2. Construire un sentiment d’efficacité
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Texte intégral
Qu’est-ce qui caractérise les individus ayant réalisé leur potentiel de leadership ? Les entreprises et les équipes qui ont du succès ? La conviction qu’ils peuvent réussir ! Croire en soi donne la force d’entreprendre et de persévérer. La confiance n’était pas nécessairement au rendez-vous au départ, elle s’est développée progressivement. De quelle façon ? Ce chapitre explique en quoi le sentiment de pouvoir relever les défis est essentiel à l’actualisation du leadership, individuel et collectif, et il décrit plusieurs stratégies visant à développer ce sentiment d’efficacité.
1Les textes sur le leadership publiés depuis près de 50 ans se comptent par dizaines de milliers1.
2Les chercheurs arrivent malgré tout à un consensus : les leaders se croient capables de réussir quelles que soient les difficultés. Dans toutes les cultures, la confiance en soi constitue un trait recherché chez ceux qui sont appelés à des postes de responsabilité2. Quelqu’un qui ne croit pas en ses propres capacités peut difficilement mobiliser les autres.
3Laurent Beaudoin est le principal auteur du succès de Bombardier, l’entreprise manufacturière de réputation internationale dans les domaines du transport ferroviaire et de l’aéronautique. C’est à lui que plusieurs de ses proches collaborateurs attribuent leur capacité d’entreprendre, et le fait d’avoir développé leur propre leadership. Ces gestionnaires rapportent que la confiance manifestée à leur endroit par Laurent Beaudoin, qui leur a délégué tôt des responsabilités importantes malgré leur inexpérience, a construit progressivement leur sentiment d’efficacité par rapport au leadership.
Le sentiment d’efficacité personnelle
4Notre motivation est directement liée à notre foi en nos capacités. Outre le bien-être qu’il procure, le sentiment d’efficacité incite à investir du temps pour développer les compétences requises dans un domaine spécifique. Il est différent de la confiance en soi, qui est une appréciation globale et relativement stable de notre propre valeur, alors que le sentiment d’efficacité personnelle varie selon les domaines d’activités.
5Le sentiment d’efficacité personnelle est l’un des mécanismes les plus importants de la dynamique humaine3. Plus il est présent, plus l’individu déploiera d’efforts et plus il aura de chances de réussir. Les individus dont le sentiment d’efficacité personnelle est bien ancré prennent davantage d’initiatives et ils éprouvent un sentiment de contrôle4.
6À l’opposé, ceux dont le sentiment d’efficacité personnelle est faible consentiront moins d’efforts, ils appréhenderont les situations avec crainte et leur risque d’échec sera plus élevé. Les difficultés seront interprétées comme un manque d’aptitudes.
7Comment ce sentiment d’efficacité se développe-t-il ? Quelle influence a-t-il sur l’actualisation du leadership et comment le consolider ?
8L’individu utilise essentiellement quatre sources d’information pour évaluer son sentiment d’efficacité :
9 1. L’expérience directe (succès ou échecs). La source principale d’information sur le sentiment de compétence personnelle vient directement des expériences vécues dans un domaine spécifique. Plus on réussit, plus le sentiment d’efficacité augmente, mais à certaines conditions. L’individu doit expliquer ses succès de façon à valoriser son propre apport (ses efforts, ses qualités personnelles) et non la chance. Quant aux échecs, il doit se les expliquer sans diminuer son sentiment de contrôle, en attribuer la cause à des efforts insuffisants plutôt qu’à un manque inné d’aptitude.
10 2. L’observation de personnes en action. L’observation de gens en train d’exécuter des tâches reliées à un domaine spécifique de compétences renseigne sur sa propre capacité à remplir les mêmes fonctions. Voir que d’autres peuvent exercer des comportements de leadership renforce chez l’observateur attentif le sentiment qu’il pourrait réussir lui aussi. Plus les similitudes entre le modèle et l’observateur sont grandes, plus la conviction de sa propre capacité sera convaincante.
11 3. L’appréciation démontrée par l’entourage. Les commentaires positifs renforcent le sentiment d’efficacité. Ces manifestations de confiance sont des cadeaux précieux5. Elles auront toutefois peu d’effet sur le capital de leadership d’un individu si ce dernier ne les met pas à profit. Le contraire est aussi vrai. Des commentaires négatifs risquent d’affaiblir le sentiment d’efficacité et se traduire par une diminution des efforts, tout en augmentant le niveau de stress. On retient davantage les commentaires négatifs que les commentaires positifs6.
12 4. Ses propres réactions physiologiques et émotionnelles. Pendant l’exécution des tâches, le sentiment d’efficacité sera renforcé si nos réactions sont maîtrisées. Une nervosité extrême envoie un message d’incompétence, comme si le cerveau décodait ainsi les réactions du corps : « Je tremble, donc je suis incompétent. » D’où l’importance d’apprendre à gérer ses réactions physiologiques et émotives en prévision d’une performance.
13Par rapport au leadership, le sentiment d’efficacité personnelle se définit comme la confiance en notre capacité d’adopter des comportements de leadership qui apporteront les résultats visés. Laurent Beaudoin a développé le sentiment d’efficacité face au leadership de jeunes administrateurs et ingénieurs en leur faisant vivre des expériences de leadership et en leur communiquant sa foi en leur capacité de réussir. Des recherches sur le sentiment d’efficacité personnelle révèlent que plus les supérieurs immédiats ont des attentes élevées par rapport à la capacité de réussir de leurs employés, meilleure sera la performance de ces derniers7.
14Le sentiment d’efficacité se renforce à mesure que l’individu surmonte des difficultés progressives et qu’il traite adéquatement l’information sur ses performances.
