8. Que nous réserve l’avenir ?
p. 57-65
Texte intégral
1La pratique de 1’astronomie évolue rapidement aujourd’hui encore, et de nombreux changements dans la forme et dans le fond de cette activité sont à prévoir. Côté forme, par exemple, l’astronome est de moins en moins appelé à se déplacer à l’observatoire pour y compléter ses observations. Déjà, les astronomes qui font usage de télescopes dans l’espace n’ont plus besoin de se déplacer, et cette façon de procéder s’étend maintenant à quelques observatoires au sol. Les projets d’observation, soumis par les chercheurs individuels aux grands observatoires nationaux, sont sélectionnés sur une base compétitive par des comités d’allocation de temps. Les observations associées aux divers projets acceptés sont ensuite mises à la file dans un « pipeline » ; elles seront complétées – en suivant les instructions précises de chaque astronome – selon une séquence qui visera non seulement à minimiser les efforts d’installation des différents récepteurs au télescope, mais aussi à optimiser les mouvements de celui-ci au cours d’une nuit d’observation. Les données obtenues sont ensuite transmises sous forme électronique à l’astronome qui n’a ainsi pas eu besoin de se déplacer. D’aucuns verront, dans cette évolution, un signe que l’acte pourtant éminemment simple d’observer le ciel est maintenant complètement dénaturé. Chose certaine, nous sommes bien loin de la vision bucolique de l’astronome véhiculée par la figure 3.
2Autre évolution incontournable, celle associée à la taille et la sophistication des télescopes, qui continuent d’augmenter de façon constante avec les années : les plus grands ont aujourd’hui un miroir de 10 mètres de diamètre, mais déjà plus d’une demi-douzaine de projets de télescopes avec des miroirs entre 25 et 30 m de diamètre sont au programme. Quant au projet OWL (acronyme de Overwhelmingly Large) avec son miroir de 100 mètres de diamètre, il est déjà envisagé pour 2021, bien plus tôt que la relation empirique qui régit l’accroissement de la taille de miroirs en fonction du temps depuis quatre siècles ne l’aurait suggéré. Selon la loi empirique discutée plus haut, pour laquelle la taille du miroir double tous les 50 ans, des miroirs de 100 mètres de diamètre ne devraient devenir réalité qu’au-delà de 2150. Pour pouvoir profiter pleinement de la puissance collectrice de ces miroirs, il faudra équiper chacun de ces géants d’une instrumentation à la fine pointe, de récepteurs si sensibles qu’ils permettront d’analyser la lueur issue d’objets situés aux confins de l’univers visible et dont le trajet jusqu’à nous aura pris plus de dix milliards d’années. Cependant, la croissance – pourtant étonnamment rapide – de notre pouvoir d’observation associée à l’augmentation de la taille des télescopes n’est rien en comparaison de celle attendue des données d’observation : le volume de nouvelles données recueillies en astronomie double sur une période de un à deux ans seulement ! Cette croissance dramatique, qui ne montre aucun signe d’essoufflement, pose non seulement des problèmes singuliers quant au support d’archivage des données, mais indique également une nouvelle façon de faire de l’astronomie : l’utilisation massive de bases de données archivées par divers observatoires, toutes reliées entre elles. Cet usage donnera bientôt la possibilité de combiner les observations d’objets spécifiques, obtenues dans plusieurs régions spectrales différentes, afin de peindre un portrait complet des propriétés de ces ojets ; ces études pourraient s’étendre du domaine des ondes radio jusqu’à celui des rayons γ. Les bases de données pourront également être utilisées pour l’étude de la variabilité d’objets sur des bases de temps allant de quelques jours à plusieurs années. Elles rendront aussi possibles d’instructifs retours en arrière par la consultation dans les archives des données obtenues il y a 5, 10, 15 ans ou plus. Pendant longtemps, la collection de plaques photographiques du Harvard College Observatory, amassée pendant une centaine d’années, a été la seule à pouvoir jouer ce rôle ; elle a servi, entre autres, à documenter la variabilité de noyaux de galaxies actives, baptisés QSO, pour « objets quasi stellaires », sur des décennies. Cette pratique sera bientôt monnaie courante, révolutionnée par l’existence de gigantesques bases de données. Ainsi, après l’explosion d’une supernova relativement proche, il sera possible de retrouver l’étoile comme elle était avant sa destruction catastrophique, ce qui devrait fournir des indices sur les propriétés des objets susceptibles de finir leur vie de cette façon. Déjà, les modestes archives existantes ont permis d’identifier l’étoile détruite lors de l’explosion de la supernova SN1987A dans le Grand nuage de Magellan : il s’agissait d’une anodine supergéante bleue, répertoriée précédemment sous le nom de Sanduleak 69. Victime de l’univers violent dans lequel elle habitait, Sk 69 peut maintenant être rayée de nos catalogues...
