25. Soutenir le passage à la vie adulte : le programme Qualification des jeunes
p. 482-501
Note de l’auteur
Les recherches évoquées dans ce chapitre ont été réalisées grâce au soutien de la Stratégie nationale pour la prévention du crime du gouvernement du Canada, en collaboration avec le ministère de Sécurité publique du Québec, de l’Institut des services et des politiques de santé des Instituts de recherche en santé du Canada (bourse postdoctorale) et du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (bourse doctorale).
Texte intégral
Le programme Qualification des jeunes (PQJ), implanté dans sa version pilote par l’Association des centres jeunesse du Québec (ACJQ) dans quatre régions, a pour but de prévenir la marginalisation des jeunes usagers des centres jeunesse. Le premier objectif poursuivi est de préparer et d’encadrer le passage à la vie autonome des jeunes issus des centres jeunesse. Il s’agit aussi de les insérer dans le marché du travail ou dans une formation qualifiante au moment où ils atteignent leur majorité. Enfin, il importe de mettre en place autour d’eux des réseaux de soutien. Le PQJ a ceci de particulier qu’il s’attarde aux dimensions liées à la transition à la vie adulte sur une longue période, soit de 16 à 19 ans. Cette intervention est complémentaire à celle des intervenants déjà présents auprès de l’adolescent, et vise à assurer un suivi post-placement. Le programme se caractérise également par l’intensité de l’intervention, puisque chaque éducateur n’assure le suivi que de 10 jeunes, une proportion peu fréquente dans l’offre de services en centre jeunesse.
Les adolescents qui forment la clientèle des centres jeunesse sont un groupe particulièrement vulnérable aux problèmes sociaux, à la criminalité et à la victimisation. Ils sont à risque de connaître des difficultés importantes d’insertion socioprofessionnelle. Faciliter leur passage à la vie adulte contribue à les sortir de trajectoires de vulnérabilisation, en les éloignant de la criminalisation et en leur donnant des outils pour ne plus être simplement des victimes. De telles actions contribuent à construire des citoyens actifs et responsables, en repoussant les blocages structurels à leur insertion et en développant des partenariats avec d’autres acteurs sociaux dans une perspective d’approche milieu. Devant les résultats positifs d’une évaluation du projet pilote, une généralisation du programme à l’ensemble des centres jeunesse du Québec a été entreprise depuis 2006.
1Prendre en charge, mais prendre en compte (Karz, 2004), protéger, mais préparer et soutenir, tels sont les paradoxes de l’intervention auprès des adolescents qui quittent les services des centres jeunesse pour prendre leur autonomie. L’enjeu central est de savoir faire cohabiter les paradigmes d’intervention afin que ceux qui sont inscrits dans un cadre de protection, de réadaptation ou de gestion du risque soutiennent le processus d’acquisition de compétences et d’expérimentation sociales essentielles pour la transition à la vie adulte.
description du programme
2Le projet pilote Qualification des jeunes a été une initiative menée de 2001 à 2005 par l’Association des centres jeunesse du Québec (ACJQ). Cela faisait suite au Sommet du Québec et de la jeunesse, qui plaçait la qualification des jeunes au centre d’un vaste plan visant à venir en aide principalement aux adolescents en difficulté. Le projet de l’ACJQ a été associé, à titre de projet satellite, à la recherche-action Solidarité jeunesse (Goyette et al., 2006), afin d’étudier ses effets et permettre de dégager de nouvelles stratégies d’insertion sociale et professionnelle pour les jeunes de 16 à 18 ans recevant des services des centres jeunesse. Le projet a d’abord été implanté dans quatre régions du Québec, Abitibi-Témiscamingue, Laval, Montréal (les Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw) et Outaouais, et il a rejoint 80 adolescents1.
3Le but du programme est d’augmenter les capacités des adolescents des centres jeunesse, au moment où ils atteignent leur majorité et que cesse leur prise en charge, à s’intégrer socialement de façon autonome et à s’investir sur le plan professionnel, afin de prévenir leur marginalisation.
Un programme en trois volets
4Le PQJ comporte trois volets, visant chacun un objectif spécifique : le développement d’un réseau social et de soutien ; la préparation à la vie autonome ; la qualification en vue de l’insertion socioprofessionnelle.
- Le volet développement d’un réseau social et de soutien veille à ce que le jeune puisse s’ancrer dans son milieu de vie, avec l’aide de l’intervenant, afin d’accéder lui-même aux ressources dont il pourrait avoir besoin. L’objectif de ce volet est de développer des réseaux de soutien et d’aide sur lesquels les adolescents issus des centres jeunesse pourront compter.
- Le volet préparation à la vie autonome amorce un processus devant permettre aux jeunes d’assumer leurs responsabilités lorsqu’ils atteindront leur majorité. L’objectif de ce volet est de favoriser les apprentissages permettant une autonomie fonctionnelle, en sachant notamment chercher et entretenir un logement, gérer ses finances personnelles, développer des habiletés sociales et voir à ses soins personnels.
- Le volet qualification en vue de l’insertion socioprofessionnelle permet l’acquisition de connaissances (savoir), de techniques particulières (savoir-faire) et d’attitudes (savoir-être), essentielles pour accéder au marché du travail et s’intégrer au corps social. L’objectif de ce volet est d’intégrer au moins 75 % des jeunes du PQJ dans un parcours menant à un emploi ou à une formation permettant de se qualifier en vue d’une occupation professionnelle.
La clientèle du PQJ
5Le projet a rejoint 80 adolescents, 33 filles et 47 garçons, provenant des quatre régions du Québec participant au projet. Les jeunes recrutés devaient être âgés de 16 ans au moment de leur adhésion. Le recrutement s’est fait par les éducateurs et la coordonnatrice, sur référence des équipes régulières du centre jeunesse. Les participants avaient tous connu au cours de leur vie une histoire de placement importante. La possibilité de pouvoir réintégrer le milieu familial ne leur avait probablement pas été offerte. Ils n’avaient sans doute pas formulé de projet précis concernant leur scolarisation ou une quelconque formation professionnelle à la fin des services des centres jeunesse. Ils manifestaient de l’insécurité, avaient une faible estime de soi, un réseau social faible, éprouvaient des difficultés à attendre la gratification, à respecter les consignes et à se mettre des limites.
