24. Le Programme de surveillance au dernier tiers du placement sous garde du CJQ-IU
p. 466-481
Texte intégral
Le Programme de surveillance au dernier tiers de la peine d’un placement sous garde vise non seulement à protéger la société, mais également à faire en sorte que cette période, consécutive à la mise sous garde, en soit une d’opportunités et de soutien pour le jeune contrevenant qui s’est engagé dans des efforts de réadaptation. Ce dispositif a été mis en place afin de poursuivre dans la communauté le travail de réadaptation débuté en internat. Il se veut en quelque sorte un trait d’union entre les activités entreprises à l’interne et celles mises en place à l’extérieur des murs. Le programme dessert essentiellement des adolescents et adolescentes qui ont commis des infractions criminelles, à la suite desquelles ils ont été condamnés à une peine de garde fermée, de garde ouverte ou de garde discontinue. Pour être admissibles à ces peines, les jeunes doivent avoir commis des délits avec violence ou failli à respecter certaines conditions rattachées à une peine antérieure. Bref, on se trouve ici devant une population dont les risques de récidive sont élevés et qui a grand besoin de services de réadaptation.
1Avec l’arrivée de la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) en avril 2003, le Centre jeunesse de Québec-Institut universitaire (CJQ-IU) se devait de réviser les services offerts aux jeunes contrevenants. La surveillance dans la collectivité au dernier tiers du placement sous garde constituait une nouvelle mesure d’importance. La loi stipulait désormais qu’il fallait renvoyer dans son milieu de vie tout adolescent ayant reçu une sentence de placement sous garde qui avait accompli les deux tiers de sa peine. Autrement dit, pour le dernier segment de la sentence, une mesure de surveillance bien encadrée devait prendre le relais des interventions amorcées dans les unités de vie sécuritaires.
2En 2003, un premier groupe de travail s’est penché sur les impacts de cette nouvelle loi. Ses membres se sont alors interrogés sur l’organisation des services qu’il fallait privilégier. Il y avait là une occasion unique d’innover, de sortir des paradigmes traditionnels et de proposer de nouvelles façons de dispenser les services dans la collectivité.
3En 2004, un second groupe de travail a été formé afin d’élaborer les modalités d’application de la surveillance dans la collectivité pour les jeunes en étant au dernier tiers de leur peine. Dans un premier temps, les membres du comité ont analysé et cherché à comprendre le sens que le législateur souhaitait donner au dernier tiers de la peine. Après en avoir discuté, lu l’ensemble des documents et consulté plusieurs éducateurs, ils se sont entendus pour mettre au point une stratégie qui teste les acquis obtenus par l’adolescent durant la période de garde et qui mette en place un suivi serré impliquant la collaboration des parents et de certains représentants de la communauté. Ainsi, il a été décidé que plusieurs organismes partenaires, tels que ceux offrant une aide à l’emploi ou des services en matière de toxicomanie et de santé mentale, devaient être mis à contribution pour soutenir l’adolescent dans ses efforts de réinsertion sociale. À la suite de ses réflexions, le groupe de travail en est venu à la conclusion que la responsabilité de la nouvelle mesure devait être attribuée aux intervenants du centre de réadaptation, plus spécifiquement à ceux ayant déjà été impliqués durant la mise sous garde. Le groupe de travail estimait qu’il fallait aussi attribuer à ces intervenants la responsabilité de surveiller les jeunes issus de la garde ouverte ou de la garde discontinue.
4Puisque la surveillance dans la collectivité devait s’inscrire dans le prolongement d’une démarche de réadaptation globale, il fallait concevoir un programme continu, appliquant la même logique du début à la fin de la peine. Cette orientation, fondée sur des principes cliniques clairs, impliquait néanmoins un changement considérable dans les pratiques. En effet, jusque-là, les suivis dans la communauté de jeunes contrevenants avaient été placés sous la responsabilité première des délégués à la jeunesse, les éducateurs dans la communauté n’apportant leur contribution que lorsqu’un besoin de réadaptation se manifestait.
5Pour en arriver aux résultats escomptés, le groupe de travail a mis en branle un processus en quatre étapes :
- la diffusion d’un guide de pratiques visant à soutenir l’éducateur et le délégué à la jeunesse dans l’intervention complémentaire qu’ils auraient tous deux à réaliser ;
- l’identification des besoins au niveau des services à mettre en place ;
- la présentation de nouvelles modalités d’organisation du travail ; et
- l’appropriation des activités de surveillance dans la communauté par des éducateurs habitués à intervenir dans le cadre d’une mise sous garde. Les effectifs furent aussi revus de manière à permettre l’expérimentation du modèle sur une période d’un an, de 2004 à 2005.
