17. Le « printemps érable » et l’élection québécoise de 2012
p. 271-283
Texte intégral
1Il est connu que les jeunes du Canada et d’ailleurs sont de plus en plus désengagés des processus politiques formels. Ils en connaissent moins à propos de la politique, ils adhèrent moins aux partis politiques et aux syndicats et votent dans une proportion moindre que les générations qui les précèdent. Comme le chapitre 11 d’André Blais et ses collaborateurs l’a montré, l’élection québécoise de 2012 semble avoir été une parenthèse par rapport à cette dernière tendance, puisque la participation des 18-24 ans a augmenté de 25,9 points de poucentage, par rapport à l’élection de 2008 qui avait, elle, connu une faible participation.
2Le « printemps érable » désigne la mobilisation sociale qui a entouré l’enjeu des droits de scolarité entre les mois de février et de septembre 2012. Il représente un cas particulièrement intéressant pour étudier l’impact d’un conflit social sur le vote des jeunes. Ainsi, dans quelle mesure le contexte particulier des élections de 2012 a-t-il joué dans la formation de leur choix de vote ?
3Pour débuter, nous situons cette recherche dans le contexte sociopolitique québécois et nous examinons les théories sur la participation politique, incluant le choix de vote. Par la suite, nous présentons des données – recueillies à l’aide d’un sondage sur les enjeux étudiants au Québec (Stolle et al., 2012) – afin d’avoir une vue générale de la participation et des attitudes des jeunes.
Un contexte politique conflictuel
4Rappelons brièvement les faits. En mars 2010, dans son plan budgétaire, le gouvernement libéral de Jean Charest, qui était au pouvoir depuis 2003, annonce son intention d’augmenter les frais de scolarité universitaires afin de répondre au besoin de financement des universités. Le 17 mars 2011, le gouvernement du Québec annonce les modalités de l’augmentation des droits d’inscription qui entrera en vigueur à l’automne 2012. Il s’agit d’une hausse de 75 % (soit 1 625 $) sur cinq ans. Cette décision a déclenché un mouvement de contestation qu’il est difficile de ne pas qualifier d’historique, par son ampleur, sa durée et son intensité.
5Plusieurs actions contre la politique gouvernementale ont précédé la mobilisation étudiante, mais celle-ci commence par la manifestation conjointe des quatre principales associations étudiantes nationales (FECQ, FEUQ, ASSÉ, TaCEQ) en novembre 2011. À la suite de cette mobilisation, une coalition temporaire voit le jour : la Coalition large de l’ASSÉ, la CLASSE. Elle représente environ la moitié des étudiants en grève.
6La rumeur d’une grève illimitée au printemps prend forme. Le 13 février 2012, les premières associations votent une grève générale illimitée et seront suivies par des dizaines d’autres. Le 22 mars, alors que 300 000 étudiants sont en grève au Québec (pour cette journée), une des manifestations les plus importantes de l’histoire du Québec se déroule au centre-ville de Montréal où 200 000 personnes défilent.
7Après deux mois de grève étudiante, le gouvernement accepte de rencontrer les associations étudiantes pour débattre du financement des universités, tout en précisant qu’il ne négocierait pas la hausse des frais. Les discussions achoppent dès le deuxième jour et le mouvement se durcit. À partir du 25 avril, tous les soirs, des manifestations nocturnes sont organisées dans les rues de Montréal et dans la ville de Québec, opposant régulièrement les manifestants aux unités anti-émeute. Le 4 mai, à la suite de heurts entre manifestants et forces de l’ordre, le premier ministre convoque une rencontre avec plusieurs acteurs, comprenant notamment les centrales syndicales et les recteurs. Une entente de principe est signée au bout de vingt heures de négociation portant essentiellement sur la possibilité de réduire les frais afférents (et non les droits de scolarité). Toutefois, elle est massivement rejetée par des votes en assemblées générales la semaine suivante. La crise semble sans issue.
