23. Le Programme sur la mesure probatoire auprès des adolescents contrevenants du CJQ-IU
p. 450-465
Texte intégral
La clientèle desservie par le programme ici décrit est composée d’adolescents et d’adolescentes qui, après avoir été reconnus coupables de délits par le tribunal, se voient imposer une peine de suivi probatoire dans la communauté. Ils sont ainsi contraints au respect de plusieurs conditions, dont certaines, obligatoires ou facultatives, conditionneront leur vie durant cette peine. Ces adolescents sont généralement aux prises avec plusieurs problématiques psychosociales connexes (problèmes de dépendance aux substances psychoactives, difficulté d’insertion sociale, problèmes de santé physique ou mentale, etc.) que le suivi probatoire peut permettre d’aborder. Les intervenants qui ont la responsabilité du suivi – appelés « délégués à la jeunesse » dans le système québécois – doivent faire en sorte que la peine puisse avoir des retombées cliniques favorables et un impact positif sur le risque de récidive des jeunes, ce qui leur pose un certain nombre de défis. C’est afin d’appuyer et de guider ces intervenants dans le travail qu’ils ont à accomplir qu’un programme sur la mesure probatoire auprès des adolescents contrevenants a pris naissance.
1Après la mise en vigueur, en 2003, de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA), qui limitait la prise des mesures les plus sévères aux crimes les plus graves et qui diminuait le recours à l’incarcération des adolescents non violents (Gouvernement du Québec, 2004), on prévoyait que davantage d’adolescents allaient être soumis à des peines spécifiques qui se déroulent dans la communauté. Le Centre jeunesse de Québec-Institut universitaire (CJQ-IU), qui est responsable de définir et d’appliquer des programmes d’intervention et de suivi dans la communauté, a donc voulu structurer un modèle d’application de la mesure probatoire. D’autant plus que cette mesure s’est rapidement avérée la peine la plus souvent prononcée au Canada à l’endroit des adolescents reconnus coupables d’une infraction criminelle (Bala et al., 2009). La démarche privilégiée au CJQ-IU reposait sur l’idée de s’inspirer d’abord de pratiques bien implantées et de l’expérience déjà en place pour en faire le socle d’un nouveau programme.
2L’une des principales forces du programme repose sur le fait qu’il est issu de l’expertise d’intervenants seniors. En ce sens, il est adapté aux nouveaux intervenants comme aux plus anciens. Il outille également, sur une base clinique, les chefs de service dans leur rôle de gestion, par la possibilité qu’il laisse de moduler plus facilement la charge de travail des intervenants. Il donne de solides assises aux intervenants et un bon coup d’envoi à la poursuite du développement de leur pratique.
3De plus, il permet d’identifier clairement ce qui est fait auprès du jeune et de l’impliquer tout aussi clairement dans chacune des étapes de son cheminement. Parce qu’il s’appuie sur une perspective voulant que l’individu soit en continuel processus de changement, il permet d’ajuster, au fur et à mesure, les stratégies et l’intensité des services aux besoins de chaque jeune.
étapes de réalisation du projet
4Un groupe de travail, animé par une conseillère au développement des programmes et composé d’un chef de service d’une équipe d’intervention auprès d’adolescents, de trois délégués à la jeunesse1, d’un éducateur spécialisé en réadaptation dans la communauté (ou « à l’externe ») et d’un spécialiste en activité clinique en réadaptation, a été formé. Il s’est vu confier les deux mandats suivants :
- Élaborer un modèle de pratique sur le suivi probatoire destiné à préciser et soutenir la pratique professionnelle.
- Proposer des orientations et définir la pratique attendue en ce qui a trait à une prestation adéquate des services à rendre à la clientèle en suivi probatoire.
Le besoin de resserrer et de valoriser les pratiques
5Les mandats du comité soulevaient en fait plusieurs questions. Les intervenants impliqués auprès d’adolescents probationnaires appliquent-ils tous le même modèle de suivi ? Travaillent-ils surtout seuls ? Si oui, que faut-il en penser, lorsqu’un des principaux enjeux de l’intervention en délinquance consiste à établir des ponts entre l’adolescent et ses milieux de vie ? Quelles pistes d’intervention s’avèrent les plus concluantes ? Ces questions devenaient autant d’éléments devant faire l’objet d’une réflexion approfondie.
