4. Pour une intervention centrée sur la théorie de l’attachement
p. 83-104
Note de l’auteur
Chapitre rédigé avec la collaboration de Lucie Laporte, éducatrice aux ressources au Centre jeunesse Laval, et Guylaine Lehoux, conseillère cadre à la DSP au Centre jeunesse Laval. Tous les auteurs sont membres du Groupe de travail en attachement.
Texte intégral
À toutes les époques et dans toutes les cultures, les adultes accompagnent les enfants dans leur cheminement vers la maturité. Cet accompagnement résulte d’un amalgame complexe de croyances, de coutumes, de façons de faire, de normes sociales parfois explicites, mais la plupart du temps implicites, auxquelles s’ajoutent différentes conditions aidantes ou défavorables (socioéconomiques, sociopolitiques, etc.). Depuis une trentaine d’années, la théorie de l’attachement se démarque très clairement parmi les outils de compréhension des relations qui s’établissent entre les enfants et leurs donneurs de soins principaux, relations qui viendront teinter l’ensemble des relations sociales de ces enfants – futurs adultes – avec leur entourage. Le Groupe de travail en attachement du Centre jeunesse de Laval se penche depuis 2003 sur les applications pratiques de la théorie de l’attachement dans l’accompagnement des enfants âgés de 6 à 12 ans et de leurs parents dans un contexte d’hébergement en centre jeunesse, en internat ou en foyer de groupe institutionnel. Les applications pratiques qui ont été dégagées dépassent largement ces contextes et font actuellement l’objet d’expérimentations dans d’autres milieux : ressources intermédiaires, familles d’accueil, etc.
1C’est en janvier 2003 que se créait au Centre jeunesse de Laval un groupe de travail sur l’intervention en lien avec la théorie de l’attachement. Ce groupe, composé d’éducateurs, de conseillers et de consultants œuvrant avec les enfants de 6 à 12 ans suivis en centre jeunesse, déposait en avril 2004 un rapport intitulé L’intervention pour promouvoir la sécurité de l’attachement chez les enfants qui vivent un placement (Lehoux, 2004). Ce rapport, accompagné d’un outil de vulgarisation qui sera plus tard publié (Breton, 2009), était présenté au Congrès de l’Association des centres jeunesse du Québec (ACJQ) tenu la même année et suscitait de nombreux commentaires positifs.
2Le contexte organisationnel, formé depuis une dizaine d’années d’un foyer de groupe institutionnel composé d’une équipe stable et mixte (le foyer Honfleur) et d’un milieu d’hébergement en internat en pleine structuration ouvert aux approches nouvelles (le Service de réadaptation pour enfants), a permis de poursuivre la démarche et d’expérimenter plus à fond les différentes pistes d’intervention proposées.
3Deux des membres du groupe de travail ont fait le premier pas vers l’organisation de l’ensemble des interventions dans une démarche plus structurée et documentée (Breton et Lehoux, 2007). La poursuite de ces travaux au cours des années suivantes a permis l’élaboration d’un Modèle d’intervention différentielle centré sur les besoins d’attachement, de même que la création d’un outil d’organisation et d’interprétation des manifestations d’attachement des enfants, la Grille d’observation des indices de sécurité affective des enfants d’âge préscolaire et scolaire (Lehoux et al., 2007-2009). Des expérimentations à l’insu avec les centres jeunesse de Chaudière-Appalaches et de la Montérégie ont permis de commencer d’éprouver sur le terrain les outils mis au point et ont confirmé le bien-fondé de la démarche, laquelle a été présentée aux différentes tables clientèles de l’ACJQ en janvier 2007 (Table des directeurs des services de réadaptation [DSR] et Table des directeurs des services professionnels [DSP]).
4De ces présentations est né, en 2008, le Projet provincial en attachement pour les enfants de 6 à 12 ans. Ce projet, coordonné par Daniel Breton, est chapeauté par l’Association des centres jeunesse du Québec et par le Centre jeunesse de Laval. Il regroupe cinq centres jeunesse dits expérimentaux : Laval, Montréal, Chaudière-Appalaches, Laurentides et Bas-Saint-Laurent. Un bâilleur de fonds, l’Association en santé et sécurité du travail, secteur affaires sociales, est aussi associé au projet pour l’élaboration d’une formation de trois jours destinée aux intervenants des milieux d’hébergement pour les 6-12 ans. Le Centre de formation de l’ACJQ en assure la diffusion, et un chercheur pilote la validation de la démarche et des outils développés. Ultimement, la création d’une communauté de pratique centrée sur la théorie de l’attachement pourrait voir le jour et permettre à la fois la cueillette de données pour alimenter la recherche et le partage d’expériences sur le terrain pour assurer l’évolution du projet.
théorie de l’attachement et intervention
5Le lien d’attachement se définit comme un lien unique, spécifique et durable qui unit l’enfant à une personne significative. L’enfant puise dans ce lien un sentiment de sécurité dans des situations de détresse ou de stress, sécurité qui lui permet de continuer à explorer et à se développer. Augmenter la sécurité de l’attachement, c’est permettre aux enfants d’avoir recours à des stratégies plus efficaces pour trouver du réconfort en situation de stress (apaisement, réassurance, régulation de ses émotions) et leur donner la possibilité d’aller « explorer » (devenir autonome, apprendre, développer ses talents).
6Les comportements d’attachement sont ceux qui visent à augmenter la proximité ou à maintenir le contact avec la figure d’attachement. Ils sont susceptibles d’être activés lorsque l’enfant se sent effrayé, triste, fatigué ou malade, par exemple. Lorsque les besoins d’attachement sont suffisamment comblés, d’autres systèmes comportementaux, tels l’exploration ou l’apprentissage, peuvent être activés. Les comportements d’attachement jouent ainsi un rôle essentiel dans le développement de l’enfant.