8Le vendredi 18 mai, le gouvernement libéral fait adopter une loi spéciale (Loi 12)1, qui devait être appliquée jusqu’en juillet 2013. Cette loi comprend notamment l’encadrement du droit de manifester, l’obligation de dispenser l’enseignement ainsi qu’un nouveau calendrier scolaire. Plusieurs acteurs du conflit en cours en appellent à la désobéissance civile. Le conflit déborde alors de la population étudiante et des enjeux de la hausse des frais de scolarité : des citoyens de tout le Québec, en appui aux étudiants, participent à des marches bruyantes à 20 heures tous les soirs, en frappant sur des casseroles, défiant publiquement la loi qui limite les regroupements permis dans l’espace public à 50 personnes. L’été s’amorce ainsi sans qu’une entente ait été conclue. Devant l’impossibilité de régler le conflit, et après le report de la session d’hiver 2012 à l’automne, le gouvernement déclenche des élections qui auront lieu le 4 septembre.
9Entre février et juillet 2012, le conflit opposant les associations étudiantes en grève et le gouvernement libéral du Québec s’est progressivement transformé en un conflit social majeur, qui a fortement divisé la population québécoise (depuis le début du mouvement, les sondages ont montré qu’environ la moitié des personnes interrogées soutiennent la mesure gouvernementale, alors que l’autre moitié la rejette) et occupé une grande partie de l’espace médiatique (Influence Communication, 2012). Les acteurs politiques ont dû se positionner dans le conflit. Au sein des partis d’opposition, le PQ a dénoncé la hausse des frais de scolarité et a promis de rétablir le gel des droits jusqu’à la tenue d’un sommet sur l’éducation s’il remportait les prochaines élections ; ON et QS ont milité pour la gratuité scolaire ; alors que la Coalition avenir Québec (CAQ) soutenait la décision gouvernementale, mais aurait instauré une hausse moins élevée.
10Sur le plan théorique, on peut poser l’hypothèse que jusqu’au moment des élections, la question des frais de scolarité a agi comme un clivage politique temporaire. Elle a créé des positions contrastées sur le financement public de l’éducation supérieure, mais aussi sur la légitimité des associations étudiantes et la possibilité de leur action collective ainsi que sur la nécessité ou non de maintenir la ligne dure envers les représentants étudiants et les manifestants. Parce que la question étudiante a cristallisé les mécontentements par rapport au gouvernement en place et raffermi ses soutiens, on peut supposer qu’elle a joué un rôle de marqueur politique structurant, d’où la pertinence de notre question : y a-t-il une relation entre le choix de vote et la position sur la question des frais de scolarité ?
Considérations théoriques
11Plusieurs débats en science politique concernent le vote sur enjeux (issue voting). Alors que la majorité des citoyens accordent peu d’intérêt à la politique et manquent possiblement de sophistication politique, le vote sur enjeux n’est pas nécessairement limité aux citoyens politiquement « sophistiqués » (Carmines et Stimson, 1980). Certains enjeux sont plus sujets que d’autres à faire l’objet d’un clivage électoral. Lorsque ceux-ci sont symboliques, reflètent un conflit qui perdure dans le temps et deviennent plus saillants dans la sphère politique (Krosnick, 1990 ; Fournier et al., 2003), les électeurs sont plus enclins à associer ces enjeux à des partis politiques et à voter en fonction de cette association.
12L’enjeu entourant le financement de l’éducation supérieure a été un facteur de forte mobilisation, en raison notamment des actions concertées et organisées des associations étudiantes, mais aussi parce qu’il s’est traduit par une expérience de grève étudiante sans précédent dans les cégeps et les universités de la province. En plus de revêtir un caractère symbolique, cet enjeu a aussi été l’extension de clivages de longue date sur le rôle de l’État comme pourvoyeur de services, sur le rôle de la responsabilité individuelle en éducation, ainsi que sur la légitimité et le rôle des associations étudiantes. Le débat sur la hausse des frais de scolarité a été hautement litigieux pour le public et pour les étudiants.
13Nous envisageons que cela sera particulièrement vrai pour les étudiants qui ont participé aux diverses actions contestataires organisées au cours de 2012. Comme l’ont démontré Johnston Conover, Gray et Coombs (1982), les activistes politiques, particulièrement ceux combattant une politique publique, tendent à être grandement motivés idéologiquement. La participation aux manifestations et aux autres formes d’action directe n’est pas uniquement l’expression d’une opinion, elle donne aussi des occasions pour échanger avec des pairs qui partagent un point de vue semblable. Cela peut contribuer à renforcer la position défendue. Les activistes politiques sont donc impliqués dans la définition symbolique de l’enjeu et seront plus enclins à voter uniquement selon cet enjeu. Ainsi, nous croyons que les étudiants qui ont été plus actifs seront plus en mesure d’associer leur position sur les frais de scolarité avec la position des partis politiques sur cet enjeu.