6Les critères de sélection identifiés rejoignent les principaux facteurs de risque associés à une trajectoire de vulnérabilisation et aucun critère d’exclusion n’a été prévu. Le PQJ cherche à augmenter, de façon significative, les chances de réussite de ces jeunes afin qu’ils s’inscrivent dans un projet de vie adulte épanouissant. La clientèle ciblée est donc celle pour laquelle les services réguliers ne suffisent pas.
caractère novateur du projet
7Le PQJ se distingue des services habituels des centres jeunesse. D’abord, parce que, selon les concepteurs, la clientèle à laquelle le programme est offert correspond aux 10 % des jeunes les plus en difficulté du réseau. Ensuite, parce qu’il se poursuit au-delà de la majorité du jeune. Selon l’âge du participant au moment de la sélection, le suivi peut se maintenir jusqu’à ce qu’il ait 19 ans. Ainsi, il est possible d’être présent lors du passage à la vie adulte des participants et de les accompagner dans cette nouvelle vie où ils ont à faire face à de nouvelles responsabilités dont, bien souvent, ils n’avaient pas estimé l’ampleur. Également, le programme se caractérise par l’intensité de l’intervention puisque chaque intervenant du PQJ n’assure le suivi que de 10 adolescents. Enfin, l’intervention est d’abord axée sur les questions relatives à l’autonomie et à la qualification.
8Dans l’ensemble, la valeur ajoutée du PQJ et la manière dont il s’intègre de façon dynamique et en complémentarité avec l’action habituelle du centre jeunesse peuvent être synthétisées autour de quelques principes d’action (Goyette et al., 2007a). Le volontariat du jeune est sans contredit en tête de liste. Il accorde à l’adolescent la place centrale dans l’intervention. Cela laisse entendre que le PQJ s’adapte à son rythme. L’intervention planifiée donne un cadre d’intervention général, une « boîte à outils » ou un « cartable » dans lequel on peut commencer par le milieu ou par la fin, selon son avancement dans le processus d’autonomisation. Souplesse du cadre d’intervention signifie souplesse de l’intervenant, qui doit développer ses capacités d’adaptation, dans un contexte où l’intervention en centre jeunesse est fortement régie par des cadres, des codes et des normes liés aux aspects légaux de protection et aux aspects sécuritaires. « Là où tu es, je suis » : cette maxime, inventée par un intervenant, souligne l’importance de maintenir le lien avec le jeune, quels que soient sa situation et les défis qu’il rencontre. Cela permet d’insister sur la nécessité d’adapter les cadres et les pratiques d’intervention.
9Intensité, durabilité du lien avec l’intervenant et adaptabilité de l’intervention réalisée dans le cadre du PQJ ne signifient pas pour autant qu’elle peut, à elle seule, remplacer les acteurs autour du jeune. Le travail de l’intervenant ne peut se passer de celui de collaborateurs, à l’intérieur comme à l’extérieur du centre jeunesse. Le programme est un appel au travail d’équipe et à la collaboration dans une perspective de case management informel. L’intervention en réseau, intersectorielle et interdisciplinaire s’appuie sur les forces et les ressources de l’adolescent et de son réseau.
10Pour parvenir à accompagner les adolescents dans un processus d’autonomisation, il faut inscrire ce travail dans une perspective d’expérimentation sociale. Celle-ci est au cœur de la mise en application des habiletés et des connaissances acquises. Travailler de cette manière impose que le centre jeunesse offre, souvent après négociation avec les acteurs du PQJ, la marge de manœuvre nécessaire à une telle expérimentation. Lorsque le processus d’autonomisation est semé d’embûches, les « pas en arrière » doivent être au cœur de l’accompagnement du PQJ pour mieux « aider le jeune à se relever ». Dans cette perspective, la répétition des différents apprentissages dans l’action permet aux adolescents de prendre conscience de leurs progrès, de se situer par rapport à leur parcours et de se construire un projet de vie grâce à l’expérimentation du rapport aux autres. Il s’agit donc de favoriser la mise en mouvement des jeunes en faisant bouger les cadres institutionnels et structurels qui les maintiennent parfois dans l’immobilisme. L’arrimage avec les ressources de la communauté apparaît essentiel, autant pour le bénéfice du travail en partenariat des intervenants que pour les jeunes dont la transition doit s’amorcer rapidement pour préparer la fin de l’intervention PQJ.
perspectives théoriques
11Les aspects novateurs du PQJ, du point de vue de son opérationnalisation (lien stable avec le jeune, autonomie et qualification), sont directement liés au cadre conceptuel du programme et de son évaluation, qui prennent acte des transformations de la jeunesse en général et du contexte d’acquisition de l’autonomie. Ainsi, depuis quelques années, les analyses de la jeunesse mettent de l’avant le fait que la notion d’insertion reflète bien les réalités du processus du passage à la vie adulte. Ces réalités se traduisent par un processus en yo-yo, fait d’avancées et de reculs, et remettent en question la notion d’intégration qui prévalait auparavant. Dans cette perspective, chacune des transitions du passage à la vie adulte – l’insertion résidentielle, l’insertion professionnelle et la création d’une nouvelle famille – est le fruit d’un processus incertain. Dans un contexte où le marché du travail évolue et où l’entrée des jeunes dans la vie adulte se modifie, l’insertion remplace l’intégration (Molgat, 1999). Mais l’avènement, dans la sociologie de la jeunesse, du concept d’insertion met aussi l’accent sur la marge de manœuvre dont bénéficient les jeunes face aux contraintes des structures sociales et devant les difficultés d’accès à une intégration pleine, entière et stable. Se dessinent alors de nouvelles possibilités, du fait justement de l’affaiblissement relatif du pouvoir intégrateur des normes sociales. Dans le cas des jeunes, l’enjeu de compréhension des soutiens de l’individu est particulièrement prégnant (Goyette, 2006a).
