors que Weber s’appuie sur les textes officiels des administrateurs parisiens jugeant l’arriération des campagnes, une approche quasi ethnologique des instituteurs villageois ou des manuels scolaires permet de contester « la légende noire de l’école républicaine » et de rappeler l’exaltation des « petites patries » et des identités régionales propre au discours patriotique. La mise à l’honneur du localisme et les aléas de la francisation linguistique montreraient plutôt un modèle républicain tissé de compromis et d’accommodements, ayant su au moins partiellement réconcilier l’attachement aux devises contradictoires des droits de l’homme et de « la terre et les morts » (Chanet, 1996 : 26) : la construction des identités locales mise en œuvre entendrait montrer que chaque partie de la France, par-delà ses spécificités, est « quintessence de la nation » (Thiesse, 1997). Enfin, la « nationalisation » des sociétés, source de surveillance et d’oppression, a également constitué l’un des vecteurs essentiels de la participation démocratique, de l’intégration citoyenne et de l’élargissement des droits sociaux à des populations de plus en plus nombreuses, notamment d’origine étrangère.
La discrimination comme concrétisation pratique du modèle universaliste
14La seconde thématique critique quant au modèle d’intégration français se trouve illustrée par les discriminations historiques à l’encontre des peuples colonisés, dont l’analyse historique vient d’ailleurs d’engendrer de vives polémiques à propos du caractère intrinsèquement génocidaire de la colonisation républicaine, principalement autour du livre d’Olivier La Cour Grandmaison (2005)6 intitulé Coloniser, exterminer. La IIIe République engage une épopée coloniale sur les cinq continents au nom des valeurs universalistes7, légitimant ainsi son entreprise par un recours aux principes de 1789 censés la distinguer radicalement des conquêtes visant la puissance ou l’intérêt : « c’est parce que la France revendique l’égalité des hommes qu’elle a, plus que d’autres, le droit de coloniser le monde » (Blanchard et Bancel, 2005 : 27). Loin d’être seulement une concession aux hommes d’affaires coloniaux ou à une armée avide de revanche, le projet colonial s’associe aux valeurs essentielles du patriotisme républicain : progrès, égalité, grandeur nationale. Pour Ferry, Gambetta ou Jaurès, ses théoriciens, la République doit certes revendiquer une politique de puissance coloniale, seule garantie de sa grandeur en Europe, mais surtout, ses valeurs universelles légitiment l’ambition impérialiste de « civiliser » les indigènes et de les amener progressivement aux lumières de la liberté. La distinction entre Blancs et populations extra-européennes « institue l’inégalitarisme racial au cœur du dispositif républicain colonial, de façon mécanique, juridique, institutionnelle, littéraire et iconographique » (Blanchard et Bancel, 2005 : 29). Le concept de « mission civilisatrice » entraîne l’invention de cet « homme/non-homme » qu’est l’indigène, et la perpétuation d’une inégalité de fait entre colons et colonisés. Le concept d’assimilation, qui reste l’élément justificatif de l’entreprise de colonisation, s’avère subordonné aux caractéristiques des populations dominées. La non-séparation des droits privés et publics permet de refuser la citoyenneté à la majorité des sujets coloniaux, par exemple aux musulmans, qui ne peuvent de facto se soumettre à la loi civile française. En général, la qualité de citoyen français impliquait pour l’indigène une renonciation à son statut personnel8. Le problème se posera à nouveau pour l’Algérie au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. La IVe République va finalement instaurer une « double citoyenneté », l’une pour les ressortissants de la République, l’autre pour ceux de l’Union française, avec le maintien d’un double collège électoral par crainte d’une domination en nombre des indigènes. Il est ici visible que la prééminence des thèses assimilationnistes interdit toute esquisse de solution fédérale, alors même que le refus hypocrite de l’octroi de la pleine citoyenneté avec le double collège s’avère en totale contradiction avec ces thèses. Cependant, pour être juste, il faut également signaler que « aucune puissance coloniale, sauf la France, n’a admis de reconnaître aux originaires de ses colonies le droits d’élire les organes politiques de l’État » (Borella, 1991 : 223), ce qu’a fait la Constitution de 1795 puis la Loi de 1833 pour certains territoires qui deviendront les D.O.M. (Départements d’Outre-Mer)9. Il existe donc bien une conception assimilationniste et égalitaire qui, pour partie, s’incarne dans les pratiques républicaines à l’égard des populations colonisées.