15À la fin des années 1960, Maria Fernandez, une jeune Portugaise ayant immigré en France à l’âge de 17 ans, baragouine quelques mots de français et vit dans une banlieue pauvre de Paris. Elle ne tarde pas à améliorer son français, se trouve un emploi de serveuse, puis un deuxième emploi dans une petite entreprise spécialisée dans l’entretien industriel et commercial. Le second employeur lui offre un jour de superviser une équipe de 15 employés.
16Maria a l’intention de refuser, ne croyant pas avoir les capacités requises, mais elle discute de la proposition avec son premier employeur. Ce dernier lui répond : « Maria, tu peux réaliser bien plus encore. N’hésite pas. Tu es tout à fait capable de réussir. » Cette dernière petite phrase marque pour Maria un tournant majeur. Elle mettra cette confiance à profit toute sa vie, se la remémorant lors des moments de doute pour transmettre des messages positifs à son personnel et à ses collègues.
17Maria assume rapidement des responsabilités de plus en plus grandes, développant à la fois compétences et sentiment d’efficacité. D’un défi à l’autre, elle se retrouvera 30 ans plus tard, avec le fondateur de la société, à la tête de Penauille Polyservices. Cette entreprise spécialisée dans le nettoyage industriel et les services aux aéroports compte plus de 38 000 employés dans plus de 200 aéroports dans 40 pays. Maria Fernandez insiste beaucoup sur l’importance des marques de confiance dont elle a bénéficié dans l’actualisation de son leadership et sur le fait qu’elle a été réceptive à ces manifestations. Cela lui a permis de relever des défis toujours plus exigeants.
18Un autre exemple de l’importance des marques de confiance est celui d’Anne Lauvergeon, présidente d’AREVA. Cette entreprise, leader mondial dans le secteur de l’énergie (énergie nucléaire et acheminement de l’électricité) et acteur de premier plan de la connectique8, compte 50 000 employés et son chiffre d’affaires est de 13,1 milliards d’euros (selon le rapport annuel de 2008). Anne Lauvergeon explique que son grand-père a été le premier à lui faire sentir combien elle était unique à ses yeux.
19D’autres personnes ont manifesté de grandes marques de confiance en ses capacités, notamment Raymond Lévy, son premier employeur, président-directeur général chez Renault, qui a été son mentor, et François Mitterrand. Alors qu’elle était dans la trentaine, ce dernier lui a confié de lourdes responsabilités de conseillère durant les négociations des accords du GATT (General Agreement for Tariffs and Trade). Doutant d’elle-même au début, Anne Lauvergeon avait d’abord refusé l’offre.
20Le développement d’un sentiment d’efficacité face au leadership demande de vivre chaque jour des expériences de leadership. Cet entraînement quotidien favorise une plus grande assurance en sa capacité d’accomplir ultérieurement des actions de leadership plus marquantes.
21Développer un sentiment d’efficacité par rapport au leadership ne signifie pas vouloir devenir un dirigeant ou un chef politique – il faut faire la différence entre poste de leadership et activité de leadership. Cela signifie de se sentir de plus en plus en mesure d’influencer, de valoriser ses idées et d’apporter sa contribution. Et cette faculté se développe.
22Robert Dutton, président et chef de la direction de Rona, est un homme timide et discret de nature. Il était loin de croire, au début de sa vie professionnelle, qu’il avait les capacités d’exercer un leadership. Ce sont les expériences accumulées, associées aux marques de confiance qu’il a reçues, qui lui ont permis de croire toujours plus en ses capacités de réussir et de rallier les autres autour de ses projets.
23Mais pourquoi s’investir dans le développement d’un sentiment d’efficacité au leadership ? Quel est l’intérêt ?
24Un individu éprouve plus de satisfaction dans ses rapports interpersonnels lorsqu’il sent qu’il peut avoir une influence sur la résolution des problèmes auxquels il doit faire face. Cela lui procure le sentiment de maîtriser les situations plutôt que d’être dominé par elles.
25Ceux qui croient en eux-mêmes font davantage confiance à leurs collaborateurs, les écoutent davantage et n’hésitent pas à s’entourer d’experts9. La capacité de s’adjoindre des individus de haut calibre va de pair avec un sentiment d’efficacité chez le leader en devenir : il croit suffisamment en ses propres capacités pour accepter de bénéficier du savoir-faire des autres.
26Les études montrent que les gestionnaires qui se font confiance sont plus enclins à discuter avec leurs subordonnés qu’à les commander, par comparaison avec les gestionnaires ayant moins confiance en eux-mêmes. Un sentiment d’efficacité bien ancré face au leadership favorise un dialogue constructif qui n’est motivé ni par la crainte de l’autre, comme dans le dialogue conformiste, ni par le besoin de dominer, comme dans le dialogue compétitif (voir chapitre 1).
27La progression du sentiment d’efficacité permet non seulement d’être plus à l’aise dans diverses situations, mais permet aussi d’améliorer ses performances10. Un individu possédant un faible sentiment d’efficacité personnelle face au leadership sera, au contraire, davantage dominé par les situations. Il ne pourra contribuer à sa pleine mesure au leadership partagé.
28On voit donc que ceux qui développent un sentiment d’efficacité personnelle face au leadership prennent plus d’initiatives, déploient plus d’efforts pour réussir, persévèrent davantage devant les difficultés et sont moins sujettes à l’anxiété11.
29Le leadership partagé se manifeste lorsque chacun adopte des comportements de leadership. Le sentiment d’efficacité personnelle de chacun est une condition gagnante qui aura une influence sur le sentiment d’efficacité collective de l’équipe.
Le sentiment d’efficacité collective
30La plupart des écrits sur la performance et les activités de développement soulignent l’importance du travail d’équipe dans nos organisations marquées par la complexité, les silos d’expertise, la rapidité des décisions, l’instabilité des marchés et les besoins changeants des clientèles. Très peu d’écrits traitent du sentiment d’efficacité collective des équipes. Ce sentiment de compétence est pourtant essentiel à la réussite des projets et à l’exercice du leadership à tous les niveaux de l’organisation. Dans ce qui suit, le sentiment d’efficacité collective et son apport au leadership partagé sont étudiés.