6En avril 2005, un bilan de l’expérimentation a été fait sous les bons conseils du chercheur Daniel Turcotte. Sans constituer un suivi d’implantation en bonne et due forme, il a néanmoins permis d’identifier suffisamment d’éléments positifs pour que le programme soit adopté officiellement en 2006. Cette décision faisait en sorte que les éducateurs de la garde fermée étaient désormais responsables de la surveillance au dernier tiers dans la communauté. En 2007, les éducateurs affectés à l’internat se voyaient attribuer une responsabilité supplémentaire : l’accompagnement dans la communauté des adolescents condamnés à une peine de placement et de surveillance dont l’application est différée, ainsi que de ceux devant être suivis avant le prononcé de leur peine.
7Aujourd’hui, le programme est toujours en application et il s’est doté de mécanismes pour que la coresponsabilité de l’intervention, principe sur lequel il repose, demeure efficace. Il s’est vu décerner en 2005 le Prix Raymond-Gingras par la Fondation québécoise pour les jeunes contrevenants, qui a apprécié les efforts consentis pour intégrer les interventions faites dans le cadre d’un placement et durant la période de surveillance.
caractère novateur du programme
8Le programme du CJQ-IU est novateur dans la mesure où il implique une remise en question des façons traditionnelles de desservir les jeunes contrevenants sous garde. À force de questionner certaines tâches et fonctions qui avaient cours depuis très longtemps, la vision du travail de réadaptation en internat s’est transformée et s’est ouverte à l’importance de mieux connaître le milieu de vie du jeune. Depuis, la réadaptation tente de s’inscrire dans un processus moins hachuré, qui noue plus de liens entre les activités en internat, la vie quotidienne du jeune et les parents. Le véritable défi de la réadaptation est désormais celui du transfert et du maintien des acquisitions lors du retour chez soi.
9Par rapport aux intervenants, ce programme est un bel exemple de coresponsabilisation, de partage des informations, de développement d’un langage commun et de familiarisation avec le rôle de chacun (les délégués à la jeunesse et les éducateurs). On peut affirmer que, lorsque la communication s’améliore entre l’éducateur et le délégué à la jeunesse, le jeune a des chances d’en bénéficier où qu’il se trouve dans le continuum de services.
10Cela dit, la gestion du risque que présente l’adolescent contrevenant pour la sécurité du public ne laisse pas une grande marge de manœuvre aux intervenants. Pour atteindre ses objectifs, elle suppose un suivi serré et une réponse structurée aux manquements du jeune. La participation des parents, partenaires de grande valeur, est aussi nécessaire autant dans l’intervention proprement dite que dans le maintien des comportements nouvellement acquis par le jeune. Éducateurs et délégués à la jeunesse doivent impliquer les parents dans le rétablissement de la situation problématique et les aider à se réapproprier leur rôle auprès de l’adolescent. Plusieurs témoignages de parents mettent d’ailleurs en évidence le fait qu’ils apprécient l’encadrement et l’aide qui leur sont fournis lorsqu’on travaille dans ce sens.
11Dès les premiers instants qui suivent la sortie de l’adolescent du centre de réadaptation, l’éducateur de surveillance doit se mettre en action. Par ses activités cliniques et interventions, il vise le maintien et le transfert des acquis du jeune dans le milieu naturel. Cette période de surveillance est cruciale puisqu’il s’agit d’un moment où les risques de rechute et de récidive sont importants. C’est pourquoi, en plus des conditions de surveillance auxquelles l’adolescent doit se soumettre, il faut miser sur les facteurs de protection qui se trouvent notamment au niveau de la famille, de l’école et du travail. Cet encadrement clinique peut évidemment susciter diverses réactions chez les adolescents, allant de l’opposition passive jusqu’aux manquements à certaines conditions. La présence des parents et l’intensité de l’accompagnement jouent alors un rôle-clé.
