20. Une intervention de groupe pour les abuseurs mineurs et leurs parents
p. 395-416
Texte intégral
Les adolescents recevant les services propres au Programme pour mineurs agresseurs sexuels proviennent surtout de la clientèle inscrite en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA) et sont reconnus comme ayant commis une infraction de nature sexuelle. Ils ont pour la plupart reçu une peine qui les oblige à participer à un programme approuvé par le Directeur provincial (une responsabilité créée par la LSJPA et qui est assumée au Québec par le Directeur de la protection de la jeunesse de chaque région administrative). D’autres sont référés dans le cadre d’une mesure associée à une sanction extrajudiciaire parce qu’ils ont manifesté, au cours de leur évaluation, une ouverture à s’impliquer positivement dans une démarche de groupe en regard de leur problème de déviance. Certains, enfin, sont orientés vers l’intervention de groupe parce qu’un signalement a été retenu en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, en raison de troubles de comportement associés à l’agression sexuelle ou parce que les parents n’arrivent plus à contrôler la situation. Deux équipes d’intervenants agissent directement auprès des groupes d’adolescents agresseurs et des groupes de parents. Elles assurent un lien continu avec les intervenants qui agissent sur une base individuelle avec ces jeunes, afin d’assurer une continuité clinique. Parmi les cibles visées, on note la connaissance de soi et du phénomène de l’agression sexuelle, la conscience et la correction des erreurs de pensée, la conscientisation aux impacts sur les victimes et l’élaboration d’un plan de prévention de la récidive.
1Lors de la création du Centre jeunesse Chaudière-Appalaches (CJCA) en 19931, la première mouture d’un programme destiné aux mineurs agresseurs sexuels était déjà en expérimentation depuis environ deux ans. Durant deux autres années, le programme resta une entreprise menée conjointement avec le Centre jeunesse de Québec, se déroulant tantôt sur une rive tantôt sur l’autre et desservant des jeunes des deux régions. Puis en 1995, le CJCA commença à dispenser ce service de façon autonome, offrant un programme d’animation de rencontres de groupe destiné, selon les années, à une ou deux cohortes constituées d’une douzaine d’adolescents. Ces activités de groupe s’ajoutaient aux interventions individuelles ou familiales déjà dispensées par les délégués à la jeunesse de la DPJ.
2En 2003, une modification importante fut apportée aux interventions lorsqu’on implanta des sessions de groupe pour les parents des jeunes agresseurs. En plus d’être étayée par la littérature scientifique, cette idée s’était développée parce qu’on avait constaté que, comme le programme était localisé à un endroit précis du territoire, les parents venant de municipalités éloignées conduisaient leur adolescent et l’attendaient jusqu’à la fin de la rencontre. Leur temps d’attente fut donc mis à profit durant 5 des 16 rencontres des jeunes. Une partie de certaines rencontres fut également utilisée pour favoriser un échange entre les jeunes et les parents.
3Durant la même année, un comité de travail, composé d’intervenants ayant acquis une expertise dans l’intervention auprès des mineurs agresseurs sexuels, fut mis sur pied et reçut le mandat de réviser le programme et de bonifier le travail qui se faisait depuis plus d’une décennie. La révision permit de mieux intégrer des éléments issus du programme du Centre jeunesse de la Côte-Nord, du « Guide d’intervention lors d’allégation d’abus sexuel » de l’Association des centres jeunesse du Québec, et du Programme national de formation piloté par l’ACJQ. Les contenus théoriques et la base de notre matériel clinique furent aussi enrichis par quelques éléments relevés dans les réflexions du British Columbia Institute Against Family Violence, une société à but non lucratif. Enfin, un autre moment important pour l’élaboration du programme fut, en 2007, une double collaboration de recherche avec l’Université du Québec à Montréal et l’Université de Montréal. L’une porte sur l’analyse des relations dans les familles d’adolescents agresseurs sexuels et l’autre sur la capacité des parents à offrir du soutien à des jeunes ayant commis des agressions sexuelles.
références théoriques et modèle conceptuel
4Les réalisations cliniques en Chaudière-Appalaches s’inspirent de l’évolution du traitement en regard de la problématique des agresseurs mineurs. Plusieurs programmes de traitement ont été élaborés aux États-Unis pour traiter les adolescents agresseurs sexuels, et ce, même s’ils font un nombre de victimes moins élevé que les criminels adultes et que leurs comportements sont moins sérieux ou agressifs. Cela s’explique, comme l’ont montré Longo et Prescott (2006), par le fait que les adolescents agresseurs sexuels sont tout de même à l’origine de près de 20 % des crimes de cette nature et d’environ le tiers de toutes les infractions sexuelles contre des enfants. L’intervention de groupe s’avère le traitement de choix pour la majorité des intervenants qui travaillent auprès de cette clientèle (Breer, 1987 ; Groth et al., 1981 ; Margolin, 1986 ; Ryan et al., 1987 ; Smets et Cebula, 1987 ; Geffner et al., 2003). Cela dit, l’orientation clinique vers l’intervention de groupe ne fait pas l’unanimité. Par exemple, Longo et Prescott ont avancé qu’il n’y a pas d’évidence empirique soutenant la supériorité de ce type d’intervention sur l’intervention individuelle. Ils rappellent que, de plus en plus, la littérature suggère que l’intervention de groupe peut, au contraire, engendrer des effets iatrogènes.
L’intervention de groupe
5Selon Breer (1987), si une seule modalité de traitement devait être utilisée, le traitement de groupe apparaîtrait alors comme la meilleure option. L’auteur justifie sa position en rappelant que les adolescents ont tendance à nier et à minimiser leur délit. Le groupe crée alors une mobilisation des pairs, qui, à la fois, exercent une pression sur le jeune et le sécurisent face aux effets d’une discussion franche sur son délit. Le groupe permet au jeune de réaliser qu’il n’est pas le seul à vivre un tel problème. En général, les adolescents réagissent mieux aux confrontations des pairs qu’à celles du thérapeute. L’âge de leur interlocuteur est important, en ce sens qu’ils se montrent plus responsables devant leurs pairs que devant les adultes.
