Chapitre 3. La politique étrangère des États
p. 135-198
Texte intégral
1Les études de politique étrangère laissent apparaître une grande diversité dans les conceptions des auteurs. Ainsi, pour Janice Stein, c’est un ensemble de comportements qui traduisent les préoccupations d’un État1. Pour James Rosenau, c’est « la ligne d’action que les responsables officiels d’une société nationale suivent pour présenter ou modifier une situation dans le système international afin qu’elle soit compatible avec les objectifs définis par eux-mêmes ou leurs prédécesseurs2 ». Pour K. J. Holsti, ce sont « les orientations, les engagements et les actions qui caractérisent le rôle national d’un État3 ». Pour d’autres, elle correspond soit « aux principes qui orientent l’action des gouvernements dans certaines circonstances, tels que les doctrines Stimson, Monroe ou Hallstein », soit « aux engagements pris et garantis par des traités », soit encore « à l’ensemble des actions et des décisions exécutées chaque jour par une organisation bureaucratique4 ».
2Si on résume ces définitions, on peut conclure que la politique étrangère est l’ensemble des principes, orientations, programmes, ententes, institutions et actions qui caractérisent les relations d’un État avec les autres États. Il est important d’ajouter que, pour les réalistes, la politique étrangère est circonscrite aux relations diplomatiques et stratégiques et vise essentiellement à préserver ou à maximiser la puissance militaire et politique de l’État national. Pour les néoréalistes, la politique étrangère concerne également la puissance économique et technologique des États. Pour les autres théories classiques des relations internationales, elle couvre l’ensemble des relations extérieures d’un État et vise à défendre, non pas l’intérêt national, concept jugé artificiel et vide de sens, mais les intérêts particuliers de certains acteurs de la société : les citoyens, selon les libéraux ; la classe qui contrôle les moyens de production et le pouvoir politique, selon les marxistes ; les diverses factions des élites économiques qui se partagent le pouvoir politique, selon les néomarxistes ; les groupes d’intérêt de la société civile, selon les néolibéraux. Quant aux théories critiques des relations internationales, elles soutiennent que la politique étrangère des États n’est pas déterminée par leurs intérêts matériels objectifs, mais par les valeurs idéologiques et culturelles des gouvernements et des divers groupes sociaux.
Qui décide ?
Les détenteurs du pouvoir exécutif central
3Selon le droit constitutionnel interne et le droit international public, les principaux décideurs de la politique étrangère sont les détenteurs du pouvoir exécutif central d’un État. Cette règle ne souffre pas d’exception. Même dans les États de type confédéral, où les gouvernements régionaux détenaient davantage de compétences que le gouvernement central, ce sont les dirigeants de ce dernier qui contrôlaient la politique étrangère. Cette centralisation du pouvoir de décision répond à trois impératifs principalement : préserver la confidentialité ou le secret de la politique étrangère, essentielle à la sécurité de l’État ; sauvegarder la cohésion interne de l’État national face aux autres puissances ; assurer une prise de décision rapide dans les situations d’urgence ou de crise. Cela étant dit, les modalités d’application de cette règle fluctuent selon la nature du régime politique. Dans les régimes autoritaires, la politique étrangère est décidée par le chef de l’État. Dans les monarchies constitutionnelles et les républiques parlementaires démocratiques, c’est le premier ministre (ou son équivalent : chancelier, président du conseil) et son cabinet qui décident, puisqu’ils sont les véritables détenteurs du pouvoir exécutif. Le chef de l’État – monarque ou président – est exclu du processus de décision car il n’a que des pouvoirs formels ou honorifiques. Dans les régimes présidentiels démocratiques, les décisions de politique étrangère sont prises par le président. Dans les régimes semi-présidentiels démocratiques, le président est le principal décideur de la politique étrangère, mais il doit avoir l’aval du premier ministre pour certaines questions. Le partage des pouvoirs entre le président et le chef du gouvernement dans les régimes semi-présidentiels varie selon les dispositions de la Constitution.
Le Parlement national
4Dans les États démocratiques, le Parlement national joue également un rôle important dans la décision de la politique étrangère puisque la Constitution oblige les gouvernants à soumettre un certain nombre d’actes (ex. : déclarations de guerre, traités et accords internationaux) au vote des chambres. Ainsi, en 1920, le Sénat américain a refusé d’entériner le traité de Versailles qui créait la SDN, malgré le soutien du président Wilson à ce dernier. Tous les traités relatifs à l’élargissement ou à la modification de l’UE doivent être ratifiés par les Parlements – ou les citoyens – des États membres. Le Parlement peut également, par le biais de certaines de ses prérogatives, appuyer, modifier ou imposer l’abandon d’une décision de politique étrangère. En rejetant l’augmentation des dépenses militaires que réclamait le président Nixon, le Congrès américain a contribué au désengagement des États-Unis du Vietnam en 1972-1973. En 1991, les parlementaires américains ont refusé de renouveler la procédure du fast-track, en vertu de laquelle le président peut négocier un accord commercial et le soumettre ensuite au Congrès pour approbation ou rejet sans possibilité d’amendement. Cette décision a incité les États impliqués dans les négociations commerciales du GATT, notamment l’UE, à se montrer plus conciliants vis-à-vis des demandes de l’administration Bush, ce qui a permis de conclure l’Uruguay Round en décembre 1993. La même année, la Chambre des communes britannique a approuvé le traité de Maastricht, malgré l’opposition de plusieurs membres du gouvernement conservateur de John Major. Évidemment, les décisions du Parlement varient selon la majorité dont dispose le parti gouvernemental au sein de ce dernier.
Les citoyens et les gouvernements régionaux
5Dans plusieurs États démocratiques, les citoyens ont un pouvoir en matière de politique étrangère puisque la Constitution oblige ou donne le choix à l’exécutif de soumettre certaines décisions – conscription, adhésion à une organisation internationale, conclusion de conventions et traités internationaux – à un référendum populaire. Même lorsque ce référendum est consultatif, le pouvoir des citoyens demeure important puisqu’il est politiquement très difficile pour un gouvernement de ne pas tenir compte de l’opinion exprimée par la majorité des électeurs. Au Danemark, un premier référendum sur le traité de Maastricht a été perdu en 1992. Le second, tenu en 1993, a été gagné. En 1994, 52,2 % des Norvégiens ont refusé, lors d’un référendum, l’adhésion de leur pays à l’UE. En 2006, le président Chirac a soumis le projet d’une constitution européenne à un référendum, qui a été rejeté par une faible majorité, comme aux Pays-Bas. Ce double échec a obligé l’UE à modifier son projet de constitution. Le traité de Lisbonne, issu de cette révision, a été rejeté lors d’un premier référendum en Irlande, en 2008, puis accepté lors d’un second référendum, en 2009. Le recours à des référendums, lorsque des questions très complexes comme l’adhésion à une OI ou à un traité international sont en jeu, est toutefois l’objet d’un débat. Plusieurs spécialistes et les pays anglo-saxons sont réfractaires à de telles consultations, arguant qu’il est alors facile pour les partis et divers groupes de manipuler l’opinion publique dans le sens de leurs intérêts. Selon eux, il est préférable de laisser la décision aux parlementaires élus, plus informés et compétents. Cette opinion n’est pas nouvelle. Platon et Aristote critiquaient les effets pervers de la démocratie directe au IVe siècle avant J.-C.
6Il est possible pour les gouvernements régionaux de conclure divers types d’ententes internationales dans les domaines de juridiction que leur concède la Constitution de leur pays, à la condition que ces ententes s’inscrivent dans le cadre des lois nationales et qu’elles soient agréées par le gouvernement central. Les limites de l’action internationale des gouvernements régionaux découlent non seulement du droit constitutionnel interne, mais aussi du droit international. Selon la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 : « Tout État a la capacité de conclure des traités. Les membres d’une union fédérale peuvent avoir la capacité de conclure des traités si cette capacité est admise par la Constitution fédérale et dans les limites indiquées dans la dite Constitution5. » Notons à cet égard que les ententes internationales signées par les provinces canadiennes depuis 1965 sont considérées comme des arrangements administratifs sans caractère obligatoire ou contraignant par les autorités fédérales.
Les facteurs qui influencent la décision
7Selon Valerie Hudson6, les théories de la politique étrangère ont été développées par les Américains au cours de la période postérieure à 1950. Certaines insistent sur une catégorie spécifique de facteurs, d’autres sont multifactorielles et pluridisciplinaires. Certaines privilégient une méthodologie hypothético-déductive et quantitative, alors que d’autres utilisent une approche inductive et qualitative. Aucune ne fait l’unanimité, notamment parce qu’il est très difficile, sinon impossible, de démontrer avec des preuves tangibles à l’appui qu’une décision a été déterminée par telle ou telle catégorie de variables. L’étude de la politique étrangère comporte nécessairement une part de spéculation car le processus de décision est très complexe et opaque. Plusieurs acteurs domestiques et étrangers, de même que de nombreux facteurs objectifs et subjectifs (la puissance économique, politique et stratégique relative du pays, sa position géographique, la nature autoritaire ou démocratique de son régime politique, la psychologie et la culture des dirigeants, les ententes conclues avec d’autres États, etc.), sont susceptibles d’influencer différemment les quelques personnes responsables de la décision finale. Comment démontrer l’impact de ces diverses influences sur chacune d’entre elles et comment expliquer qu’elles aient privilégié telle option plutôt qu’une autre au terme de leurs délibérations ? Cela est très difficile. D’une part, les informations objectives relatives à la prise de décision (rapports et autres documents utilisés par les dirigeants, procès-verbaux de leurs réunions) demeurent très souvent secrètes pendant des décenies, sinon des siècles, pour des raisons de sécurité nationale. D’autre part, les autres sources d’information accessibles aux chercheurs (entrevues avec les décideurs, mémoires et biographies de ces derniers, etc.) sont généralement biaisées. Les théories de la prise de décision méritent toutefois d’être exposées, car elles nous renseignent sur les divers acteurs, facteurs et mécanismes les plus susceptibles d’orienter la politique étrangère des États.
Les perceptions et la personnalité des dirigeants
8Selon la théorie psycho-politique, développée entre autres par Kenneth Boulding et T. B. Millar7, les décisions des leaders politiques, en politique étrangère comme dans d’autres domaines, sont principalement influencées par leurs perceptions de la réalité qui sont faites des valeurs qu’ils ont intériorisées au fil des années, de l’appréciation qu’ils portent sur leur État comme sur celui des pays tiers, de leurs informations, de l’attirance ou de la répulsion qu’ils éprouvent face à tel interlocuteur ou fait international, de leur prédisposition à agir ou à temporiser. Étudier la politique étrangère c’est « sonder la pensée de ceux qui ont pris les décisions, découvrir leur image du monde et de leur propre système politique, déceler les faits qui ont constitué pour eux des facteurs et comprendre la façon dont ils en ont tenu compte ». Or, quels sont les principaux facteurs qui influencent les perceptions ou l’image du monde des décideurs ? Selon l’approche la plus ancienne, c’est leur personnalité, soit leurs structures affectives et les valeurs auxquelles ils adhèrent en raison de leur histoire familiale. Divers auteurs ont tenté d’expliquer la politique étrangère de certains hommes d’État tels Hitler, Staline et Woodrow Wilson par les caractéristiques de leur personnalité psychique, caractéristiques induites de l’étude de leur biographie et de leurs comportements vis-à-vis de leurs proches, de leurs collègues et de leur environnement social et interprétées à l’aide des modèles fournis par la psychologie ou la psychanalyse.
Les calculs coûts/bénéfices des dirigeants
9Selon la théorie des choix rationnels, dérivée de la théorie réaliste de Hans Morgenthau et de la pensée économique néoclassique, ce ne sont pas les perceptions et la personnalité des leaders politiques qui orientent leurs choix de politique étrangère mais leur raison. Cela signifie qu’ils cherchent en tout temps à parvenir à une solution optimale. Ils doivent donc choisir, parmi les options qui s’offrent à eux, celle qui impliquera des coûts minimaux et des bénéfices maximaux en regard de l’intérêt national. La possibilité pour les décideurs de choisir l’option qui offre le meilleur rapport coûts/bénéfices dépend toutefois de la quantité, de la qualité et de la fiabilité des informations dont ils disposent sur les enjeux, les causes et les conséquences prévisibles des différentes options disponibles. La théorie des jeux, très proche de la théorie de l’acteur rationnel, compare la prise de décision à un jeu stratégique dont les principales règles sont les suivantes : 1) chaque joueur est rationnel et fonde son appréciation sur un calcul coûts/bénéfices ; 2) chaque joueur dispose de plusieurs options qui permettent de préserver ou de maximiser les gains tout en limitant les coûts ou les risques ; 3) l’issue du jeu est incertaine car elle dépend de l’ordre de préférence dans lequel chaque joueur classe les options disponibles ; néanmoins, elle se traduit toujours par la coopération ou un conflit entre les participants. Dans le premier cas (jeu à somme variable), la décision résulte d’un compromis entre certaines options privilégiées par les participants. Dans le second cas, ou bien aucune décision n’est adoptée, ou bien la décision reflétera le choix d’un seul participant (jeu à somme nulle). Selon Charles Hermann8 la dynamique du processus de décision dépend de l’attitude, directive ou conciliante, du chef de l’État. Ce dernier impose-t-il sa vision des choses ou recherche-t-il un consensus parmi les décideurs ? Cette donnée ne dépend pas nécessairement de la nature du régime politique : les premiers ministres des régimes parlementaires ou les présidents des régimes présidentiels ou semi-présidentiels démocratiques peuvent être plus directifs que les présidents des républiques autoritaires, dont le pouvoir est basé sur l’appui d’un clan ou d’un réseau clientéliste.
Les marchandages bureaucratiques
10Selon l’approche bureaucratique, préconisée notamment par Graham Allison et Morton Halperin9, il est erroné de croire que le choix des décideurs est basé sur un calcul coûts/bénéfices prenant en compte l’intérêt national. Ce dernier est une vue de l’esprit car l’État n’est qu’un regroupement d’organisations plus ou moins reliées entre elles, au sommet desquelles siègent les dirigeants politiques. Dans sa forme extrême, la décision en politique étrangère résulte d’un marchandage entre groupes ou personnes au sein de l’appareil gouvernemental ; elle reflète la logique des buts et des moyens recherchés par chacune des organisations (ministères, services, départements, agences) dans la lutte institutionnelle. De plus, parce que les ressources varient considérablement entre les bureaucraties, certaines sont plus efficaces quand vient le temps des pressions et du marchandage. Des coalitions se créent parfois afin de promouvoir une option plutôt qu’une autre. De plus, les organisations ont une tendance naturelle à résister aux tentatives de changement de leurs orientations et missions, et choisiront plutôt de poursuivre les opérations routinières bien connues et moins risquées. Pour faire contrepoids à l’influence des organisations, le pouvoir central dispose d’agences inter-organisationnelles dont la mission est de réglementer et de coordonner le travail bureaucratique, en vue d’atteindre le seuil optimal désiré dans l’élaboration des politiques. La théorie « cybernétique » de John Steinbruner compare en ce sens le processus de décision à un mécanisme de thermostat, celui-ci n’étant pas activé avant que la température n’excède les limites tolérables du système10.
Les rapports de force économiques
11Selon les marxistes, les néomarxistes et plusieurs néolibéraux et néoréalistes, la politique étrangère des États est principalement déterminée par leur puissance économique, qui est le fondement de leur pouvoir militaire et politique. La politique extérieure des États varie en fonction de leur niveau de développement, de l’importance et de la rentabilité de leurs échanges commerciaux et financiers et de leur capacité subséquente d’influencer les règles et les institutions des relations économiques internationales. Selon ces théories, les acteurs économiques les plus puissants exercent donc une influence prépondérante sur les décisions de la politique étrangère. L’évaluation de cette influence diffère cependant selon les auteurs. Robert Cox soutient, à l’instar des marxistes, que les groupes oligopolistiques multinationaux dictent aux États leur politique extérieure. La néoréaliste Susan Strange affirme que les gouvernements jouent désormais un rôle de leader uniquement en matière de sécurité. Dans le domaine de l’économie, de la finance, du commerce, de la recherche et de l’innovation technologique, le pouvoir de décision appartient aux FMN. Robert Gilpin, un autre néoréaliste, reconnaît que la croissance phénoménale des FMN a érodé sérieusement l’autonomie de décision des États, mais ces derniers et les organisations économiques gouvernementales conservent le pouvoir de réglementer le fonctionnement des marchés et l’activité des FMN11.
Les rapports de force politiques
12Selon la plupart des auteurs réalistes et néoréalistes, la politique étrangère est principalement déterminée par la puissance militaire et politique des États et les modalités d’équilibre de cette puissance au sein du système international. Kenneth Waltz, Morton Kaplan, Michael Brecher, David Singer et Kim Nossal12, parmi d’autres, ont montré que l’histoire moderne a été caractérisée par divers systèmes d’équilibre : le système multipolaire des XVIIIe et XIXe siècles, le système bipolaire de la période 1945-1990, le système unipolaire post-guerre froide. Chacun d’eux a modifié la position politique et militaire des États, leurs alliances stratégiques et la nature conflictuelle ou pacifique de leurs relations. Kaplan et Holsti13 ont analysé les impacts des systèmes politiques internationaux sur la conception que se font les dirigeants de leur rôle – en tant que chefs ou membres d’un bloc, d’une coalition ou sous-système d’alliés. Selon eux, c’est cette conception qui façonne leur image de la réalité et les orientations de leur politique extérieure.