paramètres et références théoriques
12Au départ, plusieurs paramètres devaient être considérés pour définir un modèle opérationnel ajusté à la surveillance au dernier tiers d’un placement sous garde. On devait tout d’abord prévoir des interventions de surveillance qui soient applicables à brève échéance afin d’assurer rapidement la protection de la société et de fournir au jeune un encadrement efficace et qui tienne compte de ses besoins d’intervention. Par ailleurs, il était souhaitable de garantir la crédibilité de ce type d’intervention auprès de l’appareil judiciaire et de la société en général. Le programme devait aussi pouvoir se financer à même une allocation octroyée pour amortir l’impact de l’application de la nouvelle LSJPA sur la population de la réadaptation interne. Par ailleurs, les modalités d’une surveillance 24 heures par jour et 7 jours par semaine devaient être planifiées. Enfin, on devait élaborer les formations à dispenser aux éducateurs afin de les préparer à tous ces changements de pratique.
13Cela dit, il était surtout requis que le nouveau programme se réfère directement au concept de surveillance dans la collectivité, tel qu’il est défini dans la LSJPA (Gouvernement du Québec, 2004). Rappelons que, selon la volonté du législateur, il s’agit, durant le dernier tiers de la peine, de mettre à l’épreuve les acquis obtenus par l’adolescent durant sa période de garde, de poursuivre sa réadaptation dans la communauté et de soutenir les processus de réinsertion. Comme le précise le Manuel de référence sur l’application de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents dans les centres jeunesse (ACJQ, 2004), dès le début de la période de placement sous garde, le directeur provincial se voit confier des responsabilités liées à la réinsertion sociale de l’adolescent. La réinsertion constitue ainsi un des objectifs de la période de placement sous garde, et la période purgée au sein de la collectivité représente une étape décisive pour le maintien des acquis de la réadaptation.
14Sous l’angle de la continuité de services, le groupe de travail a fait l’hypothèse que certains ingrédients pouvaient favoriser la réussite de la surveillance au dernier tiers du placement. Ainsi, le fait que les mêmes intervenants assurent à la fois l’intervention en réadaptation interne et la consolidation des acquis dans le milieu de vie, ou le fait qu’ils utilisent les mêmes outils cliniques et la même approche d’intervention tout au long du processus ont été perçus comme des atouts.
15Par ailleurs, les éducateurs impliqués dans le programme ont été progressivement amenés à développer une analyse écosystémique (Brousseau, 2006) de la situation des jeunes contrevenants, ainsi que des ressources dont ils peuvent disposer dans la communauté. On les a encouragés à percevoir les parents comme des partenaires, et ce, dès le début du placement. En centre de réadaptation, les jeunes doivent être rapidement préparés à un retour dans leur milieu de vie. Voilà pourquoi les éducateurs ont été amenés à développer une vision plus large de leur travail et à considérer qu’ils pouvaient jouer un rôle pivot entre le jeune, sa famille et le délégué à la jeunesse.
16À la base du programme, on retrouve ensuite des principes qui régissent l’intervention en matière de délinquance juvénile au Québec depuis plusieurs années et qui mettent l’accent sur l’importance de l’évaluation et de la différenciation du traitement (Gouvernement du Québec, 2006). À l’aide d’outils cliniques bien connus, tels que l’inventaire de personnalité de Jesness (1966), l’échelle de gravité de l’engagement dans la délinquance (Fréchette et Le Blanc, 1987), la typologie des niveaux de maturité interpersonnelle (Sullivan, Grant et Grant, 1957) ou la typologie de la gravité délinquantielle (Fréchette, 1997), il est prévu que le délégué à la jeunesse prépare un rapport prédécisionnel1 et qu’il cerne les interventions qui sont les plus susceptibles de porter leurs fruits.
