8. La conduite déviante des adolescents : son développement et ses causes
p. 227-272
Texte intégral
UNE LONGUE TRADITION DE RECHERCHES
1Établir un bilan exhaustif des travaux des recherches empiriques sur le phénomène de la conduite délinquante des mineurs au Québec serait une entreprise considérable. En effet, la délinquance juvénile est le domaine où les activités de recherches ont été les plus nombreuses, soutenues, complexes et innovatrices. Les recherches sur la délinquance juvénile se sont développées autour de trois axes : les études étiologiques, les études développementales et l’élaboration et la vérification de théories. Par ailleurs, l’étude de la délinquance juvénile a été abordée selon les trois niveaux d’interprétation de l’activité délinquante individuelle : le passage à l’acte, l’activité délinquante et les caractéristiques sociales et psychologiques du délinquant.
2Les études sur la personne du délinquant sont les plus nombreuses. Elles proviennent surtout de la psychologie. Elles comprennent, avant tout, des mémoires et des thèses. Elles se servent de petits échantillons. Et, souvent, la méthode clinique et le développement des programmes d’intervention sont les sources des données empiriques. Les études sur l’activité délinquante sont nombreuses. Elles sont réalisées en criminologie. Elles s’appuient sur des grands échantillons et recourent aux méthodes statistiques les plus avancées. Elles sont multidisciplinaires. Les études sur le passage à l’acte sont rares.
3Si nous dressons un tableau de la production de recherches empiriques au Québec, nous pouvons énumérer trois types de produits : les thèses et mémoires, les rapports de recherches et les publications. Retenons que la première catégorie compte plus de 300 titres qui proviennent, pour la plupart, de l’Université de Montréal, mais également des universités Laval, McGill, Sherbrooke, Concordia et du Québec. Ce sont les départements de psychologie et de service social qui ont réalisé la majorité des recherches. Les thèses et les mémoires ont dominé pendant les années 1950, 1960 et 1970. Ils ont été recensés dans les éditions antérieures de ce traité (Szabo et Le Blanc, 1985, 1994 ; Le Blanc, Ouimet et Szabo, 2003). Ils sont de qualité fort inégale et, à l’exception de quelques-uns, ils n’ont pas fait l’objet de publication dans des livres ou des revues scientifiques.
4Les rapports de recherche, le deuxième type d’écrits, sont nombreux et relèvent surtout de la criminologie. Il s’agit de travaux ponctuels ou continus, de plus ou moins d’envergure, réalisés par une équipe de professeurs, de professionnels et d’étudiants. Par exemple, au Groupe de recherche sur l’inadaptation juvénile, entre 1973 et 1981, on peut compter 159 rapports de recherche formellement remis à des bailleurs de fonds, et cela représente la vaste majorité de la production québécoise sur la délinquance juvénile durant cette période. Quatre programmes majeurs de recherche ont été réalisés : Structure sociale et moralité adolescente (1964-1969), dirigé par D. Szabo, D. Gagné et F. Goyer-Michaud ; Structure et dynamique du comportement délinquant (1972-1980), dirigé par M. Le Blanc, M. Fréchette et M. Cusson ; Les études longitudinales à doubles échantillons de Montréal (depuis 1972), dirigé par M. Le Blanc ; l’Étude longitudinale et expérimentale de Montréal (depuis 1984), dirigé par R.-E. Tremblay.
5Les publications comprennent les livres, les chapitres de livres et les articles dans des revues scientifiques. On compte sept livres qui reposent sur des données provenant de recherches empiriques : Beausoleil, 1949 ; Szabo, Gagné et Parizeau, 1972 ; Parizeau et Delisle, 1974 ; Cusson, 1981 ; Fréchette et Le Blanc, 1987 ; Le Blanc et Fréchette, 1989. Il est difficile de faire un relevé exhaustif de tous les chapitres et articles publiés. Par exemple, les travaux sur le développement de la conduite délinquante et son explication, auxquels a participé Marc Le Blanc, ont produit 138 chapitres et articles. L’équipe de Richard E. Tremblay a publié un grand nombre d’articles à partir d’études longitudinales qui s’étalent de la naissance à l’adolescence (Carbonneau, 2003 ; Tremblay et autres, 2003). Nous concentrerons notre attention sur les articles traitant de la conduite délinquante et déviante pendant l’adolescence et la jeunesse.
6Ce bilan de la production scientifique appelle des commentaires sur les questions investiguées. La criminologie québécoise s’est d’abord intéressée à rechercher les causes de la conduite délinquante au moyen d’études descriptives et comparatives. Le but principal de ces dernières était l’identification des facteurs, des causes ou des conditions qui affectaient la personne du délinquant. Les études comparatives ont connu leur âge d’or durant les années 1950, 1960 et 1970. À partir du milieu des années 1960, les études étiologiques ont été remplacées par des recherches intégratives. Celles-ci utilisaient des concepts de la sociologie et de la psychologie. Les questions étaient approfondies, à partir des années 1970, à l’aide de programmes de recherches longitudinales. Ces travaux empiriques ont conduit à l’élaboration de théories articulées autour de la notion de mécanisme du développement et de celle de régulation de la conduite délinquante. Ils se sont poursuivis au cours des années 1980 et 1990 (Le Blanc, 2003). Depuis les années 1990, les thèses et les mémoires, tant sur l’individu délinquant que sur la conduite délinquante, sont devenus de moins en moins nombreux et ils tendent à être remplacés par des articles de revues. Sont venus s’ajouter aux articles des travaux sur le développement de la conduite déviante depuis l’âge de l’adolescence jusqu’à la quarantaine.
7En somme, les recherches sur la délinquance juvénile au Québec ont suivi trois voies. Premièrement, elles ont d’abord étudié la personne et ensuite la conduite. Deuxièmement, les méthodes analytico-déductives et statistiques ont remplacé les méthodes comparatives et cliniques. Troisièmement, aujourd’hui, elles ont une orientation multifactorielle et multidisciplinaire plutôt qu’une orientation unifactorielle centrée sur la psychologie. Les recherches empiriques reposent toutes sur l’hypothèse de base selon laquelle la conduite délinquante est un problème de socialisation. Puisque nous avons déjà recensé les travaux publiés jusqu’aux années 2000 (Le Blanc, 1985, 1994b, 2003), ce chapitre porte sur la période la plus récente1.
DE LA CONDUITE DÉLINQUANTE AU SYNDROME DE LA CONDUITE DÉVIANTE
De quelle délinquance s’agit-il ?
8Les spécialistes conviennent facilement du fait que la notion de délinquance est passablement élastique. La diversité des comportements regroupés sous ce terme s’allonge sur un continuum allant des activités jugées par les adultes comme impropres pour un mineur (les relations sexuelles, l’usage de l’alcool et des substances psychoactives illicites, l’opposition aux parents et à l’autorité, etc.) jusqu’aux délits que le Code criminel définit avec précision (meurtre, voie de fait, vol à main armée, vol d’une automobile, vol avec effraction, etc.), en passant par les comportements prohibés par les lois et règlements édictés pour les adolescents (la conduite automobile, la fréquentation scolaire, la présence dans les débits de boisson, les troubles graves du comportement, etc.). Mal défini dans l’esprit des gens, mal précisé dans les formulations administratives ou légales, mal explicité dans les définitions criminologiques elles-mêmes, le terme de délinquance demeure chargé de toute l’ambiguïté qui marque une réalité diffuse et complexe où de multiples manifestations se chevauchent, où des niveaux de gravité très distincts s’opposent et où s’entrecroisent toutes sortes de déclencheurs sociaux et personnels. Il importe donc de préciser quelle délinquance fait l’objet de la démarche scientifique.
9La marge de manœuvre des chercheurs est délimitée par le contexte légal. En effet, le choix des échantillons de délinquants et la définition de ce qu’est un acte délinquant sont des décisions que les chercheurs doivent situer dans un contexte législatif précis. La Loi sur les jeunes délinquants de 1908 faisait de la délinquance un concept omnibus ; la Loi sur les jeunes contrevenants de 1982 a restreint cette notion. Elle se limite dorénavant aux infractions au Code criminel et aux statuts fédéraux. Plusieurs chercheurs avaient adopté une telle perspective avant la mise en vigueur de cette nouvelle loi. Une définition légale de la délinquance a des avantages, c’est-à-dire la clarté, le consensus social, et elle attire l’attention sur des gestes précis plutôt que sur des états de la personne (Fréchette et Le Blanc, 1987 ; Le Blanc, 2010).
10Plus importantes que la définition légale pour la démarche scientifique sont les positions adoptées par les chercheurs québécois. D’une part, on trouve les tenants d’une définition de la conduite délinquante qui en font un symptôme ; les données cliniques que Mailloux (1971) et Lemay (1973) ont accumulées les conduisent à soutenir que le délit n’est pas un phénomène en soi, mais plutôt une manifestation superficielle d’un trouble psychologique à découvrir. C’est là la position de la plupart des psychologues et des psychiatres pour qui le vrai problème se situe dans la personnalité du délinquant. D’autre part, on trouve ceux qui jugent que la délinquance est avant tout une conduite, le délit étant un phénomène en soi. Des criminologues comme Fréchette et Le Blanc (1987) et Cusson (1981) défendent cette position.
11En plus des efforts pour spécifier la notion de délinquance, il convient de mentionner une autre caractéristique originale des recherches empiriques québécoises. Elles ne se limitent pas à la délinquance apparente, celle enregistrée par les organismes du système de la justice pour les mineurs. Depuis les années 1960, elles s’efforcent d’apprécier la délinquance cachée, celle qui est révélée par les adolescents eux-mêmes à travers des questionnaires ou des entrevues. Il existe des travaux qui produisent une description des activités délinquantes des adolescents à partir des dossiers de divers organismes : la police, les tribunaux de la jeunesse, les services de probation et la Direction de la protection de la jeunesse (Le Blanc, 1994b). Toutefois, ils sont maintenant délaissés.
12L’étendue du chiffre noir de la délinquance a été un sujet de préoccupations pour les criminologues depuis le dix-neuvième siècle. Toutefois, ce n’est que depuis le milieu des années 1940 que l’on a commencé à mesurer ce phénomène à l’aide de questionnaires. Au Québec, la première tentative pour cerner la délinquance cachée remonte à 1967 (Le Blanc, 1969). Certains mettront en doute la fidélité et la validité des instruments utilisés pour mesurer la délinquance cachée. Cependant, les écrits permettent de conclure que les justifications empiriques relatives à la fidélité, à la vraisemblance et à la validité sont impressionnantes et que les résultats obtenus correspondent aux standards scientifiques habituels des sciences humaines (Fréchette et Le Blanc, 1987 ; Le Blanc, 2010).
La conduite délinquante, une composante du syndrome de la conduite déviante ?
13Il est possible de mesurer la conduite délinquante autorapportée, mais les chercheurs et les théoriciens se sont toujours demandé comment s’articulaient les formes de la conduite délinquante et si elles faisaient partie d’un ensemble plus vaste : le syndrome de la conduite déviante. Le Blanc et Bouthillier (2003) ont proposé un syndrome qui comprend quatre catégories de conduites : les conduites imprudentes, conflictuelles, clandestines et manifestes. Chacune de ces formes est composée de deux ou plusieurs catégories de conduites, comme le montre la figure 1. Ces auteurs ont mis à l’épreuve ce modèle avec l’analyse factorielle confirmatoire hiérarchique. Ils ont conclu que ce modèle décrit l’organisation de la conduite déviante des adolescents et des adolescentes, tant pour la fréquence que pour la précocité. De plus, un modèle simplifié est stable dans le temps chez les adolescents judiciarisés (Le Blanc et Girard, 1997). Il a été revalidé (Le Blanc, 2010). Les conduites qui forment ce syndrome s’alimentent les unes les autres dans le cycle de vie (Wanner, Vitaro, Carbonneau et Tremblay, 2009 ; Le Blanc, 2009).
