5. Des racines et des ailes : un programme d’aide aux familles en situation de négligence
p. 105-126
Texte intégral
Des racines et des ailes est un programme d’aide aux familles qui s’adresse aux parents et aux enfants âgés de 0 à 11 ans qui présentent une problématique de négligence signalée dans le cadre de la Loi sur la protection de la jeunesse. Le programme a été conçu pour tenir compte de la sévérité des situations de négligence et de la diversité des besoins des familles. Il se base sur les approches théoriques de l’attachement, de l’intégration sociale et du modèle écologique et sur la perspective développementale. Il a été élaboré de telle sorte que les intervenants aient des repères simples et clairs, qui se traduisent de façon opérationnelle, pour leur permettre d’intervenir dans des situations complexes. Une offre de service intégrée permet d’offrir plusieurs modalités d’aide aux familles.
1Le programme Des racines et des ailes offre un cadre clinique précis qui définit tout le processus d’intervention, de l’évaluation à la fin de l’intervention. L’évaluation des familles permet de bien cerner les besoins des enfants et des parents. L’identification du niveau de gravité de la problématique détermine l’intensité d’intervention requise. L’intervention individuelle, de groupe, le modeling, l’entrevue et l’accompagnement assurent des modalités d’intervention variées. La motivation au changement est un objet d’intervention. Les interventions visent à favoriser la collaboration, la reprise du pouvoir par les parents, la recherche de solutions et l’utilisation des forces. Dès le début de l’intervention, les parents et les enfants sont accompagnés pour connaître et utiliser les ressources de la communauté. La collaboration de chacun des partenaires contribue à soutenir la famille et à développer de nouvelles habiletés. Trois axes d’intervention sous-tendent Des racines et des ailes : assurer la sécurité physique de l’enfant ; encourager la poursuite ou la reprise du développement de l’enfant et des compétences parentales, et ; améliorer l’état psychologique des parents et favoriser l’intégration dans la communauté.
2Différentes programmations viennent soutenir l’intervention et enrichir les services offerts aux familles. L’organisation du travail des intervenants répond à leur besoin de sortir de l’isolement et de l’impuissance devant l’ampleur des difficultés de la clientèle. Les intervenants sont regroupés en unités d’intervention ; ils mettent en commun leurs compétences et se partagent les interventions auprès des familles en fonction des besoins de celles-ci.
mise en contexte et objectifs
3En 2004, un groupe de développement a été mandaté pour élaborer et mettre en place un programme pour la clientèle des enfants de 0 à 11 ans en négligence et un modèle d’organisation du travail pour les équipes enfance à l’application des mesures1. La contribution des intervenants, des gestionnaires, des conseillers aux programmes et des chercheurs a assuré l’élaboration et l’implantation du programme Des racines et des ailes. Dans un premier temps, il s’est appliqué uniquement aux enfants âgés de 0 à 5 ans. À la toute fin de 2006, il a été généralisé à la clientèle des jeunes âgés de 6 à 11 ans. Il constitue maintenant la base clinique de l’ensemble des interventions et de la programmation du CJM-IU pour la totalité de la clientèle enfance. Pour soutenir son implantation, différents moyens ont été offerts : animation auprès du personnel, ajout de chargés de projet, diminution de la charge de travail pour permettre de donner de l’intensité à l’intervention, ajout d’adjoints cliniques, rédaction de cadres de référence et de guides de soutien à la pratique pour les 0-5 ans et pour les 6-11 ans, production de matériel d’animation des rencontres cliniques et utilisation d’outils cliniques.
4L’actualisation du programme aura contribué à bien préparer les intervenants à répondre aux exigences de la Loi révisée sur la protection de la jeunesse. Le processus clinique inhérent au programme permet une analyse rigoureuse des situations, aide à mieux cibler les actions à poser, et assure rapidement la mise en place des services. Partant, les enfants et les parents bénéficient d’un soutien accru.
5Une réponse intensive, rapide et diversifiée à une clientèle vulnérable et en grand besoin. Dès le début de l’intervention, la famille est accompagnée de façon intensive dans une approche de recherches de solutions et de travail à partir des forces de chacun. Le niveau de gravité de la problématique est déterminé à partir d’observations des caractéristiques des enfants et des parents. Une intensité d’intervention lui est associée et des normes de pratique guident la prestation de service. Le programme permet d’offrir plusieurs modalités d’intervention. Les familles bénéficient dès lors d’une offre de service de prise en charge à multiples composantes. Tous les efforts sont déployés rapidement pour assurer, le plus possible, le maintien de l’enfant dans son milieu.
6Des interventions pour mobiliser la clientèle. Mobiliser les familles constitue un défi de taille avec une clientèle qui présente de multiples besoins, pour laquelle le stress du signalement de l’enfant s’ajoute aux nombreux stress déjà présents, et qui éprouve souvent de la méfiance envers les intervenants. Le programme prévoit des interventions précises pour faire cheminer la clientèle en regard de sa motivation, et ce, en vue d’assurer une progression dans le processus de préparation au changement.
7Des repères communs pour les intervenants et une intervention plus cohérente auprès des familles négligentes. Quels que soient les intervenants appelés à venir en aide à la famille, ils utilisent les mêmes repères et leurs pratiques sont semblables tout en étant personnalisées. Le fait de définir des axes d’intervention permet d’accompagner les parents de façon précise, en graduant les défis.
8Un modèle d’organisation du travail en cellule d’intervention actualisé dans toutes les équipes enfance. Compte tenu des défis associés au traitement de la négligence, pour les intervenants et pour la clientèle, une modalité de travail en cellule d’intervention doit être implantée. Le travail en cellule d’intervention, que nous verrons plus loin, permet qu’il y ait un partage des tâches à réaliser auprès de la famille. Le travail d’équipe permet ainsi de mieux soutenir la famille et de fournir une intensité accrue d’intervention. Ce faisant, les intervenants participent à un projet clinique motivant. Ils se sentent moins isolés et impuissants. Ils peuvent partager la gestion du risque, échanger sur leurs interventions, et les ajuster au besoin.