14Au chapitre 12, Richard Nadeau et Éric Bélanger montrent l’existence d’un vote sur enjeux au sein de la population en général sur la question des frais de scolarité. Ainsi, nous faisons l’hypothèse que cet enjeu a joué un rôle décisif, particulièrement dans le choix de vote des étudiants, en raison notamment de son caractère symbolique et contentieux. Aussi, nous nous attendons à ce que les militants contre la hausse des frais de scolarité soient plus enclins à se tourner vers des partis qui se sont explicitement prononcés contre cette hausse et pour la gratuité scolaire. Dans ce cas, cela serait particulièrement vrai pour QS et ON, puisque les deux partis militent pour la gratuité scolaire, alors que le PLQ et la CAQ font la promotion d’une hausse des frais de scolarité. Le PQ se situe entre les deux.
Données et résultats
15Le Sondage en ligne sur les enjeux étudiants est un sondage novateur, puisqu’il est le premier à documenter les opinions, les attitudes, ainsi que les engagements politiques des étudiants universitaires de trois institutions majeures au moment d’un conflit social au Québec. On trouvera les informations techniques dans l’annexe A. L’objectif principal du projet était de comprendre comment des arguments idéologiques, philosophiques, politiques et sociaux différents peuvent influencer les motivations des étudiants protestataires. L’idée était aussi d’évaluer les profils sociopolitiques des manifestants/grévistes, comparativement à ceux qui favorisaient la hausse des frais et à ceux qui ne manifestaient pas.
16Même si notre sondage Web a été envoyé à tous les étudiants inscrits dans chacune des universités, l’échantillon – comme dans tous les sondages – n’est pas une parfaite représentation des étudiants. Malgré le fait que l’invitation à participer au sondage portait un titre neutre (Sondage en ligne sur les enjeux étudiants au Québec) et ne faisait aucune référence spécifique à la hausse des droits de scolarité, aux manifestations ou à la grève, il est probable que des étudiants plus touchés par ces enjeux ont volontairement participé à ce sondage en plus grand nombre. Ainsi, nous comparons notre échantillon avec d’autres données statistiques disponibles. Sur le plan des indicateurs sociodémographiques, notre échantillon est formé à 65 % d’étudiants âgés de 18 à 25 ans, ce qui se rapproche des chiffres de Statistique Canada2. Il y a plus de femmes (66 %) dans notre échantillon que d’hommes, ce qui reflète aussi la diversité des campus universitaires3. Nous avons comparé la participation électorale de notre échantillon (91 % ont rapporté être allé voter) avec le sous-échantillon étudiant des données de Bélanger et al. qui indique que 85 % d’entre eux ont voté. En utilisant ces mêmes données, nous avons comparé le choix de vote fait par les étudiants. Le vote pour QS a été surreprésenté au sein de notre échantillon et le vote pour le PLQ a été sous-représenté. Ainsi, si la diversité sociodémographique de nos répondants respecte assez bien la réalité universitaire, la distribution sur le plan du vote nous indique un probable biais d’auto-sélection. En ce sens, nous nous devons d’interpréter nos résultats descriptifs avec précaution.
17Le sondage étudie l’opinion sur la grève étudiante en demandant aux répondants s’ils avaient voté pour ou contre la grève et s’ils étaient en faveur de la grève ou contre celle-ci (pour ceux qui n’ont pas pu voter au sein de leur association étudiante). Les étudiants qui fréquentent les universités francophones semblent être en faveur de la grève dans une plus grande proportion que les étudiants de McGill. Toutes universités confondues, approximativement 45 % des étudiants sont allés manifester au moins une fois. Les différences diminuent lorsqu’on regarde les attitudes à l’égard des frais de scolarité mesurées par un index qui comprend quatre questions liées au financement de l’éducation et aux frais de scolarité4. Bref, il semble que les étudiants des trois universités se ressemblent plus sur les questions liées aux frais de scolarité que sur les moyens de pression (par exemple, l’usage de la grève et de la manifestation) liés à cet enjeu.