17Une approche clinique spécifique, l’orientation cognitive-comportementale (Le Blanc et al., 2002), sert d’assise à l’ensemble du programme de réadaptation, que ce soit en centre de réadaptation ou dans la collectivité. Cette approche vise non seulement à diminuer la fréquence des pensées et des croyances qui favorisent les comportements déviants, mais également à les remplacer par des cognitions prosociales. Le modèle postule que l’apprentissage d’un comportement alternatif et les satisfactions vécues en lien avec l’adoption de ce comportement entraînent par la suite une modification des cognitions. Il s’agit donc de fournir aux adolescents les moyens nécessaires pour mettre de côté, peu à peu, certaines attitudes et certains comportements déviants, tout en acquérant de nouvelles habiletés relationnelles. L’unité de garde fermée du CJQ-IU participe à une recherche-action sur la réadaptation en internat, dirigée par Marc Le Blanc du Centre de recherche et de développement Boscoville 20002. Ce projet porte sur l’application de l’approche cognitive-comportementale et du modèle psychoéducatif (Gendreau, 1978 ; 1985). Depuis bientôt quatre ans, des efforts sont faits pour soutenir l’intervention des éducateurs et implanter des outils tels que des contrats comportementaux, des évaluations périodiques, des rappels réguliers à persévérer et des ateliers de groupe. À ce jour, une première phase a été franchie, le modèle étant implanté dans l’unité de garde fermée. Quant aux jeunes placés en garde ouverte, ils bénéficient de deux activités de groupe relevant du cognitif comportemental : des ateliers sur la communication et sur la régulation de la colère. L’application du programme dans le cadre du suivi dans la collectivité reste toutefois à établir.
stratégies d’intervention
18Dès l’établissement du premier plan d’intervention, le programme exige qu’on se soucie des conditions favorables à la réinsertion sociale du jeune. Très rapidement, il faut donc réussir à cerner les rôles du jeune, de sa famille et de la collectivité à cet égard. Cela dit, puisque l’éducateur intervient en collaboration avec un délégué à la jeunesse, il est aussi nécessaire de préciser le rôle de l’un et de l’autre à quelques étapes significatives du processus clinique : l’élaboration du plan d’intervention, la préparation du plan de réinsertion sociale et la gestion des manquements.
Accompagnement du délégué à la jeunesse
19Nommé dès le début du placement pour toute la durée de la peine, le délégué à la jeunesse doit être considéré comme celui qui assure la continuité des actions cliniques entreprises auprès du jeune, de sa famille et de la collectivité. Le plan d’intervention constitue à la fois son instrument pivot et son outil de reddition de comptes. C’est au délégué à la jeunesse qu’il appartiendra de transmettre le rapport prédécisionnel à l’équipe d’éducateurs en internat, de coordonner le plan d’intervention, de convoquer les rencontres de mise au point requises et de poser les gestes nécessaires en cas de manquement à des conditions ou d’examen judiciaire. En cas de manquement, l’examen judiciaire n’a pas pour objectif de sanctionner un comportement fautif commis par un adolescent, mais vise plutôt l’adaptation de peines ou de conditions auxquelles un adolescent peut difficilement se conformer ou qui ne sont plus pertinentes au regard des objectifs poursuivis.
Accompagnement de l’éducateur
20L’éducateur en internat se centre sur l’accompagnement soutenu de l’adolescent impliqué dans une démarche de réadaptation. Il assiste le jeune dans ses activités au quotidien, il applique les outils de l’approche cognitive-comportementale et il renforce les habiletés relationnelles enseignées lors des activités de groupe. De plus, l’éducateur applique des mesures éducatives ou disciplinaires lorsqu’il y a des manquements au code de vie de l’unité. En plus d’accompagner l’adolescent de manière intensive, il informe les parents des comportements qui se manifestent dans l’unité. Il leur fait prendre conscience de l’importance du soutien qu’ils peuvent apporter aux interventions et planifie avec eux, en lien avec le délégué à la jeunesse, les congés3.
Co-intervention
21Normalement, 30 jours avant le début de la surveillance dans la communauté, une rencontre formelle est organisée par le délégué à la jeunesse. Son objectif est de préciser le plan de réinsertion sociale et les conditions de suivi dans la communauté. Les parents, l’adolescent et l’éducateur-accompagnateur sont présents à cette rencontre. Sur la base du diagnostic différentiel4 et des progrès réalisés par le jeune durant son placement, on bâtit un programme personnalisé d’activités, en laissant une place importante aux parents et à la collectivité.
22En plus des conditions obligatoires fixées par la loi (essentiellement, ne pas troubler l’ordre public, avoir une bonne conduite et répondre aux convocations du tribunal), s’ajoutent des conditions fixées par le directeur provincial qui tiennent compte de la situation spécifique de chaque adolescent. Par exemple, ces conditions peuvent consister en l’obligation de respecter un couvre-feu, l’interdiction de fréquenter des lieux ou des personnes ayant des antécédents judiciaires ou de fréquenter la victime, l’obligation de fréquenter l’école, d’avoir un travail ou de faire les efforts nécessaires pour se trouver un emploi, etc. La fréquence des rencontres avec les éducateurs responsables de la surveillance peut être également précisée par une condition additionnelle. Enfin, il y a place à l’ajout de conditions visant à répondre à des besoins plus spécifiques de l’adolescent (par exemple, gestion de la colère ou diminution de la consommation de drogues) et impliquant une demande d’aide auprès de ressources spécialisées dans la communauté.