6Parallèlement au besoin de clarifier et de convenir de paramètres communs d’intervention, se pointait également celui de décloisonner les pratiques, de partager et de mettre à profit les façons de travailler de chacun. À ce moment, les intervenants, pour la plupart très expérimentés, avaient, au fil des années et des formations reçues, acquis différentes habiletés et façons d’intervenir. Il était toutefois difficile de circonscrire une véritable vision d’ensemble. S’il se faisait à coup sûr du bon travail auprès des jeunes, les bonnes pratiques n’étaient pas nécessairement systématisées. Il valait donc mieux cerner l’intervention en suivi probatoire, de manière à poser les jalons d’une harmonisation des pratiques, susceptible de rassembler les acteurs de l’intervention. Il fallait également commencer à se soucier de la relève professionnelle et s’assurer du transfert vers les plus jeunes de l’expertise accumulée par les intervenants plus expérimentés.
7D’autres considérations entraient encore en ligne de compte. En effet, jusque-là, beaucoup d’efforts avaient été investis dans la fonction évaluative. L’intervenant était donc en mesure de distinguer si l’adolescent rencontré se rapprochait plutôt du profil de la délinquance commune ou de la délinquance distinctive (Le Blanc et Morizot, 2000) et, dans ce dernier cas, s’il se retrouvait dans l’un ou l’autre des quatre types suggérés par le modèle intégré d’intervention différentielle2. La passation de l’Inventaire de personnalité de Jesness (1966) permettait de déterminer le degré de délinquance de l’adolescent, tout en identifiant des dimensions spécifiques de sa personnalité en lien avec la compétence interpersonnelle. Désormais, il fallait donner suite à tous les efforts investis dans l’évaluation des jeunes pour la transposer au niveau de l’intervention. Beaucoup d’énergie, de discussions, d’attention avaient été dévolues à la rédaction des rapports prédécisionnels transmis au tribunal, et ce, parfois au détriment de la planification de l’intervention proprement dite. Il fallait dorénavant considérer l’intervention comme aussi importante que l’évaluation.
8Enfin, si se posait le défi de professionnaliser et de redonner ses lettres de noblesse à l’intervention en suivi probatoire, il fallait aussi revoir l’exercice du rôle du délégué à la jeunesse. En effet, cet intervenant était à la fois responsable de l’évaluation des sanctions extrajudiciaires, de la préparation des rapports prédécisionnels et des suivis probatoires. Il en résultait que, comme il fallait rédiger plusieurs rapports pour le tribunal dans un délai prescrit, le suivi probatoire était trop souvent relégué au second rang des priorités. En somme, l’élaboration d’un modèle de suivi probatoire présentait, de prime abord, bien des avantages. Elle impliquait toutefois les exigences suivantes : sortir de son quotidien pour se pencher sur son mode de travail, parler avec les autres acteurs de ses façons de concevoir et de faire l’intervention et, surtout, mettre en perspective la réalité actuelle en fonction de ce qui devrait idéalement se faire en suivi probatoire.