Les pressions des acteurs domestiques
13Selon la théorie néolibérale, les intérêts économiques des divers groupes de pression influencent largement les décisions de la politique étrangère. Quoique néolibéral, Karl Deutch soutient que le lobbying de ces acteurs n’est pas uniquement motivé par leurs intérêts économiques. Les élites politiques (membres du pouvoir exécutif, du Parlement, de la haute fonction publique et des appareils de partis), les médias d’information, les notables (le petit pourcentage de la population qui suit de près les débats politiques et sert de relais sociologique) et l’ensemble des citoyens qui participent aux élections peuvent également influencer les décisions de la politique étrangère. Chaque palier transmet des messages et exerce une influence sur les autres paliers. Le flux principal est descendant, à partir de l’élite économique ou politique. Mais, parfois, des communications directes s’établissent entre les paliers inférieurs (électeurs, notables, médias) et influencent les paliers supérieurs. Les dirigeants tentent de réduire les conflits ou les tensions dans les messages transmis par ces différentes catégories d’acteurs, en faisant des choix de politique étrangère qui équilibreront les demandes en provenance du système national de décision. Toutefois, l’application de ces choix provoque des impacts qui obligent les dirigeants à modifier ou à ajuster les orientations de leur politique étrangère. Celle-ci est donc déterminée par l’autorégulation des flux d’information et leur rétroaction. En raison de ces deux mécanismes, le résultat d’une politique est souvent différent, sinon contraire à l’intention initiale des leaders politiques14.
14À titre d’exemple, Deutsch rappelle que, lorsque le gouvernement américain décida d’installer des bases militaires à l’étranger, au début de la guerre froide, il fut soumis à une double pression interne : celle du département de la Défense, qui souhaitait établir de nombreuses bases aériennes et navales afin d’assurer la sécurité de l’Alliance atlantique, et celle des départements des Affaires étrangères et des Finances, alors préoccupés par les risques politiques et financiers de l’opération. La volonté d’équilibrer ces pressions contradictoires conduit la Maison-Blanche à implanter des bases militaires dans les pays sous-développés à régime autoritaire souvent corrompu. Après autorégulation, l’intention initiale – la défense de la démocratie libérale – fut convertie en alliance avec des dictatures rétrogrades. Jean-Pierre Cot fournit un autre exemple. En 1967, le gouvernement égyptien, confronté à l’aggravation de la tension régionale au Proche-Orient, aux rumeurs de complot en Syrie et aux informations fausses fournies par les services secrets soviétiques, décréta le blocus du détroit de Tiran, demanda le retrait des Casques bleus de l’ONU et précipita le conflit avec Israël, contrairement à son intention initiale
La culture identitaire des États
15Selon la théorie constructiviste, la politique étrangère est principalement déterminée par la culture des États et la façon dont ils se perçoivent les uns les autres. Pour Alexander Wendt, dont la théorie s’inspire notamment de celle de Hedley Bull, trois cultures déterminent le comportement des États : celle de Hobbes, en vertu de laquelle les États sont des ennemis les uns pour les autres ; celle de Locke, selon laquelle les États sont des partenaires rivaux ; et celle de Kant, selon laquelle les États sont des amis15. Wendt n’explique pas clairement pourquoi les États adhèrent à l’une ou l’autre de ces cultures, mais la littérature constructiviste associe largement le comportement méfiant, coopératif ou amical des États à leur degré d’attachement aux valeurs démocratiques. Celui-ci ne dépend pas du niveau de modernisation économique et sociale de l’État, mais d’un apprentissage de ces valeurs, grâce aux transformations culturelles et institutionnelles de leurs sociétés et à leur participation à des organisations internationales et réseaux dominés par les pays occidentaux16. La théorie constructiviste complète la théorie libérale de la paix démocratique qui prétend que les démocraties ne se font pas la guerre en raison de leurs normes et de leurs institutions communes, sans expliquer l’origine de ces normes et institutions17.
16L’application de la politique étrangère est caractérisée par deux approches ou comportements fondamentaux : la stratégie et la diplomatie. Machiavel associe la première à la force du lion et la seconde à la ruse du renard. Raymond Aron est plus prosaïque. Selon lui, la stratégie est « la conduite d’ensemble des opérations militaires » ou « l’action qui n’exclut pas le recours à la force armée » alors que la diplomatie est « la conduite du commerce avec les autres unités politiques, l’art de convaincre sans employer la force18 ». En fait, ces concepts ont donné lieu à plusieurs définitions plus ou moins larges. Avant de compléter ces formulations liminaires, notons que, dans la réalité, ces deux dimensions sont étroitement imbriquées. Les conflits militaires ne sont pas uniquement basés sur l’emploi des armes ; ils font appel à plusieurs comportements non violents inhérents à la ruse diplomatique tels l’espionnage, la manipulation de l’information et la négociation. Les relations diplomatiques, de leur côté, sont souvent influencées par la puissance militaire des États et les menaces ou risques d’interventions armées.
La diplomatie
L’essence de la diplomatie
17Aucun État ne peut défendre ses intérêts sans tenir compte de ceux des autres États, chaque pays étant une composante de la communauté des nations. L’indépendance des États n’est pas synonyme d’isolement ou de repli sur soi. Le fait d’entretenir des relations avec les autres États est une dimension essentielle de l’autorité et de la légitimité d’un État. Ces relations reposent sur l’habileté à obtenir la reconnaissance, l’appui et des avantages des autres États. Comme l’affirmait Jean-Jacques Rousseau, un État ne peut bien se connaître lui-même et progresser qu’au contact des autres États. Tous les États, y compris les plus puissants, sont dépendants, à des degrés divers, des autres États. L’interdépendance des États s’est constamment accrue au cours de l’histoire, au fur et à mesure que se développaient les relations de diverses natures entre les sociétés nationales, de telle sorte qu’aujourd’hui les politiques nationales de chaque État sont largement déterminées par l’environnement international. Selon Watson :
Les États qui sont conscients que leurs politiques nationales sont affectées par tout ce qui se produit à l’extérieur ne se contentent pas d’observer l’autre à distance. Ils ressentent le besoin d’entrer en dialogue avec lui. Le dialogue entre États indépendants – les rouages par lesquels leurs gouvernements conduisent ce dialogue, et les réseaux de promesses, de contrats, d’institutions et de codes de conduite qui en résultent – constitutent la substance de la diplomatie19.
18Quoique pertinente, cette définition est problématique à deux égards. D’une part, elle ne met pas suffisamment l’accent sur l’aspect conflictuel des relations diplomatiques. En réalité, celles-ci visent fréquemment à résoudre un conflit par la négociation. Toutefois, une négociation implique souvent le recours à des comportements inamicaux qui contreviennent à l’esprit du dialogue, par exemple l’utilisation de pressions assorties de menaces de représailles (sanctions commerciales, embargo économique, suppression de l’aide déjà consentie, etc.) ou d’un recours limité à la force20. D’autre part, cette définition n’insiste pas assez sur la dimension illégale de la diplomatie. S’il est juste de dire que celle-ci est largement basée sur le droit international, il est également vrai qu’elle fait souvent appel à des pratiques qui violent la lettre ou l’esprit du droit international : tentatives de corruption des interlocuteurs, guerres psychologiques, propagande, bluff, méthodes d’espionnage contraires aux lois nationales et internationales21.
19Dans le cadre de cette section, nous analyserons les principaux instruments de la diplomatie (la négociation et le droit international) et les principales institutions de sa mise en œuvre (les ambassades et les consultats).
Les fondements de la négociation
20Selon P. A. Toma et R. F. Gorman, « la négociation et le marchandage sont la raison d’être et le principal instrument de la diplomatie. Toute entente entre États est le résultat d’une négociation et d’un échange22. » Une négociation est une forme d’interaction par laquelle des individus, des groupes ou des États cherchent explicitement à parvenir à une sorte d’entente. Elle est le premier stade du processus de solution d’un problème ou d’un conflit, le second stade étant le marchandage.
21 Les prérequis d’une négociation. Pour qu’une négociation sérieuse s’amorce, il faut que les parties aient soit des intérêts communs à trouver un arrangement ou une solution à un différend, soit un intérêt complémentaire à échanger des concessions qu’ils ne pourraient obtenir unilatéralement. Cependant, les États peuvent parfois s’engager dans une fausse négociation (bluff, jeu) pour diverses raisons : plaire à leur opinion publique, sauvegarder leur image internationale, obtenir de l’information, tromper l’adversaire afin de préparer une attaque militaire, maintenir le contact avec l’ennemi durant un conflit, etc. Donc, le but d’une négociation n’est pas toujours de trouver un arrangement. Cependant, toute négociation sérieuse exige l’existence d’intérêts communs ou complémentaires et la bonne foi des parties.
22 La phase préliminaire d’une négociation. Au cours de cette phase, les parties tentent d’identifier leurs intérêts communs afin d’évaluer les chances d’aboutir à un règlement. Chaque État cherche à obtenir de l’autre un exposé clair et explicite de ses demandes. Normalement, à ce stade, chaque partie ne dévoile que ses attentes maximales. D’une manière plus générale, cet échange exploratoire sert à établir un climat de confiance et les règles d’un accommodement.
23 La délimitation de la négociation. Lorsque la phase préliminaire a été franchie avec succès, chaque partie tente de connaître les demandes minimales de ses interlocuteurs et les concessions que chacun est prêt à faire. L’énoncé des demandes maximales et minimales permet en effet de cerner le contenu de ce qui est négociable et d’évaluer les stratégies d’alliance possibles, lorsque la négociation implique plus de deux parties. Évidemment, l’intérêt de chacun est de camoufler ses véritables intentions quant à ses demandes minimales, tout en parvenant à découvrir celles des autres partenaires. Si l’écart entre les demandes minimales et maximales est jugé trop grand, ou bien la négociation achoppe, ou encore les participants acceptent de réviser à la baisse leurs attentes.
24 La négociation proprement dite. La négociation proprement dite est une discussion, parfois très longue et complexe, afin d’en arriver à un compromis entre les demandes maximales et minimales de chacun. Lorsque les négociations internationales se déroulent entre États d’inégale force, ce qui est fréquemment le cas, les concessions acceptées par les plus faibles sont plus importantes que celles consenties par les plus forts. Toute entente issue d’une négociation multilatérale est caractérisée par une distribution inégale des gains et des pertes (entente à somme variable). Chaque participant réalise des gains absolus et/ou relatifs23, mais dans des proportions variables. Une négociation bilatérale peut aboutir à une entente à somme variable ou à une entente à somme nulle, dans le cadre de laquelle l’une des parties gagne tout, alors que l’autre perd tout. Ce deuxième type d’entente est moins rare qu’on pourrait le croire, certains États ayant intérêt à accepter un accord désavantageux pour ne pas nuire à leurs relations avec un État plus puissant. Lorsque l’entente issue de la négociation est rejetée, ou la négociation s’arrête, ou elle se transforme en marchandage.
25 Le marchandage. Le marchandage peut être vu comme un moyen de résoudre les différends entre les parties quant aux termes de l’entente proposée par diverses sortes de tractations. Le but de chaque acteur est d’inciter l’autre à réduire ses demandes minimales tout en haussant ses propres demandes maximales. L’issue du marchandage dépend de l’habileté des négociateurs à deviner les faiblesses et les points forts de leurs opposants et à les influencer ; mais elle dépend surtout de la position de force ou de faiblesse réelle de chaque partie. Les principaux instruments du bargaining international sont les menaces de sanctions (mesures commerciales protectionnistes, réduction ou suppression de l’aide militaire ou économique, condamnation par une organisation internationale, etc.) et les promesses de récompense (augmentation des investissements, libéralisation des échanges commerciaux, adhésion à une organisation internationale, etc.). Les possibilités de marchandage de chaque État sont donc proportionnelles à ses ressources économiques, militaires et politiques. La finalité du marchandage est d’en arriver à une entente qui offre des avantages relatifs à chaque partenaire.
26La dynamique des négociations internationales décrite par Toma et Gorman s’inspire du réalisme et de la théorie des jeux. Le cours et l’issue d’une négociation sont essentiellement déterminés par les calculs d’intérêts et les évaluations coûts/bénéfices des États. Bien que cette thèse soit admise par la grande majorité des auteurs, plusieurs considèrent que d’autres facteurs influencent significativement ou décisivement une négociation internationale : l’histoire et le régime institutionnel des États, la psychologie et la culture des négociateurs, les variables contextuelles (objet du litige, nature des relations antérieures des parties, intervention ou non d’un ou plusieurs médiateurs, stratégies et tactiques des médiateurs, caractère bilatéral ou multilatéral des discussions)24. L’idée selon laquelle une négociation internationale est subdivisée en différentes phases fait par contre l’unanimité. Tous les spécialistes reconnaissent qu’une négociation est précédée d’une phase préliminaire durant laquelle les parties tentent de s’entendre sur la nature du problème à résoudre et la façon de parvenir à un règlement. Tous admettent que la conclusion d’une entente requiert des concessions préalables de la part des parties et le recours au marchandage dans plusieurs cas. Les accords d’Oslo de 1992 et les accords de Dayton de 1995 sont souvent cités comme exemples d’ententes inachevées qui ont marqué le début d’un processus de marchandage entre les États impliqués.
TABLEAU 3.1. Processus d’une négociation internationale
prérequis
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La portée du droit international
27Le droit international public est à la fois le fondement et le résultat des négociations internationales. Ses principaux éléments constitutifs sont les coutumes, i.e. les comportements des États durables dans le temps qui ont acquis une portée juridique, et les ententes juridiques (conventions, traités, chartes, protocoles, etc.) conclues par les États dans un cadre bilatéral ou multilatéral. Les sources auxiliaires du droit international sont la doctrine, i.e. les interprétations que font les spécialistes des règles et de la jurisprudence, i.e. l’ensemble des décisions et arbitrages édictés par les tribunaux internationaux.
28Si, comme le soutiennent plusieurs spécialistes, tous les actes juridiques du droit international sont le résultat d’une négociation visant à solutionner un différend entre États,, et si une négociation sérieuse n’est possible que lorsque les parties ont des intérêts communs à trouver un arrangement ou un intérêt complémentaire à échanger des concessions, il faut conclure que l’extension de la portée du droit international dans les relations diplomatiques dépend de l’approfondissement de la convergence des intérêts des États, processus lui-même lié à la nature des transformations de la société internationale. Selon les réalistes et les néoréalistes, les transformations qu’a connues la société internationale au cours du XXe siècle n’ont pas atténué les contradictions entre les intérêts nationaux des États souverains, de telle sorte que la diplomatie demeure fondée sur la puissance ou sur la persuasion, le compromis et la menace d’user de la force armée. Selon les néolibéraux, par contre, les changements qui ont marqué l’évolution du système international depuis 1945 ont considérablement renforcé l’interdépendance et les intérêts communs des États, favorisant une plus grande coopération des gouvernements et la multiplication des ententes juridiques bilatérales et multilatérales. Selon eux, la diplomatie est donc beaucoup plus aujourd’hui qu’hier déterminée par le droit international.
29Si ces controverses doctrinales tiennent aux a priori normatifs des différentes écoles de pensée, elles sont également alimentées par l’interprétation que font les auteurs des problèmes posés par l’application du droit international. Pour les réalistes, ces derniers témoignent de l’inefficacité du droit international ; pour les néolibéraux, il s’agit de difficultés qui peuvent être solutionnées avec le temps et qui ne remettent pas en question les progrès du droit dans les relations diplomatiques. Parmi les nombreux problèmes qui limitent la portée du droit international, sept sont particulièrement importants.
30Premièrement, les seules ententes juridiques internationales négociées par les États qui ont un caractère obligatoire pour ces derniers sont celles qu’ils ont librement signées et ratifiées. La signature d’une entente internationale est une formalité non contraignante, et seule sa ratification oblige les États à l’appliquer. La ratification par le gouvernement ou le Parlement (dans la plupart des cas) est conditionnelle à la compatibilité de l’entente internationale en question avec la constitution du pays. Pour qu’une entente internationale entre en vigueur, il faut qu’une majorité d’États l’aient ratifiée. Cependant, les États qui ont ratifié cette entente peuvent la mettre en œuvre avant qu’une telle majorité soit atteinte : une pratique qui peut convaincre les États récalcitrants à emboîter le pas. À l’exception des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, les actes juridiques adoptés par les OI universelles n’ont pas de caractère obligatoire pour les États. Il en est de même pour les actes des OI régionales, sauf s’ils ont été entérinés à l’unanimité par les États membres, comme c’est le cas pour plusieurs décisions du Conseil de l’UE.
