22. L’offre de services Gangs et délinquance du CJM-IU
p. 438-449
Texte intégral
Le phénomène des gangs de rue a pris beaucoup d’ampleur au Québec depuis le milieu des années 1990. D’abord limités aux milieux urbains de grande densité, les gangs ont pris racine dans plusieurs agglomérations des ceintures urbaines, en plus d’être remarqués à de nombreux autres endroits sur le territoire québécois. L’impact des gangs de rue, notable à Montréal, se fait désormais sentir sur les adolescentes et adolescents de plusieurs régions du Québec. Les gangs sont actifs dans toutes sortes de sphères criminelles et leurs membres y adhèrent sur des périodes plus longues, tout en établissant des liens avec le crime organisé. Cette transformation du phénomène a eu des répercussions sur le système de prise en charge des adolescents, tant au niveau de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) que de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). En effet, les intervenants observent de plus en plus de manifestations pouvant être associées aux gangs de rue : trafic de stupéfiants, recrutement à des fins d’exploitation sexuelle, conflits ouverts entre des jeunes d’affiliations différentes et actes délictueux violents. Pour y répondre, diverses initiatives ont été entreprises au fil des ans, sans avoir toujours les effets escomptés. En mai 2006, le Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire (CJM-IU) créait le Centre d’expertise sur la délinquance des jeunes et lui confiait le mandat d’assurer le développement durable du maillage de la recherche, du développement de connaissances et de l’intervention clinique en matière de délinquance. Le présent chapitre présente cette offre de services originale, ainsi que les principaux impacts qu’elle a eus sur la pratique des intervenants de proximité et sur les interventions mises en place plus largement au CJM-IU afin de contrer le phénomène des gangs de rue.
1En 1999, le CJM-IU a reconnu, comme base de développement de sa « pratique de pointe » sur les gangs, la programmation de l’Institut de recherche sur le développement social des jeunes (IRDS) en matière de jeunesse et gangs de rue. Cette pratique de pointe devait regrouper des intervenants, des gestionnaires et des chercheurs intéressés par l’intervention, le transfert des connaissances, la recherche et l’enseignement, ainsi que par le rayonnement et le partenariat en matière de gangs criminalisés. À l’automne 2003, un groupe de développement a reçu le mandat d’intégrer les différents investissements du CJM-IU en rapport avec les gangs de rue et d’en faire un tout cohérent. Il s’agissait de consolider les pratiques, les activités de recherche et l’expertise clinique auprès des jeunes faisant l’expérience des gangs ou qui étaient à risque de la connaître. De plus, il fallait soutenir les différentes directions du CJM-IU dans l’actualisation des orientations relatives au dossier Gangs et délinquance.
2Les activités du groupe de développement aboutirent, en décembre 2004, à une offre de services assez large et structurée. Il a été décidé qu’elle serait animée en collaboration avec des intervenants de proximité, c’est-à-dire qui agissent directement auprès d’adolescents susceptibles de participer, d’être victimes ou d’être témoins d’activités de gang. L’offre de services fut mise en place à l’automne 2005 et quelques mois plus tard, en mai 2006, le CJM-IU créait le Centre d’expertise sur la délinquance des jeunes.
une terminologie et un cadre conceptuel en évolution
3On eut tôt fait de constater, tant du côté des chercheurs que des cliniciens, la difficulté de convenir d’une définition commune des termes gang, activités de gang ou membre d’un gang. Dans les écrits scientifiques, on ne trouve pas non plus de consensus sur le sens de ces expressions. De plus, la validité de la plupart des définitions habituellement proposées reste fort difficile à établir empiriquement. Une définition de travail consensuelle et opérationnelle est pourtant requise lorsqu’on souhaite établir des relations de partenariat avec des intervenants provenant d’horizons divers. Une telle définition a donc été formulée par le groupe de développement. Issue des travaux de Hébert, Hamel et Savoie (1997), elle précise en ces mots ce que peut recouvrir la notion de gang :
Une collectivité de personnes (adolescents, jeunes adultes et adultes) qui a une identité commune, qui interagit en clique ou en grand groupe sur une base régulière et qui fonctionne, à des degrés divers, avec peu d’égard pour l’ordre établi. En général, les gangs de rue regroupent des personnes de sexe masculin, dont plusieurs sont issues des communautés culturelles, et ils opèrent sur un territoire, en milieu urbain et à partir de règles. À cause de leur orientation antisociale, les gangs suscitent habituellement dans la communauté des réactions négatives et, de la part des représentants de la loi, une réponse organisée visant à éliminer leur présence et leurs activités.