31Le sentiment d’efficacité collective repose sur la croyance qu’un groupe possède les capacités nécessaires à l’atteinte de ses objectifs et à la résolution des problèmes qui se présentent en chemin12. C’est souvent ce mécanisme qui est en jeu dans de nombreuses équipes sportives. Au hockey, par exemple, le sentiment d’efficacité collective est la clé du succès de l’équipe et est supérieur à la somme des sentiments d’efficacité personnelle de chacun. En effet, chaque joueur a beau avoir une solide confiance en sa capacité de faire des passes, de bloquer des tirs ou de marquer des buts, ses efforts personnels seront ralentis s’il doute de la capacité de son équipe à gagner.
32L’exercice partagé du leadership en entreprise demande, tout comme pour une équipe sportive, de renforcer à la fois les sentiments d’efficacité face au leadership des individus et la conviction que l’équipe peut relever les défis, qu’il s’agisse de pénétrer de nouveaux marchés ou d’améliorer le service à la clientèle.
33Le sentiment d’efficacité collective affecte non seulement l’aptitude à atteindre les buts visés, mais aussi l’engagement que suscite la mission de l’entreprise. Il influence la façon dont les membres de l’équipe travailleront ensemble et affronteront les difficultés. Différentes études montrent que plus les attentes des gestionnaires vis-à-vis de leurs équipes sont élevées, meilleure sera la performance de l’organisation13.
34Quels sont donc les facteurs susceptibles d’influencer le sentiment d’efficacité collective ? Voyons comment l’équipe de direction de la division recherche et développement de processus manufacturiers dans une entreprise du secteur automobile s’est donné les moyens de renforcer son leadership.
35Il y a un an, les membres de cette équipe avaient peine à travailler ensemble et à s’entendre sur l’ampleur des défis et les moyens de les relever. Le dialogue, dominé par quelques individus, était caractérisé par des commentaires abrasifs, typiques du dialogue compétitif. Les séances de travail étaient peu productives. Les décisions prises en équipe n’étaient pas toutes exécutées et, si elles l’étaient, c’était après maints rappels. S’ajoutaient à cela un contexte économique difficile et de sombres perspectives à court et moyen termes. Le sentiment d’efficacité collective était à la baisse, comme en faisaient foi les blâmes adressés au chef d’équipe ou à certains membres. Un climat d’insatisfaction régnait. Chacun des membres se sentait individuellement compétent, mais ensemble, ils ne réussissaient pas à créer un esprit collectif qui aurait renforcé les sentiments d’efficacité individuels.
36Un an plus tard, le sentiment d’efficacité collective de l’équipe s’est nettement amélioré. Comment ? La transformation s’est amorcée lorsque les membres ont reconnu leurs difficultés à travailler ensemble et à se montrer à la hauteur des défis. Forte de ce constat, l’équipe a revu ensemble ses modes de fonctionnement.
37Elle a appris à mieux dialoguer, par exemple en mettant davantage l’accent sur les enjeux que sur les rapports de force et en misant sur l’entraide dans l’apprentissage de nouvelles attitudes. Chaque membre s’accorde désormais la légitimité de recentrer le groupe sur les objectifs visés. La composition même de l’équipe a été modifiée : les membres particulièrement négatifs ou passifs ont été remplacés par d’autres plus constructifs et proactifs. L’équipe suit attentivement ses progrès tant dans l’exécution des décisions que dans l’appréciation de son fonctionnement collectif.
38Le sentiment d’efficacité collective de cette équipe est aujourd’hui en nette progression, grâce au plaisir retrouvé de travailler ensemble et à un sentiment accru de contrôle sur les moyens d’atteindre le succès.
39Le sentiment d’efficacité collective face au leadership peut connaître des variations plus nombreuses que le sentiment d’efficacité personnelle en raison de plusieurs facteurs : la dynamique des personnes en présence, les changements inévitables, les défis, les ressources et la combinaison des compétences. D’où l’importance d’avoir les bons joueurs et les personnes qui sauront renforcer le sentiment d’efficacité de leurs collègues et de l’équipe tout entière.
40On peut identifier plusieurs déterminants du sentiment d’efficacité collective.
- Le sentiment d’efficacité individuelle par rapport au leadership de chacun des membres. Il doit être relativement solide pour que le sentiment d’efficacité collective soit présent.
- La perception des compétences respectives de chacun.
- La synergie au sein de l’équipe. Qu’est-ce que l’équipe peut faire ensemble, que les membres ne pourraient accomplir séparément ?
- L’histoire de l’équipe : chaque nouveau membre a intérêt à être informé des succès passés de l’équipe. Comment s’y est-elle prise pour faire face aux défis ?
- La capacité des membres de s’épauler mutuellement lors des épreuves.
- Les progrès face au but poursuivi, d’où l’importance de mesurer ses progrès et d’en rendre compte à l’équipe. Les explications fournies par l’équipe pour expliquer sa performance (succès ou échec) moduleront ensuite l’intensité du sentiment d’efficacité collective. Les explications doivent faire appel à des facteurs sous le contrôle de l’équipe, notamment le développement des compétences.
- La reconnaissance par d’autres de la contribution de l’équipe et de leur confiance en sa capacité de réussir. Dans cette optique, le chef d’équipe, la direction et les autres membres de l’organisation, de même que les médias internes ou externes, ont un rôle de premier plan à jouer.