31Deuxièmement, les possibilités de sanctions dont dispose la communauté internationale à l’égard d’un État qui viole une entente juridique obligatoire sont restreintes. Comme nous l’avons vu dans le chapitre deux, à l’exception de la CJE (dont la compétence s’étend uniquement aux États membres de l’UE), les cours internationales et les tribunaux d’arbitrage des OI n’ont pas la capacité d’imposer une sanction à un État. Ils portent un jugement sur les litiges qui leur sont soumis, se prononcent sur le degré de culpabilité des parties au litige, mais n’imposent pas de sentence comme les tribunaux nationaux. En revanche, les OI et les États peuvent user de représailles à l’encontre d’un État qui contrevient à une entente obligatoire : suspension ou expulsion de l’organisation, décret d’un embargo économique, sanctions commerciales, suppression de l’aide, etc. À ces représailles s’ajoutent généralement des coûts non quantifiables pour l’État en faute : opposition éventuelle de son opinion publique, perte de légitimité, de prestige, et d’influence sur le plan international, etc. Toutefois, l’efficacité de ces pénalités est relative. D’une part, plus un État est puissant, moins il est susceptible d’être réprimandé par la communauté internationale. D’autre part, en raison de leurs intérêts divergents, les États s’avèrent souvent incapables d’adopter des sanctions et de les appliquer de manière conséquente. Enfin, les États visés peuvent refuser de se soumettre à une entente obligatoire malgré les représailles encourues. C’est le cas de l’Irak qui, au cours des années 1990, a refusé d’obtempérer pleinement aux résolutions 688 et 715 du Conseil de sécurité, malgré les mesures d’embargo que ce dernier lui a imposées en guise de représailles.
32Troisièmement, il existe une disparité entre le droit interne des États et le droit international. D’une part, les règles du droit international ne sont pas hiérarchisées ou soumises à l’autorité d’une constitution comme les lois nationales d’un pays, ce qui implique que les contradictions et incohérences entre ces règles sont plus difficiles et plus longues à résoudre. Il faut ou adopter un nouvel acte juridique ou attendre que le comportement répété des États – la coutume – solutionne ce problème en pratique. D’autre part, si en principe tout État est tenu d’adapter ses lois internes aux dispositions des actes obligatoires du droit international qu’il a ratifiés, il peut en pratique refuser de le faire, malgré le risque d’être critiqué, poursuivi et sanctionné par les autres États.
33Quatrièmement, la légitimité du droit international est limitée car un grand nombre d’actes juridiques et de coutumes reflètent les intérêts des grandes puissances plutôt que ceux de tous les États.
34Cinquièmement, le droit international est incomplet car de nombreuses questions et problèmes n’ont jamais fait l’objet de législations.
35Les principales limitations à l’application du droit international sont néanmoins l’absence d’une police supranationale et la souveraineté des États. Le chapitre vii de la Charte de l’ONU interdit à tout État membre et non membre et à toute OI de recourir unilatéralement à la force armée contre un ou plusieurs États, sauf en cas de légitime défense, c’est-à-dire la riposte à une agression ou la prévention d’une agression dont l’imminence est corroborée par des preuves solides. Dans l’un ou l’autre cas cependant, l’OI ou l’État concerné doit aviser immédiatement le Conseil de sécurité de ses intentions et obtenir de ce dernier une résolution d’appui à son intervention le plus tôt possible. Les mesures de légitime défense prises par un État ou une OI n’affectent en rien le pouvoir et le devoir du Conseil de sécurité d’intervenir pour préserver la paix. Cependant, si ces règles sont violées, il n’est pas assuré que le ou les États en faute soient sanctionnés par l’ONU car il faut que les États membres du Conseil de sécurité s’entendent sur l’application de cette sanction, ce qui n’est pas aisé compte tenu de leurs intérêts divergents. Lorsqu’en 1999, l’OTAN a décidé de bombarder la Serbie, non pas au nom du principe de la légitime défense, mais afin de faire cesser les exactions de l’armée serbe contre les Albanais au Kosovo, le Conseil de sécurité n’a pu ni appuyer cette intervention, en raison de la menace de veto de la Chine et de la Russie, ni la condamner, en raison de l’appui dont elle bénéficiait de la part de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis. Lorsque les États-Unis ont attaqué l’Irak en mars 2003, sans avoir prouvé aux yeux de la majorité des membres du Conseil de sécurité l’imminence d’une agression du régime de Saddam Hussein contre leur territoire, le Conseil de sécurité n’a pas été en mesure de sanctionner cette action initiée par deux de ses membres permanents : les États-Unis et le Royaume-Uni.
36En dépit de ces limites, « la majorité des ententes internationales sont respectées par la majorité des États la plupart du temps25 ». Cette affirmation de plusieurs auteurs néolibéraux n’a jamais fait l’objet d’études empiriques. Mais il est vrai que depuis 1945, les conflits armés interétatiques ont beaucoup diminué, tout en étant largement circonscrits à l’Afrique et à certaines régions d’Asie. Par contre, le nombre des conflits internes, dans ces deux régions notamment, a augmenté. Or, le droit international n’autorise pas les OI à intervenir dans les affaires intérieures d’un État souverain, sauf si ce dernier en fait la demande. Cette situation a favorisé l’internationalisation officieuse de facto, ainsi que l’aggravation et la prolongation de nombreuses guerres civiles, en incitant des États tiers à fournir un appui financier, militaire et logistique à tel ou tel groupe de belligérants.
37Depuis la fin de la guerre froide, toutefois, la souveraineté des États n’est plus aussi intangible qu’auparavant. La communauté internationale reconnaît désormais qu’il est légitime pour une OI de maintien de la paix d’intervenir militairement dans un pays pour des motifs humanitaires, même si ce dernier s’y oppose. C’est au nom de ce principe qu’ont été réalisées les opérations de l’ONU en Somalie (1992), en Bosnie-Herzégovine (1992) et au Timor oriental (2000). Il ne faut pas, cependant, surestimer l’importance du droit d’ingérence humanitaire. Cette nouvelle vision du droit international a acquis une audience sans précédent au sein des OI et des ONG durant les années 1990 et 2000, dans un contexte marqué par la défaite du communisme et l’émergence d’un nouvel ordre unipolaire dominé par les États-Unis. Ces derniers, et leurs principaux alliés, ont soutenu plusieurs interventions lorsqu’elles servaient leurs intérêts. Lorsque ce n’est pas le cas, l’ingérence pour des motifs humanitaires perd de son importance. Le refus des membres permanents du Conseil de sécurité d’intervenir pour empêcher le génocide au Rwanda, en 1994, en est sans doute la preuve la plus éloquente et dramatique.
38En conclusion, on retiendra que si la diplomatie consiste à résoudre les conflits entre États par la négociation plutôt que par la force des armes, les négociations interétatiques ne sont pas uniquement fondées sur le droit international. Elles impliquent parfois le recours à des procédés illégaux et violents. Au cours de la période postérieure à 1945, les relations diplomatiques ont connu un développement sans précédent en raison de la multiplication des négociations et ententes juridiques interétatiques dans tous les domaines. Ces ententes ont considérablement élargi l’étendue du droit international et érodé la souveraineté des États dans le domaine des low politics (économie, finances, immigration, science et technologie, culture, questions humanitaires, etc.). La souveraineté demeure néanmoins le principe charnière des relations internationales, non seulement parce que les gouvernements demeurent les seuls décideurs des règles qui gouvernent ces dernières, mais parce qu’ils conservent le contrôle des high politics, i.e. les dimensions politique et stratégique de la politique étrangère.
Le rôle et le personnel des missions diplomatiques
39La politique étrangère est mise en œuvre par les autorités centrales de l’État et leurs représentants. L’éventail de ces représentants est très large. Il comprend les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères qui travaillent dans les ambassades, les consulats, les délégations auprès des OI et autres missions diplomatiques de l’État. Il inclut également les membres de toutes les institutions de l’appareil gouvernemental (armée, services de renseignement et de sécurité, agences d’aide au développement, ministères) qui sont impliqués dans l’action internationale que mène l’État en dehors du circuit des missions diplomatiques. Enfin, il comprend toutes les personnes extérieures à l’appareil gouvernemental auxquelles les dirigeants politiques peuvent confier des missions internationales officielles ou officieuses, publiques ou secrètes, ad hoc ou prolongées : par exemple, des universitaires et des chercheurs qui sont embauchés à titre d’experts dans des négociations commerciales, des gens d’affaires et des responsables d’ONG qui sont impliqués dans des projets de développement et de coopération économique. Dans cette section, nous nous intéresserons uniquement au rôle et au personnel des missions diplomatiques.
40Bien que le rôle des missions diplomatiques au sein des OI soit devenu de plus en plus important au fil du temps, nous focaliserons notre attention sur les ambassades et les consulats qui demeurent des instruments essentiels d’application de la politique étrangère des États. Ces entités sont « des délégations permanentes formées principalement d’agents diplomatiques, mais comprenant également du personnel administratif et technique et du personnel de service26 ». Leurs modalités d’établissement, le régime des relations qu’elles entretiennent avec l’État hôte, le rôle de leurs agents diplomatiques et le statut de leur personnel sont réglementés par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et la Convention de Vienne sur les relations consulaires, entrées en vigueur respectivement en 1964 et 196727.
41 Les ambassades. Les fonctions d’une ambassade consistent principalement à : (1) représenter l’État accréditant auprès de l’État accréditaire ; (2) protéger les intérêts de l’État accréditant et de ses ressortissants dans les limites du droit international ; (3) négocier des ententes avec l’État accréditaire ; (4) s’informer par tous les moyens licites de l’évolution de la situation dans l’État accréditaire et faire rapport à l’État accréditant ; (5) encourager des relations amicales et développer des relations économiques, culturelles et scientifiques entre l’État accréditant et l’État accréditaire. Au surplus, toute ambassade peut remplir les fonctions d’un consulat. C’est généralement le cas lorsqu’un État n’a pas de consulat dans un pays ou lorsque sa ou ses missions consulaires ne suffisent pas à la tâche. Toute ambassade est dirigée par un chef de mission (ambassadeur). Le nombre de diplomates et d’employés affectés à des tâches administratives et techniques varie selon l’importance accordée par l’État à chacune de ses ambassades.
42L’établissement de relations diplomatiques entre deux États se fait par consentement mutuel. Un État peut poser des conditions à l’établissement de ces relations. Ainsi, la RPC a exigé que le Canada s’engage par écrit à ne pas reconnaître officiellement le gouvernement de Taiwan avant d’accepter de nouer des relations avec Ottawa, en 1970. En outre, tout État peut décider d’établir des relations diplomatiques de jure (sans ambassade) ou de facto (avec ambassade) avec un autre État. En fait, aucun pays ne possède des ambassades dans tous les pays. Ce sont évidemment les États les plus riches et les plus influents qui ont le réseau d’ambassades le plus étendu. La pratique veut que lorsqu’un État n’a pas d’ambassade dans un pays, il confie à un État ami le mandat de protéger ses intérêts et ceux de ses ressortissants. En cas de guerre, un tel mandat est souvent confié à un pays neutre ou à une OI humanitaire telle la Croix-Rouge. L’ambassadeur n’est désigné que lorsqu’il est agréé par l’État d’accueil. Chaque État peut décider du niveau ou de l’importance de son ambassade, mais le pays hôte peut fixer des règles minimales à cet égard.
43En vertu du principe d’extraterritorialité, chaque État exerce une pleine souveraineté sur le territoire et l’édifice de son ambassade (située obligatoirement dans la capitale) et de son consulat (installé dans la capitale ou une autre ville). Cela signifie qu’ils ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou autre mesure d’intervention de la part du pays hôte. Lors de la révolution islamiste de 1979 en Iran, les partisans de l’ayatollah Khomeiny ont organisé un blocus autour du territoire de l’ambassade des États-Unis, accusés d’avoir soutenu le régime honni de Rizäh Chäh Pahlavi, mais ils n’ont pas pénétré dans l’édifice. C’est l’ambassade canadienne qui s’est chargée d’évacuer en secret du pays le personnel de l’ambassade américaine. Durant les années 1980, un incendie a ravagé l’immeuble du consulat soviétique à Montréal. En dépit du danger de propagation du feu aux immeubles voisins, les pompiers n’ont pu intervenir en raison de l’opposition des diplomates soviétiques qui craignaient que des documents confidentiels ne tombent entre des mains étrangères. À la suite de la guerre Iran-Irak (1980-1988), l’Irak a mis fin à ses activités consulaires à Montréal sans pour autant se départir de son immeuble. Malgré la dégradation de ce dernier et les risques qu’il présentait pour la sécurité publique, la ville de Montréal n’a pu intervenir en raison de la souveraineté de l’Irak sur cet immeuble. L’interdiction pour un pays hôte d’intervenir sur le territoire d’une ambassade s’applique également aux sièges sociaux des OI. Au tournant des années 1990, l’Assemblée générale de l’ONU a invité Yasser Arafat à prononcer un discours devant ses membres. Le gouvernement américain, opposé à cette visite mais n’ayant pas juridiction sur l’édifice des Nations Unies à New York, a menacé d’arrêter Yasser Arafat lors de son atterrissage sur le sol américain, ce qui a conduit l’Assemblée générale à déplacer ses assises à Genève. En raison de leur immunité, les ambassades servent souvent d’asile pour les personnes persécutées par les autorités du pays hôte. Ainsi, en 1973, lors du coup d’État du général Pinochet au Chili, plusieurs citoyens chiliens ont trouvé refuge à l’ambassade canadienne à Santiago.
44Les mesures prévues par la Convention de Vienne de 1964 en cas de conflit entre l’État accréditaire et l’État accrédidant sont limitées. L’État accréditaire peut à tout moment expulser les membres du personnel d’une ambassade – ou d’un consulat – jugés personæ non gratæ. L’État accrédidant doit alors rappeler les personnes visées par cet ordre sous peine de voir l’État accréditaire cesser de reconnaître leur statut diplomatique. Généralement, l’État accréditant s’exécute tout en adoptant des mesures d’expulsion équivalentes à l’encontre des diplomates de l’État accréditaire. Le rappel des ambassadeurs est une procédure couramment utilisée par l’État accréditant pour signifier à l’État accréditaire son désaccord avec l’une ou l’autre de ses politiques. En cas de conflit très grave, l’État accréditant peut aussi fermer son ambassade.
45 Les consulats. L’établissement de relations consulaires repose sur le consentement mutuel des États. Sauf indication contraire, un État peut ouvrir un ou plusieurs consulats dans un pays lorsqu’il dispose déjà d’une ambassade dans ce dernier. Toutefois, la présence d’une ambassade n’est pas une condition sine qua non à l’ouverture d’un consulat. Un État peut confier à un consulat la mission de le représenter dans plus d’un pays bien qu’il n’ait pas d’ambassade dans chacun d’entre eux. Il faut toutefois que les États concernés y consentent. Le nombre de consulats dont dispose un État dans un pays est fonction de divers critères : ses ressources financières, le nombre de ses ressortissants séjournant dans ce pays, l’importance des relations, notamment économiques, qu’il entretient avec ce dernier. À l’instar d’une ambassade, le consulat d’un État peut également représenter les intérêts d’un État tiers et ceux de ses nationaux si l’État d’accueil ne s’y oppose pas. La rupture des relations diplomatiques n’entraîne pas ipso facto la fermeture des consulats des États impliqués. Chaque consulat est dirigé par un chef de mission (consul).
46Les fonctions consulaires, qui peuvent être exercées par des ambassades, consistent notamment à : (1) protéger les intérêts de l’État accréditant et de ses ressortissants dans les limites du droit international ; (2) favoriser le développement de relations commerciales, économiques, culturelles, scientifiques et amicales entre l’État d’envoi et l’État hôte ; (3) s’informer, par tous les moyens licites, de l’évolution de la situation économique, commerciale, culturelle et scientifique de l’État hôte et faire rapport à l’État d’envoi ; (4) délivrer des passeports aux ressortissants de l’État d’envoi ainsi que des visas et autres documents de voyage aux ressortissants de l’État hôte ; (5) agir en qualité de notaire ou d’agent de l’administration civile dans la mesure où les lois et règlements de l’État hôte l’autorisent ; (6) représenter les ressortissants de l’État accréditant devant les tribunaux de l’État hôte ; (7) contrôler et inspecter les bateaux et avions ayant la nationalité de l’État d’envoi lors de leur présence sur le territoire de l’État hôte. Lorsqu’un État ne dispose pas d’une ambassade dans un pays, il peut demander à son consulat ou au consulat d’un État tiers d’assumer les fonctions d’une ambassade.
47 Le personnel des missions diplomatiques. Le personnel des ambassades comprend les personnes qui ont le statut de diplomate, les administrateurs et techniciens, et les employés de service. Les diplomates, qui sont obligatoirement des citoyens de l’État accréditant alors que les autres employés sont souvent des ressortissants de l’État accréditaire, assument les fonctions de représentation propres aux ambassades décrites ci-dessus. Compte tenu que les délégations des États au sein des OI sont équivalentes à des ambassades, plusieurs de leurs membres ont également un statut de diplomate. Dans la hiérarchie des diplomates, le poste le plus élevé est celui d’ambassadeur, le poste de chargé d’affaires est le deuxième en importance. Le personnel des consulats inclut les citoyens de l’État accréditant qui ont le statut de fonctionnaire consulaire et les administrateurs, techniciens et employés de soutien qui sont souvent des ressortissants de l’État accréditaire. Les fonctionnaires consulaires assument les fonctions de représentation dévolues aux consulats. Au sein de la hiérarchie des fonctionnaires consulaires, le poste le plus important est celui de consul. Bien que les fonctionnaires consulaires remplissent parfois les fonctions d’un diplomate d’ambassade, ils n’acquièrent pas le statut de diplomate, sauf s’ils exercent ces fonctions au sein d’une OI.
