3. Expérimentation de l’approche neurosensorielle en ergothérapie au CJM-IU
p. 63-82
Texte intégral
Ce chapitre présente l’apport d’une ergothérapeute d’approche neurosensorielle dans l’évaluation et le traitement des enfants en centre jeunesse, pour lesquels les interventions traditionnelles (psychiatrie, psychologie ou psychoéducation) apparaissent insuffisantes. Dans le cadre du volet « évaluation », mis en œuvre en 2007, 15 enfants âgés de 0 à 12 ans ont été évalués. Ils provenaient de ressources pour les enfants présentant des troubles sévères de l’attachement et de la réadaptation. Sur ces 15 enfants, l’évaluation a révélé que 8 présentaient des problèmes d’intégration neurosensorielle. Le deuxième volet, expérimenté à l’automne 2008, visait à offrir des traitements aux enfants identifiés précédemment et à réaliser quelques nouvelles évaluations auprès d’autres clientèles issues des services spécialisés (problèmes de santé mentale ou limitations cognitives) et des services aux adolescents. Les enfants qui ont un déficit d’intégration neurosensorielle présentent des difficultés diverses et souvent marquées, telles qu’une agitation excessive, de la fébrilité, des peurs, une incapacité à contrôler leur agressivité, des problèmes d’alimentation, de sommeil, de langage et parfois même des épisodes de dissociation. Pour eux, les services de l’ergothérapeute étaient vus comme complémentaires à ceux des divers intervenants déjà impliqués. La participation de cette professionnelle devait permettre d’aider les enfants à devenir plus disponibles aux méthodes psychoéducatives et aux apprentissages de toutes sortes et leur permettre de développer une réponse comportementale plus adaptée aux stimuli de leur environnement.
1Depuis plusieurs années, l’équipe des consultants de la Coordination du soutien clinique spécialisé (CSCS) du Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire (CJM-IU) s’inquiète de certains enfants qui présentent des symptômes difficilement contrôlables par les familles d’accueil : agitation excessive, fébrilité, peurs qui amènent des comportements inadaptés, l’incapacité à contrôler les gestes agressifs, des problèmes d’alimentation, de sommeil, de langage et parfois des périodes de retrait extrême sur soi que l’on appelle « dissociation ». Dans leur milieu de vie, ces enfants démontrent généralement plusieurs de ces problèmes d’une façon si marquée que les parents d’accueil ne parviennent pas à maintenir le placement. Ceux-ci sont donc déplacés, tôt ou tard, dans un milieu de réadaptation. Plusieurs d’entre eux répondent peu ou pas du tout aux méthodes psychoéducatives habituellement utilisées. Ces enfants semblent imprévisibles, inatteignables, désorganisés. Leur histoire de vie laisse entrevoir une multitude de facteurs de risque, ce qui rend le diagnostic différentiel très problématique et l’efficacité des interventions particulièrement limitée ou non généralisée.
2Dans le cadre d’une collaboration avec le CHU Sainte-Justine, les intervenants ont été invités à présenter à un pédopsychiatre les situations d’enfants âgés de zéro à cinq ans qui démontrent des difficultés très préoccupantes. Au cours des consultations, l’équipe de Sainte-Justine a constaté l’ampleur des problèmes de ces enfants et a fait face au même défi que les consultants de la CSCS : celui de départager les difficultés qui relèvent de traumatismes, de problèmes d’attachement, de séquelles de négligence grave ou d’abus subis, ou encore de séquelles neurologiques ou développementales pouvant résulter d’un problème de consommation de substances psychoactives durant la grossesse.
3Aujourd’hui encore, l’équipe de Sainte-Justine et les consultants se questionnent régulièrement sur le type de service qui pourrait le mieux aider ces enfants. L’existence d’un service d’ergothérapie d’approche neuro sensorielle à l’hôpital les a amenés à formuler l’hypothèse que cette approche pourrait répondre au besoin de certains enfants de développer une réponse comportementale plus adaptée aux stimuli de leur environnement. L’intérêt pour cette approche grandissant chez les professionnels, le CJM-IU a tenté d’obtenir des services de ce type dans le réseau public de soins. Quelques centres hospitaliers offrent des services d’ergothérapie proposant cette approche, mais la clientèle du CJM-IU, comme la population en général, fait face à des listes d’attente de plusieurs mois. Les besoins en ergothérapie sont rarement comblés au moment du dépistage et le temps d’accès à ces services retarde l’évolution positive du développement de certains enfants. De plus, lorsque des services sont obtenus, peu de liens sont établis entre les fournisseurs de service et le milieu de vie des enfants. Or, il y a tout lieu de penser que des liens organisés entre la thérapie et le quotidien particulier des enfants du CJM-IU seraient favorables et utiles. Devant l’ampleur des difficultés présentes chez les enfants et le peu de ressources qui offrent ce type de service, un projet expérimental a été mis sur pied par la coordonnatrice de la CSCS et proposé au comité de direction du CJM-IU. Le projet expérimental s’est déroulé en deux phases : la première a été réalisée au cours de l’année 2007-2008 et la seconde, en 2008-20091.
