1. Main dans la main : un programme pour les mères toxicomanes et leur bébé
p. 15-35
Texte intégral
Il est reconnu que la consommation abusive de substances psychoactives par la femme enceinte peut avoir un impact sur l’enfant à naître et nuire à sa sécurité et à son développement après la naissance. Les services d’obstétrique et de néonatalogie des milieux hospitaliers ainsi que les services de protection de la jeunesse doivent composer avec cette problématique. Le défi est de taille : afin d’assurer la protection des enfants, les intervenants qui travaillent auprès de cette clientèle doivent user d’imagination et avoir recours, dès l’annonce de la grossesse, à des stratégies d’intervention qui impliquent les mères consommatrices et leur conjoint. Main dans la main relève ce défi en poursuivant l’objectif d’offrir un soutien aux futurs parents aux prises avec une consommation abusive de substances psychoactives, dans le but de maximiser leurs chances d’assumer eux-mêmes la responsabilité et les soins de leur enfant dès sa naissance. Pour ce faire, le programme entend renforcer et promouvoir des liens de collaboration favorisant une plus grande cohérence des interventions et un meilleur arrimage des services entre deux institutions appelées traditionnellement à intervenir chacune de leur côté dans de telles situations : le milieu hospitalier et la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Main dans la main se distingue par le fait qu’il les amène à travailler ensemble, malgré qu’elles n’aient pas le même mandat et ne ciblent pas le même « client ».
1Le programme Main dans la main est le fruit d’une réflexion amorcée au printemps 2005. Préoccupées par la situation de parentalité dans un contexte de consommation maternelle de substances psychoactives, des professionnelles du Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire (CJM-IU) et du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), ainsi que deux chercheures de l’Université de Montréal et du CJM-IU ont décidé d’unir leurs efforts, connaissances et compétences afin de réfléchir à une pratique novatrice qui permettrait d’agir de façon précoce et préventive pour assurer la sécurité et le bon développement de l’enfant. Le grand défi consistait à trouver une manière de collaborer qui tiendrait compte des responsabilités et de la culture organisationnelle de chacune.
2Jusqu’en 2009, deux établissements étaient impliqués dans le programme : le Centre des naissances du CHUM et la DPJ du CJM-IU. Depuis, deux autres milieux hospitaliers se sont joints à l’équipe de Main dans la main : le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHU Sainte-Justine) et l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR).
fondements theoriques et objectifs
3La période de la grossesse est considérée, par plusieurs auteurs, comme une fenêtre d’opportunité qui permettrait aux mères de modifier leurs habitudes de consommation. La maternité peut aussi s’avérer être une source de profonds changements dans les habitudes de vie, les comportements, les relations interpersonnelles et le statut social (Bélanger, 2005). Ce phénomène s’explique par les nombreux changements qui surviennent simultanément lors de cette période et qui s’influencent mutuellement.
4En cours de grossesse, certaines femmes consommatrices de substances psychoactives, incluant celles qui auraient fourni des efforts afin de changer leurs habitudes et d’améliorer leur mode de vie, vivent dans l’incertitude et l’anxiété de se voir retirer la garde de leur enfant (Morissette et al., 2007). Ces sentiments peuvent influencer la façon dont les mères se sentent par rapport à leur bébé et nuire au développement du lien d’attachement avec l’enfant qu’elles portent, un élément qui est au cœur de la réponse aux besoins de base et de protection des enfants (Howe, 2004).
5La Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) prévoit que le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) intervienne après la naissance dans les situations où la sécurité ou le développement de l’enfant sont présumés compromis. Pour des nouveaux parents, cette intervention, dès la naissance de l’enfant, peut s’avérer traumatisante. Ils ont souvent beaucoup de difficulté à comprendre cette situation paradoxale où le milieu hospitalier, qui leur avait jusqu’alors offert de l’aide pour développer leurs compétences, alerte la DPJ. Le milieu hospitalier est tenu par la loi de faire les signalements pertinents et, dans un contexte de maternité, cette intervention revêt souvent un caractère brutal. Pouvoir rassurer les parents avant la naissance quant aux intentions de la DPJ, c’est-à-dire les soutenir dans la mise en place de solutions afin d’offrir une réponse adéquate et stable à leur enfant, présente certainement un avantage dans le processus de mobilisation.
6Morissette et ses collègues (2007) mentionnent qu’au Québec, des protocoles structurés de coopération entre les services d’obstétrique, de néonatalogie et de protection de la jeunesse sont quasi inexistants. Ces auteurs ajoutent que l’établissement de tels partenariats est pourtant fort justifiable. Par exemple, des données du CJM-IU révèlent que, pour 2005-2006, 63 % des situations évaluées concernant la clientèle 0-5 ans font état d’un problème de toxicomanie chez les parents. À partir des données de l’Étude d’incidence québécoise (Tourigny, Mayer et Wright, 2002), Mayer et ses collègues (2004) montrent que près de la moitié des enfants dont le signalement est retenu pour des motifs de négligence ont au moins un parent faisant un usage abusif de substances psychoactives. Des données du Centre des naissances du CHUM suggèrent que 3 % de la clientèle accouchant à cet hôpital a récemment consommé des substances psychoactives (dépistage par tests d’urine). Dans plus du tiers des situations, les intervenants feront un signalement au DPJ à la naissance. Ces données semblent indiquer que des liens existent entre le besoin de protection de l’enfant et la toxicomanie des parents, et que des problèmes de consommation de substances présents durant la grossesse mettent en jeu la protection de l’enfant.