12En plus d’un cadre conceptuel portant sur les réseaux, une des perspectives théoriques dont s’inspire le PQJ appréhende l’insertion des jeunes dans le cycle de vie des individus, le passage à la vie adulte en devenant l’élément central (Galland, 1991 ; Coles, 1996). Pour Bidart (2002), le passage de l’adolescence à la vie adulte correspond à des « mutations biographiques souvent conjuguées (quitter le milieu scolaire, la famille, la ville parfois) qui ne connaissent pas d’équivalent » plus tard dans la vie. Il faut aussi noter que pour certains jeunes placés en milieu substitut, quitter définitivement le centre jeunesse veut dire quitter les seules familles et maisons qu’ils aient eues (Goyette, 2006b).
13Si l’insertion socioprofessionnelle des jeunes en général est un enjeu social important, celle de nombreux adolescents « sous-scolarisés » et en difficulté, pris en charge par les centres jeunesse, en est un d’autant plus grand en raison de leurs difficultés psychosociales et de santé, de leur manque de soutien et de préparation à la vie autonome, et des exigences du marché du travail (Goyette et Turcotte, 2004). C’est en dépassant une vision fataliste que l’intervention pratiquée dans le cadre du PQJ, tout comme l’évaluation qui y est associée, envisagent les enjeux de l’insertion des adolescents qui quittent un milieu de placement.
stratégies d’intervention et principes d’action
14Dans le cadre du PQJ, un protocole d’évaluation a été mis en place afin d’obtenir un portrait de chacun des participants et de guider l’intervention. Pour ce faire, deux outils d’évaluation ont été utilisés, le « Portrait synthèse du jeune et de sa famille », conçu en collaboration avec le Groupe de recherche sur les inadaptations de l’enfance (Pauzé et al., 2004) et l’Ansell-Casey Life Skills Assessment (ACLSA) (Ansell, 2001).
15Le Portrait synthèse est un outil d’évaluation de la situation psychosociale qui permet de regrouper l’histoire du jeune et de sa famille. Au cours de 2003 et au début de 2004, les éducateurs ont complété ce protocole d’évaluation avec l’ensemble des participants. Dès la réception des documents, les éducateurs ont rencontré les adolescents, les répondants principaux et les intervenants ayant participé à la collecte des données afin de leur présenter un bilan et l’interprétation des résultats.
16L’ACLSA, pour sa part, est utilisé deux fois par année avec chaque participant et un répondant qui le connaît bien dans sa vie de tous les jours. C’est l’un des premiers pas d’un processus d’intervention. Cet instrument évalue les habiletés nécessaires à la transition du milieu de placement vers l’autonomie. Il explore six domaines de l’autonomie fonctionnelle : les tâches de la vie quotidienne, le logement et les ressources communautaires, la gestion financière, la capacité de prendre soin de soi, les relations sociales et les habitudes scolaires et de travail (Nollan, 2000 ; Ansell, 2001). Une fois l’ACLSA rempli sur Internet, un rapport individuel est envoyé, les résultats indiquant les forces et les possibilités d’amélioration par rapport aux différents domaines.
17Après en avoir discuté, le jeune et l’éducateur choisissent ensemble des domaines sur lesquels travailler et ils établissent les objectifs à atteindre. Cette étape s’appuie sur le Life Skills Guidebook, qui regroupe des compétences à développer en fonction de chacun des domaines. Ce Guidebook contient de l’information sur les modalités pour enseigner les habiletés de vie aux jeunes et il comprend une description des sessions d’apprentissage s’appliquant à chacune des habiletés de vie. On y retrouve également une liste des compétences à développer en fonction de chacun des domaines de l’autonomie, ainsi que des indicateurs de performance en vue d’évaluer le développement des habiletés. Enfin, le Guidebook propose des activités à être réalisées par l’adolescent, en lien avec chacune des compétences. Ces activités sont utilisées pour mettre en action le jeune dans des stratégies individuelles ou de groupe. L’ACJQ a investi dans la traduction du Guidebook et d’activités proposées dans le cadre de la stratégie globale des Casey Family Programs. Par ailleurs, l’expérience pilote du PQJ a permis de construire des « cartables » d’activités qui tiennent compte des enjeux culturels et socio-spatiaux entourant le parcours vers l’autonomie.
18À partir des résultats obtenus aux outils évaluatifs, le jeune complète avec l’intervenant du PQJ un plan d’action spécifique à la démarche de qualification et de préparation à la vie autonome qu’il conçoit. Ensemble, ils définissent les objectifs (les compétences à acquérir) en fonction de la situation personnelle de l’adolescent, ainsi que les moyens envisagés pour y arriver. Ce plan permet à l’intervenant de s’ajuster à la démarche que le jeune désire entreprendre. Il l’accompagne, tant pour les demandes d’information que pour les rencontres avec les organismes du milieu vers lesquelles il est orienté. Il peut s’agir de partenaires de la communauté provenant du milieu scolaire, d’employeurs, de ressources dans la recherche d’emploi ou d’organismes communautaires.
19En ce qui concerne la préparation à la vie autonome, l’intervenant a pour mandat de favoriser le développement d’habiletés permettant à l’adolescent de se prendre en charge au moment où prendront fin les services réguliers des centres jeunesse. Il se réfère à différents modules qui traitent de thèmes comme la scolarité, l’emploi, le logement, les ressources communautaires, la gestion financière, l’autogestion de la santé ou les activités de la vie quotidienne. Tous les programmes locaux de formation et d’insertion peuvent être utilisés par l’intervenant pour la réalisation de sa mission, dans une perspective partenariale d’approche milieu (Dallaire, Goyette et Panet-Raymond, 2003). Dans cette approche, le travail portera tant sur les facteurs individuels et familiaux comme moyens de responsabilisation à l’égard de la situation personnelle du jeune que sur les ressources autour lui. Autrement dit, on tiendra compte du contexte dans lequel il vit, en s’appuyant sur le développement social et local. Ce dernier objet de l’intervention suppose que l’on suscite l’implication de la communauté pour atteindre les objectifs visés. Le travail des intervenants PQJ devra donc allier l’intervention auprès de l’adolescent et le partenariat dans la communauté.
composition et fonctionnement de l’équipe
20Dans sa phase pilote, la composition de l’équipe PQJ comptait sur une coordonnatrice provinciale, des responsables régionaux et deux intervenants par centre jeunesse. La coordination provinciale a permis de favoriser une synergie entre les différents centres jeunesse. Elle a aussi organisé les interactions entre le monde de l’intervention et le monde politico-gestionnaire, notamment en assurant la supervision des intervenants et en organisant des formations qui leur permettent de voir comment dépasser les blocages locaux en s’appuyant sur une dynamique d’émulation. De même, le rôle du responsable régional PQJ a été décisif pour surmonter divers blocages. Dans certains cas, les responsables régionaux ont été proactifs, effectuant la promotion du PQJ, facilitant la communication entre les différentes instances et, par le fait même, permettant la résolution de problèmes d’implantation.