4L’expérimentation de l’approche neurosensorielle en ergothérapie au CJM-IU avait pour objectif d’offrir aux enfants un traitement différent des interventions qui leur sont traditionnellement proposées (médication, psychothérapie, orthophonie ou réadaptation), qui répondrait de façon plus ciblée à leurs difficultés d’intégration neurosensorielle, mais qui serait également complémentaire aux autres services offerts. En soi, l’approche neurosensorielle constitue une intervention novatrice et rarement offerte dans les milieux hospitaliers. En outre, le CJM-IU souhaite, dans un avenir rapproché, contribuer à la validation de l’approche en s’associant à des chercheurs qui pourraient en documenter les bénéfices chez les enfants victimes de mauvais traitements. Ce besoin est particulièrement criant, puisque aucune étude en intégration neurosensorielle n’a à ce jour été menée auprès de cette clientèle. L’expérimentation de l’approche neurosensorielle au CJM-IU est donc novatrice au plan de l’intervention en centre jeunesse, auprès d’une clientèle multiproblématique, et elle le sera également en ce qui a trait à la recherche.
l’ergothérapie d’approche neurosensorielle
5Le modèle d’intégration neurosensorielle a été élaboré à la fin des années 1970 par l’ergothérapeute Anna Jean Ayres (1970, 1974). Il s’agit d’un processus cérébral qui permet de recevoir de l’information par nos sens, d’organiser cette information et de réagir de manière adaptée à l’environnement.
6Ce processus fait référence à deux sens dits « cachés », soit le sens vestibulaire et le sens proprioceptif. « Le premier agit sur l’équilibre, la coordination œil-main, la capacité de bouger des deux côtés du corps ensemble et sur les mouvements de la tête. Le second permet à l’enfant de savoir où se trouvent les diverses parties de son corps et ce qu’elles sont en train de faire. » (Willis, 2009) Habituellement, ce processus s’effectue automatiquement, de façon inconsciente. Il peut toutefois être affecté chez les enfants qui présentent des difficultés motrices, sensorielles et perceptives.
7Plusieurs étapes doivent être franchies lors du traitement des informations sensorielles par le cerveau. Il peut donc exister plusieurs types de dysfonctions. Dépendamment de la façon dont sera enregistrée l’information dans le système nerveux central, un problème peut survenir. Par exemple, une des composantes importantes du traitement de l’information est la modulation. Ce dispositif interne permet au cerveau de synchroniser les informations sensorielles. Si un problème survient, la capacité à s’autoréguler peut être affectée. On voit alors apparaître des problèmes d’hyperréactivité ou d’hyporéactivité.
8Boisjoly (2006) explique que chez les personnes hypo ou hyperréactives, le seuil neurologique, qui indique habituellement le nombre de stimuli nécessaires au système nerveux pour percevoir et réagir à ces stimuli, est défectueux. Les personnes dites hyperréactives (hypersensibilité) vivent les sensations de façon exagérée ; leur système d’alerte et d’attention est exacerbé. Elles adoptent souvent des comportements de retrait ou d’évitement pour ne pas subir cette surcharge de sensations. Leur personnalité est teintée par la colère. Elles sont décrites comme étant difficiles, imprévisibles, hypervigilantes, anxieuses, contrôlantes et agressives. Leur seuil de tolérance est plutôt bas. À l’opposé, les personnes dites hyporéactives (hyposensibilité) sont confrontées à une insuffisance de sensations. Leur système d’alerte et d’attention est faible. Elles présentent souvent des retards de développement, un ralentissement psychomoteur et leur seuil de tolérance est très élevé. L’hyporéactif semble peu sensible, peu alerte, recherche souvent des sensations fortes et peut se désorganiser ou rester passif, et même se retirer en lui-même (dissociation) dans les cas les plus problématiques.
9L’approche neurosensorielle propose, sur le plan du traitement, divers moyens visant à permettre aux systèmes nerveux central et périphérique de se développer et à aider les enfants à améliorer leur capacité à sentir, à comprendre et à organiser les informations sensorielles provenant de leur corps et de leur environnement.
10L’efficacité de l’approche neurosensorielle en ergothérapie demeure à l’étude. Les recherches menées jusqu’à maintenant génèrent des résultats variables et parfois contradictoires. Cette variation pourrait notamment s’expliquer par les différentes techniques utilisées lors du traitement, par les caractéristiques des participants recrutés (âge des enfants, nombre et nature des diagnostics présentés), par le fait que des covariables importantes n’ont pas été prises en compte et par la taille des échantillons, qui sont souvent très petits. Plusieurs cliniciens ont malgré tout intégré cette approche à leur pratique. Ainsi, l’ergothérapeute Hélène Fréchette (1992) l’expérimente auprès d’enfants hyperactifs, soutenant ainsi le développement de leurs habiletés sociales et de leur motivation à l’autocontrôle. En utilisant cette approche auprès d’enfants présentant un trouble envahissant du développement, Boisjoly et Mineau (2001) observent dans leur pratique que « ces stratégies d’intervention favorisent le développement de l’enfant dans les domaines spécifiques de la communication, des interactions et des intérêts, mais nous constatons aussi qu’elles contribuent à réduire les comportements d’opposition, d’agressivité et les crises ». St-André, Boisjoly, Emond-Nakamur et Palardy (2009) soutiennent que des hypothèses de troubles de la régulation sensorielle peuvent parfois mener à une meilleure compréhension des difficultés d’un enfant et déboucher sur de nouvelles pistes d’évaluation et de traitement, en plus d’offrir aux parents des moyens d’intervention quotidienne qui permettent d’améliorer leur sentiment de compétence et de contrer ainsi leur sentiment de culpabilité. L’expérience clinique de Scholl (2007) va dans le même sens. Il explique que ces notions l’ont invité à mieux préciser la part du fonctionnement propre de l’enfant au sein de difficultés relationnelles parentales.
phase 1 : l’évaluation
11Au printemps 2007, le comité de direction du CJM-IU a donné son aval à l’expérimentation de l’approche neurosensorielle en ergothérapie.