7C’est en regard de tels constats que le programme Main dans la main a été mis en place. Ce programme est essentiellement un travail de collaboration entre les professionnels du service social en milieu hospitalier et ceux de la DPJ du CJM-IU dans le but d’améliorer l’offre de services dispensés aux futures et aux nouvelles mères aux prises avec une problématique de consommation abusive de substances psychoactives, ainsi qu’à leur conjoint. Il consiste plus spécifiquement à intervenir dans le cadre de rencontres de collaboration entre les intervenants des deux milieux impliqués et les futurs parents. Il est entendu que la réponse aux questions des parents sur le rôle et le mandat du DPJ avant la naissance de l’enfant peut aider à diminuer le niveau d’anxiété de la mère et, par ricochet, faciliter l’attachement à son bébé au cours de la période prénatale et ainsi susciter un changement dans son mode de vie. C’est donc en travaillant de manière préventive et en impliquant rapidement les parents dans la démarche que ceux-ci seront mobilisés dans la recherche de solutions et proposeront des avenues de rechange. En effet, en 2008-2009, l’approche privilégiée dans le cadre de Main dans la main a permis que seulement 6 % des bébés soient placés à la naissance par l’intervenant de la DPJ.
8De façon plus spécifique, les objectifs du programme sont les suivants :
- offrir un soutien sur une base volontaire à de futurs parents aux prises avec une consommation abusive de substances psychoactives, dans le but de maximiser leurs chances d’assumer eux-mêmes la responsabilité et les soins de leur enfant dès sa naissance ;
- s’assurer que la sécurité et les autres besoins de base du nouveau-né soient satisfaits ;
- favoriser la continuité des soins et la stabilité du milieu de vie de l’enfant ;
- amener les parents à participer au processus d’intervention ainsi qu’aux décisions concernant leur enfant et favoriser leur mobilisation autour de certains objectifs de changement ;
- renforcer et promouvoir entre les partenaires des liens de collaboration favorisant une plus grande cohérence des interventions et un meilleur arrimage des services.
clientèle cible
9Le programme Main dans la main cible les couples susceptibles de voir leur enfant signalé à la DPJ parce que la mère abuse de substances psychoactives, c’est-à-dire des couples qui suscitent des inquiétudes quant à la sécurité et à la réponse aux besoins de base du nouveau-né. Le partenaire est également inclus dans l’intervention, qu’il soit consommateur ou non. Il s’agit de la personne que la mère présente comme étant la figure paternelle, qu’il s’agisse du père biologique, du père légal ou du père social de l’enfant. On parle de consommation abusive lorsqu’on peut observer, par exemple, la présence de problèmes personnels ou sociaux aggravés par l’abus de substances, une implication dans des infractions répétées reliées à la consommation, une incapacité à se passer de substances psychoactives pendant plusieurs jours, des difficultés ou une incapacité à remplir ses obligations dans la vie professionnelle et à la maison et des conséquences sur sa santé ou celle d’autrui (Comité permanent de lutte à la toxicomanie, 2002). La clientèle ciblée peut être référée au programme selon trois scénarios.
10Le premier scénario concerne les femmes enceintes faisant déjà l’objet d’un suivi au centre hospitalier. Il s’applique lorsque l’évaluation psychosociale effectuée par les professionnels du service social conclut à une consommation abusive de substances psychoactives par la mère et à un mode de vie à risque pour l’enfant à naître, ce qui fait que celui-ci est susceptible d’être signalé à la DPJ dès sa naissance. À partir de ce moment, et dans la mesure où la mère (et son partenaire) accepte de participer de façon volontaire au programme Main dans la main, l’intervention en partenariat s’amorce.
11Le deuxième scénario s’applique lorsqu’il n’y a pas eu d’intervention conjointe prénatale ou lorsqu’il n’y a pas eu de suivi psychosocial prénatal, et qu’à la naissance du bébé, le travailleur social en milieu hospitalier évalue que le problème de consommation de substances psychoactives et le mode de vie des parents constituent un risque pour l’enfant, ce qui donne lieu à un signalement à la DPJ. L’évaluation du signalement sera effectuée par un des intervenants de la DPJ assignés au programme Main dans la main, afin de favoriser une meilleure collaboration entre les deux organismes.
12Enfin, le troisième scénario s’adresse aux femmes enceintes connues au CJM-IU parce qu’elles sont mères d’un enfant faisant déjà l’objet d’une mesure de protection et pour lesquelles une consommation abusive de substances psychoactives est identifiée. Il comprend aussi les adolescentes de 16 ans et plus, enceintes, recevant des services du CJM-IU dans le cadre de l’application de la LPJ. Dans ces deux cas, l’intervenant chargé de l’application des mesures au CJM-IU, ou son chef de service, entre en contact le plus tôt possible avec le chef du service d’évaluation-orientation (E/O), afin de l’informer de la situation et de discuter de la pertinence de signaler le bébé à naître. Le signalement aura donc lieu seulement si les intervenants estiment que la situation des parents représente un risque pour la sécurité et le développement de l’enfant. Dans un tel cas, si la problématique en cause est la consommation de substances psychoactives, l’intervenant du service d’application des mesures dirigera les parents vers le service social d’un des centres hospitaliers associés au programme afin que celui-ci amorce un suivi de grossesse et, éventuellement, propose aux parents de participer au programme Main dans la main.
