5. La pratique de l’astronomie
p. 35-44
Texte intégral
1Pourquoi devient-on astronome ? Les raisons peuvent être très diverses. Plusieurs viennent à ce métier après avoir été piqués, très jeunes, par l’observation astronomique, à l’aide d’une paire de jumelles ou d’un petit télescope. Les plus débrouillards parmi ces jeunes mordus auront peut-être même construit leur propre télescope, après en avoir patiemment poli les miroirs. D’autres auront été marqués par la lecture d’un livre ou d’une chronique dans une revue, par le visionnement d’une émission ou par une rencontre fortuite particulièrement inspirante. D’autres encore – c’est mon cas – ont grandi à l’époque particulièrement effervescente de la course à la Lune, entre 1961 et 1972. Rarement la transition entre l’« avant » et l’« après » a-t-elle été aussi marquante que durant cette période. Comme l’a déjà souligné Carl Sagan, ces années occupent une période privilégiée de l’histoire de l’humanité, celle où Lune et planètes ont cessé d’être des objets lointains et inaccessibles et sont devenues des mondes en voie d’exploration. Peut-on imaginer motivation plus forte que l’idée de participer à cette immense aventure ?
2Astronome, donc. Mais y a-t-il un astronome typique ? Si oui, à quoi ressemble-t-il ? Se peut-il qu’ils soient tous des professeur Calys, de L’étoile mystérieuse de Hergé (Figure 4), celui de l’« ÉNORRRME boule de feu » ? La réponse, négative Dieu merci, doit être nuancée, puisqu’il y a plusieurs sortes d’astronomes ; la pratique de l’astronomie se démarque en effet de celle de la majorité des autres disciplines scientifiques par le rôle important tenu par les amateurs. Ce mot n’a, dans ce contexte, aucune connotation péjorative. Comme on le verra plus loin, le terme « astronome amateur » est le terme conventionnel utilisé pour décrire un observateur du ciel qui utilise, comme hobby, un petit télescope personnel pour faire des observations astronomiques. Dans plusieurs cas, ces observations peuvent être d’un grand intérêt pour l’astronome professionnel. Les astronomes amateurs forment un ensemble de praticiens, souvent tout aussi motivés que les astronomes professionnels, qui contribuent de façon remarquable à l’essor de la discipline par des observations uniques, qui occupent un créneau restreint mais délaissé par les astronomes professionnels. Cette spécificité fait de la pratique de l’astronomie l’une des activités scientifiques les plus ouvertes et démocratiques qui soit. Dans le tour d’horizon qui suit, il importe donc de discuter séparément du rôle des professionnels et des amateurs.
L’astronome professionnel
3Le choix d’une carrière astronomique implique non seulement que la passion soit au rendez-vous, mais aussi qu’elle soit accompagnée d’autres qualités. Le travail requiert assurément des aptitudes minimales pour les sciences naturelles et les mathématiques : esprit analytique, capacité de raisonnement logique, aptitude à observer et à tirer de ces observations les conclusions appropriées, sensibilité à la beauté et à l’organisation de la Nature, persistance et détermination dans l’exécution du travail. Également requise, cette capacité de doser avec intelligence, audace et prudence, capacité à laquelle faisait allusion le physicien Jean Perrin en parlant des deux « instincts [...] dont l’équilibre est nécessaire au lent progrès de la science humaine ». Au-delà de ces exigences qui caractérisent, je pense, l’exercice de tout travail scientifique, l’astronome se distingue par son désir d’aller au-delà d’une simple admiration passive du ciel étoilé et de poser les questions : pourquoi l’univers est-il comme il est, comment est-il structuré, que va-t-il devenir ?