FIGURE 1. Le syndrome de la conduite déviante

Une conduite généralisée et limitée ?
14La question qui a constamment intrigué les criminologues est de savoir si la conduite délinquante touche la totalité, la majorité ou une minorité de la population d’adolescents. Au Québec, une vingtaine d’enquêtes ont porté sur cette question depuis 1967. Elles rapportent que plus de 80 % des adolescents admettent avoir pratiqué une conduite déviante. Il est également apparu que la majorité des adolescents commet très peu d’actes délinquants et que seule une très faible minorité d’entre eux en accomplit beaucoup. En effet, 11 % des membres d’une cohorte de naissance sont condamnés pour un acte délinquant avant 25 ans et 5 % commettent plus de la moitié de ces actes délinquants, selon Le Blanc et Fréchette (1989).
Une conduite bénigne ?
15Si la conduite délinquante rapportée touche la très grande majorité des adolescents, sa gravité doit être appréciée différemment. En effet, les actes les plus fréquents sont les plus bénins : 88 % ont transgressé un statut ne s’appliquant qu’aux adolescents (loi scolaire, loi relative à l’alcool, fugues, etc.), 82 % ont enfreint le Code criminel, mais seulement 10 % d’entre eux rapportent une activité délinquante grave (vol qualifié, vol sur la personne, agression armée, etc.). En somme, la gravité du tort infligé par l’ensemble des actes délinquants est légère compte tenu du nombre très restreint de comportements qui mettent vraiment en danger la vie ou les biens des membres de la société. Il s’agit donc d’activités avant tout malicieuses et hédonistes qui sont souvent une caricature des comportements des adultes.
Une conduite variée ?
16Sur le plan de la variété du comportement délinquant, Fréchette et Le Blanc (1987) indiquent qu’une bonne proportion des adolescents n’ont commis aucun des types de délits criminels (39 %) et que le comportement délinquant hétérogène est présent chez près d’un tiers des adolescents (33 %). La conduite délinquante qui ne comprend qu’un seul type de délit, compte pour 30 %. La cible privilégiée des adolescents est constituée par les biens plutôt que par les personnes.
Un épiphénomène de l’adolescence ?
17L’homogénéité et le caractère bénin renforcent l’interprétation selon laquelle le comportement délinquant et déviant est une expérimentation momentanée de l’adolescence. L’hétérogénéité et la rareté des délits les plus sérieux indiquent que le caractère dangereux de la conduite délinquante est très limité. En somme, il s’agit avant tout d’un épiphénomène de l’adolescence. Cela équivaut à dire qu’elle n’a qu’une présence accessoire tout au cours de l’adolescence, qu’elle n’entrave pas le développement psychologique et social de la majorité des adolescents (Fréchette et Le Blanc, 1987). Cette description de la conduite délinquante est valable pour les adolescents des années 1970 (Fréchette et Le Blanc, 1987), 1980 (Tremblay, Le Blanc et Schwartzman, 1986), 1990 et 2000 (Le Blanc, 2010). Elle correspond également à la situation chez les prépubères (Le Blanc et McDuff, 1991) et chez les jeunes adultes (Le Blanc et Fréchette, 1989).
Y a-t-il des groupes sociaux qui présentent un risque plus élevé d’activités délinquantes ?
18La délinquance cachée des adolescents québécois ne constitue pas un phénomène atypique. Une comparaison avec les données d’études réalisées dans différents pays (Junger-Tas, Terlow et Klein, 1994) montre que, malgré les différences dans la composition des échantillons et dans la nature des mesures de la conduite délinquante, 80 % des adolescents commettent, annuellement, des actes qui pourraient les conduire devant les tribunaux pour mineurs dans les sociétés occidentales. De même, les études présentent une distribution analogue de la délinquance. Elle prend la forme d’un L renversé dont la base horizontale allongée indique qu’une majorité d’adolescents commet très peu d’actes délinquants et qu’une très faible minorité en commet beaucoup.
Hommes et femmes
19S’il est un résultat où tous les travaux s’accordent, c’est celui des différences entre l’activité délinquante cachée des femmes et celle des hommes. Les données recueillies entre les années 1970 (Fréchette et Le Blanc, 1987) et les années 2000 (Le Blanc, 2010) montrent que l’ampleur et la gravité de l’activité délinquante des garçons sont plus élevées, tandis que l’activité déviante est répartie entre les deux sexes (Lanctôt et Le Blanc, 2002).
Âge
20La délinquance cachée s’accroît avec l’âge (Fréchette et Le Blanc, 1987 ; Le Blanc 2010). Par contre, la délinquance grave est plus élevée chez les 12-13 ans et chez les 16-17 ans. Il s’agit plus souvent d’agressions et de batailles en bande dans le premier groupe, alors que, dans le second groupe, il s’agit plus souvent de vols graves et de vols d’automobiles.
Statut social
21Si la question de la distribution de la délinquance cachée en fonction de l’âge et du sexe est assez peu controversée, il en est tout autrement pour la distribution en fonction du statut social. En effet, Le Blanc (1994a) concluait qu’il est généralement reconnu qu’il existe une corrélation négative entre le statut social et la délinquance officielle, mais aucune entre le statut social et la délinquance cachée. Depuis, les résultats n’ont pas changé, selon la recension de Wright et autres (1999). Par contre, cette conclusion ne serait valable que pour la délinquance commune, c’est-à-dire le vandalisme, les petits vols et les bagarres mineures. Les conclusions de nos travaux, des plus anciens (Le Blanc, 1969) aux plus récents (Le Blanc et autres, 1998), se rejoignent : l’association entre le statut social et la conduite délinquante est marginalement significative (p = 0,10), que ce soit pour des échantillons représentatifs d’adolescents ou pour des échantillons d’adolescents judiciarisés. Ces résultats nous indiquent que la conduite délinquante commune se distribue également dans l’ensemble de la structure sociale. Ainsi, des concepts explicatifs comme ceux de « société de masse » ou de « classe moyenne généralisée » sont tout à fait compatibles avec cette observation (Le Blanc, 1993e). Par contre, des travaux montrent que la pauvreté est associée à l’activité délinquante grave et fréquente, indépendamment de la structure de la famille, de l’échec scolaire et de la supervision parentale (Pagani, Boulerice, Vitaro et Tremblay, 1999).
22Bien que les analyses statistiques ne révèlent pas une corrélation significative entre le statut socioéconomique et la conduite délinquante commune, le système judiciaire tend à repérer les adolescents dont les familles sont de statut social inférieur, selon les comparaisons entre nos échantillons (Fréchette et Le Blanc, 1987). La situation vécue par les adolescents judiciarisés s’est toutefois détériorée au cours des années 1990 selon Le Blanc et autres (1995). Chez les adolescents judiciarisés des années 1990, la conduite délinquante présente plus de ressemblances que de différences au regard des catégories suivantes : les deux parents ont immigré ou un seul parent a immigré, l’adolescent a lui-même immigré ou non, l’adolescent appartient à la deuxième ou à la première génération, l’adolescent appartient à une minorité visible ou non (Le Blanc, 1991). Le Blanc observe que les adolescents originaires de l’Amérique latine viennent en tête de liste pour le niveau de l’activité délictueuse ; ils sont suivis de ceux qui proviennent des Antilles et ensuite d’Europe.
La sélection opérée par le système judiciaire
23Depuis l’apparition des procédures systématiques servant à mesurer la délinquance cachée, les chercheurs du Québec et d’ailleurs se sont appliqués à déterminer s’il existait des différences comportementales entre les adolescents qualifiés de délinquants par le système judiciaire et les autres. À cet égard, les données établissent que la délinquance cachée des pupilles du tribunal est largement supérieure à celle des adolescents normaux. Elle est quantitativement différente puisque les premiers sont plus nombreux à passer à l’acte. Elle est qualitativement différente parce que c’est dans la délinquance grave que l’écart est le plus marqué entre les deux groupes. Ces résultats permettent de conclure que la plupart des adolescents déférés aux tribunaux sont ceux dont la conduite délinquante est la plus fréquente et la plus dangereuse (Le Blanc et Fréchette, 1989). Le caractère sélectif de l’intervention judiciaire et son effet amplificateur sont connus (Gatti, Tremblay et Vitaro, 2009).
QUELLES SONT LES CARACTÉRISTIQUES DU PASSAGE À L’ACTE CHEZ LES DÉLINQUANTS ?
24Fréchette et Le Blanc (1987) et Le Blanc et Fréchette (1989) ont donné une description fouillée de 12 catégories de délits commis à des âges différents. Ils ont utilisé de nombreuses informations touchant le mode de perpétration des différents types d’actes, les circonstances, le mobile, la présence de partenaires, les réactions ressenties pendant et après le délit et les conséquences judiciaires. Depuis, des travaux ont porté sur le taxage (Le Blanc et Deguire, 2002) et la consommation abusive de drogues chez les adolescents (Le Blanc, 1996). Six caractéristiques dominantes du passage à l’acte ressortent.
25Premièrement, les délinquants tendent à s’attaquer à une victime anonyme, un peu plus souvent d’ailleurs au début de l’adolescence que pendant la seconde période de l’adolescence et à l’âge adulte. Cette caractéristique augmente considérablement l’impunité du contrevenant, à la fois sur le plan social, puisqu’il risque peu d’être arrêté, et sur le plan personnel, puisque la victime peut lui être indifférente lors de l’exécution de l’acte.
26Deuxièmement, les délinquants commettent leur acte avec l’aide d’un petit nombre de complices. Les complices sont peu nombreux et ils changent d’un type de crime à l’autre. De plus, leur âge varie : au début de l’adolescence, ils ont habituellement le même âge que l’adolescent, alors qu’à la fin de cette période les âges sont plus diversifiés. La nature groupale de l’activité délictueuse se trouve clairement affirmée. Il s’agit de microgroupes flexibles et changeants, fort différents, dans la plupart des cas, d’une bande organisée.
27Troisièmement, les délinquants sont motivés par un curieux mélange d’utilitarisme et d’hédonisme. Les adolescents veulent soit s’approprier un bien ou réduire les tensions, soit éprouver du plaisir, de l’excitation ou de la fierté. Le mélange des motivations varie toutefois de façon importante d’une catégorie d’actes à l’autre. Les activités les plus utilitaires sont le vol d’une personne, le vol grave, la possession et le trafic de la drogue et le vol avec effraction. Par contre, le vol d’un véhicule à moteur, le vol à l’étalage et le vandalisme répondent surtout à des motivations hédonistes, et les délits contre les personnes, à une combinaison des deux types de motifs. Les motivations changent aussi avec l’âge : l’hédonisme cède progressivement la place à l’utilitarisme. Par contre, les délinquants ne pèsent pas le pour et le contre d’un acte et ils ne le planifient pas. Ils tendent plutôt à considérer certains aspects particuliers de la situation et à en oublier d’autres, prêtant surtout attention aux facteurs immédiats et critiques.
28Quatrièmement, les délinquants ressentent en général peu de tension avant et durant l’acte, comme si ce dernier était sans conséquences. Ils éprouvent peu de stress avant l’acte, même si celui-ci est grave, même avant d’attaquer une personne.
29Cinquièmement, les délinquants préparent l’acte. Cela montre que même les individus les plus jeunes ont l’intention de commettre l’activité délictueuse, que celle-ci est accomplie de propos délibéré. La préparation de l’acte devient plus soignée avec l’âge.
30Sixièmement, la manière de commettre les délits diffère selon que le délinquant est au début ou à la fin de l’adolescence. Deux changements sont particulièrement significatifs : l’accroissement des motifs utilitaires et la réduction concomitante des motifs hédonistes. Deux autres changements sont aussi remarquables : l’augmentation substantielle des actes dont la victime est inconnue et l’intoxication précédant l’acte. La réunion de ces traits correspond à une aggravation de l’activité délictueuse. Cette aggravation touche particulièrement trois catégories de délits : le vol avec effraction, le vol d’un véhicule à moteur et le vol grave. Les actes deviennent non seulement plus utilitaires et plus impersonnels, mais aussi plus solitaires, plus violents et mieux préparés. Très nettement, ils cessent d’être frustes et deviennent graves et sophistiqués.
