Conclusion
p. 65-67
Texte intégral
1Depuis ses premiers contacts soutenus avec la Chine, l’Occident a cherché les moyens d’établir une véritable connaissance, c’est-à-dire une connaissance scientifique, de ce monde de prime abord si étrange. L’immense corpus écrit accumulé sur plus de trois millénaires par cette civilisation s’imposa à la fois comme la porte d’entrée incontournable pour cette connaissance et l’obstacle le plus difficile à franchir. La maîtrise de la langue et de l’écriture apparut comme « le premier pas d’un périple de 10 000 li ». La langue et l’écriture ne furent pas seulement des moyens d’accès, mais des objets d’étude de plein droit. On peut, en effet, maîtriser une langue et une écriture sans en posséder une connaissance objective – et, inversement, la connaissance scientifique d’une langue n’est pas un gage sûr de son usage compétent. L’art et la science sont des dispositions distinctes.
2À mesure qu’on étendit le champ d’exploration, de nouvelles approches, de nouvelles lumières s’avérèrent nécessaires : l’exégèse, l’herméneutique, la traduction. Par ailleurs, comment comprendre la profusion des œuvres chinoises dans tous les champs de l’activité humaine sans une théorie des genres littéraires ? Comment les disposer dans un certain ordre sans un cadre historique bien établi ? Comment séquencer le développement de la pensée chinoise sans dégager un ordre de filiation des idées et des systèmes ? Comment rendre compte de la structure sociale sans sonder les bases économiques, l’environnement et le mode de production ? Les grands sinologues furent, par nécessité sinon par vertu, des adeptes de la pluridisciplinarité.
3Un trait fondamental de l’évolution de la sinologie est sa correspondance avec l’esprit de chaque époque. D’imaginaire avec Marco Polo, elle s’identifia aux missions chrétiennes avec Matteo Ricci, pour emprunter l’optimisme parfois naïf des Lumières, celui d’un Leibniz ou d’un Voltaire. Les xixe et xxe siècles, par les connaissances empiriques et descriptives qu’ils produisirent des sociétés et des peuples de la planète, nous permettent de percevoir la Chine dans une nouvelle perspective, ou, peut-être mieux, confirment une perspective émergente : l’anthropocentrisme et l’humanisme de la civilisation chinoise. Nulle part ailleurs, la parole attribuée à Protagoras trouve-t-elle un champ aussi riche d’application : « L’homme est la mesure de toutes choses, de l’existence des choses qui sont et de l’inexistence des choses qui ne sont pas » (Platon, Théétète, 152a). Si tout l’effort de la sinologie fut de combler l’abîme linguistique et cosmologique entre l’Occident et la Chine, il semble y avoir là la possibilité d’un nouveau départ pour une quête plus approfondie et plus centrée sur le cœur de la civilisation chinoise : l’Homme.
4Que devrait faire quelqu’un qui souhaiterait étudier ce cœur de la civilisation chinoise ? Deux choses me paraissent essentielles en ce domaine.
5Que le champ d’étude spécialisé soit choisi ou non, il faut commencer par maîtriser la langue et l’écriture chinoises. Le temps accordé à l’apprentissage linguistique est, sur la longue durée, du temps gagné. On peut étudier le chinois dans plusieurs excellentes universités en Amérique ou en Europe, mais il faut encore prévoir un long séjour d’immersion en Chine (deux ans ou plus). On acquiert ainsi une véritable autonomie en chinois parlé et écrit, et on parle, on lit et on écrit avec facilité et plaisir, sans avoir à chercher les mots à tout bout de champ dans les dictionnaires. Atteindre le niveau du plaisir est essentiel.
6Une fois acquise la maîtrise de la langue et de l’écriture, on peut choisir le champ d’étude qui nous plaît. Il y a des ouvertures dans presque tous les domaines des sciences humaines et des sciences sociales, avec une insistance peut-être plus marquée, de nos jours, pour la linguistique, la littérature, l’histoire et l’anthropologie culturelle. La formation linguistique doit continuer en parallèle de la spécialisation. Le critère d’embauche nécessaire et suffisant est l’excellence de la formation obtenue.
7Dans le domaine de la formation professionnelle et des sciences appliquées, les sujets d’actualité les plus prisés touchent à l’international : économie internationale, commerce international, gestion internationale, droit international, etc. Un étudiant qui maîtrise la langue et l’écriture et qui possède une formation de 2e ou 3e cycle en études internationales ou une spécialisation dans un domaine international augmente beaucoup ses chances de trouver du travail. Mais la maîtrise de la langue demeure toujours la pierre de touche de la formation fondamentale de tout sinologue.
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