21Les éducateurs embauchés dans le cadre de ce projet sont affectés à temps plein à l’accompagnement des jeunes recrutés. Tout leur temps est dédié à la réalisation des objectifs du projet, à savoir la préparation au passage à la vie autonome, la qualification et la mise à profit du réseau social et de soutien des jeunes. Il s’agit donc de ressources qui s’ajoutent à celles déjà impliquées auprès de ces adolescents dans le cadre de l’intervention régulière du centre jeunesse. Cet ajout de personnel permet aux jeunes d’effectuer une démarche approfondie quant à leur développement personnel et social, ce que les activités régulières des centres jeunesse ne permettent pas nécessairement.
22L’intervenant doit avoir la « fibre de l’intervention » pour s’épanouir professionnellement au sein du PQJ. Le portrait du candidat idéal a déjà été brossé par quelques intervenants participant au programme (Goyette et al., 2007a). Sur le plan professionnel, il doit bien connaître les différents services de son organisation et être ouvert à travailler en collaboration avec d’autres intervenants ayant des mandats complémentaires au sien. Il doit posséder une solide expérience d’intervention sociale et être très organisé. De plus, il doit être en accord avec les principes du volontariat, avoir confiance dans les capacités de l’adolescent et savoir le mobiliser sans porter de jugement sur cette clientèle « sombre ». Enfin, et c’est essentiel, cet intervenant idéal doit posséder un désir de favoriser le renouvellement des pratiques en centre jeunesse. En ce qui a trait à ses qualités personnelles, il doit avoir un bon sens de l’humour, ce qui lui permet d’avoir une meilleure communication tant avec les jeunes qu’avec les intervenants. Il doit également être en mesure de composer avec l’instabilité ou les zones grises, être ouvert d’esprit, passionné et posséder une capacité de relever des défis tout en remettant les choses en perspective.
évaluation de l’implantation
23L’évaluation du PQJ s’est appuyée sur une méthodologie mixte et le plus souvent longitudinale, visant à développer une compréhension des adaptations nécessaires à l’implantation du programme (Goyette et al., 2007a).
Les instruments de collecte de données
24Le tableau 1 illustre les périodes correspondant aux dates de passation des outils de collecte administrés tant par l’équipe de recherche que par les intervenants PQJ (voir Goyette et al., 2007b, pour des précisions sur la méthodologie). Ces outils comprennent :
25Un calendrier biographique qui permet de colliger des informations sur la trajectoire familiale, la trajectoire résidentielle, l’histoire de placement, la trajectoire scolaire et la trajectoire professionnelle depuis la naissance du jeune.
26Un questionnaire qui vise la reconstitution des réseaux sociaux et des réseaux de soutien à partir de générateurs de noms (Bidart et Charbonneau, 2003).
27Des entrevues de type récit de vie qui permettent au jeune de se raconter et aux chercheurs de documenter l’évolution de sa situation dans plusieurs sphères de vie.
28L’ACLSA, qui mesure l’autonomie fonctionnelle des jeunes et explore les dimensions suivantes : les tâches de la vie quotidienne, le logement et les ressources communautaires, la gestion financière, la capacité de prendre soin de soi – soins de la santé, le développement social, les habitudes scolaires et de travail.
29Une grille d’évaluation de la sévérité du profil (9 dimensions) et une grille d’évaluation des dispositions personnelles (12 dimensions). Dans la première, les dimensions à explorer sont : l’histoire de placement, la scolarité, le projet d’avenir (qualification : formation/emploi), le projet de vie (autonomie, vie indépendante), la présence d’un réseau social (lien significatif), la possibilité d’un handicap intellectuel (limites), la délinquance, la toxicomanie et la santé mentale (anxiété, dépression ou autres problèmes). Cette grille a été remplie à quatre reprises, soit à l’arrivée du jeune dans le programme et, ensuite, tous les six mois, deux ans après l’entrée dans le PQJ. Dans la deuxième grille, les dimensions à explorer sont : l’intelligence/les talents spécifiques, l’imaginaire/la capacité de mentaliser ou de symboliser, la vie spirituelle/la foi2, le sens de l’humour, le sentiment d’ancrage, la capacité de se projeter dans le temps (en général), le charisme, une apparence invitante, la curiosité/le besoin de savoir, de comprendre, l’expérience du succès, la capacité de percevoir ce qu’il suscite chez les autres, la capacité à rebondir (ou résilience). Cette grille a été remplie aux mêmes moments que la précédente, sauf pour le temps deux. La consistance interne des échelles se révèle satisfaisante et valide3.
30Pour suivre l’évolution des jeunes et documenter la contribution du PQJ aux changements observés, l’équipe de recherche a utilisé ses propres outils de recherche. Pour 75 des 80 adolescents, suffisamment de données ont été recueillies concernant leurs interventions et les retombées de celles-ci. Les analyses des trajectoires et de l’évolution des adolescents entre les deux derniers temps de mesure (T6 et T7) portent donc sur ces 75 jeunes.