31Dans une analyse longitudinale, Kazemian et Le Blanc (2004) ont identifié cinq trajectoires du développement du passage à l’acte entre le début de l’adolescence et la trentaine. À un extrême se trouve le passage à l’acte qui comporte des motifs utilitaires, une préparation, l’utilisation d’instruments et le choix de victimes anonymes. À l’autre extrême se situe le passage à l’acte qui comporte des motifs hédonistes, peu de planification et d’utilisation d’instruments, une intoxication préalable et la participation de plus d’un complice. Les trois trajectoires intermédiaires sont une combinaison des deux autres. La trajectoire est déterminée par la situation entourant le passage à l’acte et non pas par les caractéristiques psychologiques et sociales de l’individu.
Quel est le cycle de la conduite déviante ?
32Les travaux sur la conduite délinquante des adolescents la décrivent (participation, fréquence, genre, gravité, etc.) et donnent des indications d’ordre temporel (durée, âge au début, âge à l’arrêt, etc.). Nous avons mis en œuvre l’approche développementale, qui s’intéresse au cycle de l’activité délinquante, et plus particulièrement aux processus conduisant à l’apparition et à la cessation de l’activité délinquante (Loeber et Le Blanc, 1990 ; Le Blanc et Loeber, 1998). Elle consiste dans l’étude des changements survenant dans les activités illégales de l’individu à mesure qu’il avance en âge. Le Blanc (2005, 2009) a élaboré une théorie générale du cycle de la conduite déviante qui comprend trois mécanismes – l’activation, l’aggravation et le désistement – et des trajectoires. Il l’a illustrée dans la perspective de l’ordre et du chaos. Nous avons aussi démontré que ces mécanismes s’appliquent à toutes les formes de la conduite déviante, aux conduites violentes (Le Blanc, 1999) et à la consommation de substances psychoactives (Le Blanc, 2005).
L’activation
33Le processus d’activation fait référence à la manière dont le développement des activités délictueuses est stimulé dès l’apparition de celles-ci et à la manière dont il est assuré. Les données permettent d’affirmer que plus un individu commence tôt ses activités délictueuses, plus elles sont abondantes (accélération : l’apparition de l’agir délictueux avant l’adolescence entraîne une fréquence élevée), durables (stabilisation : la précocité est un indicateur concernant la durée) et variées (diversification : la précocité favorise un degré important de diversité). La délinquance chronique résulte de la superposition de la précocité, de la fréquence, de la durée et de la variété. La délinquance s’est accélérée, diversifiée et stabilisée.
L’aggravation
34L’aggravation consiste dans l’apparition de diverses formes d’activités délictueuses. Les infractions mineures sont progressivement délaissées au profit des délits plus graves contre la personne. Toutes les personnes qui s’orientent vers une activité délinquante chronique évoluent de cette façon. L’étude du mécanisme d’aggravation doit se faire par le truchement de deux grilles de lecture. La première porte sur les actes illicites eux-mêmes et elle vise à dégager une séquence de manifestations délictueuses dans le développement de l’activité illégale. La seconde grille de lecture s’intéresse aux individus délinquants et vise à mettre en évidence la progression de la délinquance ainsi que des stades d’évolution.
35D’une part, les types de délits semblent s’enchaîner différemment selon l’âge du début, la durée et l’âge à l’arrêt de l’activité délictueuse. D’autre part, les types de délits commis, la fréquence, la gravité et la violence des activités illicites varient avec l’âge. L’abscisse de la figure 2 représente l’âge des individus, et l’ordonnée, les types de délits et leur gravité ; l’ordre des délits était déterminé par l’âge moyen au début de chaque type de délits. La figure montre que l’activité délictueuse suit une séquence déterminée.
36La figure 2 montre les cinq stades du développement de l’activité délictueuse. Au début, habituellement entre 8 et 10 ans, les activités délictueuses sont homogènes et bénignes, et se traduisent par de menus larcins : c’est le stade de l’apparition. Au stade suivant, celui de l’exploration, les essais se continuent, généralement entre 10 et 12 ans, il y a diversification et aggravation des délits, lesquels consistent essentiellement dans des vols à l’étalage et du vandalisme. Autour de 13 ans apparaît le stade de l’explosion, marqué par une diversification et une aggravation substantielle des délits ; quatre nouveaux types de délits se manifestent : le vol simple, les désordres publics, le vol sur la personne et, surtout le vol avec effraction, épine qui, du fait de sa longévité, contribue à cette nouvelle expansion. Ensuite, vers 15 ans, le jeune délinquant entre dans le stade de la conflagration : la rétention se manifeste alors et il y a toujours diversification et aggravation des délits, les principaux étant le commerce de la drogue, les vol de véhicules à moteur, les vols graves et les voies de fait. Survenant à l’âge adulte, le cinquième stade se caractérise par l’adoption de formes plus astucieuses ou plus violentes de délits. Le chevauchement des durées illustre très bien le phénomène de la rétention des délits d’un stade à l’autre, qui est particulièrement manifeste aux stades de l’exploration et de l’explosion.
FIGURE 2. Gradation des activités délinquantes, médianes des âges du début, durée et gravité

Source : Adapté de Le Blanc et Fréchette (1988).
37La séquence d’initiation aux différentes substances psychoactives est connue et elle a été vérifiée par Le Blanc (2006) : alcool, drogues douces, chimiques et dures. Il existe une séquence des actes de violence, qui va des bagarres et de l’intimidation jusqu’aux agressions graves (Le Blanc, 1999). De plus, si l’on considère les conduites du syndrome de la conduite déviante, les types de troubles du comportement et les activités délinquantes s’enchâssent les uns dans les autres selon une séquence liée à la précocité (Le Blanc et Girard, 1998). Il faut noter que la séquence des conduites déviantes, et en particulier des conduites délinquantes, est la même chez les adolescents des deux sexes et les adolescents judiciarisés (Lanctôt, Bernard et Le Blanc, 2001).
38La seconde façon de considérer le phénomène de l’aggravation consiste à examiner la progression des individus à travers les stades du développement de la conduite délinquante. Ce qu’il importe d’établir, c’est qu’une proportion significative de personnes passe des délits mineurs aux délits graves. Le Blanc et Fréchette (1989) montrent qu’il y a 92 % de progression lorsque l’on envisage les cinq stades (31 % d’un échelon, 43 % de deux échelons, 25 % de trois échelons et 3 % de quatre échelons). Soixante-dix-huit pour cent des délinquants qui changent leur niveau d’activités illicites le font selon le modèle hiérarchique décrit plus haut ; 22 % d’entre eux s’écartent de ce modèle, et, de ce pourcentage, 61 % passent de l’exploration à l’explosion, et 39 % de l’exploration et de l’explosion à la conflagration. Environ le quart des délinquants se limitent aux délits d’un seul stade, auquel cas ils restent au stade de l’explosion, et les autres franchissent plusieurs stades. Ils ne commencent ni ne terminent tous au même stade. Cependant, ils subissent tous l’enchaînement séquentiel des stades. Il faut noter que l’aggravation est accompagnée d’une détérioration de l’adaptation sociale et d’une faible maîtrise de soi (Le Blanc, 1993a).
Le désistement
39Le processus du désistement est fonction de la durée, du degré de variété, de la gravité et de la fréquence de l’activité criminelle. Il y a effet de saturation. Le processus de désistement comporte trois mécanismes : la décélération (la fréquence annuelle tend à diminuer avant l’arrêt), la spécialisation (l’activité délictueuse est de moins en moins hétérogène) et le plafonnement (l’atteinte d’un sommet de gravité est un présage de cessation). Il faut noter que la décélération s’accompagne d’une amélioration de l’adaptation sociale et de la maîtrise de soi (Le Blanc, 1993a). Par ailleurs, Morizot et Le Blanc (2007) et Le Blanc (2009) ont montré que la réduction de la consommation des substances psychoactives précède la cessation de l’activité délictueuse. Par contre, cette dernière est difficile à prédire entre l’adolescence et l’âge adulte (Kazemian et autres, 2008 ; Morizot et Le Blanc, 2007). Toutefois, un modèle de trajectoires latentes permet d’affirmer qu’au cours de l’âge adulte, une diminution du relâchement moral et comportemental, la stabilité au travail et la fréquentation de personnes prosociales favorisent la cessation de l’activité délinquante (Morizot et Le Blanc, 2007).
Des trajectoires de l’activité délinquante ?
40La comparaison des formes de la conduite délinquante à travers le temps a permis à Fréchette et Le Blanc (1987) d’identifier trois méta-trajectoires de l’activité délinquante durant la période de l’adolescence : les conduites délinquantes d’occasion, de transition et de condition (pour les adolescentes judiciarisées, voir Lanctôt et Le Blanc, 2002). Il est devenu courant en criminologie de désigner les deux dernières méta-trajectoires sous les termes de « délinquance limitée à l’adolescence » (adolescence-limited) et de « délinquance qui persiste au cours de la vie » (life-course persistent), ainsi que l’avait proposé Moffitt (1993).
41La conduite délinquante d’occasion ou délinquance commune touche 45 % des adolescents. Cette forme de conduite délinquante est tout à fait insignifiante, car elle se traduit par quelques infractions mineures (vols à l’étalage, vandalisme, vols mineurs, désordres publics). Ces menues infractions sont soit concentrées sur une certaine portion de temps, soit échelonnées sur la totalité d’une période. Elles sont commises par les filles autant que par les garçons et dans toutes les classes sociales. Elles représentent 9 % des actes délinquants, et 16 % des délinquants arrêtés par la police se sont vu imputer ce genre d’infraction.
42La conduite délinquante de transition diffère de la conduite occasionnelle en ce qu’elle comporte un degré supérieur de gravité, de durée, de volume, de diversité. Elle s’observe chez 45 % des adolescents et elle s’étend sur une durée plus longue, à savoir quelques années. Le volume est plus élevé (annuellement, trois à cinq délits), et la gravité plus grande (quelquefois, vols avec effraction). Chez les pupilles du tribunal, les délits sont encore plus graves. Les conduites sont peu nombreuses, d’une gravité variable, et elles se manifestent au début ou au milieu de l’adolescence. En fait, la conduite délinquante de transition correspond à une crise du milieu de l’adolescence. Cette forme d’activité délinquante représente environ 40 % des actes rapportés par les adolescents et environ 25 % des actes connus des services de la police.
43La dernière méta-trajectoire, la conduite de condition, se caractérise avant tout par la persistance et l’aggravation des délits. Elle apparaît tôt, autour de 10 ans. Elle débute par des infractions mineures (vols à l’étalage et larcins) et s’achève, avant l’âge de 15 ans, par des délits majeurs (vols par effraction, délits graves contre la personne). Les actes sont nombreux et hétérogènes. Ce type de conduite délinquante, lorsqu’il se présente sous un mode mineur, ne s’aggrave pas à la fin de l’adolescence au point d’inclure des délits contre la personne, mais il comprend de multiples délits contre les biens, particulièrement des vols par effraction. Sous son mode majeur, tout en étant volumineux, hétérogène, continu, précoce, il est déjà, lorsqu’il se manifeste à l’âge de 15 ans, aussi grave que la conduite délinquante adulte sérieuse : vols sur la personne, vols à main armée, etc. Cette forme de conduite délinquante s’observe chez 5 % de la population. Elle représente plus de 50 % des actes rapportés par les adolescents et plus de 60 % des actes connus des services de la police. Les délinquants persistants judiciarisés sont responsables d’au moins 50 % des actes délinquants et des deux tiers des délits de violence.