4Hébert et ses collègues (1997) ont également suggéré des critères pour tenter de caractériser le statut des membres de gang : leur niveau d’activité ou leur proximité du noyau dur de l’organisation. Il est à noter que ce noyau est présumé réunir les membres les plus influents du groupe, soit ceux qui donnent les orientations et qui prennent les décisions relatives aux activités criminelles. Une autre typologie a été proposée afin de caractériser, cette fois, les gangs eux-mêmes. Ses critères s’organisent en fonction de trois continuums : le niveau de criminalité, le degré de structuration hiérarchique et le niveau de violence perpétrée. Par exemple, à l’aune du second critère, on pourrait se demander où se situe tel ou tel gang sur un continuum qui va d’une structuration faible et peu stable à une structuration hiérarchique bien organisée et durable.
5Ces efforts pour doter chercheurs et intervenants d’une terminologie commune se sont vite heurtés à certaines limites. C’est ainsi qu’au fil des travaux, et dans l’espoir de mieux comprendre l’appartenance au gang, l’approche typologique s’est avérée moins inspirante que prévu pour l’intervention et a été délaissée pour un modèle multidimensionnel. Concrètement, celui-ci s’est traduit par une grille d’évaluation qui définit le niveau d’engagement et d’attachement au gang à partir de dimensions comme l’adhésion à la culture de gang, le niveau de désengagement social, l’utilisation de la violence et la criminalité de gang.
6D’un modèle dichotomique (être ou ne pas être membre d’un gang, faire partie ou non du noyau dur de l’organisation, etc.), on est donc passé à un modèle dimensionnel (par exemple, situer une personne par rapport à son degré d’adhésion à la culture de gang) dans lequel l’intervention se planifie en fonction de caractéristiques jugées plus ou moins prononcées chez tel ou tel jeune. Ajoutons que ce modèle repose aussi sur de multiples mesures. Car si tout effort pour mesurer un phénomène criminel reste difficile, Guay et Gaumond-Casias (2009) suggèrent que « c’est à la convergence des différentes mesures des activités criminelles, plus qu’à chacune d’entre elles qu’on apprendra fidèlement la nature et l’ampleur des activités de gang ».
7Par ailleurs, pour tenter de contrer le phénomène des gangs de rue, les responsables de l’offre de services Gangs et délinquance entendent déployer une large gamme de mesures qui s’adressent à différentes strates de la population. En effet, il est prévu qu’on mette en place des activités de prévention situationnelle (comme aménager les milieux pour les rendre moins propices aux activités criminelles) et de prévention développementale (mieux outiller les jeunes pour contrer l’attrait des gangs), des interventions de réadaptation spécialisée, de même que la répression des conduites criminelles. Afin de mieux actualiser et coordonner toutes ces actions de prévention et d’intervention, des partenariats ciblés ont dû être définis. Il n’en reste pas moins qu’au carrefour de la recherche et de l’intervention, le cadre conceptuel est appelé à se parfaire avec les années, au fur et à mesure qu’on pourra y inclure de nouvelles connaissances issues de la pratique des réflexions et de la recherche.
stratégies d’intervention
8Les stratégies d’action en matière de Gangs et délinquance s’articulent autour de quatre grands axes : l’intervention proprement dite, le transfert de connaissances, la recherche et l’enseignement, et enfin le rayonnement et le partenariat. Ces axes ne sont pas sans s’influencer les uns les autres, étant donné la circulation des informations et des acteurs à l’intérieur de l’offre de services.
l’intervention
9L’intervention en matière de Gangs et délinquance se définit d’abord par le soutien qui peut être offert aux intervenants de proximité, et ce, de cinq façons différentes.