6Utilisée seule, l’intervention individuelle serait le mode le moins efficace pour mettre fin au déni, à la minimisation et aux esquives qui caractérisent cette clientèle. Seul le groupe créerait un climat de pression et de soutien constant susceptible de maintenir le jeune en thérapie.
7Cela ne signifie pas que l’intervention individuelle doive être totalement éliminée avec les adolescents délinquants sexuels. Elle peut être un complément au traitement de groupe, qui a aussi des limites importantes. En effet, le traitement de groupe ne peut accorder à chacun tout le temps nécessaire pour résoudre ses conflits. C’est une des difficultés majeures avec cette modalité d’intervention. Parce que les adolescents délinquants sont plutôt centrés sur eux-mêmes, ils sont peu disponibles pour – ou incapables de – donner le temps et la qualité d’aide nécessaires à ceux qui parmi eux vivent une situation de crise (Breer, 1987). Dans de tels cas, des sessions individuelles restent donc recommandées.
8L’intervention familiale peut être un autre bon complément. Toujours selon Breer, pour plusieurs adolescents délinquants sexuels, le traitement a besoin d’être étendu à la famille, notamment lorsque la victime en fait partie. Dans un tel cas, l’intervention permet aux membres de la famille de comprendre la crise qu’ils traversent et de prendre conscience du rôle que chacun peut jouer dans la réhabilitation de l’agresseur et de la victime. Mais de façon plus générale, le recours à l’intervention familiale vise surtout à développer des comportements parentaux positifs et à réintégrer le délinquant dans sa famille.
Les parents comme intervenants
9La programmation du CJCA considère que le développement d’une implication des parents est un élément-clé dans le cheminement à réaliser avec le mineur agresseur sexuel. Un des principes qui sous-tendent les actions professionnelles dans ce domaine découle de la loi en vertu de laquelle se fait le plus souvent l’intervention, soit la LSJPA. Il stipule que la responsabilisation des parents doit primer dans la prise en charge, l’éducation et l’encadrement des enfants. Cela rend incontournable la participation des parents à l’atteinte des objectifs de traitement des adolescents agresseurs sexuels. Selon Perry et Orchard (1992), si les parents ne sont pas impliqués, ils risquent de faire alliance avec l’abuseur, d’entretenir des distorsions cognitives sur le traitement et de nuire à son bon déroulement.
10Les interventions auprès des parents peuvent se faire en groupe, en couple ou en famille (par exemple, avec les membres de la fratrie dans certains cas). Les premières étapes doivent, selon Pithers et Stickrod-Gray (1993), permettre d’identifier et d’exprimer les émotions accompagnant le dévoilement de l’agression sexuelle commise par leur enfant, afin d’entamer un processus de deuil (par rapport à leurs conditions de vie antérieures), puis de s’impliquer dans le traitement. Les thérapeutes doivent créer un climat où les parents peuvent reconnaître et exprimer des émotions comme la honte, l’humiliation, l’impuissance, le sentiment d’échec ou la confusion. Si les parents se sentent dépassés par les événements, les thérapeutes les incitent à accepter cet état, plutôt que de le convertir en colère pour se donner une illusion de contrôle sur la situation. En reconnaissant la perte qu’ils vivent et en faisant leur travail de deuil, ils peuvent entamer un processus qui les mènera à abandonner le désir de se blâmer pour les gestes de leur enfant. En somme, les parents sont invités à prendre une attitude de « détachement intéressé » vis-à-vis des comportements de leur enfant.
11Les mêmes auteurs recommandent que les thérapeutes expliquent aux parents qui nient les gestes abusifs de l’adolescent que, lorsqu’on apprend une nouvelle aussi troublante, cette réaction est normale, dans un premier temps. Les parents doivent toutefois comprendre qu’à la longue, la honte et le déni peuvent être des réponses inadaptées qui déforment la réalité et les empêchent de trouver des solutions à leur souffrance. Les intervenants doivent expliquer aux parents l’importance qu’ils peuvent avoir dans la démarche de changement de leur enfant. Pour obtenir leur collaboration, Pithers et Stickrod-Gray suggèrent de les aider à développer la croyance selon laquelle la reprise de pouvoir sur leur situation réside dans la bonne connaissance qu’ils ont du vécu de leur enfant et de sa dynamique abusive.
12À cette fin, l’intervention auprès des parents doit comprendre des sessions d’information sur la violence sexuelle, la victimisation, la dynamique de l’agresseur sexuel, le déni, la minimisation, les distorsions cognitives, la chaîne délictuelle et les principaux concepts de prévention de la récidive. Il importe que les parents soient informés des objectifs et des modalités du traitement, et ce, avant même qu’il débute. Comme le précisent Brault et Nadeau (2000), cela permet d’éviter toute forme de manipulation de la part du délinquant sexuel, ce qui aurait pour effet de monter les parents contre les intervenants sociojudiciaires. Les parents sont aussi invités à participer à une démarche de groupe avec d’autres parents, afin de développer des aptitudes adaptées à la situation difficile de leur adolescent et de mettre en place des moyens pour le soutenir et l’encadrer. Il est espéré qu’à la fin du traitement, les parents soient plus conscients de leurs responsabilités et qu’ils s’approprient le rôle « d’intervenants » qu’ils devront continuer d’exercer auprès de leur fils et de la fratrie.
13Dans une situation d’abus intrafamilial, cette dimension revêt un caractère particulier, en raison du nécessaire recadrage des règles du fonctionnement familial, des moyens de protection de la victime à mettre en place et de l’ouverture qu’il faut démontrer envers les émotions exprimées par chacun. L’intervenant stimule l’engagement des parents, car ils devront anticiper les situations à risque et planifier la vie de la famille en fonction de la sécurité de chacun de ses membres. Il est pertinent que les moyens envisagés pour l’encadrement et la surveillance par les parents soient mis en place et expérimentés avant la fin du traitement. En effet, cela pourra favoriser la généralisation des acquis et permettre d’effectuer, s’il y a lieu, les ajustements nécessaires avant que la routine familiale soit installée.