23La cohérence de l’intervention auprès de l’adolescent exige que soient incluses dans les conditions additionnelles celles qui sont imposées par le tribunal dans le cadre d’une probation consécutive à une peine de placement et de surveillance au sein de la collectivité.
Axes d’intervention
24Trois axes d’intervention guident la réadaptation de l’adolescent dans la collectivité : la surveillance et le contrôle, l’encadrement et l’aide.
- La surveillance et le contrôle consistent à se tenir informé des attitudes et des comportements de l’adolescent en lien avec ses activités de réinsertion sociale et le respect des conditions qui lui ont été imposées. Cela implique des activités (par exemple, appels téléphoniques, visites ou vérifications auprès des tiers) permettant de savoir où est l’adolescent et quelles sont ses fréquentations. Selon l’évolution de l’adolescent, de telles vérifications doivent se faire dans l’ensemble des milieux de vie, tous les jours de la semaine et être possibles à toute heure. Pour être efficace, l’intervention doit, par sa constance et sa cohérence, être crédible aux yeux de l’adolescent.
- L’encadrement. Cet axe se définit comme une intervention qui vise à développer des conduites adaptées en mettant l’accent sur la responsabilisation et l’autonomie (Laporte, 1997). Le rôle du délégué à la jeunesse et de l’éducateur consiste à soutenir l’adolescent dans un projet prosocial. Au-delà de la surveillance des conditions imposées, il y a donc lieu d’aider l’adolescent à faire les bons choix, à apprendre à dire non, lorsque nécessaire, à se positionner devant ses pairs et à s’engager dans un autre secteur que la délinquance. L’encadrement a une portée éducative, car on souhaite susciter chez l’adolescent une réflexion sur ses comportements. Il s’agit de mobiliser ses forces pour faire en sorte que le suivi soit un moment de reconstruction. Cette intervention peut prendre une forme directive dans les situations où l’adolescent refuse de s’impliquer ou de se responsabiliser face à sa conduite.
- L’aide. Le troisième axe d’intervention est centré sur l’aide (Laporte, 1997) qui est apportée à l’adolescent par l’éducateur et le délégué à la jeunesse. Concrètement, cela se traduit par des rencontres poursuivant ce qui a été instauré lors du placement sous garde. Par exemple, les éducateurs sont invités à se servir, dans le cadre de leurs interventions dans la collectivité, des outils en lien avec l’approche cognitive-comportementale.
activités cliniques lors de la période de surveillance dans la collectivité
Surveillance et contrôle
Appels téléphoniques initiés et reçus
Saisie de données au dossier de l’adolescent
Visites de contrôle nécessaires dans les lieux d’activités (école, travail, loisirs)
Encadrement
Visite du jeune, de la famille et des collaborateurs
Rencontre sur les manquements ; accent mis sur la responsabilisation
Préparation des mesures éducatives/disciplinaires
Soutien aux activités d’insertion sociale
Activités de réadaptation (gestion de la colère, habiletés de communication, résolution de problèmes, gestion du stress et problèmes de toxicomanie)
Aide
Rencontre d’accompagnement
Suivi et bilan de l’atteinte des objectifs du plan d’intervention
Écoute/recadrages
Gestion des outils cliniques internes/externes (grille d’analyse, auto-observation, contrat comportemental, etc.)
25Globalement, l’intervention s’inscrit dans une perspective d’apprentissage de responsabilités et elle est ajustée en fonction des caractéristiques personnelles du jeune. L’éducateur qui surveille le dernier tiers de la peine accompagne, assiste et valide les efforts et les démarches de l’adolescent. Il le rencontre et le laisse s’exprimer sur son vécu à l’école, au travail, à la maison ou avec sa copine. D’autres fois, il discute d’un manquement et cherche à en comprendre le sens. Il implique aussi les parents dans la recherche de solutions aux difficultés éprouvées. Il soutient l’adolescent dans ses efforts de réinsertion sociale et établit des collaborations avec l’école, le milieu de travail ou des organismes communautaires. S’il faut faire des vérifications à l’école ou au travail, il les fait avec discrétion afin d’éviter de stigmatiser l’adolescent. Enfin, l’intervenant saisit, au dossier de l’usager, les informations pertinentes, il communique, s’il y a lieu, les manquements au délégué à la jeunesse, et il contacte les autres éducateurs s’il rencontre des particularités dans son accompagnement.
