Introduction
p. 9-14
Texte intégral
1L’expression « relations internationales » désigne généralement les rapports entre États alors, qu’au sens littéral, elle signifie rapports entre nations. Ce problème vient du fait que l’État a longtemps été confondu avec la nation, en raison de l’aspiration des États modernes à unifier en une seule nation les groupes humains résidant sur leurs territoires. Si certains y sont parvenus, la plupart sont demeurés des États plurinationaux. En outre, le caractère multiethnique des États s’est accentué au XXe siècle à cause des déplacements de population et des mouvements migratoires engendrés par la décolonisation, les guerres et les inégalités de développement. L’expression « relations internationales » n’est donc plus justifiée. Elle continue néanmoins d’être d’usage courant, bien que certains spécialistes aient tenté de lui substituer celle de « relations interétatiques1 ».
2Les relations internationales constituent un objet d’études extrêmement vaste puisqu’il englobe les rapports de toute nature que les organismes publics et privés, les groupements de personnes et les individus des divers États ont noués entre eux dans le passé, entretiennent dans le présent et prévoient développer dans le futur. Toutes les sciences et notamment les sciences sociales telles que le droit, l’histoire, l’économie, la philosophie, la psychologie, la démographie, la sociologie et la science politique s’y intéressent donc. Chaque discipline aborde évidemment ces relations sous un angle différent en privilégiant l’analyse de certains types d’interactions entre certaines catégories d’acteurs. Cela dit, la plupart des disciplines s’intéressent à l’action législative des gouvernements et des organisations multilatérales gouvernementales puisque celle-ci oriente la conduite des activités humaines dans tous les domaines.
3Depuis le début de l’humanité, les groupements d’individus ont développé diverses formes d’interactions : guerres, alliances, échanges de biens, mariages, etc. Ces relations se sont toutefois diversifiées et étendues à des espaces géographiques plus vastes au fil du temps, concurremment à l’expansion et aux conquêtes des entités politiques (cités, empires, principautés, États-nations), au développement de la production et du commerce et à l’évolution des moyens de transport et de communication. Ce n’est cependant qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle que les relations internationales sont véritablement devenues mondiales, englobant tous les pays de la planète et la plupart des activités humaines. Le terme « mondialisation », équivalent français du terme anglais globalization, a été inventé durant les années 19502 pour rendre compte de cette transformation des relations internationales. Selon plusieurs auteurs, la mondialisation, à l’instar des stades antérieurs d’évolution des relations internationales, a été déterminée par l’extension géographique des activités économiques et l’essor des facilités de déplacement et de communication. La planétisation du marché, engendrée par la multinationalisation des entreprises, la libéralisation des échanges, et les innovations technologiques dans les transports (avions subsoniques et supersoniques, trains à grande vitesse) et les communications (internet, téléphones sans fil, satellites) constituent les principales sources et traits distinctifs de la mondialisation.
4La majorité des définitions du terme mondialisation insistent sur ces aspects. Ainsi, pour Pascal Boniface, ce qui distingue la mondialisation des stades antérieurs de l’évolution des relations internationales, ce ne sont pas « les interrelations entre les différentes parties du monde, mais la modification des notions d’espace et de temps3 », le fait que les distances aient été supprimées. Pour Robert Reich, ce qui caractérise l’économie mondialisée, c’est que :
L’argent, la technologie, l’information, les marchandises franchissent les frontières avec une rapidité et une facilité sans précédent. Le coût du transport et des télécommunications dégringole. Dans la plupart des pays industrialisés, les transferts de capitaux ne sont plus contrôlés. Même les drogues, les immigrants pénètrent dans les pays développés, et les armes secrètes en sortent, malgré les efforts des gouvernements4.
5Pour le Fonds monétaire international (FMI), la mondialisation est :
l’interdépendance économique croissante de l’ensemble des pays du monde provoquée par l’augmentation du volume et de la variété des transactions transfrontalières de biens et de services, ainsi que des flux internationaux de capitaux, en même temps que par la diffusion accélérée et généralisée de la technologie5.