44Ces méta-trajectoires rendent compte de toutes les trajectoires identifiées au moyen des différentes méthodes (Le Blanc, 2002). Depuis la fin des années 1990, on utilise des méthodes statistiques complexes pour identifier des trajectoires développementales de la conduite délinquante et d’autres formes de conduite déviante (Le Blanc, Morizot et Lanctôt, 2002) et on a aussi établi des liens avec les trajectoires des troubles du comportement (Le Blanc et Kaspy, 1998). L’équipe de Richard E. Tremblay a été particulièrement active dans ce type de recherche : agression physique (Nagin et Tremblay, 1999), participation à un gang (Lacourse et autres, 2003), délinquance et comportement turbulent (Broidy et autres, 2003), jeu de hasard (Vitaro et autres, 2004), drogue (Wanner et autres, 2006). Dans les travaux de ces divers auteurs, plus de quatre trajectoires ont été identifiées et elles sont comprises dans les trois méta-trajectoires que nous avons décrites.
QUELS SONT LES FACTEURS SOCIAUX QUI EXPLIQUENT LA CONDUITE DÉLINQUANTE ?
45Au Québec, depuis le travail de pionnier de Ross (1932), les chercheurs se sont attachés à identifier les facteurs qui encouragent la conduite délinquante. Ils se sont servis des pupilles du tribunal ou des pensionnaires des internats pour ces travaux. Bon nombre de ces études portaient sur les rapports entre la conduite délinquante officielle ou cachée et diverses variables sociales.
46Le Blanc (1994b) divise ces études sur deux périodes. La première période, de 1932 jusqu’au milieu des années 1960, comprend des études comparatives (délinquants et non-délinquants) ou descriptives dont les échantillons étaient petits et l’éventail des facteurs envisagés très large. Elles montraient que les jeunes délinquants québécois souffraient des mêmes handicaps sociaux et psychosociaux que les délinquants des études criminologiques. La seconde période, qui s’étend du début des années 1960 jusqu’au milieu des années 1980, est caractérisée par des études qui considèrent un certain nombre de facteurs se rattachant à un seul domaine (famille, école, pairs, activités routinières, contraintes formelles et informelles) ou à plusieurs. Les échantillons sont plus grands, et les techniques statistiques plus complexes. Celles-ci ne comparent pas les délinquants avec des non-délinquants, elles analysent plutôt l’association entre de multiples facteurs sociaux et le degré de délinquance des individus. Après 1985, les travaux utilisent des échantillons d’adolescents et d’adolescents judiciarisés pris dans toutes les décennies depuis les années 1970 pour valider les résultats. Ils se distinguent des études antérieures par le fait que les définitions des facteurs sont plus rigoureuses et qu’elles se rattachent à un modèle théorique (figure 3). Elles considèrent les domaines de facteurs et l’ensemble formé par eux comme des systèmes (Le Blanc, 2006 ; Le Blanc, 2010). Elles comprennent des typologies d’individus et considèrent la continuité entre l’adolescence et l’âge adulte.
Quels sont les facteurs familiaux ?
47Avant 1985, les travaux effectués venaient confirmer les données accumulées dans la sociocriminologie des adolescents, montrant que la famille des jeunes délinquants était inadéquate (Le Blanc, 1994b, 2003 ; Cloutier et Drolet, 1990 ; Pauzé, 2000). Depuis 1985, trois thèmes ont été abordés : les effets de la structure familiale sur son fonctionnement, l’organisation des facteurs familiaux en système et les types de familles.
FIGURE 3. La structure hiérarchique des concepts de la régulation sociale

La structure de la famille
48Plusieurs faits ont été observés concernant l’impact des types de structures familiales sur le fonctionnement de la famille et la conduite délinquante.
49Premièrement, Le Blanc et autres (1991) ont montré que la dissolution du couple parental entraîne une baisse des ressources disponibles pour les adolescents. Deuxièmement, les familles éclatées sont davantage dysfonctionnelles que les familles unies pour les liens affectifs et les méthodes éducatives. Troisièmement, les parents qui se séparent ont vécu et vivent encore des conflits ; ils affichent plus de conduites déviantes. Quatrièmement, lorsque la mère est jeune à la naissance de son enfant, elle lui fait vivre davantage de séparations et de recompositions de couples et, de son côté, l’enfant risque davantage d’adopter des conduites déviantes (Le Blanc et autres, 1998). Cinquièmement, Le Blanc et Ouimet (1988) ont observé qu’une séparation récente accroît davantage la conduite délinquante des adolescents qu’une séparation ancienne. Ces travaux laissent entendre que la dissolution du couple n’est pas une cause directe de la conduite délinquante. Elle amoindrit la qualité de la vie familiale et, par le fait même, elle favorise la conduite délinquante de l’adolescent.
50La comparaison entre les familles intactes et dissoutes, bien que pertinente, s’est révélée insuffisante. En effet, de nos jours, la famille présente diverses structures, et chacune d’entre elles peut donner lieu à des analyses comparatives. Le Blanc et autres (1991) ont établi les proportions des formes de structure dans divers échantillons : familles intactes, 66 % ; familles monoparentales, 18 % ; familles recomposées, 14 % ; et familles substitutives, 4 %. Chez les adolescents judiciarisés, ces proportions sont respectivement de 16 % pour les familles intactes, de 37 % pour les familles monoparentales, de 31 % pour les familles recomposées, de 5 % pour les familles substitutives et de 11 % pour ceux qui vivent avec des membres de leur parenté. L’écart entre la population des adolescents et celle des adolescents judiciarisés est considérable.
51En outre, Le Blanc et autres (1991) ont établi que certains types de familles désunies constituent un facteur de risque notable. Les familles patricentriques, les familles substitutives et les familles matricentriques constituent les trois principaux facteurs de risque pour la conduite délinquante. Par contre, Cloutier et Drolet (1990) ont montré que les familles patricentriques sont moins défavorables que les familles matricentriques. Leur étude utilisait des échantillons représentatifs de l’ensemble de la population, alors que l’échantillon de Le Blanc et autres (1991) provenait de la population vivant dans des zones défavorisées, ce qui entraînait une baisse de la proportion des familles dont le statut social est élevé. Par ailleurs, il faut noter que, chez les garçons, l’arrivée, au début de l’adolescence, d’un conjoint dans une famille monoparentale matricentrique augmente considérablement la probabilité de l’activité délinquante en comparaison des autres types de familles (Pagani et autres, 1998). L’absence du père biologique ou le caractère insuffisant du rôle joué par ce dernier apparaissent comme des éléments-clés, puisque Fréchette et Le Blanc (1987) montrent que l’activité délictueuse se poursuivra et prendra de l’ampleur au cours de la seconde période de l’adolescence.
52Le rôle de la famille varie également selon le sexe des adolescents (Le Blanc et autres, 1991). Au cours de l’adolescence, les garçons souffrent de l’absence de la mère biologique, et les filles acceptent mal la mère de remplacement. Les garçons supportent mal la présence d’un père de remplacement, et les filles l’absence du père biologique. Notons que Le Blanc et autres (1991) ont observé que le fait d’être placé dans une famille substitutive n’est pas nécessairement défavorable pour les adolescents des quartiers défavorisés. En somme, la structure de la famille détermine le fonctionnement de celle-ci et elle peut par conséquent constituer un facteur de risque pour la conduite délinquante.
Le fonctionnement du système familial
53Les travaux de l’équipe de Le Blanc (Le Blanc et Ouimet, 1988 ; Le Blanc, 1992 ; Le Blanc, 1994a ; Le Blanc et McDuff, 1991 ; Le Blanc et autres, 1998) ont porté sur un modèle de régulation familiale qui a été conçu et testé avec des méthodes de cheminement de la causalité pour les adolescentes et les adolescents. Ce modèle a été appliqué à une population d’adolescents s’étendant sur plusieurs décennies (figure 4). La régulation familiale de l’activité délinquante s’accomplit dans la mesure où les conditions structurelles ne constituent pas un désavantage marqué pour l’adolescent. Deux types de conditions structurelles sont pertinentes : le désavantage socioéconomique de la famille et le niveau de désavantage familial. Le faible statut socioéconomique et la dépendance économique forment le premier groupe de facteurs négatifs. Une fratrie nombreuse, un couple désuni qui déménage souvent et une mère au travail sont autant d’éléments susceptibles de nuire au bon fonctionnement du système familial, surtout si le couple s’est dissous récemment. Des liens conjugaux harmonieux favorisent le développement de la vie familiale et le développement des relations entre parents et enfants. L’absence de modèles déviants, c’est-à-dire de parents qui ont une conduite répréhensible ou des attitudes et des valeurs critiquables, constitue une autre protection contre l’activité délinquante. Elle contribue à assurer la qualité des liens conjugaux, l’affection entre les parents et l’adolescent et l’obéissance des adolescents aux contraintes imposées par les parents.
FIGURE 4. La régulation familiale

Notes :
1) les boîtes superposées représentent le temps : les plus éloignées le temps lointain, les plus proches le temps contemporain ;
2) les flèches unidirectionnelles représentent les effets contemporains et les effets successifs à travers le temps ;
3) les flèches bidirectionnelles représentent les interactions contemporaines à travers le temps.
54Dans la mesure où les conditions structurelles ne sont pas adverses et où les modèles parentaux déviants sont absents, la vie familiale est une source d’enrichissement, et l’attachement entre l’adolescent et ses parents se développe. Des liens sociaux solides constituent un rempart contre la délinquance. Si tous ces aspects de la vie familiale sont positifs, l’adolescent se pliera de bonne grâce aux contraintes imposées par les parents. Les contraintes ou les règlements fixés par les parents constituent la plus solide barrière à l’activité délinquante. Par ailleurs, si l’adolescent considère qu’ils sont légitimes, la supervision est plus aisée et les sanctions sont acceptées plus facilement puisqu’elles ont un sens. Le dérèglement de la vie familiale sur le plan des conditions structurelles, des liens sociaux et des contraintes se traduit d’abord par de l’insubordination, et celle-ci, si elle ne rencontre aucun obstacle, renforce la conduite délinquante.
55Sur un plan développemental, l’insubordination est susceptible d’affecter la vie familiale. La vie de couple est plus difficile en raison des disputes occasionnées par cette insubordination. En conséquence, l’investisse ment dans la vie familiale est réduit. L’attachement aux parents peut diminuer du fait de l’insubordination. Dès lors, les contraintes sont soit renforcées, soit remises en question. L’instabilité introduite dans la régulation familiale facilite, en contrepartie, l’insubordination ainsi que l’apparition ou l’aggravation de l’activité délinquante. Notons que, si des contraintes injustifiées constituent un facteur précipitant de l’activité délinquante au cours de l’adolescence, il n’en va pas de même pour la criminalité adulte. Pour la prédiction de l’activité criminelle entre 18 et 30 ans, qu’elle soit officielle ou autorapportée, Le Blanc (1992, 1994a) a montré que les liens familiaux, en particulier l’attachement aux parents, constituent le facteur le plus puissant de la continuité de l’activité délinquante.
Les types de régulation familiale
56Il existe de très nombreux travaux sur les rapports entre les caractéristiques de la famille et la conduite déviante. Par contre, les études qui combinent plusieurs caractéristiques pour définir des formes de la régulation familiale sont rares. Le Blanc et Bouthillier (2001), avec les données d’échantillons d’adolescents normaux et judiciarisés des années 1970 à 1990, ont identifié cinq formes de régulations familiales, et chacune produit une forme et un niveau de conduite déviante. Leurs analyses ont été reprises avec des données des années 2006-2007 (Le Blanc, 2009). Les cinq types de familles sont la famille relationnelle qui repose sur les liens entre adolescents et parents, la famille encadrante qui s’appuie avant tout sur des méthodes éducatives, la famille conflictuelle, la famille déviante par les attitudes et la consommation de substances psychoactives des parents et la famille délinquante.