31À partir des données quantitatives sur la population à l’étude, des analyses ont été réalisées, comparant les profils des jeunes participants interviewés avec les profils de ceux que nous n’avons pas pu rencontrer, afin de confirmer la validité de l’échantillon. Les résultats des analyses effectuées sur les scores aux échelles de sévérité du profil et de dispositions personnelles montrent que les 19 adolescents qui n’ont pas été rencontrés, à l’automne 2004, n’étaient pas significativement différents des autres jeunes, à leur entrée dans le programme. Le même processus a permis de s’assurer que les 30 jeunes qui n’ont pas été rencontrés au T7, mais qui l’ont été au T6, ne diffèrent pas non plus des autres. Il s’est avéré, qu’à leur entrée dans le programme PQJ, les scores moyens de sévérité du profil et des dispositions personnelles sont similaires, que les jeunes aient été rencontrés une fois, deux fois, ou pas du tout.
Les résultats
32De manière générale, l’autonomie des jeunes participants au PQJ (mesurée par l’ACLSA) s’est considérablement améliorée pendant l’intervention et par la suite (Goyette, 2007). Associés aux résultats issus des analyses sur le profil de sévérité et les dispositions personnelles, ces résultats montrent clairement qu’il y a une amélioration dans le profil des adolescents au cours de leur passage dans le PQJ. Ainsi, la sévérité du profil est en diminution constante au fil de l’intervention PQJ (en moyenne 3,3 points d’amélioration entre le T1 et le T7 (p <, 001), alors que les dispositions personnelles augmentent au cours de la même période (en moyenne 7,9 points d’amélioration entre le T1 et le T7 (p <, 001).
33Se pourrait-il que les jeunes aient tout simplement mûri d’eux-mêmes au cours des trois ans qu’a duré le projet ? Sur ce point, les analyses qualitatives ont montré clairement le rôle important du PQJ en tant que soutien actif au passage à la vie adulte. Cela dit, il reste à comprendre le rôle de chacun des ingrédients actifs de l’intervention. Pour y arriver, nous avons analysé la trajectoire des jeunes en fonction des trois sphères d’intervention identifiées par le PQJ.
L’axe de l’autonomie
34Dans la perspective du PQJ, le travail sur l’autonomie renvoie à la dimension résidentielle. Les analyses révèlent que la relation entretenue avec l’intervenant et un autre acteur qualifié important a un impact sur le maintien en logement autonome. La principale influence dans la vie du jeune, qu’elle soit positive ou négative, vient de la personne avec qui il habite. La relation à l’intervention s’inscrit également dans un registre primordial, d’autant plus que plusieurs jeunes n’ont pas les ressources sociales qui permettraient autre chose que le logement autonome. L’engagement des jeunes constitue un gage de réussite de l’insertion résidentielle, excepté pour les jeunes filles qui cohabitent avec un conjoint fortement inhibiteur et dont l’influence bloque celle de l’intervenant.
35Parmi les 78 jeunes participants au PQJ pour lesquels les données sont disponibles au dernier temps de mesure, 40 % sont en logement autonome, 22 % sont retournés chez leurs parents, 15 % habitent chez un autre adulte, 10 % sont encore pris en charge sur le plan résidentiel par les centres jeunesse et 13 % sont en institution ou sans domicile connu.
36En ce qui concerne les jeunes vivant chez leurs parents à notre dernière prise de mesure (vers 19 ans), la dynamique permettant la stabilité du logement est différente : l’insertion dans une trajectoire ascendante ou descendante est tributaire des ressources parentales et des caractéristiques personnelles inhibitrices des adolescents (santé mentale, consommation de drogues, délinquance), plutôt que de la relation à l’intervention, face à laquelle la majorité de ces jeunes ont une attitude indépendante. Les jeunes du groupe de référence montrent les mêmes dynamiques ; les ressources parentales semblent toutefois plus disponibles pour ces jeunes.
37Les caractéristiques personnelles des adolescents du groupe PQJ ont un impact plus discriminant lorsqu’il s’agit des jeunes sans domicile fixe, qui, malgré leur engagement dans l’intervention au T6, expérimentent des problématiques très importantes au T7. Le lien construit avec le jeune pendant qu’il reçoit encore des services des centres jeunesse prend alors toute son importance, puisqu’il assure que, au moment où il sera disponible, il pourra renouer des liens avec l’intervenant de manière à s’inscrire dans une trajectoire constructive.
38Pour les jeunes qui demeurent chez un adulte autre qu’un membre de la famille, dans les cas où la cohabitation est le fruit d’une réflexion ou une échappatoire à une relation inhibitrice, les adolescents du PQJ se maintiennent en errance constructive.
L’axe de la qualification
39L’actualisation, ou le mouvement dans un projet académique ou qualifiant, ne signifie pas nécessairement un engagement dans une trajectoire constructive, bien qu’il s’agisse d’un bon indicateur. Dans le même ordre d’idées, l’absence de projet n’est pas synonyme d’échec. Les caractéristiques personnelles des jeunes qui participent au PQJ, ainsi que celles de leur entourage, ont un impact important sur les trajectoires et influencent les choix des jeunes en matière de qualification. Encore ici, la relation entretenue avec l’intervenant est un facteur discriminant quant à la trajectoire des adolescents. De plus, la stabilité résidentielle semble une condition sine qua non au maintien en emploi ou aux études.
40Ceux qui occupent un emploi ou qui sont aux études – ou les deux simultanément – sont plus souvent insérés dans une trajectoire constructive. Ces jeunes évoluant en errance constructive entretiennent une relation d’interdépendance envers leur intervenant dans l’ensemble des trois axes du projet, ils sont engagés dans le processus d’intervention et ils ont des vecteurs forts et positifs dans leur réseau, qui jouent un rôle sur le plan de la stabilité résidentielle et, par extension, favorisent le maintien en emploi. Au contraire, de manière générale, les adolescents qui se maintiennent en errance vulnérabilisante ont une attitude d’indépendance face à l’intervention dans la sphère de l’emploi, en plus d’entretenir une relation de dépendance face à un agent inhibiteur et de ne pas avoir de vecteur non institutionnel dans leur réseau.