4Pour aborder ce type de questions fondamentales, l’astronome se concentre généralement sur un domaine de recherche en particulier. Les divisions entre les différents domaines de recherche d’une discipline sont toujours un peu arbitraires ; celles que je propose reflètent une réalité moderne et s’établissent comme suit. L’astronomie planétaire se préoccupe du système solaire et de ses propriétés. Ce domaine inclut les planètes et les composantes mineures de ce système (satellites planétaires, comètes, astéroïdes, météorites et poussière interplanétaire) mais exclut généralement le Soleil. L’astronomie planétaire recoupe fréquemment les domaines de la géologie et de la climatologie terrestres, puisque les processus qui modifient constamment la physionomie et le climat de notre planète peuvent aussi être à l’œuvre sur d’autres objets du système solaire. Aujourd’hui cette discipline fait surtout appel à des observations prises par des sondes (comme la mission Cassini/Huygens vers Saturne et Titan, ou la mission Mars Exploration Rover qui a déposé Spirit et Opportunity sur la surface martienne) plutôt qu’à des observations télescopiques traditionnelles. Depuis quelques années, l’astronomie planétaire inclut également la recherche d’« exo-planètes », devenue possible grâce à la mise au point de techniques d’observation très sensibles. L’astronomie stellaire, quant à elle, se préoccupe de l’étude des propriétés physiques et de l’évolution des étoiles en général ; l’étude du Soleil doit en principe être intégrée à cette branche, bien que les liens entre les communautés solaires et stellaires ne soient pas aussi étroits que ce que l’on pourrait imaginer. L’astronomie galactique se concentre sur les propriétés de la Galaxie ; ce système stellaire comprend environ une centaine de milliards d’étoiles ainsi que du gaz et de la poussière, distribués de façon irrégulière entre les étoiles. Notre vision moderne de la Voie lactée requiert également la présence dans ce système d’une énorme quantité de « matière sombre ». Il s’agit là de matière exotique, sous une forme différente de celle qui nous est familière, qui n’a jamais été observée directement, mais dont la présence se fait sentir dans la Galaxie par l’intermédiaire de la force gravitationnelle qu’elle exerce. L’astronomie extragalactique se concentre, elle, sur l’étude des propriétés physiques et de la distribution spatiale des galaxies externes, ces systèmes stellaires analogues à la Voie lactée qui sont les blocs de base des plus grandes structures de l’univers. Finalement, la cosmologie moderne se préoccupe de l’univers à sa plus grande échelle, de sa structure, de sa géométrie et de sa dynamique, et elle fait une large part à l’étude de son évolution : à quoi ressemblaient les phases initiales du développement de l’univers, celles qui suivent l’explosion primordiale, et comment l’univers va-t-il évoluer ?
5Au sein de ces domaines, l’astronome s’attaque aux problèmes qui le fascinent. Ils sont légion, mais ambition et pragmatisme contrôlent ces choix : le scientifique s’évertue, au cours de sa carrière, à travailler sur les problèmes les plus intéressants possibles tout en reconnaissant qu’il peut être particulièrement disposé – en raison de ses habiletés, de sa formation ou de ses intérêts – à affronter une sorte de problèmes plutôt qu’une autre. Les progrès accomplis sont souvent incrémentiels, mais tout scientifique a assurément l’ambition de s’intéresser à des problèmes dont la solution fera progresser son domaine de la façon la plus significative possible.
6L’idée de faire progresser un domaine scientifique, et ce même de manière incrémentielle, a quelque chose de grisant. Ce résultat ne s’obtient cependant pas du jour au lendemain ; il nécessite un long travail préparatoire. Tout comme l’athlète qui doit investir de longues heures dans son entraînement avant d’atteindre un niveau international, l’apprenti scientifique doit « faire ses classes ». On exige donc de lui qu’il comprenne et maîtrise le langage et les concepts de base des mathématiques, de la physique et de l’astronomie. Sa formation doit être aussi large que possible, afin de pouvoir faire preuve d’un certain recul face à sa discipline. Ensuite, le débutant doit digérer les résultats obtenus par ceux qui l’ont précédé avant de pouvoir aspirer à faire progresser le domaine qu’il a choisi. Tout cela prend du temps, et requiert patience, détermination, opiniâtreté – en un mot, travail. Bien que l’histoire montre qu’un tel travail puisse être abattu en dehors du contexte académique, de tels cas sont rares aujourd’hui. Les travaux théoriques exceptionnels réalisés par Einstein lors de son année d’or (1905) alors qu’il travaillait hors du circuit académique, au Bureau des brevets de Berne, sont l’exception qui confirme la règle.