18En ce qui concerne le choix de vote des étudiants, QS a fait une percée importante parmi les étudiants des trois universités qui ont répondu au sondage, malgré sa position plus radicale en faveur de la gratuité scolaire. En effet, QS a reçu entre 26 % et 34 % d’appuis. Le PQ a été plus populaire auprès des deux universités francophones (environ 40 %), alors que le vote libéral est dominé par les étudiants de McGill (46 %). La CAQ a reçu des appuis variant entre 11 % et 15 % dans les trois universités, alors que l’appui envers ON varie entre 2 % et 8 %.
La relation entre l’opinion sur les frais de scolarité, la participation aux manifestations et le choix de vote
19L’appui à la grève, surtout parmi les universités francophones, et les opinions concernant les frais de scolarité suggèrent clairement que cet enjeu est important pour les étudiants qui ont participé à notre sondage. L’appui plus large pour des partis contre la hausse suggère également qu’il existe un lien entre ces facteurs et le comportement électoral. Mais est-ce le cas ? Le graphique 17.1 illustre la distribution du vote des étudiants parmi ceux qui sont en faveur et contre la grève étudiante. Ceux qui étaient contre la grève ont eu plus tendance à voter pour le PLQ, la CAQ et le PQ. Le PLQ est le parti qui a reçu l’appui du plus grand nombre – un peu plus de 30 % – d’étudiants électeurs contre la grève. La CAQ et le PQ ont chacun l’appui d’environ 25 % des étudiants contre la grève. Cela suggère que ceux qui étaient contre la grève ont eu tendance à voter pour des partis qui étaient favorables à la hausse des frais ou qui ont pris une position mitoyenne – comme le PQ – selon lequel les frais seraient gelés jusqu’à la tenue d’un sommet sur l’éducation.
20Le PQ est un cas particulièrement intéressant. Notons qu’il a été le parti favori au sein de notre échantillon étudiant avec 34 % d’appui. Toutefois, les étudiants qui ont voté pour le PQ étaient bien plus divisés dans leurs opinions sur la grève que ceux qui ont voté pour les autres partis. Alors que 25 % des étudiants contre la grève ont voté pour le PQ, 40 % des étudiants en faveur de la grève ont aussi voté pour ce parti. Comme c’est le parti qui a pris la position du centre dans ce débat, il est clair qu’il a pu attirer un nombre appréciable d’électeurs de chacun des camps, même si la proportion des pro-grève est plus élevée – formant tout de même 60 % de l’échantillon.
GRAPHIQUE 17.1. Distribution des étudiants favorables et défavorables à la grève selon leur choix de vote (en pourcentage)
Partis politiques Note : N = 10 989 répondants
21La situation est différente pour Québec solidaire qui a attiré la plus grande proportion – près de 45 % – des étudiants pour la grève. Contrairement au PQ, QS militait pour la gratuité scolaire. Ainsi, il était très peu probable que ce parti reçoive le vote d’étudiants contre la grève. Cela est également vrai pour Option nationale (ON).
22La distribution du choix de vote peut également être observée parmi les manifestants et les non-manifestants. Dans le graphique 17.2, nous modifions l’analyse en illustrant les résultats dans la niche de chaque parti : combien ont manifesté et combien n’ont pas manifesté. Comme prévu, les électeurs de la CAQ et du PLQ (qui étaient notamment les plus enclins à être contre la grève) sont aussi ceux qui ont le moins participé aux manifestations. Au contraire, les électeurs de QS et d’ON étaient parmi les plus actifs. Près de 4 répondants sur 5 qui ont voté pour l’un ou l’autre de ces deux partis ont dit avoir participé à au moins une manifestation. Encore une fois, le PQ a eu un électorat étudiant divisé. Un peu plus de la moitié de ses électeurs étudiants a manifesté, alors que l’autre ne l’a pas fait.
GRAPHIQUE 17.2. Participation à une manifestation des étudiants selon le choix de vote
Pourcentage Note : N = 11 253 répondants
23Pour les dernières analyses, nous examinons la relation entre le point de vue sur les frais de scolarité, la participation aux manifestations et le choix de vote, tout en contrôlant pour d’autres facteurs dans un modèle de régression multinomiale. Premièrement, on peut s’attendre à des différences dans le choix de vote selon le genre, l’âge et la langue maternelle (qui différencie les francophones, les anglophones et les allophones). Des facteurs socioéconomiques devraient aussi influencer le choix de vote. Nous considérons le milieu social d’où provient l’étudiant en demandant aux répondants de situer leur niveau socioéconomique familial, comparativement à la moyenne familiale québécoise. Deux autres variables dichotomiques s’y trouvent aussi : si les étudiants avaient une dette liée à leurs études et s’ils ont grandi au Québec. Nous présentons le modèle de régression, incluant les variables de contrôle mentionnées plus haut, ainsi que nos variables indépendantes d’intérêt sur la participation aux manifestations et sur le point de vue sur les frais de scolarité à l’annexe B8.