57En ce qui concerne la conduite déviante, les régulations familiales de nature relationnelle ou encadrante sont celles qui parviennent le mieux à prévenir la conduite déviante des adolescents. En contrepartie, les trois types de régulations familiales dysfonctionnelles, c’est-à-dire les familles conflictuelles, déviantes et délinquantes, sont toujours ceux dont les adolescents sont les plus actifs et les plus précoces dans les diverses formes de conduite délinquante et de troubles du comportement. Les familles conflictuelles ont des adolescents qui sont plus souvent violents, en conflit avec l’autorité et qui commettent différentes formes d’actes délinquants. Les familles délinquantes ont plus souvent que les familles normales des adolescents qui volent et qui consomment de l’alcool. La régulation familiale déviante suscite davantage de consommation de drogues et diverses formes de troubles du comportement.
Quels sont les facteurs scolaires ?
58Les travaux effectués avant les années 1990 montraient que les jeunes délinquants avaient accumulé des retards scolaires, qu’ils fonctionnaient mal à l’école (mauvais résultats, troubles du comportement, etc.), en somme, qu’ils étaient inadaptés à l’école (Le Blanc, 1992). D’autres études ont établi que la conduite délinquante était précédée de conduites inadaptées en milieu scolaire et que l’intérêt pour les études remédiait plus à l’indiscipline scolaire que la performance et, par suite, les conduites délinquantes et déviantes. Par contre, la réaction des autorités scolaires à l’indiscipline de l’élève avait pour effet d’encourager les conduites déviantes.
La régulation scolaire de la conduite délinquante
59Depuis ces travaux comparatifs et corrélationnels, Le Blanc et autres (1992) ont envisagé l’expérience scolaire comme un système. Il ressort que la régulation scolaire repose sur trois mécanismes complémentaires : la performance, les liens avec l’école (investissement dans les activités scolaires et la scolarisation, attachement aux enseignants) et les contraintes scolaires. Par ailleurs, elle se fait difficilement lorsque sont présentes trois conditions qui déterminent la performance et les liens avec l’école : le retard scolaire, une faible scolarité des parents et le stress psychologique occasionné par l’expérience scolaire.
60Le niveau de la performance constitue une sorte de pivot de la régulation scolaire. Plus le niveau de la performance est élevé, plus les liens avec l’école sont solides. Les niveaux de l’investissement et de l’attachement aux enseignants sont renforcés par la performance qui, en retour, accroît l’investissement dans les études et rend les contraintes moins nécessaires. L’attachement a, quant à lui, un effet positif sur l’engagement et rend le recours aux contraintes moins indispensable.
61L’engagement dans les études est un mécanisme-clé de la régulation scolaire. Son niveau est fonction des contraintes que s’impose l’adolescent lui-même et de celles qui sont fixées par les autorités scolaires. Le dernier rempart contre l’indiscipline scolaire et l’activité délinquante est constitué par les contraintes internes, la légitimité des normes scolaires. Au contraire, les contraintes externes et les sanctions aggravent l’indiscipline scolaire et l’activité déviante. Les rapports entre les sanctions et l’indiscipline scolaire sont complexes puisque l’indiscipline justifie les sanctions qui, à leur tour, alimentent l’indiscipline. Plus que toutes les autres dimensions de l’expérience scolaire, l’indiscipline scolaire et les sanctions constituent des causes directes de l’activité délinquante.
62Sur un plan développemental, l’indiscipline est suivie de l’application de sanctions qui, en retour, ont pour effet de diminuer la performance, l’investissement, l’attachement et l’engagement, et ainsi de favoriser l’indiscipline scolaire et l’activité déviante. Le Blanc (1994a) a montré que la performance est, parmi les variables scolaires, celle qui prédit le mieux l’activité criminelle, officielle ou autorapportée, entre 18 et 30 ans. Les contraintes imposées par les autorités scolaires aggravent l’activité délinquante des adolescents sans qu’il soit possible de préjuger de ce que sera la criminalité à l’âge adulte. L’activité délinquante est encore plus favorisée si la performance scolaire est faible et si les liens avec l’école sont ténus.
Les formes de l’expérience scolaire
63Le Blanc (2010) a identifié quatre types d’élèves du point de vue de leur expérience scolaire. Il y a l’élève engagé dont la scolarisation est exemplaire, l’élève adapté qui se conforme aux attentes de la société, l’élève en échec dont le cheminement scolaire est désordonné et l’élève désengagé. Le Blanc (2010) rapporte que le niveau de déviance, en ce qui concerne les activités délinquantes ou les troubles du comportement tels que l’indiscipline scolaire, est plus élevé chez l’élève désengagé que chez l’élève engagé et que l’écart entre les élèves engagés et adaptés et les élèves en échec et désengagés est majeur. Il en va de même pour la probabilité du décrochage scolaire.
Le décrochage scolaire
64La recherche empirique québécoise sur l’abandon des études a privilégié l’investigation des facteurs liés à l’expérience individuelle du décrocheur. Sur le plan méthodologique, les études présentent une forme transversale ou longitudinale rétrospective et, dans une moindre mesure, une approche longitudinale prospective. Les garçons sont plus nombreux à décrocher que les filles ; par contre, le sexe perd sa valeur prédictive une fois que les facteurs de risque scolaires et familiaux sont connus (Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997). La majorité des décrocheurs quittent l’école secondaire à l’âge de 16 ou 17 ans ; les décrocheurs de 15 ans et moins représentant entre 11 % et 19 % de la population étudiée, selon Hrimech, Théoret, Hardy et Gariépy (1993). Les élèves dont la langue maternelle est le français sont plus nombreux à décrocher que les élèves de langue maternelle anglaise ; en revanche, les données sur l’origine ethnique sont peu nombreuses et inconsistantes (Hrimech, Théoret, Hardy et Gariépy, 1993).
65Étant donné la nature même de la problématique, il n’est pas étonnant de constater que la qualité de l’expérience scolaire est un des plus puissants facteurs prédictifs du décrochage scolaire (Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997). Parmi les facteurs de risque les plus importants qui ont été identifiés, notons l’échec et le retard scolaires, une motivation et un sentiment de compétence faibles, des aspirations scolaires moins élevées, des problèmes d’agressivité et d’indiscipline, l’absentéisme ainsi qu’un faible investissement dans les activités scolaires et parascolaires (Horwich, 1980 ; Hrimech, Théoret, Hardy et Gariépy, 1993 ; Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997 ; Vitaro, Brendgen, Ladouceur et Tremblay, 2001 ; Janosz et autres, 2009).
66En ce qui concerne les habitudes de vie, les facteurs de risque sont : consommer des psychotropes, flâner, avoir une conduite délinquante, fréquenter beaucoup les personnes du sexe opposé (Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997). Au plan des relations entre pairs, les futurs décrocheurs s’associent plus souvent à des pairs dont les aspirations scolaires sont peu élevées, qui sont eux-mêmes décrocheurs ou potentiellement décrocheurs, ou qui affichent des problèmes de comportement (Horwich, 1980 ; Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997 ; Vitaro, Brendgen, Ladouceur et Tremblay, 2001). Des relations conflictuelles avec les enseignants apparaissent comme un facteur prédictif du décrochage (Janosz et autres, 2001) alors que des relations chaleureuses avec ces derniers favorisent la réussite scolaire (Fallu et Janosz, 2003).
67Au plan de la personnalité, les futurs décrocheurs semblent davantage afficher une faible estime de soi, une propension à somatiser, des états affectifs négatifs et le sentiment que ce sont des facteurs externes qui régissent leur destinée (Horwich, 1980 ; Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997).
68Les facteurs prédictifs familiaux relèvent autant des dimensions structurelles que fonctionnelles. D’une part, les adolescents qui proviennent de familles désunies ou reconstituées, à faible revenu ou dans un état de dépendance économique, où il y a plusieurs enfants, et dont les parents sont peu scolarisés, sont plus à risque d’abandonner l’école (Horwich, 1980 ; Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997). D’autre part, les adolescents sont plus à risque de décrocher si les parents valorisent peu l’école et s’occupent peu d’encadrer les études de leur adolescent ; si le style parental est permissif, et le système d’encadrement déficient ; s’il y a un manque de communication et de chaleur dans les rapports parents-enfants ; et s’ils réagissent mal ou pas du tout aux échecs scolaires de leur enfant (Horwich, 1980 ; Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997).
69Certains chercheurs ont étudié la valeur prédictive relative des différents facteurs du risque de décrochage (Horwich, 1980 ; Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997). D’une manière générale, il ressort que ce sont les variables familiales et scolaires qui possèdent le plus grand pouvoir prédictif. L’utilisation de ces facteurs de risque à des fins de dépistage à l’adolescence permet de distinguer les futurs décrocheurs des futurs diplômés (autour de 80 % de classifications correctes) (Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 1997 ; Janosz et Le Blanc, 1997 ; Janosz et autres, 2008).
70Janosz, Archambault, Morizot et Pagani (2008) ont identifié sept trajectoires développementales de l’engagement scolaire pendant les études secondaires et à chacune ils ont associé une probabilité de décrochage. Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay (2000) ont construit et validé une typologie de quatre groupes de décrocheurs qui présentent des caractéristiques scolaires suffisamment différentes pour justifier des interventions distinctes. Cette classification est fondée sur la qualité de l’engagement scolaire, les problèmes du comportement à l’école et le rendement scolaire. Deux types de décrocheurs se démarquent : les décrocheurs discrets et les inadaptés. Les premiers présentent un profil d’étudiant semblable à celui des futurs diplômés : ils aiment l’école, se disent engagés face à leur scolarisation et ne présentent aucun problème de comportement. Leur rendement scolaire est cependant un peu faible et, comme tous les autres décrocheurs, ils proviennent surtout de milieux socioéconomiques défavorisés. Les inadaptés se distinguent par un profil scolaire et psychosocial négatif : échecs scolaires, problèmes du comportement, délinquance, milieu familial difficile, etc. Entre ces deux extrêmes se situent les décrocheurs désengagés et sous-performants. Les premiers n’ont pas de problèmes de comportement ; ils obtiennent des notes moyennes quoiqu’ils soient très désengagés face à leur scolarisation. Enfin, les sous-performants sont des adolescents qui, en plus d’être désengagés face à l’école, sont aussi en situation d’échec scolaire. Des problèmes d’apprentissage semblent être présents dans leur expérience scolaire, mais ils n’affichent pas de problèmes du comportement. Donc, tout en partageant certains facteurs de risque de décrochage, les adolescents qui abandonnent l’école affichent des profils scolaires et personnels suffisamment différents pour justifier des interventions adaptées ainsi que des modèles explicatifs différentiels (Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 2000 ; Le Blanc, 1994a).
Comment les pairs influencent-ils la conduite délinquante ?
71Depuis que Sutherland a bâti sa théorie de l’association différentielle en 1934, les pairs figurent parmi les principaux facteurs étiologiques de la conduite délinquante (Morizot et Le Blanc, 2000). Au Québec, le rôle joué par le groupe de pairs dans l’activité délinquante des adolescents a fait l’objet de peu de travaux avant les années 1990 (Le Blanc, 1994b). Depuis, plusieurs travaux sont venus s’ajouter.
La régulation de la conduite délinquante par les pairs
72L’ampleur du réseau de pairs et l’acceptation des amis par les parents constituent les contextes dans lesquels les liens avec les pairs peuvent se développer. Le Blanc et Morizot (2001) ont montré que l’attachement aux pairs est une source d’engagement envers ceux-ci et que ces deux éléments sont connexes. De plus, les effets de l’attachement et de l’engagement sur l’activité délinquante varient suivant la nature des affiliations. S’il s’agit d’un groupe de pairs normal, l’activité délinquante est rare. Par contre, si l’adolescent fréquente des pairs délinquants, ses activités sont alors nombreuses, quel qu’ait été son niveau de délinquance antérieur.
