7. La diffusion du savoir
p. 51-56
Texte intégral
1Tout travail méritoire, qu’il ait été réalisé par un astronome amateur ou professionnel, mérite d’être diffusé. Cette diffusion fait partie intégrante de l’activité de recherche et se fait par l’intermédiaire de la rédaction de publications qui décrivent, pour chaque étude complétée, les hypothèses de base du travail, les méthodes d’analyse ou d’investigation, et les résultats obtenus. Cette publication est expédiée à une revue spécialisée qui la soumet impérativement à un mécanisme d’arbitrage par les pairs. L’arbitrage consiste en la lecture et la critique du texte soumis par un ou plusieurs astronomes professionnels impartiaux, eux-mêmes spécialistes du domaine et choisis par l’éditeur de la revue. Ceux-ci recommandent généralement que des modifications soient apportées à l’article avant d’en approuver la publication ; il arrive parfois qu’ils recommandent le rejet du manuscrit s’il est considéré d’une qualité trop faible pour les normes de la discipline. Les corrections peuvent impliquer une réécriture substantielle de l’article, l’inclusion de précisions additionnelles sur les hypothèses et les méthodes, la modification d’affirmations exagérées, la prise en compte d’implications qui ont échappé à l’auteur, etc. L’arbitre se porte ainsi garant du fait que, selon lui, l’article soumis rapporte des résultats qui satisfont aux critères établis de la recherche scientifique dans le domaine. En astronomie, l’arbitrage est généralement anonyme, un système qui permet – en principe – de traiter tous les auteurs sur le même pied. L’arbitrage se résume alors à un échange entre deux scientifiques compétents. Cette procédure d’arbitrage est appliquée à tous de façon uniforme, que l’auteur soit jeune professeur ou titulaire d’une chaire de recherche. Elle a, bien entendu, ses partisans et ses détracteurs, et chacun peut probablement raconter une ou deux histoires savoureuses à propos d’un arbitre ou d’un auteur particulièrement borné. Malgré tout, le système fonctionne et il est peu probable qu’il soit modifié de façon draconienne dans un avenir rapproché.
2Le processus de publication en astronomie est dominé, en ce début de siècle, par une demi-douzaine de revues prestigieuses : la revue américaine The Astrophysical Journal, fondée en 1895 par les astronomes George Haie et James Keeler, est peut-être la plus connue. Mais d’autres sont, selon leur sous-discipline spécifique, tout aussi renommées, comme The Astronomical Journal (1849), Astronomy and Astrophysics (1969), Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (1827), ou les Publications of the Astronomical Society of the Pacific (1889). Cette hégémonie de quelques revues est assez récente, puisque, il n’y a pas si longtemps, bon nombre de travaux astronomiques voyaient le jour dans les publications de divers observatoires, comme celles de l’Observatoire fédéral d’astrophysique de Victoria, de l’Observatoire du mont Wilson, de l’Observatoire Lick ou celui du Harvard Collège. Ce n’est plus le cas à notre époque, alors que la plupart de ces publications ont disparu. Pis encore, la revue Astronomy and Astrophysics est issue de la fusion de six revues européennes distinctes, la plus ancienne remontant à 1884.
3L’avantage de cette concentration de la littérature scientifique pour le chercheur est que celui-ci peut rester informé des travaux dans son domaine, assurément une responsabilité qui lui incombe, en consultant régulièrement un nombre restreint de revues ; il court ainsi moins le risque d’ignorer un travail important publié dans une revue qu’il ne consulte pas. La petite histoire de la découverte du cycle de réactions nucléaires de combustion de l’hélium, baptisé cycle 3a, nous en fournit une illustration cocasse. Afin de comprendre comment des noyaux d’éléments lourds comme le carbone, l’azote et l’oxygène peuvent s’être formés dans les fournaises que sont les régions internes des étoiles, il faut pouvoir expliquer comment trois noyaux d’hélium se combinent pour former un noyau de carbone, en dépit du fait que la combinaison de deux noyaux d’hélium est, elle, très instable. L’explication physique est fournie en 1952 par Edwin Salpeter, qui la publie sous la forme d’une courte note ciblée de trois pages dans la revue The Astrophysical Journal. Salpeter ignore qu’une étude (moins sophistiquée, cependant) du cycle 3α a déjà été réalisée indépendamment par l’astronome estonien Ernst Öpik. Celui-ci l’a publiée l’année précédente, enterrée au sein d’un article de fond de 29 pages, dans les Proceedings of the Royal Irish Academy, une revue plus obscure et beaucoup moins accessible.
