7. Victimes et victimisations : les progrès récents en victimologie
p. 199-224
Texte intégral
1Depuis sa création en 1960, l’École de criminologie a toujours donné une place importante à la victimologie. Qu’on se rappelle les travaux du professeur Henri Ellenberger qui travaillait sur la relation entre le criminel et sa victime. En 1968, le fondateur de l’École, Denis Szabo, écrivait que la victimologie était appelée à jouer un rôle de premier plan en criminologie. D’ailleurs, la thèse de doctorat du premier diplômé de l’École au troisième cycle, Ezzat Fattah, avait pour titre « La victime est-elle coupable ? Le rôle de la victime dans le meurtre en vue de vol ». Dans les années 1980 et 1990, Micheline Baril a grandement contribué à l’avancement de la recherche et de l’enseignement en victimologie à l’École avec sa thèse de doctorat, « L’envers du crime » (1984), et ses travaux subséquents, qui visaient à donner une description détaillée des conséquences de la victimisation.
2Parmi les événements traumatiques auxquels la population peut être exposée, les actes criminels figurent parmi les plus fréquents (Breslau et autres, 1998). Il est possible de définir les victimes d’un acte criminel violent comme des personnes qui ont été l’objet d’une voie de fait, d’une agression sexuelle, d’un vol qualifié, d’une tentative de meurtre, d’un homicide involontaire ou d’un meurtre. Au Canada, plus de deux millions d’actes criminels avec violence sont rapportés chaque année (Statistique Canada, 2007). Les victimes de crimes violents ne sont par ailleurs pas les seules à souffrir des conséquences de l’acte commis. Les victimes de crimes visant leurs biens, et plus spécialement les victimes d’introduction par effraction ou de vol sur la personne, peuvent aussi souffrir de conséquences physiques, psychologiques et pécuniaires. Il est en outre de plus en plus couramment reconnu que le terme « victime » s’applique non seulement aux personnes directement touchées par un acte criminel, mais aussi aux témoins de tels actes et aux proches des victimes directes pouvant également vivre des souffrances physiques et psychologiques socialement considérées comme inacceptables et de nature à justifier une prise en charge (Wemmers, 2003 ; Cario, 2008).
3Ce chapitre entend faire le point sur les acquisitions de la victimologie qui ont été faites spécialement au Québec au cours des dernières années. Il s’intéresse tout d’abord aux plus récentes statistiques relatives au phénomène de la victimisation multiple, à la situation particulière de certaines catégories de victimes, à certains contextes spéciaux récemment dévoilés dans lesquels se produisent différentes formes de victimisation (fusillade dans les écoles, victimisation en milieu de travail, victimisation à l’intérieur des sectes). Il s’attache à décrire les conséquences d’une expérience de victimisation ainsi que l’état de stress post-traumatique, un autre élément nouveau lié à l’expérience d’une victimisation criminelle, et il propose des moyens pour atténuer ces conséquences. Ce chapitre ne prétend pas faire un relevé exhaustif de l’ensemble des travaux menés en victimologie. Il veut plutôt montrer la richesse et la diversité des études menées récemment, principalement au Québec, dans un champ de connaissances en pleine effervescence.
QUELQUES STATISTIQUES
4Un des apports principaux de la victimologie à la criminologie est le sondage de victimisation, qui donne des informations sur les victimes et les victimisations. La statistique criminelle s’était révélée de peu de secours dans ce domaine. La valeur ajoutée d’un tel sondage est évidente quand on compare ses résultats à ceux des statistiques de la police. Le chiffre noir de la criminalité se trouve ainsi révélé. De même, ce type de sondage nous renseigne sur les raisons qui incitent certaines victimes à cacher leur expérience de victimisation aux autorités judiciaires. En outre, il nous en apprend nettement plus sur les conséquences de la victimisation.
5Combien de personnes sont victimisées chaque année au Canada ? Selon les données du sondage de victimisation de Gannon et Mihorean (2005), 28 % des Canadiens, hommes et femmes, de 15 ans et plus déclarent avoir été victimisés au moins une fois au cours des 12 mois précédant l’enquête. Plus précisément, sur 1 000 personnes de 15 ans et plus au Canada, 106 déclarent avoir été victimes de crimes avec violence tels que les agressions sexuelles et les voies de fait entre conjoints. Il est important de noter que ces chiffres excluent des groupes vulnérables comme les enfants de moins de 15 ans, les personnes institutionnalisées et celles « en situation de rue », selon l’expression de Bellot (2001). Les résidents des trois territoires canadiens sont également exclus de ce sondage, alors que les statistiques policières montrent que le taux de criminalité est plus élevé dans le nord du Canada que dans le sud (Wemmers, 2003 ; Gannon, 2005). Ainsi, la proportion de 28 % de citoyens victimisés au Canada au cours d’une année serait, selon toute vraisemblance, en deçà de la réalité.
6Le Québec présente le plus faible taux de victimisation avec violence au Canada. En 2004, le taux moyen de victimisation avec violence au Canada était de 106 incidents pour 1 000 habitants, mais, au Québec, ce taux n’était que de 59 (Gannon et Mihorean, 2005). Le taux observé pour l’ensemble du Québec se retrouvait dans les villes de Québec et de Montréal, qui affichaient les taux de victimisation avec violence les plus bas au Canada (Gannon et Mihorean, 2005).
7Qui sont les victimes ? Le sondage de victimisation montre que les proportions de victimes avec violence sont les mêmes pour les deux sexes. Cependant, le type de violence dénoncé n’est pas le même. Ainsi, les femmes sont nettement plus à risque d’être victimes d’agression sexuelle (35/1 000) que les hommes (7/1 000). De leur côté, les jeunes se révèlent plus à risque d’être victimes de crimes de violence que les personnes plus âgées. En outre, en plus d’être jeunes, les victimes de violence sont souvent célibataires. En fait, un élément déterminant aurait trait au style de vie. De façon sommaire, on pourrait dire que, plus on sort le soir, plus on est à risque de victimisation (Gannon, 2005). Un autre aspect du style de vie qui influe sur le taux de victimisation subie paraît être l’orientation sexuelle : les homosexuels paraissent plus à risque de victimisation que les hétérosexuels.
8De même, selon le même sondage, les chômeurs ainsi que les étudiants encourraient des risques plus grands de victimisation avec violence que les travailleurs. Les ménages à faible revenu (moins de 15 000 $ par année) affichent les taux les plus élevés de victimisation avec violence.
9Un autre groupe nettement plus à risque d’être victime de crimes avec violence est constitué par les Autochtones. Ici, les chiffres méritent d’être cités, tellement l’écart est grand. En effet, si le taux de victimisation avec violence est de 106/1 000 habitants dans la population canadienne en général, il est de 319/1 000 pour les Autochtones. Même lorsqu’on tient compte d’autres facteurs, comme l’âge, le sexe et le revenu, le risque de victimisation avec violence demeure plus élevé chez les Autochtones. Les femmes autochtones sont plus spécialement à risque de subir des actes de violence : ce risque est 3,5 fois plus grand que pour les femmes non autochtones alors qu’il est 2,7 fois plus grand pour les hommes autochtones que pour les non-Autochtones. (Brzozowski, Taylor-Butts, Johnson, 2006). Les personnes appartenant à des minorités visibles, par contre, ne paraissent pas plus à risque que les autres (Gannon, 2005).
