27. Premières leçons tirées de trois initiatives de mobilisation des connaissances
p. 525-537
Texte intégral
Le Centre de recherche sur l’enfance et la famille (CREF) de l’Université McGill a pu mettre à l’essai un certain nombre d’initiatives de mobilisation des connaissances visant à faciliter l’accès à des études pertinentes et à promouvoir une culture d’utilisation de la recherche en Protection de la jeunesse. Ce chapitre présente trois initiatives. La première est un partenariat interuniversitaire d’apprentissage, qui permet aux participants d’avoir accès à un contenu à jour des principales revues scientifiques et de produire des résumés d’articles portant sur le bien-être des enfants. Les deux autres initiatives ont été implantées au Centre de la jeunesse et de la famille Batshaw, un établissement de protection de la jeunesse au service des populations juives et anglophones de Montréal. Il s’agit des groupes dits d’intégration clinique, formés pour promouvoir le développement et l’intégration des connaissances dans la pratique clinique, et du bulletin interne Branché, consacré à la diffusion de la recherche dans l’établissement. Ces initiatives, élaborées dans le but de répondre à certaines préoccupations concernant l’impact limité de la recherche sur les pratiques professionnelles, ont démontré que les obstacles limitant l’accès à la recherche peuvent être surmontés par une variété de moyens.
1Le Centre de recherche sur l’enfance et la famille (CREF) de l’Université McGill a été créé en 2005. Il a reçu le mandat de mener et de diffuser des recherches permettant le développement de programmes et politiques efficaces à l’endroit des enfants vulnérables et de leur famille. Les chercheurs qui y sont rattachés en tant que membres d’un centre universitaire n’éprouvaient jusque-là aucune difficulté à trouver du financement pour réaliser leurs travaux. En revanche, la diffusion efficace des résultats de leurs recherches était un défi difficile à relever. En effet, les stratégies habituelles (publications académiques et conférences, occasionnellement soutenues par des présentations dans le cadre de colloques professionnels) semblaient n’avoir qu’un impact limité sur le vaste auditoire des intervenants, gestionnaires et décideurs.
2Des préoccupations du même ordre avaient déjà été soulevées dans d’autres domaines, entre autres le travail social, l’éducation, les soins infirmiers et la médecine (Bate et Robert, 2002 ; Waddell et al., 2005 ; Trocmé et al., 2009). Les intervenants et les professionnels avaient identifié quelques obstacles bloquant leur accès à la recherche, notamment le manque de temps et une capacité limitée d’évaluer de manière critique ou même de comprendre des articles de recherche (Hemsley-Brown, 2004), ainsi que la difficulté d’accéder à des données de recherche pertinentes (Rycroft-Malone et al., 2004). Kitson et ses collègues (1998) indiquent que, pour arriver à composer avec ces obstacles, on porte désormais un intérêt croissant au développement de méthodes de diffusion des connaissances, telles que l’implantation de facilitateurs de la recherche au sein des établissements offrant des services sanitaires, sociaux ou correctionnels. Un autre facteur aidant a été identifié : l’exercice d’un leadership au sein de l’organisation en faveur de l’implantation d’une culture où les données de recherche sont valorisées (Rycroft-Malone et al., 2004 ; Gollop et al., 2006).
éléments de contexte théorique
3La culture, la structure et le leadership sont autant de facteurs qui déterminent l’utilisation des données de recherche dans une organisation. De nombreuses études ont constaté que le degré de préparation au changement d’une organisation, l’instauration d’un climat qui favorise le développement professionnel, une histoire récente montrant que l’utilisation des données probantes est encouragée, ainsi que la présence d’une culture d’établissement qui valorise la recherche sont autant de facteurs qui favorisent l’utilisation des données probantes (Dobrow et al., 2004 ; Dobrow et al., 2006 ; Grinshaw et al., 2004 ; Hemsley-Brown et Sharp, 2003). De plus, la réceptivité d’une organisation à utiliser les résultats de travaux empiriques a une influence significative sur les efforts des utilisateurs pour avoir accès à ces travaux, pour les comprendre et essayer de participer à leur développement (Barratt, 2003 ; Belkhodja et al., 2007). En outre, des éléments de la structure organisationnelle, tels que la taille et la stabilité des équipes de travail, la hiérarchie organisationnelle, ainsi que la complexité des tâches influencent le degré selon lequel une organisation sera en mesure d’acquérir et d’utiliser de nouvelles preuves (Estabrooks et al., 2007 ; Kramer et Cole, 2003).