7Le type d’attachement qu’un enfant développe découle de l’histoire de ses interactions avec sa figure d’attachement primaire. À partir de la réponse qu’il reçoit aux signaux qu’il émet pour traduire ses besoins d’attachement, l’enfant intériorise peu à peu les stratégies qui s’avèrent les plus efficaces auprès de son donneur de soins. Vers l’âge de trois ans, ces stratégies intériorisées forment les « modèles internes opérants » et reflètent comment l’enfant évalue la fiabilité du parent ainsi que son sentiment de mériter soins et attention. Dans de nouvelles situations sociales, ces modèles vont influencer les estimations de l’enfant quant à la probabilité d’une réponse sécurisante qui favoriserait une continuité dans les modes d’attachement. Au cours de la même période, avec le développement du langage et de la capacité de considérer la perspective de l’autre, les modèles internes opérants s’observent également dans les stratégies de l’enfant pour communiquer ses intentions et ses projets, pour comprendre ceux de son donneur de soins, bref, pour participer à des négociations visant à atteindre un but commun (Moss et al., 2000). Il s’agit du « partenariat à buts corrigés », dont voici une illustration.
8Félix, 6 ans, s’amuse avec ses blocs depuis quelque temps quand son ami l’appelle pour aller jouer dehors.
— Maman, je veux aller jouer dehors avec Sébastien.
La mère répond :
— Oui, c’est une bonne idée. Est-ce que tu vas mettre tes nouveaux patins à roulettes ?
— Je sais pas, je ne suis pas encore assez bon…
— Tu peux demander à Sébastien de te montrer, lui il est plus grand.
— Mais j’ai peur de tomber… — Si tu mets tes protège-genoux, tu ne te feras pas mal. Je pense que tu es assez bon pour faire du patin avec Sébastien.
— Bon, je vais lui demander. Je peux y aller tout de suite ?
— Attends, je veux que tu ramasses tes blocs avant de partir.
— Ah, non ! Sébastien m’attend, je le ferai en revenant.
La mère insiste en expliquant qu’elle lui permet de rester dehors jusqu’au souper si les blocs sont ramassés, car elle veut faire du ménage pendant son absence :
— Viens, on va les ramasser ensemble, tu fais des tas et je les mets dans la boîte.
9À cet âge et jusqu’à l’adolescence, la qualité de l’attachement s’observe à travers la façon dont l’enfant trouve réponse à ses besoins de réconfort, mais aussi à travers l’expression de ses émotions et dans la qualité de ses échanges verbaux avec le parent.
Les types d’attachement
10On distingue quatre grandes catégories caractérisant le lien d’attachement (Vondra et Barnett, 1999). Celles-ci ne sont pas nécessairement mutuellement exclusives ; l’enfant peut développer un type d’attachement dominant tout en présentant aussi des caractéristiques d’un autre type. Par ailleurs, l’enfant peut établir des relations d’attachement différentes avec d’autres figures significatives. Théoriquement, le type d’attachement associé à la figure d’attachement primaire serait celui qui teinte la majorité de ses relations et celui auquel il aura recours en situation de stress.
L’attachement insécurisant-évitant (Type A)
11Ce type d’attachement représente une stratégie secondaire liée à un surinvestissement de l’exploration au détriment des manifestations d’attachement visant l’obtention de réconfort. Cette stratégie est souvent liée au malaise perçu chez le parent dans les situations de réconfort, se traduisant par des réactions distantes ou rejetantes de la part de celui-ci. L’enfant intériorise : « Si je manifeste que j’ai besoin de quelqu’un ou que je suis en détresse, je risque fort de déranger et d’être rejeté. Il vaut mieux ne pas démontrer de sentiments négatifs et compter sur moi. »
12Exemple : L’enfant de 6 ans tombe alors qu’il fait du vélo devant la maison. Son genou saigne. Il a bien envie de pleurer… Mais maman lui a dit d’aller jouer dehors et de ne pas la déranger. Il éponge le sang avec le bas de son chandail et continue son parcours en ravalant ses larmes.
13L’enfant dont l’attachement est de type évitant a tendance à se tourner davantage vers les objets ou même vers les étrangers plutôt que vers son parent. Avec ce dernier, les discussions demeurent souvent brèves et peu approfondies, une distance physique et émotive s’observe et les jeux en commun se font davantage en parallèle et restent centrés sur la tâche. À l’âge adulte, l’importance accordée aux relations affectives peut être minimisée afin d’éviter de vivre du rejet.
L’attachement sécurisant (Type B)
14Ce type d’attachement découle d’un bon équilibre entre les besoins de réconfort et d’exploration. En situation de stress, l’enfant trouve auprès de sa figure d’attachement primaire un réconfort lui permettant de reprendre l’exploration une fois rassuré. Le parent répond rapidement aux demandes de réconfort, mais encourage et approuve le retour au jeu de l’enfant par la suite.
15Exemple : L’enfant de 6 ans tombe alors qu’il fait du vélo devant la maison. Son genou saigne. Il court en pleurant à la maison. Sa mère, qui l’a entendu, vient le retrouver et lui demande ce qui s’est passé. Il raconte sa mésaventure en pleurnichant. Maman examine le gros bobo, et rassure l’enfant en lui expliquant que ce n’est pas une blessure grave et qu’ils vont soigner cela. Après que maman lui a mis un pansement, l’enfant ne pleure presque plus. Maman lui demande si ça va mieux et s’il se sent prêt à retourner jouer, car même si le genou lui fait un peu mal, ça va bien aller maintenant. L’enfant retourne à son vélo.
16Dans ce type d’attachement, le parent est également à l’aise pour instaurer des limites et maintenir la gouverne dans la relation. Le parent est principalement centré sur les besoins de l’enfant et non sur les siens. La communication est claire et directe. L’enfant intériorise : « Je suis quelqu’un de bien, de valable et je mérite qu’on s’occupe bien de moi. Il y a autour de moi des gens qui peuvent m’aider et me rassurer lorsque je suis en détresse. » Conséquemment, à l’âge scolaire, il est capable de jouer de façon complémentaire, de négocier et de poursuivre son objectif tout en acceptant des compromis. L’enfant fait preuve de beaucoup d’autonomie et il arrive à déployer des stratégies efficaces pour gérer les frustrations qu’il ressent. Il est capable de partager ses sentiments avec son parent et de faire des activités avec lui. Avec les pairs, l’enfant dont l’attachement est sécurisant établit généralement des relations prosociales.