4L’hégémonie des revues modernes consacre également le fait que la langue anglaise est devenue, et ce depuis quelques années, lingua franca en astronomie, comme elle l’est dans la plupart des autres disciplines scientifiques. La mainmise d’une langue sur la communication scientifique ne date pas d’hier : le latin a longtemps joué ce rôle, et pendant longtemps le français — langue de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert — a été la langue des érudits. D’ailleurs, le français reste une des langues officielles de l’Union astronomique internationale, l’association internationale d’astronomes professionnels fondée en 1919. Aujourd’hui, cependant, le rôle dominant est dévolu à l’anglais, qui est devenu la langue de communication de choix des scientifiques. Doit-on s’en formaliser ? La réponse à cette question doit être nuancée. D’une part, il est essentiel que, en tant que chercheurs, nous soyons membres à part entière d’une communauté internationale active, où la diffusion des derniers résultats scientifiques se fait avec facilité, rapidité, et à grande échelle. Dans cette optique, l’existence, par exemple, d’une revue québécoise d’astrophysique, qui servirait la minuscule communauté d’astronomes francophones d’Amérique du Nord, semble tout à fait inutile et stérile. D’autre part, cela ne veut pas dire que la langue française n’a aucun rôle à jouer dans notre travail. Tout notre enseignement est fait dans cette langue, comme le sont nos efforts de diffusion auprès du grand public. Un étudiant peut facilement étudier l’astronomie en français. Mais s’il veut se joindre, en bout de ligne, à la grande communauté des chercheurs dans son domaine, il devra alors maîtriser la langue d’échange de cette communauté qui reste, jusqu’à nouvel ordre, l’anglais.
5Toutes les grandes revues astronomiques mentionnées plus haut sont entrées, depuis peu, dans l’ère numérique, et leur consultation se fait maintenant exclusivement sur le Web. Disparus de nos bureaux, donc, les rayons d’étagères encombrés d’exemplaires de The Astrophysical Journal qu’il fallait fidèlement déménager chaque fois qu’on changeait d’emploi. Tous les articles de cette revue, et des milliers d’autres, sont maintenant accessibles avec quelques clics de souris à partir d’un site centralisé, le NASA Astrophysics Data System, véritable bibliothèque numérique qui a profondément modifié le paysage de la diffusion scientifique. En parallèle, un imposant système, nommé arXiv.org, axé sur la circulation et le dépôt d’articles soumis pour publication, ou alors acceptés pour publication mais non encore publiés, a été mis sur pied. Compte tenu du délai qui sépare la soumission d’un article de sa publication, qui se chiffre en mois pour la majorité des revues scientifiques, ces « prépublications » (qui circulaient déjà sous une forme non électronique il y a plusieurs dizaines d’années) contribuent à diffuser rapidement les nouveaux résultats, ce qui a pour effet de dynamiser considérablement l’activité de recherche. L’usage d’autres outils qui favorisent une interaction dynamique entre les scientifiques, tels que les « blogues » (une forme de journal personnel électronique) et les « sites Wiki » (sites Web collaboratifs), ou de revues exclusivement électroniques, comme la revue New Astronomy fondée en 1996, n’est, à ce stade, guère répandu en astronomie.
6La seconde composante de la diffusion en science est le congrès, auquel participe plus ou moins régulièrement tout scientifique. L’importance associée à cette activité dépend bien entendu de la discipline, ainsi que du cadre dans lequel travaille chacun d’entre nous. Si un scientifique a l’occasion, au cours de l’année, d’échanger avec régularité avec ses collègues, sa présence à de nombreux colloques ou congrès lui paraîtra moins nécessaire. Par contre, s’il est isolé, ces réunions, une ou deux fois par année, lui paraîtront essentielles afin de ne pas perdre pied dans le domaine compétitif de la recherche. Dans les congrès, personne ne cherche la même chose : certains privilégient le contact personnel et les discussions informelles avec les collègues, alors que d’autres mettent l’accent sur la présentation qu’ils y font de leurs derniers travaux. Les plus jeunes profitent souvent de l’occasion qui leur est offerte pour se faire connaître auprès de collègues plus seniors, peut-être pourvoyeurs d’emplois, pendant que les plus vieux apprécient l’occasion d’y retrouver de vieilles connaissances.
7L’atmosphère qui règne à ces conférences me semble généralement plus axée sur la tolérance des points de vue, souvent divergents, que sur la confrontation. Certes, des communautés plus divisées ont la réputation de faire un peu moins dans la dentelle, et un certain manque de collégialité est perceptible dans les comptes rendus publiés de conférences. Cette situation n’est certes pas l’apanage de l’astronomie, mais plutôt le reflet de l’existence, dans chaque communauté scientifique, de sujets particulièrement controversés qui sont souvent générateurs de débats musclés.
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