6Sans renier ces définitions, plusieurs spécialistes anglo-saxons insistent sur les effets théoriques et sociologiques du concept de mondialisation6. C’est également le cas de l’explication proposée par Bertrand Badie.
Mondialisation. Concept de relations internationales décrivant l’état du monde contemporain marqué en même temps par un renforcement des interdépendances et des solidarités, par le désenclavement des États et des espaces régionaux et par une uniformisation des pratiques et des modèles sociaux à l’échelle de la planète tout entière. Ce processus n’a du sens que sur un plan macro-sociologique et ne renvoie pas à des indicateurs empiriques très précis ni très rigoureux. Son intérêt est davantage théorique : il suggère, en effet, que les phénomènes politiques, économiques et sociaux ne peuvent pas être étudiés en vase clos, indépendamment de leur insertion dans un système-monde qui, contrairement à autrefois, s’étend à l’ensemble du globe. Il suggère aussi que les catégories classiques de l’analyse internationale s’en trouvent ébranlées : distinction entre l’interne et l’externe, territoire, souveraineté… Son analyse est souvent associée à celle de l’essor du particularisme, de plus en plus conçu comme une réaction de protection face aux effets de la mondialisation7.
7S’il existe un certain consensus sur l’essence de la mondialisation, les spécialistes divergent d’opinion quant à sa portée et à ses effets. Les auteurs réalistes et néoréalistes tendent généralement à relativiser son importance. Ainsi, pour Gilpin8, l’activité économique est encore largement concentrée au sein des États. La libéralisation des échanges n’est pas plus grande aujourd’hui qu’elle ne l’était au début du XXe siècle et elle est concentrée dans trois régions : Europe occidentale, Amériques et Asie de l’Est. Bien que l’augmentation du nombre et du pouvoir des firmes multinationales (FMN) limite l’autonomie de décision des gouvernements nationaux, notamment dans le domaine économique, ces derniers demeurent les acteurs majeurs des relations internationales car ce sont eux qui édictent les normes et les règles du droit interne et international. Les néolibéraux, néomarxistes et constructivistes comme Rosenau, Cox, Busan et Risse-Kapen9 accordent une importance beaucoup plus grande à la mondialisation. Ils insistent sur le déclin du pouvoir des États, en raison de la montée en puissance des FMN et de l’influence grandissante qu’exercent les autres organisations non gouvernementales (ONG), à cause de leur capacité de mobilisation des sociétés civiles et de leur implication dans les activités des organisations internationales (OI), celles du système des Nations Unies par exemple. La plupart des auteurs, y compris les constructivistes, considèrent cependant que l’action des acteurs non étatiques demeure dépendante des États, notamment occidentaux, et des OI. Dans son bilan de la littérature sur les relations internationales des trente dernières années, Risse conclut qu’il est prématuré de proclamer la fin du système interétatique10.
8Pour les libéraux et les néolibéraux la mondialisation est bénéfique car elle contribue à l’enrichissement des nations, à l’atténuation des inégalités de développement et à l’expansion de la démocratie. Les autres écoles de pensée considèrent que la mondialisation n’élimine pas, et même accentue les inégalités économiques, sociales ou culturelles au sein et entre les États. Certains auteurs néoréalistes ou néomarxistes, comme Huntington et Wallerstein11, sont très pessimistes et considèrent qu’elle peut engendrer une multiplication des conflits, voire un état de chaos généralisé. La plupart des réalistes et des néoréalistes sont fatalistes car ils constatent que cet ordre mondial est difficile à changer. La majorité des néomarxistes et constructivistes sont, quant à eux, plus optimistes, car ils croient à la capacité de mobilisation et de transformation de la société civile transnationale. Ces auteurs demeurent cependant très vagues sur les modalités d’organisation d’une telle contestation et les caractéristiques de la nouvelle société globale auquelle elle donnerait naissance. Seuls les écologistes proposent une alternative précise à la mondialisation capitaliste, en prônant une réduction de la production et de l’exploitation des ressources naturelles, une diminution de la consommation et l’adoption d’un mode de vie davantage centré sur les valeurs humaines et le respect de la nature que sur l’acquisition de biens matériels.