73Vitaro et son équipe ont publié plusieurs articles, depuis 1997, sur l’influence des pairs au début de l’adolescence. Ils ont utilisé deux études longitudinales ; la première comportait un millier d’enfants recrutés, en 1984, en première année et suivis annuellement jusqu’à la fin de l’adolescence ; la seconde comprenait 300 garçons et filles. Vitaro, Dobkin, Janosz et Pelletier (1997) ont observé que les garçons qui étaient modérément turbulents à 11-12 ans et qui fréquentaient des amis agressifs et turbulents commettaient davantage d’actes délinquants que les autres garçons. Ils ont noté que les garçons fortement turbulents ou conformistes ne sont pas grandement influencés par les caractéristiques de leurs amis. Brendgen, Bowen, Rondeau et Vitaro (1999) ont établi que le niveau d’agressivité des amis prédit la fréquence d’utilisation des solutions agressives chez les garçons et les filles. Cette équipe a tenté de comprendre l’influence des amis délinquants. Vitaro, Brendgen et Tremblay (2000) ont montré que les comportements turbulents des garçons durant l’enfance, la faiblesse de l’attachement aux parents et une attitude favorable à l’égard de l’activité délinquante favorisaient l’affiliation à des pairs délinquants et une activité délinquante plus importante par la suite. Par contre, la conduite délinquante des amis et la faiblesse de la supervision parentale influençaient directement, indépendamment des variables précédentes, l’affiliation aux pairs délinquants et l’activité délinquante subséquente. Brendgen, Vitaro et Bukowski (2000a) ont noté que les adolescents qui s’associent à des pairs délinquants affichent des tendances à la dépression aussi fortes que les adolescents qui n’ont pas d’amis, mais qu’ils se sentent moins seuls que ces derniers. Brendgen, Vitaro et Bukowski (2000b) observent que c’est le caractère récent de l’affiliation aux pairs délinquants qui est le meilleur indice quant à l’activité délinquante future et que la stabilité de l’affiliation aux pairs délinquants variait suivant que l’attitude antérieure était favorable ou non à la conduite délinquante. Il résulte de ces études que l’association à des pairs délinquants a des conséquences négatives, qu’elle aboutit à une activité délinquante et à de la dépressivité ; que la faiblesse de la supervision parentale se combine à l’affiliation à des pairs délinquants pour favoriser la conduite délinquante ; que le peu d’attachement aux parents, certaines conduites turbulentes et agressives au cours de l’enfance et des attitudes favorables à l’activité délinquante encouragent l’association à des pairs délinquants ; que cette variable associée à la faible supervision parentale constitue un indice quant à la conduite délinquante future. Cette chaîne causale a été démontrée par l’analyse de l’effet d’un programme de prévention (Brendgen, Bowen, Rondeau et Vitaro, 1999 ; Vitaro et Tremblay, 1998 ; Vitaro et autres, 1999 ; Vitaro, Brendgen, Ladouceur et Tremblay, 2001) : la réduction des comportements turbulents diminue le risque d’affiliation à des pairs délinquants si elle s’accompagne d’une augmentation de la supervision parentale et de l’association à des pairs prosociaux.
Les types de liens avec les pairs et d’affiliation à la culture adolescente
74Le Blanc (2010) a dégagé trois formes d’affiliation culturelle. Les adolescents qui s’affilient à la sous-culture déviante sont significativement plus impliqués dans tous les types d’activités déviantes. Ceux qui adoptent la sous-culture adolescente sont davantage impliqués dans des activités délinquantes, tandis que ceux qui s’attachent à la culture commune voient un peu plus souvent leurs activités déviantes se manifester sous la forme de troubles du comportement.
75Le Blanc (2010) a identifié quatre formes de liens entre les meilleurs amis. Les adolescents qui entretiennent des liens de réseautage ont significativement plus d’activités déviantes et de troubles du comportement et ils adoptent davantage la sous-culture déviante. Les adolescents qui favorisent des liens d’intimité ont moins d’activités déviantes et ils adoptent plus souvent la sous-culture adolescente. Les adolescents qui fréquentent surtout des adultes ont moins d’activités déviantes et leurs pairs sont plus souvent normaux. Les adolescents qui ont établi des liens d’association sont peu déviants et ils tendent à adopter la sous-culture adolescente.
Les bandes
76La conduite délinquante a toujours été reconnue comme une activité de groupe en criminologie. Toutefois, l’ampleur de la participation des adolescents aux bandes délinquantes est difficile à évaluer. D’une part, le terme bande peut désigner différents genres de groupes, du réseau de délinquants à la quasi-bande et à la bande structurée (Lanctôt et Le Blanc, 1996a ; Hébert, Hamel et Savoie, 1997). D’autre part, les statistiques officielles sont peu fiables à cet égard (Hébert, Hamel et Savoie, 1997). À Montréal, les enquêtes auprès d’échantillons d’adolescents permettent de conclure à une augmentation de la proportion de ceux qui ont dit appartenir à une bande (Le Blanc et Lanctôt, 1997). Cette évolution est rapportée par les intervenants qui s’occupent de la jeunesse en difficulté (Trudeau, 1997 ; Hamel, Fredette, Blais et Bertot, 1998). Par exemple, la proportion des adolescents qui font partie d’une bande délinquante passe de 7 à 11 % entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980 (Le Blanc et Côté, 1986) pour atteindre 17 % en 1999 (Deguire, 2000). Chez les pupilles de la Chambre de la jeunesse, la participation à une bande délinquante est nettement plus élevée : près des deux tiers ont fréquenté une bande au cours des années 1970 et des années 1990 (Le Blanc et Lanctôt, 1995).
77Les bandes déviantes présentent une importante hétérogénéité au plan de l’origine ethnique (Hamel, Fredette, Blais et Bertot, 1998). Elles sont composées à la fois d’adolescents, de jeunes adultes et même d’adultes (Hamel, Fredette, Blais et Bertot, 1998). Il leur arrive d’opérer comme des organisations structurées, mais la grande majorité sont des quasi-bandes ou des réseaux de délinquants (Le Blanc et Lanctôt, 1995). Ces bandes assignent des rôles auxiliaires à leurs membres féminins (Arpin, Dubois, Dulude et Bisaillon, 1994 ; Hamel, Fredette, Blais et Bertot, 1998).
78L’affiliation à une bande délinquante se fait de façon graduelle, plutôt qu’à la suite de menaces et d’intimidation (Hamel, Fredette, Blais et Bertot, 1998 ; Fredette, Proulx et Hamel, 2000). Les adolescents qui adhèrent à une bande se disent attirés par la protection, la valorisation, la reconnaissance et le respect (Hamel, Fredette, Blais et Bertot, 1998). L’association à une bande se fait surtout au début de l’adolescence (Hamel, Fredette, Blais et Bertot, 1998). S’il n’y a pas eu d’affiliation avant l’âge de 16 ans, il est peu probable qu’elle ait lieu par la suite (Le Blanc et Lanctôt, 1997). Par ailleurs, les enquêtes indiquent que l’appartenance à une bande est temporaire, qu’elle dure une année dans la majorité des cas (Le Blanc et Lanctôt, 1997).
79Bien que la participation à une bande s’échelonne sur une période limitée, elle n’est pas sans conséquences. Le degré de délinquance des membres d’une bande dépasse celui des non-membres, surtout pour les délits sérieux, et ce, quel que soit le sexe (Lanctôt et Le Blanc, 1996b ; Lanctôt et Le Blanc, 1997 ; Fredette, 1997 ; Gatti, Tremblay, Vitaro et McDuff, 2005). Qu’ils soient garçons ou filles, pris en charge ou non par le système de la justice, préadolescents ou adolescents, les membres d’une bande se distinguent des non-membres par la variété des actes déviants et délinquants (Le Blanc et Lanctôt, 1997), les actes d’agression venant en tête de liste (Lanctôt et Le Blanc, 1996 ; Lanctôt et Le Blanc, 1997 ; Trudeau, 1997 ; Hamel, Fredette, Blais et Bertot, 1998).
80Il semble que deux processus puissent expliquer l’intensification des activités délinquantes des membres d’une bande. En premier lieu, le processus de sélection se traduit par le fait que les membres d’une bande affichent des difficultés d’adaptation plus importantes et, ceci, d’autant plus que la bande est structurée (Lanctôt et Le Blanc, 1996b ; Le Blanc et Lanctôt, 1998 ; Hamel, Fredette, Blais et Bertot, 1998 ; Fredette, Proulx et Hamel, 2000 ; Dupéré et autres, 2006 ; Lacourse et autres, 2007). Ainsi, les membres d’une bande sont davantage exposés aux modèles déviants, que ce soit dans leur famille, par leurs amis ou leurs activités routinières. Leur expérience familiale est marquée de ruptures : séparation des parents, placement, désunion de la famille au moment de l’immigration. Ces adolescents sont peu supervisés à la maison, ils reçoivent de nombreuses sanctions à l’école et refusent les contraintes sociales. De surcroît, la situation scolaire des membres est précaire. D’un autre côté, la personnalité des adolescents qui se joignent à une bande affiche de nombreuses lacunes. Ils adoptent une position antisociale et une éthique de durs. Leurs modes d’interaction reposent sur l’opposition, la méfiance et le désir de domination. L’adolescent extraverti à 15 ans s’affilie davantage à une bande à 17 ans et sa conduite déviante est plus grande à 23 ans, tandis que l’inverse n’est pas vrai. De plus, la présence de bandes dans le voisinage, les difficultés des institutions et des organismes à satisfaire les besoins des adolescents et à leur offrir des opportunités sur le plan social et économique constituent des facteurs qui encouragent la participation à une bande (Hébert, Hamel et Savoie, 1997).
81Au-delà de la sélection, la facilitation serait un autre facteur qui fait augmenter les activités délinquantes des membres d’une bande (Lanctôt et Le Blanc, 1996 ; Le Blanc et Lanctôt, 1997 ; Craig, Vitaro, Tremblay et Gagnon, 2002 ; Lacourse et autres, 2003). Les membres d’une bande structurée manifestent davantage de conduites d’agressivité et de destructivité, et ce, même s’ils présentent un profil social et personnel qui se compare à celui des membres d’une bande moins organisée. Ainsi, la bande sélectionne les individus qui affichent le plus fort potentiel antisocial. Par la suite, le contexte de la bande favorise la perpétration d’un plus grand nombre d’actes déviants et délinquants.
Quel rôle jouent les activités routinières ?
82Le dernier agent de socialisation concerne l’utilisation des temps libres. Ces études ont toujours été peu nombreuses ; elles montraient que les jeunes délinquants pratiquaient peu des activités prosociales dans leurs temps libres et que ces activités n’étaient pas un facteur prépondérant dans l’explication de la conduite délinquante (Le Blanc, 1994b, 2003).
83Par ailleurs, Le Blanc (2010) rapporte que les façons d’occuper ses temps libres interagissent les unes avec les autres pour régulariser la conduite déviante. La quantité d’argent de poche et le fait de travailler en étudiant modulent le choix de certains types d’activités routinières. Ces conditions augmentent la participation aux activités culturelles, non structurées, électroniques, pornographiques et la fréquentation de lieux réservés aux adultes. Pour leur part, les activités avec des adultes suscitent un plus grand nombre d’activités électroniques, non structurées, pornographiques et avec les membres de la famille. Les activités électroniques sont associées à une plus grande préférence pour la consommation d’images qui impliquent de la violence. Les activités sociales plus nombreuses avec les amis suscitent la fréquentation de lieux réservés aux adultes et davantage de conduites déviantes. Les activités non structurées favorisent aussi une plus grande fréquentation de lieux réservés aux adultes et la conduite déviante. Finalement, le facteur le plus important qui prédit la conduite déviante est la fréquentation de lieux réservés aux adultes, ceci avec l’appui mineur des activités sociales et non structurées. Les activités avec les membres de la famille font diminuer la conduite déviante, tandis que les activités non structurées la font augmenter. Si l’adolescent s’investit dans des activités culturelles supervisées par des adultes et avec les membres de sa famille, il a peu d’activités non structurées et moins de conduites déviantes. À l’inverse, si l’adolescent investit l’essentiel de son temps dans des activités non structurées et peu de temps dans des activités culturelles et des activités supervisées par des adultes et des activités familiales, sa conduite déviante s’amplifie. Si, en plus d’un investissement élevé dans des activités non structurées, l’adolescent cultive les occasions de se former une opinion favorable à la déviance ou s’il fréquente des lieux où la conduite déviante se manifeste, il est plus probable que sa conduite déviante s’aggravera.