24Le modèle de régression multinomiale utilise le vote du PQ comme catégorie de référence. Comme il fallait s’y attendre, nous trouvons des effets des facteurs socioéconomiques et démographiques sur le choix de vote au sein de notre échantillon étudiant. Par exemple, les femmes ont plus de chances de voter pour le PQ que pour n’importe quel autre parti. L’effet de l’âge est moins fort. Toutefois, on peut voir que les électeurs d’ON sont plus jeunes que les électeurs du PQ. On voit également que les différences entre les universités sur le choix de vote sont encore présentes même en contrôlant pour d’autres facteurs. Il est intéressant de noter que les étudiants des universités francophones (autant les francophones que ceux qui ont grandi au Québec) ont moins tendance à voter pour les libéraux et la CAQ, mais aussi pour QS, comparativement au PQ. Aussi, comme prévu, le fait d’avoir une dette étudiante a eu un effet négatif sur le vote du PLQ et de la CAQ et un effet positif sur le vote de QS et d’ON. En ce sens, nous voyons aussi que les étudiants provenant d’un milieu socioéconomique plus aisé auront plus tendance à voter pour le PLQ et la CAQ, mais cela n’a pas affecté le vote de QS et d’ON, toujours comparativement au PQ.
25En contrôlant pour ces différentes variables, nous trouvons encore un lien entre les opinions sur les frais de scolarité, la participation aux manifestations et le choix de vote. Un appui fort à la gratuité scolaire a eu un effet positif sur les votes de QS et d’ON, comparativement au PQ, et un effet négatif pour le vote libéral et caquiste. La participation aux manifestations a eu un effet similaire, mais moins substantiel.
26Pour illustrer cela, les graphiques 17.3 et 17.4 montrent les effets marginaux de la position sur la hausse et de la participation aux manifestations sur le choix électoral. Tous les effets marginaux dans les graphiques sont significatifs à 0,001 et sont calculés à partir des résultats de l’analyse de régression multinomiale disponible dans l’annexe B8. Les votes de QS et du PLQ sont les plus fortement liés à ces attitudes et à ces comportements. La probabilité de voter pour QS est de 30 points de pourcentage plus élevée lorsqu’on est fortement contre la hausse des frais que lorsqu’on est fortement pour. À l’opposé, ceux qui sont contre la hausse sont 30 points de pourcentage moins susceptibles de voter pour le PLQ. Ces effets sont présents même après avoir contrôlé les autres variables dans le modèle. L’effet du nombre de manifestations reflète la même tendance, mais l’impact est moindre avec environ 10 points de pourcentage de différence.
GRAPHIQUE 17.3. Effets marginaux de l’opinion sur les frais de scolarité par choix de vote
GRAPHIQUE 17.4. Effets marginaux du nombre de participations à une manifestation par choix de vote
27Le lien entre ces deux facteurs et le PQ est positif, mais près de 0. Cela s’explique par le fait que le PQ a attiré une clientèle variée : les étudiants pour et contre la hausse, ainsi que les manifestants et les nonmanifestants. Cela montre bien que les électeurs péquistes ont eu des expériences et des points de vue divergents.
***
28Notre recherche est la première à examiner de façon systématique les points de vue actuels des étudiants concernant la grève étudiante et les élections provinciales de 2012. Nous avons confirmé que les opinions par rapport à la hausse ainsi que la participation à des actions de protestation sont importantes lorsqu’il s’agit du choix de vote des étudiants. Être contre la hausse des droits de scolarité et appuyer la gratuité scolaire ont principalement été des caractéristiques rattachées aux électeurs étudiants de Québec solidaire et d’Option nationale (moins fortement dans le cas de ce dernier). Ces deux partis ont largement bénéficié de ces enjeux et ont capté la frange la plus active du mouvement étudiant, même en contrôlant pour une variété d’explications alternatives. Le PQ, quant à lui, a simultanément reçu l’appui de militants pour la gratuité scolaire et de partisans de la hausse. Ses électeurs ont également été divisés quant à leur participation aux manifestations. Cela suggère donc que le vote péquiste répondrait à d’autres considérations que le conflit étudiant, par exemple la souveraineté du Québec, ou qu’il serait un vote anti-libéral.