9Le développement de compétences collectives par les membres de la cellule. Au-delà du développement de compétences individuelles, la modalité de travail en cellule d’intervention amène les intervenants à développer des compétences collectives.
10Une continuité clinique accrue. Dans les situations inévitables de changement d’intervenants (congé de maladie, congé de maternité, congé pour études, etc.), la famille poursuit sa démarche avec des intervenants connus et n’a pas à répéter son histoire.
modèle conceptuel
11À l’opposé de situations d’abus, où le parent a une action inappropriée, non accidentelle, de nature physique, sexuelle ou psychologique, la négligence parentale se définit comme une absence de gestes appropriés pour assurer la sécurité, le développement et le bien-être de l’enfant. On la repère souvent de manière indirecte, c’est-à-dire par l’observation des conséquences. La définition de la négligence retenue dans le cadre du programme Des racines et des ailes s’énonce ainsi : « La négligence est l’omission ou l’échec du parent à donner à l’enfant les soins requis pour sa sécurité et son développement physique, psychologique, affectif ou social. » (Centre jeunesse Montérégie, 2001)
12Afin de bien cibler les interventions, il apparaît intéressant de regrouper les manifestations de négligence en différentes catégories :
- La négligence physique : besoins d’ordre alimentaire, vestimentaire, d’hygiène ou de logement, compte tenu des ressources familiales.
- La négligence en matière de soins de santé physique ou mentale.
- La négligence éducative : manque de surveillance, d’encadrement ou de scolarisation.
- La négligence émotionnelle : manque d’affection, de valorisation, de sécurité affective ou d’interaction.
13Pour mieux situer la problématique de la négligence, le modèle écologique (Éthier et Lacharité, 2000) présente les facteurs de risque qui y sont associés. Ceux-ci sont multiples. Ils peuvent être sociopolitiques, psychosociaux, individuels. Parmi les facteurs sociopolitiques, on trouve les constats suivants : la qualité des conditions de vie des familles n’est souvent pas une priorité et les services à la famille ne sont pas assez nombreux. En ce qui a trait aux facteurs psychosociaux, on note que les services sont souvent inexistants, inaccessibles, limités et donnés beaucoup trop à court terme pour avoir un impact sur des problématiques importantes en négligence. La pauvreté, l’absence d’emploi, l’absence de soutien du conjoint, de la famille élargie et de l’entourage viennent aggraver la contribution des facteurs psychosociaux. Du côté des facteurs individuels, on signale des ruptures des liens d’attachement en bas âge chez les parents, la présence de dépression, de stress ayant des causes multiples, des problèmes de santé mentale, de déficience intellectuelle, d’abus de substances psychoactives (alcool, drogues, médicaments) et une faible scolarisation.
14Tous ces facteurs confrontent les familles à des situations difficiles. Les familles négligentes sont caractérisées par un contexte sociofamilial de pauvreté globale, tant économique, intellectuelle, sociale et culturelle que sur le plan du partage des valeurs avec la communauté. Ces familles sont souvent engagées dans un mode de vie chaotique comportant beaucoup d’instabilité et elles vivent plus de stress, se situant au 90e centile de la population (Pinard et Gagnier, 2002).
15Parmi la clientèle du centre jeunesse, on retrouve des situations sévères de négligence : certaines de négligence circonstancielle grave et de nombreuses de négligence chronique. Dans les situations de négligence circonstancielle, les interventions qui font en sorte d’améliorer la situation familiale devraient avoir un impact sur la santé et la sécurité de l’enfant. Dans les situations de négligence sévère et chronique, la situation persiste depuis longtemps et peut même se reproduire sur plusieurs générations. Les mères rapportent avoir vécu des événements à potentiel traumatique, comme des abus sexuels et de la violence répétés, sur une période relativement longue. Le contexte d’attachement en lien avec ces abus en est un de profonde insécurité affective (Boulet, Éthier et Couture, 2004). En outre, des problèmes de santé mentale, de déficience intellectuelle, de toxicomanie et de violence conjugale sont souvent observés chez les parents négligents (Éthier, 1999). Compte tenu de la présence de plusieurs sources de stress, de conditions défavorables, de modèles parentaux déficitaires et de problèmes personnels importants, les parents ont de la difficulté à accorder l’attention, l’affection et la disponibilité nécessaires à leurs enfants.
16Les conséquences sur les enfants de la négligence conduiraient à : une augmentation des risques de mortalité du fait d’une absence de surveillance adéquate ; une augmentation des risques d’exposition à d’autres formes de mauvais traitements, comme les abus physiques, psychologiques ou sexuels ; une restriction considérable des occasions normatives découlant d’une exposition trop peu fréquente aux contextes socioéducatifs nécessaires au développement cognitif, affectif et social ; des séquelles développementales entravant la découverte sensorielle du monde et le développement neurocognitif, l’engagement mutuel et la communication, l’expression et la régulation des affects, l’attachement et la qualité des représentations de soi et des autres.
17Les enfants victimes de négligence sévère et chronique présentent plus de problèmes émotionnels (anxiété, dépression) et ont tendance à manifester davantage de comportements agressifs et de problèmes de retrait social que les enfants victimes de négligence sévère transitoire (Éthier, Lemelin et Lacharité, 2004). De fait, la négligence est une perturbation relationnelle sévère où le parent ne se montre pas émotionnellement disponible pour répondre aux signaux de l’enfant (Éthier et Lacharité, 2001). Les comportements de négligence peuvent donc s’expliquer par la façon dont le parent répond aux besoins de son enfant. Le type de réponse observé permet de mieux cibler certaines interventions.
18Crittenden (1993) identifie une problématique de négligence qui résulte de plusieurs facteurs :
- Une non-perception des besoins de l’enfant : le parent n’a pas d’interactions avec l’enfant, il ne perçoit pas ses émotions et l’enfant finit par ne plus faire de demandes.
- Une interprétation incorrecte des demandes de l’enfant : le parent perçoit les demandes, mais il les évalue mal et juge qu’il n’est pas nécessaire de réagir.