48Les diplomates bénéficient des mêmes immunités et privilèges que ceux accordés aux missions avec statut d’ambassade. Leur personne, leur domicile privé, leurs biens, leur correspondance, leurs télécommunications, leurs bagages et les documents diplomatiques qu’ils transportent – la valise diplomatique – sont inviolables. Ils ne peuvent faire l’objet d’aucune fouille, inspection, confiscation ou rétention de la part des services de sécurité des États. Les diplomates jouissent également d’une complète immunité face à la justice pénale, civile et administrative de l’État accréditaire. En revanche, ils sont soumis à la justice de leur État. Lorsqu’un membre du personnel diplomatique d’une ambassade viole une loi de l’État accréditaire, il est généralement renvoyé dans son pays d’origine et jugé par ce dernier. On se souviendra qu’en 2000, un diplomate de l’ambassade russe à Ottawa a causé la mort d’une Canadienne alors qu’il conduisait sa voiture en état d’ivresse. Le gouvernement canadien l’a renvoyé en Russie après avoir obtenu l’assurance qu’il serait jugé pour son acte, malgré l’opposition des proches de la victime qui craignaient qu’il ne soit grâcié en raison du laxisme des lois russes à l’égard de l’alcool au volant. Cela étant dit, en vertu de l’article 37 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, un État accréditant peut renoncer à de telles immunités pour ses diplomates. Au chapitre des privilèges, les diplomates sont exemptés des impôts et taxes de l’État accréditaire. En cas de rupture des relations diplomatiques ou de conflit armé, l’État accréditaire doit assurer la protection des diplomates de l’État accréditant et de leurs familles, et faciliter leur départ de son territoire dans les plus brefs délais.
49Les immunités et privilèges des fonctionnaires consulaires sont plus restreints que ceux des diplomates. Leur immunité face à la justice pénale de l’État d’accueil est limitée. Ils ne peuvent être ni arrêtés, ni détenus de manière préventive, ni incarcérés, ni jugés sauf en cas de crime grave ou d’une décision des autorités compétentes. Leur immunité face à la justice administrative de l’État d’accueil n’est pas complète. Ils peuvent faire l’objet de poursuites pour un contrat conclu en dehors de leurs fonctions consulaires et pour un accident ayant causé des dommages à un ressortissant de l’État de résidence. Ce dernier a le pouvoir de les obliger à comparaître comme témoins dans des procès. Ils sont exemptés des impôts, des taxes et des droits de douane de l’État d’accueil. Toutefois, contrairement aux diplomates, leurs bagages personnels et ceux de leur famille peuvent être inspectés si l’État d’accueil a de sérieux motifs de croire qu’ils contiennent des objets interdits par ses lois et règlements.
L’évolution de la diplomatie
50Parmi les nombreuses fonctions que doivent accomplir les diplomates et agents consulaires, les deux plus importantes sont la négociation d’ententes favorables aux intérêts de leur État et de leurs ressortissants et la transmission de renseignements aux autorités de leur pays. L’accomplissement de ces missions a toutefois considérablement évolué au cours de la période contemporaine. Aujourd’hui, les dirigeants politiques s’informent entre eux et négocient directement des ententes grâce au développement des communications par téléphone, télécopieur et courrier électronique et à la rapidité des transports par avion qui leur permet de se rencontrer plusieurs fois par année lors des sommets de chefs d’État et des nombreux forums multilatéraux. En raison de l’importance qu’a prise cette diplomatie directe (shuttle diplomacy), les ambassadeurs, les consuls et leurs attachés sont des agents de renseignements et de négociation moins importants qu’auparavant en ce qui a trait aux relations d’État à État. Par contre, les diplomates des délégations au sein des OI sont devenus des informateurs et des négociateurs de premier plan puisque plusieurs négociations interétatiques cruciales se font désormais dans un cadre multilatéral. Tel est notamment le cas des négociations menées au sein de l’UE, de l’OMC, du FMI et de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
51La collecte, l’analyse et la transmission d’informations sur l’évolution de la situation politique, militaire, économique et sociale du pays hôte demeure néanmoins une tâche primordiale des ambassades et des consulats. En raison de leur mission de renseignements, les diplomates sont souvent perçus comme des espions. Ce n’est pas faux. L’interdiction par les conventions de Vienne de 1964 et 1967 d’utiliser des moyens illicites, contraires aux lois et à la morale, pour se procurer des informations jugées confidentielles par l’État d’accueil, est parfois violée par les diplomates, notamment lorsqu’ils sont en poste dans un pays ennemi ou en guerre avec leur État d’envoi ou lorsque la nature autoritaire de l’État d’accueil les empêche d’obtenir l’information désirée par des voies légales.
52Par ailleurs, si les agents diplomatiques et consulaires sont moins impliqués qu’auparavant dans la négociation d’ententes interétatiques, ils consacrent beaucoup plus de temps que dans le passé à la négociation d’ententes transnationales entre ONG (entreprises industrielles, financières et commerciales, institutions d’enseignement et de recherche, organismes culturels, etc.). Ils identifient les opportunités d’investissement, d’échanges, de coopération, etc., en informent les ONG de leur pays et les aident à profiter de ces opportunités par l’organisation de rencontres avec les décideurs, la représentation de leurs intérêts auprès de ces derniers, l’apport d’expertise utile aux négociations. Le développement des relations transnationales a obligé les ambassades et les consulats à acquérir de nouvelles connaissances dans de multiples domaines, notamment le commerce des biens, des services et des capitaux, les mouvements migratoires, les échanges scientifiques et culturels et la coopération dans le domaine environnemental. En fait, les ambassades et les consulats sont devenus de véritables extensions des bureaucraties nationales, des antennes des divers ministères et agences du gouvernement à l’étranger. Le profil des diplomates est donc désormais similaire à celui de la haute fonction publique. Alors qu’auparavant les diplomates étaient surtout des généralistes qui provenaient de la politique, de la philosophie ou des arts et des lettres, ce sont aujourd’hui majoritairement des spécialistes de l’économie, du droit et de l’administration. Toutefois, la science politique et les langues étrangères demeurent des voies d’accès importantes à la carrière diplomatique.
53Si les compétences professionnelles exigées des diplomates ont changé, les qualités psychologiques que requièrent leurs fonctions sont demeurées les mêmes. Aujourd’hui comme hier, « les pires diplomates sont fanatiques, missionnaires et avocats ; les meilleurs sont rationnels et sceptiques vis-à-vis de la nature humaine ». « Être un bon diplomate ne signifie pas qu’il faille dire tout ce que l’on sait. » « Le diplomate idéal est tout sauf un amateur qui manque d’habileté politique. Il est expérimenté, intègre et intelligent ; par-dessus tout il ne se laisse pas influencer par ses émotions ou ses préjugés, il fait preuve d’une grande modestie dans toutes ses transactions, il est uniquement guidé par son sens du devoir, il comprend les périls de la ruse et les vertus de la raison, il fait preuve de modération, de discrétion et de tact28. »
54Parmi tous les changements qui caractérisent la nouvelle diplomatie, le plus important est sans doute sa démocratisation. La diplomatie actuelle est plus démocratique parce que les citoyens sont mieux informés du contenu, des enjeux et de l’évolution des négociations internationales. Trois raisons principales expliquent ce changement : la multiplication des réunions au sommet et des rencontres multilatérales qui sont largement couvertes par la presse écrite et électronique ; le fait que des centaines d’ONG suivent désormais de près ces négociations et diffusent leurs points de vue sur ces dernières par le biais de sommets parallèles, de manifestations et de déclarations fortement médiatisées ; la diffusion d’informations sur l’évolution de diverses négociations internationales par plusieurs gouvernements, notamment par le biais de leurs sites Internet. La nouvelle diplomatie est également plus démocratique parce que les citoyens et les ONG utilisent l’information dont ils disposent pour faire pression sur leurs dirigeants politiques et les amener à modifier l’agenda des négociations dans un sens favorable à leurs intérêts et revendications. Lors d’une conférence à Montréal le 22 avril 2010, Zbigniew Brzezinski, conseiller de plusieurs présidents démocrates américains, affirmait que les deux principales caractéristiques de la politique internationale à notre époque étaient la multipolarité et l’implication des citoyens. Cette vision n’est cependant pas entérinée par tous les spécialistes. Selon Kissinger, conseiller des présidents américains républicains, les véritables négociations qui débouchent sur des décisions importantes et effectives se font toujours sous le sceau du secret, ce dernier étant indispensable à l’acceptation de concessions par les parties impliquées. Selon Toma et Gorman :
la nouvelle diplomatie a une forme hybride. Elle combine les négociations secrètes ou privées avec des déclarations publiques sur les résultats obtenus lors de ces négociations. Les rencontres au sommet sont un bon exemple de cette forme de diplomatie, à l’exception du fait que les négociations sont conduites par des politiciens plutôt que par des diplomates professionnels. Les conférences de presse tenues à l’issue de ces sommets sont des évènements médiatiques qui distillent une information plus adaptée à l’opinion publique que liée au véritable contenu des négociations. Selon Russett et Starr toutefois, cette forme hybride de diplomatie peut être efficace lorsque les politiciens recourent à des déclarations publiques pour annoncer les ententes conclues lors de négociations secrètes. Selon eux, Kissinger était un maître des conversations privées et du spectacle public. Il personnifiait le retour à la diplomatie traditionnelle du passé caractérisée par de durs marchandages en privé et des ententes secrètes, qui n’étaient révélées au public qu’une fois conclues, et un style de négociation qui utilisait les menaces pour amener toutes les parties à conclure une entente impliquant des concessions et des avantages pour chacune (traduction de l’auteure)29.
La stratégie
55Il n’existe aucune définition consensuelle de la stratégie et du domaine couvert par les études sur le sujet. Selon Karl von Clausewitz, la stratégie a trait à la guerre « qui est la poursuite de la politique étrangère par d’autres moyens que la diplomatie30 ». Pour Henri Pac, « la stratégie n’est pas seulement l’art d’utiliser la guerre à des fins politiques, mais l’ensemble des moyens de défense (matériels, psychologiques et politiques) qu’utilise un État pour protéger son territoire et ses habitants de toute agression étrangère31 ». Dans les faits, le champ des études stratégiques s’est beaucoup élargi depuis la fin de la guerre froide : il s’intéresse désormais non seulement aux guerres interétatiques conventionnelles et aux politiques de défense des États, mais aux guerres civiles, aux opérations de paix et de nationbuilding de la Communauté internationale, à la culture stratégique des États et aux nouvelles menaces à la sécurité telles que les réseaux criminels et terroristes, la prolifération des armes de destruction massive nucléaires, biologiques et chimiques, les flux de l’émigration légale et clandestine, les problèmes environnementaux.
La répartition de la puissance militaire
56Dans la majorité des pays, l’armée (terrestre, aérienne, navale) et le système d’armements constituent l’élément central du dispositif de défense et de rispote face aux agressions étrangères. Cependant 21 micro-États (situés principalement dans les Antilles, le Pacifique et l’océan Indien) ne possèdent aucune armée. Plusieurs autres pays d’importance, comme le Canada, la Suisse et les États scandinaves, misent sur leurs alliances militaires avec des pays amis, leur neutralité et leur politique étrangère pacifique davantage que sur leurs armées et leurs armements pour assurer la protection de leurs territoires. Les pays qui consacrent 20 % et plus de leur budget national à l’achat d’équipements militaires sont majoritairement des moyennes ou des petites puissances qui appréhendent une attaque de la part de leurs voisins (monarchies du golfe Persique, Syrie, Israël, Pakistan, Inde, Iran, Érythrée, Soudan, les deux Corées, Taïwan, etc.). Bien que quelques-uns de ces pays (Pakistan, Inde, Israël) possèdent l’arme nucléaire, leur force de frappe globale est très inférieure à celle des quelques grandes puissances atomiques (Russie, Chine, France, Royaume-Uni), dont le potentiel de destruction est lui-même très en deçà de celui des États-Unis. En effet, comme le soulignait Zgigniew Brzezinki, conseiller de plusieurs présidents américains démocrates, lors d’une conférence à Montréal le 24 avril 2010, si le système mondial actuel est multipolaire du point de vue économique, il demeure unipolaire sur le plan militaire, car la puissance militaire des États-Unis est équivalente à celle de tous les autres pays de la planète.
57Selon Paul Kennedy, la puissance militaire des États est déterminée par leurs ressources économiques et leurs investissements dans la recherche et le développement de nouvelles technologies militaires32. En vertu de cette loi, confirmée par l’histoire, le déclin relatif de l’hégémonie économique américaine devrait donc conduire dans un avenir plus ou moins proche à l’émergence d’un ordre militaire multipolaire. Cela étant dit, il n’existe pas de corrélation absolue entre le niveau de richesse d’un pays et sa puissance militaire. La moitié des pays du G-8 (Canada, Italie, Japon, Allemagne) ont un potentiel militaire de nature strictement défensive sans réel pouvoir de dissuasion. Ou ils ont choisi volontairement de limiter leurs ressources militaires (Canada, Italie), ou ils se sont vu imposer une telle limitation par les puissances victorieuses de la Deuxième Guerre mondiale (Japon, Allemagne). Par ailleurs, plusieurs NPI possèdent la bombe atomique (Inde, Israël, Pakistan) ou un programme nucléaire civil qui pourrait être utilisé à des fins militaires (notamment Cuba, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Argentine et l’Iran). Plusieurs PED disposent d’une aviation militaire et de systèmes de lancement et d’interception de missiles à plus ou moins grande portée. Divers facteurs expliquent cette situation, notamment l’existence de nombreux régimes autoritaires, l’accès facile au crédit des institutions financières durant la période 1950-1975 et les années postérieures à 1993 ; le fait qu’en dépit d’une diminution généralisée des dépenses militaires depuis 1975, les États impliqués dans des conflits internes ou internationaux, ou craignant une agression de leurs voisins, ont continué d’accorder à ces dernières une part très importante de leur budget national. Les cinq grandes puissances atomiques, membres permanents du Conseil de sécurité, sont toutefois les principales responsables de la militarisation du Sud, d’une part, parce qu’elles ont toléré ou appuyé l’accès au pouvoir de nombreux régimes autoritaires, grands consommateurs d’armements, notamment pendant la guerre froide ; d’autre part, parce qu’elles ont financé la modernisation des armées et des armements de leurs alliés du tiers-monde, pendant et après la guerre froide, dans le but de s’assurer leur soutien économique et politique et de créer des débouchés pour leurs complexes militaro-industriels. Ajoutons que, si deux des cinq grandes puissances atomiques (États-Unis et Chine) sont aujourd’hui les deux premières puissances économiques mondiales, la France et le Royaume-Uni se classant parmi les dix pays les plus riches, ce n’est pas le cas de la Russie post-soviétique dont le niveau de développement demeure très en deça de celui des PD occidentaux.
58Au cours de l’histoire, la puissance militaire a toujours été répartie très inégalement entre les États. La période 1815-1945 a été caractérisée par un système multipolaire, dans le cadre duquel la suprématie militaire était monopolisée par cinq pays : l’Autriche-Hongrie, la Prusse/Allemagne, la Russie, la France et la Grande-Bretagne (entre 1815 et 1918) ; la Russie/URSS, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis (entre 1918 et 1945). À ce système multipolaire a succédé un ordre bipolaire, entre 1945 et 1990, dominé par l’hégémonie de deux superpuissances : l’URSS et les États-Unis. Ces dernières ont cependant dû composer avec les velléités d’indépendance de deux autres puissances nucléaires : la France et la Chine (après sa rupture avec l’URSS en 1960). À la fin de la guerre froide et après le démantèlement de l’URSS (1989-1991), on a assisté à l’instauration d’un système militaire unipolaire largement dominé par les États-Unis, et à l’émergence d’un nouvel ordre économique multipolaire, caractérisé par un déclin relatif de la suprématie américaine au profit de quelques autres PD (Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni) et des puissances émergentes du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). Cet ordre multipolaire demeure toutefois inégal. En 2009, le produit intérieur brut (PIB) des États-Unis était de 14 000 milliards de dollars, alors que le PIB respectif de la Chine, de l’Allemagne et du Japon (2e, 3e et 4e puissances économiques mondiales) était de 3 000 milliards de dollars. En fait, le PIB des États-Unis était équivalent à celui de ses cinq principaux concurrents. Le taux de croissance des économies émergentes étant cependant très supérieur à celui des États-Unis, il est fort probable qu’on assiste à un affaiblissement de plus en plus marqué de la suprématie américaine. La nouvelle politique étrangère de l’administration Obama, fondée sur le multilatéralisme plutôt que l’unilatéralisme, démontre que les dirigeants américains sont très conscients de cette tendance lourde, très difficile à contrecarrer. Plusieurs sondages récents indiquent que la majorité des Américains partagent cette opinion.