3. La « gestion de la diversité culturelle » par l’État républicain
15Ainsi qu’il a été dit, le contexte de ces dernières années oblige de plus en plus à repenser la façon de concevoir la pluralité dans l’unité nationale, que ce soit sur le plan des différences religieuses, nationales, ethniques ou morales s’affirmant sur la scène publique. Bien entendu, une lourde ambiguïté sémantique pèse sur ce concept de « minorité » (tout comme sur celui de « communauté » ou de « culture »), censé légitimer les revendications collectives au nom du pluralisme culturel et les politiques publiques dites « multiculturalistes ». Nous sommes en présence d’une extraordinaire hétérogénéité de questions lorsque nous abordons les « identités collectives », que l’on peut à tout le moins tenter d’éclaircir en recourant aux distinctions énoncées par Kymlicka (2001) : minorités nationales territorialisées, minorités ethno-religieuses et minorités stigmatisées à partir d’un trait social (un handicap, une orientation sexuelle). Ne seront ici évoquées, faute de place, que les deux premières catégories, qui relèvent indiscutablement de la diversité dite « culturelle », bien que les décisions publiques récentes en faveur de la parité hommes-femmes ou la question brûlante du mariage homosexuel eussent mérité d’être abordées également.
16D’emblée, il convient de rappeler que la République française ne reconnaît officiellement aucune minorité ethnique ou nationale, et que les religions et langues autres que le français relèvent de l’exercice privé des libertés publiques. Dans la visée républicaine, il ne s’agit pas de s’opposer de façon radicale à l’expression des particularismes, mais de les enserrer dans un cadre juridique strict. La communauté politique, source de souveraineté dans l’État, se proclame « une et indivisible10 », ce qui conduit à décréter l’universel et à ne considérer les éléments de diversité qu’à titre secondaire. L’État-nation ne tolère en fait le discours minoritaire qu’en le privant de sa dimension collective et en le réduisant à une affaire d’ordre individuel. À l’usage cependant, du fait de la reconnaissance officieuse d’un pluralisme cantonné dans la sphère des droits individuels, le modèle républicain se révèle moins rigide qu’il n’y paraît. Comme l’écrit la juriste Geneviève Koubi (2004 : 282) : « L’antinomie profonde entre la forme d’un État unitaire marqué par la philosophie jacobine centralisatrice et la notion de pluralisme politique, juridique, social et culturel, est tempérée par la qualité démocratique de la République française. »
La question des minorités nationales
17L’aspect unitaire de l’État français et l’unicité du peuple français, sociologique et juridique, sont constamment rappelés par le Conseil constitutionnel, comme en 1991 en refusant d’accorder le statut de « peuple » de la Corse ou en 1999 en refusant d’accepter la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, au prétexte que « la langue de la République est le français11 ». La coïncidence postulée entre État et nation n’échappe cependant pas aux tensions provoquées par les appartenances infranationales, ce qui engage la nécessité d’une « adaptation institutionnelle », notamment par « la reconnaissance d’un droit à la différence statutaire » (Rouland et al., 1996 : 311), qui fait de la République française dans la réalité un « État unitaire pluri-législatif » (Koubi, 2004 : 305). La Corse par exemple se voit dotée depuis 1991 d’un statut d’autonomie interne, proche de la catégorie des territoires d’outre-mer, catégorie elle-même particulièrement hétérogène. Car c’est surtout dans le cas de ces territoires d’outre-mer que la tradition d’uniformité jacobine cède nettement le pas : le statut de certains territoires comme la Polynésie française, Wallis-et-Futuna ou jusque récemment Mayotte, se révèle proche du fédéralisme par la possession d’une « autonomie interne12 », l’utilisation d’un drapeau et d’un hymne particuliers, mais surtout par la possession d’une « spécialité législative », qui comprend un véritable gouvernement local responsable devant une assemblée délibérante et le maintien d’un droit coutumier prépondérant. Wallis-et-Futuna, par exemple, vit sous la cohabitation de principes républicains et monarchiques13. La large participation des assemblées territoriales d’outre-mer à leur organisation particulière a conduit certains juristes à reconnaître ces territoires comme des « esquisses d’États fédérés » (Rouland et al., 1996 : 327), ce qui peut à terme, par exemple pour la Nouvelle-Calédonie, se muer en cheminement vers l’indépendance. Si les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion) obéissent officiellement aux mêmes règles que les départements métropolitains, l’État a pu être conduit, comme en Guyane, à des recensements sur base ethnique contraires à l’égalité indifférenciée prônée, et ce, comme préalable à la reconnaissance de coutumes particulières.