L’attachement insécurisant-ambivalent (Type C)
17Dans l’attachement de type insécurisant-ambivalent, l’accent est mis sur les besoins de réconfort au détriment de l’exploration. L’interaction parent-enfant semble souvent interférer avec l’exploration plutôt que la favoriser. L’enfant résiste à la séparation et montre des signes de détresse ou de colère importants, car il ne sent pas le soutien de son parent lorsqu’il s’éloigne et lorsqu’il a besoin de réconfort. Le parent, de son côté, est souvent inconsistant sur le plan de sa disponibilité affective. Il peut, par exemple, susciter des contacts physiques lorsque l’enfant est occupé à explorer et l’enfant sent le malaise du parent à le voir s’éloigner. Le parent éprouve aussi souvent de la difficulté à instaurer des limites et à gérer les émotions et les conflits.
18Exemple : L’enfant de 6 ans tombe alors qu’il fait du vélo devant la maison. Son genou saigne. Il se met à crier et à pleurer très fort. Sa mère ne l’entend pas tout de suite, mais quand elle le voit arriver le genou en sang, elle se met elle aussi à crier : « Qu’est-ce que tu as fait, mon Dieu, tu saignes ! Je te l’avais bien dit que t’es trop petit pour aller en vélo tout seul… Tu m’écoutes jamais ! » L’enfant se colle sur maman en pleurant, puis se fâche et lui crie : « C’est ta faute parce que t’as pas voulu venir m’aider ! » L’enfant demeure très longtemps inconsolable et il n’est pas en mesure de retourner faire du vélo.
19Dans son modèle de représentations internes, l’enfant semble avoir intégré ceci : « Je ne sais jamais si je vais obtenir une réponse à mes besoins. C’est seulement lorsque je manifeste fortement ma détresse, mon impuissance ou ma colère que quelqu’un s’occupe de moi. » Il en résulte un enfant qui n’arrive pas à s’éloigner du parent, tout en ne vivant pas d’apaisement en demeurant à proximité. La relation s’avère conflictuelle et marquée par la dépendance. À l’âge scolaire, l’enfant peut manifester un besoin constant de contact et d’approbation. Il vit beaucoup d’insatisfactions dans ses relations interpersonnelles et peut manifester de l’agressivité.
L’attachement insécurisant-désorganisé (Type D)
20L’attachement insécurisé-désorganisé découle de l’observation de plusieurs types de comportement ne pouvant être associés spécifiquement aux trois types précédents. Plusieurs variantes peuvent être notées à l’intérieur de cette catégorie caractérisée, justement, par l’absence de stratégies d’attachement cohérentes et organisées. L’enfant peut adopter des comportements contradictoires d’approche et d’évitement ou démontrer des indices de désorientation ou d’appréhension en présence du parent, illustrant un conflit insoluble entre son besoin et sa peur du parent. Le parent d’un enfant désorganisé peut manifester des comportements menaçants ou effrayants pour l’enfant. On observe aussi des mères qui paraissent retirées, déprimées ou imprévisibles avec l’enfant.
21Exemple 1 : L’enfant de 6 ans tombe en faisant du vélo devant la maison. Son genou saigne. Il ne sait que faire. Il commence spontanément à pleurer et à crier, mais il s’arrête tout de suite, car il se rappelle que, la dernière fois où il a pleuré comme ça, sa mère l’a disputé assez fort. Il rentre à la maison et va voir ce que maman fait. Il hésite, puis il va se chercher un pansement pour l’appliquer lui-même sur son genou. Maman le surprend et s’énerve : « Ah ! bon, tu t’es encore fait mal ! Regarde ce que tu fais, tu salis tout ! » L’enfant s’excuse et lui dit de ne pas s’en faire, qu’il va tout ramasser. Il ne retourne pas en vélo.
22Exemple 2 : L’enfant de 6 ans tombe en faisant du vélo devant la maison. Son genou saigne. Il ne sait que faire. Il commence spontanément à pleurer et à crier, mais il s’arrête tout de suite. Il se tourne vers son vélo et lui donne un bon coup de pied. Il entre à la maison et appelle sa mère pour qu’elle vienne tout de suite. Cette dernière vient l’aider à mettre un pansement, mais l’enfant lui crie après parce que ça lui fait mal et qu’elle ne met pas, selon lui, le pansement comme il faut. La mère ne sait plus quoi faire. L’enfant ne retourne pas en vélo, parce qu’il l’a brisé.
23Dans ce cas, le parent est souvent issu d’une population à risque et peut être négligent ou maltraitant, ou encore présenter des symptômes psychiatriques. Le modèle de représentations internes de l’enfant ressemble à : « Je suis impuissant et incapable de me contrôler. Je ne peux pas compter sur les gens de mon entourage pour me guider ou m’aider, car ils ne sont pas disponibles ou peuvent même me faire du mal. » L’enfant intériorise ainsi un sentiment d’impuissance qui l’amènera, en grandissant, à développer des stratégies pour s’assurer un certain « contrôle » dans l’interaction avec le parent. Ce contrôle peut prendre deux formes, indépendantes ou en alternance : le pôle contrôlant-donneur de soins et le pôle contrôlant-punitif. Dans le pôle contrôlant-donneur de soins, l’enfant structure l’interaction avec son parent de façon attentionnée, dans un désir de guider celui-ci, de l’orienter ou de l’égayer. On suppose que cette stratégie pourrait s’avérer un mécanisme d’autoprotection contre les sautes d’humeur d’un parent abusif, dans une tentative de garder celui-ci dans un état affectif positif. Dans le pôle contrôlant-punitif, l’enfant structure l’interaction avec le parent d’une façon hostile ou punitive, dans le but possible de mobiliser davantage un parent peu fonctionnel. Dans les deux cas, la relation parent-enfant est généralement caractérisée par un renversement de rôles. On observe souvent chez ces dyades un contraste saisissant entre le parent, qui adopte un rôle passif et sous-stimulant dans les activités, et l’enfant, qui concentre son attention et son énergie à prendre en charge l’interaction.
Stabilité de l’attachement et phases de changement
24Avec la même figure significative, il semble que les types d’attachement sécurisants, évitants et ambivalents s’avèrent assez stables dans le temps, si les caractéristiques du milieu demeurent constantes. Cependant, si le milieu familial est exposé à des événements stressants ou traumatiques, ou que l’enfant vit des séparations à répétition, on peut assister à des modifications du lien d’attachement. Le type d’attachement insécurisant-désorganisé se modifie plus fréquemment au fil du temps, car les caractéristiques des populations à risque s’avèrent souvent moins stables. En effet, il est possible pour un enfant de développer un nouveau type d’attachement dans un milieu différent ou auprès d’une autre figure significative.