- Une difficulté à choisir une réponse adaptée aux besoins de l’enfant : le parent perçoit et interprète correctement les émotions et les demandes de l’enfant, mais il se sent impuissant à y répondre et à trouver des solutions.
- Une difficulté à agir en raison d’un environnement chaotique ou d’une désorganisation personnelle : le parent saisit les émotions et les demandes de l’enfant, il sait comment y répondre, mais il ne peut réagir correctement en raison d’un environnement chaotique ou d’une désorganisation personnelle, qu’ils soient liés à la consommation abusive d’alcool ou de drogue, à des problèmes de santé mentale ou à la difficulté pour une famille immigrante de s’intégrer.
19Le programme Des racines et des ailes a été élaboré à partir des besoins de l’enfant et des parents :
- Les besoins de l’enfant qui seront pris en considération dans les interventions sont : être aimé ; avoir des conditions de vie adéquates ; recevoir des soins adaptés à ses besoins ; être stimulé sur le plan physique, psychologique et social ; faire des apprentissages propres à son étape de développement ; et vivre dans un environnement qui assure sa sécurité et son développement.
- Les besoins des parents qui seront pris en considération sont : développer des habiletés parentales et des compétences pour accomplir son rôle parental dans le respect des étapes du développement de l’enfant ; augmenter l’estime de soi ; se connaître ; se reconnaître des forces et une valeur personnelle ; rompre l’isolement ; et se créer un réseau permanent d’aide formelle ou informelle.
20Le modèle théorique qui a le plus influencé nos travaux est celui du Groupe de recherche en développement de l’enfant et de la famille (GREDEF) de l’Université de Trois-Rivières, le Programme d’aide personnelle, familiale et communautaire (PAPFC). Ce modèle est inspiré du modèle écologique (Bronfenbrenner, 1979). Il propose plusieurs cibles d’intervention : l’enfant, le parent en tant qu’individu, le parent dans son rôle de parent, la famille et la communauté. Il préconise une intervention en partenariat. Ce programme a été adapté en tenant compte de la réalité d’une clientèle présentant les caractéristiques d’une négligence sévère et chronique. De plus, il fallait tenir compte du contexte urbain. Dans ce contexte, la mise en place de dimensions comme le « réseau d’entraide » avait peu de chances de s’actualiser. Cette adaptation a donné naissance à Des racines et des ailes.
les différentes composantes de l’offre de service qui complètent le programme
21Devant le constat de la multiplicité des besoins et des problématiques vécues par la clientèle en négligence, le programme s’est inscrit dans une offre de service intégrée complète. Des interventions visant à répondre aux besoins généraux ne limitent pas le recours à des traitements plus spécialisés, lorsque cela paraît nécessaire. De plus, une alternance entre différents programmes (par exemple, abus sexuel et physique) doit être facilitée pour permettre l’accessibilité à des interventions dans une suite logique, en association avec les partenaires de la communauté.
22Notre clientèle présentant souvent plusieurs problématiques à la fois, il semble inévitable que les programmes élaborés tiennent compte de la complexité des situations familiales. En ce sens, nous croyons qu’il s’agit de dessiner une offre de service de prise en charge à multiples composantes, c’est-à-dire composée de différents programmes clientèle spécifiques qui comportent un tronc commun et une variété d’activités, parfois spécifiques et parfois génériques, répondant aux différentes finalités de chacun de ces programmes (Young, 2006).
23Des racines et des ailes offre un modèle clinique qui définit bien l’offre de service dédiée à un nombre élevé de familles aux prises avec la négligence. Il est associé à d’autres programmes, services ou programmations qui viennent compléter l’offre de service. Par exemple, À chaque enfant, son projet de vie permanent est un programme de base qui propose une démarche clinique visant à clarifier et à actualiser le projet de vie de l’enfant. Toutes les mesures d’aide appropriées sont mises en place à partir d’une évaluation approfondie, entre autres, des capacités parentales. Selon la disposition des parents à améliorer leurs compétences parentales, différents scénarios peuvent être envisagés, allant du maintien de l’enfant au sein de sa famille naturelle jusqu’au placement permanent de l’enfant dans un milieu familial substitut.
24Les cas d’enfants de 0 à 5 ans identifiés comme étant complexes à évaluer sont adressés à la clinique externe du Centre spécialisé d’évaluation et d’intervention auprès des petits et de leur famille, pour une évaluation des capacités parentales à l’aide d’une batterie d’instruments validés par la recherche. L’intervention relationnelle2 est utilisée dans le cadre de l’évaluation, dans le but de voir la possibilité d’activer les capacités parentales. Les interactions mère-enfant sont filmées et servent à donner de la rétroaction à la mère pour travailler la relation d’attachement.
25Différentes options sont offertes aux enfants et aux parents ayant besoin de soins spécialisés. On peut leur indiquer, par exemple, le projet Main dans la main (voir chapitre 1) ou Jessie, un programme qui s’adresse aux parents vivant des difficultés de consommation de drogues et d’alcool ayant une incidence sur la sécurité ou le développement de l’enfant. Pour certains enfants, un projet de vie alternatif devra être envisagé. À cet effet, un réseau de ressources de placement est en place.
26Différentes programmations complètent encore l’offre de service pour venir en aide aux enfants et aux parents. En plus des programmes Grandir ensemble ou Ces années incroyables (voir chapitres 8 et 11), les Ateliers parents-enfants 0-5 ans (une série de 10 ateliers) visent à améliorer la sensibilité et les compétences parentales, et la socialisation de l’enfant.
27De nombreux partenaires – les hôpitaux, les centres de services en santé et services sociaux, les centres communautaires – se joignent à ces ressources, qui apportent leur précieuse collaboration en répondant à des besoins de tous ordres : soins en santé mentale et physique, soutien communautaire, etc.
principales caractéristiques du programme
28Les interventions mises en œuvre dans le cadre du programme Des racines et des ailes sont multimodales. Elles comprennent des activités destinées à la fois aux enfants, aux parents en tant que parent et en tant que personne, ainsi qu’à la famille, et elles se font selon plusieurs modalités (intervention individuelle et de groupe ou suivi à domicile, par exemple).