La mise en œuvre ou comment rendre le modèle applicable
9De l’ensemble de ces réflexions et démarches, a résulté un guide de pratique sur la mesure probatoire. Il restait cependant à déterminer jusqu’à quel point ce modèle de pratique pouvait concrètement se transposer dans l’intervention quotidienne des délégués à la jeunesse et des éducateurs en réadaptation à l’externe. Il fallait, autrement dit, trouver les ancrages susceptibles de permettre cette intégration. Les équipes d’intervention ont commencé par évaluer le nombre de jeunes qui seraient suivis, en fonction de l’un ou l’autre des quatre niveaux de risque de récidive établis (qui seront présentés plus loin). Toujours dans le but de suivre les paramètres du guide de pratique, les gestionnaire ont ensuite estimé les effectifs qui seraient requis, tout en ajustant les fonctions des délégués à la jeunesse et des éducateurs en réadaptation. On a pris également la décision de réunir les fonctions de rédaction des rapports prédécisionnels et celles attachées au suivi dans la communauté, pour les confier aux intervenants détenteurs de postes d’agent de relations humaines. Cela permettait de réserver aux techniciens en assistance sociale les fonctions relatives à l’évaluation et au suivi des sanctions extrajudiciaires3. Par cette importante réallocation du temps de travail, il s’agissait de permettre aux intervenants en suivi probatoire de disposer de plus de latitude pour les jeunes dont les besoins sont plus grands. On a également statué sur l’apport des éducateurs en réadaptation à l’externe susceptibles de s’impliquer dans le suivi des adolescents présentant un risque plus élevé de récidive.
Diffuser le guide et favoriser son appropriation
10Le modèle de pratique et son guide ont été adoptés par le comité de direction du CJQ-IU. Par la suite, sa diffusion auprès des intervenants concernés s’est déroulée de la façon suivante :
- Présentation détaillée du modèle à l’occasion d’une activité de lancement officiel, à l’automne 2005.
- Appropriation individuelle par chaque délégué à la jeunesse, une opération consistant notamment en la relecture de sa charge de cas en fonction des paramètres du guide.
- Tenue de trois rendez-vous cliniques, d’une journée chacun, en 2006. Ces rendez-vous ont permis de rassembler l’ensemble des chefs de service, délégués et éducateurs en réadaptation à l’externe. Elles ont porté sur l’étude des quatre modèles de suivi probatoire, alliant la théorie et la discussion de cas. En 2007 et en 2008, deux activités dites de rafraîchissement ont également été offertes aux intervenants.
- Les chefs de service se sont vu confier la responsabilité de faire appliquer le guide de pratique en s’assurant que, lors des discussions de supervision, on veille à ce que les plans d’intervention soient établis en fonction des paramètres indiqués et que le niveau de suivi requis corresponde au risque de récidive présenté par l’adolescent.
- En 2009, un document condensant les éléments essentiels à prendre en compte dans l’application du guide de pratique a été produit pour faire office de rappel et permettre une consultation rapide.
contexte théorique et références
11Pour mener à bien ses mandats, le comité de travail s’est appuyé, d’une part, sur les fiches cliniques produites dans le Manuel de référence sur la LSJPA (Gouvernement du Québec, 2004) et, d’autre part, sur le Guide provincial d’intervention en matière de probation juvénile (Gouvernement du Québec, 2000). Le modèle d’intervention prend donc appui sur des paramètres proposés précédemment par ces deux cadres de référence. Compte tenu du fait que peu d’écrits existaient sur l’intervention en suivi probatoire, le comité de travail s’est aussi appuyé sur l’expérience acquise jusque-là par les intervenants, afin d’en dégager des grands principes. Le groupe de travail a ensuite identifié les quatre types d’adolescents rencontrés le plus fréquemment dans la pratique et produit quatre cadres de mise en œuvre du suivi probatoire. Ils correspondent à chacun des profils suivants : 1) clientèle à faible risque de récidive ; 2) clientèle à risque modéré de récidive ; 3) clientèle à risque modéré-élevé de récidive ; 4) clientèle à risque élevé de récidive.
12En outre, le modèle d’intervention en suivi probatoire se doit de tenir compte des principes promulgués par la LSJPA, qui insistent sur l’importance du suivi dans la communauté, questionnent les risques de récidive et exigent du jeune davantage d’acquis pendant le suivi. Par exemple, avec l’arrivée de la nouvelle loi, les juges interrogent de plus en plus les auteurs des rapports prédécisionnels sur leur évaluation du danger que l’adolescent présente pour la société, sur la nature de sa participation à un suivi probatoire et sur les services qui lui sont offerts.