18En métropole, la République semble marquée du sceau de la contradiction, dans la mesure où l’hégémonie réaffirmée du français semble s’opposer à un vaste mouvement de promotion des langues régionales, parallèle à une décentralisation réelle. L’enseignement facultatif des langues régionales se trouve certes autorisé depuis 1951, mais nul statut officiel n’a même été envisagé. De fait, la République propose une méthode originale de « gestion » de la diversité culturelle : refus de s’appuyer sur des dissemblances sociales et culturelles réelles ou supposées, mais volonté de « territorialiser » les revendications socioculturelles, notamment selon un processus de décentralisation. On tente ainsi d’intégrer les langues régionales « dans le patrimoine culturel national de la France » (Koubi, 2004 : 292), et donc de disculper le modèle d’indifférenciation républicaine de l’accusation d’uniformisation des cultures et pratiques sociales. La segmentation en zones régionales permet de penser la diversité culturelle sous couvert des politiques sociales et territoriales. De plus, l’institutionnalisation récente des régions (en 1982, sur la base des « pays » médiévaux14) peut s’interpréter autant comme la reconnaissance d’une réelle diversité culturelle des « anciennes provinces » qu’une tentative de limiter les revendications identitaires. Car la collectivité territoriale régionale s’impose en interaction avec l’identité culturelle sans pour autant la recouper, ce qui peut avoir pour effet de désamorcer les tensions liées à la reconnaissance de minorités « nationales », en Bretagne, au Pays basque, en Catalogne ou en Alsace. Cette dynamique de reconnaissance s’est vue récemment consacrée par l’adoption en juillet 2008 d’un amendement à l’article 75 de la Constitution affirmant que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », un addendum capital qui devrait se traduire par de nouveaux droits concrets en matière d’enseignement, de création et de diffusion de supports culturels.
La question des minorités ethniques et religieuses
19La conception républicaine de l’égalité se traduit par l’affirmation d’une neutralité étatique à l’égard des opinions et convictions personnelles en matière religieuse. Cependant, la volonté de ne pas par contrecoup favoriser le culte majoritairement pratiqué oblige l’État à concevoir un « traitement différentiel de situations objectivement différentes » (Rouland et al., 1996 : 329). La laïcité qui définit l’État se présente comme un concept équivoque, qui, compris strictement, interdit toute intervention de l’État dans le domaine religieux, alors que selon d’autres interprétations, il comporte une reconnaissance du fait religieux par l’État, ne serait-ce que pour sanctionner les manifestations religieuses contraires à l’ordre public. C’est évidemment le port de signes religieux à l’école publique, notamment le fameux « foulard islamique », qui a incarné cette controverse ces quinze dernières années, obligeant la puissance publique et le Conseil d’État à naviguer entre liberté de conscience assortie d’un droit à arborer des insignes religieux et refus du prosélytisme ou du trouble à l’ordre public. Par ailleurs, les convictions religieuses paraissent désormais davantage prises en compte dans les institutions publiques, par exemple l’autorisation d’absence en cas de fête religieuse, le choix de la nourriture dans les écoles, les permissions d’abattage rituel, etc.