84Le Blanc (2010) rapporte avoir identifié cinq styles d’activités routinières compte tenu du temps consacré aux diverses formes d’activités. Ces cinq styles sont associés de manière statistiquement significative à des niveaux d’activités déviantes. Qu’il s’agisse des activités délinquantes, dont celles qui sont relatives à la délinquance grave, ou des troubles du comportement, dont la consommation de substances psychoactives, la variété et la fréquence de ces formes d’activités déviantes décroît dans l’ordre suivant. Les activités routinières marginales sont associées à des activités déviantes plus nombreuses, plus hétérogènes et plus graves, ensuite se retrouvent, dans un ordre décroissant, les styles d’activités routinières sociales, électroniques, supervisées par les adultes et familiales. Il existe un écart important entre les adolescents marginaux et sociaux et les adolescents qui adoptent les autres styles d’activités routinières au niveau des activités déviantes.
Quel est l’impact des contraintes sociales ?
85Par contrainte sociale, il faut entendre des pressions sociales qui contribuent à la conformité et qui émanent de la société dans son ensemble ou des personnes mandatées pour les exercer. Elles sont de deux ordres : les valeurs et les attitudes, ce que l’on nomme les contraintes internes, et les réactions formelles ou informelles des institutions sociales, c’est-à-dire les contraintes externes appliquées dans la famille, à l’école, par la justice, etc. Le Blanc (1994c) a montré que les contraintes sont aussi puissantes que les autres facteurs sociaux pour expliquer la conduite délinquante. Par ailleurs, les contraintes internes, en comparaison des contraintes externes, constituent la force de coercition qui prédit le mieux la conduite délinquante des adolescents et les activités criminelles à l’âge adulte.
86Le Blanc (2010) a identifié trois types de contraintes internes et il a montré que l’activité déviante, sous toutes ses formes, varie significativement entre ces formes de la contrainte interne. La contrainte interne antisociale est associée à davantage de troubles du comportement et d’activités délinquantes. La contrainte interne de déresponsabilisation vient au deuxième rang. La contrainte interne conventionnelle produit peu de comportements déviants.
LES CARACTÉRISTIQUES PSYCHOLOGIQUES INFLUENCENT-ELLES LA CONDUITE DÉLINQUANTE ?
87Dès les premiers travaux québécois sur la délinquance des mineurs, les chercheurs se sont intéressés à la personnalité des jeunes délinquants (Le Blanc, 1985). Il est possible de recenser des études avec de petits échantillons qui décrivent les jeunes délinquants ou les comparent avec d’autres adolescents. Ces travaux concernent d’innombrables caractéristiques psychologiques des domaines cognitifs, relationnels, affectifs, psychosociaux, moraux et sexuels, et celles-ci sont mesurées par une grande variété de tests. À partir du milieu des années 1970, Marcel Fréchette a initié des travaux autour de la notion de la personnalité criminelle (Le Blanc, 1994b, 2003). Ces études utilisaient de grands échantillons d’adolescents conventionnels et judiciarisés (Fréchette et Le Blanc, 1987). Les traits qui caractérisent ce type de personnalité, en comparaison des variables sociales, dominent l’explication de la délinquance grave (Le Blanc, 1997b), mais elles sont peu significatives pour rendre compte de la délinquance commune de la majorité des adolescents (Le Blanc, Ouimet et Tremblay, 1988).
88Il aura fallu attendre 1990 pour que la criminologie vive une révolution conceptuelle. Gottfredson et Hirschi (1990) affirment que la cause principale de l’activité délinquante n’est pas les liens sociaux fragiles, mais une faible maîtrise de soi. Un rapprochement est possible entre la faible maîtrise de soi et le moi incompétent de Freud, le manque d’autonomie de la volonté de Durkheim, le faible concept de soi de Reckless, la personnalité criminelle de Pinatel et la personnalité égocentrique de Fréchette et Le Blanc. Les méta-analyses de Pratt et Cullen (2000) et de Miller et Lyman (2001) confirment que la faible maîtrise de soi prédit la conduite déviante sous ses diverses formes, mais, contrairement à l’affirmation de Gottfredson et Hirschi, elle n’explique pas à elle seule les conduites déviantes, et ce, indépendamment des pays, des races, des sexes et des mesures de la personnalité (Caspi et autres, 1994).
Une définition structurale et hiérarchique de la maîtrise de soi
89Il existe un consensus dans la communauté des spécialistes de la personnalité pour classer ses nombreux traits en trois catégories principales : la réactivité émotive (ou le névrotisme ou l’émotivité négative), la sociabilité (ou l’extraversion ou l’émotivité positive) et l’inhibition cognitive et comportementale (ou la désinhibition ou la contrainte). La maîtrise de soi est déficiente si la réactivité émotive, la sociabilité et la désinhibition cognitive et comportementale sont élevées. Miller et Lyman (2001) montrent que les principaux modèles de mesure de ces dimensions de la personnalité sont en corrélation avec des mesures de la conduite antisociale et de l’activité délictueuse. Morizot et Le Blanc (2003a) ont validé une structure hiérarchique de traits de la personnalité à trois niveaux composée de 16 traits primaires, de 6 traits secondaire et de 3 traits principaux (figure 5). Ils vérifient que cette structure est identifiable pour les adolescents et les adolescents judiciarisés et qu’elle représente bien l’organisation des traits de la personnalité entre le début de l’adolescence et 40 ans. Les traits de cette structure de la maîtrise de soi sont associés à diverses formes de la conduite déviante (Le Blanc, 2010).
FIGURE 5. La structure hiérarchique de la maîtrise de soi

La régulation psychologique
90Le Blanc (2010) décrit ainsi la régulation psychologique. La maîtrise de soi se doit d’être faible pour soutenir la conduite déviante. Elle se manifeste sous les formes de la gestion des émotions et de la régulation des cognitions. L’adolescent reste maître de lui-même s’il dompte ses émotions et s’il raisonne d’une manière prosociale. Au contraire, l’adolescent dont la personnalité est égocentrique utilise des pensées antisociales et il a peu de prise sur l’expression de ses émotions. La régulation psychologique s’accomplit dans toutes les situations de vie rencontrées par l’adolescent. Chaque situation se présente sous la forme d’une action de l’environnement qui suscite une réaction chez l’adolescent. Chaque situation est maîtrisée par l’adolescent à l’aide de ses filtres cognitifs, émotifs et sensitifs qui ont été constitués au cours de son vécu. L’accumulation des situations contribue à forger des traits de la personnalité chez l’adolescent. À travers le temps, les traits de la personnalité égocentrique se concrétisent sous la forme de traits généraux – la désinhibition et l’instabilité émotive – et de traits secondaires. Ces traits favorisent la conduite déviante. La maîtrise de soi progresse en fonction de la capacité biologique, cognitive et tempéramentale dont l’individu a hérité à sa naissance et qui a été, ensuite, modelée par son environnement.
Le développement de la maîtrise de soi
91Morizot et Le Blanc (2003a, 2005) ont montré, avec des adolescents et des adolescents judiciarisés, que le développement de la personnalité se manifeste comme une progression vers un allocentrisme de plus en plus marqué. La maîtrise de soi se consolide de l’adolescence à la maturité. Par contre, la personne dont la maîtrise de soi marque le pas est plus susceptible de recourir à des patrons d’interaction inappropriés avec les autres personnes et à produire des conduites déviantes.
92La progression de la maîtrise de soi adopte quatre trajectoires et ces dernières se différencient légèrement pour les adolescents et les adolescents judiciarisés (Morizot et Le Blanc, 2003a, 2005). Les adolescents qui présentent une « maturation normative » (38 %) se caractérisent par des résultats moyens pour les trois traits à l’adolescence, et ces résultats diminuent rapidement jusqu’à la fin de l’adolescence. Les adolescents agentifs (32 %) affichent une maturation moins rapide que celle du groupe précédent pour la désinhibition et une augmentation importante de l’extraversion durant l’adolescence. Les adolescents avec une « maturation retardée » (23 %) présentent des résultats élevés à la désinhibition et à l’émotivité négative durant l’adolescence, et l’importance de ces traits diminue par la suite au même rythme que chez le groupe précédent au cours de l’âge adulte. Les adolescents avec une « maturation bloquée » (7 %) affichent des résultats élevés à l’adolescence sur les trois traits, suivis d’une augmentation importante de l’émotivité négative et d’une diminution de l’extraversion et de la désinhibition au cours de l’âge adulte. Morizot et Le Blanc (2005) ont montré que les individus de ces quatre types développementaux de la personnalité suivaient des trajectoires antisociales distinctes dont le degré augmentait des adolescents avec une maturation normative aux adolescents avec une maturation bloquée. Ces auteurs (2003b) ont retrouvé ces types chez les adolescents judiciarisés et, en plus, ils ont identifié un développement cyclique. Dans la mesure où les traits que représentent les dimensions structurales de la personnalité se consolident dans l’avoir psychologique de la personne, il en résulte que la progression vers l’allocentrisme est bloquée, que l’adolescent maintient et renforce alors sa maîtrise de soi déficiente.
VERS UNE INTÉGRATION DES DONNÉES COMPORTEMENTALES, SOCIALES ET PSYCHOLOGIQUES
93Avant le milieu des années 1980, peu de criminologues se préoccupaient d’intégrer les données comportementales, sociales et psychologiques. L’équipe de Denis Szabo avait tracé la voie de l’intégration théorique et empirique à la fin des années 1960 (Le Blanc, 1994b). Depuis les années 1980, deux démarches ont permis de suivre cette voie : la construction d’une typologie intégrative et la formulation d’une théorie générale de la régulation sociale et psychologique de la conduite déviante (Le Blanc, 1997).
Les types empiriques de jeunes délinquants
94La typologie de Fréchette et Le Blanc (1987) a intégré de nombreuses données comportementales, psychologiques et sociales à l’aide d’une méthode statistique. Ces auteurs ont établi que les adolescents judiciarisés peuvent se diviser en quatre groupes relativement homogènes, puisqu’ils rassemblent des adolescents qui partagent une même façon de manifester leur activité délinquante et qui possèdent des caractéristiques psychologiques et sociales spécifiques. Ce sont les délinquants sporadiques, explosifs, persistants et persistants graves. Cette typologie est utilisée en probation à travers le Québec (Piché, 2000).
Une théorie de la régulation sociale et psychologique de la conduite délinquante
95La première tentative d’intégration théorique de concepts de plusieurs disciplines revient au programme de recherche sur la moralité adolescente et la structure sociale (Szabo, Deslauriers, Gagné et Le Blanc, 1968). Cette théorie affirme qu’avec l’avènement de la société de masse, les différences entre les classes sociales se sont amoindries, d’où un nouveau rapport entre la culture et la personnalité et l’apparition de nouvelles formes de conduite déviante. La notion d’obligation morale devient alors le mécanisme qui fait la jonction entre ce qui émane de la culture, le caractère social, et ce qui provient de la personnalité, de la conscience morale. Elle est, de surcroît, ce qui oriente la nature de l’activité déviante. Les pressions qui encouragent l’activité déviante proviennent soit du caractère social, soit de la conscience morale, et elles sont médiatisées par l’obligation morale. Le lecteur remarquera une filiation entre cette théorie et celle de la régulation. Plusieurs notions sont proches, par exemple celles d’obligation morale et de contraintes, de personnalité et de maîtrise de soi, de caractère social et de liens sociaux.