10Au-delà des fréquences, le sondage de victimisation permet de connaître le pourcentage des victimes qui ont porté plainte à la police. Ainsi, il est possible de donner une interprétation différente des statistiques criminelles, lesquelles montrent qu’en 2007 le taux national de criminalité était descendu à son point le plus bas en 30 ans, après avoir connu une baisse trois années de suite (Dauvergne, 2008). Selon les données de la police, durant les années 1960, 1970 et 1980, le taux national de criminalité aurait graduellement augmenté pour atteindre un sommet en 1991. Par la suite, ce taux aurait diminué tout au long des années 1990, pour finalement plus ou moins se stabiliser au début des années 2000 (Gannon, 2005). Ainsi, si on se fie aux distributions annuelles des statistiques criminelles sur le taux de criminalité, on peut se sentir rassuré quant à l’évolution de la criminalité. Cependant, les sondages de victimisation présentent une autre image. Depuis 1993, ils indiquent que les taux de victimisation auraient grimpé de 23 % à 28 % pour les Canadiens de 15 ans et plus. On note donc que, bien que les taux de criminalité enregistrés par la police aient diminué, le nombre de personnes victimisées aurait plutôt augmenté. Cette contradiction apparente s’explique facilement : le taux de déclaration des incidents criminels à la police paraît être en recul depuis 1993. Le pourcentage des victimes qui indiquent avoir signalé leur victimisation à la police est passé, dans les sondages de victimisation, de 42 % en 1993 à 37 % en 1999 et à 34 % en 2004 (Besserer et Trainor, 2000 ; Gannon et Mihorean, 2005). Ces chiffres témoignent d’un phénomène inquiétant, qui est le manque de confiance face à l’intervention policière et judiciaire, se traduisant par un manque de collaboration des citoyens avec la justice.
LA VICTIMISATION MULTIPLE
11Une erreur fréquente consiste à considérer le nombre de crimes commis comme le seul indicateur du nombre de victimes. Or, lorsque l’Enquête sociale générale (ESG) de 2004 dénombre deux millions d’incidents avec violence, cela ne signifie pas que ces crimes ont fait deux millions de victimes, puisque certaines personnes sont victimisées plusieurs fois (Aucoin et Beauchamp, 2007). On parle alors de victimisation multiple.
12Le phénomène de la victimisation multiple a été mis au jour par les tout premiers victimologues. En 1967, Fattah a postulé que le risque de victimisation n’était pas distribué également au sein de la population ; il partait du principe que lorsqu’on a été victimisé, on court plus de risques de l’être de nouveau. Cependant, la recherche sur les victimisations multiples est relativement nouvelle. Elle a été rendue possible grâce à l’enquête sur la victimisation.
13Ainsi, en 1993, les chercheurs anglais Pease et Farrell ont publié une analyse des enquêtes de victimisation réalisées en Angleterre. Alors que la majorité des répondants n’indiquaient aucune expérience de victimisation au cours des 12 mois couverts par l’enquête, une minorité des répondants rapportaient une majorité des victimisations.
14Aujourd’hui, plusieurs analyses de sondages de victimisation réalisés dans le monde fournissent des résultats similaires (Van Dijk, 2001). Au Canada, en 2004, environ 4 victimes sur 10 indiquaient avoir été victimes de plusieurs crimes. Plus précisément, 19 % des victimes admettaient avoir été la cible de deux incidents criminels au cours de l’année précédant l’enquête, tandis que 20 % disaient avoir été victimisées à au moins trois reprises (Gannon et Mihorean, 2005).
15Récemment, la réalisation d’un sondage de victimisation auprès d’enfants et d’adolescents par Finkelhor aux États-Unis a permis d’étudier la question de la victimisation multiple des enfants. Finkelhor préfère utiliser le terme « polyvictimisation » plutôt que celui de « victimisation multiple », pour indiquer qu’on a affaire à différentes formes de victimisation. Ainsi, selon Finkelhor, une polyvictime est un adolescent ou un enfant qui a subi quatre formes de victimisations différentes au cours d’une année (Finkelhor, Ormrod, Turner et Hamby, 2005 ; Finkelhor, Ormrod, Turner, 2006). Par exemple, un adolescent peut avoir subi un vol, une voie de fait de la part d’un camarade, une agression sexuelle, ou avoir souffert de la négligence d’une ou plusieurs autres personnes. Finkelhor et son équipe ont trouvé que 22 % des jeunes aux États-Unis étaient polyvictimisés et que 7 % d’entre eux étaient fortement polyvictimisés (ce qui signifie qu’ils auraient subi sept formes de victimisations ou plus).
16Une équipe de chercheures québécoises ont reproduit l’étude de Finkelhor. Cette équipe, menée par Claire Chamberland de l’Université de Montréal, fait intervenir cinq universités québécoises. Dans un premier temps, l’équipe a traduit le questionnaire et l’a testé auprès des enfants et des adolescents qui reçoivent des services de la protection de la jeunesse. Elle a trouvé que 58 % d’entre eux étaient polyvictimisés, et que, sur ce pourcentage, 28 % étaient fortement polyvictimisés selon la définition de Finkelhor (Chamberland et autres, 2008). Si on compare ces résultats avec ceux obtenus par Finkelhor aux États-Unis, on peut supposer que les jeunes confiés à la protection de la jeunesse ont vécu un plus grand nombre de victimisations que les jeunes appartenant à la population générale. L’équipe poursuit cette enquête auprès de 1 200 jeunes Québécois âgés de 12 à 17 ans dans le but de comparer les taux de polyvictimisation de l’échantillon clinique avec une norme populationnelle québécoise.
LA VICTIMISATION DES ENFANTS
17La victimisation ne toucherait pas également tous les groupes de la société. Certaines catégories de personnes seraient plus susceptibles de vivre différentes formes de victimisation criminelle ou de conséquences s’y rattachant. Depuis 30 ans, la victimologie s’intéresse à des groupes particuliers comme les femmes, les personnes âgées et les enfants (voir Cousineau, Gravel, Lavergne et Wemmers, 2003). Les enfants et les jeunes sont plus à risque de victimisation que les adultes (Finkelhor, 1997). Sans vouloir déprécier la recherche faite sur tous ces groupes, l’importance de la victimisation précoce et multiple pour le développement des personnes nous amène à dresser un état des connaissances concernant la victimisation des enfants.
Nature et ampleur
18La victimisation des enfants peut être physique, psychologique et sexuelle ; elle peut également se caractériser par un geste ou une omission. Enfin, elle peut être directe ou indirecte (Chamberland, 2003 ; Clément et Dufour, 2009).
19La violence ou l’abus physique ou sexuel, les mauvais traitements psychologiques, la négligence physique, médicale, éducative ou de supervision, de même que l’exposition à la violence conjugale sont susceptibles de compromettre la sécurité et le développement des enfants, au sens de la Loi de la protection de la jeunesse (LPJ) québécoise promulguée en 1979 et révisée en 2007. L’abus physique et la négligence grave ont été les premières problématiques ciblées par la LPJ. Puis l’abus sexuel et différentes manifestations de négligence ont été repérés durant les années 1980. À partir des années 1990 et 2000, les formes de victimisation que constituent les mauvais traitements psychologiques et l’exposition à la violence conjugale ont été de plus en plus fréquemment dénoncées (Lessard et Chamberland, 2003).