13L’approche s’appuie également sur les principes de l’intervention différentielle (Le Blanc et Morizot, 2000 ; Dionne et Cournoyer, 2005). Elle part donc du portrait et des besoins de la clientèle, pour ensuite ajuster l’intervention qui est mise en œuvre. Elle est en continuité avec le modèle intégré d’intervention différentielle développé par Marcel Fréchette, suite aux recherches qu’il a menées en collaboration avec Marc Le Blanc (1987), et qui inspire les interventions en matière de délinquance depuis 15 ans au Québec.
14Il importe de tenir compte du fait que la contribution de l’adolescent et de ses parents est essentielle pour que le suivi probatoire soit un moment-clé et qu’il permette d’entamer un important processus de changement. Dans le même ordre d’idées, le délégué motive, soutient, souligne la contribution et encourage la prise de responsabilité de chacun des acteurs impliqués. Le modèle de pratique suppose qu’on définisse précisément le rôle dévolu au jeune, à ses parents, au délégué à la jeunesse et à l’éducateur en réadaptation à l’externe. La clarification des contributions respectives est une occasion de préciser les attentes de l’intervenant, de recevoir celles exprimées par la clientèle et d’encourager chacun à passer à l’action. Dans ce modèle, il est affirmé que l’intervention en suivi probatoire est un travail de partenariat tant avec les parents qu’avec les organismes de la communauté. Cette perspective permet de faire en sorte que le jeune qui a des difficultés d’intégration familiale, scolaire ou sociale puisse vivre des succès et en venir à retisser des liens significatifs qui ont pu être appauvris par le sentiment d’être différent, incompétent ou en rupture avec les autres.
15Le guide de pratique met l’accent sur l’importance et l’interaction des notions de surveillance, d’encadrement et d’aide. Le fait de proposer des services adaptés aux besoins du jeune, dans un contexte où celui-ci n’est pas toujours volontaire, est présenté comme une avenue possible et bénéfique. En outre, les stratégies liées à la surveillance et à la gestion des manquements sont inscrites comme autant d’activités cliniques potentielles. Les conditions de l’intervention sont alors individualisées et propres à la situation de chaque adolescent. Le modèle insiste sur la préparation du suivi probatoire, puis sur sa constance. Il s’agit de proposer une intensité de services à la mesure de la situation et de son évolution. Enfin, le modèle rappelle l’importance de travailler avec l’adolescent sur l’impact qu’a pu avoir le geste délinquant pour la victime. En effet, ce travail met en lumière à la fois les erreurs de pensée de l’adolescent et la part des responsabilités sociales qui est la sienne.
stratégies d’intervention et principaux éléments cliniques
16À partir des quatre grands types de jeunes, eux-mêmes définis en fonction des niveaux de risque de récidive, le programme propose quatre cadres de suivi probatoire. Le processus a été conçu pour d’abord aider l’intervenant à identifier le profil type auquel le jeune semble le mieux se rattacher. Il s’agit ensuite d’élaborer une intervention propre à ce profil et, finalement, de la proposer au jeune et à ses parents. En cours de suivi, des enjeux particuliers peuvent se poser. Voilà pourquoi il est proposé de réaliser le suivi probatoire avec la même rigueur du début à la fin. L’intervenant est ainsi invité à planifier son intervention en fonction de cinq étapes.
Première étape : identifier à qui s’adresseront les services proposés
17L’intervenant doit d’abord préciser à qui s’adresse l’intervention : s’agit-il d’un adolescent qui présente un risque de récidive faible, modéré, modéréélevé ou élevé ? À cette étape, à l’aide des paramètres établis dans le guide, il étudiera l’acte délinquant et identifiera le niveau de risque de récidive présenté par le jeune au moment de l’intervention. Ces paramètres se retrouvent dans le modèle intégré d’intervention différentielle et ils tiennent compte des résultats obtenus à l’Inventaire de personnalité de Jesness. On portera une attention particulière à la récurrence des difficultés et à l’adaptation sociale du jeune. On se préoccupera de sa réceptivité et de celle de ses parents quant aux démarches à venir. Le plus souvent, l’intervenant établira ce portrait de clientèle en rédigeant un rapport prédécisionnel. Si un tel rapport n’a pas été demandé par le tribunal, l’intervenant complétera tout de même une démarche d’évaluation du risque de récidive.