26Trente jours environ avant la fin de la surveillance, une rencontre particulière réunissant les parents, l’adolescent, le délégué à la jeunesse et l’éducateur permet de faire le point, d’apprécier les changements perçus et de préparer l’intervention en probation qui suivra.
Gestion des manquements
27Le suivi des conditions imposées et la gestion des manquements, lorsqu’ils se produisent, s’inspirent des trois axes d’intervention qui viennent d’être décrits. Globalement, la gestion des manquements s’inscrit dans le processus d’apprentissage de l’adolescent.
28Dans un premier temps, l’intervention doit porter sur la prévention des manquements. Elle implique que l’intervenant soit proactif, qu’il anticipe les difficultés possibles et qu’il en parle ouvertement avec l’adolescent et ses parents. La stratégie consiste alors à identifier les zones de fragilité, le soutien requis par le jeune et les conséquences possibles de ses actions.
29Lorsqu’il y a un manquement, le travail de collaboration entre le délégué à la jeunesse et l’éducateur de surveillance implique qu’ils commencent par échanger les informations importantes relativement à ce qui vient de se passer. Ils sont invités ensuite à rechercher et à soutenir l’implication des parents dans toute intervention. Devant faire preuve de cohérence et de constance, ils sont partenaires des parents et de l’adolescent, et ils cherchent à comprendre le sens que prend le manquement. Si besoin est, un plan de rattrapage est mis en place pour une période déterminée, afin que l’adolescent se responsabilise et s’active dans le respect de ses conditions et de sa démarche de réinsertion sociale. Ainsi, chaque manquement doit faire l’objet d’une intervention adaptée, rapide et sérieuse. C’est un levier clinique qu’il faut utiliser dans la gestion des comportements manifestés par les adolescents qui nous sont confiés. Rencontres formelles, contrats comportementaux, réflexions écrites, utilisation des mesures éducatives et disciplinaires et plans de rattrapage, sont autant de moyens mis à la disposition des éducateurs et des délégués à la jeunesse pour responsabiliser les adolescents et s’assurer de l’efficacité de l’intervention.
30En plus de répondre aux exigences de la protection de la société et de la réinsertion sociale, un des principaux défis pour les intervenants consiste en la gestion de leurs propres réactions émotives face aux écarts de conduite, aux attitudes de je-m’en-foutisme affichées par les adolescents et aux manquements. Le problème surgit lorsque ces comportements sont perçus et vécus par l’éducateur ou le délégué à la jeunesse comme une façon d’être mis en échec ou de recevoir des messages indiquant qu’il n’y a rien à faire. Parfois, ce vécu conduit les intervenants à réagir ou contreagir en intensifiant les mesures disciplinaires ou restrictives de liberté. Des échanges avec le supérieur ou en équipe favorisent le dégagement par rapport à ces émotions et la reprise de la distance nécessaire à une prise de décision éclairée.
composition et fonctionnement de l’équipe
31Pour assurer l’intensité et la crédibilité de son action, une planification de la surveillance dans la communauté requiert environ sept heures d’intervention par semaine, tout en nécessitant une présence plus importante les soirs et les fins de semaine. Pour suivre dix adolescents simultanément, 10,4 postes d’éducateur ont donc été prévus. Cela permet la préparation d’un horaire où la semaine de travail se partage entre un temps d’accompagnement et de surveillance dans la collectivité et un temps de présence et d’accompagnement en internat. Ainsi, tous les éducateurs exercent une surveillance dans la collectivité. La réciproque est aussi vraie : à chaque adolescent est assigné un éducateur-accompagnateur, qui établit des collaborations particulières avec le délégué à la jeunesse.