20Différents paramètres sont utilisés pour juger de la gravité des situations : la gravité des conduites, leur fréquence, la présence simultanée d’autres formes de victimisation, la stabilité ou chronicité, la prévisibilité ou les conséquences observées ou probables des comportements (Dufour, 2009). Les études sur l’ampleur de ces phénomènes varient selon la nature des enquêtes et des devis de recherche. Ainsi, les enquêtes épidémiologiques portant sur les signalements à la protection de la jeunesse révèlent les situations les plus graves, alors que les enquêtes auprès de la population détectent les situations de victimisation dites ordinaires. Par ailleurs, les enquêtes rétrospectives mesurent la prévalence à vie, alors que les enquêtes de prévalence annuelle fournissent un portrait ponctuel de la situation de la victimisation des enfants à une époque donnée. Ainsi au Québec, l’abus physique est constaté pour 1,9 enfant sur 1 000, la majorité des comportements rapportés concernant des situations de discipline physique abusive (63 %) et de cas de brutalité impulsive (31 %) (Tourigny et autres, 2002). Les enquêtes populationnelles révèlent que 43 % des enfants québécois ont vécu un épisode de violence physique mineure en 2004, alors que cette proportion était de 48 % en 1999 (Clément et Chamberland, 2007). Le recours à la violence physique grave serait, quant à lui, demeuré stable (s’établissant autour de 6 %). Du début à la fin des années 1990, le taux de signalements de violence sexuelle au Québec s’est situé entre 0,7 et 1,4 pour 1 000 enfants (Lavergne et Tourigny, 2000), concernant principalement des attouchements et des caresses (65 %), et des relations sexuelles complètes (14 %) (Baril et Tourigny, 2009). Cependant, les enquêtes rétrospectives révèlent qu’environ un adulte québécois sur six rapporte avoir subi une violence sexuelle durant son enfance, et sur ce nombre, 4 à 5 % rapportent avoir vécu une relation sexuelle forcée alors qu’ils étaient mineurs (Tourigny, Gagné, Joly et Chartrand, 2006 ; Tourigny et autres, 2008). Les cas de négligence représentent la moitié des cas évalués à la protection de la jeunesse au Québec ; cela concerne 6 enfants sur 1 000 au Canada, et la majorité des cas concernent le défaut de superviser pouvant entraîner des sévices physiques ou de la négligence physique (Trocmé et autres, 2005).
21D’après l’Enquête canadienne des signalements à la protection de la jeunesse (CIS2), le taux de signalements aux services de protection pour victimisation psychologique, plus récemment reconnue, aurait été à peu près multiplié par trois entre 1998 et 2003. Ainsi, ce serait plus de 0,5 % des enfants canadiens qui subiraient ce type de victimisation. Au Québec, cela concerne 29 % des signalements à la protection de la jeunesse jugés fondés. Dans ce cadre, les signalements pour abus émotionnels se révèlent deux fois et demie plus fréquents que les signalements pour négligence émotionnelle. Ainsi, la dernière enquête populationnelle québécoise sur la violence indique que près de 80 % des enfants auraient subi une agression émotionnelle durant la dernière année ; dans plus du quart des cas, les enfants vivent à répétition de l’intimidation, et dans 3 % des cas du rejet (Clément et autres, 2005).
22Enfin, les cas d’exposition à la violence conjugale seraient en forte croissance. Cette dernière paraît être devenue la deuxième forme de mauvais traitement en importance au Canada ; elle toucherait 6,2 enfants sur 1 000 (Trocmé et autres, 2005 ; Lessard et autres, 2009). Une situation de violence conjugale est déterminée dans 25 % des cas de protection de la jeunesse au Québec (Tourigny et autres, 2002). Une proportion importante des enfants exposés à la violence conjugale, soit entre 30 % et 87 % selon les recherches menées par Lessard et Paradis (2003), seraient aussi victimes de mauvais traitements psychologiques, physiques ou sexuels (Lessard et autres, 2009). En moyenne de 11 % à 23 % des enfants canadiens seraient exposés à des situations de violence conjugale (Sudermann et Jaffe, 1999).
Les facteurs de risque et les conséquences
23Les facteurs de risque généralement associés aux différentes formes de victimisation sont multisystémiques. Ils sont liés aux caractéristiques des enfants (tempérament, déficits physiques ou cognitifs, prématurité, âge, sexe), des parents (déficits ou biais cognitifs, bas niveau d’interaction et d’affectivité, manque de supervision, stress parental, maltraitance et violence durant l’enfance, faible estime de soi, toxicomanie, stratégie d’adaptation, santé mentale), des familles (dysfonctionnement et violence conjugale, monoparentalité, familles nombreuses, isolement social), de leurs conditions de vie (conciliation famille-travail, chômage, pauvreté) et de la société (lois et chartes, tolérance à l’égard de la violence, inégalités de pouvoir et de richesse) (Baril et Tourigny, 2009 ; Clément, 2009 ; Chamberland et Clément, 2009 ; Lessard et autres, 2009 ; Milot, Éthier et St-Laurent, 2009). Cependant, la victimisation des enfants apparaît dans différentes dynamiques familiales et environnementales, de complexité variable. Par exemple, l’abus physique peut être attribué à des attitudes et des croyances qui favorisent la punition corporelle ou encore s’inscrire dans un contexte où interagissent une multitude de facteurs de risque personnels, sociaux et économiques (Larrivée, Tourigny et Bouchard, 2007). La négligence peut être associée à des contextes d’isolement où la déficience intellectuelle chez le parent et les retards de développement chez les enfants sont majeurs, ou encore apparaître dans des contextes de violence familiale et de criminalité importantes (Clément, Chamberland, Tourigny et Mayer, 2009).
24Plusieurs recherches tendent à montrer les effets néfastes de la victimisation de l’enfant et ce dans les différentes sphères de son développement aux plans physique, neurobiologique, émotif, psychiatrique, social, cognitif, comportemental et sexuel. On observe également des perturbations qui se transmettent dans la génération future notamment en raison des difficultés à assumer adéquatement le rôle parental. De plus, pour les criminologues, la victimisation tend à favoriser la délinquance. Plusieurs études ont démontré un lien entre la victimisation et la délinquance, cependant, la nature de ce lien n’a pas été clairement établie (Fattah, 1991 ; Van Dijk et Steinmetz, 1983 ; Widom, 1998 ; Lauritsen, Sampson et Laub, 1991).
25Les conséquences de la victimisation dépendraient, en partie, de la gravité des agressions ou des omissions, lorsque celles-ci surviennent dans la vie de l’enfant ou que d’autres formes de victimisation sont simultanément présentes (Chamberland et Clément, 2009). Ainsi, plus la victimisation survient tôt, plus grandes seront les difficultés à franchir les différentes étapes du développement. Par exemple, l’exposition à la négligence avant six ans est associée à un risque accru de manifester des symptômes dissociatifs à l’adolescence ; la présence d’abus sexuel ou d’abus physique jointe à de la négligence augmente la probabilité de troubles extériorisés (Milot, Éthier et St-Laurent, 2009).
26Malgré le fait qu’il a été clairement démontré que la victimisation des enfants affecte leur développement à court, moyen et long termes, certains semblent évoluer de façon positive. Ainsi, Hébert, Parent, Daigneault et Tourigny (2006) ont constaté que 16 % d’un échantillon d’enfants victimes de violence sexuelle âgés de 7 à 12 ans ne présentent pas de difficultés significatives même s’ils ont vécu un traumatisme d’intensité comparable à celui du groupe d’enfants qui présentent les symptômes les plus graves. Dans le même ordre d’idées, McGloin et Widom (2001) ont observé que 22 % des enfants psychologiquement maltraités satisfont à des critères de résilience. La présence de facteurs de protection, tels un tempérament facile, de bonnes habiletés sociales, le soutien d’amis ou d’adultes, l’accès à des objets transitionnels, comme un animal ou un personnage littéraire, ou encore la pratique d’activités valorisantes permettraient à la victime, entre autres : 1) de se distancier de l’auteur des mauvais traitements ; 2) de faire la distinction entre ce qui est bien et ce qui est mal ; 3) de donner un sens aux expériences négatives ; 4) d’accroître son sentiment de maîtrise ; 5) d’acquérir des compétences sociales ; 6) d’arriver à une opinion positive de soi et des autres ; et 7) de mettre en place des mécanismes d’adaptation pour faire face au stress (Doyle, 1997 ; Finzi-Dottan et Karu, 2006 ; Iwaniec, Larkin et McSherry, 2007).
