Hommage à Denis Szabo et aux professeurs de l’École de criminologie de l’Université de Montréal
p. 13-17
Texte intégral
1L’année 2010, qui marque le cinquantième anniversaire de la fondation de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, nous fournit l’occasion de rendre hommage à son fondateur et aux professeurs qui ont contribué à son développement.
DENIS SZABO, FONDATEUR DE LA CRIMINOLOGIE QUÉBECOISE
2En 1960, Denis Szabo a créé à l’intérieur du département de sociologie de l’Université de Montréal une unité d’enseignement de la criminologie qui allait rapidement devenir autonome et, plus tard, prendre le nom d’École de criminologie. Toujours en 1960, il a pris l’initiative de fonder la Société de criminologie du Québec, persuadé que, pour développer la recherche et, surtout, pour faciliter l’accès des diplômés au marché du travail, il fallait doter les décideurs et les intervenants d’un bon réseau de contacts. Un peu plus tard, en 1969, cherchant à consolider l’activité de recherche, il a mis sur pied le Centre international de criminologie comparée. Ces trois actes fondateurs ont institutionnalisé la criminologie, l’ont enracinée, dans la société québécoise, nous ont ouvert sur la communauté internationale des criminologues et ont mis l’École en excellente posture pour obtenir les ressources nécessaires au recrutement des enseignants et des chercheurs.
3Il s’est trouvé deux ou trois esprits chagrins qui, ayant déterré quelques mémoires d’étudiants des années 1930 et 1940 et des réflexions sur le crime publiées dans d’obscures revues, en ont conclu que la criminologie existait au Québec bien avant l’arrivée de Denis Szabo. Ils n’ont pas voulu voir qu’avant lui, ni la criminologie ni les criminologues n’existaient vraiment. Il est évident que Szabo n’est pas parti de zéro et qu’il y a eu une préhistoire de la criminologie au Québec. Un certain nombre de psychologues, de psychiatres, d’éducateurs et de juristes avaient rédigé des textes touchant au domaine du crime, mais ces derniers ne pouvaient être qualifiés de scientifiques et ils ont rapidement sombré dans l’oubli, à l’exception de ceux de Noël Mailloux et de Bruno Cormier. Au Québec, avant 1960, il n’y avait pas d’institution ni de programme d’enseignement et de recherche portant spécialement sur le crime. La criminologie, en tant que champ multidisciplinaire à la fois théorique et appliqué, n’existait pas encore. À cette époque, le terme même de criminologie n’était pratiquement jamais employé et il n’était connu que d’un petit nombre de gens cultivés qui avaient entendu parler de Lombroso. Pourquoi minimiser le fait et nier l’évidence ? La criminologie, telle qu’elle se présente aujourd’hui au Québec et telle qu’elle est exposée dans le Traité de criminologie empirique, a bel et bien été inventée par Denis Szabo. Qui plus est, c’était une innovation par rapport à ce qui se faisait en Europe et aux États-Unis. Il y avait sans doute de la criminologie en Europe, mais elle n’était pas une discipline autonome. Elle se réduisait le plus souvent à une annexe marginale hébergée dans une faculté de droit ou de médecine. On se contentait d’offrir aux étudiants un léger vernis de connaissances sur le crime et le criminel. Aux États-Unis, des départements de sociologie offraient des cours sur le crime, mais il n’y était question ni de criminologie clinique ni de psychologie criminelle.
4La criminologie telle que Denis Szabo la concevait, et telle qu’il l’a bâtie en surmontant maints obstacles, est une synthèse de tous les éclairages que la psychologie, la sociologie, la psychiatrie et le droit apportent sur le phénomène criminel. Elle intègre la théorie, la recherche, la politique criminelle et l’action clinique. Elle s’intéresse aux institutions qui s’occupent du phénomène criminel : la police, les tribunaux, les établissements pour jeunes délinquants, les prisons et les autres composantes du système correctionnel. Elle considère le problème criminel sous toutes ses faces et examine toutes les solutions possibles.
5Denis Szabo détestait les idéologies et redoutait les extrémismes dont il avait vu les ravages dans toute l’Europe, et particulièrement en Hongrie. Il savait bien que les problèmes criminels suscitent les passions et les opinions les plus excessives. Il a donc voulu dresser des garde-fous pour empêcher les jeunes criminologues de tomber dans le discours d’opinion et de s’inféoder à des systèmes idéologiques. La méthode scientifique fut un recours : cours de méthodologie et recherche empirique. Dès le début, professeurs et étudiants observaient, questionnaient, mesuraient, analysaient. Les recommandations ne venaient qu’ensuite : procédant de l’étude des faits, elles avaient plus de chances d’être pondérées, lucides et réalistes. Le deuxième garde-fou contre les dérives idéologiques a été l’ancrage dans la pratique : les stages et les emplois plaçaient les étudiants et les diplômés dans la réalité, ils apprenaient qu’ils ne pouvaient pas dire n’importe quoi.
6Il a paru nécessaire à Denis Szabo de libérer la criminologie de la tutelle de la sociologie comme de celle de la psychologie et du droit. Il avait vu ailleurs, en France notamment, que la criminologie, du fait de son état de dépendance vis-à-vis d’une autre discipline, était freinée dans son développement et enfermée dans un point de vue réducteur. Une spécialisation dont l’indépendance fut très tôt reconnue et institutionnalisée permit à la criminologie de réaliser tout son potentiel.