18Mentionnons ici l’importance à accorder aux paramètres de l’acte délictuel de l’adolescent. On posera un regard attentif sur tout ce qui entoure la commission des délits, car le passage à l’acte est révélateur de la dynamique délinquante du jeune et de la sévérité de son engagement. Préméditation, complicité, circonstances et motivations conduisant au délit, affects antérieurs, affects au moment de la commission du délit et consécutifs à celui-ci, réactions à l’arrestation, réactions familiales, conséquences, antécédents et récurrence, toutes ces informations permettent de mieux saisir le sens des délits. Une fois fait, il devient possible, par le biais de l’intervention, d’amener l’adolescent à chercher d’autres moyens, acceptables ceux-là, de répondre à des besoins qui sont sans doute légitimes. Lorsque l’adolescent prend conscience de ses besoins, il peut réaliser que c’est sa délinquance qui est inadéquate et non sa personne. Il s’agit là, sans contredit, d’un élément-clé dans l’établissement d’une alliance. Le tableau 1 présente les grands paramètres proposés à l’intervenant pour qu’il puisse élaborer son plan à partir d’une évaluation aussi précise que possible.
19Le recours à la « typologie délinquantielle » (Le Blanc et Fréchette, 1991), que la plupart des intervenants connaissent bien, est apparu comme un facteur pouvant faciliter l’évaluation. La typologie permet, notamment, de faire une distinction claire entre la commission d’actes typiques de l’adolescence (relevant de la délinquance commune, qui s’estompe avec l’âge) et la commission d’actes qui révèlent une vie nettement plus centrée autour de la délinquance (propres à la délinquance distinctive, qui peut persister au-delà de l’adolescence).
Deuxième étape : planifier le cadre du suivi probatoire
20Situer le risque de récidive permet de planifier l’intervention et de commencer à réfléchir aux modalités de suivi qui paraissent les plus adéquates. Lorsque l’intervenant réfléchit au risque de récidive du jeune, il le fait en fonction du portrait présenté par celui-ci au moment de l’évaluation initiale. Cela dit, il faut garder à l’esprit l’important potentiel de changement de la plupart des jeunes et ne pas oublier que les événements ont aussi une influence sur le risque de récidive. Bref, le pronostic initial n’est pas un élément définitif, mais plutôt une perspective. De telle sorte que, même chez certains délinquants structurés, il sera possible d’observer des périodes de conformisme en cours de probation. Avant même d’élaborer un plan d’intervention avec le jeune et les parents, il est proposé de faire d’abord le point avec son chef ou avec ses collègues, pour rassembler les principaux éléments du portrait et en dégager ce qu’ils indiquent pour le suivi. On reviendra donc sur le sens de l’acte délinquant du jeune, mais aussi sur sa gravité, les antécédents, la qualité de l’adaptation sociale, les éléments qui, de la personnalité ou de l’environnement, soutiennent le passage à l’acte, les forces du jeune, des parents, ainsi que les ressources du milieu.
21Une fois ce portrait précisé, on réfléchira au suivi probatoire à mettre en place en se posant les questions suivantes : Quels types et fréquences d’intervention sont souhaitables ? Quel est le besoin d’activités de surveillance et d’encadrement ? Quelles sont les conditions d’ordonnance et les obligations stipulées par le tribunal ? Comment associer le niveau de risque à l’intensité souhaitée de l’intervention ? Là encore, le guide de mesure probatoire donne à l’intervenant les grands paramètres à respecter, toujours en fonction de l’évaluation initiale de la situation. Le tableau 2 résume quelques paramètres de réflexion essentiels à la préparation du suivi probatoire.