32Cette façon de travailler a été rendue possible par une importante réorganisation des services dispensés en internat au niveau de la garde fermée. En effet, suite à la mise en application de la LSJPA, on a constaté une diminution du nombre de placements sous garde. Les instances de l’établissement ont donc choisi de mettre fin aux services de l’une des deux unités et de transférer certains postes pour arriver à ce que les éducateurs de l’internat puissent assurer la surveillance dans la collectivité. Cette réorganisation a permis d’établir un horaire qui répond aux besoins des jeunes. Par la suite, la surveillance des adolescents soumis à des peines de garde discontinue et différée s’est ajoutée aux responsabilités de l’équipe.
33Chaque semaine, les éducateurs affectés à l’unité de garde fermée se réunissent pour faire le point sur l’évolution de chaque adolescent qui est surveillé dans la collectivité (et de chaque adolescent placé en internat, bien entendu). C’est à ce moment que l’éducateur responsable fait un état de situation du plan de réinsertion sociale, de la teneur de ses échanges avec le délégué à la jeunesse et de la modulation de ses interventions en fonction de l’évolution de l’adolescent. La tenue de cette réunion lui permet de prendre un peu de recul et d’exprimer, au besoin, les émotions qu’il éprouve devant les situations difficiles ou la lourdeur de l’accompagnement. Elle favorise aussi la bonne gestion de la surveillance dans la collectivité lorsqu’il y a un nombre important d’adolescents à suivre.
34Par ailleurs, toutes les six semaines, des intervenants et leurs chefs de service se rencontrent pour mieux arrimer le travail des éducateurs et des délégués à la jeunesse. Ce comité est composé d’un chef d’équipe responsable des jeunes contrevenants, du chef d’équipe et d’un éducateur de l’unité de mise sous garde, de quatre délégués à la jeunesse, d’un avocat du contentieux et de l’agente de liaison entre le centre jeunesse et le tribunal. Son mandat s’articule autour de deux pôles : le soutien professionnel et la bonne communication entre les intervenants. Les contenus abordés lors des rencontres portent généralement sur la gestion des manquements, la cohérence et la constance des interventions. Quelques cas sont étudiés de façon plus approfondie afin d’enrichir leur compréhension clinique. Les échanges portent aussi parfois sur la spécificité des programmes en LSJPA et sur l’intensité des interventions requises. Au fil du temps, ce comité est devenu essentiel à la concertation entre les intervenants, les rencontres ayant une grande incidence sur l’évolution des pratiques des personnes qui y participent.
Constats relatifs à l’implantation du programme
35Au CJQ-IU, le programme de surveillance au dernier tiers du placement sous garde a été mis à l’essai en 2004-2005. Alain Chouinard, éducateur en internat et responsable du calcul de la peine5, a alors mené une étude exploratoire portant sur les dossiers de 40 des 60 jeunes placés en internat durant cette période. Il a pu faire des constats importants, qui restent toujours actuels.
36Les résultats de l’étude exploratoire montrent d’abord que pour bien orchestrer la surveillance dans la collectivité, il faut la planifier. Il s’ensuit que la rencontre avec le jeune et ses parents pour établir les conditions additionnelles de la surveillance est incontournable. Durant cette rencontre, le plan de réinsertion doit se traduire par des objectifs précis et des moyens concrets ; les attentes doivent être signifiées et les rôles clarifiés.
37Deuxièmement, il s’avère que la surveillance dans la collectivité est une activité professionnelle de réadaptation qui offre beaucoup d’opportunités d’intervention. Elle s’exerce par de multiples activités de surveillance, d’encadrement et d’aide. L’étude de 2004-2005 a comptabilisé, pour un échantillon de 40 jeunes, un total de 4624 coups de téléphone, 236 visites dans le milieu de vie, 92 rencontres au centre de réadaptation et 35 rencontres en d’autres lieux (par exemple, au restaurant ou au travail). La surveillance implique donc de l’intensité. Elle doit s’exercer de façon prioritaire par des rencontres où on se tiendra informé des activités et des déplacements du jeune, certes, mais où l’accent sera mis sur le soutien et l’encouragement des efforts de réadaptation.