Objectifs
12Il s’agit tout d’abord d’identifier les difficultés neurosensorielles chez les enfants qui présentent des symptômes inquiétants : hyperréactivité ou hyporéactivité aux stimuli de l’environnement (réaction excessive au toucher, insensibilité à la douleur, peurs marquées résultant d’un traitement erroné de l’information sensorielle, etc.), agitation marquée qui rend particulièrement difficiles les apprentissages, problèmes de coordination qui se traduisent par d’importants retards de développement, etc. Un deuxième objectif est de sensibiliser les intervenants et de les accompagner dans l’identification des enfants qui pourraient présenter des difficultés neurosensorielles, puis d’aménager l’environnement de l’enfant en fonction de ces besoins.
13Les services de l’ergothérapeute ont été offerts dans un premier temps a) aux deux ressources pour troubles sévères de l’attachement, qui accueillent des enfants âgés de 3 à 5 ans à leur arrivée qui présentent des problématiques telles que des familles d’accueil ne peuvent les recevoir, ainsi b) qu’à deux équipes du Centre d’expertise en maltraitance2, soit la clinique externe (où les intervenants évaluent les capacités parentales de parents qui ont des enfants âgés de 0 à 2 ans et qui présentent des situations familiales complexes) et le foyer pour mères en difficulté (qui évalue les capacités parentales de quatre mères et de leur bébé, dans le milieu d’hébergement puisque les enfants sont considérés à risque de mauvais traitements). En cours d’expérimentation, le projet a été étendu aux enfants âgés de 0 à 12 ans qui sont hébergés dans un milieu de réadaptation, en internat ou en foyer de groupe.
14Les enfants évalués avaient en moyenne cinq ans et demi. Le besoin d’une évaluation en ergothérapie a été discuté soit en équipe de réadaptation, soit avec la personne responsable de la ressource pour troubles sévères de l’attachement, mais toujours avec le consultant au dossier (puisque chaque équipe reçoit des services de soutien clinique de consultants d’expérience : psychologue, psychoéducateur, criminologue ou intervenant social). Ce dernier acheminait la demande à l’ergothérapeute. L’ergothérapeute contactait par la suite l’éducatrice responsable de l’enfant ou la responsable de la ressource, pour mieux connaître l’enfant et les difficultés qu’il présente dans son milieu d’hébergement et dans ses autres milieux de vie. Puis elle se rendait dans le milieu de vie de l’enfant pour une évaluation d’environ une heure et demie. Il est nécessaire pour l’ergothérapeute d’observer l’enfant dans son quotidien afin de mieux comprendre de quelle façon il tente de s’adapter, mais aussi afin d’identifier les changements pouvant être effectués dans ce milieu pour mieux répondre aux besoins de l’enfant.
15En tout, 12 enfants âgés entre 5 mois et 12 ans ont été évalués. Sept de ceux-ci étaient hébergés dans les ressources pour troubles sévères de l’attachement. Dans les équipes du Centre d’expertise en maltraitance, quelques situations ont été discutées avec l’ergothérapeute sans que les problématiques nécessitent une évaluation, ce qui pourrait s’expliquer par le bas âge des enfants et le fait qu’ils reçoivent déjà des services. Parmi la clientèle placée en réadaptation, deux enfants hébergés en internat et trois en foyer de groupe ont bénéficié du service.
16Parmi les 12 évaluations effectuées, 8 enfants ont été identifiés comme présentant des problèmes neurosensoriels qui bénéficieraient de traitement. Quatre enfants étaient hébergés dans une ressource pour troubles sévères de l’attachement, trois en foyer de groupe institutionnel et un en centre de réadaptation. Certains enfants ne présentaient pas spécifiquement de troubles neurosensoriels, mais les intervenants ont profité des recommandations précieuses de l’ergothérapeute. Par exemple, l’apport spécifique de cette dernière a permis de réaliser que le plan d’intervention d’un enfant diagnostiqué avec un trouble envahissant du développement n’était pas adapté à ses besoins. L’ergothérapeute a également identifié un enfant pour lequel elle soupçonnait un syndrome d’Asperger, un enfant présentant une déficience intellectuelle non diagnostiquée et un enfant présentant des retards moteurs importants.
Processus clinique
17Chaque enfant évalué a reçu en moyenne 10 heures de services en ergothérapie, comprenant la présentation du dossier, l’évaluation dans le milieu de vie, l’analyse des données, l’élaboration de recommandations et de moyens d’intervention et, finalement, le bilan auprès des personnes concernées. Les évaluations ont été faites dans le milieu de vie de l’enfant, soit la résidence pour troubles sévères d’attachement, le foyer de groupe, l’unité de vie ou l’école. L’ergothérapeute a utilisé le « profil sensoriel » de Dunn (1999), l’observation directe de l’enfant lors de tâches courantes et quotidiennes et l’application d’activités sensorielles et motrices structurées.