20L’exemple des juifs de France a longtemps été considéré comme le symbole d’une intégration réussie aux valeurs de la République. La fameuse phrase révolutionnaire affirmant qu’il fallait « refuser tout aux juifs comme nation, et accorder tout aux juifs en tant qu’individus15 » représente bien finalement la trajectoire des juifs de France, appelés à s’assimiler non seulement socialement et économiquement, mais aussi politiquement et même culturellement. Ce n’est que depuis la Deuxième Guerre mondiale et la décolonisation, source d’arrivée de nouvelles populations juives notamment sépharades (issues d’Afrique du Nord), qu’a émergé un nouveau discours visant, sur le modèle américain, à souligner un particularisme culturel et à le reconsidérer sous l’angle de l’ethnicité. L’oscillation entre les positions assimilationnistes et particularistes s’est déplacée à partir des années 1970, au profit de plus en plus net d’affirmations identitaires (Wieviorka, 1996 : 281). Les guerres israélo-arabe puis israélo-palestinienne ont d’ailleurs joué un grand rôle dans cette évolution. Toujours est-il qu’une poussée religieuse d’ampleur, par exemple avec les succès du mouvement messianique des Loubavitch16, complète une présence associative toujours plus marquée, notamment dans certains dossiers politiques liés à l’antisémitisme de l’État vichyssois.
21La question de l’islam en France, quant à elle, est brouillée par son association indue avec l’immigration issue des pays arabes ces quarante dernières années. Indue car une bonne partie des musulmans de France provient de pays d’Afrique Noire, alors que parmi les jeunes Français d’origine maghrébine, bon nombre n’ont de l’islam qu’une connaissance limitée et ne pratiquent aucune religion. Cependant, dans un contexte de tension et de stigmatisation, pour une part visible à travers la présence depuis plus de vingt ans d’un parti d’extrême droite aux accents xénophobes, les pouvoirs publics, tout en insistant sur les bienfaits de l’intégration, de la non-discrimination, jouent un rôle ambigu. Interdisant la construction de mosquées mais en recherche d’interlocuteurs privilégiés dans la communauté, les autorités étatiques ont progressivement favorisé l’avènement de lobbies confessionnels, par exemple à travers la création du Conseil français du culte musulman, qui a parfois provoqué une radicalisation des revendications particularistes. L’importance de la colonisation dans la perception sociale du musulman, doublée d’une remise en cause des institutions républicaines, provoque en France un sérieux doute sur l’intégration de cette population, alors que la plupart des enquêtes démontrent qu’il s’agit en l’occurrence davantage d’un problème socioéconomique que d’une question ethnique et identitaire. Cette population médiatiquement nommée « arabo-musulmane » continue à être largement sous-représentée au sein des élites politiques et culturelles, hormis quelques nominations symboliques (une ministre puis députée, un préfet, une secrétaire d’État). L’islam aujourd’hui renvoie « à la République l’image de ce qu’elle n’est plus, une France forte et assimilatrice » (Benbassa, 2005 : 61), imposant l’invention d’un universalisme pluraliste et d’une laïcité plurielle.
22Enfin, depuis une quinzaine d’années et sous forte influence anglo-saxonne, s’est engagée une politique de « lutte contre les discriminations », chargée d’abroger les mécanismes de filtrage ethnique et racial observés dans l’ensemble de la vie sociale et se traduisant par des inégalités dans l’école, le logement, l’emploi ou l’accès aux services publics. Si ces mesures anti-discriminatoires peuvent être considérées absolument en phase avec l’égalitarisme républicain aveugle aux différences indues quant aux droits politiques et socioéconomiques, il n’en va pas de même avec une tendance globale contemporaine, accélérée par l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, qui semble viser le développement d’un « multiculturalisme à la française », par des mesures chargées de promouvoir l’expression de différences dites culturelles sur la sphère publique. Une controverse majeure s’est développée dans le monde scientifique quant à la pertinence de « mesurer la diversité » par des outils statistiques. Certains spécialistes favorables aux politiques publiques de discrimination positive jugent que les États-Unis, contrairement à la France, ont su affronter la question raciale et la différence ethnique, et en concluent la nécessité d’introduire des catégories statistiques ethnoraciales dans les entreprises, les administrations, les écoles, les médias ou ailleurs. En point de mire se trouverait un changement dans la Constitution, par l’inscription du respect de la diversité et de la visée d’égalité réelle, à l’image des diverses catégories spécifiées dans la Charte des droits et libertés canadienne.
