Introduction
p. 7-11
Texte intégral
1Outre un certain nombre de modèles d’intervention déjà bien établis, on trouve dans le réseau des centres jeunesse du Québec de nombreux projets, programmes ou instruments originaux nés du dynamisme, de l’ingéniosité, de l’expertise et du bon jugement des intervenants. Plu sieurs projets méritants, qui témoignent de la réalité plurielle des pratiques auprès des jeunes en difficulté, restent pourtant méconnus. La raison principale en est qu’ils n’ont, pour la plupart, pas fait l’objet de publications. Certes, de nombreux documents internes ont été produits, mais cette importante littérature grise ne saurait rejoindre qu'un public restreint. Dès lors, le risque de refaire ce qui a déjà été fait ailleurs, avec plus ou moins de succès, guette celui qui pense innover.
2Au départ du projet qui a mené au présent ouvrage, l’intention était de procéder à une première recension de ces « chantiers d’intervention ». Nous étions convaincus qu’en plus de l’intérêt inhérent pour les intervenants de procéder à un bilan d’étape et de partager leur expérience, la diffusion des réussites comme des déceptions qui jalonnent l’élaboration de nouvelles pratiques apporte une contribution significative à la formation de la relève et à la réflexion collective.
3Par ailleurs, dans les réseaux de la sécurité publique, des services sociaux ou de la santé, on assiste depuis une trentaine d'années au développement de lignes directrices destinées à orienter les politiques et les interventions. Ces guidelines se veulent de plus en plus fondées sur les « données probantes ». Il paraît alors utile de se demander, à l’aune des données probantes, ce que signifie « bien pratiquer », et ce que veut dire prendre une « bonne décision ».
4Mais au moment de répondre à ces questions, il faut rester prudent face aux risques d'une dérive qui transformerait le paradigme des données probantes en un moyen de rationner et de « normer » les interventions. En effet, cela pourrait engendrer des retards, voire une sclérose dans l'implantation d'approches innovantes et ingénieuses, qu'aucune preuve empirique d’efficacité ne vient encore appuyer. Comme l'a écrit Goldbloom sur la psychiatrie, « à maints égards, une approche fondée sur les données probantes ne révèle pas une vérité thérapeutique unique, mais plutôt les limites de la connaissance et de la certitude. Elle n'est pas destinée à produire une paralysie1 ». Voilà pourquoi, parmi tous les chantiers qu’il est possible de repérer, ce livre est consacré à l’exposé de pratiques qui, sans nécessairement être « probantes », sont prometteuses. Il repose sur la conviction que, lorsqu’on intervient auprès de jeunes en difficulté, il est possible de sortir des sentiers battus tout en travaillant d’une manière méthodique et rigoureuse.
5Pour mieux identifier le champ que cet ouvrage collectif entend couvrir, il peut être utile d’en préciser les termes. Les pratiques renvoient à un ensemble assez diversifié d'interventions préventives ou curatives, aussi bien psychoéducatives, psychologiques, criminologiques que sociales, qui sont mises en place auprès des jeunes, de leur famille et de leurs proches. Par innovantes, on désigne ce qui explore, a le potentiel de régénérer les pratiques traditionnelles et permet de penser autrement certains problèmes. Les jeunes en difficulté sont aussi bien les enfants que les adolescents, les filles que les garçons, les personnes suivies dans leur milieu que celles placées dans une ressource. Enfin, par prometteuse, on entend qu’une pratique :
- est suffisamment « consolidée », c’est-à-dire qui a dépassé l'étape des tout premiers projets pilotes et a pris de la maturité ;
- répond à des besoins d'intervention, c’est-à-dire qui s’intéresse à un sous-groupe de jeunes ou de familles qui ne sont pas toujours bien desservis par les modèles plus traditionnels ;
- est inédite, c’est-à-dire qui n’a pas encore fait l’objet de beaucoup de publications dans des revues savantes, des revues professionnelles ou comme chapitres de livre ;
- est fondée sur un modèle clair, c’est-à-dire qui s’appuie sur un rationnel ou des données empiriques qu’il est possible de formuler et de comprendre ;
- est opérationnelle, c’est-à-dire qu’elle prévoit des stratégies, des activités ou des instruments suffisamment concrets et spécifiques qu’un lecteur pourrait éventuellement apprendre à utiliser ; et qui, enfin
- est évaluable, sans nécessairement avoir été évaluée, c’est-à-dire qui est définie en des termes assez clairs pour qu’on puisse, un jour, se prononcer sur son implantation et sur ses effets.
6Par ailleurs, nous avons voulu aborder une diversité d’expériences et de projets, qui s’adressent aux très jeunes enfants, aux familles en détresse, ou encore aux jeunes contrevenants mis sous garde. Certains projets bénéficiaient du soutien d’un institut universitaire, des fonds d’un organisme subventionnaire ou de la présence d’un chercheur. D’autres ne reposaient que sur la détermination de quelques intervenants et gestionnaires audacieux. Si on tente d’en faire une lecture transversale, quelques grandes tendances émergent pour ce qui concerne la population cible, les modèles théoriques, et même les actions posées.