stratégie d’intervention
13Pour dépister la consommation de substances psychoactives chez les femmes enceintes, le travailleur social en milieu hospitalier utilise le questionnaire « 5P » (Kennedy et al., 2004) qui consiste en cinq questions en lien avec la consommation de la personne et de son entourage. De plus, afin de soutenir les intervenants dans l’appréciation des risques liés à la consommation maternelle abusive de drogues, on utilise le « Modèle d’évaluation en contexte d’une nouvelle maternité chez les consommatrices de substances psychoactives » de Venne et Morissette (2009). Ce modèle contribue à cerner les zones de vulnérabilité ainsi que les besoins des parents, notamment en lien avec l’exercice de leurs responsabilités parentales. Si l’intervenant conclut à des risques potentiels pour l’enfant à naître en lien avec le mode de vie et la consommation des parents, il leur présentera le programme Main dans la main en leur expliquant brièvement le rôle du DPJ. Après avoir fait signer aux parents le consentement à participer au programme, le travailleur social de l’hôpital contactera le chef de service de la DPJ pour que celui-ci le mette en contact avec un de ses intervenants associés au programme. L’intervenant communiquera à son tour avec le travailleur social en milieu hospitalier et, ensemble, ils conviendront d’un moment pour rencontrer les parents. Cette rencontre devra se faire assez rapidement pour ne pas laisser les parents dans l’attente, ce qui pourrait alimenter l’anxiété qui parfois les habite à l’idée de rencontrer un intervenant de la DPJ.
14Globalement, il s’agit pour le Directeur de la protection de la jeunesse d’une démarche de sensibilisation et d’éducation auprès de la mère et de son partenaire, s’il est présent, afin de les aider à être en mesure de répondre aux besoins de leur enfant à naître. Cette démarche vise la mobilisation de leurs forces et des ressources de leur réseau.
15Une telle collaboration en période prénatale prévient, dans bien des cas, l’intervention en urgence du DPJ lorsqu’un signalement est fait à la naissance. Elle permet aux parents d’être informés des attentes du DPJ sur la réponse à apporter aux besoins de leur bébé, en leur donnant la chance d’entreprendre des démarches en ce sens avant la naissance et d’avoir ainsi le temps nécessaire pour explorer différentes solutions.
Les rencontres conjointes
16La première rencontre conjointe entre l’intervenant en milieu hospitalier et celui de la DPJ se situe généralement vers le sixième mois de grossesse et peut être répétée jusqu’à trois fois avant l’accouchement, en complément du suivi effectué par le travailleur social de l’hôpital. Lors de la rencontre avec les parents, le travailleur social de l’hôpital leur présentera l’intervenant de la DPJ. Celui-ci, avant d’inviter les parents à exprimer leurs préoccupations, s’assurera de leur consentement à participer à cette rencontre. Puis l’entretien se poursuivra dans des conditions de respect, d’ouverture des parents à échanger sur leurs préoccupations, leur vision de leur situation et les solutions ou changements à mettre en place. En terminant, le travailleur social de l’hôpital planifiera une prochaine rencontre et continuera son suivi avec les parents, selon les objectifs qu’ils se seront donnés. Dans le cadre de son suivi, le travailleur social pourra leur indiquer certaines ressources qui pourraient les soutenir en vue de changements à apporter dans leur mode de vie et il pourra les mettre en contact avec ces services, s’il y a lieu.
17Une deuxième rencontre conjointe avec l’intervenant de la DPJ aura lieu environ quatre semaines plus tard, afin de répondre à d’éventuelles questions des parents et de revoir la situation, avec leur accord. Cette rencontre est l’occasion de soutenir le processus de mobilisation des parents afin qu’ils poursuivent ou amorcent des démarches en vue de l’arrivée de bébé. Dépendamment de l’histoire et de la trajectoire de consommation de drogue des parents, l’appropriation du processus de changement est évidemment très variable.
18Une troisième rencontre conjointe – généralement la dernière – en période prénatale aura lieu afin de faire le bilan de l’évolution de la situation avant l’arrivée de l’enfant. S’il y a nécessité de faire un signalement à la naissance, on l’expliquera alors aux parents. S’il ne s’avère pas nécessaire de faire un signalement, mais plutôt de faire une référence à des services rendus en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, le travailleur social de l’hôpital fera la référence personnalisée.
19Dans le cas où il y a un signalement à la naissance du bébé, une quatrième rencontre conjointe peut avoir lieu afin d’élaborer, ensemble, le plan de congé du bébé. L’évaluation du signalement est alors confiée au même intervenant de la DPJ qui a rencontré la mère et son conjoint durant la grossesse. Cela permet une continuité dans l’intervention et contribue à favoriser le maintien du lien de confiance qui devrait s’être établi durant les rencontres prénatales. Il faut souligner que les rencontres qui ont eu lieu avant la naissance n’ont pas pour objectif d’amorcer l’évaluation. D’ailleurs, aucune note n’y est prise et aucun dossier n’est constitué, puisque l’intervenant de la DPJ n’agit pas dans le cadre de son mandat habituel.
20Il est bon de préciser que toutes les rencontres, du début de l’intervention jusqu’à la sortie de l’hôpital du bébé, ont lieu en présence des parents, du travailleur social en milieu hospitalier et de l’intervenant de la DPJ. Le fait pour le travailleur social et l’intervenant de la DPJ de toujours rencontrer les parents conjointement leur permet de travailler dans le même sens, de transmettre le même message. Par la suite, le travailleur social du milieu hospitalier qui assure le suivi pourra revenir avec les parents sur des choses qui ont été dites durant ces rencontres et qui sembleraient avoir été mal comprises.