3De façon étonnante, tout ce travail d’exploitation d’archives pourra être accompli de chez soi, en se branchant avec un ordinateur personnel. Les mérites de la création de tels « observatoires virtuels » sont encore débattus, mais déjà des projets pilotes d’envergure modeste démarrent en Amérique, en Europe, au Japon et en Australie. Cette façon toute nouvelle d’« observer » aura le mérite de démocratiser encore un peu plus la pratique de l’astronomie, puisque l’analyse de données deviendra beaucoup moins tributaire de l’obtention de temps d’observation sur les grands télescopes, une activité où la compétition est et restera sûrement très intense.
4Comme la majorité des sciences, l’astronomie tend, avec le temps, à devenir une activité de plus en plus collective et cette tendance se maintiendra. Les astronomes mettent fréquemment leurs ressources en commun dans de grands projets d’observations coordonnées qui permettent d’extraire de l’information qui ne serait pas accessible à un observateur œuvrant seul. Quelques exemples viennent à l’esprit. Le premier implique les étoiles puisantes, ces astres dont la brillance varie de façon plus ou moins régulière au cours du temps. L’étude des étoiles puisantes régulières et de courte période s’appuie beaucoup, depuis plusieurs années, sur des observations obtenues de façon presque continue dans plusieurs observatoires localisés à différentes longitudes à la surface de la Terre : quand l’étoile observée passe sous l’horizon d’un observatoire donné, elle reste visible d’un observatoire localisé plus à l’ouest, qui prend alors la relève et poursuit les observations. De cette façon, un grand nombre de cycles de pulsations peuvent être observés de façon ininterrompue. Ce type d’observations permet de mieux définir la structure physique des étoiles puisantes. Le lecteur attentif aura remarqué que des observations astronomiques ininterrompues sont également possibles à partir d’endroits où la nuit se prolonge pendant une longue période de temps, par exemple en Antarctique pendant l’hiver austral. Ce constat n’a évidemment pas échappé aux astronomes, qui sont en train de faire de ces régions, pourtant isolées et difficiles d’accès, un site astronomique tout à fait unique.
5La récente campagne d’observations coordonnées du noyau de la comète Temple 1 est un autre exemple édifiant de grande collaboration scientifique à l’échelle internationale. Même si le projet fait une large part aux observations complétées in situ par la sonde spatiale Deep Impact, des observations coordonnées en provenance de 60 observatoires terrestres différents, qui rassemblent la majorité des grands télescopes actuels, ont été réalisées en juillet 2005. Une dernière illustration de ce type d’effort collaboratif est le projet OHANA, qui vise à utiliser simultanément les sept télescopes de trois mètres et plus de diamètre localisés au sommet du Mauna Kea, à Hawaï, comme un seul télescope. Celui-ci serait alors doté d’une sensibilité et d’une capacité tout à fait exceptionnelles à distinguer les détails fins dans des objets astronomiques étendus. Cette technique de combinaison, baptisée « interférométrie », est utilisée couramment en radioastronomie. Pour des raisons techniques, son utilisation aux courtes longueurs d’onde qui caractérisent les radiations infrarouges et visibles est encore restreinte. Avec cette grande collaboration internationale (les télescopes au sommet du Mauna Kea sont affiliés à neuf pays et deux d’entre eux – les télescopes Keck I et Keck II de 10 m de diamètre – ont été financés par une fondation privée), on pourra discerner, dans les objets astronomiques étendus, des structures de dimension angulaire de l’ordre de 0,00025 seconde d’angle (voir note 1). Cet angle est celui sous-tendu par une pièce de 25 sous située à près de 20 000 km.