38Troisièmement, l’auteur conclut que l’apprentissage des règles est un élément-clé du travail avec les jeunes délinquants. Un suivi attentif offre maintes occasions de les faire cheminer à ce niveau, à partir de la gestion des manquements. En 2004-2005, neuf des 40 jeunes ont vu leur surveillance suspendue pendant moins de 48 heures. Pour deux autres jeunes, elle a été révoquée, tandis que trois adolescents ont fait l’objet d’un mandat d’arrestation. Cela dit, pour les 26 autres jeunes, plusieurs interventions ont consisté en l’application réussie de plans de rattrapage prévoyant, par exemple, que le jeune ait à respecter des heures modifiées de couvre-feu ; se présenter quotidiennement au centre de réadaptation pour montrer son horaire de la journée ; donner de ses nouvelles toutes les trois heures ; rencontrer régulièrement son éducateur parrain au centre de réadaptation pendant quatre semaines ; présenter son talon de paye aux intervenants ; donner le numéro de téléphone de son employeur ; pendant un certain temps, ne pas sortir de son domicile, sauf avec ses parents, ou signifier ses déplacements par téléphone cellulaire. Cette tendance plutôt positive semble se confirmer avec les années. En effet, on note que très peu de jeunes connaissent un retour en internat et que très peu récidivent durant le suivi.
39À la fin de la période de surveillance, la rencontre-bilan est une étape cruciale qui permet de faire le point sur le cheminement réalisé par l’adolescent depuis la case départ, d’établir les étapes qui ont été franchies et ce qui demeure une zone de vulnérabilité. À l’occasion de telles rencontres, au cours des dernières années, plusieurs jeunes et leurs parents, surtout, ont exprimé une grande satisfaction à l’égard de l’accompagnement reçu. Par exemple, des parents ont dit s’être sentis épaulés, guidés et avoir récupéré une autorité parentale qui leur échappait ou qu’ils ne savaient plus comment exercer. En dépit du fait qu’ils exprimaient certaines craintes devant la cessation du suivi, qui jouait en quelque sorte un rôle de vigile, et étaient conscients de la possibilité que leur adolescent relâche ses efforts, plusieurs parents se disaient somme toute confiants en leurs capacités et en celles du jeune.
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40Au CJQ-IU, le Programme LSJPA de surveillance au dernier tiers du placement a permis de sortir des sentiers battus, d’ajuster l’intervention aux exigences de la nouvelle loi et de mieux répondre aux besoins spécifiques des jeunes contrevenants sous le régime d’une mise sous garde. Cette démarche a nécessité d’importants changements organisationnels. Elle a aussi sollicité la collaboration des intervenants impliqués et invités à changer leurs pratiques. La qualité du programme de surveillance au dernier tiers du placement sous garde repose en grande partie sur sa rigueur, sur la compétence de ses utilisateurs et sur leur capacité à s’adapter suffisamment pour répondre aux besoins des jeunes desservis. Toutefois, plusieurs défis demeurent, notamment celui de constituer une équipe stable d’éducateurs spécialisés en réadaptation qui auront acquis toutes les habiletés nécessaires à l’exercice de leur métier tant en établissement qu’extra-muros.
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références
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Notes de bas de page
1 Le rapport prédécisionnel est une évaluation ordonnée par le tribunal pour adolescents et dont la réalisation est confiée au directeur provincial. Il vise avant tout à effectuer une analyse des données concernant l’adolescent et son milieu, afin de présenter un portrait différentiel de l’adolescent et de dégager le niveau et les facteurs de risque de récidive qu’il présente.
2 En 2001, le ministre délégué à la protection de la jeunesse, Gilles Baril, a souhaité rouvrir Boscoville, un centre aujourd’hui dédié à l’enfance et à la jeunesse, et voué au soutien à l’innovation.
3 L’adolescent contrevenant peut bénéficier de congés. La LSJPA confie au directeur provincial la responsabilité de les autoriser et d’en déterminer les modalités. Un congé est autorisé pour une période maximale de 30 jours, et peut être renouvelé après réexamen du dossier.
4 L’évaluation différentielle des adolescents contrevenants est un processus clinique qui permet de connaître chaque adolescent et d’établir un diagnostic sur son niveau d’engagement dans des valeurs et activités délinquantes ainsi que sur son degré d’adaptation sociale.
5 Le calcul de la peine sert à déterminer deux choses : la durée totale de la peine que doit purger le jeune contrevenant et la date à laquelle celui-ci sera admissible à surveillance dans la collectivité.
Auteurs
T.s. Agente de planification, de programmation et de recherche, Direction du développement de la pratique professionnelle et des affaires universitaires, CJQ-IU
Conseiller-cadre, CJQ-IU
T.s. Agent de planification, de programmation et de recherche, Direction du développement de la pratique professionnelle et des affaires universitaires, CJQ-IU
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