4Un leadership fort semble être également un élément déterminant pour soutenir l’application des connaissances dans un plan organisationnel. Différents chercheurs soulignent l’importance d’engager les administrateurs dans le processus (Rogers, 1995), d’offrir des incitatifs pour encourager l’utilisation des données probantes (Belkhodja et al., 2007), d’établir un consensus sur les besoins de connaissances identifiés, ainsi que d’établir une vision commune et partagée des objectifs à atteindre (Greenhalgh et al., 2005 ; VanDeusen Lukas et al., 2007). L’application des connaissances dans un plan organisationnel peut bénéficier de l’implantation de mécanismes qui permettent la formation continue, de récompenses pour des performances positives, ainsi que de l’investissement dans des ressources financières, matérielles et humaines (Werr et Stjernberg, 2003).
trois initiatives de mobilisation des connaissances
5Grâce à deux subventions de mobilisation des connaissances1, le CREF de l’Université McGill a mis à l’essai un certain nombre d’initiatives de mobilisation des connaissances visant à ce que les intervenants aient un meilleur accès aux travaux de recherche pertinents pour eux et également à promouvoir dans l’établissement une culture d’utilisation des résultats de la recherche. En voici trois exemples.
Le forum « À l’affût de la recherche »
6Ce forum novateur de partage et de construction des connaissances utilise la vidéoconférence et la technologie Internet afin de faciliter, dans deux universités canadiennes, la discussion critique des travaux de recherche en matière de bien-être des enfants. Tous les mois, les professeurs et étudiants de niveau maîtrise ou doctorat des facultés de service social de l’Université McGill et de l’Université de Toronto sont conviés à des discussions midi portant sur l’appréciation et l’évaluation de travaux de recherches empiriques en matière de protection de la jeunesse. Ces recherches sont extraites d’une base de données bibliographique regroupant l’ensemble des revues savantes. Chaque participant fait état de deux ou trois études, puis il présente à l’ensemble du groupe celle qu’il juge la meilleure. Cela permet de couvrir environ 40 à 50 articles par réunion. Le groupe choisit, par la suite, les études les plus importantes en termes de rigueur méthodologique ou de retombées politiques et pratiques. Les articles sélectionnés sont alors résumés, en anglais et en français, puis expédiés aux personnes inscrites sur la liste de diffusion du Centre d’excellence pour la protection et le bien-être des enfants. Cette liste comprend les abonnés directs (environ 2500 chercheurs, praticiens et décideurs de partout au Canada), ainsi que des lecteurs (environ 4200) provenant de listes associées.
7Les membres du Centre d’excellence pour la protection et le bien-être des enfants préparent également des résumés de toutes les études canadiennes qu’ils peuvent identifier et qui portent sur le bien-être des enfants (cette fois, sans évaluation de la qualité méthodologique). Ces études sont distribuées au moyen de la même liste, sous le titre Coup d’œil sur la recherche canadienne.
8Les comptes rendus À l’affût de la recherche et Coup d’œil sur la recherche canadienne sont accessibles sur la page principale du Portail canadien de la recherche en protection de l’enfance (www.cecw-cepb.ca). Tous les numéros précédents y sont aussi archivés. Depuis le lancement du nouveau site Web du Centre d’excellence pour la protection et le bienêtre des enfants, en mai 2009, le nombre de visites mensuelles a augmenté, atteignant plus de 8000 par mois. Les deux séries de comptes rendus ont non seulement réussi à rendre accessibles aux praticiens les recherches publiées sur le bien-être des enfants, mais aussi à alimenter une base de données qui regroupe les travaux canadiens. Près de trois ans après son lancement, À l’affût de la recherche fonctionne de façon permanente, dans les deux programmes universitaires. Jusqu’ici, plus de 50 recensions et 15 éditions du Coup d’œil sur la recherche canadienne ont été réalisées. Le nombre de membres réguliers a doublé au cours des deux dernières années, grimpant à plus de 40 professeurs, membres du personnel et étudiants. Les envois par courriel des deux séries de comptes rendus permettent aux praticiens canadiens de la protection de la jeunesse d’être tenus informés des toutes dernières recherches.
