Introduction : orientations de la recherche criminologique
p. 7-11
Texte intégral
1La criminologie empirique peut être définie comme l’étude scientifique du phénomène criminel. C’est en 1960, avec la création par Denis Szabo de ce qui est devenu depuis l’École de criminologie de l’Université de Montréal, qu’elle a véritablement pris son essor. Jusqu’à cette date, un petit nombre de travaux sur les délinquants et les criminels avaient déjà paru, mais ils étaient dispersés, de nature descriptive et essentiellement d’orientation psychologique. Ainsi, nous pouvons mentionner le livre de Beausoleil (1949) sur la prévention de la délinquance et les premiers travaux de Mailloux (1956). L’École de criminologie a permis d’obtenir une masse critique de professeurs et de chercheurs qui devaient aider par la suite au développement de la discipline, amener une diversification des thèmes étudiés, contribuer au perfectionnement des méthodes de recherche et augmenter considérablement le nombre des publications.
2L’activité scientifique menée au cours des 50 dernières années reposait sur une conception précise de la criminologie. Elle partait du principe que son objet — la criminalité, le crime et le criminel — ne constituait pas son unique raison d’être. La criminologie doit être non seulement une science, mais aussi une profession. Une science, c’est-à-dire une discipline qui fait évoluer les connaissances par une synthèse continuelle de la recherche théorique et de la recherche empirique. Une profession, c’est-à-dire une pratique qui mêle l’acquisition de connaissances et l’action, qui touche les politiques en matière criminelle et l’intervention directe auprès des individus et des groupes. La science et la profession fusionnent ensemble dans la multidisciplinarité.
3Dans cette conception de la criminologie, on vise à réaliser des intégrations. Celles-ci consistent à rassembler les notions et les données provenant de diverses disciplines, à les interpréter à la lumière de faits dégagés au cours des recherches empiriques et à cerner les implications des connaissances scientifiques dans la pratique. La criminologie, telle qu’elle est enseignée à l’Université de Montréal, comporte une approche compréhensive que peu de disciplines scientifiques et de professions suivent.
4La réalisation d’un ouvrage de synthèse était devenue nécessaire en raison de l’extrême diversité des sujets étudiés et du grand nombre de travaux scientifiques liés à la criminologie empirique. En 1985, Denis Szabo et Marc Le Blanc ont donné la première édition du Traité de criminologie empirique, qui portait comme titre La criminologie empirique au Québec : phénomène criminel et justice pénale. Les 13 chapitres de cet ouvrage ont été écrits par 18 chercheurs et professeurs, principalement de l’École de criminologie et du Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal. Cette première édition mettait en lumière les recherches conduites au cours des 25 premières années d’existence de la criminologie québécoise. La seconde édition, publiée en 1994, a pris en compte les récents travaux des chercheurs et a introduit de nouveaux thèmes de recherche. Neuf ans plus tard, en 2003, il était devenu nécessaire de faire état des résultats des nombreux travaux de recherche menés depuis le milieu des années 1990. En 2010, comme l’École de criminologie célèbre son cinquantième anniversaire de fondation et que les connaissances se sont considérablement agrandies, il nous paraît indiqué de faire paraître une quatrième édition.
5Les quatre éditions du Traité de criminologie empirique procèdent d’une même conception de la criminologie : une science et une profession qui s’alimentent à diverses disciplines et qui se développent grâce à l’apport de diverses méthodologies scientifiques. Elles traitent toutes du phénomène social du crime, des causes de l’apparition et du développement des comportements criminels des individus, des moyens utilisés pour corriger ou modifier ces comportements, des méthodes de prévention de la délinquance et de traitement des délinquants. Certains thèmes de recherche sont abordés dans les quatre éditions parce que l’état de la recherche au moment de leur publication le permettait. Par contre, d’autres thèmes n’ont trouvé leur place que dans une ou deux des éditions parce qu’ils étaient liés à des préoccupations propres à une époque ou à la présence d’équipes de recherche qui concentraient leurs efforts sur eux. Ainsi, le tout formé par les quatre éditions rend compte de l’ensemble de la criminologie empirique des 50 dernières années, alors que chacune des éditions reflète les intérêts d’une époque déterminée. Les modalités de production et les objectifs de cette quatrième édition demeurent les mêmes que ceux des éditions précédentes.
6La criminologie provient d’un recentrage théorique et méthodologique qui s’opère à la jonction des sciences sociales, de la médecine, de la psychologie et du droit. Elle est devenue une discipline autonome qui s’incorpore dans la famille des sciences de l’homme et de la société. La science criminologique définit ses propres finalités, son propre champ d’investigation et d’activité. Le Traité de criminologie empirique témoigne de la fécondité de cette approche. L’adjonction de l’adjectif « empirique » au mot « criminologie » montre que notre propos n’est pas de tenir un discours ascientifique sur le crime ou la réforme pénale. Le lecteur trouvera dans ce livre non pas des essais théoriques et des études de cas, mais plutôt des descriptions, des analyses et des explications qui concernent différents aspects du phénomène criminel et qui s’appuient sur les résultats de recherches utilisant des méthodes reconnues comme scientifiques dans les sciences humaines.