41La présence d’un vecteur fort dans la sphère scolaire, pour les jeunes du PQJ fréquentant l’école, facilite l’inscription dans une trajectoire constructive. Cet acteur vecteur n’est pas l’intervenant, malgré que la relation entre ce dernier et les adolescents soit discriminante de la trajectoire, puisque son action se situe principalement autour de l’insertion sociale. Ces jeunes ont également peu d’inhibiteurs dans leur vie, qu’ils soient relationnels ou non. Les adolescents qui étudient et travaillent simultanément ont de plus été actifs en matière de gestion de leurs relations sociales et de leurs problèmes de santé mentale, de manière à pouvoir s’investir dans leurs projets. Le concours de l’intervention PQJ s’est alors traduit par une intervention quant au rapport à soi et aux autres.
42Les jeunes inactifs dans la sphère de la qualification, au terme du programme, présentent à leur entrée au PQJ un profil de sévérité plus sombre comparativement à ceux qui sont actifs sur le plan de la qualification. Ils se retrouvent plus souvent dans une trajectoire vulnérabilisante et ils entretiennent une dynamique relationnelle d’indépendance aux retombées vulnérabilisantes. Ce modèle d’insertion est l’apanage de certains jeunes ayant des activités d’incivilités et de petites délinquances.
43En termes d’insertion sur le plan de la qualification, l’action du PQJ s’avère globale, portant sur les démarches de recherche en emploi, mais également sur les perceptions et les attentes face au monde du travail. En conséquence, les jeunes du PQJ semblent plus nombreux à avoir au moins tenté d’intégrer le marché du travail et à avoir fait davantage d’expérimentations dans cette sphère.
44Les adolescents jouissant d’un réseau social minimalement fonctionnel et vivant peu de problématiques personnelles sont généralement inscrits dans une trajectoire de qualification. Mais, pour ces derniers, l’intervention PQJ n’arrive pas nécessairement à les mener vers de meilleurs emplois ou à favoriser davantage le maintien d’un emploi existant, le jeune se trouvant confronté aux limites de l’offre d’emplois pour les jeunes sous-scolarisés. Par contre, le PQJ permet à ceux qui ne seraient probablement pas arrivés seuls à se maintenir dans un projet qualifiant de le faire, notamment les adolescents présentant des problèmes de santé mentale ou de déficience intellectuelle. L’intervention PQJ permet à ces jeunes de trouver une voie adaptée à leurs besoins, permet également de les motiver et, surtout, de les amener à prendre conscience de leurs forces et de leurs faiblesses et à trouver des solutions adaptées aux défis et aux blocages auxquels ils font face. Ainsi, travailler le rapport à soi et le rapport aux autres, combiné à des démarches concrètes de recherche d’emploi et de formation en employabilité, semble une avenue prometteuse vers l’insertion dans un projet qualifiant.
L’axe réseau
45Nous l’avons constaté, les réseaux des jeunes contribuent parfois à faire la différence dans le cheminement professionnel et résidentiel. Or, les réseaux des jeunes participants sont majoritairement composés d’amis de même âge et de même sexe, et ils sont restreints pour la majorité d’entre eux. Par ailleurs, la taille du réseau des adolescents rencontrés n’est pas liée à son impact sur la trajectoire : un réseau limité n’est pas nécessairement plus inhibiteur qu’un réseau étendu, et un réseau étendu n’est pas automatiquement plus soutenant qu’un réseau plus limité. Ce n’est donc pas sur la quantité, mais sur la dynamique relationnelle qu’il faut travailler (Goyette, 2006a). Or, on constate que l’acteur principal du réseau des jeunes est majoritairement vecteur d’insertion, mais qu’il reste tout de même inhibiteur dans près du tiers des cas.
46Les réseaux des filles et ceux des garçons paraissent statistiquement similaires quant à leur nature, leur étendue et leur impact, ainsi que pour ce qui est de l’acteur principal et de son impact. Ainsi, bien qu’il paraisse exister des distinctions entre les filles et les garçons sur le plan des relations, la composition du réseau n’est pas différente selon les sexes. Or, les résultats de l’évaluation montrent combien il est important de s’intéresser aux dynamiques particulières des jeunes filles et des jeunes garçons. En effet, certaines filles paraissent avoir un profil relationnel plus détérioré que les garçons inscrits dans la dépendance relationnelle. Ainsi, au contraire des résultats de Yergeau, Pauzé et Toupin (2007), l’analyse qualitative des dynamiques d’insertion et de soutien montre que le passage à la vie adulte est fortement sexué ; les voies du « devenir adulte » pour les adolescents qui quittent les centres jeunesse diffèrent selon le sexe (Frechon, 2005 ; Lanctôt, 2006 ; Goyette et al., 2007a).
47Dans l’ensemble, un réseau soutenant entraîne presque invariablement les jeunes dans une trajectoire d’insertion constructive, alors qu’un réseau inhibiteur les pousse principalement vers l’errance vulnérabilisante. Il est possible d’établir trois constats principaux concernant les modifications apportées dans les réseaux sociaux des jeunes du PQJ et dans leur trajectoire. En premier lieu, tous les jeunes dont le réseau s’est amélioré sont insérés dans une trajectoire constructive à la fin de l’intervention ; en second lieu, les adolescents dont le réseau est demeuré stable entre les deux temps de mesure se répartissent également entre les trajectoires constructives et vulnérabilisantes. Enfin, la plupart des jeunes dont le réseau s’est détérioré entre les prises de mesure se situent en errance vulnérabilisante à la fin de l’intervention.
48Plus précisément, les réseaux qui s’améliorent sont caractérisés par l’abandon des amis nuisibles, un changement lié au conjoint (e), l’implication positive de la famille proche et élargie et l’apparition d’un réseau alors que l’adolescent était complètement isolé. À l’inverse, les réseaux qui se dégradent comprennent la présence de nouveaux ou d’anciens amis nuisibles, l’apparition d’un conjoint fortement inhibiteur ou encore la rupture d’une relation très vectrice et socialisante, le retour chez un parent qui ne possède pas suffisamment d’habiletés parentales et nuit à la mise en mouvement du jeune ou encore la perte de soutiens familiaux, comme la famille qui ne veut pas reprendre le jeune à sa sortie, et enfin, l’isolement dû à la perte de soutiens.