Les interventions
27Les contextes de victimisation des enfants sont associés à des situations familiales diversifiées qui appellent des interventions différentielles et complexes portant de manière spécifique mais aussi holistique sur les différents facteurs en cause (Lavergne et Dufour, 2009 ; Côté, Vézina, Cantin-Drouin et Chamberland 2009 ; Lacharité, 2009 ; Tourigny, Hébert, Paquette et Simoneau, 2009 ; Gagné, Melançon et Malo, 2009). Il importe d’abord de gérer les crises, de fournir du répit, de réduire les séquelles chez l’enfant et de renforcer sa capacité de résilience, notamment en encourageant les activités et les relations qui accroissent son estime de soi, son sentiment d’acceptation et ses compétences sociales (Doyle, 2003). Il est également primordial de fortifier la relation parent-enfant, d’étendre les compétences parentales en ciblant une diminution des comportements agressifs et rejetants, en augmentant les comportements répondants et sensibles ainsi qu’en améliorant les stratégies de supervision et de communication (Iwaniec, Larkin et McSherry, 2007). Dans certains cas, il importe de prévoir des stratégies de protection pour assurer la sécurité de l’enfant face à son agresseur, particulièrement dans les cas d’agressions sexuelles et d’exposition à la violence conjugale. Des approches et stratégies d’intervention variées sont également nécessaires : gestion du stress, résolution de problèmes ; approches centrées sur les théories de l’attachement, les théories cognitivo-comportementale, psychoéducative, humaniste et féministe ; ainsi que des interventions dans lesquelles l’enfant et le parent sont tous deux présents (Doyle, 1997). Les interventions centrées sur le parent qui visent à résoudre les différentes problématiques que vit l’adulte sont souvent nécessaires. Les conditions sociales et économiques précaires doivent également être prises en compte ; il est parfois essentiel de renforcer la capacité des communautés à soutenir les familles. Souvent, la collaboration entre les services de protection et d’autres services offerts par des organismes gouvernementaux et communautaires est cruciale pour modifier les contextes de développement toxiques pour les enfants. Dans les situations de victimisation plus graves, il devient fondamental d’implanter des programmes multisystémiques capables d’agir sur les différents facteurs de risque qui bien souvent agissent en synergie (Lacharité, 2009). Il s’agit là de la clé de voûte pour aspirer à l’efficacité des interventions (Dufour et Chamberland, 2004). En somme, il semble important d’élaborer des stratégies qui agissent de manière spécifique sur les éléments qui font problème au sein d’une famille déterminée (histoire traumatique, croyances ou attributions parentales – qualificatif –, mesures disciplinaires impropres, violence conjugale, toxicomanie, isolement social ou intégration à l’emploi).
LA VICTIMISATION DANS DES CONTEXTES PARTICULIERS
La victimisation en milieu de travail
28Plusieurs travailleurs sont à risque d’être victimes d’un acte criminel, et certains, en raison des fonctions qu’ils exercent, le sont beaucoup plus que d’autres. Selon les données de l’Enquête sociale générale (De Léséleuc, 2007), la violence en milieu de travail est très courante dans certains secteurs d’emploi. Ainsi, 33 % de toutes les affaires de violence en milieu de travail sont survenues dans les secteurs de l’assistance sociale ou des services de soins de santé ; 14 % des cas concernaient des travailleurs du secteur de l’hébergement ou de la restauration, et 11 % des cas, des personnes travaillant dans l’enseignement. Parmi les autres lieux de travail où se commettent des actes de violence, on retrouve les hôpitaux, les prisons ou les centres de réhabilitation (31 % des affaires), les restaurants ou les bars (10 %) ainsi que les écoles (10 %). Les voies de fait sont les actes de violence les plus courants en milieu de travail, avec 71 % des cas.
29Les victimes d’un acte de violence en milieu de travail ont été la cible d’une voie de fait, d’une agression sexuelle, d’un vol qualifié, ou ont été témoins de ces crimes. Au Canada, sur les deux millions d’actes criminels avec violence commis par année (De Léséleuc, 2007), 17 % surviendraient en milieu de travail. Cela constitue plus de 356 000 affaires de violence en milieu de travail annuellement dans les 10 provinces canadiennes. Notons que, dans les affaires de violence survenant en milieu de travail, les femmes sont aussi susceptibles d’être des victimes que les hommes (53 % par rapport à 47 %).
30Au cours des dernières années, la violence en milieu de travail a retenu de plus en plus l’attention des organismes qui indemnisent les travailleurs lésés (entre autres, la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec – CSST). En effet, l’exposition à un acte criminel en milieu de travail peut être lourde de conséquences. Une étude menée auprès d’une cinquantaine de travailleurs (employés de banque, policiers, chauffeurs de taxi, pompistes, etc.) victimes d’une agression physique, d’un accident ou d’un vol à main armée a révélé qu’à peine 10 % d’entre eux ont réussi à reprendre leurs occupations professionnelles entre 2 et 64 mois après l’acte criminel. Selon une étude (MacDonald, Colotla, Flamer et Karlinsky, 2003), en dépit du fait que 93 % des employés ayant vécu ou été témoins d’un acte criminel sur leur lieu de travail ont reçu des soins psychologiques ou psychiatriques, seulement 43 % d’entre eux ont repris leur emploi, et la majorité de ceux-ci ne sont retournés au travail qu’après que des modifications eurent été apportées à leurs conditions de travail (par exemple, travailler dans une nouvelle succursale).
31Selon des données provenant de la CSST, le traitement des personnes ayant été en état de stress post-traumatique (ESPT), entre 2002 et 2004, a entraîné des déboursés de plus de 17 millions de dollars. À titre comparatif, on a versé près de 8 millions de dollars pour le stress et l’anxiété, près de 4 millions de dollars pour les états dépressifs et de 800 000 $ pour les cas d’épuisement professionnel. Ces statistiques témoignent de l’importance de prévenir les actes criminels en milieu de travail (Institut de recherche en santé et en sécurité du travail, 2003).
32Très peu de données sont disponibles sur les répercussions de la violence en milieu de travail et sur l’efficacité de la prise en charge des travailleurs victimes. Par ailleurs, les résultats d’une méta-analyse et de nombreuses recensions des écrits ayant évalué les effets du débriefing psychologique, la forme d’intervention la plus fréquemment offerte en milieu de travail pour atténuer les effets potentiellement négatifs des actes criminels, indiquent que lorsqu’il est pratiqué en une séance dans les heures ou les jours suivant le traumatisme, il n’est pas efficace pour prévenir l’ESPT (Marchand, Bousquet Des Groseilliers et Brunet, 2006). Par conséquent, des stratégies de rechange tenant compte à la fois des données probantes et des besoins des travailleurs exposés à un acte criminel doivent être bâties (Guay et Duchet, 2007). Comme le temps ne fait pas complètement disparaître un ESPT et que la majorité des personnes aux prises avec cette pathologie ne recherchent ou n’obtiennent pas l’aide dont elles ont besoin, la mise en place d’interventions préventives (c’est-à-dire, prévention de l’exposition à un acte criminel, prévention d’un ESPT) demeure une priorité pour diminuer l’incidence de ce trouble. Toutefois, le risque de voir apparaître un trouble post-traumatique varie en fonction des caractéristiques des individus et des événements auxquels ces derniers sont exposés. Récemment, Boudreau, Poupart, Leroux et Gaudreault (2009) ont suggéré trois types de besoins d’intervention distincts chez les employés victimes de violence : ceux qui récupèrent rapidement et qui requièrent une intervention minimale comme un dépistage et du soutien informationnel ; ceux qui nécessitent une intervention brève donnée rapidement après l’événement pour leur redonner un sentiment de confiance, de bien-être et de sécurité ; ceux qui manifestent des désordres psychologiques plus graves, en particulier un état de stress post-traumatique, et qui ont besoin d’une psychothérapie ou de services cliniques de longue durée.