96Le Blanc et ses collaborateurs ont commencé leurs travaux empiriques à partir de la théorie du lien social de Hirschi (1969). Ils ont formalisé cette théorie (Le Blanc et Caplan, 1993) et vérifié, terme par terme, cette théorie (Le Blanc et Caplan, 1985). Ils ont confirmé 12 des 14 hypothèses de Hirschi puisque des relations ont été établies entre l’engagement envers les institutions sociales, l’attachement aux personnes, la croyance dans le système normatif, l’implication dans des activités conventionnelles et la conduite délinquante. Cependant, ils ont élargi la théorie d’Hirschi (1969) en vérifiant l’interaction entre les éléments du lien entre l’individu et la société (Le Blanc et Biron, 1981 ; Le Blanc, Ouimet et Tremblay, 1988 ; Le Blanc, 1997b). Ils ont montré que les catalyseurs de l’activité délinquante étaient la croyance dans le système normatif et l’attachement à des pairs délinquants, l’impact de ces facteurs dépendant de l’attachement aux personnes. Toutefois, l’effet de l’attachement aux personnes était médiatisé par l’engagement de l’adolescent envers les institutions sociales et son implication dans des activités conventionnelles. Ces travaux ont conduit à une formulation plus complète de cette théorie (Le Blanc, 1997c, 2005).
97La théorie de la régulation sociale et psychologique s’applique à l’activité déviante des adolescents (figure 6). La régulation s’opère à travers les interactions réciproques entre quatre composantes : les liens que l’individu noue avec la société et ses membres, la contrainte exercée par les institutions sociales, le niveau de développement de la maîtrise de soi de l’individu et le degré d’exposition aux influences et aux perspectives prosociales. Ces interactions réciproques sont modulées par plusieurs conditions, c’est-à-dire l’âge, le sexe, le statut socioéconomique, la capacité biologique, etc. Ces conditions agissent comme des variables contextuelles sur le mécanisme de régulation de l’activité déviante. Chacune des composantes de ce système obéit à une dynamique interne qui lui est propre et elle répond aux influences concurrentes et temporelles des autres composantes. Ainsi, à travers le temps, la force du système de régulation se modifie au gré des interactions entre ces composantes et de leur développement.
FIGURE 6. La régulation sociale et psychologique de la conduite déviante

Notes :
1) les boîtes superposées représentent le temps : les plus éloignées le temps lointain, les plus proches le temps contemporain ;
2) les flèches unidirectionnelles représentent les effets contemporains et les effets successifs à travers le temps ;
3) les flèches bidirectionnelles représentent les interactions contemporaines à travers le temps.
98Les liens que l’individu noue avec les institutions et ses membres sont de trois ordres : l’attachement aux personnes, l’investissement dans les activités conventionnelles et l’engagement envers les institutions sociales. Les deux premières formes de liens se conjuguent comme source de la dernière, alors que celle-ci contribue à la consolidation des deux premières. L’individu peut s’attacher à diverses personnes (ses parents et les membres de sa fratrie), des personnes en position d’autorité (ses enseignants, son instructeur dans une équipe sportive, etc.), des personnes de son groupe d’âge. Le premier de ces types d’attachement permet le développement des autres types qui, par rétroaction, renforcent le premier.
99Sur les bases de l’attachement aux personnes, l’individu est en mesure de cultiver son investissement dans la vie sociale des milieux qu’il fréquente et son engagement envers les institutions sociales. L’investissement réfère au temps que l’individu consacre à diverses activités conventionnelles (à remplir ses obligations scolaires, à participer à la vie familiale, à occuper ses temps libres). L’engagement renvoie à la manière dont l’individu se crée une obligation principalement face à l’éducation, à la religion et aux sports ou à la culture. L’engagement est renforcé par le niveau des investissements dans la vie sociale. L’attachement aux personnes, l’investissement dans les activités conventionnelles et l’engagement envers les institutions sociales sont trois protections fondamentales contre l’activité déviante. Directement et indirectement, individuellement et conjointement, elles garantissent, en partie, la conformité aux standards conventionnels de la conduite.
100La maîtrise de soi progresse vers l’allocentrisme, qui se définit comme la disposition à s’orienter vers les autres et la capacité de s’intéresser aux autres pour eux-mêmes. Cette notion tire son importance du fait que l’homme, par sa nature, est voué à la communication, à la relation et à l’échange avec autrui. Le schéma normatif du développement propose justement les étapes de cette progression vers l’allocentrisme (Lerner, 2002). La maîtrise de soi allocentrique protège contre la conduite déviante ; elle est tributaire des capacités biologiques et intellectuelles ainsi que du tempérament de l’individu. Il en résulte que les liens avec la société, l’attachement aux personnes, l’investissement dans les activités conventionnelles et l’engagement envers les institutions deviennent plus difficiles à nouer pour l’individu dont la maîtrise de soi est déficiente et égocentrique. La réceptivité aux contraintes sociales s’en trouve tout autant diminuée, alors que la sensibilité aux influences déviantes acquiert davantage d’importance.
101Les pressions qu’exerce la société pour bloquer l’activité déviante sont classées en quatre catégories suivant la combinaison des deux dimensions suivantes : internes ou externes, formelles ou informelles (Le Blanc, 1994c). La contrainte est formelle lorsqu’elle réfère à une réaction appréhendée ou réelle de la part des organismes du système de la justice ou d’autres institutions. La contrainte est informelle lorsqu’il s’agit de la réaction de personnes avec qui l’individu entretient des relations intimes ; c’est l’établissement de règles de conduite, de la surveillance, et l’application de sanctions ; l’adhésion aux normes est également une forme de contrainte informelle. La contrainte est externe si elle se rapporte à des conduites initiées par des personnes de l’entourage de l’individu. La contrainte est interne ou intériorisée dans la mesure où l’individu a fait siennes les normes de conduite édictées par l’école, les parents et la société. Si la contrainte externe précède la contrainte interne dans le processus de socialisation des enfants, celle-ci demeure la dernière barrière à l’activité déviante. Si la contrainte s’affiche comme la dernière digue qui protège l’individu de l’activité déviante, la réceptivité que chacun manifeste à celle-ci dépend des liens noués avec la société et du niveau de la maîtrise de soi atteint. L’individu qui adhère solidement aux normes est moins susceptible de succomber aux influences et aux occasions antisociales.
102Le type de pairs auxquels l’adolescent s’affilie et les activités qu’il choisit constituent une composante du système de régulation dont l’importance est reconnue. Les influences déviantes et les occasions de commettre des actes déviants peuvent se manifester suivant diverses modalités, dont regarder la violence télévisée, participer à d’autres activités déviantes, demeurer dans une communauté où le taux de délinquance est élevé et où les occasions criminelles sont nombreuses, s’impliquer dans des activités routinières non conventionnelles, etc. Les influences antisociales et les opportunités déviantes ont un impact déterminant sur la conduite des individus dans la mesure où elles sont renforcées par l’association avec des pairs et des groupes déviants. Il s’ensuit que ces affiliations sont une source majeure de l’activité déviante. En plus, une maîtrise de soi insuffisante, des liens ténus avec la société et des contraintes sociales déficientes accroissent la sensibilité aux influences antisociales et la possibilité d’abdication devant les opportunités déviantes. Par contre, cette sensibilité et cette abdication rendent les liens plus difficiles avec la société et ses membres ; elles brouillent la réceptivité aux contraintes sociales et ralentissent la croissance de la maîtrise de soi qui, en contrepartie, font augmenter la conduite déviante.
103En somme, l’activité déviante est régularisée par les forces et contre-forces impliquées par le niveau de développement personnel atteint, la solidité des liens avec la société et ses membres, la puissance des contraintes sociales exercées et le degré d’exposition aux influences et situations prosociales. Toutefois, elle n’est pas indifférenciée et elle obéit à une dynamique interne spécifique. Le développement de l’activité déviante, de l’apparition à l’extinction, se réalise à travers trois mécanismes complémentaires, c’est-à-dire l’activation, l’aggravation et le désistement. L’activité délinquante tend donc à se perpétuer d’elle-même. La dimension du temps renvoie au développement des liens sociaux, de la maîtrise de soi et de son activité déviante. Chaque ensemble de boîtes de la figure 6 indique la dynamique interne de la maîtrise de soi, du lien, etc., tandis que les flèches qui raccordent les boîtes réfèrent aux relations réciproques ou causales entre les composantes de la théorie. Cette théorie a été vérifiée avec des adolescents des années 1970 et 1980, des filles et des garçons, transversalement et longitudinalement (Le Blanc, Ouimet et Tremblay, 1988). Elle a également été vérifiée avec des adolescents judiciarisés des années 1990 (Le Blanc, 1997b). Cette théorie est particulièrement efficace sur le plan empirique, puisqu’elle explique jusqu’à 60 % de la variance de la conduite délinquante.
L’AVENIR DE LA CRIMINOLOGIE DES ADOLESCENTS AU QUÉBEC
104Un bilan de la production dans le domaine de la conduite déviante des adolescents au Québec a été dressé pour la quatrième fois (Le Blanc, 1985, 1994b, 2003). Il ne conviendrait pas de le clore sans tirer quelques conclusions et sans proposer quelques voies à suivre pour l’avenir des études sur la conduite déviante. Si la liste des contributions est impressionnante, il reste encore énormément à accomplir. C’est en comparant la criminologie des adolescents du Québec avec celles d’Europe et des États-Unis que nous pourrons mieux apprécier sa contribution.
105La criminologie des adolescents au Québec se distingue par la masse des recherches empiriques sur plusieurs décennies et, surtout, par une vision intégrative plus vigoureuse. Comparés à ceux de la criminologie américaine, les travaux, tant au niveau méthodologique que des sujets abordés, sont à la fine pointe du développement des connaissances par l’analyse des fins de la conduite délinquante, la réplique de théories, l’extension de la théorie du lien social, l’analyse en profondeur de la conduite déviante cachée. Ils s’en distinguent par la contribution continue de la psychocriminologie et des études longitudinales. La criminologie de nos voisins n’a pas développé aussi tôt ni avec autant de vigueur l’intégration de notions provenant de la sociocriminologie et de la psychocriminologie. Ainsi, la criminologie des adolescents, telle que développée au Québec, se présente comme tout à fait unique.
106À l’avenir, il est évident qu’elle devra maintenir sa diversité : favoriser des études descriptives, des travaux comparatifs sur des thèmes d’actualité et des entreprises analytico-déductives. Ce faisant, elle devra intégrer les connaissances et les théories les plus récentes des disciplines fondamentales : biologie, psychologie et sociologie. Elle devra également renforcer ses travaux intégratifs et ses études en profondeur des types de conduites déviantes. Une autre tâche devrait aussi l’occuper, c’est-à-dire des travaux empiriques longitudinaux et l’analyse de l’interaction entre les diverses causes de la conduite déviante.
107Toutefois, la tâche majeure qui l’attend demeure la reproduction des résultats obtenus, la vérification des connaissances acquises et la détermination des constantes dans les phénomènes de la conduite déviante des adolescents. La criminologie des adolescents au Québec, comme la criminologie dans son ensemble, ne s’appuie pas suffisamment sur des faits confirmés par des études répétées. À l’avenir, elle devra s’arrêter à cette tâche ingrate, sinon les connaissances qu’elle produit seront toujours taxées de conjecturales. La science ne se constitue pas de faits qui dépendent d’une situation délimitée dans l’espace et le temps.
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RÉFÉRENCES1
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Notes de bas de page
1 Les travaux rapportés dans ce chapitre ont été subventionnés, depuis 1972, par le Conseil de la recherche en sciences humaines du Canada, le Fonds pour la recherche sociale du Québec et le ministère du Solliciteur général du Canada.
Notes de fin
1 La bibliographie complète se trouve sur le site Internet des Presses de l’Université de Montréal : www.pum.umontreal.ca
Auteur
Ph.D. criminologie, professeur émérite, École de criminologie et École de psychoéducation, Université de Montréal.
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