6Côté thématique, à quoi peut-on s’attendre au cours des prochaines années ? Les défis, dans chacune des branches de l’astronomie, ne manquent pas et ils reflètent l’étonnant pouvoir d’attraction, renouvelé à chaque génération, de cette discipline. J’en indique quelques-uns, en ordre approximativement croissant d’échelle.
7Localement, l’exploration de notre système solaire à l’aide de sondes se poursuivra : un retour vers la Lune, singulièrement délaissée voilà 35 ans, et des études détaillées de Mercure, Vénus et Pluton sont au programme jusqu’en 2010. Des visites au noyau de la comète Churyumov-Gerasimenko et aux astéroïdes Céres, Vesta et 4660 Nereus y figurent également. En parallèle, la recherche de planètes de type terrestre autour d’étoiles proches s’accélérera et devrait mener rapidement à l’identification de ces objets par imagerie directe. Cette recherche sera assurément suivie de celle des molécules associées, sur Terre, au développement de la vie, comme l’oxygène, le méthane et l’eau.
8Sur le plan stellaire, un effort important portera assurément sur les sursauts γ, ces sources de radiation très énergétiques détectées en provenance de galaxies éloignées. Les modèles favorisés pour ces objets impliquent l’explosion d’une « hypernova ». Ce néologisme décrit une variété particulièrement énergétique de supernova, associée à l’agonie d’une étoile très massive et à l’effondrement gravitationnel de ses régions centrales. L’idée d’être capable d’étudier le comportement d’une simple étoile – aussi massive soit elle – située à des milliards d’années-lumière fascine. Au programme également, si la chance nous sourit : la première explosion de supernova visible dans la Voie lactée depuis celle de 1604, la supernova de Kepler. Cette supernova, dont le nom rend hommage à celui qui fut véritablement le premier astrophysicien, fut alors, pendant quelques semaines, plus brillante que toutes les autres étoiles du ciel nocturne. Même si le taux de supernovae dans la Voie lactée est de deux ou trois explosions par siècle, la majorité de ces événements restent cachés pour les observateurs terrestres ; le taux moyen de supernovae observables n’est donc que d’environ une par deux siècles. Pourtant, depuis la supernova de Kepler, plus rien... Bien sûr, les astronomes se sont fait la main avec la supernova 1987A, dans le Grand nuage de Magellan, une galaxie externe située à « seulement » 160 000 années-lumière. SN 1987A est la première supernova proche de l’ère moderne ; à ce titre, elle a été la supernova la mieux observée de toute l’histoire. Le temps est venu de pouvoir tourner nos télescopes vers une supernova dans la Voie lactée ; idéalement, située à moins de 25 000 années-lumière. Notre longue attente devrait bientôt être récompensée, et le feu d’artifice en vaudra certainement la peine.
9En astronomie galactique, notre compréhension de la structure et des propriétés de la Voie lactée sera sans aucun doute mise à l’épreuve par la mission astronomique Gaia, dont le lancement est prévu pour 2011. Cette mission contribuera à déterminer la position et le mouvement d’environ 1 000 000 000 (oui, un milliard !) d’étoiles, un énorme recensement qui englobe 1 % du contenu stellaire de la Galaxie. À l’heure actuelle, le plus gros ensemble de telles mesures, le catalogue Tycho, legs de la mission Hipparcos, contient des mesures de distance pour environ un million d’étoiles. En termes démographiques, la mission Gaia équivaudrait à recenser, en quelques années, les caractéristiques de 65 000 000 d’êtres humains, soit environ 1 % de la population actuelle sur Terre.