18L’analyse des données et les résultats ont par la suite été transmis à l’équipe concernée. Le consultant clinique, le travailleur social, le chef de service en réadaptation ou le responsable de la ressource et les éducateurs étaient habituellement présents lors du bilan. Selon les éducateurs, celui-ci a permis des échanges fructueux et la mise à contribution de chaque participant. Des objectifs d’intervention étaient alors convenus et certaines démarches enclenchées. Le bilan permettait de faire état de plusieurs recommandations dans les sphères évaluées en ergothérapie. Des moyens d’intervention, adaptés aux besoins de l’enfant et au soutien du milieu de vie, étaient proposés. Ceux-ci se devaient d’être pratiques, fonctionnels et transmissibles au personnel sur place. On a pu, par exemple, suggérer l’utilisation d’un napperon pour déterminer l’espace d’un enfant à table, ajuster la hauteur de sa chaise ou recommander l’utilisation d’une chaise haute ou le resserrement des couvertures autour du corps pour certains tout-petits qui avaient besoin de se sentir contenus. Des exercices physiques simples pour favoriser le développement du tonus musculaire de certains enfants ont également été prescrits : se balancer, monter des escaliers, faire des pirouettes, etc. Un seul enfant présentant des problèmes neurosensoriels a nécessité une formation plus spécifique pour les intervenants. Il s’agit d’un enfant placé en centre de réadaptation qui présentait de grandes difficultés à se contenir (voir la vignette clinique, en fin de chapitre). Le bilan de l’ergothérapeute pouvait, en outre, proposer l’orientation de l’enfant vers des ressources spécialisées, telles la pédopsychiatrie, l’ergothérapie pédiatrique ou pédopsychiatrique, le réseau des Centres de réadaptation en déficience intellectuelle, l’orthophonie ou la physiothérapie.
19Les résultats de cette première phase expérimentale ont été recueillis par l’ergothérapeute et une évaluation qualitative de l’impact de l’application de ses recommandations sur l’état des enfants a été effectuée auprès des intervenants impliqués. Une évaluation qualitative plus formelle, à partir d’un questionnaire, a été proposée à toutes les équipes ou ressources pour lesquelles un enfant a reçu les services de l’ergothérapeute. Ce questionnaire devait être rempli à la suite des rencontres-bilan organisées par l’ergothérapeute. Les consultants travaillant auprès des enfants âgés de 0 à 12 ans ont également été rencontrés afin de recueillir leurs commentaires.
Évaluation du service par les intervenants
20Un haut taux de satisfaction des intervenants ayant participé à l’expérimentation est noté dans les bilans écrits recueillis. Tous les intervenants mentionnent que l’évaluation de l’ergothérapeute a permis de mieux comprendre certains comportements de l’enfant, souvent reliés à une limite physique ou à un besoin neurosensoriel, et de modifier les interventions en conséquence. Auparavant, ces comportements étaient mal interprétés et amenaient les intervenants à tenter plusieurs interventions qui se soldaient par un échec.
21Les commentaires des intervenants permettent de constater que le champ de connaissances spécifiques de l’ergothérapeute a rendu possible la découverte des caractéristiques physiques et sensorielles de certains enfants qui nécessitaient une intervention particulière. De par leur formation, le décodage du langage du corps est un domaine moins connu par les intervenants et les consultants cliniques, alors que l’ergothérapeute propose une plus grande sensibilité à ces dimensions différentes, mais complémentaires. Cet enrichissement a permis d’adapter les interventions et l’environnement afin de tenir compte de ces caractéristiques. Plusieurs intervenants constatent déjà les bienfaits des changements effectués sur les enfants concernés : certains comportements, tels que troubles du sommeil, problèmes de tonus, agitation et crises se sont atténués.
22Selon les bilans recueillis, il semble que le changement de perception de l’enfant et de ses difficultés redonne espoir aux intervenants, diminue la tension qu’ils ressentent et les encourage à modifier leurs interventions en fonction des recommandations de l’ergothérapeute. Les changements apportés diminuent le sentiment d’impuissance souvent exprimé par rapport aux enfants identifiés, ce qui entraîne moins d’interventions contraignantes et engendre un mieux-être chez les enfants, ainsi qu’une meilleure estime d’eux-mêmes. Comme une équipe de réadaptation l’a rapporté, cette « bouffée d’espoir » est même contagieuse pour les équipes voisines qui sont témoins des changements chez l’enfant.
23Durant cette première phase d’expérimentation, une seule enfant a reçu quelques séances de traitement puisque l’organisation du temps de l’ergothérapeute le permettait. L’intervenante impliquée dans le dossier a constaté des progrès chez l’enfant quant à son développement et au sentiment de compétence et de maîtrise qui en a découlé. On note toutefois que la poursuite du traitement est nécessaire parce que les intervenants de la ressource n’arrivent pas à effectuer aussi souvent qu’ils le souhaiteraient la série de mouvements recommandés par l’ergothérapeute pour cette enfant.
24Certains intervenants considèrent que l’apprentissage des quelques techniques de base enseignées par l’ergothérapeute est déjà un ajout important ; ils croient qu’ils pourraient développer leurs connaissances et leurs habiletés avec l’aide de cette dernière. Un besoin de traitement plus spécifique demeure toutefois présent pour certains enfants et tous sont ouverts à soutenir ce type d’intervention.
25Enfin, les interventions de l’ergothérapeute ont permis de réaliser que la vie en milieu de réadaptation, donc en groupe, avec des règles clairement établies, limite parfois certaines initiatives que les enfants prennent habituellement à la maison (par exemple, grimper sur le comptoir) et qui les aident dans leur développement. La vie de groupe rend aussi difficile l’organisation d’activités différentes selon les besoins spécifiques de chacun des enfants.