14Dans les cas de familles reconstituées, il est préférable qu’il y ait un échange entre les quatre adultes appelés à graviter autour de l’adolescent, afin qu’ils puissent partager leurs points de vue concernant les attitudes à adopter et, idéalement, en arriver à développer une vision commune.
15Les parents peuvent acquérir une certaine aisance en étant proactifs dans la surveillance des conduites de leur fils, en fonction de ses capacités à assumer adéquatement ses responsabilités et à maintenir des comportements appropriés.
stratégies d’intervention
16Au CJCA, l’intervention de groupe est la voie privilégiée pour le traitement des jeunes agresseurs sexuels. En principe, les rencontres de groupe doivent commencer peu de temps après le début de la prise en charge légale, afin que la durée du mandat laisse un temps significatif, après la fin du groupe, pour soutenir la généralisation des acquis. Idéalement, on privilégie une prise en charge globale de 18 mois (incluant au minimum six mois de suivi après la fin du groupe). Le dernier tiers doit servir à reprendre, sur une base individuelle, les thèmes de groupe qui, selon le bilan écrit des deux animateurs, ont moins bien été intégrés par le jeune.
17Il faut également considérer que plusieurs familles, une fois l’intervention de groupe terminée, « encapsulent » en quelque sorte les événements et n’y font plus allusion. On doit leur expliquer que la gestion du risque de récidive passe par l’intégration des concepts, leur mise en application et le fait d’apprendre à vivre avec les événements sans les oublier. Par exemple, par rapport au scénario conduisant à l’agression sexuelle, le jeune et ses parents peuvent apprendre à identifier la situation et les émotions vécues qui ont mené à l’agression. Il est important, pour la suite des choses, de faire des liens spécifiques avec la situation du jeune afin qu’il soit capable, si une situation ou des émotions similaires l’habitent à nouveau, de freiner son scénario et de trouver des alternatives.
18Chaque rencontre prévue avec l’intervenant social ou l’éducateur impliqué est perçue comme un moment privilégié pour réviser et intégrer les concepts vus lors des rencontres de groupe. Un cahier a été élaboré afin de soutenir les intervenants dans ce travail plus personnalisé avec le jeune et les parents appelés à approfondir certains aspects du traitement. Le contenu des rencontres individuelles est agencé en fonction des activités ou des thèmes abordés dans les interventions de groupe. Les moments d’échange ont lieu toutes les quatre semaines.
Contenu des ateliers destinés aux adolescents
19Le programme réalisé avec les jeunes au CJCA comprend 16 ateliers, chacun traitant d’un thème spécifique.
20Thème 1 : Connaissance de soi et travail en groupe. Les animateurs rappellent les objectifs de l’intervention de groupe, puis les jeunes se présentent pour développer une relation de confiance et reconnaître l’intérêt de travailler ensemble sur une problématique commune. Les parents participent à cette première rencontre. Ils peuvent se familiariser avec les autres membres du groupe et apprendre quelles seront les règles de fonctionnement et les activités.
21Thème 2 : Information légale. Les animateurs rappellent les lois qui régissent les comportements sexuels, et expliquent aux jeunes les liens entre ces lois et les valeurs de la société. Les participants sont ainsi amenés à saisir les interdits en matière de sexualité et à faire le lien avec leur propre inconduite.
22Thème 3 : Sexualité, physiologie et psychologie. Les animateurs échangent avec les jeunes à propos de la sexualité, de la physiologie sexuelle et de la psychologie masculine ou féminine. Les participants peuvent ainsi aborder des questions relatives à la sexualité avec des adultes compétents et corriger des perceptions erronées.
23Thème 4 : Les problématiques associées. Les animateurs invitent les membres à identifier, à partir des difficultés rencontrées dans leur vie, ce qui a pu provoquer la commission du geste reproché. Les jeunes envisagent des moyens ou des mesures pour contrer ces problématiques associées.
24Thème 5 : Négation et erreurs de pensée. Les animateurs amènent les jeunes à comprendre que la négation est un mécanisme de défense qui peut s’avérer néfaste dans les relations personnelles. Les participants sont amenés à prendre conscience de leur responsabilité dans les gestes posés. Ils sont invités à développer des rapports honnêtes avec leur entourage.
25Thème 6 : Erreurs de pensée et pré-conditions à l’abus sexuel. Les animateurs précisent les indices du processus de passage à l’acte dans l’inconduite sexuelle, afin que les jeunes soient en mesure de les identifier à l’avenir. Les jeunes reconnaissent les quatre étapes qui conduisent à l’agir déviant : la motivation, les barrières externes, les barrières internes et la résistance de la victime.
26Thèmes 7 et 8 : « Mon dévoilement » (1re et 2e parties). Les animateurs soutiennent et guident les participants dans le dévoilement devant le groupe de l’agression sexuelle qu’ils ont commise. Chaque jeune est appelé à s’exprimer verbalement, en lien avec les éléments théoriques retenus, sur les principales étapes et conditions préalables qui l’ont amené à poser un geste violent.
27Thème 9 : Impact de l’inconduite sexuelle sur la victime. Les animateurs s’appuient sur le témoignage d’une ex-victime pour sensibiliser les participants aux conséquences d’une agression sexuelle. Il est question de ce que la victime a pu subir, et ce, aux différentes étapes de sa vie. Les jeunes doivent identifier les messages de non-consentement que leur victime a pu livrer lors du délit.
28Thème 10 : Lien avec ma propre victime. Les animateurs poursuivent les réflexions amorcées à la rencontre précédente, afin que les jeunes puissent développer de l’empathie à l’endroit de leur propre victime. Ils doivent ainsi reconnaître les signes avant-coureurs de leur inconduite sexuelle et faire le lien avec ce qui s’est passé avec leur victime.