Le cas de Magalie
21Le cas suivant illustre bien l’intervention telle qu’elle se fait dans le cadre de Main dans la main. À la suite d’une consultation médicale en lien avec sa grossesse, Magalie est référée à la travailleuse sociale de l’hôpital par son médecin, inquiet du mode de vie désorganisé de sa patiente. La travailleuse sociale rencontre Magalie à quelques reprises. En vue de faire une évaluation de sa situation, elle utilise le questionnaire des « 5P », qui lui permet de dépister la nécessité d’investiguer la consommation de substances psychoactives de Magalie. Elle utilise ensuite le Modèle d’évaluation en contexte d’une nouvelle maternité chez les consommatrices de substances psychoactives, qui lui permet cette fois de conclure que le programme Main dans la main paraît indiqué, puisque la situation de Magalie en lien avec sa consommation de cocaïne présente plusieurs facteurs de risque. Tout au long des rencontres, la travailleuse sociale tente d’associer le conjoint de Magalie à la démarche, afin de le mobiliser dans la préparation de la venue de bébé. Cependant, celui-ci ne se présente pas aux deux premiers rendez-vous.
22À la troisième rencontre, Stéphane, le conjoint de Magalie, accepte de l’accompagner. La travailleuse sociale prend le temps de bien expliquer aux futurs parents ses inquiétudes par rapport à la consommation de drogue de Magalie et son impact sur la venue du bébé. Et elle les avertit qu’il est probable qu’elle fasse un signalement à la DPJ à la naissance de bébé, si rien ne change. Après s’être assurée d’avoir établi le lien de confiance nécessaire pour ne pas mettre en péril le suivi de grossesse, elle leur présente le programme Main dans la main. Elle leur indique que, s’ils le désirent, ils peuvent rencontrer un intervenant de la DPJ qui pourra répondre à toutes leurs questions et leur expliquer « comment ça se passera » et ce qu’ils peuvent déjà faire pour apporter des changements à leur mode de vie. Elle leur parle sommairement le rôle du Directeur de la protection de la jeunesse, qui doit s’assurer que les parents sont en mesure de bien répondre aux besoins de leur enfant, et voit avec eux ce qu’ils peuvent mettre en place pour y arriver. Elle insiste sur le fait que ce que souhaite la DPJ, c’est que l’enfant puisse grandir auprès de ses parents en sécurité et que ceux-ci puissent répondre à ses besoins. Elle explique que c’est dans cet esprit que le travail sera entrepris s’ils participent au programme Main dans la main. Elle leur précise qu’ils ne sont absolument pas obligés d’accepter : ce qui leur est proposé, c’est un moyen d’être rassurés sur ce qui peut arriver et, surtout, la possibilité de discuter et d’échanger sur les moyens à prendre pour mieux se préparer à l’arrivée du bébé. Magalie et Stéphane acceptent finalement de participer au programme et signent le formulaire de consentement permettant l’échange d’information entre la travailleuse sociale et la DPJ. Elle contacte alors le chef de service de l’équipe É/O de la DPJ, qui lui donne le nom d’un intervenant de son équipe prêt à participer au programme.
23La première rencontre prénatale a ensuite lieu. L’intervenant de la DPJ, dans un premier temps, vérifie le consentement des parents, puis il répond à leurs questions en essayant de les rassurer le plus possible. Les parties conviennent des changements que Magalie doit apporter à son mode de vie pour maximiser les chances qu’on lui laisse son bébé. Entre la première et la deuxième rencontres, Magalie amorce certains changements, mais elle connaît aussi deux épisodes de rechute et son conjoint la quitte. La deuxième rencontre prénatale permet de considérer avec elle différentes options par rapport à l’évolution de sa situation.
24Après avoir visité le centre Portage, Magalie se dit incapable de vivre en groupe 24 heures sur 24. Elle souhaite néanmoins garder son bébé avec elle et dit qu’elle pourrait aller vivre avec lui chez une cousine, qu’elle a cependant perdue de vue depuis trois ans. Il est convenu qu’elle reprenne contact avec cette cousine et la travailleuse sociale lui propose de la rencontrer avec elle au besoin. Lors de la troisième et dernière rencontre avant la naissance, Magalie comprend qu’un signalement sera fait à la DPJ et qu’elle devra examiner avec l’intervenante ce qu’elle pourra faire pour garder son bébé et régler sa problématique de consommation de drogue.
25Dès la naissance de Kevin, le signalement est fait et Magalie rencontre la même intervenante de la DPJ en compagnie de la travailleuse sociale de l’hôpital. Au début de la rencontre, l’intervenante de la DPJ revalide l’ensemble des informations obtenues en cours de grossesse par les parents afin de les consigner au dossier. Les trois partenaires (la mère et les deux intervenantes) considèrent ensemble les démarches de Magalie pour trouver un milieu de vie sécuritaire pour Kevin à sa sortie de l’hôpital. Pendant la période postnatale, Magalie est soutenue par l’équipe de l’hôpital. Toutes les observations concernant ses forces et ses difficultés sont transmises à la travailleuse sociale de l’hôpital, qui en discute avec Magalie et l’intervenante de la DPJ. Bien que très anxieuse et parfois maladroite, Magalie se montre très ouverte aux conseils qui lui sont prodigués, dit vouloir apprendre et démontre déjà des signes d’attachement importants à l’égard de Kevin. Sa cousine, qu’elle avait revue pendant sa grossesse, accepte de l’accueillir avec Kevin pour quelques mois et de rencontrer l’intervenante de la DPJ qui était venue la rencontrer à son domicile afin de s’assurer que le projet était adéquat.