29Nos résultats montrent que des enjeux qui sont relativement nouveaux, actuels et saillants peuvent intervenir dans le choix de vote d’un groupe pour lequel ces enjeux sont particulièrement pertinents. Le conflit social de 2012 et le clivage politique qu’il a généré ont eu un impact non seulement sur le vote des étudiants, mais également sur les partis politiques. Des tiers partis comme QS et ON semblent avoir profité de leur positionnement concernant cet enjeu, alors qu’un parti établi et de centre, tel que le PQ, a réussi à avoir des partisans des deux côtés du débat. L’impact de la place occupée entre les deux pôles par le PQ sur les résultats électoraux de ce parti, qui a remporté le scrutin avec une minorité, est à l’extérieur de la portée de ce chapitre, mais mérite certainement des analyses ultérieures.
30Nous savons que les électeurs plus « sophistiqués » qui votent selon les enjeux sont généralement plus actifs politiquement, mais est-ce la participation en soi à ces actions protestataires qui rehausse le vote sur enjeux ? Bien entendu, nous ne pouvons inférer que la participation aux actions de protestation a en elle-même eu un effet indépendant sur le choix de vote. Il est probable que, par exemple, les électeurs de QS participent a priori davantage à des marches et à des actions. Une analyse plus approfondie des manifestants et des activistes nous permettra éventuellement d’établir ce lien causal.
Notes de bas de page
1 Issue du projet de loi 78, la loi 12 est la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements d’enseignements de niveau postsecondaire. Certaines parties de la loi ont par la suite été abrogées par le gouvernement Marois.
2 En 2010, Statistique Canada notait que 60 % des étudiants universitaires avaient entre 17 et 24 ans.
3 Le rapport de l’automne 2011 de la CREPUQ corrobore la distribution du genre parmi les universités.
4 L’index va de 0 (pour la hausse) à 1 (contre la hausse) et a été créé en utilisant les réponses aux énoncés suivants dont les cinq possibilités de réponses allaient de « fortement en désaccord » à « fortement en accord » : l’éducation devrait être gratuite ; je m’oppose à toute hausse de frais de scolarité, les étudiants devraient majoritairement être responsables pour le paiement de leur éducation (inversé) ; et une légère hausse n’empêchera personne d’aller à l’université (inversé). L’index a un alpha de 0,84. Les résultats par université sont : UQÀM : 0,58, UdeM 0,54 et McGill 0,48.
Auteurs
Professeure agrégée au Département de science politique de l’Université McGill, directrice du Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique et cochercheuse principale au sein de l’Étude sur l’élection canadienne. Elle mène des recherches et publie sur plusieurs sujets, comme le milieu associatif, la confiance, les fondements institutionnels du capital social, la mobilisation politique ainsi que sur les nouvelles formes de participation politique. Son livre le plus récent s’intitule Political Consumerism : Global Responsibility in Action avec Michele Micheletti (Cambridge University Press).
Détient une maîtrise en science politique de l’Université McGill et est membre du Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique. Ses recherches portent sur l’analyse du comportement électoral des Québécois de façon diachronique et se concentrent sur le Parti libéral du Québec. De façon générale, elle s’intéresse aux différentes formes possibles de participation politique ainsi qu’à leurs sources.
Professeure régulière au Département de science politique à l’Université du Québec à Montréal. Elle est membre du Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique et codirectrice du Laboratoire d’analyse de communication politique et d’opinion publique (LACPOP) à Montréal. Elle s’intéresse particulièrement au comportement politique et à l’opinion publique. Elle est aussi collaboratrice à l’Étude électorale canadienne (ÉÉC) et elle a déjà publié, entre autres, dans la Revue canadienne de science politique, Political Studies, Politics and Gender, Political Research Quarterly et Journal of Women, Politics and Policy.
Professeure agrégée au Département de science politique de l’Université de Montréal. Elle dirige le Centre de recherche sur les politiques et le développement social de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur l’action collective et les mouvements sociaux. Son plus récent ouvrage s’intitule Trois espaces de protestation : France, Canada, Québec (PUM, 2013). Ses travaux ont également été publiés dans Politics & Society, French Politics, Canadian Journal of Sociology et Social Science Quarterly.
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