26L’ensemble des participants à ce projet a unanimement souhaité que le volet « traitement » soit expérimenté.
phase 2 : traitement et évaluation de clients différents
27Au printemps 2008, le comité de direction a donné son aval à la poursuite de l’expérimentation de l’approche neurosensorielle en ergothérapie.
Objectifs
28La deuxième phase de l’expérimentation a eu lieu de septembre à décembre 2008. Elle a consisté à offrir des services de traitement aux enfants pour qui ce besoin avait été identifié au cours de l’évaluation. Lors de cette deuxième phase, le comité de direction souhaitait également que soit exploré l’intérêt de cette approche auprès d’autres groupes d’âge et de clientèle.
29Parmi les 12 enfants évalués, 8 ont reçu une série de traitements. Ils étaient considérés comme des cas typiques d’enfants présentant des difficultés neurosensorielles (agitation, hypo-ou hypersensibilité, problèmes de sommeil, de coordination, etc.) et nécessitant un besoin urgent de traitement.
30Il était par ailleurs convenu que l’ergothérapeute poursuive l’expérimentation en évaluant quelques jeunes hébergés dans d’autres ressources. Deux d’entre eux provenaient de foyers de type ressource intermédiaire, qui sont des ressources contractuelles pour des enfants qui exigent moins d’encadrement que les foyers institutionnels. Ces deux enfants présentaient des difficultés majeures qui rendaient imminent un déplacement en centre de réadaptation. Deux adolescents hébergés dans une unité 12-14 ans d’un centre de réadaptation et deux enfants hébergés dans les services spécialisés (problème de santé mentale ou limites cognitives) ont également été évalués.
Processus clinique
31La majorité des traitements ont eu lieu dans une salle adaptée provisoirement à cet effet. Deux enfants ont reçu leur traitement dans une salle de jeu de leur milieu d’accueil afin de faciliter l’organisation pour la personne-ressource de ce milieu. Au début et à la fin du traitement, les intervenants ont rempli le questionnaire ABAS-II (Harrison et Oakland, 2003) pour chaque enfant bénéficiant de l’intervention de l’ergothérapeute. Alors que le « profil sensoriel » permettait de dépister les enfants présentant un problème d’intégration sensorielle, l’ABAS-II rendait possible l’évaluation du comportement adaptatif des enfants dans plusieurs sphères de leur vie. Il a ainsi permis d’évaluer l’évolution des enfants et de cerner certaines sphères dans lesquelles le traitement a entraîné une amélioration.
32À la fin du traitement, un court questionnaire de satisfaction a été rempli par les intervenants et les consultants impliqués.
33En moyenne, les enfants ont reçu entre 12 et 14 séances de traitement, à raison d’une heure par semaine. On laissait le choix à la personne qui accompagnait l’enfant d’assister ou non à la période de traitement, et les intervenants étaient libres de poser des questions et d’apprendre certaines interventions de base. Dans un cas seulement, on a demandé aux intervenants qui accompagnaient l’enfant de ne pas assister au traitement parce que leur présence perturbait ce dernier.
34Dans le cadre d’une première expérimentation et afin que les intervenants soient sensibilisés à l’approche neurosensorielle, la participation des parents n’était pas d’emblée sollicitée, même si elle est habituellement souhaitée. Deux enfants ont toutefois été accompagnés par leur père. L’un d’eux a semblé plus impliqué dans le suivi du traitement, mais l’autre ne souhaitait pas participer et ne transmettait pas à l’équipe d’intervenants les recommandations de suivi pour la semaine, malgré la demande de l’ergothérapeute. Dans ce dernier cas, l’intervenante sociale a donc été contactée par l’ergothérapeute pour signaler les démarches en cours. À une occasion, une grand-mère s’est aussi présentée, avec l’éducateur, pour assister au traitement. L’ergothérapeute, avisée à la dernière minute et ne possédant aucune information sur la dynamique de cette personne, a dû faire preuve d’adaptation et de doigté pour l’accompagner, tout en offrant le traitement prévu. Les six autres enfants étaient toujours accompagnés par un éducateur ; trois de ceux-ci ont souhaité assister aux séances de traitement afin de poursuivre les activités au cours de la semaine. Des recommandations de suivi hebdomadaire ont été tout de même transmises à tous les éducateurs. À la fin de l’ensemble des traitements, une rencontre-bilan avec des équipes d’intervenants était proposée et a eu lieu dans la majorité des cas.
35Le tableau suivant résume les problèmes identifiés chez l’un de ces enfants et les activités d’intégration sensorielle proposées. Celles-ci étaient organisées selon la séquence développementale de l’enfant d’après la méthode Padovan (1997), avec manipulations spécifiques pour intégrer les réflexes primitifs dans les mouvements volontaires et intentionnels et les jeux typiques du groupe d’âge de l’enfant.
cas d’un enfant de 4 ans : objectifs et moyens de traitement
Objectifs spécifiques | Moyens utilisés |
Augmenter la force musculaire | Activités vestibulaires |
36Six évaluations neurosensorielles additionnelles ont été effectuées durant cette seconde phase d’expérimentation. Deux jeunes hébergés en centre de réadaptation pour adolescents ont été rencontrés et observés dans leur classe et des informations ont été recueillies auprès des éducateurs responsables. Deux jeunes d’un foyer spécialisé ont été rencontrés individuellement et observés pendant un souper dans le foyer. Enfin, deux enfants hébergés en ressource intermédiaire ont été évalués dans leur milieu de vie respectif et une rencontre avec l’intervenante directement impliquée a eu lieu pour chacun avant l’évaluation. Les six cas étaient très différents et la présence de l’éducateur s’est avérée nécessaire pour cibler les difficultés de l’enfant et mettre ce dernier en confiance. Les intervenants des milieux de vie des enfants ont été rencontrés pour effectuer un bilan, à la suite des évaluations.