10Aux échelles galactique et extragalactique, il semble impossible d’échapper au problème de la nature de la « matière sombre », sans doute le problème le plus préoccupant de l’astronomie contemporaine. Dans notre vision actuelle, la Voie lactée au complet serait enveloppée d’un énorme halo sphérique de cette matière qui, puisqu’elle n’émet de radiation dans aucune région du spectre électromagnétique, reste indétectable par les moyens traditionnels. La masse de cette enveloppe ferait plus de 10 fois la masse visible de la Voie lactée, celle que l’on observe sous les formes traditionnelles d’étoiles et de gaz. L’influence gravitationnelle du halo sombre est substantielle, donc, puisque c’est lui qui contrôle la dynamique des étoiles dans les régions externes de la Voie lactée. Il importe, afin de mieux comprendre comment la Galaxie et les galaxies externes se sont formées, d’élucider le problème de la nature de cette « matière sombre ». Le défi est lancé ; qui le relèvera ?
11À sa plus grande échelle, celle qui caractérise la cosmologie, l’étude de l’univers est également en pleine effervescence. Sur le plan expérimental, les efforts dans le domaine de la cosmologie de haute précision se poursuivront avec le lancement de la mission Planck, prévu pour 2007, dont l’objectif sera la cartographie très fine des minuscules différences de température qui caractérisent le rayonnement fossile mesuré dans différentes directions. En outre, la récente mise en évidence d’une accélération de l’expansion de l’univers, plutôt que la décélération attendue dans les modèles traditionnels, a surpris. Elle soulève maintenant le délicat problème du mécanisme à l’origine de ce comportement, mécanisme décrit pour le moment par le terme générique d’« énergie sombre », de nature encore inconnue. Un programme de recherche, baptisé Joint Dark Energy Mission et envisagé pour 2012, aura comme but de documenter la façon dont l’expansion de l’univers a varié au cours du temps afin de révéler le mécanisme à la source de l’accélération observée. D’autres astronomes travaillent à développer une vision cohérente de la période de transition, qui dura environ un milliard d’années, entre l’explosion primordiale et l’apparition des premières galaxies. Environ 400 000 ans après sa naissance, l’univers est devenu une soupe froide et homogène, sans aucun relief et dénuée de toute source lumineuse. Cette Grande Noirceur persiste pendant quelques centaines de millions d’années, puis les premières étoiles se forment au sein d’énormes nuages protogalactiques qui contiennent un mélange de « matière sombre » et de matière ordinaire. Ces étoiles sont massives, lumineuses et composées presque uniquement d’hydrogène et d’hélium, les deux éléments chimiques formés en quantité importante lors de l’explosion primordiale. Leur apparition annonce le début du processus de formation de structures dans l’univers : plus de 12 500 000 000 d’années plus tard, nous observons le résultat de ce processus sous la forme d’une hiérarchie de structures cosmiques qui s’étend des galaxies aux amas de galaxies, puis aux superamas.
12Le fait que l’on puisse reconstruire, avec une certaine confiance, la séquence d’événements complexes qui ont mené l’univers à ce qu’il est aujourd’hui est un merveilleux témoignage de l’étonnant travail accompli par les astronomes au cours des 40 siècles d’histoire de cette discipline. Le chemin parcouru est impressionnant : il nous a menés des premières observations babyloniennes de Vénus à celles du rayonnement fossile, et du philosophe milésien Anaximandre à Edwin Hubble. L’univers est cependant encore loin d’avoir révélé tous ses secrets. Que les yeux de nombreux astronomes puissent continuer à nous dévoiler la prodigieuse magnificence du monde que nous habitons !
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