- Des comparaisons favorables avec d’autres équipes et la capacité de s’en inspirer. Elles favorisent le sentiment d’efficacité collective lorsque l’équipe identifie les forces qui la caractérisent et s’inspire des méthodes utilisées par d’autres pour réussir. Même dernière dans un classement, une équipe sportive peut renforcer son sentiment d’efficacité collective si, au lieu de se déprécier, elle s’inspire des autres pour repérer les mesures concrètes à mettre de l’avant.
- Le plaisir ressenti à travailler ensemble. Plus il sera grand, plus le sentiment d’efficacité collective sera renforcé.
41Parmi les obstacles à la construction du sentiment d’efficacité par rapport au leadership, figurent les fausses représentations qu’on se fait du leadership. Elles concernent la nature du leadership et elles nuisent au sentiment d’efficacité individuelle, à son pendant collectif de même qu’aux démarches entreprises pour relever les défis.
42Les principales idées erronées sur le leadership sont au nombre de cinq : 1) une seule personne à la fois peut faire preuve de leadership dans un groupe ; 2) le leadership est une caractéristique personnelle innée ; 3) le leadership est seulement un talent ; 4) leadership égale charisme ; 5) leadership égale gestion.
43Ces fausses croyances inhibent le déploiement du leadership puisque les collaborateurs attendent un autre leader qu’eux-mêmes.
44Ce sont ces mêmes erreurs de conception qui amènent trop d’entreprises à miser sur le « talent » plutôt que sur le développement du leadership chez un nombre maximal d’employés. Un talent est généralement défini comme un attribut inné. Parler de leadership comme d’un talent, c’est en créer une représentation élitiste plutôt que de le concevoir comme une ressource collective.
45Un autre inhibiteur du sentiment d’efficacité personnelle et collective consiste à se répéter, ou à se faire répéter, que l’on est incapable. En témoigne ce chef d’équipe qui se plaignait qu’il n’avait pas la bonne équipe pour réussir. Il répétait sans cesse, même devant eux, qu’il n’avait malheureusement pas le choix des membres de son équipe, que ceux-ci étaient peu mobilisés, qu’ils ne voulaient pas demeurer longtemps dans cette division (avec raison !) et que les mandats confiés par la direction n’étaient pas très intéressants. Son discours, jumelé au peu de confiance manifesté envers son équipe, constituait des anticorps au leadership partagé. Ces attitudes favorisent en plus des niveaux inférieurs de dialogue (voir la section sur le dialogue au chapitre 1).
46Le leadership partagé met l’accent sur la contribution collective et pas seulement sur le leader désigné. Favoriser son développement à tous les niveaux de l’organisation, c’est permettre d’accroître le leadership collectif de l’entreprise tout autant que celui des têtes dirigeantes. Tout le monde y gagne : la personne, les équipes et l’organisation.
47Les stratégies exposées ci-dessous s’inspirent d’une expérience professionnelle de plus de 25 ans. Elles conjuguent les résultats de consultations et d’entretiens auprès de leaders aguerris, les observations en entreprise et les conclusions tirées de la documentation. Elles se répartissent en trois volets.
Développer un sentiment d’efficacité personnelle
48La meilleure façon de renforcer son sentiment d’efficacité face au leadership est d’exercer le plus souvent possible des comportements de leadership. Il s’agit de faire les gestes, petits et grands, qui amènent un groupe à réfléchir, puis à agir, dans une même direction. Le leadership est un processus d’influence dynamique qui provoque un mouvement où une action en entraîne une autre. Le groupe est transformé par la dynamique ainsi créée.
49Voici quelques actes de leadership à expérimenter :
- Mobiliser les autres autour d’un objectif.
- Clarifier une cible et recentrer le groupe sur l’objectif poursuivi.
- Faciliter des compréhensions communes d’enjeux, de problèmes et de résolutions.
- Favoriser un dialogue axé sur la coopération, discuter, proposer, appuyer de nouvelles idées, provoquer des débats pour faire avancer le groupe, résoudre les malentendus.
- Remettre en question la pensée uniforme, challenger les façons de faire et de penser.
- Construire le sentiment d’efficacité collective du groupe.
- Oser prendre des initiatives en lien avec le but commun et faire les correctifs nécessaires pour l’atteindre.
- Participer à la prise de décisions.
- Partager ouvertement la responsabilité des résultats.
- Partager ouvertement la responsabilité des efforts et des processus pour atteindre le but visé.
50Chaque membre a la légitimité d’exercer toutes ces actions de leadership. Il existe aussi de nombreuses occasions d’exercer des responsabilités de leadership dans la communauté, les écoles, le milieu associatif ou les entreprises. En plus d’être utiles aux autres, ces expériences contribuent au développement du capital de leadership.
51Réfléchir, seul ou avec quelqu’un, sur les leçons apprises permettra de tirer le maximum de bénéfices de ces expériences de leadership. Qu’est-ce qui a été efficace ? Qu’est-ce qui ne l’a pas été ? Qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?
52Une mise en garde s’impose : les explications doivent renforcer le sentiment d’efficacité au leadership et non l’affaiblir. Par exemple, elles porteront sur des variables qui peuvent être contrôlées, telles que la préparation, les efforts déployés pendant l’exercice de leadership et le développement de compétences dans le futur. Ce type de raisonnement favorise un sentiment de contrôle et permet de reproduire les facteurs de réussite : initiatives, soutien, formation et développement.
53Certaines variables telles que le talent, les aptitudes intellectuelles ou l’âge peuvent être mentionnées, mais seulement dans la mesure où elles ont contribué au succès. Le sentiment d’efficacité sera affaibli si ces mêmes facteurs sont invoqués pour expliquer une performance insatisfaisante.
54En résumé, le renforcement du sentiment d’efficacité se fait notamment grâce aux expériences de leadership et aux leçons constructives que l’on en tire sur les stratégies à déployer dans d’autres situations de leadership.