22Considérant que l’intensité d’un service ne se mesure pas que par la fréquence des rencontres, mais qu’elle suppose aussi la présence d’acteurs importants, on réfléchira aux personnes déjà impliquées et à celles qu’il faudrait impliquer dans le suivi probatoire. On évaluera, dans un premier temps, la réceptivité du jeune face à l’intervention (ouverture, résistances ou motivation à soutenir) et, nécessairement, celle de ses parents. Puis, on identifiera les partenaires requis (éducateurs en réadaptation à l’externe, organismes de justice alternative, milieux scolaires, intervenants en toxicomanie et autres) et on se penchera sur les possibilités de réadaptation par le travail. On se demandera si un plan de services individualisé a sa place. Au terme de cette étape, l’intervenant aura une proposition initiale à faire au jeune et à ses parents.
Troisième étape : s’entendre avec le jeune et ses parents sur un plan d’intervention
23Si l’étape précédente conduisait à faire une proposition, une offre de services au jeune et à ses parents, il s’agit maintenant de s’entendre sur un plan d’intervention qui engage à la fois l’intervenant et le jeune tout en donnant de la rigueur au suivi probatoire. Trois objectifs sont visés en début d’intervention : créer un climat alliant l’accueil, l’intérêt porté au jeune et le sérieux de la démarche de suivi probatoire ; s’entendre sur le mandat de l’intervenant responsable du suivi probatoire et sur les obligations du jeune ; et enfin, s’entendre sur un plan d’intervention utile, réaliste et applicable. Le suivi probatoire va se traduire par un plan d’intervention écrit dans lequel sera indiqué le niveau d’intensité de service requis en vertu du risque de récidive présenté. Cette étape est donc l’occasion d’échanger sur le portrait tracé, les objectifs à atteindre, les moyens et activités à mettre en place, les rôles de chacun, les partenaires impliqués, ainsi que les lieux et la fréquence des rencontres et des contacts téléphoniques.
Quatrième étape : réaliser le suivi probatoire
24Le suivi probatoire sera réalisé en utilisant le plan d’intervention comme guide à chacune des rencontres. En effet, la continuité du contenu devient un élément essentiel dans le processus d’intervention.
25Au cours du suivi, différents enjeux pourront surgir, selon le niveau de risque de récidive présenté par le jeune. Le défi principal pour le jeune à faible risque est le plus souvent de reconquérir la confiance de sa famille qui a été ébranlée par ses délits. Pour le jeune à risque moyen de récidive, l’intervention abordera plutôt les motifs qui sous-tendent le choix des gens qu’il fréquente ou la consommation de substances psychoactives, qui semblent avoir une incidence sur la commission de délits. Dans le cas d’un jeune à risque modéré-élevé, le principal défi de l’intervention consistera à développer de nouvelles habiletés sociales et à modifier radicalement les habitudes de vie qui conduisent aux délits. Revenir sur les erreurs de pensée et les rationalisations qui soutiennent les gestes délinquants, aborder le passé du jeune pour l’inciter à revoir son fonctionnement actuel et assurer une surveillance étroite de sa conduite sont les principaux enjeux soulevés par l’intervention auprès du jeune à risque élevé. Enfin, dans les cas les plus complexes, qui présentent des problématiques multiples et interreliées, l’intervenant agira généralement avec un coéquipier, un éducateur en réadaptation à l’externe4, et il impliquera nécessairement les parents et des partenaires de la collectivité.
26En cours de suivi, il faudra réévaluer le risque de récidive, afin de moduler l’intervention au besoin. De plus, puisque le jeune contrevenant a des conditions à respecter, il y aura aussi des manquements à gérer. L’intervenant s’efforcera de prévenir de tels manquements et il rappellera au jeune ses engagements. Il verra aussi à identifier les situations où des difficultés sont susceptibles de surgir et les ressources qui peuvent être aidantes pour l’adolescent et ses parents. Pendant le suivi probatoire, on conservera le plus possible un rythme régulier de rencontres, quitte à ce qu’elles deviennent plus courtes. En effet, elles constituent un temps et un lieu essentiels de réflexion et de mise en action.