23Ces velléités de changement profond dans les conceptions fondamentales de la tradition républicaine portent, malgré leurs louables intentions, de graves dangers quant à la cohésion sociale et au maintien d’une conception citoyenne de l’appartenance. Sans pouvoir discuter en profondeur l’instauration d’une « discrimination positive » à la française, l’on peut se contenter de rappeler que la catégorisation nécessaire à une telle politique recèle un nombre infini de confusions conceptuelles, d’imprécisions sémantiques et de non-dits idéologiques, à commencer par l’hétérogénéité des groupes identifiés comme « minoritaires » (à partir d’un trait sexuel ou comportemental, d’une couleur de peau, d’une religion, d’une incapacité physique ou autre), mais surtout en raison des difficultés inhérentes à la définition présidant à l’attribution d’une ethnie ou d’une race, y compris comme facteurs de discrimination positive. On ne peut s’empêcher de noter le paradoxe intellectuel qui conduit, en vue d’orienter les politiques publiques, à institutionnaliser officiellement des catégories (race, ethnie, culture, sexe) que les sciences sociales se sont attachées à déconstruire et dénaturaliser depuis plus de trente ans, et ce, pour en souligner le caractère inadéquat comme marqueurs personnels distinctifs.
24Par-delà ces problématiques du rapport présent de la république aux minorités, nous souhaiterions dans une dernière partie nous interroger brièvement sur la nature même de la perspective républicaine dans son développement historique et son orientation future.
4. Réinterpréter la République comme une tradition politico-culturelle
25Ainsi que le rappelle Walzer (2000 : 432), « il ne saurait y avoir de société d’individus libres sans processus de socialisation et sans culture de l’individualité, sans régime politique qui vienne défendre le tout et que les citoyens seraient eux-mêmes disposés à défendre, le cas échéant ». L’« association involontaire », toile de fond constituant l’agencement social des valeurs, est une caractéristique permanente de toute vie en société, et l’effacement remarquable de cette dimension constitutive de tout être-ensemble dans les contrées libérales-démocratiques pose un problème conceptuel fondamental, qu’exprime de façon concrète la confusion existant dans les débats français à propos de la reconnaissance des identités dites culturelles.
26Nous partirons d’un postulat socio-anthropologique, que l’on nomme souvent « holiste », selon le concept attaché à l’œuvre de Louis Dumont (1983) : une société, au sens fort du terme, se définit par l’existence d’un esprit objectif des institutions, pour reprendre les termes du philosophe Vincent Descombes (1996), c’est-à-dire d’un ancrage en une tradition politico-culturelle qui donne sens aux représentations groupales ou individuelles concrètes, les médiatise et les articule. La « culture commune » se comprend ainsi comme une complémentarité plus qu’une homogénéité. Ce qui manifeste l’unité n’est pas un même contenu dans les têtes, une même caractéristique sur les corps, une même façon de vivre un fragment de vie, ainsi que se conçoivent les « communautés » morales, ethniques, sexuelles, mais la possibilité que différentes perspectives se correspondent, et que s’élabore une concordance par relations, par inscription dans un destin partagé.
27Cette prise en compte de l’enracinement des pensées et des pratiques individuelles et collectives dans un univers de sens préconstitué et dynamique, un monde de sens déjà-là, offre une compréhension renouvelée à la dimension « républicaine » de la tradition politico-culturelle française. L’appartenance de la personne à son groupe de référence privilégié doit être prioritairement définie par le politique, qui subordonne toute inclusion explicitement ethnique ou religieuse dans la perspective d’une histoire partagée. La démocratie républicaine, « puissamment intégrée par les valeurs de l’individualisme » (Descombes, 1999 : 45), trouve son unité dans des valeurs communes, en tant qu’elles constituent une condition indépassable pour toute entreprise collective de délibération. Des valeurs communes mais certes partielles, en tant qu’elles s’avèrent spatialement et historiquement situées, exprimant ainsi « l’universel concret » d’une collectivité, et susceptibles d’être modifiées par l’instituant collectif. Car l’État-nation souverain moderne ne s’est pas imposé, contrairement à ce qu’affirme la thèse multiculturaliste, afin d’organiser la juxtaposition de « communautés culturelles » distinctes comme lieux de référence symbolique, mais plutôt en vue d’assurer la coexistence de définitions rivales de la société globale, chacune aspirant potentiellement à détruire ses concurrentes, selon l’archétype des guerres de religion. Est-on véritablement sorti de ce cadre de pensée au profit d’un pluralisme harmonieux entre appartenances subjectives, relatives et transitoires ? Rien n’est moins sûr. La suprématie du politique, et donc l’identification d’une instance souveraine, ne peuvent s’appréhender qu’à l’aune de cette exigence historique. Ce principe de tolérance suppose donc que le pouvoir souverain est à tout moment capable de restreindre les actions des divers groupes, et que c’est lui qui donne des limites à l’expression des formes de vie, et non elles qui constituent les frontières de son pouvoir.