Les alliances de sécurité collective
59L’inégale répartition de la puissance militaire est à l’origine des alliances de sécurité collective. Celles-ci sont des traités d’assistance mutuelle qui obligent chaque État signataire à mettre ses forces armées au service des autres États participants en cas de conflit. Les États adhèrent à ces traités afin de renforcer leurs capacités de dissuasion et leur potentiel de riposte à une agression extérieure. Parmi toutes les alliances de sécurité existantes, l’OTAN est la seule qui possède une véritable structure militaire intégrée. Si la coalition des efforts de défense des entités politiques est une pratique très ancienne, elle a pris une ampleur sans précédent au cours de la période contemporaine. En 2002, 190 États étaient membres de l’ONU, seule alliance de sécurité collective universelle, et 129 appartenaient à une ou plusieurs alliances de sécurité régionales.
TABLEAU 3.2. Pays dont les dépenses militaires sont les plus élevées (2008)
pays |
en milliards de $us |
% du total mondial |
rang |
États-Unis |
711 |
48,8 % |
1 |
Chine |
121,9 |
8,2 % |
2 |
Russie |
70,0 |
4,7 % |
3 |
Royaume-Uni |
55,4 |
3,7 % |
4 |
France |
54,0 |
3,6 % |
5 |
Japon |
41,1 |
2,7 % |
6 |
Allemagne |
37,8 |
2,5 % |
7 |
Italie |
30,6 |
2,0 % |
8 |
Arabie saoudite |
29,5 |
2,0 % |
9 |
Corée du Sud |
24,6 |
1,6 % |
10 |
Source : www.globalissues.org
GRAPHIQUE 3.1. Dépenses militaires mondiales 1988-2008

60Les alliances de sécurité collective créées depuis 1945 peuvent être subdivisées en cinq groupes. Les « alliances hégémoniques régionales », initiées et dirigées par l’une ou l’autre des deux superpuissances pendant la guerre froide, visaient à maintenir la paix et la suprématie des États-Unis ou de l’URSS dans leurs zones d’influence respectives : Europe occidentale (OTAN)33, Amérique latine (OEA)34, Amérique du Nord (NORAD), Pacifique Sud (ANZUS)35, Asie du Sud-Est (OTASE)36, Europe de l’Est (Pacte de Varsovie)37. Des petites, moyennes et grandes puissances adhérèrent à ces traités parce qu’elles estimaient que leur sécurité était sérieusement menacée par la superpuissance ennemie ou calculaient qu’elles perdraient d’importants avantages si elles refusaient de collaborer avec l’État hégémonique dont elles étaient dépendantes sur le plan économique, commercial, financier, technologique et politique. Le Conseil de sécurité de l’ONU est le seul exemple « d’alliance pluri-hégémonique universelle ». Dirigé par les cinq vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, il vise à prévenir et à solutionner les conflits internationaux dans toutes les régions du globe grâce à la coopération des Cinq Grands et à la participation des autres membres de l’ONU. Parallèlement, se sont constituées des « alliances régionales » pluri-hégémoniques (l’UEO [1955-2000]38, la PESC de l’UE [1993-]39), et non hégémoniques (l’OUA qui est devenue l’UA en 2000]40). Enfin, diverses « organisations de coopération politico-militaires » qui ne possèdent pas d’armée propre ont vu le jour : la CSCE (1975) devenue l’OSCE en 1995, la CEI, l’union entre la Géorgie, l’Ukraine, l’Ouzbékistan, l’Azerbaïdjan et la Moldavie (GUUAM) et l’Organisation de coopération de Shanghai (OSC)41. Bien que ces organisations, à l’exception du GUUAM, rassemblent une ou plusieurs grandes puissances, celles-ci n’exercent pas à l’heure actuelle un véritable leadership sur les autres membres, de telle sorte qu’elles sont non hégémoniques plutôt que pluri-hégémonique42. Précisons que la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE, établie par le tue de 1993, a conduit à la création d’une force militaire d’intervention commune de petite dimension, qui ne vise pas à concurrencer l’OTAN, à laquelle appartiennent la majorité des États membres de l’UE. Le tue est très explicite sur ce point : la force d’intervention commune est complémentaire à celle de l’OTAN.
61« La politique de l’Union… n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres ; elle respecte les obligations découlant du Traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’OTAN et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. »
62La fin de la guerre froide a profondément modifié le système des alliances de sécurité collective. Le pacte de Varsovie, l’UEO, l’OTASE et l’ANZUS ont été dissoutes. Dix des quinze États qui ont adhéré à l’UE après 1990 sont devenus membres de l’OTAN, et la Grèce, l’Espagne et la France ont adhéré à la structure militaire intégrée de l’organisation. Celle-ci est donc devenue la principale alliance stratégique en Europe. Ni la PESC ni l’ONU n’ont été en mesure de mettre fin aux conflits sanglants en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo durant les années 1990. Ce sont les bombardements de l’OTAN contre la Serbie (en 1995 et 1999) et l’occupation de ces territoires par des contingents de l’OTAN, assistés par la force d’intervention de l’UE, qui ont permis de mettre fin à ces derniers. En réalité, à la fin de la guerre froide, l’OTAN, sous le leadership des États-Unis, est devenue une alliance stratégique plus importante que le Conseil de sécurité de l’ONU. Plusieurs faits en témoignent. Les bombardements de 1995 contre la Serbie ont été réalisés sans l’aval préalable du Conseil de sécurité, et ceux de 1999 n’ont jamais reçu l’autorisation de ce dernier, compte tenu de l’opposition de la Russie et de la Chine. Lors du sommet de l’OTAN de 2002, un an après l’agression de Al-Qaida contre le World Trade Center à New York, le président Bush a obtenu que l’OTAN s’implique dans la lutte mondiale contre le terrorisme, en participant à la guerre contre les talibans en Afghanistan. La Russie n’a pas réussi à faire de la CEI une alliance stratégique concurrente de l’OTAN. Elle n’a pu empêcher celle-ci d’intégrer tous les anciens pays communistes de l’Europe centrale et trois républiques de l’ex-URSS : la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie (voir tableau 3.3). En 1997, a été créé le Comité permanent conjoint OTAN-Russie, remplacé en 2002 par le Conseil OTAN-Russie43. Quant aux autres républiques de l’ex-URSS, elles ont signé des « partenariats pour la paix » avec l’OTAN.
63Depuis 1990, les relations OTAN-Russie ont connu des hauts et des bas. Bien que la Russie soutenait la Serbie, elle a à contrecœur accepté les bombardements de l’OTAN contre ce pays en 1995. Elle s’est toutefois opposée aux frappes de 1999 et à l’indépendance du Kosovo en 2008. Elle a contesté avec véhémence tant les projets d’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN que l’installation de dispositifs antimissiles américains en Pologne et dans la République tchèque, soi-disant destinés à contrer une attaque nucléaire de l’Iran. Ces conflits, dus à la volonté de la Russie de maintenir son influence sur l’ex-espace soviétique et au désir de l’administration Bush fils de contrer cette ambition, se sont atténués depuis l’accession à la présidence de la Russie et des États-Unis de Dmitri Medvedev et de Barak Obama. Le second a renoncé à l’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN, tout en acceptant la présence des troupes militaires russes dans les régions sécessionnistes de la Géorgie (Ossétie du Sud et Abkhazie). Il a également déplacé le dispositif antimissiles de la République tchèque vers la Roumanie, dans un but d’apaisement envers Moscou. En contrepartie, Medvedev a accepté de conclure un nouvel accord START de réduction des armements stratégiques. À la suite du coup d’État intervenu au Kirghizistan en avril 2010, il a fait pression sur les nouveaux dirigeants afin qu’ils maintiennent en place la base militaire américaine essentielle à leur intervention en Afghanistan. Il s’est rallié à la volonté des États-Unis d’imposer certaines sanctions à l’Iran, afin de l’empêcher de se doter de l’arme nucléaire.
64La période de l’après guerre froide a été marquée par un déclin de l’influence de l’ONU en matière de maintien de la paix. Le premier facteur de ce déclin est l’avènement d’un ordre unipolaire militaire dirigé par les États-Unis. Afin de contrer l’opposition des membres permanents et non permanents du Conseil de sécurité à leur politique, les États-Unis se sont tournés vers l’OTAN ou ont agi de manière unilatérale, comme lors de l’invasion de l’Irak en 2003. Le second facteur est l’incapacité de l’ONU à assumer seule les multiples opérations de pacification et de reconstruction exigées par la prolifération des guerres civiles (voir infra). Désormais, ces opérations sont largement prises en charge par des coalitions multilatérales dirigées par un État membre (ex. les interventions en Somalie [1992] et en Haïti [1994, 2010] dirigées par les États-Unis et l’intervention au Timor oriental [1999] supervisée par l’Australie) ou par des organisations régionales telles l’OTAN, l’UE, l’UA et l’OEA. Les Casques bleus et divers autres organismes de l’ONU sont souvent associés à ces opérations, mais ils n’en sont pas les principaux maîtres d’œuvre44.
TABLEAU 3.3. États membres de l’Union européenne et de l’OTAN en 2010

65Si la période de l’après-guerre froide est caractérisée par l’hégémonie militaire des États-Unis, celle-ci est contestée de diverses façons par de nombreux pays. La Russie et la Chine tentent de construire des contrepoids à cette hégémonie (CEI, Groupe de Shanghai) sans l’avouer ouvertement et sans grand succès jusqu’à maintenant. L’une et l’autre s’opposent fréquemment aux projets de résolution des États-Unis au Conseil de sécurité. Cependant, alors que les administrations Clinton et Bush ont contourné cette opposition en agissant de manière unilatérale (en Bosnie, au Kosovo, en Irak), l’administration Obama essaie de négocier des compromis avec ces dernières. Par exemple, en 2010, afin d’obtenir l’appui de la Russie et de la Chine à des sanctions contre l’Iran (soupçonnée par Washington de vouloir se doter de l’arme nucléaire en dépit de son adhésion au Traité de non-prolifération des armes nucléaires [TNP]), les États-Unis ont renoncé à toute frappe militaire contre ce pays et affirmé leur intention de résoudre ce contentieux par la négociation. Par ailleurs, la plupart des États membres de l’OTAN sont toujours demeurés récalcitrants à une intervention militaire en Afghanistan. Malgré les pressions des États-Unis, leur implication est demeurée limitée, confinée à des régions éloignées des attaques des talibans ou centrée sur des missions non directement militaires. Seuls quelques pays, dont le Canada, le Royaume-Uni et la France, se sont réellement impliqués dans des opérations de combat, mais pour une durée limitée. Le Canada et le Royaume-Uni, par exemple, se sont engagés à retirer leurs troupes en 2011.
Bilan et causes des guerres interétatiques
66Une guerre intertétatique est un conflit qui implique des affrontements majeurs entre les armées nationales de deux ou plusieurs États dont la souveraineté est reconnue par le droit international. Depuis 1945, il n’y a pas eu de guerres entre les États de l’Amérique du Nord, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud. La guerre entre l’Argentine et le Royaume-Uni au sujet des îles Malouines ou Falkland (1982) est l’unique conflit interétatique dans lequel un État des Amériques a été impliqué depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les seules guerres entre États européens sont celles qui ont opposé deux des nouvelles républiques indépendantes de l’ex-Yougoslavie (Croatie et Bosnie-Herzégovine) à la Serbie en 1990 et 1995. En Afrique, aucune guerre interétatique n’a eu lieu depuis 1945, à l’exception du conflit frontalier d’envergure limitée entre l’Éthiopie et l’Érythrée (1998-2000). Toutefois, comme nous le verrons plus loin, plusieurs pays se sont impliqués indirectement dans les nombreuses guerres civiles qui ont déchiré le continent, en soutenant tels ou tels groupes de belligérants. L’Asie est la seule région où il y a eu plusieurs conflits interétatiques : guerre de Corée (1951-1953) ; crise du canal de Suez (1956) ; guerre entre la Chine et l’Inde à la suite de l’occupation du Tibet par la Chine (1959) ; guerre entre le Vietnam du Nord et les États-Unis (1963-1972) ; guerre entre Israël, la Syrie et la Jordanie (1967) ; guerre entre Israël et l’Égypte (1973) ; guerre entre le Vietnam et le Cambodge (1979) ; guerres entre Israël et le Liban (1975-1990, 2007) ; guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-1988) ; affrontements périodiques entre l’Inde et le Pakistan ; guerre du Golfe de 1991 entre l’Irak, le Koweit et une coalition multilatérale dirigée par les États-Unis ; guerre entre les États-Unis, les autres membres de l’OTAN et l’Afghanistan (2001) ; guerre entre les États-Unis et l’Irak (2003-2005). Plusieurs théories des relations internationales permettent d’expliquer cette répartition inégale des guerres interétatiques au cours de la période postérieure à 1945.
67Selon la théorie néoréaliste de la stabilité hégémonique, les alliances de sécurité collective sont des instruments efficaces de maintien de la paix, à la condition qu’elles soient dirigées par une seule grande puissance qui force les autres États membres à coopérer par des promesses d’avances ou des menaces de sanctions. Lorsque ces alliances sont dominées par deux ou plusieurs grandes puissances ou qu’elles sont composées de puissances d’égale force aux intérêts divergents, la coopération en matière de maintien de la paix est très difficile, sinon impossible. La théorie est confirmée par l’absence de guerre entre les États membres des alliances hégémoniques créées après 1945 (Pacte de Varsovie, OTAN, OEA, NORAD, OTASE, ANZUS), l’incapacité de l’UE (alliance plurihégémonique) à résoudre les guerres dans les Balkans et la concentration des guerres interétatiques dans les régions d’Asie où il n’existait aucune véritable alliance de sécurité hégémonique.
68La théorie néolibérale fournit une autre explication pertinente. Selon cette dernière, plus le niveau d’interdépendance et d’intégration, notamment économique, des États est approfondi, plus ces derniers ont intérêt à résoudre leurs différends par la négociation de compromis. Les liens très étroits entre les économies du CAEM, la relance des échanges Est-Ouest, dans les années 1970 et 1980, les progrès de l’intégration européenne et le développement très important des relations économiques entre l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et l’Amérique latine, dans le cadre de la multinationalisation des grandes entreprises industrielles, commerciales et bancaires, ont certainement contribué au maintien de la paix dans ces régions. En Asie par contre, les progrès du développement économique ont été beaucoup plus lents et inégaux et aucun processus d’intégration n’a vu le jour, sauf en Asie du Sud-Est, où il n’y a pas eu de guerre.
69Plusieurs auteurs réalistes et néoréalistes attribuent la paix post-1945 à la dissuasion nucléaire et à l’existence d’un système bipolaire. La possession de l’arme atomique par l’URSS, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni a très certainement contribué à réduire fortement les risques d’affrontement entre les principales puissances de l’époque, comme le démontre la résolution pacifique de la crise des missiles à Cuba en 1962. Mais la dissuasion nucléaire n’a pas joué en Asie ; premièrement, parce que l’URSS et la Russie post-communiste ont toujours écarté une riposte nucléaire contre les États-Unis et leurs alliés dans cette région ; deuxièmement, parce que la Chine et l’Inde ne disposaient pas durant les années 1950 et 1960 d’une force nucléaire capable d’empêcher le conflit sino-indien ou de dissuader les puissances atomiques occidentales d’intervenir en Corée et au Vietnam ; troisièmement parce qu’Israël était la seule puissance atomique au Moyen-Orient.
70Les explications ci-dessus ne rendent pas compte des causes immédiates des guerres interétatiques en Asie extrême-orientale, centrale et orientale après 1945 : la volonté des États-Unis d’empêcher une expansion du communisme (Corée, Vietnam) ; le désir de certains États d’étendre leurs possessions territoriales pour des raisons stratégiques et/ou économiques (guerres sino-indiennes et guerres au Moyen-Orient) ; la riposte à une agression réelle ou appréhendée, qui a justifié les interventions des États-Unis en Afghanistan et en Irak et plusieurs attaques d’Israël contre ses voisins. Elles mettent uniquement en lumière les conditions qui auraient pu empêcher ces conflits si elles avaient existé : la présence d’alliances de sécurité hégémoniques ; les progrès de l’interdépendance et de l’intégration économique ; l’existence de réels contrepoids à la puissance nucléaire des États-Unis et d’Israël.
Les guerres civiles
71Si la période postérieure à 1945 a été caractérisée par la quasi-disparition des guerres interétatiques dans toutes les régions du globe à l’exception de l’Asie, elle a été le théâtre d’une augmentation des guerres civiles partout sauf en Amérique du Nord. Le nombre des guerres civiles a cependant été beaucoup plus important en Asie et en Afrique qu’en Amérique du Sud, en Océanie et en Europe. La seule définition consensuelle des guerres civiles est qu’elle n’implique pas d’affrontements directs entre les armées nationales d’États souverains. Si tous les auteurs admettent qu’il existe plusieurs types de guerres civiles, aucune classification ne fait l’unanimité. Dans le cadre de cet ouvrage, nous nous référons à celle de Jean-Pierre Derriennic45 qui est basée sur deux critères : la nature des acteurs impliqués et les buts qu’ils poursuivent.