27Finalement, au moment de réviser le plan d’intervention il s’agira de réévaluer les besoins du jeune et le risque de récidive qu’il présente, en fonction de divers indicateurs, tels que les changements escomptés et réalisés, le niveau d’adaptation sociale atteint, la mise en action du jeune et le chemin qu’il a parcouru quant à ses objectifs de départ. Ces éléments auront un impact sur l’intensité à maintenir pour le reste du suivi (voir tableau 3).
Cinquième étape : terminer le suivi probatoire
28Terminer la démarche de suivi probatoire implique qu’on fasse le point sur l’évolution de la situation avec le jeune et ses parents. On identifie alors les capacités du jeune, son cheminement, ainsi que les difficultés qui ont pu empêcher l’atteinte de certains objectifs. Cela permet de transposer et d’identifier, pour le futur, les zones de force et de fragilité qu’il reste à soutenir ou à consolider. Enfin, on encourage le jeune et ses parents à recourir à des services en cas de besoin.
Équipe requise
29Le modèle de suivi probatoire sert de référence pour les intervenants spécialisés en délinquance et auteurs des rapports prédécisionnels qui étaient répartis au moment de son implantation en quatre équipes offrant des services aux adolescents. À l’époque, chacune des équipes était supervisée par un chef de service propre, qui rencontrait ses pairs au sein d’un comité de coordination LSJPA animé par le Directeur provincial5. Aujourd’hui, la même structure de coordination demeure, mais les intervenants sont rassemblés en une seule équipe sous la supervision d’un chef unique. Le guide de référence en matière de suivi probatoire ne requiert donc pas un modèle spécifique de fonctionnement, en ce sens qu’il peut s’adresser à différentes organisations ou services. Les prescriptions cliniques sont décrites dans un autre guide (Gouvernement du Québec, 2006). Auprès des jeunes les plus à risque, il s’agit de combiner l’expertise et l’intervention de délégués à la jeunesse et d’éducateurs en réadaptation à l’externe. La contribution spécifique des éducateurs est d’intensifier les services auprès des jeunes ayant besoin de développer leur fonctionnalité sociale, que ce soit par l’accompagnement, le modeling, la mise en action, ainsi que par une surveillance accrue des conditions de probation. Pour s’approprier le modèle, l’équipe d’intervenants est encouragée à échanger, à questionner ses pratiques et à innover, de manière à enrichir le matériel de départ.
évaluation de l’implantation
30Soucieuse d’assurer à la mise en œuvre du programme autant de soutien que possible, l’équipe d’implantation s’est adjoint la collaboration d’une ressource externe en évaluation de programme6, et ce, dès le tout début de la démarche. Le principal mandat du suivi d’évaluation consistait à assurer aux promoteurs du programme un regard neutre sur l’ampleur et la nature des écarts potentiels entre la démarche telle que planifiée et la démarche réelle d’implantation du programme.
31À ce titre, il allait de soi que l’équipe d’évaluation avait à créer un lien de confiance avec les intervenants, les chefs d’équipe et les éducateurs impliqués, afin que tous reconnaissent la plus-value d’un tel regard externe. C’est donc sur la base des principes de l’évaluation collaborative (O’Sullivan, 2004) que l’équipe d’évaluation a procédé tout au long des différentes étapes de suivi. Le lien de confiance établi a permis – et ce, à trois reprises pendant trois ans – la réalisation d’entretiens auprès de l’ensemble des personnes œuvrant dans le programme, de manière à faire ressortir leurs impressions et leur vécu quant aux diverses adaptations rendues nécessaires par la poursuite de l’objectif d’harmonisation des pratiques. L’équipe d’évaluation a, de plus, procédé à une analyse fouillée des données de suivi dans les dossiers enregistrés sur les systèmes informatiques par les intervenants.