55Établir un objectif constitue un excellent point de départ à la mobilisation des énergies. Cette cible peut concerner un emploi, un projet, un mandat ou une situation immédiate. L’étape suivante est la mise en œuvre d’un plan d’action pour l’atteindre.
56C’est par la connaissance de soi que se précise le but poursuivi dans les différentes sphères d’activités. Sans cesse revisités, le but, la connaissance de soi et le développement personnel apportent un sentiment de contrôle. La transformation qui s’ensuit immunise contre des attitudes fatalistes.
57La connaissance de soi est l’outil qui permet d’identifier ses compétences et ses aspirations. S’en dégage le sens de sa propre valeur. La connaissance de soi permet également de connaître les faiblesses à corriger et les obstacles personnels à gérer pour renforcer un sentiment d’efficacité face au leadership. Réfléchir, seul ou avec d’autres, à ses expériences, par des remises en question, par l’écriture, des discussions ou à l’aide d’outils professionnels est une excellente stratégie pour approfondir la connaissance de soi.
58Le discours intérieur et les images mentales sont des outils de traitement de l’information mentale. Ce système de gestion de l’information affecte les émotions, les pensées, l’organisation psychologique des expériences et, par ricochet, la performance elle-même. Tout comme la musique affecte les états d’âme, l’utilisation des processus cognitifs de traitement de l’information agit tout autant sur l’humeur et la motivation.
59De nombreuses études démontrent que les individus se comportent en partie en fonction de leur discours intérieur et de leur conviction que les résultats obtenus vaudront les efforts consentis14. S’imaginer réussir aura vraisemblablement une influence plus positive sur la performance qu’imaginer des scénarios défaitistes.
60Peut-on gérer ce système de traitement mental de l’information ? Peut-on contrôler les intrants ? Les résultats positifs obtenus en psychologie sportive démontrent que c’est possible. En effet, les entraîneurs et les athlètes de toutes disciplines utilisent un ensemble de stratégies cognitives afin d’augmenter les chances de succès des équipes et des individus15. Les résultats obtenus dans d’autres domaines tels que la performance scolaire, le traitement des phobies ou les ventes illustrent également l’efficacité de ces stratégies.
61Les stratégies cognitives les plus accessibles sont de quatre types.
62 1. La maîtrise du discours intérieur. Porter attention à son discours intérieur requiert au départ une période d’auto-observation. Que nous disons-nous avant, pendant ou après une situation faisant appel à notre leadership ? Quel discours tenons-nous sur le leadership en général, et sur notre propre leadership en particulier ? Comment expliquons-nous des situations différentes de leadership ? Y prêter attention est déjà une étape importante dans la maîtrise du discours intérieur.
63Prendre des notes pendant quelques jours constitue un moyen efficace de comprendre sa propre attitude mentale. Elles serviront à consigner des discours intérieurs, des phrases mentales dominantes, des questions, des commentaires qui surgissent avant, durant ou après certaines situations. De cette façon émergera la place accordée au discours négatif, aux autocritiques et aux pensées irrationnelles par rapport à des volets plus constructifs. Ce n’est que grâce à cette prise de conscience que des mesures correctives pourront être prises en vue de reprogrammer le discours intérieur qui nuit au sentiment d’efficacité au leadership.
64Les personnes efficaces se distinguent par leur capacité à révéler, par leur langage, une vision, sinon optimiste d’elles-mêmes et du monde, tout au moins teintée d’espoir. Une étude de Zullow et al. révèle que 9 des 10 candidats qui ont perdu aux élections présidentielles américaines (1948-1984) avaient évoqué avec pessimisme les enjeux nationaux lors de leur discours de nomination16.
65Roosevelt disait dans son discours inaugural en 1933 : « La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même. » La force d’Obama tout au long de son parcours a été de susciter l’espoir d’un renouveau non seulement pour l’Amérique mais pour le monde. Le discours positif que l’on se tient à soi-même se répercute sur le discours que l’on tient aux autres.
66Un regard négatif sur soi est d’autant plus dommageable qu’il détermine en partie la relation avec autrui. Éliminer ces critiques négatives est l’une des stratégies consciemment utilisées par un grand nombre de leaders qui, à leurs débuts, se nuisaient considérablement en se critiquant inutilement. Beaumarchais ne disait-il pas : « Cessez de vous critiquer, d’autres s’en occupent fort bien » ? Une remise en question constructive des comportements est bénéfique à l’apprentissage, mais les critiques débilitantes ne le sont pas. La gestion du discours intérieur oblige à réduire les critiques non seulement sur soi mais aussi sur ses collègues.
67Il ne s’agit pas de mettre fin aux discussions sur les erreurs et les améliorations requises, mais de procéder de telle sorte que chacun, comme le groupe, se sente considéré et capable d’apporter les correctifs nécessaires. Plus les succès et les échecs seront attribués à l’effort (ou au manque d’effort), plus il sera facile de mobiliser tous et chacun avec le sentiment de pouvoir relever les défis à venir17.
68 2. L’ouverture à l’apprentissage. Prêter attention à l’ouverture que nous avons face à l’expérience du leadership renforce le sentiment d’efficacité face au leadership. Cette stratégie cultive la capacité de considérer les difficultés comme une occasion d’apprendre plutôt que comme des obstacles inutiles. En plus de développer la résilience (voir chapitre 4), cette pratique d’ouverture mobilise l’énergie nécessaire pour construire peu à peu le sentiment d’efficacité dans des situations de plus en plus difficiles.
69Le leadership partagé est un processus collectif qui requiert dans son exercice, tant de la part des individus que du groupe, une ouverture à l’apprentissage conférant un sens aux défis de toutes sortes. Il y aura des situations exigeantes, frustrantes ou décevantes. En tirer des leçons, grâce à un esprit d’ouverture à l’apprentissage, développe un sentiment individuel et collectif de contrôle.