25Les modèles internes opérants peuvent se modifier en s’assouplissant ou en se diversifiant (Farrel et al., 1992). Premièrement, si la figure d’attachement primaire arrive à répondre différemment aux besoins d’attachement de l’enfant, le modèle de l’enfant s’assouplira et se modifiera peu à peu. Plusieurs interventions visant particulièrement les mères de bébés ou de jeunes enfants poursuivent cet objectif, comme il sera discuté dans la troisième partie (Parent, Ménard et Pascal, 2000 ; van Ijzendoorn, Juffer et Duyvensteyn, 1995). Deuxièmement, de nouvelles figures d’attachement peuvent fournir à l’enfant des expériences d’interactions différentes lui permettant de diversifier ses modèles. La diversification est possible si des personnes de l’entourage immédiat de l’enfant sont suffisamment présentes pour jouer le rôle de pôle de sécurité, ou encore, en situation de placement, avec les éducateurs ou les parents d’accueil (Chase, Stovall et Dozier, 1998 ; Leaf, 1995).
26Devant de nouvelles situations relationnelles, le modèle interne opérant de l’enfant tend, dans un premier temps, à assimiler les situations afin qu’elles correspondent à son modèle intériorisé. L’enfant réagit de la façon qu’il connaît, utilise les stratégies « éprouvées », même si, d’un point de vue extérieur, elles ne paraissent pas adaptées à la nouvelle situation. À plus long terme, de nouveaux modèles internes opérants se développent, à mesure que l’enfant intègre de nouvelles stratégies pour trouver réponse à ses besoins d’attachement. Le modèle primaire peut toutefois demeurer prédominant et ressurgir dans les situations de stress qui rappellent les situations de détresse passées, et aussi auprès des figures d’attachement avec lesquelles il demeure efficace.
27L’ensemble de ces principes directeurs a guidé l’élaboration du Modèle d’intervention différentielle qui a été vulgarisé avec La fabuleuse histoire des îles. Cette histoire utilise une description imagée des différents milieux de vie des enfants à travers des îles où les conditions de vie déterminent les relations entre les enfants et les adultes. Après de violentes tempêtes, les enfants sont emportés au loin et rescapés sur un immense navire où l’équipage tient lieu à la fois de parents substituts et d’observateurs privilégiés. C’est dans l’épilogue, à travers la description du travail des matelots, que l’intervention prend tout son sens.
la fabuleuse histoire des îles (extrait de l’épilogue)
28Au fil des jours, les matelots arrivent à mieux comprendre les besoins des enfants rescapés à travers leurs divers modes d’expression. Ce sont, bien sûr, des spécialistes du décodage !
29À force d’observer, de décoder, de comprendre et de rassurer, ils arrivent tout doucement à sécuriser et réconforter chacun des enfants qu’ils reçoivent, sans jamais brusquer ces petits êtres déracinés.
30En fait, ils leur permettent d’être ce qu’ils sont… en les accueillant à travers les modes relationnels qu’ils ont connus sur leur île, ceux qui leur ont assuré le plus de réconfort possible dans leur milieu… ceux qui leur ont permis de vivre et de survivre.
31Tout doucement, à l’aide de cartes et d’outils de navigation, les matelots amènent les enfants à explorer des modes relationnels différents, à exprimer leurs besoins de réconfort et de sécurité autrement. Lentement mais sûrement, les enfants en viendront à mieux saisir leurs propres besoins et arriveront à explorer les meilleures façons d’y répondre… Après tout, les matelots ne seront pas les seuls adultes nouveaux qu’ils rencontreront dans leur vie.
32Au bout du voyage, certains enfants retourneront dans leur île d’origine alors que d’autres iront possiblement s’installer sur une île d’accueil. Peu importe, tous quitteront plus confiants, sachant que leurs besoins de base en sécurité et en réconfort peuvent être décodés par les adultes.
33Quant aux matelots, ils continueront à patrouiller la mer suite aux violentes tempêtes, récupérant les enfants flottants et assurant à chacun d’entre eux la meilleure réponse possible à leurs besoins d’attachement.
Le Modèle d’intervention différentielle
34L’objectif essentiel de l’intervention centrée sur les besoins d’attachement consiste à favoriser l’établissement d’un lien d’attachement le plus sécurisant possible avec un adulte significatif. Trois acteurs participent au processus : l’intervenant, le parent et l’enfant. Deux axes de travail sont proposés : soit les intervenants soutiennent le parent afin qu’il maximise son rôle de pôle de sécurité auprès de son enfant, soit les intervenants visent à jouer ce rôle eux-mêmes auprès de l’enfant, en tant que figure d’attachement nouvelle, les deux axes pouvant se réaliser de manière complémentaire. D’ailleurs, dans un contexte de placement en milieu d’hébergement, l’intervention poursuit ces deux champs d’action de façon concurrente et simultanée. Au cœur de l’approche se trouve un ingrédient essentiel : offrir à l’enfant un milieu stable et prévisible où il trouvera réponse à ses besoins de base. Il s’agit là du squelette à la base du Modèle d’intervention différentielle, dont voici les principaux éléments :
351. Offrir un milieu stable et prévisible. Les enfants qui vivent un placement ont tous connu au moins une rupture importante avec leur figure d’attachement principale. Ceux qui sont hébergés dans une ressource de réadaptation ont une histoire souvent ponctuée de déplacements, d’interruption dans les soins, d’irrégularité dans les contacts. Afin de les amener à acquérir progressivement le sentiment qu’ils peuvent compter sur leur environnement, leur milieu de vie doit fournir les conditions les plus stables et prévisibles possibles. Mais attention ! La stabilité dont on parle ici s’actualise dans la réponse aux besoins d’attachement des enfants et non dans la façon de sévir face à des gestes mésadaptés.