Les fusillades dans les écoles
33Le phénomène des fusillades en milieu scolaire tend à prendre de l’ampleur depuis les 20 dernières années. Dans le monde, 98 fusillades scolaires avec victimes multiples au cours des 20 dernières années ont été recensées depuis 1990. Le 13 septembre 2006, un tireur agissant seul est entré dans le Collège Dawson à Montréal armé d’un fusil d’assaut et d’un pistolet. Il a tiré au hasard sur des étudiants, des professeurs et du personnel de soutien, tuant une étudiante et blessant gravement 19 autres personnes avant de se supprimer lui-même. L’attaque au Collège Dawson a été la troisième fusillade à survenir à Montréal depuis 1989, elle a été précédée par la tuerie à l’École Polytechnique en 1989 et par le massacre à l’Université Concordia en 1992. Malgré la fréquence de ces événements, il y a eu très peu d’études sur les effets psychologiques et psychiatriques de ces fusillades. Dans la troisième édition du Traité de criminologie empirique, on notait que la seule étude portant sur la tragédie de l’École Polytechnique survenue en 1989 était celle qui avait été publiée par Parent en 1998 (Cousineau et autres, 2003). Cette étude décrivait les conséquences tardives et les conséquences à très long terme (neuf ans plus tard) de ce genre d’événement. Dans le même esprit, une étude portant sur les victimes de la fusillade survenue au Collège Dawson (Guay et autres, 2009 ; Boyer et Guay, 2009) a observé des réactions de stress post-traumatique grave chez 7,1 % des étudiants et des membres du personnel 18 mois après la fusillade, un état dépressif chez 12 % et la présence d’idées suicidaires chez 6,6 % d’entre eux au cours des 18 mois suivant la fusillade. Les données de l’étude indiquent également de faibles taux de consultation des services en santé mentale ; un degré important d’insatisfaction envers les services de santé mentale et, enfin, un usage intensif d’Internet en vue de la recherche d’information de tout genre.
34Depuis deux décennies, des programmes d’intervention psychosociale en situation d’urgence ont été mis sur pied afin d’offrir des réponses aux survivants d’une tragédie en milieu scolaire. Mentionnons, entre autres, The International Crisis Response Network (Jimerson, Brock et Pletcher, 2001), le Community Crisis Response Team Protocol (Young, 2002), le Multi-Modal Intervention (Lahad, 1997) et le Psychological First (Vernberg et autres, 2008). Ces programmes s’appuient en général sur les théories de gestion du stress, d’adaptation et de résilience lors d’une exposition à un événement traumatique et sont applicables dans presque tous les milieux, y compris les établissements d’enseignement. Ils contiennent des indications particulières pour les enfants et les adolescents, et d’autres qui peuvent s’adapter à différents contextes culturels (Pynoos et autres, 2008).
35Le Québec ne fait pas exception dans ce domaine et possède des plans d’intervention en matière de sécurité civile, de services sociaux et de santé qui peuvent être appliqués lorsque se produit un drame en milieu scolaire (Laurendeau, Labarre et Sénécal, 2007 ; Brunet et Martel, 2005). Ils comportent trois phases distinctes : 1) la préparation ; 2) l’intervention ; et 3) le rétablissement. La préparation a pour but de renforcer les capacités d’intervention de la communauté face au sinistre. L’intervention comprend généralement deux étapes : l’intervention immédiate et l’intervention post-immédiate. L’intervention immédiate vise à répondre aux besoins psychologiques immédiats des victimes directes et indirectes (familles, étudiants et membres du personnel non directement exposés) ayant besoin d’un soutien psychologique (informationnel, émotif, tangible). L’intervention post-immédiate consiste à mettre en œuvre des interventions à court terme et à plus long terme de façon à faciliter l’intégration de l’événement et à limiter les suites de celui-ci en prévenant l’apparition de réactions de stress post-traumatique. Enfin, le rétablissement vise à hâter la récupération psychologique ainsi que le retour à la vie normale en s’employant à réouvrir l’établissement scolaire à la suite de la fusillade et à établir un climat de sécurité.
La victimisation à l’intérieur des sectes
36Au Québec, 3,2 % de la population déclare appartenir à un groupe religieux non rattaché aux confessions majoritaires (Statistique Canada, 2001). Est-ce qu’il s’agit de sectes ou de nouveaux mouvements religieux ? On ne le sait pas. Selon le Petit Robert (2008), une secte est « un groupe organisé de personnes qui ont la même doctrine au sein d’une religion, mais surtout une communauté fermée, d’intention spiritualiste où des guides, des maîtres exercent un pouvoir absolu sur les membres ». Pelland (2009) souligne que le terme secte a une connotation négative et qu’il est employé pour désigner des groupes que nous ne connaissons pas et dont les valeurs diffèrent de celles de la majorité des citoyens. La victimologie s’intéresse aux sectes principalement lorsqu’il y a victimisation des membres et des non-membres par les dirigeants de la secte, une problématique plusieurs fois décrite dans les médias, notamment au cinéma, mais qui avait fait l’objet de peu de travaux empiriques jusqu’à récemment.
37Au Québec, différents chercheurs (Derocher, 2009 ; Pacheco et Casoni, 2009 ; Pelland et Casoni, 2008), dans le cadre d’études plus larges portant sur le fonctionnement des sectes, se sont intéressés à la victimisation des enfants et des femmes faisant partie de sectes. Selon Deroche (2009), le confinement des enfants à l’intérieur de la secte a des conséquences importantes sur le bien-être des enfants et sur leur développement. Souvent ces enfants ne vont pas à l’école et ne voient jamais de médecin. En outre, du fait de l’isolement social dans lequel on les maintient, la négligence ou les abus dont ils sont l’objet à l’intérieur des sectes sont rarement signalés aux autorités. Selon Derocher, la rupture d’avec le monde extérieur favoriserait l’apparition de différentes formes de criminalité, essentiellement dirigées contre la personne. Pacheco et Casoni (2009) sont d’avis que l’isolement produirait une dynamique groupale dans laquelle le discours doctrinal du groupe n’est confronté à aucun autre point de vue, contribuant à miner l’exercice du jugement personnel des membres avec celui de gens de l’extérieur, fait obstacle au libre exercice du jugement. Les victimes ne savent souvent pas qu’elles sont victimisées ; comme elles sont ignorantes de leurs droits, elles ne peuvent savoir s’ils sont respectés. La légitimation religieuse permettrait des actes criminels comme l’abus et l’exploitation sexuelle. Ainsi, les jeunes filles de groupes fondamentalistes qui sont conduites à conclure un mariage polygame, par exemple, sont persuadées que ce mariage leur garantit l’entrée dans le royaume de Dieu (Derocher, 2009).