29La philosophie d’intervention est basée sur le développement de la mobilisation des parents, l’empowerment, le travail à partir des forces, la recherche de solutions et l’approche collaborative. Les objectifs choisis pour mettre fin à la compromission sont importants. Ils doivent être simples, réalisables, être perçus comme un ajout (non comme une lacune à combler) et correspondre à de nouveaux comportements à acquérir (non comme le rejet d’un comportement indésirable).
30La motivation au changement est un objet d’intervention et non une condition d’accès aux activités. Il est important d’identifier avec les parents leur position quant à la reconnaissance de leurs forces et des difficultés qu’ils vivent, à l’identification de leurs possibilités de changement et des solutions qu’eux-mêmes envisagent. Cet élément permet de se situer dans leur processus de changement, et de choisir des interventions qui les aideront à s’impliquer et à maintenir leur engagement. Le rythme choisi par les parents doit cependant correspondre à l’intérêt de l’enfant. Le modèle de Prochaska et Prochaska (1999) donne des repères aux intervenants sur les différentes étapes du changement et sur les interventions appropriées pour chacune. Les interventions faites auprès des enfants en regard de la motivation doivent leur permettre de voir les avantages qu’il y a à développer des compétences sociales et relationnelles.
31Après une évaluation des besoins, des particularités, des forces et des limites, les services requis sont offerts de façon systématique à tous les parents, et ils sont mis en place le plus tôt possible. Ils sont élaborés dans un plan d’intervention qui précise les engagements à la fois des parents et des intervenants.
32Le succès du programme suppose une action concertée de plusieurs partenaires. L’utilisation des ressources de la communauté se fait au début, pendant et à la fin de l’intervention. L’intervention en négligence doit en effet impliquer tout le réseau des ressources formelles et informelles. Compte tenu de la complexité de la problématique et de l’ampleur des défis liés à l’intervention, l’action du centre jeunesse ne peut à elle seule assurer que la compromission de la sécurité et du développement de l’enfant cesse, et éviter qu’elle se reproduise. Il faut que la famille soit soutenue, encouragée et aidée par un réseau de services et de personnes (CSSS, organismes communautaires, centres hospitaliers, parenté, amis, etc.).
33Dès la déclaration de compromission, les interventions doivent être immédiatement accessibles, intensives, régulières et flexibles, c’est-à-dire qu’elles doivent s’adapter aux besoins du moment, avec une intensité accrue d’intervention durant les six à neuf premiers mois et un accompagnement dans la communauté dès le début de l’intervention pour favoriser sa réussite. Chaque famille présentant un profil différent, il convient d’identifier les interventions les plus appropriées pour chacune et de réviser tous les trois mois les résultats atteints. L’intervention doit absolument se poursuivre au-delà de la phase intensive sur une période suffisamment longue pour avoir un impact durable et ainsi éviter la récurrence. La famille doit pouvoir profiter de l’ensemble des services du centre jeunesse et du milieu sur une période d’au moins deux ans.
34Les interventions seront diversifiées et dispensées soit par le biais de ressources dans la communauté (par exemple, une aide psychologique, une thérapie familiale, un suivi médical, une aide familiale ou un groupe de soutien), soit par le biais d’activités données au centre jeunesse (par exemple, les programmations pour l’enfance ou les interventions dans le milieu). Travailler en concertation avec les organismes du milieu et accompagner les parents pour les amener à s’intégrer dans leur communauté doit être non seulement une préoccupation, mais une façon de travailler.
35L’accompagnement de la famille se fera sous différentes formes par les intervenants psychosociaux et de réadaptation : modeling, faire avec, faire faire ou conseil. Il est important que l’intervenant qui a beaucoup investi dans des modèles de type counseling diversifie ses façons d’intervenir pour mieux rejoindre les parents. Le counseling répond bien aux besoins de certains parents, alors que, pour d’autres, une approche plus concrète, plus pratique est requise – principalement en négligence.
Le processus clinique
36Le processus clinique s’actualise à travers différentes étapes, dont l’évaluation, l’intervention et la révision de l’intervention. Le programme s’applique après qu’il y a eu signalement de la compromission de la sécurité ou du développement de l’enfant.
37En amorçant le programme, les intervenants sont conviés à compléter l’évaluation des besoins, des forces et des difficultés de la famille, en examinant les éléments suivants : le niveau de motivation, de reconnaissance du problème, de mobilisation des parents ; la possibilité de maintenir l’enfant dans son milieu naturel ; les catégories (négligence physique, soins de santé, éducative, affective ou psychologique) et les types de négligence (Crittenden, 1991) ; les forces et les difficultés personnelles des parents ; les forces et les difficultés du couple ; les forces et les difficultés caractérisant le fonctionnement familial ; les conditions de vie et les besoins en matière d’intégration sociale ; les forces et les difficultés du milieu ; et, enfin, le degré de gravité de la problématique.
Trois axes d’intervention
38La prochaine étape consiste à articuler l’intervention en fonction des trois axes d’intervention qui suivent.
Axe 1 : Assurer la sécurité de l’enfant
39Les objectifs d’intervention en lien avec l’axe 1 sont : développer, chez les parents, la capacité de résoudre des problèmes de la vie quotidienne, d’améliorer leurs conditions de vie et de diminuer leur stress, ainsi que les amener à connaître et à utiliser les ressources du milieu. Pour atteindre ces objectifs, les intervenants doivent connaître les ressources du réseau public et communautaire, et établir des liens de complicité avec elles.
40Les parents sont accompagnés dans la communauté, soutenus dans leurs démarches et encouragés à poursuivre leurs efforts. Ces efforts devraient leur permettre de répondre aux besoins de base de leur enfant : une nutrition suffisante et adaptée à l’âge de l’enfant ; un sommeil suffisant ; des vêtements suffisants, adaptés à la saison, en condition acceptable et de la bonne taille ; un logement salubre ; des soins de santé adéquats (vaccination, reconnaissance des symptômes, consultation, application de traitement) ; une hygiène adéquate (adaptée à l’âge de l’enfant, supervisée) ; une sécurité satisfaisante (lieux physiques sécuritaires, surveillance et protection, gardiennage) ; et enfin une réponse adéquate à des besoins spéciaux (le parent voit à ce que l’enfant reçoive tous les soins prescrits, le cas échéant).