9Le forum À l’affût de la recherche poursuit des fins pédagogiques qui vont au-delà de la mise à jour sur le plan des connaissances. En effet, grâce à cette initiative, une culture fondée sur les données probantes s’est inscrite dans les programmes de formation professionnelle. Les étudiants en service social sont préparés à évaluer et à interpréter la recherche d’une manière efficace et critique. Le processus est donc bénéfique, non seulement pour les bénéficiaires des archives de recherches, mais aussi pour ceux qui sont engagés dans le processus lui-même.
Les groupes d’intégration clinique
10Les groupes d’intégration clinique (GIC) sont composés d’individus partageant un intérêt pour un problème clinique spécifique qui affecte le bien-être des enfants et des familles. L’objectif global des GIC est de promouvoir dans le centre jeunesse Batshaw le développement et l’intégration des connaissances dans la pratique clinique en utilisant trois formes de connaissances ou de données probantes : les données provenant de la banque informationnelle du centre jeunesse, l’expertise clinique des intervenants et les travaux de recherche publiés. Les GIC intègrent ces trois formes de connaissances en passant en revue les données générées par l’établissement, en s’appuyant sur l’expérience et les connaissances des cliniciens, et en accédant aux travaux de recherche et autres écrits pertinents publiés sur telle ou telle question d’intérêt. Ces travaux sont identifiés comme étant au cœur même de la fonction des GIC.
11Les GIC sont constitués d’environ 15 à 20 gestionnaires et cliniciens, issus de divers secteurs des prestations de services, intéressés par leur développement professionnel et désireux d’intégrer les connaissances les plus récentes à leur pratique. Les groupes sont dirigés par un courtier de connaissances du milieu académique, affilié à une université et qui possède une expertise clinique et/ou de contenu, ainsi que par un étudiant de niveau maîtrise ou doctorat qui fournit aux membres le soutien logistique nécessaire. Parmi les autres membres du groupe, il s’en trouve qui proviennent des milieux professionnels (par exemple, un hôpital ou un organisme de soutien aux victimes) et qui se spécialisent dans le champ clinique concerné. Les GIC peuvent compter sur deux codirecteurs et un coordinateur, ce dernier étant chargé de l’identification et de la sélection des participants, du bon déroulement des opérations, ainsi que des contacts à établir avec les gestionnaires.
12Actuellement au centre jeunesse Batshaw, il existe deux GIC qui travaillent sur des zones identifiées comme étant d’une grande importance clinique : l’abus sexuel et la violence conjugale. Le premier a été créé en 2006 et le second, en 2008. À ce jour, leurs activités incluent l’examen et l’évaluation critique des publications cliniques et empiriques, au fur et à mesure qu’elles paraissent, afin de déterminer leur pertinence et leur impact potentiel sur les pratiques. Il s’agit ensuite de produire des résumés de la recherche dans le but de faciliter le transfert des connaissances, d’abord au sein du GIC, puis vers les milieux cliniques, grâce à des présentations ou à des publications internes. Les membres peuvent également contribuer au développement d’une solide banque des ressources qui, à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement, peut répondre aux besoins des clients et soutenir le personnel clinique. Dans certains cas, même si les GIC ne sont pas tenus de formuler des recommandations officielles, ni de se substituer à la supervision clinique, leurs membres peuvent avoir un apport fondé sur leur expertise clinique, ainsi que sur leur bonne connaissance des meilleures pratiques et de la recherche. Autrement dit, ils peuvent s’impliquer dans des consultations individuelles. Enfin, sur demande, un GIC peut émettre des commentaires concernant les activités et les programmes de perfectionnement du personnel.
13Même si les GIC restent une initiative relativement nouvelle, des résultats découlent déjà de leurs activités. Tout d’abord, une description des GIC a été publiée dans Branché, le bulletin institutionnel de diffusion de la recherche. Par la suite, et sur une base mensuelle, des consultations ont été offertes dans tout l’établissement par des membres du GIC s’intéressant aux abus sexuels. Par ailleurs, lors d’une journée professionnelle, la discussion d’un cas fictif a été présentée par un panel à tout le personnel clinique. Ces deux activités ont reçu un accueil très positif. À partir des discussions tenues dans le GIC s’intéressant aux abus sexuels, des lignes directrices relatives au partage d’information entre les différents dispensateurs de soins ont été élaborées par la Direction des services professionnels de l’établissement. Des examens critiques de plus de 70 articles de revues ou chapitres de livres ont été résumés dans Branché, puis communiqués aux gestionnaires et au personnel. Des ateliers ont également été offerts pour apprendre des techniques efficaces et efficientes d’examen des articles de recherche.