9Ce manuel s’adresse principalement aux étudiants de divers programmes universitaires qui exigent ou recommandent une initiation aux relations internationales. Il est cependant accessible à tous ceux qui désirent se familiariser avec le sujet. Il aborde les relations internationales principalement du point de vue de la science politique, mais compte tenu du fait que cette discipline est devenue polyvalente au fil du temps, les lecteurs de divers horizons peuvent aussi bénéficier de ses enseignements. Bien que ce manuel se veuille éclectique du point de vue théorique, il accorde une place prépondérante aux États et aux OI, sans faire abstraction toutefois des acteurs non étatiques. En ce sens, il est conforme à l’idée consensuelle selon laquelle les États et les OI demeurent les acteurs majeurs des relations internationales. Le premier chapitre expose les éléments essentiels des théories classiques, néoclassiques et critiques des relations internationales. Le second chapitre définit les caractéristiques des acteurs des relations internationales (États, OI, individus, FMN, ONG légales et illégales) et évalue leur poids respectif au sein des relations internationales. Le troisième chapitre analyse le processus de décision de la politique étrangère des États et les instruments sur lesquels s’appuient ses deux dimensions : la diplomatie et la stratégie. Le quatrième chapitre s’intéresse aux relations économiques internationales. Il présente les principales théories de l’économie internationale, explique comment sont comptabilisés les échanges internationaux à travers les balances de paiements et analyse les causes des changements de modèles économiques depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours. Le lecteur pourra compléter ses connaissances en consultant les notes bibliographiques et les sources de références recensées à la fin du volume.
Notes de bas de page
1 Voir notamment Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations (Paris : Calmann-Lévy, 1984) ; Marcel Merle, Sociologie des relations internationales (Paris : Dalloz, 1982) ; Charles Zorgbibe, Les relations internationales (Paris : Presses universitaires de France, 5e éd., 1994).
2 Selon Bertrand Badie, le terme mondialisation a été répertorié pour la première fois par le dictionnaire Robert en 1953. Voir Guy Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnbaum et Philippe Braud, Dictionnaire de la science politique (Paris : Armand Colin, 4e éd., 2000), 177-178.
3 Pascal Boniface, Le monde contemporain : grandes lignes de partage (Paris : Presses universitaires de France, 2001), 9.
4 Robert Reich, L’économie mondialisée (Paris : Dunod, 1993), 17.
5 Boniface, Le monde contemporain, 11.
6 Voir notamment Jean-Marie Guéhenno, « Globalization and Fragmentation » in Marc F. Plattner et Aleksander Smolar (dir.), Globalization, Power and Democracy (Baltimore: The John Hopkins University Press, 2000), 14-28; Suzanne Berger, « Introduction » in S. Berger et R. Dore (dir.), National Diversity and Global Capitalism (Ithaca, NY: Cornell University Press, 1996). Pour une analyse des nombreuses définitions du concept de mondialisation, voir Claire Sjolander, « The Rhetoric of Globalization : What’s in a Wor(l)d ? », International Journal, 51, 4 (1996), 603-616.
7 Hermet et al., Dictionnaire de la science politique, 177-178.
8 Robert Gilpin, Global Political Economy. Understanding the International Economic Order (Princeton: Princeton University Press, 2003).
9 James Rosenau et E. Czempiel (dir.), Governance without Government: Order and Change in World Politics (Cambridge: Cambridge University Press, 1992); Robert Cox, The Political Economy of a Plural World (Londres/New York: Routledge, 2002); Bary Busan, From Internationial to World Society? (Cambridge: Cambridge University Press, 2004); Thomas Risse-Kapen (dir.), Bringing Transantional Relations Back In: Non State Actors, Domestic Structures and International Institutions (Cambridge: Cambridge Univerity Press, 1995).
10 Thomas Risse, « Transnational Actors and World Politics » in W. Carlnaes, T. Risse et B. A. Simmons (dir.), Handbook of International Relations (Londres: Sage Publications, 2002), 255-275.
11 Samuel Huntington, Le choc des civilisations (Paris : Odile Jacob, 1997) ; Immanuel Wallerstein, After Liberalism (New York : New Press, 1995).
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