Axe 2 : Assurer la poursuite ou la reprise du développement de l’enfant et le développement des compétences parentales
41Les cibles d’intervention sont ici les parents, l’enfant et la dyade parents-enfant. Les objectifs d’intervention sont d’améliorer la sensibilité parentale, d’augmenter la connaissance qu’ont les parents de leur enfant, d’apprendre aux parents à voir l’enfant de façon plus positive, de les amener à mieux répondre à l’ensemble de ses besoins, à ajuster leurs méthodes éducatives et à en expérimenter de nouvelles, à utiliser des moyens appropriés pour réduire les retards ou les troubles présentés par l’enfant, et à utiliser des lieux et des occasions de socialisation pour l’enfant. Les intervenants encouragent les parents à exploiter leurs zones de compétences et à intégrer ainsi qu’à actualiser les apprentissages faits lors des différentes activités et interventions offertes dans la communauté, au centre jeunesse ou à la maison.
42Lorsque l’enfant est placé, les objectifs d’intervention visent à assurer la réussite de son retour dans son milieu d’origine. Si le projet de vie de l’enfant se définit en dehors de son milieu naturel, la relation parents-enfant doit être redéfinie et les parents doivent contribuer, selon leurs capacités, à favoriser la réussite de l’intégration de l’enfant dans son milieu de vie substitut. Les intervenants aideront l’enfant et les parents à comprendre le sens du placement, à situer ce qui appartient à chacun, et à rechercher des solutions pour établir entre eux des relations plus satisfaisantes.
Axe 3 : Assurer l’amélioration de l’état psychologique des parents et favoriser l’intégration dans la communauté
43Dans cet axe, les cibles d’intervention sont les problématiques personnelles des parents (problèmes de santé mentale, toxicomanie, déficience intellectuelle, mode de vie chaotique, violence conjugale, difficultés liées à l’immigration ou au changement de région), soit à partir des ressources du centre jeunesse, soit de celles des partenaires. L’accompagnement doit aider les parents à prendre des moyens pour contrôler, stabiliser leurs problèmes personnels afin d’être en mesure d’assurer la sécurité et le développement de leur enfant, ainsi que pour leur bien-être personnel.
44La connaissance et l’utilisation des ressources du milieu par les parents et par l’enfant constituent une autre cible d’intervention. Les objectifs d’intervention plus spécifiques sont : soutenir les parents dans le développement de l’estime de soi, du sentiment de compétence et des habiletés interpersonnelles, en les amenant à expérimenter des méthodes de résolution de problèmes et des façons de communiquer ; gérer la colère ; développer un meilleur contrôle de soi. Il s’agit, en définitive, de favoriser l’intégration de la famille dans la communauté.
45L’intervention en négligence doit impliquer le plus tôt possible les partenaires faisant partie du réseau de la famille, et cette implication doit se poursuivre tout au long de l’intervention, consolidant ainsi une pratique en partenariat. Cette préoccupation est présente dans chacun des trois axes d’intervention. Plusieurs protocoles d’entente sont établis avec des établissements et des ressources (CSSS, ressources en déficience physique et intellectuelle, en toxicomanie, en santé mentale ou en violence conjugale) afin de faciliter l’implication des intervenants extérieurs au centre jeunesse. D’autres ressources s’impliquent sans qu’il y ait de protocole, parce que les intervenants ont créé des liens suffisamment solides entre eux.
46Il arrive que, dans certaines situations, les parents ne présentent pas un potentiel actualisable de leurs compétences parentales ou qu’ils vivent des difficultés personnelles telles que l’enfant ne trouve pas réponse à ses besoins auprès d’eux et qu’un placement temporaire ou encore la recherche d’un milieu de vie permanent devient nécessaire. Nous constatons que, dans ces situations, le programme a tout de même un effet positif : l’intensité de l’intervention permet de mieux évaluer les situations, et ce, plus rapidement, dans l’intérêt de l’enfant, et elle permet de donner un sens plus positif au placement en préparant mieux les parents et l’enfant à vivre ce changement.
47Les services offerts et l’intensité de l’intervention sont déterminés en fonction de l’évaluation du niveau de gravité de la problématique. Pour les enfants maintenus dans leur milieu, trois niveaux de gravité sont identifiés. À chacun on associe une intensité d’intervention et une norme de pratique.
Gravité de la problématique et intensité d’intervention
48Le niveau de gravité de la problématique détermine l’intensité de l’intervention qui devra être réalisée et la forme qu’elle prendra.
Niveau de gravité léger
49La gravité est jugée légère lorsque les parents présentent des fragilités se rapportant à leur situation familiale et personnelle, mais qu’ils présentent des forces dans certains secteurs de compétences parentales. D’autres parents ont certaines ressources personnelles et leur potentiel pourrait être actualisable. D’autres encore répondent bien à des interventions de type « faire faire », même s’ils peuvent avoir besoin, à certains moments, d’interventions plus soutenues de type « faire avec ». Dans tous ces cas, l’enfant fonctionne assez bien dans certaines sphères et il n’est pas en arrêt de développement.
50Ce niveau de gravité léger est rarement présent au début d’une intervention en protection de la jeunesse. On le retrouve plutôt à la fin de l’intervention ou après qu’un certain cheminement a été fait, même s’il reste certains objectifs à atteindre dans un délai plus ou moins long. À ce niveau, la problématique est cernée et en partie résolue, et la sécurité physique de l’enfant est très exceptionnellement en cause. L’intervention requise, dans ce cas, en est une de maintien. Les interventions seront occasionnelles et se feront à la maison ; il y aura des vérifications auprès des partenaires pour s’assurer du maintien et de la persistance dans l’utilisation des moyens convenus avec la famille. Le renforcement positif, la prévention des rechutes ou des difficultés seront aussi des interventions privilégiées. On aidera la famille à prendre conscience de l’effet positif de ses efforts. La norme se situe alors à une intervention directe en présence une fois par mois, et à une intervention indirecte une fois par mois3.