70 3. La visualisation. La pratique cognitive appelée visualisation désigne la projection mentale d’un scénario. Dans la visualisation positive, on répète mentalement des actions en s’imaginant réussir dans l’exécution de tâches présentant divers degrés de difficulté. Le développement du sentiment d’efficacité se trouve renforcé lorsque l’on se visualise en train de réussir dans différents contextes de leadership. Conjuguée à la relaxation, cette pratique mentale est très efficace. Des coachs qualifiés peuvent aider beaucoup dans ce type de stratégie, mais ce peut être aussi le cas de l’un ou l’autre membre de l’équipe. Il s’agit notamment de cibler les situations où l’on se sent le moins apte à réussir puis d’imaginer un scénario de réussite : défendre un point de vue, un produit ou un service ; défier le statu quo ; établir un objectif commun pour différentes parties ; réconcilier des points de vue divergents ; établir des partenariats et autres comportements de leadership.
71 4. L’attention accordée aux rapports personnels constructifs. Cette stratégie suppose de se concentrer mentalement sur les personnes qui ont une influence positive sur le sentiment d’efficacité face au leadership grâce à leurs encouragements, à leur écoute empathique, à leurs suggestions de solutions. En contrepartie, il faut ignorer mentalement ceux qui nous affaiblissent par des propos défaitistes. Il ne faut pas confondre ce dernier groupe avec les personnes rigoureuses qui manifestent par leurs exigences une confiance dans la capacité de relever les défis proposés.
72Si on se meuble l’esprit d’éléments nocifs, ces derniers finissent par prendre toute la place. En voici un exemple. La responsable d’une équipe ressassait inlassablement le comportement négatif d’un membre de son équipe et occultait ainsi la grande majorité de ceux qui étaient mobilisés. Ce rappel constant a fini par affaiblir peu à peu son propre sentiment d’efficacité face au leadership en lui renvoyant une impression d’échec dans sa gestion du personnel. Cela a aussi affecté négativement le sentiment d’efficacité collective du groupe, puisque ses succès étaient peu remarqués et que ses échecs étaient attribués au soi-disant manque de collaboration du membre négatif. Ce n’est que lorsqu’elle est parvenue à se concentrer sur les éléments constructifs de son équipe, et même cette personne, que la chef d’équipe a pu regagner un sentiment de confiance en son leadership.
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73 S’adjoindre des collaborateurs et apprendre des autres. Cette stratégie exige la capacité d’entrer efficacement en relation avec les autres. Deux catégories de compétences relationnelles doivent être développées : apprendre à établir des relations efficaces avec les individus et apprendre à travailler en groupe avec des membres de tous horizons.
74Devenir une référence dans son domaine, quel qu’il soit, voilà qui représente une étape importante du développement du sentiment d’efficacité à l’égard du leadership. Joiner et Josephs, deux chercheurs de l’Université Harvard, rendent compte de l’importance de l’expertise dans l’exercice du leadership en situant le savoir et le savoir-faire aux premiers niveaux de maturité du leadership18.
75L’acquisition d’un savoir ou d’un savoir-faire crée des répercussions qui se traduisent par la reconnaissance des pairs, des employés ou d’autres partenaires, ce qui consolide le sentiment d’efficacité. Cette assurance dite de contenu s’étend souvent à d’autres sphères d’activités et à d’autres milieux.
Développer le sentiment d’efficacité personnelle chez autrui
76Dans des organisations structurées de plus en plus à partir d’équipes variées, le leadership partagé entre les membres de ces équipes constitue le nouveau paradigme permettant la responsabilisation de chacun19. La vitalité du leadership dans une organisation dépend donc autant du leadership de la direction que du leadership à tous les autres niveaux de l’organisation20.
77À cette fin, chacun de nous se doit de cultiver le leadership des autres, en développant notamment leur sentiment d’efficacité personnelle face au leadership et le sentiment d’efficacité collective des groupes, que nous en soyons membres ou dirigeants.
78Cette responsabilité appartient également aux éducateurs, aux formateurs et aux parents, et même aux médias, particulièrement en ce qui concerne le sentiment d’efficacité collective (voir plus loin la section sur le développement du sentiment d’efficacité collective).
79Développer le sentiment d’efficacité face au leadership d’une personne ne veut pas dire développer son arrogance ! Mais que faire pour prévenir l’excès d’orgueil ? La valorisation du leadership partagé est une réponse possible à cette question difficile, si on veille à ce que le but à atteindre exige la contribution interdépendante des collaborateurs. L’un des indicateurs pourrait être, notamment, la fierté collective. L’histoire des trois finissants universitaires présentée en introduction est un exemple de la force du sens collectif dans la définition d’un but partagé.
80Cette section porte une attention plus particulière au développement du sentiment d’efficacité personnelle face au leadership chez autrui.
81 1. Expérience. Le leadership se développe principalement dans l’action et il en va de même pour le sentiment d’efficacité. Il s’agit d’encourager la personne à expérimenter des comportements de leadership le plus souvent possible et de faciliter les retours sur les apprentissages. Cela implique valoriser l’initiative et permettre un certain droit à l’erreur, favoriser l’expression de perspectives différentes, déléguer des responsabilités et offrir des expériences concrètes de leadership. Lors des retours sur les apprentissages, on aura soin de valoriser, toujours en lien avec le but visé, les facteurs sous le contrôle de la personne.
82 2. Vision et but. Le leadership se manifeste d’autant mieux si la cible à atteindre est circonscrite. Cela est vrai dans un projet, un emploi ou une situation à venir. Il est alors plus facile d’établir un plan d’action. Définir un but canalise les énergies en autant qu’il amène un certain dépassement. Il faut aussi garder à l’esprit que ce but peut évoluer dans le temps.