72La guerre révolutionnaire est une insurrection armée menée par un parti ou une organisation, avec l’appui d’une proportion plus ou moins importante de la population, dont l’objectif est la prise du pouvoir et la transformation radicale du système politique et économique (ex. : la lutte du Parti communiste chinois contre le Parti nationaliste de Chiang Kaishek [1945-1949] ; la révolution islamiste de 1979 en Iran). Une guerre de décolonisation est une lutte armée que mène un parti ou une organisation, avec l’appui de la population, contre une administration coloniale ou néocoloniale, ou une force d’occupation étrangère, dans le but de réaliser l’indépendance du pays. On peut inclure dans cette définition les mouvements de résistance contre les troupes d’occupation allemandes et japonaises durant la Deuxième Guerre mondiale ; les soulèvements contre les administrations coloniales française, britannique, belge, hollandaise, portugaise et américaine en Asie et en Afrique ; les luttes contre l’intervention des États-Unis au Vietnam, et de l’URSS en Afghanistan. La ligne de démarcation entre les guerres révolutionnaires et les guerres de décolonisation n’est pas toujours simple à tracer, car plusieurs de ces dernières ont été dirigées par des organisations communistes et ont conduit à l’instauration d’États indépendants socialistes plus ou moins durables (ex. : Chine, Corée du Nord, Algérie, Vietnam, Laos, Cuba).
73La guerre de sécession diffère d’une guerre de décolonisation dans la mesure où elle est menée par un groupe ethnique minoritaire qui vise à obtenir l’indépendance d’un territoire (province, république, région) qui est partie intégrante d’un État souverain. Exemples : les guerres de sécession entre l’Érythrée et l’Éthiopie, le Biafra et le Nigeria, la Tchétchénie et la Russie, l’Ossétie du Sud, l’Abkahzie et la Géorgie, le Timor oriental et l’Indonésie. Les sécessions ne sont pas toujours caractérisées par des affrontements armés (ex. le retrait de la Slovaquie de la Tchécoslovaquie en 1992), mais elles peuvent conduire à des guerres interétatiques entre les nouveaux États indépendants et l’État dont ils étaient partie intégrante auparavant (ex. le conflit armée qui a opposé la Croatie et la République fédérale de Yougoslavie en 1991).
74Les guerres identitaires sont des heurts violents entre deux ou plusieurs factions de la population d’un État qui sont motivés par des animosités raciales, ethniques, religieuses, linguistiques, socioéconomique et politiques. La ou les factions à l’origine de ces guerres, souvent liées au pouvoir politique, cherchent à réprimer, affaiblir, chasser ou éliminer physiquement (nettoyage ethnique, génocide) une ou d’autres factions dont les caractéristiques identitaires sont différentes des leurs, pour des raisons purement racistes, souvent alimentées par des calculs d’intérêt économiques et politiques.
75 Les stratégies des guerres interétatiques et civiles. On ne peut différencier les types de guerres en tenant compte de leurs méthodes de combat puisque aucune n’est exclusive à un seul type de conflit. Il est vrai néanmoins que les conflits internationaux sont dans la plupart des cas des guerres conventionnelles, alors que les conflits internes sont principalement basés sur la guérilla, les guerres de milices et le terrorisme. Compte tenu qu’elle est plus coûteuse, la guerre conventionnelle est surtout utilisée par les entités qui sont les plus puissantes sur le plan économique, technologique et militaire, donc les gouvernements des États, alors que les acteurs non gouvernementaux, qui disposent de ressources plus réduites, ont recours à des tactiques de lutte qui ne requièrent pas d’équipements militaires sophistiqués. Cela étant dit, les États se servent assez fréquemment de la guérilla, des guerres de milices ou du terrorisme pour combattre leurs ennemis extérieurs et intérieurs. De leur côté, les mouvements révolutionnaires et de libération nationale, les forces sécessionnistes et les belligérants des guerres identitaires font parfois appel à des armées régulières et à des armements conventionnels pour défendre leurs causes.
76La guerre conventionnelle implique des combats directs et prolongés entre les armées terrestres, aériennes et maritimes régulières des États, soutenues par des armements conventionnels (fusils, chars d’assaut, missiles, avions d’espionnage ou de chasse, bombardiers, porte-avions, sous-marins, etc.) et non conventionnels (mines antipersonnel, bombes au napalm ou à fragmentation entre autres). La guerre nucléaire est demeurée un concept théorique plutôt qu’une réalité puisque, depuis le lancement des bombes atomiques sur les villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki par les États-Unis en 1945, cette arme de destruction massive est demeurée fort heureusement un moyen de dissuasion. Si certains États ont eu recours à des armes chimiques extrêmement nocives, comme le gaz moutarde et le napalm, aucune guerre chimique et bactériologique d’envergure ne s’est produite. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (1968), les Traités interdisant les essais d’armes nucléaires (1963 et 1996), les Conventions prohibant la production et le stockage d’armes chimiques (1997) et biologiques (1972) ont sans aucun doute contribué à empêcher de telles guerres non conventionnelles46.
77La guérilla, qui a été la stratégie de lutte privilégiée des guerres de décolonisation du XXe siècle, « est une méthode de combat fondée sur la mobilité et le harcèlement qui permet à une armée (ou à des forces militaires non régulières) de porter des coups à une armée plus puissante sans donner à celle-ci l’occasion d’une victoire décisive ». Elle est « la stratégie qu’utilisent le plus souvent les populations qui ont des structures politiques rudimentaires, et celle qu’adoptent spontanément les armées qui s’organisent de manière plus ou moins improvisée dans beaucoup de situations de guerre civile ». « Très souvent, les guérilléros entreprennent et dirigent une lutte armée à partir des régions les plus reculées du pays en s’appuyant sur les moins évolués de ses habitants et en recrutant parmi eux un grand nombre de leurs combattants. » « Une armée de guérilla parvient à résister à des forces plus puissantes grâce à la mobilité et à la dispersion, qui lui permettent de refuser le combat chaque fois qu’elle risque l’anéantissement. Elle ne peut donc exercer un contrôle permanent sur un territoire délimité, mais elle ne peut pas non plus se passer de bases territoriales. » « La guérilla permet d’atteindre la victoire dans les situations où pour gagner il suffit de ne pas perdre47. »
78Les guerres de milices sont menées par des armées privées recrutées sur une base identitaire ou partisane et rattachées à un clan tribal, à un groupe religieux, à une famille, à la clientèle d’un homme politique. Alors que la guérilla vise à combattre une armée nationale plus puissante sur le plan militaire, les milices ne peuvent agir que si l’armée nationale est faible ou inexistante48. On pourrait ajouter que l’adhésion à un mouvement de guérilla est souvent motivée par le soutien à une idéologie ou à un programme politique alors que les milices sont généralement constituées de mercenaires qui se battent pour de l’argent. En raison de ces caractéristiques, les milices sont incapables de mener par elles-mêmes une lutte de libération nationale destinée à affranchir toute une population du joug de l’oppression étrangère et coloniale49. Par contre, elles peuvent être utilisées pour encourager la sécession d’une ethnie, mener des guerres identitaires ou défendre les intérêts d’un groupe ethnique, religieux ou politique dans un conflit international, lorsque l’armée de l’État où se déroule la guerre est faible ou inexistante. Les exemples les plus typiques de ces différentes situations sont la Bosnie-Herzégovine (1992-1995), la Somalie (depuis 1991) et le Liban (1975-1991).
79Le terrorisme est « toute action violente qui tente de vaincre son ennemi, non en visant ses moyens d’action pour les neutraliser ou les détruire, mais en tentant de produire un effet de terreur qui agit directement sur sa volonté de poursuivre la lutte ». Contrairement à la stratégie de guerre classique, définie notamment par Clausewitz, et dans le cadre de laquelle un but politique ne peut être atteint qu’en surmontant l’opposition d’un adversaire, la stratégie terroriste cherche à éviter « l’action longue, fatigante et incertaine qui est nécessaire pour détruire ou neutraliser les forces armées de l’ennemi » en plaçant ce dernier dans une situation de démoralisation qui le contraindra à capituler50. Parce qu’elles visent à semer la terreur, les actions terroristes sont nécessairement d’une très grande violence : assassinats sélectifs ou collectifs, enlèvements et séquestration, tortures, viols, destruction de biens (cultures, immeubles, aéronefs, navires, etc.). Dans certains cas, elles ciblent uniquement les forces politiques d’un État ennemi (militaires, diplomates, élus, policiers) ; dans d’autres, elles prennent également ou uniquement pour cibles des civils. Le terrorisme, ainsi défini, est une caractéristique des divers types de guerres civiles et des conflits internationaux. Les belligérants des conflits identitaires violents sont essentiellement des terroristes. Les guerres de milices ne sont pas uniquement fondées sur le terrorisme, puisqu’elles comportent des affrontements avec les forces armées de l’ennemi, mais elles y ont souvent recours. Plusieurs guerres de sécession, par exemple celle des Tigres de l’Elam tamoul au Sri Lanka ou celle de l’ETA en Espagne, sont exclusivement fondées sur une stratégie terroriste. Dans les guerres de décolonisation, les mouvements de libération et les États qui étaient leurs adversaires ont commis des actes terroristes (ex. : les bombardements au napalm des populations civiles par l’aviation américaine au Vietnam ; les arrestations et tortures de civils par le Front de libération national et l’armée française lors de la guerre d’Algérie). Dans une guerre interétatique, certaines actions ont un caractère terroriste.
Ce fut presque certainement le cas d’une part importante des bombardements aériens effectués contre des populations civiles pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ils n’avaient que peu d’influence sur la puissance militaire de l’ennemi, mais ils étaient supposés le faire capituler en brisant son « moral », et sans avoir à détruire préalablement ses forces armées51.
80Les définitions du terrorisme que proposent divers spécialistes ne sont pas reconnues par la communauté internationale. Depuis 1972, date où a eu lieu le premier débat sur cette question à l’Assemblée générale de l’ONU, les États membres ne sont jamais parvenus à s’entendre sur une définition du terrorisme et à adopter des mesures précises de lutte contre celui-ci. Bien que la très grande majorité des États aient condamné les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York, et le Pentagone à Washington, et que plusieurs aient adhéré à la coalition internationale contre le terrorisme formée subséquemment par les États-Unis, les divergences sur cette question ont persisté au sein de l’ONU. Aucune formulation ne fait consensus, le principal obstacle demeurant la distinction entre un groupe terroriste et un mouvement de libération. Par exemple, le Hezbollah, considéré comme une organisation de libération nationale par les gouvernements iranien, syrien et libanais, est qualifié de groupe terroriste par Israël, le Canada et les États-Unis. Le Hamas est accusé de terrorisme par Tel-Aviv et Washington, mais perçu comme une organisation nationaliste par plusieurs factions de l’Organisation de libération de la Palestine et la Turquie. Faute de consensus sur ce qu’est le terrorisme, ce dernier n’a pu être inclus dans les crimes jugés par la CPI.
81 Les causes des guerres civiles. Les guerres civiles postérieures à 1945, comme nous l’avons vu, ont été déterminées par trois objectifs : l’instauration d’un système économique, politique et éventuellement religieux radicalement différent du précédent ; la conquête de l’indépendance par une colonie ou une minorité nationale ; les conflits entre groupes identitaires. L’augmentation de ces conflits, principalement en Afrique et en Asie, est largement due aux conséquences de la Deuxième Guerre mondiale : l’affaiblissement des anciennes grandes puissances européennes, l’accession de l’URSS au rang de superpuissance et la prise du pouvoir par les communistes en Chine. Ces changements ont encouragé les forces nationalistes des colonies européennes, souvent dirigées par les partis communistes, à s’engager dans des luttes de libération nationale, dont certaines avaient un caractère révolutionnaire. Plusieurs guerres identitaires subséquentes aux indépendances africaines sont liées au fait que les frontières des nouveaux États souverains, établies par les anciennes puissances coloniales, ne respectaient pas les pourtours géographiques des lieux d’établissement des tribus, entités fondamentales des sociétés africaines. La création de l’État d’Israël par l’ONU en 1948, et le soutien des États-Unis et de leurs alliés occidentaux aux violations répétées de cet accord par Tel Aviv, à partir de 1949, explique par ailleurs les nombreuses guerres entre Israël et les pays arabes voisins durant les années ultérieures. Dans l’ensemble, la guerre froide a contribué à alimenter le nombre, la durée et l’intensité des guerres civiles, en encourageant l’URSS, la Chine, les États-Unis et leurs alliés occidentaux à intervenir indirectement dans ces conflits par le biais d’un soutien logistique, militaire et financier à l’un ou l’autre des belligérants. Ces interventions étaient motivées par les rivalités non seulement idéologiques et politiques, mais économiques et commerciales des pays communistes et capitalistes.
82La fin de la guerre froide n’a pas endigué le fléau des guerres civiles, bien que le nombre de ces dernières ait diminué depuis 1990. La réconciliation entre l’URSS et les États-Unis a permis de mettre fin à des guerres de décolonisation en Afrique (Mozambique, Namibie, Angola, Érythrée) et à des guérillas révolutionnaires en Amérique latine (Salvador, Nicaragua, Guatemala). Par contre, le démantèlement de l’URSS et l’accession de ses ex-républiques à l’indépendance, ont suscité des mouvements sécessionnistes dans le Caucase. Au sein de la Fédération socialiste de Yougoslavie, la crise du régime communiste, auparavant fondé sur la coopération des diverses républiques, a conduit au renforcement du contrôle de la République de Serbie, nationaliste et autoritaire, sur les institutions centrales du pays. Cette situation a provoqué la sécession de toutes les républiques de la Fédération et de la province serbe du Kosovo. Ces sécessions ont donné lieu à une guerre interétatique, doublée d’un conflit identitaire, entre la Croatie et la Serbie, et à des guerres civiles identitaires en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine et au Kosovo. La décision de la Chine de réduire ou de cesser son aide à divers mouvements de guérilla révolutionnaires de l’Asie du Sud-Est, après sa conversion au capitalisme en 1980, a affaibli plusieurs d’entre eux. Elle a contribué à mettre fin au conflit sanglant entre les Khmers rouges et leurs opposants au Cambodge, et au conflit entre les maoïstes et les partisans de la monarchie au Bhoutan. Son appui à la dictature militaire birmane a cependant favorisé la poursuite des guérillas dans le nord du pays. En Indonésie, si les conflits qui opposaient le Timor oriental et Aceh au gouvernement de Djakarta ont été résolus, à la suite de la démocratisation du régime (1998-2004), des mouvements sécessionnistes persistent en Irian Jaya et dans les îles Moluques, tandis que l’île de Bornéo est sporadiquement le théâtre d’affrontements identitaires entre chrétiens et musulmans. Aux Philippines, la lutte armée du Parti communiste et de divers groupes musulmans, en faveur notamment d’une réforme agraire, se poursuit dans l’île de Mindano et de l’archipel de Sulu. En Afrique, la période postérieure à 1990 a été marquée par de nombreuses guerres civiles, alimentées par des intérêts économiques et politiques et par des tensions identaires : Tchad, Somalie, Soudan, Sierra Leone, Rwanda, Burundi, République démocratique du Congo, Nigeria, Côte d’Ivoire, Algérie, entre autres ; des guerres civiles parfois très violentes. À l’inverse, en Amérique latine, les guérillas révolutionnaires ont pratiquement disparu, sauf en Colombie où le mouvement des Forces armées révolutionnaires de Colombie, quoique affaibli, poursuit son combat contre les forces gouvernementales et militaires du pays.
83 La résolution des guerres civiles. La condition la plus essentielle à la résolution des guerres civiles est, comme dans le cas des guerres interétatiques, la négociation d’accords de paix entre les belligérants. Cette condition est toutefois difficile à réaliser lorsque l’État est faible ou pratiquement inexistant et/ou que le régime politique est autoritaire. La Communauté internationale peut contribuer à la conclusion de tels accords de paix si les puissances étrangères les plus concernées coopèrent entre elles, au lieu de soutenir indirectement l’une ou l’autre des parties en conflit. L’absence d’alliance de sécurité hégémonique dans les trois régions où sont concentrées les guerres civiles (Moyen-Orient, Afrique, Asie du Sud-Est) est une entrave à leur règlement. L’ONU a les moyens de mettre fin à une guerre civile, comme ce fut le cas dans plusieurs pays, si les cinq membres permanents du Conseil de sécurité s’entendent entre eux, qu’ils confient à une mission de Casques bleus un mandat clair et approprié, et qu’ils mobilisent les ressources militaires, logistiques et financières indispensables au succès de cette dernière. Sur le long terme, l’élimination des guerres civiles est liée au progrès du développement et de l’intégration économique, ainsi qu’à la consolidation et à la démocratisation des États, deux conditions dont la réalisation a permis la disparition des guerres interétatiques dans les Amériques, en Europe et en Asie de l’Est52. Selon Pascal Boniface, si la démocratie est une condition importante du maintien de la paix, entre et au sein des États, « c’est néanmoins la richesse qui a l’effet le plus puissant sur les velléités guerrières ». Brzezinski a pu écrire que la guerre est devenue le luxe des pays pauvres. Tant que le monde sera inégal économiquement, que chaque communauté n’estimera pas qu’elle est traitée avec justice, les risques de guerre perdureront53.