Niveau de gravité modéré
51La situation est modérément grave lorsque les parents présentent des forces personnelles, mais qu’ils ont besoin de soutien pour actualiser certaines compétences parentales. Quant à l’enfant, il fonctionne bien dans certaines sphères de sa vie et peut éprouver des difficultés dans d’autres, mais il est capable d’exercer un certain contrôle sur ses émotions. L’ampleur, la gravité et l’intensité des difficultés ne compromettent pas, ou peu, son maintien dans sa famille, à l’école et dans son environnement.
52Ce niveau de gravité peut se présenter à la suite d’une intervention intensive, ou si la problématique est plus ou moins intense, ou si la famille peut s’appuyer sur un certain réseau de soutien. Une intervention modérée est alors requise. Les interventions se feront sur une base régulière, à la maison, et elles viseront à accompagner les parents et l’enfant par rapport aux trois axes d’intervention présentés précédemment ; des contacts réguliers seront assurés avec les partenaires. L’accent sera mis sur la consolidation des forces personnelles des parents et des enfants, le développement de compétences et la généralisation des apprentissages. La norme se situe à deux interventions directes en présence et deux interventions indirectes par mois.
Niveau de gravité sévère
53La situation est jugée sévère lorsque les parents présentent des difficultés personnelles importantes et que la relation parents-enfant s’est détériorée. Les parents sont dépassés par les comportements de leur enfant et en arrivent à envisager un placement. Ils ont besoin de développer des compétences parentales, principalement par rapport aux rôles éducatif, affectif et à l’encadrement par un accompagnement de type « faire avec » ou de modeling. L’enfant présente des comportements difficiles (par exemple, de l’opposition), des retards de développement importants ou des habiletés sociales peu développées ou inadéquates. Il présente des risques d’être exclu de sa famille, de son école et de son milieu environnant.
54Ce niveau de gravité peut s’observer en début d’intervention, lorsque le projet de vie est à clarifier, s’il y a risque de placement, ou si la problématique est complexe ou importante. Une intervention intensive est alors requise. Les interventions régulières à la maison et avec partenaires se feront à une fréquence importante. Une surveillance accrue par rapport à la sécurité de l’enfant sera assurée par des visites non annoncées, mais prévues dans le plan d’intervention. Les parents seront accompagnés afin de pouvoir utiliser rapidement des services pour améliorer leurs conditions de vie. Les interventions pour améliorer la relation parents-enfant seront intensives. L’accent sera mis sur l’accompagnement au quotidien pour améliorer les compétences parentales et les habiletés de l’enfant, et sur l’accompagnement des parents dans des actions visant à améliorer leur état psychologique et leur intégration dans la communauté. La norme se situe dans ce cas à huit interventions directes en présence par mois et à quatre interventions indirectes. Les interventions indirectes pourraient être modulées selon l’implication de partenaires.
55Pour les enfants placés, le niveau de gravité de la problématique est toujours considéré comme sévère. Selon que le placement fait suite à une intervention en urgence, qu’il est temporaire ou permanent, différentes normes s’appliquent4.
composition et fonctionnement de l’équipe
56Une organisation du travail spécifique vient soutenir l’application du programme et tient compte des difficultés rencontrées par les intervenants : l’isolement, la lourdeur des cas, le sentiment d’impuissance, etc. Ainsi, le modèle d’unités d’intervention en cellule a été implanté. Ces unités sont composées généralement de cinq intervenants : quatre intervenants psychosociaux et un intervenant en réadaptation. Les quatorze équipes enfance sont constituées chacune de trois unités d’intervention : deux unités d’intervention intensive en cellule (une pour les 0-5 ans, et une autre pour les 0 à 11 ans avec une majeure pour les 6-11 ans) et une unité d’intervention continue pour les cas stabilisés..
57La modalité de travail en cellule nous assure de donner l’intensité d’intervention requise. Elle s’adresse en priorité aux nouveaux cas, aux cas dont le niveau de gravité de la problématique est sévère et, parfois, modéré. Les cas sont suivis pour une période de six à neuf mois avec cette modalité. Les différents intervenants qui composent l’unité d’intervention intensive en cellule peuvent se partager l’intervention. La personne autorisée, responsable du dossier, assume les responsabilités habituelles qui lui sont dévolues : rendre compte de l’évolution de la situation au Directeur de la protection de la jeunesse, assurer les mesures de protection et coordonner le plan d’intervention, entre autres tâches. Ses collègues contribuent aux interventions selon l’évaluation des besoins de la famille. Par exemple, certains animent les activités, d’autres favorisent l’intégration dans la communauté parce qu’ils ont mis en place un réseau de partenaires, d’autres contribuent à diverses co-interventions visant à répondre à des besoins spécifiques et particuliers, ou encore font les visites surprises prévues dans le plan d’intervention ou animent des visites supervisées pour assurer la sécurité de l’enfant.
58Un des impacts de ce fonctionnement est l’appropriation collective d’un même dossier. Ainsi, certains de mes dossiers deviennent nos dossiers. Dorénavant, des intervenants mettront en commun leurs compétences, expertises et intérêts pour venir en aide aux familles. Cette approche interdisciplinaire ou intercollaborative permet une meilleure efficience. Les interventions sont modulées en fonction des besoins des différents membres de la famille et de la meilleure expertise pour y répondre.
59L’animation demeure la responsabilité du chef de service. Des outils sont utilisés pour guider l’animation et maintenir la conformité du modèle d’intervention : aide-mémoire ou guide de soutien à la pratique. Les rencontres cliniques servent à mettre en commun les observations pour mieux définir les axes d’intervention, choisir des stratégies d’action, répartir les tâches des intervenants qui s’impliqueront et revoir les résultats des interventions faites auprès de la famille. D’autres moments du processus clinique sont réservés à des consultations cliniques, à des discussions de cas et au perfectionnement (sous forme de séminaires, par exemple).