83 3. Discours et langage social. Le succès aura peu de retombées durables s’il n’est pas valorisé, d’où l’importance de gérer le discours tenu par la personne elle-même et, si possible, par son entourage. Développer le sentiment d’efficacité d’autres personnes face au leadership se fait notamment en portant attention à ce qu’elles disent :
- du leadership ;
- des situations de leadership ;
- de leur capacité à relever les défis.
84Ainsi, concevoir le leadership comme un talent réservé à une élite est une erreur et réduit le potentiel de leadership partagé. Mieux vaut parler du leadership comme d’un processus d’influence réciproque exprimé dans des contextes variés. Celui qui souhaite développer le leadership chez d’autres personnes, collègues ou employés, aura soin aussi de leur témoigner sa confiance en leur capacité de prendre part au leadership. Il faut souligner que la confiance n’est pas une attitude fondée sur la prévisibilité des actes. Elle ne repose pas sur une certitude ou sur des expériences passées : elle est un acte de foi en l’autre.
85 4. Apprentissage social. Apprendre des autres est une source inépuisable de développement du leadership. Cet apprentissage comporte de multiples facettes dont la compréhension des besoins d’un groupe, la formation d’alliances et l’observation de modèles.
86Observer des personnes en train d’exercer des comportements de leadership s’avère une excellente source d’information pour construire le sentiment d’efficacité face au leadership. Afin de définir les comportements à reproduire, on propose des rencontres avec des modèles valables, des lectures sur des leaders, des personnes à observer ou simplement des discussions de situations actuelles ou potentielles de leadership.
87 5. Compétence. Le sentiment d’efficacité face au leadership se renforce avec l’augmentation du savoir-faire et de la compétence. Il s’agit de valoriser des activités de formation, le partage de bonnes pratiques, les réflexions sur l’apprentissage et les stages.
Développer le sentiment d’efficacité collective
88Les stratégies de développement du sentiment d’efficacité collective sont semblables aux précédentes, mais proposent en plus des éléments à portée collective et ciblent notamment :
89 1. La composition judicieuse de l’équipe. Les membres doivent démontrer ou développer un niveau relativement élevé d’efficacité individuelle, un désir de réussir, une confiance naturelle envers les autres et les compétences requises. Si le choix de la composition de l’équipe est impossible, le responsable peut miser sur des stratégies d’autosélection en communiquant clairement les exigences et les défis requis par la tâche. Il peut aussi prévoir des activités de formation et de développement afin d’élever le niveau des compétences.
90 2. Un partage collectif des compétences individuelles. Trop souvent, l’équipe connaît la fonction de chacun des membres, mais non le portfolio collectif des compétences et des accomplissements, ce qui retarde indûment le développement du sentiment d’efficacité collective. Il importe que toute l’équipe soit informée des compétences de chacun, de ses réalisations dans d’autres projets ou au sein d’autres équipes. Cela permet à chaque individu et à l’équipe de se sentir valorisés et de se construire une représentation commune de la vitalité collective de l’équipe. Le sentiment d’efficacité collective s’en trouve renforcé.
91 3. La communication de l’importance de l’équipe au sein de l’organisation. Une équipe persuadée de l’importance de sa contribution au sein de l’organisation éprouve un plus grand sentiment de compétence collective, grâce à l’appui des autres. Cet apport collectif peut être communiqué de multiples façons : par le chef d’équipe, par les membres eux-mêmes, par d’autres personnes d’importance dans l’organisation et par différents médias. Les équipes qui sont valorisées s’investissent davantage, alors que les équipes qui doutent de leur statut ou de leur avenir se démobilisent rapidement.
92 4. Le partage de modèles mentaux communs. Un modèle mental est une représentation que l’on se fait d’un objet, d’une réalité et des relations entre différents objets. Il facilite l’organisation des connaissances et des expériences. Par exemple, la notion d’équipe constitue en soi un modèle mental, tout comme le leadership partagé.
93Les modèles mentaux communs sont des perspectives communes sur les buts à atteindre, les façons de se représenter les problèmes, l’apprentissage et les actions qui mènent au succès. Ils concernent aussi les façons de communiquer, de travailler ensemble et d’apprendre. Le sentiment d’efficacité collective est consolidé lorsque les modèles mentaux sont partagés tôt dans la constitution d’une équipe.
94Dans l’implantation du leadership partagé et du développement du sentiment d’efficacité collective, les modèles mentaux répondent à de multiples questions : comment veut-on fonctionner comme équipe ? Quels sont les rôles de chacun des membres ? Quel rôle donne-t-on à l’apprentissage collectif ?
95 5. Les mises en situation préparatoires. La visualisation collective par des mises en situation renforce le sentiment d’efficacité collective d’un groupe lorsqu’il s’imagine réussir dans des situations spécifiques.
96Une équipe de recherche et de développement dans une entreprise manufacturière a utilisé ce type de stratégie en vue d’une rencontre avec le comité exécutif. Les membres de l’équipe s’étaient préparés en visualisant les alliés qui seraient présents, en imaginant une série d’objections possibles et en s’attribuant différents rôles lors de moments clés de leur prestation. Leur sentiment d’efficacité s’en est trouvé renforcé et a eu des conséquences positives sur leur performance.
97 6. Vivre des succès. Le chef aura soin de donner à son équipe des défis qu’elle pourra relever avec succès. Se remémorer ses succès aidera les membres à construire leur sentiment d’efficacité.
98 7. La rétroaction constructive entre les membres et le chef d’équipe. Les membres renforcent leur sentiment d’efficacité collective lorsqu’ils se rappellent leurs bons coups et valorisent leurs contributions respectives. Dans l’exercice du leadership partagé, cette responsabilité n’appartient pas qu’au seul chef de l’équipe, mais bien à tous ceux qui se sentent responsables au sein du groupe. Le développement du sentiment d’efficacité collective devient alors une responsabilité partagée21.