7Denis Szabo a voulu nous inscrire dans le concert de la criminologie internationale. À cet égard, le Centre international de criminologie comparée était notre tremplin. Les professeurs, les chercheurs et les étudiants étaient encouragés à aller dans les colloques et les séminaires internationaux confronter leurs idées avec celles des meilleurs.
8Les remarquables réalisations de notre fondateur s’expliquent par sa grande connaissance des êtres humains et par son don de persuasion. Il avait une vision ample et juste aussi bien de la criminologie que de la place qu’elle pouvait occuper dans la société québécoise. Il avait fort bien compris le désir ambiant de réformer le système correctionnel, d’humaniser les prisons et de repenser les politiques en matière de crime. La conception qu’il avait de la criminologie – réformatrice, ouverte, théorique, empirique et pratique – répondait à ce besoin de changement. Il a mis au service de sa vision d’indéniables talents de tacticien et de stratège. Ainsi, il a créé la Société de criminologie du Québec parce qu’il avait besoin d’un organisme de ce genre pour faire accepter la criminologie et ouvrir aux diplômés de l’École l’accès au marché du travail. Par-dessus tout, Denis Szabo a été un rassembleur. Sans lui, bon nombre de spécialistes ne se seraient jamais rencontrés. Il savait réconcilier les points de vue opposés. Il mobilisait les gens autour d’un projet commun.
DES PROFESSEURS DÉVOUÉS AU SERVICE DES ÉTUDIANTS
9Les premiers professeurs ont relevé le défi lancé par Denis Szabo, et leurs successeurs poursuivent toujours les buts fixés initialement. Ils se sont sans cesse attachés à donner une formation scientifique et pratique adaptée aux besoins de la société. Ils ont mené des activités de recherche de plus en plus diversifiées et complexes sur le phénomène criminel, comme le montrent bien les quatre éditions du Traité. Ils ont assuré le rayonnement de l’École de criminologie dans les forums à visées scientifiques ou pratiques ; leurs conférences et leurs publications sont innombrables.
10Quelques milliers de bacheliers en criminologie ont été familiarisés avec une criminologie multidisciplinaire, scientifique et appliquée qui disposait de plus en plus d’options méthodologiques et de champs d’application. Plusieurs centaines de maîtres ont eu la possibilité d’appliquer la méthode scientifique dans des cas précis liés au phénomène criminel ou aux mécanismes de la réaction sociale face au crime. Plusieurs dizaines de docteurs ont fait avancer la recherche et ont amélioré la gestion des services criminologiques. Bon nombre d’entre eux ont enseigné dans des universités étrangères.
11Nous adressons nos chaleureux hommages à ces professeurs. Dans la liste ci-dessous, nous les nommons dans l’ordre chronologique de leur arrivée à l’École de criminologie.
12Szabo, Denis 1960 ; directeur 1960-1970
13Ciale, Justin 1961
14Fréchette, Marcel 1961
15Beausoleil, Julien 1962
16Goyer-Michaud, Francyne 1964
17Ellenberger, Henri-F. 1965
18Rico, José M. 1965
19Gagné, Denis 1966
20Gilbert, Jean-Paul 1966
21Bertrand, Marie-Andrée 1967
22Doyon, Emerson 1967
23Fattah, Ezzat Abdel 1968
24Normandeau, André 1968 ; directeur 1970-1979
25Landreville, Pierre 1969 ; directeur 1983-1991, 2003-2005
26Le Blanc, Marc 1969
27Cusson, Maurice 1970 ; directeur 1991-1995, 2001-2003
28Limoge, Thérèse 1970
29Tremblay, Roch 1970
30Elie, Daniel 1971
31Lagier, Pierre-Marie 1973
32Tardif, Guy 1973
33Poupart, Jean 1977
34Brodeur, Jean-Paul 1978
35Lemire, Guy 1978 ; directeur 1995-2001
36Baril, Micheline 1979
37Dozois, Jean 1979
38Trépanier, Jean 1979 ; directeur 1979-1983
39Biron, Louise 1980
40Lussier, Jean-Pierre 1980
41Brochu, Serge 1986
42Ouimet, Marc 1989
43Casoni, Dianne 1992
44Cousineau, Marie-Marthe 1992 ; directrice 2009-2010
45Tremblay, Pierre 1992
46Proulx, Jean 1993 ; directeur 2005-2009, 2010-2014
47Jaccoud, Mylène 1994
48Bacher, Jean-Luc 1995
49Carbonneau, René 1998
50Lafortune, Denis 1999
51Wemmers, Jo-Anne 2000
52Morselli, Carlo 2001
53Vacheret, Marion 2001
54Dupont, Benoit 2002
55Lemieux, Frédéric 2002
56Cournoyer, Louis-Georges 2005
57Guay, Jean-Pierre 2005
58Leman-Langlois, Stéphane 2005
59Blais, Étienne 2006
60Cortoni, Franca 2007
61Guay, Stéphane 2007
62Mulone, Massimiliano 2010
63Tanner, Samuel 2010
Auteurs
Ph.D. criminologie, Université de Montréal ; professeur émérite, École de criminologie, Université de Montréal.
Ph.D. criminologie, professeur émérite, École de criminologie et École de psychoéducation, Université de Montréal.
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