14Pour rendre la lecture des travaux de recherche beaucoup moins intimidante pour les membres des GIC, on a rédigé des résumés cliniques qui soulignent les éléments-clés des articles de recherche, ainsi que leurs implications pour la pratique. À partir des recherches examinées durant les travaux du GIC s’intéressant aux abus sexuels, deux de ses membres ont offert au personnel de première ligne une formation de deux jours portant sur l’intervention et la planification du traitement. Ce GIC est d’ailleurs en train de mettre en place un site intranet afin de présenter ses activités, de mettre en ligne une liste de lecture, ainsi que des hyperliens menant vers le site Web des partenaires ou vers la bibliothèque du centre jeunesse, qui est devenue une ressource-clé pour les cliniciens. D’autres résultats des GIC sont intéressants, même s’ils sont moins tangibles. Mentionnons la multiplication des discussions entre collègues autour des données probantes, le changement progressif des processus cliniques, la confiance accrue des cliniciens responsables des cas et, à plus long terme, la dispensation de services plus efficaces aux enfants et aux familles. Dans le cadre d’une évaluation à venir, les membres et les coordonnateurs des GIC seront interrogés sur leur expérience.
15Avec le temps, nous avons appris que les échanges entre les GIC et les courtiers de connaissances sont bénéfiques, autant pour les premiers que pour les seconds. En effet, ils affinent leur expertise au fur et à mesure qu’ils en apprennent davantage sur la mise en application pratique des connaissances, le fonctionnement d’un établissement en protection de la jeunesse et les besoins de recherches futures. L’expérience a aussi montré que si le rôle de l’assistant de recherche est essentiellement administratif, ses connaissances, intérêts et expériences dans le domaine ne doivent pas être sous-estimés. Par exemple, sa bonne connaissance des préoccupations cliniques sera utile au moment de préparer les recensions d’écrits ou de comprendre quels sont les éléments pertinents à inclure dans le procès-verbal d’une réunion.
16En ce qui concerne les lectures, précisons que les textes sont généralement choisis par le courtier de connaissances et l’assistant de recherche, en fonction de leur pertinence pour la pratique. Ils se limitent à ceux que les membres sont capables de lire et de comprendre dans une période de temps donnée. Jusqu’ici, les deux GIC ont fonctionné différemment, l’un étant axé sur la recherche émergeant de l’année précédente, l’autre se concentrant plutôt sur des thèmes spécifiques de la problématique qui ont été jugés prioritaires.
17Il faut souligner qu’à chacune des étapes, les tout premiers défenseurs des GIC ont eu un rôle crucial à jouer dans cette expérience. En effet, le soutien indéfectible de l’administration du centre jeunesse Batshaw, de la Direction des services professionnels et du directeur du CREF a joué un rôle-clé dans l’approbation de l’initiative, l’implication permanente des participants et l’octroi des ressources nécessaires au bon fonctionnement des groupes. Dans un établissement où les listes d’attente sont longues et le personnel très occupé, le fonctionnement des GIC a souvent représenté un défi. Les différents appuis venant de personnes-clés ont donné de la crédibilité à l’initiative et l’ont ni plus ni moins gardée en vie.
Le bulletin Branché
18Branché est né de la nécessité, pour un établissement de protection de la jeunesse comme le centre jeunesse Batshaw, de disposer d’un médium à partir duquel il est possible de transmettre aux cliniciens et aux gestionnaires les résultats de recherches locales. Il était important, également, de s’adresser à un bassin secondaire de lecteurs incluant les membres du conseil d’administration du centre jeunesse et d’autres établissements de protection de la jeunesse, le personnel universitaire, les étudiants et les organismes subventionnaires. En tant que publication « maison » qui relève de l’établissement et qui est soutenue par l’Université McGill, Branché est un moyen dynamique et efficace pour diffuser des résultats de recherche dans un format facile d’accès pour les cliniciens et les gestionnaires. Le rythme de publication (bimensuel) laisse aux lecteurs le temps nécessaire pour intégrer l’information. Son format de quatre pages comporte généralement deux articles principaux, ainsi qu’une section d’informations plus générales.