Les autres menaces à la sécurité des États
84La sécurité des États n’est pas uniquement liée à l’absence de guerres interétatiques et civiles. Plusieurs autres phénomènes peuvent mettre en péril le fonctionnement normal de leurs institutions, le bien-être et la vie de leurs citoyens, notamment : les cyberattaques contre les systèmes informatiques et de télécommunications ; les épidémies de virus ; la prolifération des armes nucléaires, chimiques et bactériologiques de destruction massive ; la destruction de l’environnement et les catastrophes naturelles ; les actes terroristes ; les trafics illégaux (d’armes, de drogues, de prostitués, d’immigrants, d’organes humains, etc.). Pour prévenir et combattre ces dangers, les États ne peuvent se fier uniquement à leur dispositif de défense traditionnel : armées, armements et alliances de sécurité collective. Ils doivent faire appel à d’autres ressources de leur arsenal stratégique (policiers, forces de défense civile, services de renseignement et de communication, organismes de détection et de prévention des désastres naturels, etc.) et, surtout, resserrer leur coopération au sein des diverses OI. Cette question étant très complexe, nous nous contenterons ici d’analyser sommairement les causes, la gravité et les moyens qui ont été ou devraient être mis place pour conjurer quelques-unes de ces menaces.
85 Cyberattaques et pandémies. Le développement fulgurant des télécommunications a sans aucun doute augmenté les risques de cyberattaques contre les satellites de communication et les systèmes informatiques nationaux dont dépendent désormais les services financiers, les transports publics, les hôpitaux et une infinité d’autres activités. Cependant, cette crainte ne s’est pas matérialisée jusqu’à maintenant. Les cyberattaques, lancées par de jeunes hackers, principalement aux États-Unis, ont eu une envergure limitée, et ont été rapidement maîtrisées par les organismes publics, pour lesquels travaillent des spécialistes de l’informatique au moins aussi brillants que les pirates informatiques.
86La croissance exponentielle des déplacements, notamment par avion, est due à la conjugaison de plusieurs facteurs : la multiplication des compagnies aériennes à prix modiques ; la libéralisation des échanges de biens et de services, qui a fortement fait augmenter les voyages d’affaires ; l’ouverture des frontières des anciens pays communistes et autoritaires ; l’augmentation des classes moyennes dans les pays émergents très peuplés, comme l’Inde et la Chine ; la hausse des quotas d’immigration dans les PD, en raison de leur déclin démographique, et l’existence dans ces derniers de vastes diasporas désireuses de rester en contact avec leurs pays d’origine. L’accroissement des déplacements de population a accru les risques de propagation de virus. Mais comme l’ont démontré les conséquences somme toute mitigées des crises de la « grippe aviaire », de la « vache folle », du « SRAS » et de la « grippe H1N1 » durant les années 2000, lors desquelles le nombre de morts a été très largement inférieur à celui des épidémies du début du XXe siècle, les États sont beaucoup mieux outillés que par le passé pour gérer ces pandémies, en dépit de la mobilité beaucoup plus grande des citoyens. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), à laquelle on reproche souvent avec raison son alarmisme, a néanmoins contribué à réduire fortement les conséquences de la propagation des virus, en convainquant les États membres d’adopter des mesures de prévention et de vaccination et en se fondant sur l’idée que les coûts de la prévention sont toujours moins élevés que ceux que pourrait entraîner un nombre élevé de décès, sur le plan humain et économique.
87 La prolifération des armes de destruction massive. La prolifération de l’arme nucléaire est-elle une menace à la sécurité des États ? Plusieurs auteurs le pensent, mais d’autres, comme Hedley Bull54, considèrent que cette dernière a été encouragée par les cinq puissances atomiques permanentes du Conseil de sécurité, désireuses d’accroître le pouvoir de dissuasion de leurs principaux alliés. Selon lui, cette prolifération ne représente pas une menace importante, car aucun État ne peut utliser sa puissance nucléaire sans faire face à une riposte qui le détruirait. En réalité, neuf pays possèdent un arsenal nucléaire, soit les États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni, la Chine, l’Inde, le Pakistan, lsraël et la Corée du Nord. Les cinq premiers ont signé le Traité de non-prolifération (TNP), qui implique une inspection régulière de leurs installations par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de l’ONU, et ont renoncé aux essais nucléaires entre 1960 et 1964. La France a toutefois réalisé 46 essais nucléaires atmosphériques en Polynésie entre 1966 et 1974, et procédé comme la Chine à des test d’armes à fusion au-delà de 1964. L’Inde, le Pakistan et lsraël n’ont pas adhéré au TNP et ont continué de procéder à des essais nucléaires. La Corée du Nord s’est dotée de l’arme nucléaire après avoir ratifié le TNP. Selon Zbigniew Brzezinski, le potentiel de destruction de ces quatre pays est toutefois largement inférieur à celui des Cinq Grands55. Le TNP, qui permet aux États signataires d’acquérir une technologie nucléaire civile, à la condition de se soumettre aux contrôles de l’aie, n’est pas une garantie absolue contre la fabrication d’armes nucléaires. Plusieurs pays signataires du TNP ont envisagé d’utiliser leur expertise nucléaire civile pour se doter de l’arme atomique (Afrique du Sud, Argentine, Biélorussie, Ukraine, Kazakhstan, Suède, Brésil), mais y ont renoncé. D’autres, comme l’Iran, l’Arabie saoudite, l’Algérie et le Maroc, sont toujours soupçonnés d’entretenir une telle ambition. En conclusion, on retiendra que l’existence de l’AIE et les différentes ententes internationales visant à interdire les essais nucléaires et à réduire l’arsenal nucléaire global (voir tableau 3.4) ont limité mais non éliminé l’ambition de plusieurs États d’acquérir ce qui constitue le principal moyen militaire de dissuasion contre les agressions étrangères. Ce constat accrédite partiellement la vision réaliste pessimiste des relations internationales56.
88La menace des armes de destruction chimiques et bactériologiques (substances toxiques et gènes pathogènes pouvant causer la maladie ou la mort des êtres humains, tout en ayant des effets destructeurs sur l’environnement) a été utilisée par l’administration Bush pour justifier son intervention militaire en Irak en 2003. Aucune arme de ce type n’a été découverte après l’invasion. Plusieurs pays sont cependant soupçonnés de fabriquer et de stocker de telles armes, sans qu’aucune information publique fiable ne permette de le prouver. Cette menace est cependant très réelle. En 1992, le président Boris Eltsine a avoué que l’URSS avait développé un important programme de développement de ces armes au cours des vingt années précédentes. Les États-Unis ont poursuivi des recherches en ce sens jusqu’en 1968. Plusieurs ententes internationales ont été conclues afin de contrer cette menace : la Convention sur l’interdiction des armes biologiques de 1975 ; la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) de 1993, qui renforce le protocole de Genève de 1925, et crée l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) qui a le pouvoir de vérifier l’application de la CIAC par les États signataires. En 1993, le régime de contrôle de la technologie des missiles balistiques adopté en 1987 a été étendu aux missiles porteurs d’armes biologiques et chimiques ; en 1997, les États ont signé et ratifié la Convention sur l’interdiction des armes chimiques. En 2008, seuls dix pays n’avaient pas ratifié cette dernière : l’Angola, les Bahamas, la Birmanie, la Corée du Nord, l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, la République dominicaine, la Somalie, la Syrie57.
TABLEAU 3.4. Traités d’interdiction des essais nucléaires
nom |
signataires |
objectifs |
Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires 1963 |
États-Unis, URSS, Royaume-Uni |
Interdiction des essais atmosphériques, extra atmosphériques et sous-marins |
Traité sur la limitation des essais nucléaires souterrains 1974 |
États-Unis, URSS |
Interdiction des essais souterrains d’armes nucléaires dont la puissance est supérieure à 150 kilotonnes |
Traité sur les explosions nucléaires à des fins pacifiques 1976 |
États-Unis, URSS |
Interdiction des explosions nucléaires supérieures à 150 kilotonnes et multiples à 1,5 mégatonnes |
Traité d’interdiction complète des essais nucléaires 1996 |
44 pays dont 9 ne l’avaient pas ratifié en 2008 (notamment la Chine, les États-Unis, l’Inde, Israël, le Pakistan et la Corée du Nord) |
Interdiction de toute explosion expérimentale ou non d’arme nucléaire et engagement à ne pas encourager ou participer à de telles explosions |
89 La destruction de l’environnement. Dans le cadre du système capitaliste, largement prédominant aujourd’hui, l’augmentation des profits des entreprises, condition de leur survie, repose largement sur la hausse de la consommation et de la production d’un volume toujours plus grand de biens et de services. Cette logique fait en sorte que les PD et les NPI, dont le nombre ne cessse de grandir, sont engagés dans un processus d’exploitation maximale des ressources énergétiques (pétrole, gaz, charbon, hydroélectricité) et des autres matières premières (minerais, forêts, cours d’eau, terres cultivables, ressources halieutiques) dont la plupart ne sont pas renouvelables. Cette exploitation détruit les écosystèmes et met en péril la biodiversité de la planète. Elle est, avec la production industrielle (dont 52 % est désormais située dans les NPI), l’agriculture intensive et l’augmentation du parc automobile mondial, la cause d’une hausse très importante des gaz à effet de serre, source principale de la pollution de l’air et du réchauffement climatique. Selon le rapport 2007 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), créé par le Programme des Nations Unies sur l’environnement (PNUE) en 1988, les manifestations de ce réchauffement sont déjà nombreuses (fonte des glaciers dans l’Arctique, disparition de certaines espèces animales, aggravation des problèmes de sécheresse dans plusieurs pays, etc.). La très grande majorité des scientifiques prédisent que, sans une réduction des gaz à effet de serre, la température moyenne du globe augmentera de 2 à 4 degrés au cours des décennies à venir, ce qui enraînera une hausse du niveau des océans, la disparition de vastes territoires habités sur le littoral de ces derniers, une augmentation des inondations et d’autres catastrophes naturelles, etc.
90Bien qu’on ait assisté, depuis les années 1980, à une mobilisation grandissante des ONG écologiques et à la multiplication des conférences internationales environnementales, principalement sous l’égide de l’ONU, les progrès accomplis en matière de protection de l’environnement demeurent très limités. Le Sommet de la Terre de Rio de 1992, la Conférence sur l’environnement et la désertification de 1996, la Convention sur les changements climatiques de 1996, le Protocole de Kyoto de 1997 et la Conférence de Montréal sur l’après-Kyoto de 2006 ont donné lieu à l’adoption de décisions qui n’ont pas été respectées par la majorité des États. Lors de la Conférence de Copenhague de 2010, les États ne sont pas parvenus à s’entendre sur des cibles de réduction des gaz à effet de serre pour la période postérieure à 2012. La principale cause de l’inertie des gouvernements est la compétition économique internationale, extrêmement vive dans le cadre de la mondialisation. Chaque gouvernement craint que l’imposition de normes environnementales plus strictes aux entreprises les incitent à fuir vers les pays qui ne possèdent pas de telles règlementations ou qui sont beaucoup plus laxistes en cette matière. Le syndrome du not in my yard, i.e. l’appui des citoyens à des politiques de protection de l’environnement, à la condition qu’elles ne les pénalisent pas personnellement, est également un frein à l’action des leaders politiques. La coopération internationale est pourtant possible. Le protocole de Montréal de 1987, qui a interdit les substances dommageables à la couche d’ozone qui protège la planète contre les rayons solaires UVA et et UVB, a été appliquée par les pays signataires avec succès. Les trous observés dans la couche d’ozone, notamment au-dessus des pôles arctique et antarctique, ont largement diminué depuis. Mais les coûts impliqués par cette entente (élimination des produits contenant des chlorofluorocarbures) étaient très inférieurs à ceux de la réduction des gaz à effet de serre. Durant les années 1990, la collaboration entre les gouvernements canadien et américain a permis de réduire sensiblement les émanations industrielles d’oxyde d’azote et de soufre, responsables des pluies acides qui endommageaient notamment les forêts. Mais il s’agissait d’une entente bilatérale entre voisins, plus facile à négocier qu’un accord multilatéral. Deux leçons, en définitive, se dégagent du bilan des politiques gouvernementales environnementales. Premièrement, il est illusoire de demander à tous les pays, quel que soit leur niveau de développement, d’adopter des règlementations similaires coûteuses, alors que les PD sont les principaux responsables des problèmes écologiques. Cette logique, défendue par certains PD, dont le Canada et les États-Unis, vise en réalité à justifier leur refus d’agir. Les PD doivent accepter de faire plus que les NPI et les PED, tout en encourageant ces derniers, par des aides financières et des transferts de technologies, à harmoniser progressivement leurs politiques avec les leurs. Bien qu’elle comporte le risque de déplacement des FMN vers la périphérie, cette avenue permettra aux PD de conserver un des rares avantages comparatifs qu’ils ont encore par rapport aux puissances émergentes. Deuxièmement, on constate que la protection de l’environnement progresse malgré le succès mitigé ou l’échec des conférences internationales. Certaines puissances émergentes comme la Chine sont proactives dans ce domaine. En témoigne le développement de ses trains à grande vitesse, plus performants que ceux de l’Europe et à des années-lumière des systèmes ferrovières nord-américains. Dans les PD, de plus en plus de grandes, moyennes et petites entreprises ont compris qu’il était dans leur intérêt d’investir dans la mise au point de nouvelles technologies vertes et de revoir leur façon de faire. Les États membres de l’UE ont adopté un très grand nombre de législations environnementales. En Amérique du Nord, plusieurs États américains et certaines provinces canadiennes (Colombie-Britannique, Ontario et Québec) vont de l’avant malgré l’inaction des gouvernements de Washington et d’Ottawa : développement des énergies éoliennes, solaires et hydroélectriques ; taxes sur l’essence ; promotion des voitures hybrides ou électriques ; interdiction de l’exploitation forestière dans certaines régions ; progammes d’encouragement à l’agriculture biologique et à la consommation de produits alimentaires locaux, etc.
91 Le terrorisme international. Le terrorisme, comme nous l’avons déjà souligné, est une méthode de combat utilisée dans les guerres interétatiques et civiles. Mais cette méthode peut également être employée par diverses ONG illégales transnationales à l’encontre des biens et des personnes de divers pays afin de promouvoir leurs causes. Il s’agit alors de terrorisme international, une menace très réelle à la sécurité des États. Au cours des quarante dernières années, le terrorisme international a été principalement lié à deux problématiques. La première concerne le conflit israélo-palestinien et ses répercussions. Durant les années 1970 et 1980, plusieurs organisations illégales, liées à l’Organisation de libération de la Palestine et/ou à d’autres États arabes, qui combattaient l’occupation israélienne des territoires palestiniens (Gaza, Cisjordanie, Jérusalem-est), syriens (hauteurs du Golan) et égyptiens (Sinaï), à la suite de la guerre des Six Jours de 1967 et à la guerre du Yom Kippour de 1973, ont détourné des avions, tué des civils innocents (notamment lors des Jeux olympiques de Munich de 1972) et fait exploser un vol de la Pan American Airlines au-dessus de Lockerbie en Écosse en 1988. Le retrait d’Israël du Sinaï (1978) et du Sud-Liban (1990), et les Accords de paix israélo-palestiniens d’Oslo (1992) ont mis fin au terrorisme international lié au conflit du Moyen-Orient. La deuxième problématique, plus récente, concerne la lutte des organisations islamistes intégristes du Moyen-Orient, de l’Afrique de l’Est, de l’Asie centrale et de l’Asie du Sud-Est. Ces organisations sont nombreuses et les causes qu’elles défendent sont différentes. Certaines, comme Al-Qaida, se battent pour l’éradication des puissances occidentales des territoires de l’ancien Empire arabe qu’elles espèrent restaurer. D’autres combattent pour l’annexion du Cachemire au Pakistan, la révolution agraire dans l’île philippine de Mindanao, l’islamisation intégrale de l’Indonésie, la victoire des talibans en Afghanistan, etc. Les attentats terroristes commis par ces organisations (notamment ceux de Al-Qaida contre le World Trade Center et le Pentagone en 2001, les métros de Madrid et de Londres en 2004 et 2005 ; ceux de la Jemaah Islamiyah liée à Al-Qaida, à Bali, en 2002, 2004 et 2005 ; et ceux d’organisations terroristes islamistes pakistanaises à New Delhi depuis 2008) ont causé des milliers, des centaines ou des dizaines de morts. La menace de cette deuxième vague de terrorisme international est donc bien réelle. Les mesures de sécurité adoptées par les PD, NPI et PED concernés ont atténué le risque de cette dernière, sans pour autant l’éliminer.
92Le terrorisme international est un phénomène très ancien et récurrent. Au cours des siècles, différents groupes et minorités qui avaient le sentiment d’être opprimés ont fomenté des attentats terroristes à l’étranger afin de promouvoir leurs causes. Bien que cette stratégie ait toujours été un échec, elle continue d’être utilisée parce que les organisations extrémistes, dont l’idéologie est dogmatique et rigide, sont incapables d’évaluer rationnellement les coûts et les bénéfices de leurs actions.
*
93En conclusion, on retiendra que la politique étrangère est l’ensemble des institutions, des politiques et des actions qui orientent et concrétisent les relations d’un État avec les autres États. Les responsables du pouvoir exécutif sont les principaux artisans de la politique étrangère. Leurs décisions sont influencées par de multiples variables subjectives (leurs perceptions de la réalité, leur psychologie, leurs calculs d’intérêts) et objectives (les pressions provenant de l’environnement sociétal et externe, la nature du régime politique, les caractéristiques du système économique, la position géographique du pays) dont il est difficile de mesurer le poids respectif.