60Une fluidité doit exister entre les unités d’intervention intensive en cellule et l’unité d’intervention continue. Les besoins de la clientèle en termes d’intensité d’intervention guident le recours à une unité ou l’autre. Il n’y a pas de transfert inter service ou inter direction durant l’intervention intensive. Les dossiers qui ne nécessitent plus d’intensité pourraient être transférés à un intervenant de l’unité continue, si le transfert est indiqué cliniquement et selon certaines conditions. Par exemple, l’intervenant de l’unité continue assurera le relais pendant au moins un mois dans la cellule. Les intervenants de l’unité continue peuvent bénéficier de l’expertise de la cellule si la famille vit une situation qui demande de l’intensité en cours d’intervention. Comme les rôles de chacun sont bien définis, les familles ne se sentent pas envahies ou confuses, selon les commentaires recueillis. Lorsqu’il y a absence ou retrait d’un intervenant, la famille en connaît déjà d’autres et n’a pas à répéter son histoire. L’intervention se poursuit.
61En ce qui a trait aux attitudes, il est recommandé que les intervenants s’abstiennent de porter des jugements à l’égard de la clientèle, parce que l’on considère que le mode de fonctionnement actuel des parents constitue la meilleure solution qu’ils ont trouvée dans leur contexte de vie, et en fonction des moyens dont ils disposaient. Les intervenants doivent croire au potentiel de chacun. Par ailleurs, ils doivent faire preuve d’ouverture et de souplesse pour s’approprier une intervention dispensée en collaboration avec d’autres intervenants. La plus-value, pour l’intervenant principal, c’est le soutien de ses pairs, qui affrontent la lourdeur des situations complexes avec lui.
évaluation de l’implantation
62Tout au long de l’implantation, des bilans annuels ont été faits afin de s’assurer de la conformité du programme, lequel constituait un changement de pratique important. Durant les premières années, des efforts importants ont été consentis pour intégrer la philosophie d’intervention dans les pratiques, principalement en ce qui a trait à la mobilisation de la clientèle, au travail à partir des forces, au rôle de l’intervenant qui ne se limite pas à un rôle d’autorité, mais bien à un rôle de soutien et d’agent de changement. La rigueur et la persistance dans l’utilisation des différents outils pour soutenir l’animation du programme se sont avérées très utiles. En effet, les intervenants et les gestionnaires se sont habitués à travailler en équipe et à cibler davantage les interventions.
63Au début de l’implantation, l’organisation du travail et le programme proprement dit ont été perçus par certains acteurs comme une nouvelle pratique enrichissante et efficace. Pour d’autres, le fait de passer d’une pratique individuelle à un travail d’équipe s’est révélé plus difficile. À ce jour, la plupart des intervenants apprécient ce fonctionnement ; ils estiment se sentir épaulés et disent apprécier de pouvoir utiliser les compétences de leurs collègues. Riches de l’expérience à l’enfance, les regroupements d’intervenants travaillant en cellule d’intervention s’implantent graduellement dans un autre secteur, celui des équipes à l’adolescence. En ce qui concerne l’intervention, les intervenants indiquent pouvoir mieux organiser et dispenser les services offerts à la clientèle. L’évaluation leur permet de se situer plus rapidement sur la capacité des parents à faire des apprentissages et à mieux répondre aux besoins des enfants, ce qui a un effet important sur la clarification et l’actualisation des projets de vie des enfants.
***
64Par rapport à la clientèle, l’expérience a permis de mettre en lumière ce que l’on peut considérer comme les clés du succès : tenir compte du fait que les parents ont besoin d’être aidés, déculpabilisés, responsabilisés et protégés de l’épuisement ; identifier clairement les attentes des parents, travailler à partir de leurs forces, rechercher des solutions ensemble ; miser sur le développement d’interactions positives entre les parents et l’enfant ; accepter les régressions comme des périodes normales faisant partie du cheminement de la clientèle ; accompagner les parents dans leur processus de changement : bien cibler les interventions nécessaires et savoir établir des priorités ; favoriser la clarification et l’actualisation d’un projet de vie pour l’enfant dans un milieu le plus stable et permanent possible ; et avoir un langage simple et accessible.
65En ce qui a trait au programme en soi, les éléments suivants constituent des conditions gagnantes : faire une évaluation rigoureuse des besoins de la famille ; favoriser la participation des parents et des enfants ; offrir des services diversifiés ; persister dans l’utilisation des outils qui guident l’animation du programme ; mettre en place un monitoring de données qui permet de vérifier des éléments de conformité ; et travailler en collaboration avec les partenaires.
66Le programme Des racines et des ailes s’est avéré être un levier pour améliorer les pratiques cliniques, mobiliser le personnel et mieux répondre aux besoins des familles. Une évaluation d’implantation est en cours, réalisée par un comité de suivi régulier. Actuellement, certaines composantes du programme font par ailleurs l’objet d’une évaluation d’impact. L’amélioration de ce programme se poursuit et nous espérons pouvoir sous peu évaluer les impacts de l’ensemble du programme sur la clientèle.
outils d’évaluation clinique
Parmi les outils suivants, certains sont utilisés au CJM-IU par les intervenants de l’application des mesures (ils sont indiqués par une puce), alors que l’ensemble est utilisé par les intervenants de la clinique externe du centre spécialisé d’évaluation et d’intervention auprès des petits et de leur famille. Par ailleurs, certains d’entre eux servent plus particulièrement à la recherche. Les outils sont classés selon le sujet d’intérêt.