29Thèmes 11 et 12 : Cycle de l’abus et erreurs de pensée (1re et 2e parties). Les animateurs définissent le cycle de l’abus, avec ses différentes étapes, et les erreurs de pensée qui l’accompagnent. Les adolescents doivent appliquer ce cycle à leur propre agression et identifier toutes les erreurs de pensée qui s’accumulent pour mener à l’abus sexuel.
30Thèmes 13 et 14 : Plan de prévention de la récidive (1re et 2e parties). Les animateurs proposent aux jeunes de construire leur propre plan de prévention de la récidive. Ils doivent être en mesure d’identifier les signaux d’alerte qui peuvent annoncer une situation à risque élevé. Ils doivent également choisir des moyens concrets pour y remédier et ainsi prévenir la récidive.
31Thème 15 : Étapes pour me responsabiliser en tant qu’abuseur sexuel. Les animateurs proposent aux jeunes de consolider leur responsabilité par rapport au geste de violence sexuelle posé. Pour ce faire, chacun fait une révision de tous les éléments appris durant son cheminement au sein du groupe.
32Thème 16 : Échange parents-adolescents sur la compréhension du cycle de l’abus et sur le plan de prévention de la récidive. Les animateurs des deux groupes organisent un entretien entre le jeune et ses parents, afin qu’ils puissent mettre en commun les connaissances acquises sur le cycle de l’abus et le plan de prévention. L’adolescent verbalise à ses parents les particularités de son cycle de l’abus sexuel et leur précise le plan réaliste de prévention de la récidive qu’il entend mettre en application dans son milieu de vie, avec leur appui et leur accompagnement.
33Selon Longo et Prescott (2006), le développement d’une saine sexualité doit constituer une partie des programmes destinés spécifiquement aux auteurs d’infractions sexuelles. Les ateliers offerts dans le programme du CJCA se sont notamment inspirés d’une telle approche.
Contenu des ateliers destinés aux parents
34Avec les parents, le programme du CJCA prévoit cinq rencontres, chacune explorant un thème particulier. Tous les exercices et les techniques impliquant un cheminement à réaliser avec les parents sont définis explicitement dans la section portant sur les activités de groupe.
35Thème 1 : La communication après la divulgation. Les animateurs sensibilisent les parents aux effets que tous ont ressentis à la suite du dévoilement d’un abus sexuel dans la famille. Les parents partagent leurs sentiments et leurs craintes par rapport aux agissements de leur enfant, et ils prennent conscience de l’importance de maintenir une bonne communication avec leur jeune.
36Thème 2 : Cheminer avec mon adolescent. Les animateurs amènent les parents à reconnaître la nécessité d’accompagner leur fils au cours de la démarche entreprise avec le groupe d’adolescents. Les parents acquièrent des connaissances sur le cycle de l’abus sexuel et sur les moyens à mettre en place pour éviter les récidives.
37Thème 3 : Impact de l’inconduite sexuelle chez la victime. Les animateurs s’appuient sur le témoignage d’une ex-victime pour sensibiliser les participants aux conséquences de l’agression sexuelle. Les parents sont amenés à reconnaître les messages de non-consentement que la victime a pu transmettre à son agresseur, et ils sont en mesure de saisir et de mieux comprendre les séquelles et les traumas qui peuvent encore marquer son expérience.
38Thème 4 : Lien entre le témoignage d’une ex-victime et la situation de mon adolescent. Les animateurs favorisent l’expression des sentiments des participants après le témoignage d’une personne ayant été victime d’agression sexuelle, et ils les soutiennent dans ce que cela leur fait vivre. Les parents peuvent ainsi faire des liens entre le témoignage entendu et la situation de leur jeune avec sa propre victime.
39Thème 5 : Continuer à vivre avec mon fils ou ma fille. Les animateurs réitèrent aux parents l’importance de poursuivre le dialogue entrepris avec leur enfant, et ils leur demandent de participer à une rencontre conjointe avec lui pour qu’ils puissent assurer la généralisation des acquis après les rencontres de groupe. À la suite de l’échange avec leur jeune, ils identifient les étapes du cycle de l’abus qui ont pu influencer sa conduite et les moyens qu’il doit prendre pour ne plus récidiver. Les animateurs précisent alors leurs attentes en regard de la surveillance à exercer et du maintien des moyens préconisés par leur enfant.
principaux éléments du processus clinique
40Le programme d’intervention pour les adolescents ayant des troubles de comportement d’ordre sexuel repose sur un certain nombre de principes théoriques. Toutes les actions posées dans le traitement devraient s’articuler autour des trois axes suivants : reconnaissance du problème, apprentissage et acquisition d’outils, prévention de la récidive.
Reconnaissance du problème
41Afin d’amener le jeune délinquant sexuel à entamer une démarche introspective quant à ses comportements, il apparaît essentiel d’aborder la reconnaissance du problème. Le jeune doit être amené à reconnaître les gestes qu’il a posés, à accepter sa part de responsabilité et à vouloir entreprendre une démarche personnelle pour changer. Selon Brault et Nadeau (2000, p. 289-291) : « … pour être efficace dans cette démarche, l’intervenant doit saisir l’origine des résistances du client […] Sa négation peut résulter d’une crainte pour l’image personnelle, advenant une reconnaissance de l’abus […] L’abuseur peut craindre ses propres tendances suicidaires s’il reconnaissait les gestes posés. Il peut également refuser de renoncer au plaisir qu’il retire des actes déviants. Enfin, il peut avoir peur du changement ou tout simplement, ne pas croire en ses capacités de changement parce que son problème lui apparaît trop complexe. Il est préférable dans un tel cas de fixer des objectifs faciles à atteindre […] L’intervenant doit, tout au long de la mesure, relancer la demande d’aide. »
42Dans le même esprit, l’adhésion claire des parents au cheminement de l’adolescent apparaît essentielle. En effet, les parents peuvent influencer significativement la démarche proposée à leur jeune ou réajuster leur contrôle lorsque ce dernier banalise les actions à poser dans son milieu de vie.