Résultats
37Les résultats qui suivent sont issus du rapport d’intervention de l’ergothérapeute, des questionnaires remplis par les intervenants impliqués et des commentaires recueillis auprès des consultants cliniques.
Traitement
38L’attitude des enfants lors des traitements était enthousiaste, agréable, collaborative et chaleureuse. Il était facile de les impliquer dans les activités, de mettre en place les moyens d’intervention thérapeutique et de valoriser leurs succès.
39Dans les cas de trouble sévère d’attachement, la permanence sensorielle est un des objectifs principaux à atteindre. Ainsi, les activités permettaient d’offrir des sensations et des perceptions sensorielles calibrées, accessibles, anticipées et répétées. Cette constance a permis d’abaisser le stress et l’anxiété et a éveillé une disponibilité cognitive importante. Le contact visuel, l’écoute active et le toucher ont alors pu occuper un rôle prépondérant dans l’interprétation de l’environnement.
40Les activités vestibulaires, de toucher profond et de proprioception ont eu la préférence de tous, principalement parce que le milieu thérapeutique permettait des jeux inhabituels, comme se suspendre par les mains ou par les genoux, se rouler au sol, faire des pirouettes et jouer avec l’adulte de manière privilégiée. Les thérapies offraient des sensations inusitées, comme ces exemples de « toucher profond » : être frotté vigoureusement sur les membres, pousser fortement un objet lourd ou la thérapeute elle-même, se tirailler, ou encore d’autres sensations spéciales comme souffler dans une flûte par le nez.
41Les enfants ont éprouvé du plaisir à agir et à suivre les directives. Il est bien connu que le plaisir est une motivation importante pour développer les sens et la motricité globale et fine. En prenant comme base la séquence développementale de l’enfant, les jeunes ont eu à refaire les mouvements développementaux plus ou moins acquis qui influençaient leur façon de se mouvoir et de percevoir leur corps. Ainsi, il leur a fallu ramper, marcher à quatre pattes, se balancer, rouler, sauter, lancer une balle, mâcher, respirer, regarder, écouter, etc. Les tâches étaient faciles, de prime abord, mais les enfants montraient plusieurs lacunes sensorimotrices. Par exemple, certains ne savaient pas comment s’approcher d’un adulte pour jouer ou pour sauter dans ses bras, comment faire une culbute, comment sautiller en alternant les pieds, comment suivre un rythme avec les mains ou les pieds. Plus leur corps est devenu habile et automatisé, plus les enfants ont acquis de l’influence sur leurs émotions et sur leur raisonnement. Il leur est devenu plus facile de comprendre leurs sensations internes, de reconnaître leur importance et de juger du meilleur moyen de s’aider eux-mêmes. Les activités visaient à ce qu’ils puissent répondre à leurs besoins neurosensoriels par des moyens acceptables, afin de modifier les comportements inappropriés antérieurs. Il est alors devenu utile de partager cette connaissance neurosensorielle des enfants avec les intervenants, pour qu’il y ait généralisation des acquis.
42Les activités étaient proposées de manière à expérimenter des nouveautés, à aborder des situations inhabituelles avec le soutien de la thérapeute, à créer un climat de détente et de bien-être. Elles étaient rarement difficiles et, lorsqu’elles l’étaient, une microgradation était mise en place pour que les enfants vivent toujours du succès, se sentent à l’aise et bienvenus, même dans leurs hésitations. Le climat de confiance établi avec la thérapeute et envers eux-mêmes a été favorable aux apprentissages et aux nouvelles expériences. Comme le milieu était très contrôlé, il était facile d’obtenir une atmosphère chaleureuse, sécuritaire et individualisée. Plusieurs intérêts ont été explorés avec les enfants de façon à développer ou diversifier leurs jeux et leurs loisirs. Les thérapies leur ont aussi permis de reconnaître et de nommer leurs préférences.
43Dès que les enfants sont devenus disponibles cognitivement, on a pu miser en thérapie sur l’imaginaire, l’accès lexical et le vocabulaire, les connaissances générales et les acquisitions académiques. Les enfants ont alors développé une meilleure estime d’eux-mêmes, une certaine fierté d’apprendre, une diversification de leurs réponses, une réduction des réponses négatives, une valeur personnelle accrue et une meilleure écoute. Certains ont montré une grande fierté à être reconnus par leurs pairs et par leur entourage comme étant un bon élève, un coéquipier valable ou un copain.
44Les activités ont également tenu compte des besoins sociaux. Les interactions sociales privilégiées avec l’adulte ont permis de créer des liens et de s’y référer avec confiance. Les enfants se sont graduellement ajustés à la distance sociale acceptable. Ils ont développé des réactions plus appropriées avec les adultes, des moyens de reconnaître les émotions chez les autres, une meilleure écoute des consignes et des directives. Il est agréable de voir maintenant certains de ces enfants faire de l’humour, se sentir moins menacés, avoir une meilleure mémoire. Plusieurs ont développé de nouvelles capacités d’initiative et de patience. Certains avaient des idées parasitaires, et les thérapies ont modifié leur rigidité. Par exemple, l’un des enfants, qui était obsédé par les objets volants, a vu cet intérêt se modifier et se diversifier ; un autre enfant, qui cherchait sans cesse à tester les limites, a bien réagi à l’attitude axée sur l’ignorance intentionnelle et au climat de confiance. Occasionnellement, des situations ont obligé les enfants à faire face au stress et aux frustrations. Ces occasions ont alors été utilisées pour soutenir le langage, l’émotion et la résolution de problèmes. En général, les enfants ont fait des progrès dans l’affirmation de soi, la négociation, l’observation des règles et la reconnaissance de l’existence des autres.