7La population cible est celle que la pratique innovante est censée viser. Dans cette recension québécoise, nous avons d’abord identifié des pratiques destinées à de tout jeunes enfants, parfois à peine âgés de trois ans, mais déjà lourdement mis à l’épreuve par la vie. Il semble que ces petits présentent des problématiques telles que des familles d’accueil ne peuvent les recevoir (voir, entre autres, le chapitre 3), notamment à cause de la sévérité de leurs symptômes associés aux troubles réactionnels de l’attachement (chapitre 2). La plupart des pratiques innovantes ont toutefois été conçues pour répondre aux besoins d’enfants un peu plus vieux. Chez ceux qui sont âgés de cinq à onze ou douze ans, les programmes visent essentiellement des problèmes relatifs aux troubles de l’attachement (chapitre 4), à la négligence (chapitre 5) et à l’abus, notamment sexuel (chapitres 6 et 7).
8Plusieurs de ces pratiques sont aussi destinées aux parents. Les plus préventives recrutent dans les salles de naissance grâce à la relation de partenariat établie avec un hôpital (chapitre 1). Mais la plupart du temps, les interventions sont faites plus tard et à la suite à d’un signalement. À l’étape de l’évaluation-orientation, on peut tenter de mettre en place un processus clinique de négociation basé sur les intérêts des participants (chapitre 12). Puis, l’objectif pourra être de prévenir les placements précoces (chapitre 8), les troubles ou traumatismes relationnels (chapitres 9 et 10), les troubles du comportement (chapitre 11), jusqu’à tenter de pallier l’épuisement des familles d’accueil (chapitre 14).
9S’agissant des adolescents, quelques pratiques innovantes sont destinées aux jeunes qui présentent des problèmes de santé mentale (chapitres 15 et 18) ainsi qu’à ceux qui sont à risque de s’engager dans la prostitution juvénile (chapitre 19). Cela dit, la plupart des programmes s’adressent à de jeunes contrevenants. Ils ont été conçus pour répondre aux besoins des jeunes auteurs d’agression sexuelle (chapitre 20), des jeunes concernés par le phénomène des gangs de rue (chapitre 22), de ceux qui sont soumis à une mesure probatoire (chapitre 23) ou à une mise sous garde qui se termine (chapitre 24).
10Le placement en centre de réadaptation est une autre occasion d’innover, d’abord sous l’angle des décisions à prendre en matière d’orientation (chapitres 13 et 21). Par la suite, les intervenants semblent se soucier surtout de la réponse à apporter aux signes de détresse, aux écarts de conduite et aux manifestations agressives (chapitres 16 et 17). Dans tous les cas, il importe de soutenir, dans la mesure du possible, le passage des jeunes vers une vie adulte qui marque la fin des services offerts par les centres jeunesse (chapitres 25 et 26).
11Enfin, il est apparu, qu’au Québec, certaines pratiques innovantes ne sont pas tant destinées aux jeunes et à leurs familles qu’aux intervenants et gestionnaires qui sont invités à évaluer leur pratique à partir de leurs intérêts propres (chapitre 28) et à se tenir informés des résultats de la recherche (chapitre 27).
12La théorie d’un programme désigne les constats et les principes qui doivent être traduits en un ensemble d’opérations concrètes et organisées. Idéalement, des protocoles d’intervention et des processus cliniques doivent être expliqués très clairement dans des manuels et au cours de formations. Dans cet ouvrage, nombreux sont les référents théoriques : l’empowerment – celui des parents et celui des jeunes –, la théorie de l’attachement, la théorie psychodynamique du fonctionnement réflexif, le modèle d’intégration neurosensorielle, l’approche de la médiation et de la négociation sur la base des intérêts, la délibération éthique, la démarche Snoezelen, le modèle écosystémique ou la mobilisation des connaissances n’en sont que quelques exemples.
13Les 28 chapitres qui constituent ce livre ont été rédigés par 54 auteurs, qui proviennent de huit régions administratives des centres jeunesse, de deux instituts et de dix écoles ou départements universitaires (administration publique, criminologie, psychoéducation, psychologie et service social). Les contributions sont regroupées en quatre sections : d’abord celles qui s’intéressent aux enfants, aux adolescents et aux jeunes de tout âge, puis celles qui présentent de nouvelles façons de faire de la recherche évaluative et de favoriser la mobilisation des connaissances.
14Certaines de ces initiatives s’inscrivent dans le prolongement des modèles classiques et consistent surtout à adapter des principes connus à de nouveaux contextes. D’autres constituent de véritables percées dans le domaine de l’intervention auprès des jeunes. Dans tous les cas, il s’agit de souligner ici la détermination et l’invention de leurs auteurs. Le lecteur est convié à faire sa propre analyse transversale des contenus afin d’en tirer les principaux éléments qui pourraient constituer la base d’une bonne pratique et, qui sait, l’inciter à innover à son tour.
15Les directeurs souhaitent remercier madame Évelyne Fortin (agente administrative, ACJQ), madame Andrée Le Blanc (CJM-IU), madame Camille Reid (agente administrative, ACJQ) et monsieur Jean Boislard (conseiller principal, ACJQ) pour leur contribution précieuse à la réalisation de cet ouvrage.
Notes de bas de page
1 Goldbloom, D. S., « La psychiatrie fondée sur les données probantes », Bulletin de l’APC, déc. 2003, p. 4-5.
Auteurs
Professeur à l’École de criminologie et chercheurs au Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal.
Professeur à l’École de criminologie et chercheurs au Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal.
Psychologue, a été jusqu’à récemment directrice-conseil à l’Association des centres jeunesse du Québec.
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