26Compte tenu que Magalie accepte de recevoir des services, il est entendu qu’à sa sortie de l’hôpital, elle ira vivre avec Kevin chez sa cousine et qu’elle participera au programme Jessie, un partenariat entre le Centre Dollard-Cormier et le CJM-IU. Magalie recevra aussi les services d’une éducatrice de milieu qui la soutiendra dans le développement de ses habiletés parentales.
valeurs et principes cliniques du programme
27L’ensemble du processus réalisé dans le cadre de la mise en œuvre du programme répond à la mission et à la philosophie du CJM-IU et des divers hôpitaux qui y sont associés. Ainsi, dans Main dans la main, les parents sont des acteurs essentiels. Comme ils sont considérés les premiers responsables du bien-être de leur enfant, l’intervention vise le développement de l’empowerment parental, compte tenu de leur consommation de drogue et des dommages qu’elle peut occasionner dans l’accomplissement de leur rôle de parent. Cet empowerment peut s’acquérir par la meilleure connaissance possible des impacts négatifs de leur consommation de drogue, par l’insertion dans le réseau de services adaptés pour les parents consommateurs, par l’acquisition de compétences parentales et par l’accès à des modèles parentaux adéquats, autant d’outils qui soutiennent le développement du lien d’attachement avec l’enfant et l’émergence d’une estime de soi en tant que parent. Dès lors, les parents ne sont plus victimes d’un signalement au DPJ, mais ils sont plutôt invités, dès la grossesse, à procéder à une recherche active de moyens leur permettant d’offrir à leur enfant un milieu de vie et des conditions propices à son développement. Le programme vise aussi une participation parentale lorsque le placement de l’enfant s’avère une option temporaire ou permanente, dans le meilleur intérêt de celui-ci.
28Dans le milieu hospitalier, les soins de maternité sont centrés sur la famille, la grossesse et la naissance, considérées comme des événements naturels de la vie, avant tout heureux. Elles représentent la pierre angulaire du développement initial de la famille. Les parents sont les maîtres d’œuvre de cette nouvelle étape de leur vie. Ils peuvent compter sur des professionnels pour les soutenir et les accompagner tout au long de cette expérience unique qu’est la naissance afin que celle-ci soit des plus positives. Par leur attitude, leur savoir-être et leur savoir-faire, ces professionnels témoignent de leur engagement envers la famille et reconnaissent que sa composition est définie par les parents eux-mêmes. Ils privilégient le bien-être, la sécurité et l’autonomie. Les relations entre les familles et les professionnels reposent sur la confiance et le respect mutuels.
29Du point de vue du DPJ, la possibilité pour l’enfant de grandir auprès de ses parents représente le premier projet de vie à envisager. Étant donné que le temps est un enjeu fondamental dans la vie de l’enfant, les intervenants ont le devoir et la responsabilité de mettre tout en œuvre pour soutenir rapidement et efficacement les parents, favoriser leur mobilisation et les amener à développer, dans un délai raisonnable, leurs capacités parentales afin qu’ils puissent apporter une réponse adéquate à ses besoins. Par conséquent, ce n’est qu’après avoir accompagné de façon soutenue et continue les parents et avoir pu constater leur incapacité à opérer les changements requis dans un délai raisonnable que le recours à un projet de vie alternatif pour l’enfant sera envisagé. Dans une telle situation, on devra trouver une famille substitut capable de répondre à ses besoins et désireuse de s’investir à long terme, afin d’assurer à l’enfant un sain développement.
les différents intervenants
30Plusieurs professionnels sont impliqués dans Main dans la main. Pour cette raison, mais aussi parce qu’ils proviennent de deux établissements différents qui ont leur propre culture et que leur intervention commune est novatrice, il devient essentiel de bien définir les rôles et les responsabilités de chacun.
Rôles et responsabilités
31Le chef en milieu hospitalier responsable du programme Main dans la main a la responsabilité de « superviser » les membres de son équipe tout au long du processus. C’est aussi lui qui s’assure que les valeurs véhiculées dans le programme sont partagées par l’ensemble des intervenants du milieu hospitalier. En collaboration avec son homologue du centre jeunesse, il anime les rencontres du comité de suivi et participe au comité de pilotage de Main dans la main.
32Le travailleur social en milieu hospitalier est celui qui évalue la situation de la femme enceinte, ou qui a récemment accouché, et qui est consommatrice de substances psychoactives. C’est à partir de cette évaluation, qu’il déterminera quels sont les parents qui pourraient bénéficier du programme Main dans la main. Dans le cadre de ses fonctions habituelles, il assure le suivi de la femme enceinte avec les autres professionnels de son établissement. C’est aussi lui qui a la responsabilité de présenter le programme aux futurs parents et d’obtenir leur consentement à y participer. En ce qui a trait au partenariat, il communique avec le chef du service d’évaluation – orientation (É/O) de la DPJ du CJM-IU – pour planifier la première rencontre d’arrimage et prévoir les rencontres suivantes. Avec l’intervenant de la DPJ, il collabore à la mise en place de services, pour la mère et son conjoint, visant à modifier leur consommation de substances psychoactives et à soutenir le développement de leurs capacités parentales. Quand la situation l’exige, il doit procéder au signalement à la DPJ après la naissance de l’enfant, et en informer les parents et les membres de son équipe. C’est aussi lui qui a la responsabilité d’établir la communication entre les différents intervenants du milieu hospitalier et la DPJ, pour le suivi des activités réalisées dans le cadre du programme. Il participe également aux rencontres du comité de suivi.
33Le chef du service E/O de la DPJ. Au moment où il est avisé d’une référence au programme par le travailleur social en milieu hospitalier, le chef de service doit désigner l’intervenant de son équipe qui pourrait assumer la démarche d’évaluation du signalement. Comme dans son mandat régulier, il doit offrir une supervision à cet intervenant tout au long du processus. Il doit aussi établir un lien avec le travailleur social pour assurer le suivi des activités à réaliser dans le cadre du partenariat. Si, après évaluation de la situation, il est décidé de signaler le nouveau-né à la protection de la jeunesse et que le signalement est retenu, le chef de service doit soutenir l’intervenant dans un processus où celui-ci mettra de l’avant les valeurs et l’esprit du programme dans l’intervention. Il doit donc veiller à ce que ses intervenants reçoivent les formations requises. C’est lui qui anime les rencontres du comité de suivi, conjointement avec le chef en milieu hospitalier, et il participe également aux rencontres du comité de pilotage.