362. Devenir un pôle de sécurité pour l’enfant. Comme le montre le tableau 1, jouer un rôle de pôle de sécurité pour l’enfant, c’est soutenir ses explorations ou ses apprentissages en lui servant de point de repère, en le valorisant, en validant ce qu’il ressent, en l’accueillant et en le réconfortant lorsqu’il en éprouve le besoin. C’est devenir la personne vers qui il peut se tourner et s’appuyer pour grandir.
tableau 1. Attitudes et comportements permettant d’être un pôle de sécurité
Objectifs | Attitudes et principes |
Offrir de la proximité | Être disponible |
Soutenir l’exploration | Encourager les apprentissages |
Prendre en charge | Quand les exigences de la vie quotidienne dépassent les capacités de l’enfant d’y faire face, l’adulte doit les prendre en charge. |
373. Devenir un pôle de sécurité pour le parent. Dès que le parent arrive à jouer un rôle de pôle de sécurité auprès de son enfant, on peut s’attendre à en observer les impacts. L’établissement d’une relation de confiance entre le parent et l’éducateur en est le point de départ. Il s’agit en quelque sorte de devenir également un pôle de sécurité pour le parent. En effet, le parent a besoin d’expérimenter lui aussi une relation sécurisante pour accepter d’aborder sa relation avec son enfant dans une perspective de changement et devenir davantage capable d’exercer un rôle de pôle de sécurité auprès de son enfant. Le tableau 2 traduit cet objectif en termes plus opérationnels.
tableau 2. Actions permettant de jouer un rôle sécurisant auprès du parent et obstacles pouvant entraver ce rôle
Actions | Obstacles à la collaboration du parent |
Nourrir des attentes réalistes (bien évaluer les capacités du parent) | Exprimer des attentes qui dépassent les capacités du parent |
Stratégies spécifiques dans l’axe parent
38Au squelette général s’ajoutent différents éléments. Les premiers sont les champs d’intervention à partir desquels les intervenants planifieront leur action. Du côté de l’axe parent, il s’agit de mettre en évidence les interactions positives parents/enfant, de favoriser l’exploration des zones de confort et d’inconfort du parent et de soutenir le développement des compétences reliées à l’attachement.
39Selon que l’on aborde le parent naturel de l’enfant ou un parent substitut, différents outils sont utilisés pour sensibiliser la personne à la théorie de l’attachement.
40Avec les intervenants et les familles d’accueil, l’allégorie de La fabuleuse histoire des îles propose de très bonnes balises de compréhension des comportements de l’enfant en interaction avec des étrangers. Avec les parents naturels, ou avec des parents qui accompagnent des enfants depuis leur tout jeune âge et qui les considèrent comme leurs propres enfants, les notions d’attachement sont abordées à partir d’un autre outil, le Cercle de sécurité, conçu aux États-Unis par Cooper et al. (1998). Cet outil fait partie intégrante de l’approche avec les parents et s’inscrit en quelque sorte en toile de fond de l’axe parent, qui prévoit les actions qui suivent :
Mettre en évidence les interactions positives parent-enfant
41Au début de l’intervention, il est préférable de se centrer principalement sur les compétences du parent et sur les moments positifs de la relation parent-enfant, et ce, afin de permettre de « renverser la vapeur » qui produit une relation souvent problématique. Pour ce faire, à l’instar de la plupart des interventions préconisées pour améliorer la sensibilité parentale, l’éducateur sera à l’affût de tous les indices de réciprocité ou de réponse positive de la part du parent afin de lui refléter ses compétences.
42Il est nécessaire d’identifier dans quels contextes le parent et l’enfant arrivent à vivre de bons moments ensemble. Pour certains parents, les visites dans le milieu d’hébergement, où ils peuvent jouer leur rôle de parent tout en bénéficiant du soutien de l’éducateur, sont à privilégier. Pour d’autres, la durée, le lieu et le contenu des congés dans la famille sont soigneusement planifiés en collaboration avec l’intervenant social. Les compétences démontrées à ces occasions servent de point d’appui pour aborder éventuellement les dimensions à développer davantage.
Favoriser l’exploration des zones de confort et d’inconfort du parent
43Les habiletés parentales en matière d’attachement sont fortement influencées par l’histoire du parent en tant qu’enfant. Cette histoire, si elle recèle parfois de très grands bonheurs, peut aussi comporter de grands malheurs, de grandes angoisses et, bien souvent, certains traumatismes.
44Bien malgré eux, les enfants confrontent les parents à leurs propres malaises, à leurs propres angoisses et, chez la plupart des parents, cette confrontation peut être ressentie comme dangereuse. Les mécanismes de défense élaborés par chacun peuvent être plus ou moins efficaces, ou, encore, s’exercer au prix d’un appauvrissement significatif de la vie affective et sociale.
45Étant donné que les comportements d’attachement ou d’exploration des enfants peuvent confronter les parents à leurs propres angoisses et susciter chez eux de la peur, il est nécessaire que l’intervenant les soutienne dans l’exploration de leurs zones de confort et d’inconfort. Cette exploration se fera dans la mesure où le parent aura créé une relation suffisamment sécurisante avec l’intervenant. Le but ici n’est pas de chercher à éliminer les causes d’angoisses du parent, mais bien de les rendre supportables de sorte qu’elles interfèrent moins dans sa capacité à offrir une réponse rassurante à son enfant.
Soutenir le développement des compétences reliées à l’attachement
46Lorsque les zones d’inconfort sont identifiées, la porte est ouverte au changement. Le parent se retrouve probablement devant un déséquilibre personnel face à cette prise de conscience, mais, s’il est suffisamment rassuré dans sa capacité à être un bon parent, qu’il a le soutien dont il a besoin et qu’il désire un changement, il pourra décider de modifier certaines de ses interactions avec son enfant. Les objectifs sont ainsi déterminés par la motivation du parent, en tenant compte de ses compétences. Pour certains parents, des compétences plus fondamentales, telles la régularité des contacts, la contribution à certains besoins physiques de base ou l’utilisation d’une discipline adéquate, peuvent constituer les habiletés prioritaires à développer.
47Il peut être indiqué avec certains parents de proposer une auto-observation des interactions avec l’enfant, à l’aide d’une grille qui permet de mettre en relief les zones de confort et d’inconfort. Il s’agit alors de voir avec le parent ce qu’il souhaite modifier dans ses interactions avec l’enfant, ou, encore, sur quels points il souhaite recevoir une aide particulière. Un parent peut avoir envie de mettre à l’essai ses idées personnelles ou il peut souhaiter qu’on lui enseigne des façons de faire. Le modelage, les échanges, les encouragements deviennent alors des moyens valables d’intervenir, selon ce qui convient au parent. La reconnaissance d’une zone d’inconfort peut aussi conduire le parent à demander qu’on prenne la relève dans la réponse aux besoins de l’enfant auxquels il a du mal à répondre.