- La première modalité de soutien consiste en une veille média : chaque jour ouvrable, les membres du Centre d’expertise lisent attentivement la revue de presse produite par l’ACJQ pour y déceler toute information liée aux gangs. Il arrive qu’on ait l’occasion de compléter cette recension par d’autres dépêches. Tout renseignement pertinent est partagé rapidement avec les membres du comité de suivi de l’offre de services, qui eux-mêmes le communiquent à leur direction, selon des modalités qui leur sont propres. De plus, cette veille permet de préparer un avis étayé de connaissances scientifiques et cliniques, dans l’éventualité où le CJM-IU serait interpellé par les médias.
- Le deuxième type de soutien est la veille interne, c’est-à-dire le suivi de tout événement paraissant lié aux gangs à l’intérieur même des installations du CJM-IU. Cette fois, l’objectif consiste à identifier les jeunes concernés, ainsi que leurs intervenants de prise en charge légale (LPJ ou LSJPA), pour amorcer autour d’eux un travail plus actif. La principale source d’information examinée pour ce faire est le rapport quotidien rédigé par le personnel cadre. Tout événement susceptible d’être lié aux gangs est relevé, puis transmis aux personnes concernées selon une liste de distribution convenue. L’action déclenchée par l’alerte s’exerce dans les jours qui suivent et un bilan doit rapidement faire état du soutien dispensé à l’intervenant mobilisé par l’événement.
- La troisième modalité prévoit un soutien direct aux milieux où se produit le plus souvent ce type d’événements. Elle implique de prévenir la violence dans les installations du centre jeunesse, d’encadrer avec rigueur les actions visant la résolution de crises liées aux gangs et de proposer des solutions efficaces basées sur des données probantes. Une réponse rapide et organisée doit être offerte lorsqu’une demande de soutien est ainsi adressée par un milieu de vie.
- Le soutien direct aux intervenants permet, lui, de répondre aux demandes d’intervenants aux prises avec des défis particuliers en leur fournissant une aide concrète et directe, en collaboration avec les conseillers cliniques de l’équipe. Cela peut également signifier de préparer et d’animer des sessions de sensibilisation pour des équipes d’intervenants nouvellement confrontés au phénomène des gangs. Il est à noter que de telles sessions permettent aussi de former des agents multiplicateurs, qui seront à même de partager les connaissances acquises.
- La dernière modalité de soutien vient baliser l’échange d’informations entre le service de police de la Ville de Montréal et le CJM-IU. Selon un protocole qui implique également les Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw, lesdites balises précisent les circonstances et les façons selon lesquelles il est possible d’échanger des informations sur un adoles- cent ou un tiers qui aurait été victime, témoin ou associé à un gang criminalisé. Cette action permet à tous de s’assurer qu’ils ont bien utilisé les informations disponibles dans le cadre des processus réguliers. Par ailleurs, un registre ayant pour objectif de colliger de tels échanges d’information est tenu à jour.
10À ces cinq modalités de soutien s’ajoutent enfin diverses communications destinées plus spécifiquement aux structures régulières des différentes directions de l’établissement (par exemple, les directions-clientèles ou les comités de programmes).
11Au chapitre des interventions, l’offre de services se caractérise surtout par une série de projets d’action émanant des différentes directions de l’établissement. Chacun de ces projets doit normalement favoriser l’intégration de divers niveaux de connaissances relatives aux gangs de rue (savoir, savoir-être et savoir-faire).
12Un projet a été initié par la Direction de la protection de la jeunesse. Pour les gens qui s’y sont consacrés, l’objectif principal était de mettre en évidence des indicateurs permettant d’évaluer les risques d’appartenance aux gangs à partir des motifs de compromission de la sécurité ou du développement du jeune. Avec une équipe d’intervenants appelés à recevoir des jeunes en cours d’évaluation, ainsi que des étudiantes faisant une recension des écrits, les acteurs de ce projet ont contribué à la révision de notre cadre conceptuel et au passage d’un modèle d’évaluation typologique vers un modèle dimensionnel.