34L’intervenant É/O de la DPJ en centre jeunesse doit d’abord établir un lien de partenariat avec le travailleur social en milieu hospitalier. Étant donné que ce sont toujours les mêmes intervenants qui sont assignés aux dossiers, ils finissent par se connaître et par développer un lien de confiance, ce qui facilite la communication entre les deux parties. En plus d’assurer une présence aux rencontres entre les parents et les intervenants du service d’obstétrique et de néonatalogie, l’intervenant É/O de la DPJ a la responsabilité de répondre aux questions des futurs parents, et de leur faire prendre conscience de l’importance de répondre adéquatement aux besoins de sécurité et de développement de leur enfant à naître et de tout mettre en œuvre pour y parvenir.
35À la naissance de l’enfant, si un signalement est adressé à la DPJ et retenu par l’intervenant du service Accueil-DPJ, une évaluation de ce signalement sera effectuée. Dans le cadre de l’évaluation-orientation, l’intervenant fait une référence à un programme d’aide spécialisé (Jessie, Portage, etc.) si le nouveau-né est considéré en besoin de protection ou, s’il ne l’est pas, il évalue la pertinence de faire une référence vers les ressources appropriées. Dans un cas comme dans l’autre, il doit assurer une rétroaction aux partenaires du milieu hospitalier quant à la décision prise à la suite de l’évaluation. Tout comme le chef de son service, il participe aux rencontres du comité de suivi.
36L’intervenant du service de l’application des mesures (CJM-IU) n’est appelé à participer au partenariat que si les parents ont un autre enfant qui fait l’objet de mesures de protection. Dans un tel cas, s’il le juge pertinent, son rôle consiste à accompagner la mère et son conjoint dans une démarche de référence à un centre hospitalier associé au programme Main dans la main, à collaborer à la mise en place de services de soutien visant à favoriser le développement de leurs capacités parentales, et à les aider à s’organiser pour assurer à l’enfant à naître des conditions de vie adéquates. L’intervenant du service de l’application des mesures doit également avertir le chef de service É/O de la nouvelle grossesse de la mère, tel que le prévoit le protocole d’intervention. Il peut être invité à participer aux rencontres de concertation avec l’intervenant du service É/O et le travailleur social en milieu hospitalier.
Formation
37Afin d’harmoniser la philosophie d’intervention, les professionnels qui participent activement au programme reçoivent des formations de base communes. En plus de celles qui concernent spécifiquement le programme (description de Main dans la main et de la recherche associée, exemples de situations réelles, etc.), chacun des milieux contribue aux formations dispensées en partageant son expertise. Ainsi, le CJM-IU offre des formations sur la théorie de l’attachement et l’évaluation des capacités parentales, l’équipe du CHUM dispense celles axées sur l’effet des substances psychoactives et les changements identitaires, et une chercheure offre une formation sur le Modèle d’évaluation en contexte d’une nouvelle maternité chez les consommatrices de substances psychoactives. Les intervenants échangent aussi sur leurs rôles respectifs en milieu hospitalier et en protection de la jeunesse.
Gestion du programme
38Pour assurer la gestion du programme Main dans la main, deux types de comités sont mis en place : les comités de pilotage et de suivi.
39Le comité de pilotage est constitué des gestionnaires du CJM-IU et des milieux hospitaliers, ainsi que des chercheures impliquées dans le programme. Il est un des lieux où s’actualise le partenariat. Ses responsabilités sont d’assurer l’implantation du projet d’intervention sur le terrain, d’assurer le partage d’information sur le déroulement de la recherche et de l’intervention dans les différents sites, d’assumer la prise de décisions au sujet des orientations communes du programme d’intervention, d’encourager la participation à des activités de diffusion et de valorisation des connaissances et, finalement, de faire les liens avec les comités de suivi.
40Les comités de suivi réunissent, dans chacun des sites, tous les intervenants impliqués dans le programme ainsi que leur supérieur immédiat, afin d’assurer le suivi de l’intervention de collaboration auprès des parents. Chaque équipe, donc chaque milieu hospitalier, a son propre comité de suivi, où sont aussi présents les intervenants de l’équipe É/O du CJM-IU avec qui il est associé ainsi qu’un membre de l’équipe de recherche. Les responsabilités de ce comité sont essentiellement de discuter de chacune des situations pour lesquelles une intervention commune est en cours et d’assurer une réflexion clinique et critique en vue d’améliorer les pratiques. Il est aussi le lieu d’échange où les valeurs prônées dans Main dans la main sont constamment réaffirmées et partagées. Les comités de suivi doivent aussi faire le lien avec le comité de pilotage. Enfin, ils assurent que la formation prévue au programme est dispensée à tous les intervenants.
évaluation de l’implantation
41Une première étude réalisée auprès des intervenants des deux réseaux et portant sur le travail de collaboration a révélé que « le travail ensemble » demande beaucoup d’efforts et d’énergie de la part des intervenants, qu’il soit question de formation, d’acquisition des connaissances sur la problématique ou de soutien auprès des parents (Lavergne, Morissette, Dionne et Dessureault, 2009). Le personnel impliqué dans le projet qualifie néanmoins cet effort de positif puisqu’il leur permet de se sentir plus compétent dans la recherche de solutions aux problèmes identifiés.