19De sa conception à sa mise en œuvre, le processus d’élaboration de Branché a pris un an (mars 2008 à mars 2009). Une attention particulière a été accordée au format, au style, ainsi qu’à la présentation générale des éléments de la publication. Les collaborateurs voulaient une mise en page épurée et il ne devait y avoir aucun texte dense. Afin d’illustrer concrètement la relation de partenariat, les couleurs ont été choisies en fonction des logos du centre jeunesse Batshaw et de l’Université McGill. Des détails, tels que l’inclusion d’un volume et d’un numéro, ont été jugés importants afin d’affirmer la volonté d’en faire une publication continue. Cela dit, le temps consacré à prendre toutes ces décisions et à finaliser le gabarit a été beaucoup plus long que ce qui avait été prévu. Cela nous a appris que l’implication de tous les collaborateurs, dès le départ, aurait facilité et accéléré le processus. Toutefois, depuis la première parution, la sortie des numéros de Branché s’est faite de plus en plus rapidement.
20Jusqu’ici, les auteurs ont varié d’un numéro à l’autre, en fonction des thèmes traités. Des efforts sont faits pour que les personnes très impliquées dans tel ou tel domaine puissent signer comme premier auteur, les autres contributeurs venant en deuxième, troisième ou quatrième position. L’édition est assurée par l’Université McGill et le centre jeunesse Batshaw, lequel approuve les modifications finales.
21Le processus se veut inclusif et démocratique. Il n’en demeure pas moins très intense sur le plan du travail à investir. Lorsque le manuscrit initial est achevé, un délai de deux à trois semaines doit généralement être prévu pour que les deux articles principaux soient finalisés. Au début, nous avions envisagé l’embauche d’un rédacteur professionnel, notamment pour alléger la pression exercée sur les universitaires et sur les gestionnaires impliqués. Toutefois, nous y avons rapidement renoncé puisqu’un rédacteur externe serait incapable de comprendre les subtilités du fonctionnement du centre jeunesse, des processus cliniques en protection de la jeunesse et des relations de partenariat dans leur ensemble. En outre, les membres du personnel du centre jeunesse et du CREF utilisent un langage local, professionnel, et sont plus susceptibles de produire un matériel accessible aux intervenants et aux gestionnaires.
22Avant de publier le premier numéro, en mars 2009, des agents de liaison du centre jeunesse Batshaw et de l’Université McGill ont fait quelques présentations aux gestionnaires, ainsi qu’à plusieurs groupes de cliniciens dans le but de les impliquer dans le processus et de faire de Branché un document vivant. Afin d’assurer le plus grand lectorat possible, des exemplaires imprimés ont été distribués dans tous les points de service, et ce, même s’ils sont plus coûteux à produire que des documents électroniques. La première année, cinq numéros de Branché sont parus (chacun étant disponibles en format PDF sur le site Web du CREF). Bien qu’il soit difficile d’évaluer le lectorat du bulletin, notre espoir est qu’avec le temps, Branché soit mieux connu du personnel. L’Université McGill et le centre jeunesse Batshaw travaillent actuellement à mettre en place un plan qui assurerait la pérennité de la publication.
23Comme dans le cas des GIC, les premiers utilisateurs de Branché sont allés chercher le soutien de cadres supérieurs, qui ont donné leur appui et de la valeur à la publication. En fin de compte, on peut considérer que ces demandes d’approbation ont légitimé le bulletin et agrandi le cercle de ses lecteurs parmi les membres du personnel et les décideurs.
composition et fonctionnement de l’équipe
24Chacune de ces trois activités de mobilisation des connaissances repose sur le travail d’une seule équipe. Ainsi, À l’affût de la recherche est dirigé par un professeur dans chaque département de travail social (Université de Toronto et Université McGill). Les réunions sont organisées par un étudiant de niveau maîtrise ou doctorat, qui cherche et qui rend disponibles des travaux de recherche actuels en matière de bien-être des enfants. Il les achemine à un groupe d’environ 40 personnes qui participent régulièrement à l’initiative (des membres du personnel et des étudiants). Les aspects techniques, tels que le dépôt des lectures sur un site Web sécurisé ou le dépôt des résumés d’articles sur le site du CREF, sont assumés par un assistant de recherche de l’Université McGill. Bien que les GIC et le bulletin Branché soient dirigés par le chercheur principal du projet Evidence-Based Management in Child Welfare financé par le CRSH, les équipes sont constituées par différents membres du personnel qui proviennent du centre jeunesse Batshaw et du CREF de l’Université McGill. Les GIC sont dirigés par un coordonnateur et deux codirecteurs du centre jeunesse Batshaw. Des équipes de 15 à 20 cliniciens sont soutenues par un courtier de connaissances de l’Université McGill et par un assistant de recherche. Quant à Branché, il est dirigé par le Directeur des services professionnels du centre jeunesse et soutenu par le chef du projet Evidence-Based Management. Les deux parties exercent des fonctions éditoriales, tandis que de nombreux étudiants de McGill et membres du personnel du centre jeunesse Batshaw participent à la rédaction des articles.