13De son côté, la Direction des services de réadaptation pour les garçons a initié deux projets d’action. Le premier – en lien avec le précédent – consistait à observer les comportements qui pourraient témoigner d’une appartenance aux gangs chez des jeunes en évaluation séjournant dans une unité de transition. Autrement dit, on cherchait à identifier des indices et des repères diagnostiques en observant quotidiennement de jeunes hébergés. Le second projet avait pour but d’aider des adolescents de 12 à 14 ans hébergés en internat à résister à l’attrait suscité par les gangs. L’implication d’intervenants, d’étudiants et de professeurs a permis de mettre au point une série d’activités thématiques s’adressant d’une part à ces jeunes et d’autre part à leurs parents. La bonification de ces activités suit d’ailleurs son cours.
14Quant à la Direction des services de réadaptation pour les filles, elle est depuis longtemps préoccupée par la sollicitation et le recrutement d’adolescentes vulnérables à l’exploitation sexuelle. Un premier projet a donc consisté à mettre en place un comité de développement clinique sur les gangs, à l’intérieur même de la direction. Ce comité veille, depuis, à tisser les liens nécessaires entre les différentes activités qui sont offertes aux jeunes filles hébergées. Un deuxième projet a permis de concevoir un outil de prévention de l’exploitation sexuelle qui se présente sous la forme d’une bande dessinée (Fleury et Fredette, 2002). L’outil a été intégré à une série d’activités cognitivo-comportementales visant l’apprentissage d’habiletés de résolution de problèmes. Depuis, la stratégie a été expérimentée à plusieurs reprises et elle a fait l’objet d’une première évaluation.
15Les autres directions ne sont pas en reste, proposant elles aussi différents projets. L’un d’entre eux a consisté à ajouter au programme Aggression Replacement Training (Goldstein, Glick et Gibbs, 1998), déjà bien implanté dans plusieurs de nos points de service, une série d’activités traitant spécifiquement de l’appartenance aux gangs. Combinées à une intervention faite auprès des parents, ces activités entendent d’abord permettre à l’adolescent contrevenant de tisser des liens entre la place qu’occupe le gang dans sa vie et les facteurs qui contribuent à sa délinquance. Dans un deuxième temps, le jeune est invité à envisager des comportements alternatifs et plus légitimes pour satisfaire certains de ses besoins (par exemple, de socialisation ou de reconnaissance). Dans d’autres projets, les objectifs principaux ont consisté à prévenir la violence des gangs en institution, à intégrer la dimension des gangs à l’accompagnement intensif offert aux adolescents de 15 à 17 ans ou à soutenir la création d’une équipe spécialisée de procureurs aux poursuites criminelles et pénales de la Chambre de la jeunesse.
16Le dernier exemple de projet déborde quelque peu la clientèle habituelle du CJM-IU. En effet, il consiste à créer à Montréal un programme de suivi intensif pour des contrevenants âgés de 15 à 25 ans. Ce programme s’inspire d’une approche globale et intégrée, expérimentée dans plusieurs grandes villes des États-Unis. Il a pour but de favoriser l’intégration sociale de contrevenants témoins, victimes, faisant, ayant fait, ou à risque de faire l’expérience de gangs de rue. Il vise aussi à réduire la délinquance lucrative avec violence liée aux activités des gangs de rue. Ciblant plus particulièrement deux des cinq arrondissements de Montréal les plus aux prises avec le phénomène, le projet réunit des intervenants de plusieurs instances ministérielles, municipales, juridiques, correctionnelles et policières, sous la coordination du CJM-IU et du milieu communautaire.
17Bien que tous autonomes, il est à noter que ces projets d’action ont pu maintes fois s’influencer les uns les autres, notamment par la présence de membres du comité de suivi de l’offre de services dans plusieurs d’entre eux.
le transfert de connaissances
18La diversité des modalités de l’offre de services fait en sorte qu’un grand nombre d’intervenants et de gestionnaires sont régulièrement mis en contact avec des éléments de la recherche universitaire dans les disciplines liées à l’intervention. Les possibilités de contact direct avec des étudiants, des professeurs et des chercheurs universitaires donnent un visage humain et tangible aux différentes activités de transfert de connaissances. Des activités de perfectionnement ont aussi été offertes au fil des années. Elles ont été généralement données sous deux formats (trois heures ou sept heures). Par ailleurs, une formation sur l’outil de prévention de l’exploitation sexuelle par les gangs a été dispensée aux intervenants d’autres centres jeunesse du Québec, ainsi qu’à différents organismes scolaires et communautaires s’adressant à des adolescents comme à des adultes.