42Sur le plan de la collaboration, ce type de travail est perçu de façon favorable par les intervenants, car ils ont le sentiment qu’il bonifie le service offert à la mère et à son partenaire. La confiance est identifiée comme étant un élément-clé qui s’est développé entre les intervenants des deux institutions et qui a permis de favoriser le partage d’information, le respect mutuel et la cohésion d’équipe. Les intervenants indiquent qu’ils ont développé rapidement une vision clinique commune des situations ainsi qu’une philosophie d’intervention similaire. Ils rapportent également que la collaboration des parents était nécessaire et avait un impact sur leur situation et leur devenir. Parmi les éléments organisationnels qui ont le plus contribué au processus de collaboration, les professionnels mentionnent la stabilité des membres de l’équipe et le fait de travailler toujours avec le même groupe d’intervenants.
43Une autre recherche est actuellement en cours. Elle vise à évaluer l’implantation de Main dans la main dans les deux autres milieux hospitaliers (CHU Sainte-Justine et HMR) qui ont choisi de participer au projet, ainsi que l’effet de l’intervention auprès des mères consommatrices de substances psychoactives.
principaux défis rencontrés
44Organiser la co-intervention. Dans sa phase initiale, le premier défi du projet fut de constituer une équipe qui lui soit dédiée, une équipe qui pouvait assurer une stabilité et une continuité de l’action, autant dans la phase d’élaboration que d’implantation. Pour arriver à définir un programme de partenariat ayant un sens pour chacun, les deux cultures organisationnelles distinctes des institutions appelées à collaborer ont d’abord été confrontées. Il était nécessaire de bien camper la mission ainsi que les rôles et les responsabilités de chacun, afin d’arriver à définir la façon dont s’actualiserait la participation des deux milieux dans ce projet de co-intervention qu’est Main dans la main.
45Intervenir avant la naissance de l’enfant a soulevé plusieurs questions éthiques et juridiques. Ce questionnement a conduit à la production d’un avis juridique détaillé. S’en est alors suivi l’élaboration des fondements éthiques et légaux devant baliser les interventions dans la phase d’actualisation.
46D’autres défis sont aussi survenus dans la phase d’actualisation du programme. Le premier fut de recruter des mères acceptant de participer au projet. L’intervention du DPJ se fait rarement par choix des parents, et cela est encore plus vrai lors d’une naissance. Motiver un futur parent à accepter une intervention dans le cadre de Main dans la main, d’autant qu’elle implique des rencontres avec un intervenant de la DPJ, représentait un défi important. Le bilan 2008-2009 du programme montre que seulement le tiers (32 %) des collaborations réalisées entre les deux partenaires ont eu lieu avant la naissance de l’enfant. Lorsqu’elles ont lieu après, cela laisse évidemment moins de temps pour que les intervenants puissent développer une relation de confiance avec les parents. La difficulté à rejoindre les mères avant la naissance pourrait être le reflet du dilemme devant lequel plusieurs d’entre elles sont placées : vouloir garder leur enfant avec la ferme intention de répondre à ses besoins, et vouloir continuer une certaine consommation de drogues (Lavergne et Morissette, 2009).
47La difficulté du recrutement en période prénatale, malgré leur investissement dans le programme, a amené les intervenants à se poser des questions. Quelques hypothèses, hormis celle qui vient d’être énoncée, ont été avancées. Les statistiques émanant du bilan 2007-2008 de Main dans la main révèlent que plus de la moitié des femmes n’avaient pas eu de suivi de grossesse. Ces données vont dans le même sens que les résultats d’études citées par Simmat-Durand (2002), qui indiquent qu’une grossesse sur deux ne serait pas bien suivie chez les femmes toxicomanes faisant l’objet de trois consultations ou moins. L’auteure mentionne d’ailleurs qu’un suivi de grossesse inadéquat est un phénomène fréquent chez les mères qui consomment des drogues. Venne et Morissette (2009) mentionnent un autre facteur qui rend l’intervention prénatale difficile : la dénégation d’un possible problème. Elles soulignent que, pour accepter le type d’intervention proposé par Main dans la main, il faut d’abord que la future mère reconnaisse qu’elle a un problème de consommation abusive. Taylor (1999) indique, de son côté, que la négation est un facteur critique nuisant à la détermination et à la compréhension du niveau de sévérité de la consommation d’une personne.
48La gestion des situations de crise (rechute de consommation ou désengagement du parent après la naissance) est un élément important à considérer dans l’optique où l’on veut maintenir le cap avec les parents et les soutenir dans la recherche de solutions centrées d’abord sur les besoins de leur enfant, tout en répondant à leurs propres besoins. Concernant les rechutes, il a été constaté que, même si elles étaient prêtes à considérer un changement de leur mode de consommation, certaines mères inscrites au programme retombent dans leurs « vieilles habitudes » en cours de grossesse. À cet égard, les recherches suggèrent que les risques de rechute sont fréquents et qu’ils surviennent le plus souvent lorsque la personne pense avoir retrouvé une « vie normale » (Varescon, 2005). Cela ajoute à la difficulté de recrutement avant l’accouchement, puisque les inter venants perdent alors souvent toute trace de la mère pendant un certain temps. Le suivi psychosocial est donc interrompu et le travail de collaboration ne peut s’effectuer avant la naissance (Lavergne et Morissette, 2009).