Milieu familial
Home observation for mesurement of the environnement (HOME) Questionnaire de données complémentaires sur le milieu familial
Parent
Indice de stress parental (ISP)
• Section 4 du Guide d’évaluation des capacités parentales du CJM-IU (adapté de Steinhauer)
Childhood trauma questionnaire (CTQ)
Dissociative experience scale 11 (DES)
Enfant
Profil sensoriel (enfants de 0 à 6 mois et de 7 à 36 mois)
Liste de vérification du comportement (Child behavior check list) (enfants de plus de 1 an)
Échelle d’agressivité physique du BEH (enfants entre 17 et 36 mois)
Relation parents-enfant
Section 3 du Guide d’évaluation des capacités parentales : adaptation de Steinhauer portant sur l’attachement
Tri-de-cartes sur la sensibilité maternelle (enfants de moins de 1 an)
Tri-de-cartes sur l’attachement (enfants de plus de 1 an)
Situation étrangère avec la mère ou le premier donneur de soins
Situation étrangère avec le second donneur de soins
Observation en situation libre suite à la situation étrangère
Développement de l’enfant
Échelle Bayley III de développement de l’enfant (jusqu’à 42 mois)
Weschler preschool and primary scales of intelligence, révisées
• Grille d’évaluation du développement de l’enfant (GED)
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
références
10.7202/008832ar :Boulet, M.-C., L. S. Éthier et G. Couture (2004), « Évènements de vie et traumatismes chez les mères négligentes chroniques », Santé mentale au Québec, vol. 29, no 1, p. 221-242.
10.2307/j.ctv26071r6 :Bronfenbrenner, U. (1979), The ecology of human Development: experiments by nature and design, Cambridge, Harvard University Press.
10.1177/0093854893020001004 :Crittenden, P. M. (1991), « An information-processing perspective on the behavior of neglectful parents », Criminal justice and behavior, vol. 20, no 1, p. 27-48.
10.2307/j.ctv5j01kp :Éthier, L. S. (1999), « La négligence et la violence envers les enfants », dans Habimana., E. et al. (dir.), Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Montréal, Gaëtan Morin éditeur, p. 595-614.
10.2307/j.ctv5j01kp :Éthier, L. S. et C. Lacharité (2000), « La prévention de la négligence et de la violence envers les enfants », dans F. Vitaro et C. Gagnon (dir.), Prévention des problèmes d’adaptation chez les enfants et les adolescents. Tome 1 : Les problèmes internalisés, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 389-428.
Éthier, L. S. et C. Lacharité (2001), « Les causes et les effets de la négligence envers les enfants : Quels sont les constats de la recherche ? », Les sciences de l’éducation, vol. 34, no 1, p. 27-45.
10.1016/j.chiabu.2004.07.006 :Éthier, L. S., J.-P. Lemelin et C. Lacharité (2004), « A longitudinal study of the effects of chronic maltreatment on children’s behavioral and emotional problems », Child Abuse and Neglect, vol. 28, p. 1265-1278.
10.3917/bupsy.484.0381 :Lacharité, C., L. S. Éthier et P. Nolin, « Vers une théorie écosystémique de la négligence envers les enfants », document de recherche, Université du Québec à Trois-Rivières, Département de psychologie.
Paquette, F., M. Malenfant et S. Young (2006), La négligence. Programme clientèle en négligence 0-5 ans, Montréal, CJM-IU, Direction des services professionnels et de la recherche.
Pinard, P. et J.-P. Gagnier (2002), Module 207. Intervention en négligence. Manuel du formateur, Programme national de formation, Montréal, ACJQ.
Prochaska, J. O. et J. M. Prochaska (1999), « Why don’t continents move? Why don’t people change? » Journal of Psychotherapy Integration, vol. 9, no 1, p. 83-102.
Thomassin, A. (2008), Cadre de référence sur l’intervention clinique destinée aux enfants 0-5 ans et à leurs parents, Montréal, CJM-IU.
Thomassin, A. (2006), Cadre de référence sur l’intervention clinique destinée aux enfants 6-11 ans et à leurs parents admis ou inscrits au CJM-IU, Montréal, CJM-IU.
Young, S. (2006), Programmes et activités offerts aux enfants 6-11 ans et à leurs parents en territoire, Montréal, CJM-IU.
Young, S. (2008a), « Guide de soutien à la pratique pour les enfants 0-5 ans et leurs parents. Des racines et des ailes, un programme d’aide aux familles, Montréal, CJM-IU.
Young, S. (2008b) Guide de soutien à la pratique pour les enfants 6-11 ans et leurs parents. Des racines et des ailes, un programme d’aide aux familles, Montréal, CJM-IU.
Notes de bas de page
1 Au CJM-IU, dans le cadre de l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse, des équipes sont dédiées à la réception et au traitement des signalements, d’autres à leur évaluation et au choix du régime judiciaire et des mesures de protection à mettre en place. Enfin, des équipes sont responsables de l’application des mesures, donc de l’application du plan d’intervention qui vise à faire cesser la compromission de la sécurité et du développement de l’enfant, et à éviter qu’elle se reproduise.
2 L’intervention relationnelle a été mise au point par le Centre jeunesse de Lanaudière en 2006 (voir chapitre 9).
3 L’intervention directe en présence se définit par une intervention faite par un intervenant dans le milieu ou une entrevue réalisée en présence de l’enfant et/ou ses parents. L’intervention indirecte est effectuée par un intervenant auprès d’un partenaire interne ou externe, ou encore consiste en un appel ou une entrevue téléphonique avec l’enfant, les parents ou toute autre personne.
4 Pour plus de détails, voir Young (2008b).
Auteur
Agente de planification, de programmation et de recherche, Direction des services professionnels et des affaires universitaires, CJM-IU
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'éducation aux médias à l'ère numérique
Entre fondations et renouvellement
Anne-Sophie Letellier et Normand Landry (dir.)
2016
L'intégration des services en santé
Une approche populationnelle
Lucie Bonin, Louise Belzile et Yves Couturier
2016
Les enjeux éthiques de la limite des ressources en santé
Jean-Christophe Bélisle Pipon, Béatrice Godard et Jocelyne Saint-Arnaud (dir.)
2016
La détention avant jugement au Canada
Une pratique controversée
Fernanda Prates et Marion Vacheret (dir.)
2015
La Réussite éducative des élèves issus de l'immigration
Dix ans de recherche et d'intervention au Québec
Marie McAndrew (dir.)
2015
Agriculture et paysage
Aménager autrement les territoires ruraux
Gérald Domon et Julie Ruiz (dir.)
2014