43L’étape initiale du traitement est l’identification des besoins d’accompagnement du jeune et de ses parents, ainsi que l’évaluation des capacités personnelles des uns et des autres pour résoudre le problème. Chacun doit être en mesure de saisir les inconforts que la situation d’abus leur fait vivre. En effet, la reconnaissance d’un problème ou d’un malaise suscite habituellement le désir de s’investir dans une relation thérapeutique plus soutenue pour amoindrir les difficultés ressenties. Le jeune est alors sensibilisé au parcours qu’il devra franchir pour bénéficier de plus d’autonomie et de responsabilité dans son milieu de vie.
44La première rencontre avec l’adolescent est habituellement personnalisée. Les objectifs et les cibles d’intervention sont déterminés par l’intervenant responsable du suivi, en collaboration avec lui et ses parents. Cela doit se faire en fonction des étapes cliniques à franchir au regard de la problématique sexuelle : reprise du contrôle de soi face à la sexualité déviante, développement du sentiment d’empathie à l’endroit de la victime et préparation d’un plan de prévention de récidive. L’intensité de l’intervention sera établie en fonction du besoin d’encadrement, de la motivation et de la disponibilité à recevoir l’aide. Il est important d’assurer une transparence et une communication constantes entre les principaux dispensateurs de la démarche, afin de maintenir une continuité et une congruence entre ce qui est fait en groupe et ce qui est abordé plus spécifiquement, au niveau individuel. Cette alliance permet de souligner les progrès réalisés par le jeune, de soutenir l’implication des parents et de consolider les notions acquises pendant toute la durée du traitement.
Apprentissage et acquisition d’outils
45L’approche requiert de la part des intervenants qu’ils s’investissent dans une relation éducative pouvant favoriser l’amélioration des connaissances chez le jeune et susciter la mise en place, dans sa vie, de moyens pour contrôler une sexualité naissante et déviante. Le travail enclenché auprès des parents s’inscrit dans la même philosophie d’intervention, soit les conscientiser et les outiller suffisamment pour qu’ils puissent exercer adéquatement l’encadrement auprès du jeune et appliquer, s’il y a lieu, les correctifs appropriés. Pour ce faire, les intervenants doivent tenir compte des composantes suivantes :
46Développement et entraînement aux habiletés sociales. Brault et Nadeau (2000) précisent que le traitement doit comprendre un module d’entraînement aux habiletés sociales devant permettre à l’abuseur sexuel de compenser les déficits ou les excès qui l’empêchent de développer ou de maintenir des relations avec ses pairs de manière socialement acceptable. L’agresseur sexuel doit acquérir des habiletés dans l’établissement d’un premier contact, la communication et l’expression des sentiments. Une attention particulière est portée aux habiletés impliquées dans les relations intimes ou hétérosexuelles.
47Connaissance et respect des règles. Une particularité de la dynamique de l’abuseur est la propension à déroger aux règles de vie, d’où la nécessité de l’informer adéquatement sur la notion de frontière et de s’assurer qu’il l’applique et la respecte dans la vie courante. Les intervenants doivent être vigilants et sensibles à cet aspect du traitement. Ils doivent questionner le jeune régulièrement sur le respect ou non des directives préconisées par les parents et sur les consignes établies dans son milieu de vie. À la suite des interventions de groupe, le jeune et les parents sont plus sensibilisés aux interdits qui régissent les comportements sexuels et ils sont appelés à s’y confronter régulièrement lorsque la victime gravite dans le milieu familial.
48Connaissance et apprentissage des notions sur la sexualité. Chez les jeunes agresseurs, on dénote de sérieux déficits en regard des connaissances liées à la physiologie sexuelle et autres dimensions de la vie sexuelle. Brault et Nadeau insistent sur le fait que l’abuseur doit non seulement acquérir des connaissances spécifiques (anatomie, grossesse, moyen de contraception, MTS, etc.), mais aussi défaire certains mythes autour de la sexualité. D’autres dimensions de la sexualité, tels les attitudes, les sentiments et les valeurs (respect de soi et de l’autre, relations égalitaires et consensuelles, stéréotypes, etc.) sont également abordées. Dans le traitement, il est nécessaire d’amener le jeune à acquérir de nouvelles connaissances sur un comportement sexuel adéquat. Les parents ont également besoin d’être renforcés et appuyés dans leur rôle d’éducateurs, car la communication avec leur enfant est souvent déficiente sur ce sujet.
49Correction des autres difficultés éprouvées par le jeune. L’agresseur sexuel mineur vit parfois des difficultés dans d’autres sphères de sa vie, ce qui le mobilise quotidiennement et le rend peu réceptif à recevoir de l’aide. Il est nécessaire de lui faire prendre conscience de l’influence de ces difficultés sur son fonctionnement actuel et sur son inconduite sexuelle. Les parents doivent être également sensibilisés à cette réalité pour pouvoir intervenir adéquatement et réagir positivement.
50Responsabilisation par rapport à ses actes et affirmation de soi. Les adolescents agresseurs sexuels sont souvent perçus comme des personnes peu portées vers l’introspection ou la verbalisation des émotions. Certains d’entre eux, qui ont des réactions plus extériorisées, passeront à l’acte pour camoufler leurs malaises ou leurs difficultés à entrer en relation avec autrui. Toujours selon Brault et Nadeau (2000), le délinquant sexuel doit prendre conscience de son style relationnel (passif, agressif, passif/explosif ou manipulateur) et faire l’apprentissage d’habiletés menant à l’affirmation de soi. Dans ce contexte, il est utile de prioriser le concept de responsabilité individuelle, qui passe généralement par l’expression des sentiments. Cela sous-entend que le jeune doit faire l’apprentissage d’habiletés menant à son affirmation de soi.