38Une mise en garde s’impose ici, que tous les auteurs s’entendent à faire : tous les groupes sectaires – ou pouvant être considérés comme tels – n’adoptent pas les mêmes règles de fonctionnement et celles-ci ne favorisent pas nécessairement la manifestation de comportements de violence à l’intérieur comme à l’extérieur du groupe. Il reste que les études récentes qui ont donné la parole aux membres de groupes dits sectaires ont conclu que ces groupes étaient propices à l’exercice de diverses formes de victimisation. D’autres études devront être menées afin de caractériser ces formes, de préciser les conditions dans lesquelles elles se manifestent ainsi que les conséquences qu’elles entraînent.
L’INTERVENTION PSYCHOSOCIALE AUPRÈS DES VICTIMES
39Si les conséquences de la victimisation sont bien connues, la recherche sur les besoins des victimes a continué à évoluer au Québec, et surtout la recherche sur l’état de stress post-traumatique (ESPT) et l’intervention. À cet égard, les premiers contacts avec le réseau d’aide ou de soins sont généralement critiques pour les victimes, car il s’agit alors de déterminer si elles poursuivront ou non leur démarche de demande d’aide (de soins), d’indemnisation ou de recours judiciaire.
40L’ESPT constitue le trouble psychiatrique le plus fréquemment associé à l’exposition à un événement traumatique et le risque de le voir apparaître est particulièrement élevé à la suite d’un acte criminel avec violence, en particulier chez les femmes (Tolin et Foa, 2006). Un acte criminel contre la personne peut causer plus de dommages que d’autres événements traumatiques parce qu’il résulte d’une intention malveillante de la part d’un autre être humain. Au total, 9 % des Canadiens répondront aux critères de diagnostic de l’ESPT au moins une fois au cours de leur vie (Kessler et autres, 2005 ; Van Ameringen, Mancini, Patterson et Boyle, 2008) alors que de 18 % à 39 % des victimes d’une agression physique ou sexuelle souffrent d’un ESPT (Breslau, Davis, Andreski, et Peterson, 1991 ; Brewin, Andrews, Rose et Kirk, 1999 ; Kessler et autres, 1995 ; Resnick et autres, 1993).
41En plus de l’ESPT, la dépression, l’anxiété et l’abus de drogues sont également plus présents chez ce type de victimes. En effet, les victimes de violence présentent de plus hauts niveaux d’anxiété et de dépression dans les mois qui suivent le traumatisme que les blessés dans les accidents de la route (Norris et Kaniasty, 1994). De plus, dans sa plus récente enquête sur les répercussions et conséquences de la victimisation criminelle, Statistique Canada (De Léséleuc, 2007) indique que 32 % des victimes de crimes avec violence disent éprouver des troubles du sommeil, comparativement à 17 % dans la population en général. De plus, les victimes d’actes criminels peuvent faire l’objet d’une stigmatisation de la part de certains membres de leur entourage.
42Lorsqu’il y a demande d’aide, la relation entre le professionnel et la victime doit avant tout être chaleureuse et sécurisante. Il s’agit d’aider cette dernière à se sentir reconnue, comprise, acceptée, soutenue et non isolée. Au cours d’une séance de dépistage par entrevue, il est essentiel que l’interrogatoire visant à cerner l’acte criminel vécu et ses conséquences ne soit pas perçu par la victime comme une mise à l’épreuve invalidante. L’entrevue doit plutôt amener la victime à parler de l’expérience qu’elle a vécue, du déroulement des faits et des sentiments qu’elle éprouve (peur de mourir, sentiment d’impuissance, etc.). La victime doit pouvoir s’exprimer à son rythme. Cela peut exiger plus d’une entrevue.
43Plusieurs victimes éprouvent de la difficulté à exprimer verbalement leurs émotions et leurs sentiments concernant un événement traumatique tel qu’un acte criminel. Cela peut être dû au fait qu’il leur déplaît d’en parler ou qu’elles se sentent honteuses ou coupables de ce qui leur est arrivé. Certains manifestent peu d’affects, alors que d’autres, plus ou moins conscients qu’ils ont été traumatisés, présentent des symptômes dissociatifs. D’autres sont incapables de parler de ce qui leur est arrivé ou arrivent difficilement à décrire leur état émotionnel durant et après l’événement traumatique, et peuvent souffrir d’amnésie partielle. Enfin, certaines victimes ne font pas le lien entre l’incident traumatique et les difficultés psychologiques ou physiques pour lesquelles elles consultent (Guay, Mainguy et Marchand, 2002).
44Il existe de nombreuses formes d’intervention psychosociale auprès des victimes adultes qui peuvent réduire les souffrances. Nous en considérerons trois ici : l’aide générale aux victimes fournie par des organismes spécialement dédiés à cette tâche, les interventions de crise et la psychothérapie.
45En 2006 au Canada, approximativement 830 ressources d’aide générale et de soutien immédiat et 9 programmes d’indemnisation offrant des services structurés aux victimes d’actes criminels ont été recensés (Brzozowski, 2008). Parmi ces organismes, 70 % ciblaient les familles d’enfants victimes d’abus sexuels, 67 % les adultes victimes d’agressions sexuelles et 65 % les enfants ou les jeunes victimes d’exploitation ou d’abus sexuels. Si on se fonde sur les réponses de 697 organismes, les types d’aide le plus fréquemment fournis directement par les organismes de services aux victimes sont : des renseignements généraux (96 %), du soutien émotionnel (95 %), une liaison auprès d’autres organismes au nom du client (90 %), des plans de sécurité immédiate (90 %), des informations sur la structure et le fonctionnement du système de justice pénale (89 %), de l’éducation du public ayant des visées de prévention (87 %) (Brzozowski, 2008). En 2005-2006, sur les 400 000 victimes reçues dans ces organismes, plus des deux tiers étaient des femmes et près des trois quarts avaient été victimes d’actes criminels violents. Parmi les femmes, plus de la moitié étaient victimes de violence conjugale, alors que la moitié des hommes avaient été victimes d’une personne autre qu’un membre de la famille (Brzozowski, 2008).
46L’intervention de crise, quant à elle, doit être limitée dans le temps. Les principaux objectifs sont alors : 1) d’atténuer les sentiments de détresse, de désespoir et d’isolement de la victime ; 2) de faciliter l’accès aux ressources ; et 3) de mettre en œuvre les stratégies de gestion du stress adéquates (Green et Roberts, 2008). Ces objectifs peuvent être atteints au moyen de diverses stratégies : l’écoute, l’information, la validation, la normalisation, la réassurance, l’acceptation, les activités de plaidoyer et l’orientation vers des ressources adaptées aux besoins de la victime.