28La perspective nationale-républicaine possède alors comme finalité propre de transcender « les micro-solidarités exclusives des groupes clos sur eux-mêmes, sans pour autant nier la multiplicité des affinités, des fidélités et des appartenances caractérisant la dimension affectivo-imaginaire de chaque vie individuelle » (Taguieff, 2001 : 195). Certains écrits de Charles Taylor se sont attachés à ériger un pont entre communautarisme et républicanisme, visant à respecter tant la nécessité de l’enracinement local et participatif des pratiques politiques que le questionnement républicain sur l’intérêt général, qui préside à l’autodétermination d’une société dans le temps : « l’optique communautarienne viendrait ainsi nourrir le républicanisme, en fournissant, à travers la conception des valeurs partagées par une communauté, cette identification à des objectifs collectifs et ce souci du bien commun que la pure dynamique des droits individuels risque d’éroder » (Mesure et Renaut, 1999 : 164). Car la langue commune, les valeurs culturelles partagées et les traditions historiques restent partie intégrante de toute communauté politique fonctionnelle, contribuant à incarner l’idéal d’un patriotisme républicain qui met l’accent sur les significations proprement communes comme modes de citoyenneté, de relation sociale et d’action mutuelle. Ces « valeurs substantives partagées » et « biens sociaux communs » comme création collective continuée représentent une condition sine qua non quant à la possibilité même de délibérer sur les critères du juste et de l’injuste au cours du cheminement historique d’une communauté indissociablement politique et culturelle (Castoriadis, 1996).
***
29Il est un fait de constater, comme le répètent inlassablement ses détracteurs, la dimension « construite » et « artificielle » de la nation républicaine moderne – d’ailleurs simplement historique, dirions-nous, à l’instar de toute construction sociale. En déduire son illégitimité sur cette base n’en est pas moins une profonde erreur. Car cela sous-entendrait qu’il existe derrière cette « fausse » unité, soit des identités « naturelles » plus solides – et l’on risque de retomber rapidement sur des ethnies ou régions tout aussi « construites » (sur des critères religieux, linguistiques ou autres, par isolement d’une caractéristique collective) –, soit on retomberait sur des individus dits « métissés », sans appartenance stable, dans un monde postmoderne enfin libéré des vieilles lunes nationalistes. Pourtant, même lorsqu’elle se pense comme « société des individus » ouverte sur l’universel des droits de l’homme, la nation républicaine, pour communauté de citoyens qu’elle soit, n’en reste pas moins assise sur des valeurs spécifiques et historiques, sur une tradition politico-culturelle particulière qui s’appuie sur, reconduit et réinterprète un « espace d’intelligibilité », un monde de significations communes. Ainsi que le rappelle Pierre-André Taguieff (2001 : 173), « il n’est pas de vie proprement humaine qui puisse se passer d’institutions stables, de systèmes d’appartenance, de transmission et de filiation dotés d’une invariance relative ».