7Les auteurs de ce volume s’appuient sur des travaux empiriques qui ont nécessité de coûteuses et laborieuses opérations de collecte et d’analyse statistique de données enfouies dans des articles, des thèses et des rapports de recherche. Il s’est agi pour eux non pas de présenter des discours idéologiques à un public amateur de nouveautés et de paradoxes, mais plutôt d’énoncer des faits établis.
8Le caractère appliqué de notre discipline nous impose de mettre les résultats de nos travaux à la disposition non seulement de nos étudiants, mais également des criminologues et des autres professionnels actifs dans les divers domaines où la criminologie trouve à s’appliquer. Nous voudrions les doter d’un outil d’enseignement qui les mette au fait des acquisitions les plus récentes en criminologie et qui leur soit utile dans l’exercice de leur profession.
LE CONTENU DE LA QUATRIÈME ÉDITION
9Dans la première partie de l’ouvrage, la plus importante, sont décrits les différents aspects qu’est susceptible de prendre le phénomène criminel tel que les recherches québécoises permettent de l’appréhender. Les deux premiers chapitres portent sur les mouvements de la criminalité. Les auteurs exploitent parfois des sources de données qui n’étaient pas accessibles dans les éditions précédentes : statistiques officielles, enquêtes sur la victimisation et sur la délinquance racontée. Les statistiques criminelles, qui se sont considérablement améliorées au cours du dernier quart de siècle, révèlent une nette régression de la criminalité au cours des années 1990. Le fait mérite d’être signalé, car il représente quelque chose de nouveau. Entre 1960 et 1980, les courbes décrivant la criminalité au Québec, comme ailleurs en Amérique du Nord, étaient ascendantes, et entre 1980 et 1990, elles s’étaient maintenues à des niveaux élevés pour décroître par la suite. Les chapitres suivants de cette première partie considèrent des manifestations particulières de la délinquance et de la criminalité : les homicides, la relation entre la drogue et le crime, les gangs de rue, les réseaux criminels et la victimisation.
10La deuxième partie est consacrée aux individus délinquants et criminels. Les jeunes délinquants, les délinquants sexuels, les femmes délinquantes et ceux qui sont atteints de troubles mentaux y occupent une place de premier plan. Certains chapitres de cette deuxième partie mettent à profit les acquisitions réalisées en criminologie développementale.
11La troisième et dernière partie, consacrée à la justice et aux mesures pénales, traite de sujets qui se retrouvaient dans les éditions précédentes : la justice des mineurs, les mesures de réadaptation pour mineurs, les mesures pénales pour adultes et les mesures réparatrices.
12Cette édition du Traité, pas plus que les trois précédentes, ne contient de chapitre sur l’administration de la justice pour adultes. La raison en est que le sujet n’a pas été étudié systématiquement par les criminologues québécois. Espérons qu’il sera traité dans un avenir pas trop lointain. De plus, le lecteur ne trouvera pas ici de chapitre sur la police et sur la sécurité privée. Ces sujets n’ont pas été laissés de côté : un autre ouvrage, le Traité de sécurité intérieure de Cusson, Dupont et Lemieux (2007) les développe longuement.
13Les éditions précédentes du Traité contenaient une liste des publications. Dans la présente édition, la tradition se poursuit, bien qu’il y ait certains changements. André Normandeau a dressé une liste des 50 livres les plus marquants parus depuis la fondation de l’École de criminologie. Cette liste témoigne de l’accroissement considérable des connaissances et de leur large diffusion au cours des cinquante dernières années. Le lecteur trouvera sur le site Internet de cette édition du Traité des listes complémentaires : toutes les publications éditées de 2004 à 2010, les thèmes des numéros thématiques de la revue Criminologie, les traductions de livres dans d’autres langues que le français ou l’anglais, les commissions d’enquête gouvernementales auxquelles des criminologues ont participé.
14Le lecteur se rendra rapidement compte que le pluralisme épistémologique, théorique et méthodologique qui est l’image de marque des criminologues québécois est appliqué dans ce livre. Il y trouvera aussi des exemples de criminologie appliquée.
15Chaque chapitre est assorti de deux bibliographies. Y sont mentionnés les textes les plus significatifs parmi ceux dont traite le chapitre. Le site Internet des Presses de l’Université de Montréal donne la bibliographie complète pour chacun des chapitres.
Bibliographie
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RÉFÉRENCES1
Beausoleil, J. (1949). Comment prévenir la délinquance. Montréal : Institut de psychologie de l’Université de Montréal et Centre d’orientation.
Cusson, M., Dupont, B., Lemieux, F. (2007), Traité de sécurité intérieure. Montréal : Hurtubise.
10.4000/books.pum.6636 :Le Blanc, M., Ouimet, M., Szabo, D. (2003). Traité de criminologie empirique. Troisième édition. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
Mailloux, N. (1956). Le problème de la délinquance au Canada. Contribution à l’étude des sciences de l’homme, 3, 193-206.
Szabo, D., Le Blanc, M. (1985). La criminologie empirique au Québec : phénomènes criminels et justice pénale. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
Szabo, D., Le Blanc, M. (1994). Traité de criminologie empirique. Deuxième édition. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
Notes de fin
1 La bibliographie complète se trouve sur le site Internet des Presses de l’Université de Montréal : www.pum.umontreal.ca
Auteurs
Ph.D. criminologie, professeur émérite, École de criminologie et École de psychoéducation, Université de Montréal.
Ph.D. criminologie, Université de Montréal ; professeur émérite, École de criminologie, Université de Montréal.
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