99 8. Le discours intérieur d’un groupe. Dans un groupe (famille, équipe, organisation, société), le discours intérieur correspond à ce que les membres se disent à eux-mêmes. Ceux-ci nuisent à leur sentiment d’efficacité collective lorsqu’ils se blâment mutuellement. Par contre, le sentiment d’efficacité collective face au leadership est renforcé lorsque le discours valorise les aspects positifs.
100 9. La régulation du groupe. Des mécanismes d’autorégulation visant l’amélioration continue du fonctionnement du groupe permettent à celui-ci de se sentir en contrôle par rapport à son efficacité future. Ces mécanismes visent, par exemple, à faire le point régulièrement sur le fonctionnement de l’équipe, à améliorer certains aspects, à célébrer les succès aux étapes clés du projet ou de la vie de l’équipe. Cela peut aller jusqu’à remplacer les membres qui posent des problèmes.
101 10. Le plaisir de travailler ensemble. Une équipe se sent d’autant plus efficace qu’elle éprouve du plaisir à se réunir ; qu’elle sait utiliser l’humour et se montrer optimiste devant les difficultés.
***
102Développer le sentiment d’efficacité face au leadership est à la portée de tous, les individus comme les équipes. Le fait de croire en ses capacités produit des répercussions non seulement sur la façon de penser, les initiatives et la résilience devant les difficultés, mais aussi sur les réalisations elles-mêmes et la satisfaction personnelle. Oser est sans contredit un agent accélérateur !
103Le sentiment d’efficacité par rapport au leadership se développe aussi grâce à l’apprentissage fourni par des modèles de leadership et aux marques de confiance que les uns et les autres manifestent à l’égard de notre capacité de réussir. Lorsqu’un ami, un membre de la famille, le leader d’une communauté ou d’une organisation signifie à une jeune recrue qu’il croit en elle, il peut provoquer l’étincelle qui allumera son potentiel de leadership jusqu’alors latent.
Notes de bas de page
1 Bass, B. M. (1990), Bass & Stogdill’s Handbook of Leadership, Theory, Research & Managerial Applications, 3e éd., New York, Free Press.
2 House, R., Mansour, J., Hanges, P. et Dorfman, P. (2002), « Understanding Cultures and Implicit Theories Across the Globe : An Introduction to Project GLOBE », Journal of World Business, vol. 37, p. 3-10.
3 Bandura, A. (1997), Self-Efficacy : The Exercise of Control, New York, Freeman.
4 Abramson, L. Y., Seligman, M.E.P. et Teasdale, J. D. (1978), « Learned Helplessness in Humans : Critique and Reformulation », Journal of Abnormal Psychology, vol. 87, p. 49-74.
5 Jaume, J. (2000), La loi et la liberté. Les origines philosophiques du libéralisme, Paris, Fayard, p. 271.
6 Bandura, A. (1994), « Self-Efficacy », in Ramachaudran, V. S. (dir.), Encyclopedia of Human Behavior, New York, Academic Press, vol. 4, p. 71-81, <www.des.emory.edu/mfp/BanEncy.html>.
7 Bandura, A. (1997), op. cit.; Stajkovic, A. D. et Luthans, F. (1998), « Self-Efficacy and Work Related Performance. A Meta-Analysis », Psychological Bulletin, vol. 124, p. 240-261.
8 Technologie et industrie des connecteurs électriques et électroniques, ou optiques des microcircuits souples et des systèmes d’interconnexion, selon le dictionnaire Hachette et le site d’AREVA <www.areva.com>.
9 Bass, B. M. (1990), op. cit.
10 Judge, T. A., Erez, A. et Bono, J. A. (1998), « The Power of Being Positive : The Relation Between Self-Concept and Job Performance », Human Performance, vol. 11, p. 167-187.
11 Bandura, A. (2000), « Exercise of Human Agency Through Collective Efficacy », Current Directions in Psychological Science, vol. 9, no 2, p. 75-78.
12 Bandura, A. (1993), « Perceived Self-Efficacy in Cognitive Development and Functioning », Educational Psychologist, vol. 28, p. 117-148.
13 Bandura, A. (1993), op. cit.
14 Maddux, J. E. (1995), Self-Efficacy, Adaptation and Adjustment, Theory, Research and Application, New York, Plenum Press.
15 Gernigon, C. (2000), Motivation et préparation à la performance sportive, Laboratoire de psychologie appliquée au sport, INSEP, Paris, <www.insep.jeunesse-sports.fr/eac/doc/motiv_perf.doc>.
16 Zullow, H. M., Oettingen, G., Peterson, C. et Seligman, M. E. P. (1988), « Pessimistic Explanatory Style in the Historical Record : CAVing LBJ, Presidential Candidates, and East Versus West Berlin », American Psychologist, vol. 43, p. 673-682.
17 Weiner, B. (1986), An Attribution Theory of Motivation and Emotion, New York, Springer Verlag.
18 Joiner, W. et Josephs, S. J. (2006), Leadership Agility : Five Levels of Mastery for Anticipating and Initiating Change, San Francisco, Jossey-Bass.
19 Draft, W. H. (1995), « Approaching the Future of Leadership Development » in Mccauley, C. D., Moxley, R. et Van Velsor, E. (dir.), Center for Creative Leadership, Handbook of Leadership Development, San Francisco, Jossey-Bass, p. 403-432; Pearse, C. L. et Conger, J. (2002), Shared Leadership, Reframing the Hows and Whys of Leadership, Thousand Oaks (CA), Sage.
20 Gardner, J. W. (1997), On Leadership, New York, Free Press.
21 Tasa, K., Taggar, S. et Seijts, G. H. (2007) « The Development of Collective Efficacy in Teams : a Multilevel and Longitudinal Perspective », Journal of Applied Psychology, vol. 92, p. 17-27.
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