32L’ensemble des travaux d’évaluation réalisés a permis de montrer comment l’équipe d’intervention attachée à la LSJPA du CJQ-IU a peu à peu apprivoisé le guide de mesure probatoire et en a fait le principal outil de référence de la pratique en cette matière. De plus, l’analyse des données d’intervention informatisées a révélé que l’écart du début entre les changements souhaités et la réalité des contingences de l’intervention s’est peu à peu réduit, à un point tel que l’on peut maintenant évoquer une appropriation générale des principes fondateurs du guide par l’ensemble des intervenants. Ceux-ci le voient maintenant comme un élément de soutien incontournable dans leur pratique quotidienne auprès des jeunes.
33Finalement, l’évaluation de l’implantation du guide de mesure probatoire a montré quels étaient les éléments-clés d’une implantation réussie. À cet égard, l’existence d’une forte capacité d’adaptation par l’équipe d’implantation et le discours résolument en faveur du programme des chefs de service, du directeur provincial et des conseillers se sont révélés être les principaux leviers permettant la réussite du changement de pratiques souhaité. Les résultats de l’évaluation ont également été présentés à tous les intervenants, et ce, périodiquement tout au long du suivi d’implantation, ce qui a renforcé le caractère collaboratif de la démarche.
34Le programme a fait l’objet de nombreuses présentations provinciales. Plusieurs de ses éléments figurent d’ailleurs au programme délinquance du Centre jeunesse de la Montérégie. De plus, en mars 2009, il a été présenté dans le cadre d’un séminaire à des intervenants du Brésil désireux de mettre en place un programme de suivi probatoire. Soulignons, en terminant, que le guide de pratique s’est vu décerner par la Fondation québécoise pour les jeunes contrevenants le Prix Raymond-Gingras 2007 pour un essai clinique.
Bibliographie
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références
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Notes de bas de page
1 Cette désignation renvoie au fait que l’intervenant du centre jeunesse agit en quelque sorte à titre de délégué du pouvoir judiciaire en ayant comme principale responsabilité d’encadrer la peine de probation du jeune et, entre autres éléments, de s’assurer qu’il respecte les conditions que lui a imposées le tribunal.
2 Le modèle intégré d’intervention différentielle s’est développé dans le prolongement des travaux de Fréchette et Le Blanc à partir de l’observation de délinquants québécois. Il a été largement mis à l’essai depuis le milieu des années 1980. « Il s’agit d’un modèle comportant deux volets : d’abord un système de classification des délinquants distinctifs québécois, que Fréchette a appelé la “typologie de la gravité délinquantielle”, puis un inventaire des stratégies propres à guider le choix des objectifs et des modes d’intervention propres à chaque type de délinquant. » Guide d’intervention en matière de probation juvénile, ministère de la Santé et des Services sociaux, mise à jour 2006 : 23.
3 On distingue les agents de relations humaines des techniciens en assistance sociale du fait que les premiers sont minimalement détenteurs d’un diplôme de premier cycle universitaire – en travail social, en psychologie, en psychoéducation, en criminologie et autres domaines apparentés –, tandis que les seconds sont détenteurs d’un diplôme technique collégial dans une discipline d’intervention auprès de personnes. Notons que, dans les deux cas, toutefois, on leur reconnaît le titre de « délégué à la jeunesse » au sens de la Loi.
4 L’éducateur externe exerce un rôle ponctuel et limité dans l’ensemble de la démarche d’intervention et selon certains des objectifs précis. Si, par exemple, il s’agit pour le jeune de se trouver un emploi à temps partiel, l’éducateur pourra l’accompagner et l’aider à atteindre cet objectif.
5 Le directeur provincial (qui est au Québec le directeur de la protection de la jeunesse) est le responsable de l’exécution des peines prononcées et des aspects touchant la réadaptation du jeune au sein de sa famille et de sa communauté (Gouvernement du Québec, 2004).
6 Cette démarche a été réalisée par le second auteur de ce chapitre ; le projet d’évaluation a bénéficié d’une première subvention de démarrage obtenue du CJQ-IU, ainsi que d’une subvention du Fonds québécois de recherche société et culture.
Auteurs
T.s. Agente de planification, de programmation et de recherche, Direction du développement de la pratique professionnelle et des affaires universitaires, CJQ-IU
Ph.D. Professeur, Département de psychoéducation, UQTR
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