47En ce qui concerne la psychothérapie, de plus en plus d’études empiriques tendent à montrer qu’une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) brève et précoce préviendrait efficacement l’ESPT (Bryant, 2006 ; Marchand, Bousquet Des Groseilliers et Brunet, 2006). Une recension récente des études contrôlées évaluant les interventions préventives révèle qu’une intervention brève (une séance) et rapide (entre 24 et 72 heures après le traumatisme) donnée sous forme de débriefing psychologique n’est pas efficace pour prévenir l’état de stress post-traumatique chez les victimes d’actes criminels (Marchand, Bousquet Des Groseilliers et Brunet, 2006 ; Rose, Brewin, Andrews et Kirk, 1999). Ce type d’intervention pourrait même, dans certains cas, nuire aux victimes (Bisson, Jenkens, Alexander et Bannister, 1997 ; Carlier, Lamberts, Van Uchelen et Gersons, 1998 ; Hobbs, Mayou, Harrison et Worlock, 1996). Par ailleurs, la TCC, dans l’une ou l’autre de ses formes, s’est révélée efficace ou prometteuse auprès d’un grand nombre de victimes d’actes criminels ayant développé un ESPT (pour une synthèse des études empiriques sur le sujet, voir Guay et autres, 2006), qu’il s’agisse de victimes d’abus sexuels durant l’enfance ou l’adolescence, d’agression sexuelle à l’âge adulte, d’un crime ou d’une agression physique, d’actes de terrorisme, ou encore de réfugiés de guerre. Ainsi, il apparaît que la TCC constitue une forme d’intervention qui convient à diverses catégories de victimes.
LES RÉACTIONS JUDICIAIRES ET PÉNALES ET LA JUSTICE RÉPARATRICE
48Les victimes ont besoin non seulement de soins, mais aussi de reconnaissance et de justice (Lopez, 2008). En 1988, le gouvernement du Québec a adopté la Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels. S’inspirant de la Déclaration des principes fondamentaux de justice pour les victimes d’actes criminels et les victimes d’abus de pouvoir, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1985, cette loi souligne les droits des victimes à l’information, à la réparation et à l’aide. La loi spécifie que les victimes ont le droit d’être informées de leurs droits et de leur rôle au sein du système judiciaire, rôle qui, dans notre système de common law, se réduit essentiellement à celui de témoin. Les victimes ont le droit de recevoir du soutien, d’être informées des progrès enregistrés dans leur dossier et de présenter leur point de vue aux étapes appropriées du processus de justice criminelle dans une formule conçue à cet effet. Par contre, ces droits sont dépourvus de force exécutoire (Wemmers, 2003). Ainsi, même si on utilise le mot « droits » dans la loi, il s’agit plutôt de privilèges que de droits.
49Cette loi existe depuis 1988, mais ce n’est qu’en 2006 qu’on a évalué sa mise en application. À cet effet, Wemmers et Cyr (2006a) ont effectué des entrevues auprès de 188 victimes provenant de deux régions du Québec. Les auteures constatent que, malgré l’existence de la loi, les victimes sont rarement informées de l’état et de l’issue de la procédure judiciaire qui les concerne au premier chef. La majorité des répondants au sondage (57 %) n’avaient en effet pas été informés des faits nouveaux dans leur dossier, et 91 % affirmaient qu’ils auraient souhaité l’être. De même, une majorité des victimes (64 %) affirmaient que la police ne leur avait pas demandé si elles désiraient de l’information sur les services d’aide, et près d’une victime de violence sur deux (47 %) affirmait ne pas avoir été informée au sujet du programme d’indemnisation provincial aux victimes d’actes criminels, l’IVAC.
50Dans une autre étude, Wemmers et Van Camp (2009) ont évalué la connaissance que la police a de la Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels. Elles ont constaté que, 20 ans après l’adoption de cette loi, un policier sur trois disait n’avoir dirigé aucune victime vers un centre d’aide aux victimes d’actes criminels dans les trois mois précédant leur enquête. D’ailleurs, seulement 6 % des policiers interrogés savaient que la Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels régissait les centres d’aide aux victimes d’actes criminels. Les auteurs concluent à une mauvaise connaissance de cette loi et, par conséquent, à une mauvaise utilisation des mesures d’aide aux victimes décrites dans la loi.
51Malgré la mauvaise application de la loi, les personnes qui travaillent dans le système pénal au Québec reconnaissent l’importance des victimes. Les intervenants des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) ainsi que des procureurs de la Couronne comprennent très bien qu’il faut mieux informer les victimes (Wemmers, 2008a). Mais des obstacles s’opposent à l’exercice des droits des victimes. Par exemple, l’approche des CAVAC suppose que les victimes prennent elles-mêmes des mesures. Ainsi, on ne prend pas contact d’emblée avec elles, on attend qu’elles se manifestent, qu’elles expriment leur besoin d’intervention. Cette approche s’accorde mal avec la réalité de bon nombre de victimes, pour ne pas dire la plupart. Souvent, à la suite d’une victimisation, les victimes peuvent souffrir d’une forme de dissociation qui les empêche de reprendre leur vie en main (Poupart, 1999). En 2006, le Conseil de l’Europe a adopté une politique proactive pour mieux répondre aux besoins des victimes, mais au Québec on continue de suivre une politique passive d’intervention auprès d’elles.
52Les procureurs savent également que, tout comme l’information, le respect et la reconnaissance sont primordiaux pour les victimes. Mais les procureurs disent ne pas avoir assez de temps pour s’investir vis-à-vis d’elles (Wemmers, 2008a). Elles sortent donc souvent de leur expérience au tribunal encore plus blessées que lorsqu’elles y sont entrées (Wemmers et Cyr, 2006a). Ainsi, il reste des choses à améliorer dans le traitement des victimes.
53Si la mise en application des droits des victimes a stagné au Québec comme au Canada, cela n’est pas le cas ailleurs dans le monde. L’adoption du Traité de Rome en 1998, qui a créé la Cour pénale internationale, constitue un énorme bond en avant pour les droits des victimes. Cette cour, qui a juridiction dans les cas de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocides, permet la participation des victimes dans les procédures. La Cour pénale internationale est une cour hybride qui combine des éléments des cours de tradition civile et des cours de common law. Dans cette cour, les victimes sont représentées par leur avocat au cours des procédures. Cette innovation donne une voix aux victimes au sein de la cour, ce qui transforme le discours de la cour (Wemmers, 2008b, 2009). On peut se demander si, à long terme, la Cour pénale internationale aura des répercussions sur la justice pénale et les droits des victimes au Canada.
54La notion de justice réparatrice est apparue en même temps que le mouvement en faveur des victimes. Comme le mouvement en faveur des victimes, ce type de justice favorise la participation des victimes au traitement de l’affaire. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la justice réparatrice ne vient pas de la victimologie, mais de l’intervention auprès des contrevenants et des jeunes (Wemmers et Canuto, 2002). Ainsi, les programmes en justice réparatrice étaient et sont encore souvent critiqués par les intervenants qui s’occupent des victimes (Wemmers et Canuto, 2002 ; Côté et Laroche, 2002 ; Brillon, 2009).
55Plusieurs auteurs envisagent de remplacer la justice pénale par la justice réparatrice, ce qui amènerait un véritable changement de paradigme (Fattah, 1998 ; Groenhuijsen, 1999). Au Québec, les programmes de médiation pour les jeunes contrevenants sont un exemple d’une telle approche où on remplace le système pénal en dirigeant les jeunes vers des programmes alternatifs de justice réparatrice. Depuis 2001, l’Association des centres jeunesse du Québec est lié par une entente avec des organismes de justice alternative, qui permet la médiation entre les jeunes contrevenants et leur victime (Wemmers et Cyr, 2004). Si la médiation réussit, alors la « situation problème » (le délit) est jugée résolue. Ce qui est recherché ici, c’est la satisfaction des deux parties. Dans cette optique, la justice réparatrice et la justice pénale apparaissent comme deux formes de justice incompatibles (Fattah, 1998).
