D’Érec et Énide au Chevalier aux deux épées : quelques sourires adressés à l’éthique courtoise

Damien De Carné

doi:10.4000/books.pum.7346

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D’Érec et Énide au Chevalier aux deux épées : quelques sourires adressés à l’éthique courtoise

Damien De Carné

p. 105-11

Extrait

1Dans sa récente édition du roman du Chevalier aux deux épées, Paul Vincent Rockwell notait l’influence majeure de deux romans de Chrétien de Troyes : Érec et Énide et surtout Le Conte du Graal. Il est certain que, dans l’organisation générale des aventures de ce long récit dont il reste 12360 vers, le modèle du Conte du Graal se fait ressentir en maints endroits, et la critique n’a pas manqué d’indiquer que le Chevalier aux deux épées en était parfois le transparent palimpseste1 : la bipartition du roman entre aventures de Gauvain et aventures de Mériadeuc ; la conquête de la souveraineté ; la vengeance familiale, en particulier du meurtre du père qui a eu lieu avant le temps du roman, vengeance assumée par le jeune chevalier qui ne connaît pas son nom ; la prédestination de l’épée ; le thème de la blessure inguérissable, qui apparaît à la fin du roman avec le malheureux Gaus de Norval, guérie finalement par le chevalier élu ; tout cela, et d’autres détails encore, rappelle d

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1 Voir notamment, en guise de synthèse de ses différents articles, la très substantielle introduction qui précède le texte donné (et traduit en anglais) par Paul Vincent Rockwell, Le Chevalier as deus espees, Woodbridge, Brewer, coll. « Arthurian Archives », 13, 2006, p. 1-17.

2 Les citations seront prises à l’édition de Mario Roques, Paris, Honoré Champion, 1952.

3 Toutefois, le choix du sujet pictural de la robe pourrait, selon l’éditeur, traduire une distance ironique vis-à-vis de l’idéalisation du temps d’avant Arthur : on lit sur cette robe, avec l’apparence illusoire dont Merlin revêt Uter, qu’on se fait peut-être des illusions sur ce temps d’Uter idéal (« Introduction », p. 10, et son article « The Failed Embrace of the Father : Historical Continuity in Le Chevalier as deus espees and Le Roman d’Eneas », Romance Quarterly, vol. 51, 2004, p. 2-14.).

4 v. 546 : « je n’ain tant rien come son cors » ; v. 537-538 : « Molt est bele, mes mialz asez/vaut ses savoirs que sa biautez ».

5 L’auteur dit de Gauvain que l’affaire « au cuer mout li touce » (v. 4608) avec l’utilisation caractéristique de la forme indirecte du pronom ; est-ce un souvenir de l’admiration amoureuse d’Érec : « don granz dolçors au cuer li toche » (v. 1474) ?

6 Il faut bien sûr s’entendre sur le sens de « courtois ». On connaît l’utile distinction de J. Frappier : la courtoisie désigne le mode de vie adopté par l’aristocratie, et donc un ensemble de rituels sociaux ; la courtoisie désigne aussi une manière particulière d’aimer, fondée entre autres sur l’adultère et le secret. La contradiction est remarquable mais explicable. Dans le premier cas, la courtoisie est un ensemble d’exercices sociaux et de valeurs (largesse, conversation, complémentarité hommes-femmes qui transcende leur hiérarchie au demeurant admise) qui sont de tout bourdieusiens traits de distinction que se dessine l’aristocratie et qui en sont la performance qui la perpétue collectivement ; dans le second cas, une manière d’aimer dans laquelle l’homme surpasse son goût naturel pour la facilité (d’où le rôle de l’adultère), pour la possession charnelle (d’où patience et continence) et pour la vantance (d’où le secret), ce qui le distingue de l’ordinaire masculin et constitue donc, malgré l’apparence marginale que prennent les amoureux, un de ces traits de distinction qui relèvent de la première acception. Érec et Énide, on l’a beaucoup écrit, ne se conforme pas à cette deuxième acception, qu’il est d’usage d’appeler la fin’amors pour éviter l’ambiguïté. Il reste que ce roman, qui montre comment un ordre aristocratique idéal repose en particulier sur l’exercice, au sein même du couple, de l’harmonie des êtres et des paroles, et métaphorise ainsi une description du pouvoir juste, est une profession de foi courtoise. Les contre-exemples d’amoureux ou de souverains (Galoain, Limors…) le montrent avec une parfaite clarté.

7 Dans lequel elle rappelle la joie, principe de l’harmonie courtoise, propagée par ce mariage (v. 6242-6247).

8 E. Baumgartner, « Temps linéaire, temps circulaire et écriture romanesque (XII^e - XIII^e siècles) », dans Yves Bellenger (dir.), Le Temps et la durée dans la littérature au Moyen Âge et à la Renaissance, Paris, Nizet, 1986, p. 7-21.

9 Pourtant, encore après la levée de la malédiction qui touche Gaus de Norval, Mériadeuc projette de continuer à quêter l’aventure plutôt que de rentrer chez Arthur : « Et li compaignon ambedui / Se metent ou bos plus parfont. Et entr’els .ii. tel esgart font / K’ils n’iront a la cour, k’il puissent, / Devant ce qu’aventures truissent, / Cascuns la soie, kel que soit […] » (v. 10896-10901).

10 On notera également cette intervention de Girflet, devant Mériadeuc qui se fait appeler « Le Chevalier aux Dames » : « Tel chevalier ne valent rien. / De femes ont et cuer et ames » (v. 8750-8751). En dépit de la correction reçue, la remarque de Girflet ne traduirait-elle pas l’opinion commune qui sommeille dans le roman ?

11 Voir « Et il, qui ne puet autrement/Faire, k’ele le tient trop cort » (v. 11276-11277).

12 Voir le chapitre consacré au roman dans l’ouvrage de Stoyan Atanassov, L’Idole inconnue, Orléans, Paradigme, 2000.

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Ce livre est cité par

Denecke, Wiebke. Busby, Keith. (2022) Literature. DOI: 10.1002/9781119775737.ch13

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Référence numérique du chapitre

De Carné, D. (2011). D’Érec et Énide au Chevalier aux deux épées : quelques sourires adressés à l’éthique courtoise. In I. Arseneau & F. Gingras (éds.), Cultures courtoises en mouvement (1‑). Presses de l’Université de Montréal. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pum.7371

De Carné, Damien. « D’Érec et Énide au Chevalier aux deux épées : quelques sourires adressés à l’éthique courtoise ». In Cultures courtoises en mouvement, édité par Isabelle Arseneau et Francis Gingras. Montréal: Presses de l’Université de Montréal, 2011. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pum.7371.

De Carné, Damien. « D’Érec et Énide au Chevalier aux deux épées : quelques sourires adressés à l’éthique courtoise ». Cultures courtoises en mouvement, édité par Isabelle Arseneau et Francis Gingras, Presses de l’Université de Montréal, 2011, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pum.7371.

Référence numérique du livre

Arseneau, I., & Gingras, F. (éds.). (2011). Cultures courtoises en mouvement (1‑). Presses de l’Université de Montréal. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pum.7346

Arseneau, Isabelle, et Francis Gingras, éd. Cultures courtoises en mouvement. Montréal: Presses de l’Université de Montréal, 2011. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pum.7346.

Arseneau, Isabelle, et Francis Gingras, éditeurs. Cultures courtoises en mouvement. Presses de l’Université de Montréal, 2011, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pum.7346.

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