30Nous avons tenté par ce bref aperçu de donner quelques balises historiques et contemporaines qui définissent la nature des relations entre le nationalisme républicain, d’affirmation universaliste, et les minorités culturelles, le plus souvent renvoyées à leur particularisme. Nous sommes en présence d’une mythologie, mais une mythologie réelle, aux conséquences bien visibles, dont il faut mettre en lumière les aspects les plus sombres (colonialisme, impérialisme, assimilationnisme) mais également les apports les plus précieux, à travers l’instauration d’un être-au-monde collectif riche de valeurs fondamentales. La figure de l’État-nation prétendument homogène et universelle semble aujourd’hui en passe d’être renvoyée aux oubliettes de l’histoire, devant les avancées des institutions supranationales et la montée des revendications infranationales. Au-delà de ses apories et de ses contradictions, l’État-nation pose cependant, nous semble-t-il, la question incontournable de la nature du demos dans une démocratie, et de l’irréductibilité du politique au langage des droits, fussent-ils fondamentaux. Si le modèle républicain évacue souvent trop rapidement la reconnaissance de la diversité au profit de l’accentuation de l’unité et de l’individualisme, l’apologie sans nuances du pluralisme et du différend dans certaines sociétés contemporaines conduit par contre à négliger implicitement la question du bien commun et de l’horizon de valeurs partagées dans une société. Par delà leurs divergences, le républicanisme le plus individualiste et le multiculturalisme le plus pluraliste se rejoignent dans la croyance que le politique, l’État, peuvent être « neutres », arbitrant les rapports « culturels » entre individus déliés pour l’un, entre communautés particulières pour l’autre. Reconnaître que l’autorité légitime dans une société démocratique se révèle indissolublement politique et culturelle aboutirait à finalement apercevoir que dans leurs versions radicales, républicanisme libéral et multiculturalisme incarnent les deux faces symétriquement opposées d’une même illusion moderne.
31Une fois qu’est assignée comme tâche prioritaire à l’État la reconnaissance effective de toutes sortes de communautés et leur inscription, en tant que singularités, dans l’espace social, non seulement s’obscurcit le dessein collectif et la possibilité politique de gouverner un tel ensemble (Gauchet, 1998), mais également disparaît la compréhension globale des conditions sociohistoriques d’une telle élaboration commune, et notamment la légitimation des formes d’autorité qu’il convient d’entériner afin de transmettre les savoirs et les pratiques. Les droits ne s’enracinent ni dans les individus naturalisés, ni dans les « communautés modernes » (qu’elles soient sexuelles, morales, religieuses, ethniques ou autres), mais sont des attributs de l’espace démocratique, des « libertés de rapports » qui ne sont formalisées dans le droit que pour autant qu’elles sont issues de significations partagées. Le cadre national républicain peut et doit regagner en « tradition englobante », et manifester ainsi son « fonds propre » implicite, par définition holiste : la nécessité d’une culture politique commune, ouvrant sur un dessein collectif, la définition de buts partagés et l’inscription dans un héritage historique.
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Notes de bas de page
1 Nous nous référons ici aux courants sociologiques et anthropologiques définissant la nation comme un « tout » selon les analogies de la substance (essentialisme) ou du corps biologique (organicisme) afin d’en démontrer l’aspect individué, unitaire et ordonné.
2 Comme le rappelle Pierre Birnbaum (2004 : 278), Anthony Smith (The Ethnic Origin of Nations) voit « dans le modèle français un curieux mélange de construction civique et d’imaginaire ethnique », par l’intermédiaire notamment du « mythe franc » constamment réinterprété au cours de l’histoire ou du « culte des morts » comme « célébration ethnique d’un génie national sécularisé ».
3 Le boulangisme est un mouvement populaire (1889-1891) constitué autour de la personnalité du général Boulanger, qui mit en danger la IIIe République en réunissant une coalition hétérogène d’opposants, allant de républicains et de blanquistes d’extrême gauche aux nationalistes et monarchistes, autour de mots d’ordre à tonalité autoritaire, anti-parlementaire et plébiscitaire.