45Enfin, la généralisation dans les autres milieux de vie apparaît souhaitable, et le projet clinique montre qu’une concertation étroite est bienvenue. Les thérapies ont aussi été l’occasion d’observer les effets secondaires de la médication, comme la dilatation des pupilles causée par le Risperdal® et la sensibilité à la lumière ainsi occasionnée, ou l’affect dépressif amené par le Concerta/Ritalin®. On a pu ainsi proposer des ajustements, qui ont eu des répercussions dans l’environnement de l’enfant.
Nouvelles évaluations
46Quel que soit le type de ressource qui accueille les enfants évalués (ressources intermédiaires, services spécialisés, unité 12-14 ans), le nombre restreint d’évaluations ne permet pas de faire ressortir des particularités chez ces clientèles. Les évaluations ont néanmoins conduit à des ajustements dans tous les milieux de vie de ces jeunes.
47L’entrevue préliminaire faisait ressortir les difficultés d’adaptation sociale qui peuvent être d’origine neurosensorielle, et une observation du jeune dans son milieu de vie complétait l’évaluation. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une évaluation approfondie, la rencontre a été l’occasion d’expliquer aux intervenants certaines notions de base permettant de comprendre l’impact des difficultés d’intégration neurosensorielle, telles que des comportements inappropriés ou inexpliqués. Dans deux cas, le « profil sensoriel » a été utilisé et interprété avec les intervenants.
48Ces évaluations ont permis d’identifier deux adolescents, l’un en foyer spécialisé et l’autre dans une ressource intermédiaire, qui pourraient bénéficier de traitements en ergothérapie. Chez le premier, les réflexes de base n’étaient pas intégrés, ce qui occasionnait des maladresses souvent interprétées comme des problèmes de comportement. Cet adolescent n’avait aucune conscience des limites de son corps dans l’espace et il pouvait lui arriver, par exemple, de s’asseoir sur un autre jeune. Chaque fois, son geste était interprété comme une provocation et il en subissait les conséquences. L’enfant en ressource intermédiaire, pour sa part, présentait une dominance et une latéralité contrariées, qui étaient également mal interprétées. On disait de lui qu’il « faisait exprès » de laisser tomber ses ustensiles ou de mal écrire. Bien que seulement deux jeunes aient pu recevoir les services de l’ergothérapeute, les intervenants de leur unité ont été surpris d’apprendre que des dimensions physiologiques, de type neurosensoriel, pouvaient avoir un impact sur le comportement des adolescents. L’expérimentation auprès de cette clientèle aurait intérêt à se poursuivre.
49Les deux enfants placés en ressource intermédiaire démontraient des difficultés neurosensorielles et des retards de développement qui ont pu être travaillés ; l’un d’eux a ainsi pu maintenir son placement dans cette ressource. Enfin, les enfants du foyer spécialisé présentaient clairement des problématiques neurosensorielles, et le plan d’intervention a été ajusté en conséquence.
***
50Bien que cette expérimentation ait été menée auprès d’un nombre restreint d’enfants présentant de grandes difficultés, l’apport de l’ergothérapeute d’approche neurosensorielle s’est avéré suffisamment intéressant pour que le service d’un tel professionnel s’inscrive dorénavant dans l’offre de services régulière du soutien clinique spécialisé au CJM-IU. De l’avis de tous les intervenants impliqués, cette approche semble très intéressante et complémentaire aux autres interventions réalisées auprès des enfants maltraités. Toutefois, étant donné l’aspect novateur, à la fois de l’approche et de son application à cette clientèle, le CJM-IU souhaite en effectuer la validation de façon empirique. Dans ce but, l’établissement espère collaborer éventuellement avec des chercheurs afin d’étudier l’efficacité des outils d’évaluation et du traitement.
vignette clinique
Nicolas, 7 ans, était hébergé en centre de réadaptation depuis plusieurs mois pour des troubles graves de comportement. Lors de la demande de consultation en ergothérapie, l’équipe se disait complètement dépassée et soutenait qu’aucune intervention n’avait de prise sur cet enfant. Nicolas les amenait dans une escalade de conséquences qui se terminait régulièrement à l’unité de retrait, et deux gardiens devaient utiliser un encadrement de plus en plus intensif pour l’y conduire.