48Ces objectifs visant le développement des capacités parentales peuvent être poursuivis dans l’accompagnement individuel ou par le biais de groupes de parents favorisant le partage des compétences et des connaissances.
Stratégies spécifiques dans l’axe enfant
49Du côté de l’axe enfant, les champs d’intervention à partir desquels les intervenants planifieront leur activité consistent à moduler la proximité et la distance, à utiliser le vécu partagé positif et à composer avec les conflits en soutenant l’expression et la régulation des émotions.
Moduler la proximité et la distance
50L’enfant a besoin de la proximité d’une personne familière considérée comme suffisamment sage et forte pour l’aider à composer avec ses peurs, sa tristesse, sa fatigue ou ses malaises physiques. Les enfants dont l’attachement est insécurisant ou désorganisé n’ont pas trouvé cette proximité. Leurs stratégies d’adaptation sont ainsi teintées de peur du rejet, d’insatisfaction, ou de contrôle par peur de l’agression ou de l’absence de réponse. Fournir une réponse sécurisante à ces enfants implique de décoder soigneusement leurs besoins à travers une foule de comportements plus ou moins adaptés.
51Le décodage des besoins de réconfort et d’exploration permet d’élargir l’éventail des interventions susceptibles d’apaiser l’enfant. Par contre, chez les enfants particulièrement atteints sur le plan de l’attachement, ce décodage s’avère souvent très complexe. Certains enfants peuvent, en effet, envoyer un double message, comme s’ils voulaient à la fois qu’on les tienne à distance et qu’on reste tout près d’eux. Ou encore, ils ont appris à camoufler leurs besoins d’attachement et d’exploration de telle sorte que ces besoins s’avèrent difficiles à décoder. On note que des changements apparaissent à long terme chez ces enfants lorsqu’ils arrivent à vivre de longues périodes de stabilité, avec de patients efforts des adultes visant à découvrir le bon dosage de la distance relationnelle et du contrôle qu’il est possible, ou non, de leur laisser.
Utiliser le vécu partagé positif
52Lorsque l’éducateur arrive à partager avec l’enfant un moment où ce dernier vit des succès ou s’amuse à l’intérieur de ses champs d’intérêt et d’habileté, il est plus facile de l’amener à expérimenter de nouveaux modes relationnels. Dans un contexte où il se sent confortable, l’enfant a moins recours à ses patrons comportementaux intégrés et il peut plus facilement s’ouvrir à de nouvelles stratégies. Ces moments de partage avec l’adulte permettent à l’enfant de faire ses premiers pas vers l’autonomie, de s’exprimer plus clairement, de partager ses objectifs, de négocier ou de prendre des initiatives qui demeurent balisées par l’adulte. Il arrive alors à vivre pendant de courts instants une interaction sécurisante qui facilite l’exploration de nouveaux modes relationnels.
Composer avec les conflits
53Les observations en lien avec l’attachement mettent en évidence que l’opposition manifestée par les enfants est souvent beaucoup plus positive que l’on est d’emblée porté à le croire. En effet, c’est par le conflit que l’enfant teste la solidité et la durabilité d’une relation. C’est aussi en s’opposant à la volonté de l’adulte qu’il manifeste ses premiers désirs d’autonomie. La résolution de conflits peut ainsi être une occasion de démontrer la solidité du lien. Une approche de l’intervention mettant trop l’accent sur l’évitement ou la répression des conflits ne permettra pas au jeune de se sentir compris et sécurisé. Bien qu’éducateurs et parents aient en eux le désir profond de vivre des relations harmonieuses et sereines avec l’enfant, force est de reconnaître que les conflits font partie du quotidien et jouent un rôle des plus utiles.
54Le style de gestion de conflit adopté par l’enfant est évidemment influencé par son type d’attachement. L’enfant qui crée des conflits pour maintenir le contact avec l’éducateur, ou cet autre qui évite systématiquement d’y faire face de peur d’être rejeté y trouvent chacun des avantages. L’éducateur se retrouve parfois, contre son gré, à jouer le scénario mis en place par l’enfant, mais, progressivement, il peut lui apprendre des façons différentes de gérer les conflits. La condition essentielle est de ne pas perdre de vue le besoin, toujours légitime, de l’enfant qui se cache derrière ses éclats. Certains enfants font des crises qui ont pour effet d’obliger les éducateurs à demeurer à très grande proximité, parfois même à utiliser de la contention physique. Dans ce cas, le besoin ultime de l’enfant est possiblement d’être pris en charge et réconforté, mais il est incapable de le manifester directement.
55Pour plusieurs enfants hébergés dans les ressources de réadaptation, les comportements d’attachement se traduisent par des gestes opposants ou agressifs. L’éducateur est alors confronté au défi de ne pas s’engager dans des interventions répressives générant chez l’enfant de la colère ou de la peur, activant d’autant le recours de ce dernier aux patrons relationnels agressifs qu’il a intégrés. L’application d’interventions punitives constitue ainsi un piège face auquel il est toujours nécessaire de prendre du recul.
Soutenir l’expression et la régulation des émotions
56Un des aspects les plus importants de la réponse aux besoins de réconfort et de proximité des enfants réside dans le soutien que l’adulte peut leur apporter pour exprimer et régulariser leurs émotions. Si un enfant dont l’attachement est sécurisant peut arriver à fournir à son parent des indices assez clairs de ses malaises pour que ce dernier soit en mesure de le réconforter, il n’en est pas de même pour les enfants dont l’attachement est insécurisant ou désorganisé. L’expression des émotions prend alors habituellement des formes inadaptées, qui peuvent aisément être mal interprétées. Les situations ravivant une détresse passée génèrent souvent les plus grands débordements. Il importe de ne pas perdre de vue que, même si les réactions paraissent disproportionnées en fonction de ce qui se passe, elles sont sans doute tout à fait proportionnées à l’ampleur des sentiments que vit l’enfant. Celui-ci a alors grand besoin de se sentir accompagné et validé dans sa détresse. Ce n’est souvent qu’au fil d’expériences répétées de compréhension et de soutien qu’il pourra expérimenter d’autres moyens d’expression plus adaptés.