94La politique étrangère se concrétise sous la forme de deux comportements – la diplomatie et la stratégie – qui sont l’expression de deux attitudes contradictoires : la confiance et la méfiance. La première encourage les États à résoudre leurs différends par le dialogue et la négociation d’ententes juridiques ; la seconde les incite à s’armer et à se coaliser afin de prévenir ou de vaincre les attaques des autres États. Quoique principalement fondée sur la confiance, la diplomatie n’est cependant pas exempte de méfiance, ce qui explique qu’elle fasse appel à la ruse, au mensonge, aux menaces et au chantage tout autant qu’au dialogue franc et ouvert. Quoique principalement fondée sur la méfiance, la stratégie est également caractérisée par la négociation de pactes de sécurité dont l’efficacité repose sur la confiance mutuelle des partenaires.
95La diplomatie et la stratégie ont profondément évolué depuis 1945. Ce ne sont plus les ambassades et les consulats qui constituent les principaux lieux de dialogue, de concertation et de négociation entre États, mais les rencontres au sommet entre gouvernants et les forums multilatéraux. La politique stratégique des États est désormais davantage axée sur la prévention et la résolution des guerres civiles et l’endiguement des réseaux criminels et terroristes internationaux que sur la prévention et la résolution des conflits interétatiques. Les menaces à la sécurité étant maintenant globales et d’origine interne autant qu’externe, les États doivent coopérer davantage entre eux et réorganiser leurs systèmes de défense en vue d’intégrer les dispositifs voués à la protection du territoire et les institutions chargées de contrer les ennemis extérieurs. Néanmoins, les principales conditions du maintien de la paix, au sein des États et entre eux, demeurent le développement et l’intégration économique, les progrès de la démocratie et l’existence d’alliances de sécurité collective fondées sur la coopération interétatique.
Notes de bas de page
1 Janice Stein, « L’analyse de la politique étrangère : à la recherche de groupes de variables dépendantes et indépendantes », Études internationales, 3 (1971).
2 James Rosenau, « Moral Fervor, Systematic Analysis and Scientific Consciousness in Foreign Policy Research », in Austin Ranney (dir.), Political Science and Public Policy (Chicago: Markham, 1968), 197-236.
3 K. J. Holsti, « National Role Conceptions in the Study of Foreign Policy », International Studies Quarterly, 14, 3 (1970), 233-309.
4 Charles Zorgbibe, Les relations internationales (Paris : Presses universitaires de France, 5e édition, 1994), 55.
5 « Document sur la position du gouvernement fédéral en matière de conclusion des Traités du Canada », in Jacques-Yvan Morin, Francis Rigaldies, Daniel Turp, Droit international public. Tome II – Document d’intérêt canadien et québécois (Montréal : Éditions Thémis, 1997), 1.
6 Valerie M. Hudson, Foreign Policy Analysis (Boulder/New York/Toronto: Rohman & Littlefield Publishers Inc., 2007).
7 Kenneth Boulding et T. B. Millar, The Image (Ann Arbor: University of Michigan Press, 1956).
8 Charles Hermann, « Decision Structure and Process Influences on Foreign Policy », in Maurice A. East, S. A. Salmore and C. Hermann (dir.), Why Nations Act (Beverley Hills, CA: Sage, 1978), 69-102.
9 Graham Allison, Essence of Decision (Boston: Little Brown and Company, 1971); Morton Halperin, Bureaucratic Politics and Foreign Policy (Washington DC: The Brookings Institution, 1974).
10 John Steinbruner, The Cybernetic Theory of Decision (Princeton: Princeton University Press, 1974).
11 Susan Strange, Retreat of the State: the Diffusion of Power in the World Economy (Ithaca: Cornell University Press, 1996); Robert Gilpin, Global Political Economy (Princeton: Princeton University Press, 2001); Robert Cox, The Political Economy of a Plural World (Londres/New York: Routledge, 2002).
12 Kenneth Waltz, Theory of International Politics (Reading, Mass: Addison-Wesley, 1979); Morton Kaplan, System and Process in International Politics (New York: Wiley, 1967); Michael Brecher, « Système et crise en politique internationale », in Korany et al., Analyse des relations internationales, 73-107; David Singer, Human Behavior and International Politics (Chicago: Rand McNally, 1965); Kim Richard Nossal, The Patterns of World Politics (Scarborough: Prentice Hall, 1998).
13 K. J. Holsti, « National Role Conceptions in the Study of Foreign Policy ».
14 Karl Deutsch, Nationalism and Social Communication (Cambridge, Mass: MIT Press, 1966) et The Nerves of Government (New York: Free Press, 1963).
15 Alexander Wendt, Social Theory of International Politics (Cambridge: Cambridge University Press, 1999).
16 Voir notamment Matha Finnemore, National Interest in International Society (Ithaca: Cornell University Press, 1996); Francisco G. Duina, Harmonizing Europe (New York: State University of New York Press, 1999); Maria Green Cowles, James Caporaso et Thomas Risse, Transforming Europe (Ithaca: Cornell University Press, 2001); Kevin Featherstone et Claudio M. Radaelli, The Politics of Europeanization (Oxford: Oxford University Press, 2003).
17 Bruce Russett, Grasping The Democratic Peace (Princeton: Princeton University Press, 1993); Michael Doyle, Ways of War and Peace. Realism, Liberalism and Socialism (New York/Londres: W. W. Norton, 1997).
18 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations.
19 A. Watson, The Evolution of International Society (Londres: Routledge, 1992), 14-15. Pour une revue de la littérature sur la diplomatie, voir Christer Jönsson, « Diplomacy, Bargaining and Negotiation », Handbook of International Relations (Londres : Sage Publications, 2001), 212-235.
20 Cette « diplomatie coercitive » a été analysée par Alexander L. George, Forceful Persuasion: Coercive Diplomacy as an Alternative to War (Washington, DC: United States Institute of Peace Press, 1991) et Alexander L. George et William E. Simons (dir.), The Limits of Coercive Diplomacy (Boulder: Westview Press, 1994).
21 Sur la guerre psychologique et la propagande, voir Peter A. Toma et Robert F. Gorman, International Relations : Understanding Global Issues (Pacific Grove, CA : Brooks/Cole Publishing Company, 1991), 190-207.
22 Ibid., 166.
23 Les gains absolus sont des avantages nets que gagne un État lors d’une négociatioin. Les gains relatifs impliquant que sans avoir obtenu d’avantages nets, un État a amélioré sa position par rapport aux autres, en raison des concessions ou pertes acceptées par ces derniers.
24 Pour une meilleure connaissance de ces autres approches, voir notamment Glen Fisher, International Negociation: A Cross-Cultural Perspective (Chicago: Intercultural Press, 1980); Howard Raiffa, The Art and Science of Negociation (Cambridge: Harvard University Press, 1981); Charles Lockart, Bargaining in International Conflict (New York: Columbia University Press, 1979); Guy Olivier Faure et Jeffrey Z. Rubin (dir.), Culture and Negociation (Newbury Park: Sage, 1993); William I. Zartman et Jeffrey A. Rubin (dir.), Power and Negociation (Ann Harbor: Michigan University Press, 2000); Marieke Kleiboer, The Multiple Realities of International Mediation (Boulder: Lynne Rienner, 1998).
25 Cette position est défendue notamment par Hedley Bull, The Anarchichal Society. A Study of Order in World Politics (New York: Columbia University Press, 1977); Robert Keohane, After Hegemony: Cooperation and Discord in the World Political Economy (Princeton: Princeton University Press, 1984).
26 Paul Reuter et Jean Combacau, Institutions et relations internationales (Paris : Presses universitaires de France, 1998), 1982, 158.
27 Des extraits de ces deux conventions sont reproduits dans Morin, Rigaldies et Turp, Droit international public. Tome I. Documents d’intérêt général, 189-211. Le Canada a ratifié ces conventions. Les missions diplomatiques des gouvernements régionaux ne sont pas tenues de respecter ces conventions. Toutefois, le Québec a adopté une loi qui soumet ses délégations à l’étranger à ces dernières.
28 Sur les fonctions et qualités des diplomates et agents consulaires, voir Peter A. Toma et Robert F. Gorman, International Relations : Understanding Global Issues, 159-163 ; Michael G. Roskin et Nicolas O. Berr, The New World of International Relations (Upper Saddle River, NJ : Prentice Hall, 3e éd., 1997), 309-324.
29 Sir Harold Nicolson, cité par Toma et Gorman, International Relations, 162-163.
30 Carl Maria von Clausewitz (1780-1831) est considéré par plusieurs comme le plus grand spécialiste de la stratégie militaire. Son ouvrage le plus important est De la guerre (Paris : G. Lebovici, 1989).
31 Henri Pac, Le système stratégique international (Paris : Presses universitaires de France, 1997).
32 Paul Kennedy, The Rise and Fall of the Great Powers (Lexington Books, 1987. Trad. française : Naissance et déclin des grandes puissances (Paris : Payot, 1989).
33 Créée en 1949, l’OTAN avait 28 États membres en 2010 (voir tableau 3.3). Le Comité militaire regroupe des officiers d’état-major des pays membres. Ce comité, placé sous l’autorité des ministres de la Défense des pays membres et du Conseil de l’Atlantique Nord – qui réunit les représentants civils des pays membres – planifie l’action militaire des divers commandements stratégiques régionaux de l’OTAN.
34 L’OEA, créée en 1948, regroupe 34 États de l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud. Le seul pays du continent non membre de l’Organisation est Cuba (exclu en 1962).
35 L’ANZUS est un pacte militaire conclu en 1951 entre les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Il a été dissous en 1987.
36 L’OTASE, créée en 1954 à l’initiative des États-Unis sur le modèle de l’OTAN, incluait en outre la France, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, les Philippines et la Thaïlande. Son influence demeura faible, car elle n’intervint ni dans les guerres indo-pakistanaises, ni dans la guerre du Vietnam. Elle fut dissoute en 1977.
37 Le pacte de Varsovie, instauré en 1955 en tant que riposte à la création de l’OTAN, regroupait l’URSS, la Pologne, l’Allemagne de l’Est, la Hongrie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Bulgarie.
38 En 2000, avant sa dissolution, l’UEO rassemblait 10 États : France, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Grèce, Italie, Portugal. Les autres États de l’UE et plusieurs pays de l’Europe centrale et orientale avaient toutefois un statut d’associé ou d’observateur.
39 La PESC a été établie par le tue de 1993. Compte tenu que la majorité des décisions relatives à la PESC doivent être adoptées par les États membres de l’UE à l’unanimité, au sein du Conseil, et que ces derniers ont des intérêts souvent très divergents en matière de politique étrangère et de sécurité, la PESC est demeurée largement un vœu pieux jusqu’en 1999-2000. Le sommet européen de Cologne de 1999 a précisé les trois objectifs de la politique de sécurité et de défense européenne : gérer les crises militaires et civiles et prévenir les conflits dans le respect de la Charte de l’onu et en collaboration avec d’autres organisations, dont l’OTAN et l’OSCE. Le sommet d’Helsinki de 1999 et celui de Nice de 2000 ont sanctionné la création d’un commandement unifié de la PESC à Bruxelles – le Comité politique et de sécurité permanent – et prévu l’entrée en vigueur, en 2003, d’une force d’intervention rapide autonome, capable de déployer, dans un délai de 60 jours, 50 000 à 60 000 soldats et 1 000 à 5 000 policiers prêtés par les États membres de l’UE. En 2000, les pouvoirs de l’UEO ont été transférés à la PESC. Les États-Unis ont approuvé ces développements et donné leur aval à la création d’un pilier européen au sein de l’OTAN. Ce dernier signifie que les États de l’UE membres de l’OTAN disposent d’une autonomie d’action en ce qui a trait à la mise en œuvre de la PESC. Sur l’évolution de la PESC, voir le site Internet Europa et Helen Wallace et William Wallace, Policy-Making in the European Union (Oxford : Oxford University Press, 4e éd., 2000), p. 461-493.
40 L’OUA a été créée en 1963. Au moment de sa dissolution en 2000, elle rassemblait 53 des 54 États africains, le Maroc s’en étant retiré en 1985, pour protester contre l’admission du Sahara occidental en 1982 (qu’il considère comme partie intégrante de son territoire). L’OUA a été remplacée par l’UA. Le traité constitutif de cette dernière est entré en vigueur en 2001. Les institutions de l’organisation (Parlement, commission, conseil de paix et de sécurité) ont été mises en place en 2003.
41 Créé en 1996 par la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie, le GUUAM a accueilli l’Ouzbékistan en 1999. La CEI, issue du démantèlement de l’URSS en 1991, regroupe 11 des 15 ex-républiques de l’Union soviétique. Les trois Républiques baltes n’en font pas partie et la Géorgie s’en est retirée en 2009. Le traité de Tachkent de 1992 a fait de la CEI une alliance de sécurité collective peu contraignante. Malgré les efforts de Moscou, plusieurs États membres, notamment en Asie centrale, ont refusé que leur armée soit intégrée à l’armée russe et placée sous le commandement de cette dernière. L’OCS a été fondée en 2001 à l’initiative de la Chine et de la Russie. Outre ces deux États, elle inclut le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Oubzbékistan et le Tadjikistan.
42 La coopération stratégique entre les États existe sous d’autres formes que les alliances de sécurité collective. Par exemple : les accords de sécurité bilatéraux informels, comme celui qui lie les États-Unis et Israël ; les coalitions multilatérales formées en vertu de la Charte de l’ONU (ex. : coalition créée en 1990-1991 pour repousser l’armée irakienne du Koweït) ; les coalitions multilatérales constituées en dehors de la Charte de l’ONU (ex. : coalition initiée par les États-Unis en 2003 afin de renverser le régime de Saddam Hussein et d’instaurer un nouvel ordre politique en Irak) ; les ententes juridiques internationales visant à interdire ou à limiter l’expérimentation, la production et l’utilisation des armes chimiques, biologiques et nucléaires, à bannir les mines antipersonnel, à combattre le terrorisme, à lutter contre les réseaux criminels.
43 Ce conseil est un lieu d’échange d’informations, de consultation et de concertation entre la Russie et les pays membres de l’OTAN. Il réunit les ministres des Affaires étrangères et des Finances deux fois l’an et les ambassadeurs une fois par mois.
44 Pour des informations plus détaillées, voir le site officiel de l’ONU et celui du réseau francophone des opérations de paix du CERIUM. Voir aussi Jocelyn Coulon, Guide du maintien de la paix (Montréal : Athéna, 2010).
45 Jean-Pierre Derriennic, Les guerres civiles (Paris : Presses de Science Po, 2001).
46 La Convention interdisant les armes biologiques a cependant une portée plus réduite que les autres ententes internationales sur les armes nucléaires et chimiques car elle ne comporte aucun système d’inspection et de contrôle de ces armes. Pour une analyse détaillée de ces ententes, voir Pascal Boniface, Le monde contemporain : grandes lignes de partage (Paris : Presses universitaires de France, 2001), 122-139.
47 Derriennic, Les guerres civiles, 168-171. Sur la guérilla, voir aussi Gérard Chaliand, Stratégies de guérilla : de la Longue Marche à nos jours (Paris : Payot/Rivages, 1994).
48 Derriennic, Les guerres civiles, 178-183.
49 Idem.
50 Idem, 173. Sur le terrorisme, voir aussi Gérard Chaliand, Les stratégies du terrorisme (Bruges : Desclée de Brouwer, 1999).
51 Derriennic, Les guerres civiles, 173.
52 Sur la dimension internationale des guerres civiles, voir Michael Barston (dir.), The International Dimension of Internal Conflict (Cambridge : MIT Press, 1996). Sur les causes des guerres interétatiques et civiles depuis la fin de la guerre froide, il existe une vaste littérature. Voir notamment M. Brown, « The Causes of Internal Conflicts: An Overview », in M. Brown, Nationalism and Ethnic Conflict (Cambridge: Cambridge University Press, 1997); R. Betts, Conflict after the Cold War. Arguments on Causes of War and Peace (Oxford: Oxford University Press, 2002). Sur les interventions de la Communauté internationale en vue de mettre fin aux guerres civiles, voir Jocelyn Coulon, Guide du maintien de la paix 2010.
53 Pascal Boniface, Le monde contemporain: grandes lignes de partage, 169; Zbigniew Brzezinski, The Choice, Global Domination or Global Leadership (New York: Basic Books, 2004).
54 Hedley Bull, The Anarchical Society. A Study of Order in World Politics (New York: Columbia University Press, 1977).
55 Conférence de Zbigniew Brzezinski, Conseil des relations internationales de Montréal, 23 avril 2010.
56 Sur le sujet, voir notamment Richard Rhodes, Arsenals of Folly: the Making of the Nuclear Arms Race (New York: Alfred A. Knopf, 2007); Alexander Lennon, Contemporary Nuclear Debates: Missile Defense, Arms Control and Arms Races in the Twenty-First Century (Cambridge; Cambridge University Press, 2002).
57 Sur le sujet, voir notamment Francis Boyle, Guerre biologique et terrorisme (Paris : Demi-Lune, 2007) ; Henri Mollaret, L’arme biologique : microbes, virus et terrorisme (Paris : Plon, 2002).
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