51Compréhension de ce qui conduit le jeune à abuser. Il est essentiel que le traitement comporte une tentative de compréhension de l’agir déviant, en vue d’amener le jeune à saisir ce qui a pu se passer lors de la commission de ses gestes répréhensibles et pour qu’il puisse en identifier les signes précurseurs permettant d’échapper à une reproduction de ces mêmes gestes. Sensibilisés à ces nouvelles notions, les parents seront plus en mesure de reconnaître les conditions conduisant à l’abus sexuel et d’intervenir adéquatement auprès de leur fils.
52Développement de l’empathie pour la victime. Dans le cadre du traitement à réaliser avec les jeunes agresseurs, il importe aussi d’aborder les impacts vécus par une victime. Le jeune doit être amené à développer des attitudes empathiques à l’endroit de la victime. Les parents sont associés à cette démarche de sensibilisation, afin de pouvoir accompagner et soutenir leur enfant. Cela constitue parfois un défi, car des parents protecteurs ont tendance à rejeter sur la victime au moins une partie de la responsabilité du geste survenu.
53Rétablissement de la communication parents-enfant. Les activités prévues prennent leur enracinement dans le rétablissement de la communication entre les parents et l’adolescent. En effet, cette communication est souvent notée par les intervenants comme déficiente dans les milieux où l’agression sexuelle est survenue, en raison des tabous, du silence établi, des interdits et de la culpabilité ressentie. Elle devient donc un angle de traitement à encourager et à soutenir dans la restauration du lien de confiance entre eux. La démarche de groupe est un moment privilégié et propice pour enclencher le dialogue et réduire les sources de tension dans le processus relationnel.
Prévention de la récidive
54Le troisième axe retenu dans le cadre du traitement est lié aux éléments entourant la planification et le maintien d’un plan de prévention de la récidive du jeune dans son milieu de vie. Cette modalité thérapeutique est un prérequis essentiel et nécessaire à la reprise du contrôle de la conduite déviante. Comme l’expliquent Brault et Nadeau, pour mettre en œuvre son plan de prévention de la récidive, l’agresseur sexuel doit établir sa chaîne délictuelle et son cycle d’abus. Il doit identifier les éléments déclencheurs (traits de personnalité, conflits), les éléments précipitants (état émotif négatif), les fantasmes sexuels, les distorsions cognitives, les plans conscients pour abuser et les situations à risque qui ont conduit au passage à l’acte déviant. Le but de l’intervention est de permettre à l’abuseur de s’approprier les moyens pour exercer un autocontrôle sur les facteurs qui contribuent au passage à l’acte déviant, donc à la récidive. Le plan comprend également des interventions dans l’environnement social (famille, réseau social) du délinquant, afin de mettre sur pied un système de contrôle externe. À la suite de la nouvelle structuration de sa pensée, le jeune doit formuler un plan de prévention de la rechute pour l’actualiser dans son milieu de vie, à partir des moyens privilégiés et adaptés devant protéger éventuellement les victimes. Les parents sont sensibilisés à ce plan, afin qu’ils le valident et qu’ils puissent encadrer leur enfant, s’il y a lieu. Ce dernier volet de la démarche entreprise avec l’adolescent est essentiel pour la reprise de son autonomie fonctionnelle au sein de la famille.
55Validation et réajustement continuel du plan de prévention de récidive. Le plan de prévention de la récidive est présenté aux parents pour qu’ils le valident. Ils sont donc sensibilisés aux moyens que le jeune entend prendre pour ne plus récidiver et sont ainsi en mesure de le soutenir et de lui faire des suggestions quant à sa réalisation concrète. Les parents sont encouragés à réviser régulièrement le réalisme de ce plan avec leur fils, quitte à proposer des ajustements si un risque de récidive survient. Le plan n’est jamais définitif et il doit être ajusté constamment. L’intervenant social en est informé afin de pouvoir interagir avec les acteurs sur leur degré de satisfaction ou sur leurs différends respectifs face à son implantation.
56Identification d’une personne de référence. Durant le traitement, l’intervenant doit accorder une attention particulière à l’identification d’une personne de référence, fiable et professionnelle, avec laquelle le jeune développe un lien significatif. Avec elle, il doit pouvoir aborder ses affects, fantaisies, pensées ou émotions, après son implication dans le groupe et à la fin des services du centre jeunesse. Le maintien d’un tel lien permet au jeune d’avoir un accès direct à une personne ressource susceptible de l’entendre et de le soutenir dans son milieu de vie sur les différentes dimensions de la dynamique d’agression sexuelle, et ce, dans les moments les plus à risque. Les parents sont encouragés à soutenir cette initiative, afin de donner à leur fils un lieu d’expression neutre qui ne soit pas trop confrontant pour lui. Par ricochet, cela pourra diminuer le potentiel de risque de récidive et protéger d’autres victimes potentielles.
57Contrôle des occasions externes. Le cheminement effectué par l’adolescent et les parents permet d’identifier les prédispositions à l’agression sexuelle. Certaines sont directement reliées à des circonstances extérieures, d’où la nécessité d’intervenir sur ces facteurs pour éliminer le potentiel de risque de récidive. L’intervenant est attentif aux opportunités qui se présentent dans la vie du jeune client, et il l’aide à y mettre un frein en ayant avec lui une attitude ferme et aucunement collusoire. Certaines activités déjà effectuées par l’adolescent dans le passé deviennent nettement prohibées dans une conduite préventive d’agression sexuelle, entre autres, le gardiennage et le visionnement de films érotiques. Les parents peuvent exercer une influence sur les occasions externes et agir directement sur les facteurs de risque.