57La schématisation de l’approche centrée sur les besoins d’attachement est presque achevée. Les acteurs (l’intervenant, le parent et l’enfant) sont définis, le but (favoriser l’établissement d’une relation la plus sécurisante possible avec un adulte significatif) et la condition incontournable (offrir à l’enfant un milieu stable et prévisible où il trouve réponse à ses besoins de base) sont clairement identifiés, de même que les deux axes de travail (axe parent et axe enfant), avec les différents champs d’intervention propres à chacun. S’ajoutent maintenant des interventions différentielles, qui varieront en fonction des manifestations d’attachement des enfants, sur l’axe enfant, et en fonction des compétences et des difficultés du parent en regard de l’attachement, sur l’axe parent.
les interventions différentielles
58Les différents champs d’intervention qui viennent d’être identifiés et qui fondent le modèle d’intervention différentielle indiquent la méthode, mais pas nécessairement la manière. Si l’approche en attachement suggère différents champs d’intervention, il va sans dire que l’opérationnalisation de chacun d’eux se fera différemment selon que les manifestations d’attachement de l’enfant relèvent plus de la sécurité, de l’évitement, de l’ambivalence ou de la désorganisation. Conséquemment, chacun des champs d’intervention, qu’ils se situent sur l’axe enfant ou sur l’axe parent, est assorti d’interventions différentielles qui relèvent, nous le soulignions, du côté des enfants, de leurs manifestations d’attachement, et, du côté des parents, de leurs compétences ou des difficultés éprouvées par rapport à l’attachement.
59Ces interventions sont celles que nous proposons pour répondre le plus efficacement possible aux besoins d’attachement de la clientèle. Nous jugeons qu’elles sont les plus susceptibles d’apaiser l’enfant ou le parent. Nous partons du principe que l’enfant ou le parent apaisé sera plus en mesure d’optimaliser son potentiel, de faire de nouveaux apprentissages et d’expérimenter de nouvelles façons d’être en relation avec son entourage.
60L’ensemble des interventions pour chacun des champs a été rassemblé sous forme de tableaux d’interventions différentielles, qui donnent, en quelque sorte, un corridor d’action à l’intérieur duquel l’intervenant peut concrétiser son accompagnement. Partant de ces tableaux, l’intervenant qui observe différentes manifestations témoignant, par exemple, d’un attachement désorganisé pour un enfant donné utilisera le tableau pour baliser son intervention en regard du champ « modulation de la proximité et de la distance » avec cet enfant. À la lecture du tableau, l’intervenant saura déjà que la proximité physique avec cet enfant risque de provoquer de l’appréhension et que les comportements tyranniques ou trop attentionnés sont des indices d’anxiété chez lui. L’intervenant sera soucieux de bien camper les rôles d’adulte et d’enfant et d’être très prévisible pour l’enfant. Il aura ainsi une longueur d’avance sur les comportements de l’enfant et sera mieux en mesure de le rassurer bien avant que les besoins d’attachement s’expriment trop intensément. En répondant le plus rapidement possible aux besoins d’attachement des enfants, ceux-ci s’apaisent et l’intervenant est plus en mesure d’installer et de maintenir un climat propice aux apprentissages.
61Pour achever la mise en œuvre du modèle d’intervention différentielle centrée sur les besoins d’attachement, il ne reste qu’à ajouter deux éléments constituant l’opération par laquelle l’intervenant arrivera à cibler le plus précisément possible : les manifestations d’attachement de l’enfant, et les secteurs de compétences et de difficultés du parent en regard de l’attachement. Ces deux opérations permettront de faire des hypothèses de travail pour mieux cibler les interventions différentielles.
62Pour le moment, le matériel utilisé avec les parents demeure très intuitif et devrait se développer au cours des prochaines années. Pour les enfants, en revanche, une Grille d’observation des indices de sécurité affective, qui permet d’organiser et de traiter les observations faites par les intervenants en regard des manifestations d’attachement des enfants, a été élaborée.
la grille d’observation des indices de sécurité affective et le profil de sécurité affective
63Au fil de la conception du modèle d’intervention différentielle centrée sur les besoins d’attachement, différents outils de collectes d’observations spécifiques aux manifestations d’attachement des enfants ont été expérimentés. Le plus prometteur est la Grille d’observation des indices de sécurité affective des enfants d’âge préscolaire et scolaire. Cette grille, qui fait actuellement l’objet d’un processus de validation, consiste en une série de 44 énoncés regroupés en 11 secteurs de compétence spécifiques à l’attachement : l’expression de la détresse, la recherche de proximité, la recherche de réconfort, la réaction à l’éloignement, le sentiment de l’adulte face à l’éloignement, la reprise de contact de l’enfant, la réponse au contact de l’adulte, les échanges verbaux, la réciprocité, l’expression des émotions et les activités partagées.
64Les intervenants qui accompagnent et connaissent bien l’enfant sont invités à remplir chacun un exemplaire de la grille. Lorsque les intervenants sont familiers avec celle-ci, l’exercice prend 20 à 30 min. Une fois les grilles remplies, les résultats sont compilés et présentés sous la forme d’un graphique appelé « profil de sécurité affective ». Cet outil ne constitue aucunement une évaluation diagnostique de l’enfant. Il s’agit plutôt d’une « photographie » des manifestations d’attachement de l’enfant à un moment donné, avec des personnes données.
65Après compilation et traitement des données, le Profil de sécurité affective de l’enfant est donc dégagé. Son interprétation permet d’émettre des hypothèses se rapportant aux manifestations d’attachement de l’enfant et de planifier des actions adaptées en utilisant des interventions différentielles. Dans le cas qui est présenté à la figure 1, le profil obtenu signale que les manifestations d’attachement qui relèvent de l’ambivalence et de la désorganisation, présentes à 40 % et à 35 % respectivement, prédominent, alors que celles qui tiennent de la sécurité sont beaucoup moins fréquentes (8 %). Il y a donc de fortes probabilités que l’enfant présentant un tel profil s’autorégule en créant une proximité plus ou moins constructive avec les adultes qui l’entourent (conflits, demandes incessantes, etc.) ou encore en inversant les rôles et en se montrant tyrannique ou bienveillant.