25Bien qu’en fin de compte les décisions pour l’ensemble des activités de mobilisation des connaissances soient prises par les animateurs, le processus reste participatif et nécessite la collaboration de tous. Dans le cas du GIC et du bulletin Branché, un mouvement vers une plus grande participation du centre jeunesse Batshaw est en cours afin d’assurer la pérennité des activités après la fin du projet Evidence-Based Management, lorsque le soutien du CREF de l’Université McGill sera plus limité.
évaluation et conclusions
26Ces trois initiatives de mobilisation des connaissances ont été mises en place afin de répondre à certaines préoccupations relatives à l’impact limité de la recherche sur la pratique professionnelle. Elles ont montré que plusieurs obstacles dans l’accès à la recherche peuvent être surmontés par des moyens tels que :
- l’engagement des universitaires et des étudiants de niveau maîtrise ou doctorat à résumer succinctement la recherche importante et/ou locale de manière à la rendre accessible à un lectorat plus large ;
- le recours à des courtiers de connaissances qui possèdent non seulement une expertise en recherche, mais qui y ont aussi un accès immédiat ;
- le soutien d’un bibliothécaire, afin de faciliter l’accès aux travaux de recherche pertinents ;
- la mise en valeur des initiatives locales de recherche, pour le profit des cliniciens et des intervenants ; et
- le développement de stratégies d’apprentissage permettant d’évaluer la recherche de façon critique, pour l’interpréter et identifier ses implications pratiques.
27Bien que l’évaluation des GIC et des bulletins Branché vienne seulement de débuter, toutes les rétroactions reçues à ce jour ont été très positives et tendent à confirmer la pertinence de les maintenir. À l’affût de la recherche a également fait l’objet de commentaires positifs et encourageants. L’augmentation substantielle des visites du Portail canadien de la recherche en protection de l’enfance et des abonnés au bulletin électronique est un témoignage de cette réussite. De plus, d’autres organisations ont manifesté un intérêt à appuyer le Portail. Par ailleurs, tous considèrent que les productions résultant de ces trois activités ont été d’une grande qualité clinique et scientifique. Certes, des obstacles ont été rencontrés. Par exemple, des versions antérieures moins rationalisées du GIC ou du processus À l’affût de la recherche, qui se sont avérées moins utiles que prévu. Cela dit, les leçons qui en ont été tirées et les défis à surmonter ont conduit à une amélioration des activités. Finalement, on peut conclure que des objectifs clairs, ainsi que des processus gérables qui respectent les limites de la disponibilité des participants et des fonds se sont avérés essentiels au bon fonctionnement des activités et à l’atteinte de leur objectif global : la mobilisation des connaissances.
28Diverses ressources financières, du temps et des énergies ont été investis dans le développement de nouvelles approches pour soutenir la diffusion des connaissances en matière de protection de la jeunesse. La durabilité des initiatives qui ont été mises en place est subordonnée à l’engagement à long terme consenti par les deux partenaires, le centre jeunesse Batshaw et l’Université McGill. Il s’agit non seulement de maintenir les activités pendant plusieurs années, mais aussi de veiller à leur amélioration continue. Il est clair, désormais, qu’un leadership organisationnel faisant la promotion d’une culture d’établissement où les données de recherche sont valorisées est un élément-clé pour que soient mis sur pied des programmes, des politiques et des services efficaces pour les enfants et les familles à risque.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 La subvention Impact du savoir dans la société du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), et la subvention du Programme des centres d’excellence pour le bien-être des enfants de l’Agence de la santé publique du Canada.
Auteurs
Centre de recherche sur l’enfance et la famille
Professeur, titulaire de la chaire Philip Fisher, École de travail social, U. McGill
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