49Dans le cas des jeunes du PQJ, le mouvement vers un réseau soutenant ou moins inhibiteur est généralement dû à un choix réfléchi. Dans plusieurs cas, l’action du PQJ a contribué à développer les capacités réflexives des adolescents quant à leurs relations et à leurs retombées sur leur trajectoire. Les intervenants sont présents pour épauler les jeunes dans la tâche complexe et parfois déchirante – même si c’est pour le mieux – qu’est la modification de son entourage.
50Toutefois, l’action du PQJ est insuffisante pour agir seule sur la trajectoire des jeunes, et la présence d’autres soutiens est indispensable. Dans ce contexte, le soutien de personnes vectrices est d’autant plus nécessaire qu’il facilite le processus de rupture à la fin du projet. L’intervention effectuée sur le réseau des jeunes devrait donc porter sur la consolidation des liens avec les acteurs vecteurs, plutôt que sur la nécessité de délaisser les acteurs inhibiteurs, la diversité du réseau étant un facteur primordial.
51La profondeur des changements dans les réseaux permettant d’engendrer des modifications durables, il s’agit de comprendre que la pérennité de la relation d’aide post-majorité constitue un facteur de réussite, parmi d’autres, de l’insertion sociale. Bien que le soutien institutionnel soit nécessaire lorsque les adolescents reçoivent des services réguliers des centres jeunesse, il ne semble pas suffisant pour insérer les jeunes dans un projet de vie constructif, s’il ne perdure pas au-delà de la prise en charge institutionnelle pour appuyer l’expérimentation sociale qui suit.
***
52De manière générale, le projet pilote PQJ a conduit au développement d’une expertise quant aux interventions à promouvoir pour préparer les adolescents qui reçoivent des services d’un centre jeunesse à la vie autonome, et pour soutenir leur insertion sociale à l’âge adulte. Il comble un vide dans ce secteur (Goyette, 2006b). Cette expertise et le caractère novateur du PQJ sont maintenant reconnus au-delà même du réseau des centres jeunesse (Reid et Dudding, 2006). D’ailleurs, en 2008, le Gouvernement du Québec a confirmé le financement de la généralisation du PQJ à l’ensemble des centres jeunesse du Québec. À l’heure actuelle, c’est donc plus de 620 jeunes qui participent au programme PQJ. Au terme de l’année 2011-2012, ils seront 820 à en bénéficier, dans sa formule régulière ou enrichie.
53Or, il faut insister ici sur un élément important. Pour bien soutenir les adolescents dans leur passage à la vie adulte, il faudra que cette généralisation s’appuie sur les acquis du projet pilote. En effet, l’enjeu du passage d’un pilote à un programme est de conserver les composantes de l’intervention associées aux bons résultats d’un programme, tout autant que d’améliorer les aspects moins efficaces. Bref, un programme PQJ vidé de sa spécificité, de son contenu et de son essence ne pourra vraisemblablement pas parvenir à influencer une dynamique d’insertion multidimensionnelle. Dans cette perspective, il serait important d’évaluer la généralisation de l’implantation du PQJ, ainsi que ses effets, afin de juger de sa pertinence.
54Par ailleurs, il semble important de préciser que le PQJ s’inscrit dans la constellation des programmes visant l’insertion sociale, notamment parce qu’il s’appuie sur une logique d’insertion professionnelle à l’instar des interventions correctrices qui visent à habiliter les individus. Or, l’innovation, dans le cas du PQJ, est qu’il prend en compte l’interdépendance des transitions à la vie adulte au-delà de la dimension professionnelle. Travailler de manière multidimensionnelle sur l’insertion du jeune implique également d’ouvrir un travail sur les dimensions de la conscience critique et de l’implication citoyenne, à l’instar des stratégies d’empowerment. Dans ce contexte, si le PQJ représente une opportunité pour s’ouvrir sur le partenariat avec les organismes du milieu, il faut poursuivre le travail puisque l’insertion doit se réaliser dans la communauté et que les interventions sur les facteurs structurels qui dépassent le jeune sont essentielles pour y créer les conditions favorables à l’insertion.
55À cet égard, pour travailler ensemble, un préalable est de construire une vision commune et un langage commun. C’est dans cette perspective que le projet « Plan de cheminement vers l’autonomie », promu par l’ACJQ et financé par le Secrétariat à la jeunesse, vise notamment la construction d’une dynamique partenariale régionale de tous les partenaires de la jeunesse, ayant pour objectif de co-construire un outil d’intervention visant le soutien au passage à la vie adulte.
56Cela dit, malgré l’engouement récent pour la préparation à la vie adulte des jeunes placés, force est de noter le peu de travaux et de réflexion sur leur devenir. Ainsi, le Québec ne sait pas vraiment ce qu’il advient des adolescents qu’il protège, parce qu’il n’y a encore aucune étude longitudinale sur le devenir des jeunes ayant reçu des services des centres jeunesse.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
références
ACJQ (2006), Guide d’application du programme Qualification des jeunes, Montréal, ACJQ.
Ansell, D. (2001), « Where we are going tomorrow: Independent living research », dans K. A. Nollan et A. C. Downs (dir.), Preparing Youth for Long-Term Success, Washington, CWLA Press, p. 35-44.
Bidart, C. (2002), « La construction de l’insertion socio-professionnelle des jeunes à l’épreuve du temps. Une enquête longitudinale », Marseille, Laboratoire d’économie et de sociologie du travail.
Bidart, C. et J. Charbonneau (2007), « The contextual name generator: A good tool for the study of sociability and socialization », presentation à l’International Social Network Conference, Sunbelt XXVII, Corfou.
Coles, B. (1996), « Youth transitions in the United Kingdom: A review of recent research » dans B. Galaway et J. Hudson (dir.), Youth In Transition: Perspectives on Research and Policy, Toronto, Thompson Educational Publishing, p. 23-31.
Dallaire, N., M. Goyette et J. Panet-Raymond (2003), « Le partenariat dans un centre jeunesse à l’aune des approches-milieu », rapport de recherche, Montréal, Institut de recherche pour le développement social des jeunes.
Frechon, I. (2005), « Les stratégies féminines d’entrée dans la vie adulte », dans Callu, E. et al. (dir.), La place des jeunes dans la cité, Tome 2. Espaces de rue, espaces de parole, Paris, L’Harmattan, p. 215-232.