66Partant du principe que l’enfant répète généralement les comportements d’attachement qui lui ont assuré les meilleurs soins possibles de la part de ses figures d’attachement, on suppose que ces comportements peuvent être le reflet de son histoire d’attachement. Ils sont, du moins, le reflet de ses comportements d’autorégulation, et c’est à partir de ces comportements que l’intervenant peut moduler son animation et planifier son intervention.
***
67La mise en œuvre de pratiques centrées sur la théorie de l’attachement suppose un changement de paradigme chez l’ensemble des intervenants, ainsi qu’une lecture différente des comportements des enfants qui, bien souvent, constituent en réalité des manifestations plus ou moins adaptées d’attachement et des demandes de réconfort. Nos observations actuelles nous permettent d’avancer que ce processus de changement s’installe dans les meilleures conditions sur une période allant de 12 à 18 mois dans les milieux qui ont été formés à ce type d’intervention.
68L’approche différentielle centrée sur la théorie de l’attachement et le matériel qui s’y rattache sont actuellement expérimentés dans une quinzaine de milieux de vie répartis dans cinq centres jeunesse à travers la province, soit une adhésion de plus de 90 % des milieux formés. L’approche et la Grille d’observation des indices de sécurité affective continuent d’être expérimentées au Centre jeunesse de Laval dans divers contextes d’hébergement et auprès de différents groupes d’âge (familles d’accueil, intervenants des services psychosociaux et milieux d’hébergement 12-18 ans). Les commentaires recueillis auprès des intervenants sont très positifs. Ils témoignent d’une meilleure compréhension des dynamiques relationnelles entre les enfants et les parents, d’un meilleur décodage des comportements des enfants et des parents, d’une augmentation de leur sensibilité aux besoins de sécurité affective des enfants et des parents, et du renforcement de leur sentiment de compétence dans l’accompagnement des familles.
69Le domaine de l’attachement ne constitue pas une approche ou un courant parmi d’autres, mais bien une dimension fondamentale du développement de l’enfant. Cette dimension doit être considérée comme transversale et suppose des applications effectives dans plusieurs secteurs d’activité qui dépassent largement la réadaptation. Les travaux de validation scientifique nécessaires sont amorcés et sauront, d’ici quelques années, mieux nous éclairer sur l’efficacité des pratiques centrées sur l’attachement et sur l’ampleur de l’utilisation que nous pourrons en faire.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
références
Breton, D. (2009), La fabuleuse histoire des îles ! Une introduction à la théorie de l’attachement, Québec, Association paritaire pour la santé et la sécurité dans le secteur de la santé et du travail social (APSSSTS).
Breton, D. et G. Lehoux (2007), « Manuel de pratique centré sur la théorie de l’atta chement », Laval, Centre jeunesse de Laval.
Chase Stovall, K. et M. Dozier (2007), « Infants in foster care: An attachment theory perspective », Adoption Quarterly, vol. 2, no 1, p. 55-88.
Farrel Erickson, M., J. Korfmacher et B. R. Egeland (1992), « Attachments past and present: Implications for therapeutic intervention with mother-infant dyads. Project STEEP », Development and Psychopathology, vol. 4, p. 495-507.
Leaf, S. (1995), « The journey from control to connection », Journal of Child and Youth Care, vol. 10, no 1, 15-21.
Lehoux, G. (2004), Rapport du groupe de travail sur l’attachement, Laval, Centre jeunesse de Laval,.
Lehoux, G., C. Bisaillon, D. Breton et L. Laporte (2007-2009), Grille d’observation des indices de sécurité affective des enfants d’âge préscolaire et scolaire, Laval, Centre jeunesse de Laval.
10.1080/14616730252982491 :Marvin, R., G. Cooper, K. Hoffman, et B. Powell (2002), « The circle of security project: Attachment-based intervention with caregiver-pre-school child dyads », Attachment and Human Development, vol 4, no 1, p. 107-124.
Moss, H., D. St-Laurent, C. Cyr et N. Humber (2000), « L’attachement aux périodes préscolaire et scolaire et les patrons d’interactions parent-enfant », dans Tarabulsy, G. M., Larose, S., Pederson, D. R., et G. Morgan (dir.), Attachement et développement. Le rôle des premières relations dans le développement humain, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 155-180.
10.2307/j.ctv5j01kp :Parent, S., A. Ménard et S. Pascal (2000), « La prévention des problèmes d’attachement à la petite enfance », dans Vitaro, F. et C. Gagnon (dir.), Prévention des problèmes d’adaptation chez les enfants et les adolescents, Tome 1, Montréal, Presses de l’Université du Québec, p. 305-352.
10.1111/j.1469-7610.1995.tb01822.x :Van Ijzendoorn, M. H., F. Juffer, et M. G. C. Duyvensteyn (1995), « Breaking the intergenerational cycle of insecure attachment: A Review of the effects of attachment-based interventions on maternal sensitivity and infant security », Journal or Child Psychology and Psychiatry, vol. 36, no 2, p. 225-248.
Vondra, J. I. et D. Barnett (1999), « Atypical attachment in infancy and early childhood among children at developmental risk », Monographs of the society for research in child development, Series no 258, vol. 64, no 3, p. 1-24.
Auteurs
Ph.D. Psychologue. Professeure au Département de psychologie, U. de Sherbrooke. CJ Laval
Agent de planification, de programmation et de recherche, CJ de Laval
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'éducation aux médias à l'ère numérique
Entre fondations et renouvellement
Anne-Sophie Letellier et Normand Landry (dir.)
2016
L'intégration des services en santé
Une approche populationnelle
Lucie Bonin, Louise Belzile et Yves Couturier
2016
Les enjeux éthiques de la limite des ressources en santé
Jean-Christophe Bélisle Pipon, Béatrice Godard et Jocelyne Saint-Arnaud (dir.)
2016
La détention avant jugement au Canada
Une pratique controversée
Fernanda Prates et Marion Vacheret (dir.)
2015
La Réussite éducative des élèves issus de l'immigration
Dix ans de recherche et d'intervention au Québec
Marie McAndrew (dir.)
2015
Agriculture et paysage
Aménager autrement les territoires ruraux
Gérald Domon et Julie Ruiz (dir.)
2014