la recherche et l’enseignement
19Le centre d’expertise a non seulement permis à des membres de la communauté universitaire de faire connaître leurs travaux aux intervenants, mais il a également contribué à l’enseignement universitaire et collégial sur le phénomène des gangs. Plusieurs collèges et universités, de même que l’école nationale de police en ont profité. L’accompagnement de stagiaires de niveau collégial, de premier cycle universitaire, mais surtout de maîtrise et de doctorat fait partie des activités du Centre d’expertise. Un soutien a également été apporté à la réalisation de recensions d’écrits par quelques étudiants. Des membres du Centre d’expertise ont aussi été appelés à participer à des jurys de mémoire de maîtrise. Enfin, depuis cinq ans, un séminaire est organisé annuellement par le Centre d’expertise, afin de réunir des étudiants des cycles supérieurs et leurs directeurs, des décideurs et des intervenants intéressés. Il constitue une occasion unique de mise à jour en ce qui concerne tous les projets en cours.
rayonnement et partenariat
20Les activités du Centre d’expertise ont connu également une plus large diffusion, grâce à un certain nombre de présentations faites lors de congrès et colloques. Diverses publications ont également émané de ses activités, sous forme de vignettes cliniques, d’articles dans des revues professionnelles ou d’information spécialisée, destinées à certains organismes. Des activités ont aussi été réalisées avec des partenaires institutionnels ou communautaires, notamment le réseau de la santé et des services sociaux. On note, par exemple, la participation au plan d’action de la Coordination des efforts de lutte au crime organisé (CELCO) concernant les gangs de rue. Comme on l’a vu précédemment, une collaboration avec le ministère de la Justice s’exerce aussi par le biais du projet d’action concernant la spécialisation de procureurs de la couronne face à la clientèle membre de gangs de rue. Cette collaboration a donné lieu à l’évaluation, conjointement avec les services de police, de la faisabilité à Montréal du projet d’action expérimenté à Philadelphie, qui s’implante maintenant sous l’acronyme PSI-Montréal.
21Les trois commissions scolaires francophones de l’île de Montréal sont présentement en lien avec Gangs et délinquance, notamment par le biais d’écoles spécialisées qui accueillent des adolescents ou des jeunes adultes vulnérables ou de programmes de prévention de l’adhésion aux gangs implantés dans certaines écoles primaires. Sur le plan provincial, la Fédération des commissions scolaires du Québec, l’Association des cadres scolaires et la Fédération des comités de parents du Québec côtoient également des représentants de Gangs et délinquance. Enfin, des liens se nouent de plus en plus avec des organismes communautaires dédiés aux adolescents. La fondation québécoise des jeunes contrevenants, l’organisme de justice alternative Trajet-jeunesse et le programme d’action communautaire PACT de rue font partie de ceux-là. Les collaborations se font encore rares pour le moment avec le secteur communautaire s’adressant aux jeunes adultes. On compte néanmoins des contacts de travail avec trois organismes adultes en prévention et en réadaptation.
composition et fonctionnement de l’équipe
22Une telle offre de services ne peut se réaliser que grâce à l’implication soutenue de personnes, organisées entre elles autour de pratiques coordonnées. Le comité de suivi de l’offre de services est formé de personnes issues de toutes les directions concernées par les services aux adolescents, ainsi que d’un représentant de la Direction générale adjointe. Ce comité est animé par le responsable et par une professionnelle du Centre d’expertise. La planification stratégique initiale des activités du comité du suivi prévoyait 28 jours de dégagement par année pour chacun des représentants, ceci devant englober tous les aspects usuels de la tâche et la participation à des activités annualisées. Ces activités planifiées comprennent, par exemple, les deux journées professionnelles tenues par le conseil multidisciplinaire de l’établissement chaque année et un séminaire de recherche chaque printemps. C’est dire l’importance de l’investissement consenti par le CJM-IU pour faire face au phénomène des gangs et aux difficultés qui leur sont associées.