4 Selon Eugen Weber (1983 : 108), un quart de la population ne parle pas du tout le français en 1863.
5 D’où le constat radical (excessif ?) de Bruno Étienne (1989 : 265) : « Sous des formes atténuées, toutes les techniques allant du génocide à l’ethnocide ont été utilisées dans la formation du centre-France. »
6 Voir, parmi les nombreuses critiques faites à l’encontre du livre d’Olivier La Cour Grandmaison, la remarquable recension de Pierre Vidal-Naquet et de Gilbert Meynier – qu’on ne saurait soupçonner de complaisance dans le combat antiraciste – parue dans la revue en ligne Études Coloniales sous le titre « Coloniser, exterminer : de vérités bonnes à dire à l’art de la simplification idéologique ». Selon eux, cet ouvrage « surfe sur une vague médiatique, avec pour fond de commerce des humains désemparés, et peu portée à l’analyse critique, cela en fignolant un sottisier plus qu’il ne s’appuie sur les travaux d’historiens confirmés, dont il reprend ici et là, toutefois, plus ou moins l’une ou l’autre conclusion. Au vrai, enfoncer des portes ouvertes ne constitue pas un véritable critère de l’innovation. »
7 Il faut cependant rappeler que la Révolution avait aboli l’esclavage et transformé les colonies en départements, affirmant selon une volonté assimilationniste et émancipatrice que « tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies sont citoyens français et jouissent de tous les droits assurés par la constitution », jusqu’à ce que Bonaparte rétablisse l’assujettissement (Guillaume, 1991 : 125).
8 Cependant, dans les vieilles colonies (Saint-Pierre-et-Miquelon, les Antilles, la Réunion, la Guyane), toutes les personnes de nationalité française possèdent la citoyenneté. Mais ailleurs, seuls certains Sénégalais ont obtenu, après la Première Guerre mondiale, le droit d’acquérir la citoyenneté sans perdre leur statut personnel.
9 Saint-Domingue, les Antilles, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guyane et la Réunion. S’ajouteront à ces habitants les juifs d’Algérie à partir de 1870 puis les habitants des quatre communes du Sénégal après 1916. Les autres sujets sont soumis au statut de l’indigénat, supprimé par la Loi Lamine-Gueye de 1946.
10 Art. 2 de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
11 Affirmation constitutionnalisée seulement lors de la révision de 1992 (voir Renaut, 2000).
12 Art. 74 de la constitution : les T.O.M. sont dotés d’une « organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l’ensemble des intérêts de la République ».
13 Chacun des trois royaumes possède un « roi » choisi par les notables au sein de la famille royale et dont les pouvoirs restent effectifs en matière foncière et dans le cadre du droit local.
14 « Pays » vient du latin pagus qui désignait une subdivision territoriale et tribale d’étendue restreinte (de l’ordre de quelques centaines de kilomètres carrés), subdivision de la civitas gallo-romaine. Cette notion a ensuite été conservée durant le Moyen-Âge afin de désigner un territoire marqué par une identité propre et généralement dominé par une ville d’importance.
15 Clermont-Tonnerre à l’Assemblée nationale en 1789.
16 Le mouvement juif orthodoxe Loubavitch (ou Habad), fondé par Rabbi Shneur Zalman de Liadi (1745-1812) en Biélorussie, appartient au courant du judaïsme hassidique et dispose en France d’un vaste réseau éducatif et socioculturel.
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Docteur en anthropologie sociale de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris), diplômé en sciences politiques et en sociologie comparative. Il est professeur adjoint au Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université d’Ottawa. Ses travaux de recherche portent sur la notion de « communauté » dans les sciences sociales et dans les sociétés contemporaines ainsi que sur la compréhension théorique et épistémologique du « holisme », à travers un questionnement sur les identités collectives : nationalisme, communautarisme, multiculturalisme, républicanisme. Parmi ses publications récentes : Louis Dumont – Holisme et modernité (Paris, Michalon, 2004) ; « La communauté est-elle l’espace du don ? » (Revue du MAUSS, no 24 et no 25, 2004 et 2005) ; « La référence à la société comme totalité – Pour un réalisme ontologique de l’être-en-société (holisme anthropologique et sociologie dialectique) » (Société, no 26, 2006) ; La communauté au miroir de l’État – La notion de communauté dans les énoncés québécois de politiques publiques en santé (Québec, Presses de l’Université Laval, 2007) ; Pluralisme et démocratie – Entre droit, culture et politique (Montréal, Québec Amérique, coll. « Débats », 2007).
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