10.3917/arco.galla.2017.01 :Galland, O. (1991), Sociologie de la jeunesse. L’entrée dans la vie adulte, Paris, Armand Collin.
Goyette, M. (2006a), « Réseaux sociaux, soutiens et dynamiques des supports dans le passage à la vie adulte : le cas de jeunes ayant connu un placement », thèse de doctorat, Sainte-Foy, Université Laval.
Goyette, M. (2006b), « L’insertion socioprofessionnelle et la préparation à la vie autonome des jeunes pris en charge par l’État au Québec : vers quelles interventions ? », Sociétés et jeunesses en difficulté, no 2 (revue en ligne).
10.1002/yd.203 :Goyette, M. (2007), « Promoting autonomous functioning among youth in care. A program evaluation », dans Mann-Feder, V. R. (dir.), Transition or Eviction: Youth Exiting Care for Independent Living, San Francisco, Wiley, p. 89-105.
10.7202/012710ar :Goyette, M. et D. Turcotte (2004), « La transition vers la vie adulte des jeunes qui ont vécu un placement : un défi pour les organismes de protection de la jeunesse », Service social, vol. 51, no 1, p. 30-44.
Goyette, M., G. Chénier, V. Noël, C. Poirier, M.-N. Royer et É. Lyrette (2006), « Comment faciliter le passage à la vie adulte des jeunes en centre jeunesse », rapport, Montréal, ACJQ et Centre national de la prévention du crime (CNPC).
10.7202/1077957ar :Goyette, M., G. Chénier, M.-N. Royer et V. Noël (2007a), « Le soutien au passage à la vie adulte des jeunes recevant des services des centres jeunesse », Éducation et francophonie, vol. 35, no 1, p. 95-119.
Goyette, M., Royer, M.-N. Noël, V. et G. Chénier (2007b), Projet d’intervention intensive en vue de préparer le passage à la vie autonome et d’assurer la qualification des jeunes des centres jeunesse du Québec. Rapport final d’évaluation, Montréal, CNPC et ACJQ.
10.3917/dunod.kars.2011.01 :Karz, S. (2004), Pourquoi le travail social ? Définition, figures, clinique, Paris, Dunod.
Lanctôt, N. (2006), « Les adolescentes prises en charge par le centre jeunesse : que deviennent-elles au tournant de la vingtaine ? », Défi jeunesse, vol. 12, no 2, p. 3-7.
Molgat, M. (1999), « De l’intégration à l’insertion... Quelle direction pour la sociologie de la jeunesse au Québec ? », dans Gauthier, M. et J.-F. Guillaume (dir.), Définir la jeunesse ? D’un bout à l’autre du monde, Sainte-Foy, Les Éditions de l’Institut québécois de recherche sur la culture, p. 77-94.
Morin, A. (2003), Projet d’intervention intensive en vue de préparer le passage à la vie autonome et d’assurer la qualification des jeunes des centres jeunesse du Québec. Bilan de l’an I, Montréal, ACJQ.
Morin, A. (2004), Projet d’intervention intensive (…) Bilan de l’an II, Montréal, ACJQ.
Nollan, K. A. (2000), « What works in independent living preparation for youth in out-of-home care », dans Kluger, M. P., G. Alexander et P. A. Curtis (dir.), What Works in Child Welfare, Washington, CWLA Press, p. 195-204.
Pauzé, R. et al. (2004), « Portrait des jeunes âgés de 0 à 17 ans référés à la prise en charge des Centres jeunesse du Québec : leur parcours dans les services et leur évolution dans le temps », section 6, Université de Montréal, Groupe de recherche sur les inadaptations sociales de l’enfance.
Reid, C. et P. Dudding (2006), Building a Future Together: Issues and Outcomes for Transition-Aged Youth, Ottawa, Centre of Excellence for Child Welfare.
Yergeau, E., Pauzé, R., et J. Toupin (2007), « L’insertion professionnelle et l’adaptation psychosociale des jeunes adultes ayant reçu des services des centres jeunesse », Intervention, vol. 12, p. 58-69.
Notes de bas de page
1 Sur le plan financier, la dynamique partenariale s’est réalisée par la contribution de différents ministères (provincial et fédéral) et organismes québécois : le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, le Fonds de lutte contre la pauvreté par la réinsertion au travail, le Fonds jeunesse Québec, le Centre national de prévention du crime, ainsi que les centres jeunesse participants. La participation du Centre national de prévention du crime a rendu possible l’évaluation du projet et la bonification de certaines de ses composantes.
2 En raison du grand nombre de données manquantes, cette dimension a été retirée de l’échelle.
3 Ces échelles, bien que n’ayant pas fait l’objet d’un processus de validation statistique complet, ont tout de même démontré une validité suffisante pour être utilisées à titre d’indicateur de l’évolution des jeunes dans le processus d’intervention. En effet, l’alpha de Cronbach (α), est à tous les temps de mesure fortement rapproché ou supérieur à 0,70. Au T6 de mesure, l’échelle de sévérité du profil présente un alpha de 0,70 et celle des dispositions personnelles, de 0,87.
Auteurs
Professeur, ÉNAP, Université du Québec
Coordonnatrice provinciale, Programme Qualification des jeunes et Plan de cheminement vers l’autonomie, ACJQ
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'éducation aux médias à l'ère numérique
Entre fondations et renouvellement
Anne-Sophie Letellier et Normand Landry (dir.)
2016
L'intégration des services en santé
Une approche populationnelle
Lucie Bonin, Louise Belzile et Yves Couturier
2016
Les enjeux éthiques de la limite des ressources en santé
Jean-Christophe Bélisle Pipon, Béatrice Godard et Jocelyne Saint-Arnaud (dir.)
2016
La détention avant jugement au Canada
Une pratique controversée
Fernanda Prates et Marion Vacheret (dir.)
2015
La Réussite éducative des élèves issus de l'immigration
Dix ans de recherche et d'intervention au Québec
Marie McAndrew (dir.)
2015
Agriculture et paysage
Aménager autrement les territoires ruraux
Gérald Domon et Julie Ruiz (dir.)
2014