23Les présences des membres du comité sont comptabilisées à chacun des événements ou rencontres. En effet, depuis la création de l’offre de services, on a installé un système de monitorage des activités réalisées par les membres du comité de suivi de l’offre de services. À chaque période de paie, tous les membres du comité inscrivent le temps (en minutes) qu’ils ont consacré à tel ou tel type d’activités. Ces informations permettent de quantifier l’investissement par les membres du comité, tout autant que d’identifier la nature et le volume des demandes de soutien provenant des différentes directions.
bilan d’implantation
24Un bilan des trois premières années de l’offre de services permet de constater que les énergies ont été principalement consacrées au soutien des intervenants : soutien aux activités cliniques des intervenants de proximité, soutien spécialisé par les veilles gangs et, enfin, soutien pour l’échange d’information avec le service de police. Ces activités totalisent environ 74 % du soutien apporté, contre 14 % dédié à la veille média. On retrouve dans une moindre mesure (12 %) le soutien aux milieux où se déclenchent des veilles liées aux gangs.
25Bien que ces veilles se concentrent très majoritairement dans les milieux de réadaptation avec hébergement, quelques situations en territoire ont aussi généré un suivi. Pour les trois premières années de l’offre de services, c’est la Direction des services aux adolescentes qui a généré le plus grand nombre de veilles. Habituellement, les jeunes filles concernées, âgées en moyenne de 15,2 ans, sont identifiées comme des victimes potentielles de sollicitation. Les garçons pour qui une veille est déclenchée sont habituellement auteurs de gestes d’agression et ils ont en moyenne 17 ans. Le temps écoulé entre le déclenchement d’une veille et le bilan écrit des actions de soutien offertes est en moyenne de 4,1 jours. Une appréciation très positive a été exprimée par la majorité des intervenants mobilisés autour de ces veilles.
***
26L’offre de services Gangs et délinquance est une contribution originale à la mission universitaire du CJM-IU. Elle permet tout d’abord une coordination sans précédent de l’intervention liée aux gangs à l’intérieur d’un établissement, malgré la dispersion de ses services dans de nombreux secteurs de la ville. Ensuite, elle assure une coordination de l’intervention avec les partenaires extérieurs à l’établissement, permettant d’entretenir avec eux des relations de collaboration durable. D’abord ancrée dans le projet de soutenir les intervenants pour faire face au phénomène des gangs, l’offre de services organise les actions de façon à ce qu’elles soient partagées par toutes les instances de l’établissement. Tout cela permet que, malgré la taille et la complexité de l’établissement, il soit de moins en moins fréquent que « la main droite ignore ce que fait la main gauche ».
27Branchée sur les réalités affectant les intervenants de proximité agissant auprès des jeunes, l’offre de services se relie avec autant d’intensité sur les savoirs en développement dans plusieurs universités. Dans cette optique, une coordination analogue à celle vécue dans le soutien aux intervenants s’est mise en place. Les projets d’action, véritables laboratoires, rendent possible une interpénétration des préoccupations entre les cliniciens et les chercheurs impliqués. Accueillant des stagiaires et soutenant les travaux d’étudiants de cycles supérieurs, ces projets profitent tant à la communauté clinique qu’à plusieurs départements universitaires. Un tel contexte donne lieu à une véritable co-construction d’expertise entre praticiens et producteurs de connaissances, de même qu’entre l’intervention au quotidien et la recherche universitaire.
28Les partenariats mis en place permettent également d’éroder quelque peu certains murs érigés entre des systèmes : milieux institutionnels et communautaires, intervention de répression et intervention de la réadaptation, intervention jeunesse et services correctionnels adultes, pour ne nommer que ceux-là. Évidemment, il reste fort à faire pour que ces brèches ne se referment pas. Il faut surtout poursuivre les efforts pour mieux mailler les réponses de tous ces systèmes au phénomène des gangs de rue. La perspective centrale et la contribution principale de l’offre de services Gangs et délinquance est l’interaction, et à terme, la convergence des efforts de l’ensemble des instances concernées.
Bibliographie
références
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Piché, J.-P. (2000), L’encadrement des jeunes contrevenants dans la communauté : guide d’intervention en matière de probation juvénile, Québec, MSSS, Direction de la jeunesse, des personnes toxicomanes et de la santé mentale.
Auteurs
CJM-IU
Centre d’expertise sur la délinquance des jeunes et les troubles de comportement, CJM-IU
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