La première rencontre avec l’enfant a eu pour cadre le lieu de retrait. L’enfant était désorganisé, ce qui a donné à l’ergothérapeute l’occasion de le voir dans cet état. Il était en crise, maîtrisé au sol. Il a toutefois accepté de rencontrer l’ergothérapeute lorsqu’elle lui a expliqué qu’elle était là pour « le brosser ». En fait, elle lui a administré le protocole Thera-Pressure de Patricia Wilbarger (1991), qui consiste à brosser la peau vigoureusement, à faire des compressions des articulations et une activité de motricité globale. À la suite de ce traitement, Nicolas est devenu plus disponible et l’ergothérapeute a pu entreprendre quelques jeux de motricité fine et globale. L’évaluation a duré une heure et demie. Elle a identifié les problèmes suivants : enfant probablement d’intelligence limite, qui était pris dans des boucles d’escalade avec bénéfices secondaires d’attention et de sensations physiques ; les seuls contacts physiques reçus prenaient une forme négative lors de ses désorganisations ; Nicolas provoquait les intervenants par des comportements sexualisés, ce qui ne manquait pas de les faire réagir ; aucune leçon cognitive n’était retenue, aucune approche cognitivocomportementale n’était efficace ; l’enfant faisait volontairement des dégâts et demandait lui-même à être surveillé, soit pour avoir un spectateur et recevoir de l’attention, soit pour avoir un témoin contrôlant et permettre la montée en escalade. Il n’y avait donc aucune possibilité d’apprentissage dans quelque sphère de développement que ce soit.
L’ergothérapeute a demandé à l’éducatrice d’accompagnement et à un deuxième éducateur de remplir un exemplaire du « profil sensoriel » (Dunn, 1999). Il est alors apparu que l’enfant présentait des déficits des processus sensoriels : processus auditif, réponses émotionnelles et sociales, conséquences comportementales dans les processus sensoriels, problèmes de motricité fine avec préférence pour le système vestibulaire et tactile, hypervigilance et attitude immature, avec tendance à envahir et à rechercher la négociation lors d’un risque de rupture relationnelle. Des aspects plus positifs ressortaient aussi comme une capacité d’être gentil, de partager et d’avoir du plaisir.
Le bilan de l’évaluation en ergothérapie a tout d’abord été discuté avec la consultante de l’équipe pour bien relier toutes les informations concernant cet enfant, puis il a été présenté à l’équipe élargie qui s’en occupait. En fait, 23 personnes ont assisté à ce bilan qui a duré deux heures. Par la suite, une formation de deux heures a été offerte à sept intervenants afin qu’ils puissent appliquer le protocole de Wilbarger. Ce protocole, particulièrement exigeant pour l’équipe qui a dû l’appliquer six fois par jour durant six jours, a été implanté pour normaliser le système sensoriel de l’enfant. La consultante de l’équipe a également été revue par l’ergothérapeute et l’éducatrice de suivi du jeune a contacté cette dernière à trois reprises.
En collaboration avec la psychologue consultante de l’équipe, l’âge approximatif de l’enfant sur le plan de la maturité a été établi à environ deux ans, alors que sur le plan intellectuel, il était d’environ quatre ans. Dans son plan d’intervention, l’ergothérapeute recommandait tout d’abord de diminuer les exigences générales envers cet enfant afin de réduire le stress et l’hypervigilance et d’augmenter la confiance envers les intervenants. Il apparaissait par ailleurs important que l’équipe modifie ses attitudes en encourageant les comportements de contact étroit qui se manifestaient sous une forme acceptable et en ignorant les autres (à l’exception des morsures). Enfin, un plan d’intervention a été élaboré pour travailler l’aspect neuromoteur ; des activités de motricité globale ont ainsi été effectuées avec l’enfant toutes les deux heures. Ces activités devaient permettre à Nicolas d’avoir des sensations de toucher profond, vestibulaire et de proprioception, par exemple en sautant sur le trampoline. Ces activités devaient être intéressantes et choisies par l’enfant afin de lui donner un certain contrôle. Chaque tranche d’activités durait 10 minutes et était préférablement intercalée par des activités d’apprentissage. Ce plan d’intervention a demandé la collaboration de toute l’équipe, qui a participé avec enthousiasme. L’enseignante se questionnait toutefois sur la pertinence de maintenir l’enfant dans sa classe, puisqu’il n’avait pas les acquis requis et parce que le plan d’intervention exigeait qu’il quitte la classe toutes les deux heures pour sa tranche d’activités. Après discussion avec l’ergothérapeute, elle a malgré tout accepté de tenter l’expérience.
Dès la première semaine d’intervention, les troubles de sommeil de l’enfant, sa fatigue et son irritabilité ont beaucoup diminué. Les semaines suivantes, il est devenu beaucoup plus disponible pour les apprentissages, à l’école comme dans l’unité. Il est également devenu plus atteignable, capable de mettre des mots sur son ressenti et de faire des liens entre ses comportements et son vécu affectif. Après quelques semaines de cette « diète sensorielle », l’équipe a été à nouveau rencontrée par l’ergothérapeute pour mettre au point une « diète fonctionnelle » comprenant encore une fois des activités toutes les deux heures. Or, ces activités étaient plus normatives, plus proches d’activités normales pour un jeune de cet âge : faire de la bicyclette dans la cour ou aller se balancer. L’intervention de l’ergothérapeute spécialisée en approche neurosensorielle a permis à Nicolas de s’apaiser et de devenir plus disponible aux apprentissages intellectuels, mais aussi affectifs. L’intervention psychoéducative a alors pu avoir une certaine prise sur lui. L’ergothérapeute a aussi aidé l’équipe à se positionner autrement envers cet enfant et à développer de nouvelles interventions qui répondaient mieux à son profil. L’espoir est revenu au sein de l’équipe de même que chez l’enfant, qui vit maintenant des moments agréables et des succès.
Bibliographie
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références
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Notes de bas de page
Auteurs
Psychologue. Conseillère-cadre, coordination du soutien clinique spécialisé, CJM-IU
Psychologue. Coordination du soutien clinique spécialisé, CJM-IU
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