56Depuis les 10 dernières années, un certain nombre de chercheurs se sont dits plutôt favorables à une intégration de la justice réparatrice dans le cadre de la justice pénale (Cavadino et Dignan, 1997), et ils ont contribué à la mise sur pied de programmes de médiation se réalisant à l’intérieur du système pénal. Dans cet esprit, le Service correctionnel du Canada offre un programme de justice réparatrice aux victimes dont l’agresseur a été condamné à une peine de prison d’au moins deux ans. La victime, le contrevenant ou l’institution peuvent demander la mise en application du programme de médiation. La médiation se réalisant dans ce contexte n’a aucun effet sur la peine du contrevenant. Ainsi, même si elle a lieu à l’intérieur du système pénal, la médiation est indépendante du système (Service correctionnel du Canada, 2009).
57Plus récemment, certains auteurs, comme Wemmers (2009), ont proposé d’intégrer des valeurs de justice réparatrice telles que le respect et la participation de la victime dans les procédures pénales et dans le fonctionnement du système pénal. La participation des victimes aux procédures pénales est alors vue comme une façon d’appliquer les valeurs de la justice réparatrice. La proposition s’appuie sur la recherche victimologique, qui montre que les victimes soutiennent le modèle de justice pénale (Shapland, 1985 ; Wemmers et Cyr, 2004). Elles ne cherchent pas à obtenir un réel pouvoir décisionnel sur le cheminement de la cause. Elles veulent être reconnues et elles veulent participer. Leur insatisfaction à l’égard des procédures pénales vient du fait qu’elles se sentent exclues des procédures alors qu’elles souhaitent être entendues (Wemmers et Cyr, 2004). C’est avant tout parce qu’elles sont incluses dans les procédures que les victimes apprécient les programmes de justice réparatrice (St. Louis et Wemmers, 2009).
58À la suite d’une évaluation exhaustive des expériences en justice réparatrice menées en Angleterre, Shapland et ses collaborateurs (2007) ont conclu qu’entre 80 et 90 % des victimes s’en montrent satisfaites et que leur niveau de satisfaction continue de demeurer élevé à travers les années. En outre, les victimes disent se sentir mieux après la médiation : selon elles, la médiation les a aidées à tourner la page (Wemmers et Cyr, 2005).
59Un petit nombre de victimes s’estiment insatisfaites. Un facteur important est le fait que le contrevenant refuse de reconnaître sa responsabilité pour son comportement (Wemmers et Canuto, 2002 ; Wemmers et Cyr, 2005 ; Shapland et autres, 2007). Bien que les programmes exigent généralement que le contrevenant ait reconnu sa culpabilité avant d’être autorisé à participer à une procédure de justice réparatrice, il y a toujours la possibilité que celui-ci ne reconnaisse pas sa responsabilité morale. Cela fait voir l’importance d’une bonne procédure de sélection des cas qui seront soumis à une procédure de justice réparatrice. Évidemment, les programmes de justice réparatrice, de même que la médiation, ne sont pas une panacée. Le fait que tous les cas ne sont pas admis à participer à des programmes de justice réparatrice montre bien la nécessité d’intégrer des valeurs de justice réparatrice telles que la participation des victimes dans les procédures pénales. Sinon, le besoin qu’ont ces victimes d’être reconnues et de participer dans la réaction pénale ne sera jamais satisfait.
60En plus de la satisfaction, les recherches menées auprès des victimes démontrent que le traitement réservé aux victimes par l’appareil judiciaire influe sur la perception de la justice de ces dernières. Qu’il s’agisse de mesures extrajudiciaires comme la médiation ou de procédures pénales, les victimes veulent être reconnues (Strang, 2002 ; Wemmers et Cyr, 2006b ; Wemmers, 2010). Concrètement, elles veulent être consultées et informées des faits nouveaux survenus dans leur cas (Wemmers, 2010). Ainsi, une politique pénale qui est centrée sur la punition mais qui exclut les victimes du processus ne répond pas à leur besoin de justice. Le fait que la Cour pénale internationale permet la participation des victimes est très encourageant pour celles-ci.
CONCLUSION
61Depuis la fondation de l’École de criminologie en 1960, la victimologie y occupe une place importante. On a travaillé sur l’identification des caractéristiques spécifiques de certains groupes de victimes ou de certaines situations de victimisation, sur l’intervention auprès des victimes ainsi que sur le traitement des victimes au sein du système pénal.
62Les études consacrées aux tueries, aux situations de victimisations multiples, à la polyvictimisation des enfants et aux violences conjugales et familiales ont montré l’importance des effets de la victimisation à long terme. Lorsqu’on prend en compte ces nouvelles formes de victimisation des enfants que sont l’exposition à la violence et les mauvais traitements psychologiques, on constate que les enfants sont plus à risque de victimisation que les adultes. En outre, ces formes de victimisations subies dans l’enfance ont des effets néfastes sur l’enfant : elles l’exposent à subir d’autres victimisations ou à tomber dans la délinquance. En comprenant la victimisation des enfants et des adolescents, nous pouvons la signaler et empêcher d’autres victimisations. Le chapitre consacré aux développements de la victimologie dans la précédente édition du Traité de criminologie empirique insistait sur la nécessité de bâtir une théorie victimologique. Les travaux sur la victimisation multiple et la polyvictimisation peuvent à cet égard préparer la voie.
63Les travaux sur les victimisations graves, comme les fusillades dans les écoles ou la violence en milieu de travail, ont aussi montré l’importance d’une intervention ponctuelle et adéquate. La reconnaissance de l’état de stress post-traumatique a fait avancer la recherche sur les effets de la victimisation et sur les interventions à mener pour réduire les séquelles de la victimisation et hâter la guérison des victimes. Le traitement cognitivo-comportemental s’est révélé efficace ou prometteur auprès d’un grand nombre de victimes d’actes criminels souffrant d’un état de stress.
64Depuis la première édition du Traité en 1985, nous avons appris que les victimes ont besoin de se voir attribuer au sein du système pénal un rôle autre que celui de simple témoin. Bien qu’elles bénéficient de meilleurs services et que leurs droits soient mieux reconnus, les victimes ne sont pas toujours informées des services qu’elles peuvent recevoir, du processus pénal et des faits nouveaux survenus dans leur dossier. La justice réparatrice offre aux victimes la possibilité de participer aux procédures judiciaires. Les victimes qui ont participé à ces programmes sont généralement très satisfaites. Par contre, le recours à des programmes de justice réparatrice n’est pas toujours possible ou souhaitable. Le statut de la victime au sein du système pénal est susceptible d’amélioration. Au niveau international, la Cour pénale internationale, qui permet la participation des victimes, peut servir d’exemple en ce qui concerne la manière de donner un statut aux victimes au sein du système pénal.
65Malgré l’intérêt qu’on porte à la question des victimes, le nombre des victimisations au Canada et au Québec a continué de grimper, et le taux de déclaration à la police à diminuer. Ainsi, plus de personnes sont confrontées aux conséquences de la victimisation et moins de victimes cherchent de l’aide dans le système judiciaire. Le travail des victimologues est donc loin d’être terminé.
Bibliographie
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Notes de fin
1 La bibliographie complète se trouve sur le site Internet des Presses de l’Université de Montréal : www.pum.umontreal.ca
Auteurs
Ph.D. criminologie, Université de Leiden ; professeure agrégée, École de criminologie ; responsable du groupe de recherche en Victimologie et justice réparatrice du Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal.
Ph. D., psychologie, UQAM, professeure titulaire, Service Social, Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche senior du Canada sur la victimiation des enfants.
Ph.D. sociologie, Université de Montréal ; professeure titulaire, École de criminologie, Université de Montréal.
Ph.D. psychologie clinique, professeur adjoint, École de criminlogie, Université de Montréal ; directeur du Centre d’étude sur le trauma, Centre de recherche Fernand-Seguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine.
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