49La place du père et sa participation active à l’intervention sont des éléments importants dans le programme. Cependant, les impliquer demeure un défi. Selon les données du bilan annuel 2007-2008 de Main dans la main, seulement 16 pères sur 30 étaient présents lors de la naissance de l’enfant. Cela s’explique en partie par la difficulté de rejoindre ces pères. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. Il est possible que certains ne veuillent pas s’engager pour ne pas aborder le sujet de leur propre consommation de drogue (d’après le bilan 2007-2008, 12 des 16 pères présents à la naissance en prenaient), de leur histoire, de leur mode de vie. Ils pourraient aussi craindre de s’engager en raison des activités illicites auxquelles ils participent. Enfin, il semble que certains d’entre eux connaissent peu la mère ou qu’ils ne reconnaissent pas son problème de consommation. Les données du bilan 2008-2009 sont encourageantes puisqu’elles révèlent que 75 % des pères étaient présents à la naissance de leur enfant.
50Un autre défi réside dans l’établissement de liens avec un ensemble de ressources du milieu (centres de santé et services sociaux, organismes communautaires, etc.) afin d’élargir le projet partenariat. Avant que le programme soit connu et que des données appuient sa raison d’être, un travail de promotion doit être réalisé. Comme le programme est de plus en plus connu et reconnu, les organismes sont plus enclins à s’y associer. Dans les années à venir, le défi sera davantage de conserver cet esprit de partenariat et de maintenir les liens malgré les différentes cultures des organismes.
51La mobilité du personnel impliqué représente un autre défi. Les intervenants nouvellement recrutés sont d’emblée motivés par le programme, mais ils ont tout de même à s’approprier un modèle d’intervention en partenariat distinct. Les changements d’intervenants soulèvent également l’enjeu du transfert des connaissances. Les rencontres de suivi se révèlent de bons médiums pour favoriser l’intégration des nouveaux intervenants.
***
52Le programme Main dans la main innove sur plusieurs plans par rapport à ce qui se fait au Québec en matière d’intervention en contexte de consommation de substances psychoactives en cours de grossesse. D’abord, il se distingue par le type d’acteurs impliqués : en matière de toxicomanie, la Protection de la jeunesse travaille généralement en collaboration avec les centres spécialisés pour les toxicomanes et plus rarement avec les milieux hospitaliers (Laudet et al., 1999 ; Heinicke et al., 2000).
53Le programme présente aussi un côté novateur du fait que les professionnels de la DPJ rencontrent des parents qui, pour certains, n’ont pas encore donné naissance à leur enfant. En effet, le DPJ est habituellement interpellée à partir du moment où l’enfant naît. Dans Main dans la main, la mobilisation des parents est favorisée avant même ce moment, le DPJ participant à l’intervention sur invitation des services sociaux hospitaliers avec l’accord des parents. On cherche ainsi à aider les parents à changer leurs habitudes de vie et de consommation, de façon à ce qu’ils parviennent à assumer leurs responsabilités parentales et à répondre adéquatement aux besoins de leur bébé, ce qui diminue les risques de placement. Morissette et ses collègues (2007) soulignent qu’à défaut d’y parvenir, la prévention des séquelles de la négligence pourra impliquer la prise de mesures de protection consistant à offrir à l’enfant un milieu de vie alternatif qui soit stable et favorable à son développement.
54Main dans la main se démarque aussi par la place qu’il accorde aux parents dans le processus. Dans l’intervention réalisée en protection de la jeunesse, la participation des parents est considérée comme un moyen essentiel pour aider les familles à reprendre le contrôle de leur situation (Association des centres jeunesse du Québec, 1996). Dans le secteur de la santé, l’implication des patients représente une nouvelle pratique qui vise à maximiser les résultats de l’intervention (D’amour et Oandasan, 2005). Dans Main dans la main, les mères consommatrices de substances psychoactives et leur conjoint sont encouragés à participer activement à la recherche de solutions en collaborant avec les professionnels, dans le but de cibler les options qui les rejoignent davantage. Une telle approche améliore les chances de résoudre les problèmes et de permettre aux parents d’assumer eux-mêmes la garde de leur enfant.
55Finalement, Main dans la main se distingue par le fait que deux institutions doivent travailler ensemble alors qu’elles n’ont pas le même mandat et ne ciblent pas le même « client ». L’intérêt de l’enfant et la primauté de l’autorité parentale sont des notions fondamentales, qui teintent toute intervention réalisée par les professionnels de la DPJ. En milieu hospitalier, c’est d’abord la future mère consommatrice de substances psychoactives qui est visée par l’intervention. Vient ensuite son conjoint, s’il y a lieu, et, après la naissance, son enfant. Ainsi, les intervenants doivent innover afin que leurs mandats se rejoignent. Pour ce faire, ils se rencontrent pour partager leur expertise et développer un langage commun, des connaissances, des habiletés, des valeurs et une lecture clinique permettant une évaluation et une prise de décision éclairée quant aux risques en présence.
56L’expérience de partenariat entre le CJM-IU et les milieux hospitaliers dans l’intervention auprès des mères consommatrices de substances psychoactives et de leurs partenaires montre que le programme apporte une plus-value, autant pour ce qui est de l’intervention que du sentiment de compétence des professionnels. Le succès de Main dans la main prouve qu’il est avantageux de tout mettre en œuvre pour offrir à l’enfant le maximum de chances de grandir auprès de ses parents.
57Nous remercions tous les acteurs qui ont participé de près ou de loin à l’implantation du programme Main dans la main, et plus particulièrement les intervenants qui ont su et continuent de le faire vivre et de lui donner un sens.
Bibliographie
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références
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Auteurs
Agente de planification, de programmation et de recherche, Centre d’expertise sur la maltraitance, CJM-IU
Chef de service, DPJ, Évaluation-Orientation Sud, CJM-IU
Directrice de la protection de la jeunesse, CJM-IU
DPJ adjoint, CJM-IU
T.s. CHUM
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