58Le rétablissement du lien avec la victime. Le dévoilement de l’agression sexuelle génère diverses conséquences au sein de la famille de l’agresseur. Ces impacts sont amplifiés lorsqu’il s’agit d’un abus intrafamilial. Quelles que soient les circonstances entourant jusque-là les liens de l’agresseur avec la victime, l’intervenant doit déterminer avec le jeune et ses parents la nature du lien à rétablir et à entretenir avec elle, que ce soit dans un contexte familial ou autre. Selon Aubut et al. (1993), les séquelles psychologiques et physiques laissées, autant pour la victime que pour l’abuseur, se répercutent dans diverses manifestations de comportements plus ou moins adéquates, qui sont souvent incomprises de l’entourage. Elles méritent d’être explorées en vue d’entamer le processus de réparation et de libération. À cette étape, il faut éviter les ambiguïtés au niveau des sentiments de chacun, comprendre les manifestations silencieuses ou agressives de la victime ou de l’agresseur, redéfinir les règles de fonctionnement interne et externe à la famille, actualiser la démarche de pardon envers la victime et assurer sa protection future. Cet échange doit se réaliser concrètement en présence des personnes concernées, qui sont en mesure de vivre et d’expérimenter cette transition volontairement, dans un climat soutenu et compréhensif. Ce rétablissement du lien agresseur-victime doit être largement soutenu par les parents, pour permettre de redéfinir la relation et ainsi de favoriser l’expression ouverte des émotions entre les parties. L’intervenant reste toutefois le maître d’œuvre de toute cette démarche de concertation et de conciliation, établie en rapport avec les motivations de chacun.
le suivi en réadaptation
59Le placement d’un jeune abuseur en unité de réadaptation constitue une mesure de protection utilisée dans les situations où il requiert un niveau d’encadrement que ne peut assurer un milieu de type familial. Cette mesure prend en compte les besoins du jeune, les risques de récidive et la gravité objective des gestes posés.
60L’intervention auprès des agresseurs qui se retrouvent en unité de réadaptation s’inspire du présent programme. Les éducateurs impliqués s’associent à l’intervenant responsable du suivi du jeune et de sa famille et apportent leur expertise pour la poursuite des objectifs de traitement prévus. Il est important, dès le début de la prise en charge, d’établir un travail de concertation et de cohésion en y associant l’adolescent et sa famille. La réinsertion familiale et sociale du jeune se réalisera dans le cadre des dispositions prévues par l’une ou l’autre des lois concernées (LSJPA ou LPJ).
61Des services de réadaptation en externat peuvent aussi être mis à contribution pour aider le jeune et ses parents dans le cadre d’un suivi en milieu de type familial. Tout en s’inspirant du présent programme, les services externes de réadaptation cibleront particulièrement le respect des règles, le développement des habiletés sociales et l’établissement d’un régime de vie approprié.
composition et fonctionnement de l’équipe requise
62L’équipe de base est constituée de quatre intervenants : deux qui animent les sessions avec les jeunes agresseurs et deux autres qui animent les sessions avec les parents de ces derniers. Ils peuvent être présents tous les quatre lors des rencontres où les jeunes et leurs parents sont mis en présence pour certains échanges. À cette équipe de base se joint parfois (hors de la présence des jeunes ou des parents) un conseiller de la direction des services professionnels pour aider à l’évaluation ou au monitorage du programme. Des liens formels sont aussi créés par les animateurs avec les intervenants qui assurent le suivi des usagers, afin que l’évolution du jeune dans le groupe soit prise en compte par ces intervenants dans leurs interventions individuelles ou familiales et dans les rapports qu’ils rédigeront (par exemple, le rapport prédécisionnel). Une personne ayant déjà été victime d’agression sexuelle est souvent aussi sollicitée afin de présenter aux adolescents un témoignage de son vécu, de ses angoisses et des effets de l’agression sur sa vie personnelle et familiale.
évaluation et autres travaux de recherche
63Aucun plan formel d’évaluation relatif à l’implantation du programme et de ses résultats n’est mis en place. Les intervenants impliqués dans la programmation possèdent la rigueur pour réviser quotidiennement leur pratique, en remettant fréquemment en question les modalités d’intervention et l’efficacité du traitement. Depuis plusieurs années, ils se montrent soucieux de suivre l’évolution des recherches et de perfectionner les assises théoriques de l’approche, en fonction des nouvelles découvertes et des expérimentations dans le travail exécuté avec cette clientèle.
64Lors des premières années d’expérimentation, l’établissement utilisait trois instruments de mesure (échelle de satisfaction personnelle, échelle d’élévation des connaissances et changements de croyance, mesure de la croissance personnelle), qui étaient administrés, avant et après le groupe, pour apprécier le degré de changement survenu chez les adolescents. Ils furent délaissés par la suite devant le constat de similitude des progrès observés à partir des divers tests. En 2002, Laplante observait que « les participants et leurs parents traduisent un haut taux de satisfaction et certains souhaitent le maintien du programme dans son intégralité à cause des apprentissages réalisés ». En 1999, il avait déjà proposé des conclusions semblables à propos du degré de satisfaction des jeunes en lien avec les thèmes abordés lors des ateliers en précisant que « le bilan s’avère significatif et positif et il se dégage une grande satisfaction vécue par les participants, suite au cheminement entrepris dans les groupes ».
65Afin d’uniformiser la pratique entre les différentes équipes d’animation des groupes, l’établissement a toujours maintenu un processus d’évaluation léger, qui consiste à faire un bilan à la fin de chaque expérience de groupe réalisée avec les jeunes et les parents. De plus, à toutes les étapes du processus clinique, que ce soit la référence, l’intégration du jeune dans le groupe, l’action proprement dite ou lors de l’évaluation finale, les animateurs font de brèves évaluations pour s’assurer d’être sur la bonne voie ou pour faire les ajustements appropriés.
66Une des particularités du programme est que les évaluations hebdomadaires ont une certaine flexibilité, car, après chaque rencontre, les animateurs réajustent leurs interventions selon les thèmes à aborder, les objectifs à atteindre et les besoins spécifiques à combler. À la fin de chaque expérimentation de groupe, les animateurs partagent les résultats individuels avec le jeune et les parents, et ils notent simultanément ce qui pourrait être mis en place pour éviter une récidive. Par la suite, les animateurs résument, dans un bilan personnalisé écrit qui sera remis à l’intervenant responsable du suivi, les observations concernant l’évolution du jeune et des parents.
67À l’été 2003, le CJCA a procédé à une étude (Côté, 2004) dont l’objectif était de brosser un portrait des jeunes qui fréquentent les groupes d’abuseurs mineurs au CJCA, et ce, en vue de procéder à des ajustements dans le programme. Les résultats ont montré que, contrairement à la recension des écrits de Lagueux et Tourigny (1999) où « 45 % des familles sont monoparentales », les participants aux groupes du CJCA évoluent de façon équivalente entre le milieu familial biparental, le centre de réadaptation interne et la famille monoparentale. Ces jeunes étaient majoritairement aux études et ils en étaient à leur première participation au groupe. On a observé qu’ils présentaient des difficultés autres que la dynamique sexuelle, c’est-à-dire le manque d’habiletés sociales, la violence et l’agressivité ou les problèmes scolaires.
68Le portrait fourni par cette étude se rapprochait sensiblement de celui proposé par Soucy et Mireault (2001) quant à l’âge où les jeunes font leurs inconduites sexuelles (13-15 ans), le type de gestes reprochés (attouchements sexuels ou masturbation), les moyens utilisés pour contraindre la victime (coercition morale, ruse ou coercition physique) et le contexte de l’agression (50 % en milieu familial). Les victimes étaient en majorité de sexe féminin et elles avaient un écart d’âge de cinq ans et plus avec l’agresseur. Les adolescents posaient leur geste en étant seuls avec la victime et ils reconnaissaient partiellement leurs inconduites. L’étude soulignait aussi l’incidence de la victimisation sexuelle vécue par le jeune ou par un autre membre de la famille et confirmait que près d’un jeune sur quatre (18,3 %) était dans un cycle intergénérationnel d’agression sexuelle.
69Cette étude fut l’occasion de connaître les adolescents qui fréquentent les groupes, de baliser les enjeux cliniques de l’intervention, de convenir d’une philosophie de travail à instaurer avec les intervenants et d’établir les prémisses d’un sujet de recherche à convenir, à plus long terme, avec un institut universitaire ou une équipe de recherche.
caractère novateur du programme
70Mis à part des groupes communautaires (comme Parents-Unis Repentigny-Lanaudière) ou certaines cliniques spécialisées (comme celle du centre hospitalier Robert-Giffard ou du Centre d’intervention en délinquance sexuelle de Laval), peu d’établissements voués à la protection sociale des jeunes expérimentent de façon récurrente un programme destiné aux agresseurs sexuels mineurs. Moins encore ont mis sur pied un groupe de parents d’agresseurs (sauf le Centre d’intervention en abus sexuel pour la famille de Gatineau) ayant certaines interfaces avec le groupe de jeunes dont fait partie leur propre enfant. L’étude de Lafortune et ses collègues (2007) a montré que de façon générale, dans les neuf centres de traitement visités au Québec, les interventions offertes aux parents sont rares, et ce, même si tous les répondants interrogés considéraient qu’il devrait s’agir d’une priorité.
71De leur côté, Gagnon et Tremblay (2007) rapportent aussi que l’ensemble des cliniciens et chercheurs s’intéressant aux garçons et filles âgés de 6 à 12 ans qui manifestent des comportements sexuels inadaptés s’entendent pour dire que l’implication des parents dans l’intervention est un facteur essentiel de réussite. Ces auteures estiment que l’approche cognitive comportementale peut être un apport précieux puisqu’elle vise à améliorer les compétences parentales, en aidant les parents à adopter des attitudes et des pratiques éducatives qui favorisent la diminution des comportements perturbateurs chez leur enfant.
72La pertinence de l’implication des parents et de leur association dans l’intervention a été démontrée notamment par Lagueux et Tourigny (1999), selon qui les agressions sont commises, dans une forte proportion, sur des membres de la famille immédiate ou élargie. Compte tenu de leur âge, les jeunes sont particulièrement tributaires de la dynamique familiale. Plusieurs de leurs actes semblent avoir des enjeux familiaux importants (agressions commises de manière impulsive après une dispute familiale, colère et révolte face à certaines impasses familiales, déplacement de l’agressivité, besoin d’attention, etc.). Les auteurs affirment que plusieurs des familles concernées doivent être supervisées, afin de définir plus clairement les rôles et les limites de chacun de ses membres, d’assurer des modalités de contrôle du jeune, et d’améliorer la communication et l’expression des attentes réciproques. Ils ajoutent qu’elles peuvent avoir besoin de soutien et d’information pour comprendre la nature des actes commis et désamorcer un sentiment de culpabilité qui les empêche d’agir.
73Depuis la mise sur pied des groupes de parents par le centre jeunesse dans la région Chaudière-Appalaches, leur présence régulière aux activités ne s’est pas démentie et un taux de participation assez élevé a été observé. La littérature scientifique soutient l’idée que l’intérêt des parents à comprendre le phénomène de l’agression sexuelle et les stratégies permettant d’écarter une récidive éventuelle est profitable. La transformation de parents hébétés, révoltés ou paralysés en acteurs aptes à agir efficacement contre la récidive et capables de renouer une relation positive avec leur adolescent est un élément marquant et susceptible d’avoir un impact positif sur la récurrence des gestes d’agression sexuelle. Le programme a été réalisé assez souvent pour que soit démontrée la capacité des intervenants des centres jeunesse à acquérir et à actualiser une expertise qui aurait pu sembler réservée à des cliniques spécialisées, et plus coûteuses.
Bibliographie
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références
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Notes de bas de page
1 Le CJCA est le produit du décret gouvernemental qui a séparé la région de Québec en deux en créant une nouvelle région sur la rive sud du Saint-Laurent.
Auteurs
Coordonnateur de la promotion et du contrôle de la qualité des services, CJCA
Conseillère à la DPJ, CJCA
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