7La façon dont un jeune scientifique, aujourd’hui, « fait ses classes » diffère considérablement de la façon dont s’y prend un étudiant en littérature, par exemple. Plus spécifiquement, le corpus d’une discipline comme l’astronomie ou la physique inclut peu de sources primaires. Par exemple, aucun astronome – exception faite de ceux qui sont particulièrement intéressés par l’histoire des sciences – n’a lu Astronomia nova (1609) et Harmonices mundi (1619) de Johannes Kepler, œuvres dans lesquelles sont énoncées pour la première fois, respectivement, les première et deuxième lois, et la troisième loi du mouvement planétaire (aussi connues sous le nom de lois de Kepler). De la même façon, peu de physiciens contemporains sont passés au travers des Philosophiœ naturalis principia mathematica (1687), pourtant le texte clé de la mécanique newtonienne. Cela n’empêche pourtant pas les enseignants que nous sommes de faire une large part à cette matière dans nos cours, puisque le contenu de ces sources primaires a été – depuis le xviie siècle – avéré, digéré et reformulé dans un langage moderne et accessible à tous. Il n’y a donc pas d’intérêt supérieur à retourner aux textes originaux en latin, qui sont par ailleurs souvent caractérisés par une terminologie anachronique et des outils mathématiques avec lesquels les scientifiques contemporains sont généralement peu à l’aise. Cette situation diffère de celle de l’étudiant en littérature préparant une thèse sur la doctrine naturaliste qui aurait, lui, l’obligation de lire les romans de Zola plutôt que des condensés modernes.
8Ainsi donc, projet par projet, la discipline se développe. L’image d’un édifice, construit patiemment, brique par brique, est appropriée. Chaque brique, prise individuellement, est une contribution qui peut sembler modeste ; le bâtiment final n’en sera pas moins majestueux. Dans cette patiente entreprise de construction, la science peut à l’occasion faire fausse route. Ainsi, plusieurs astronomes réputés de la fin du xixe siècle observent des canaux à la surface de Mars, et l’idée que ceux-ci sont artificiels – construits par une espèce intelligente – est acceptée dans l’enthousiasme par les grands astronomes qu’étaient Camille Flammarion et Percival Lowell. Cet incident illustre élégamment la capacité, quelquefois lente, d’autocorrection associée à la démarche scientifique : ce n’est qu’après la mission Mariner 9, en 1971, que l’astronomie fait son deuil définitif du mythe des canaux martiens.
L’astronome amateur
9En parallèle à l’activité scientifique de l’astronome professionnel existe, je l’ai dit, une activité poursuivie par les astronomes amateurs. Qui sont-ils et que font-ils ? Il s’agit, dans la majorité des cas, de mordus de l’astronomie généralement sans formation spécialisée dans ce domaine. De jour, ils exercent toutes sortes de professions n’ayant souvent rien à voir avec l’astronomie. Quand le Soleil se couche, ils sortent leurs télescopes et se mettent à l’œuvre. Un petit nombre d’entre eux ont construit de leurs mains ces petits chefs-d’œuvre, polissant patiemment leurs composantes optiques. D’autres investissent dans des systèmes commerciaux de qualité. Tous, cependant, partagent un enthousiasme contagieux pour l’observation du ciel, qu’ils connaissent assurément mieux qu’une grande fraction des astronomes professionnels. Certains amateurs passent la majorité de leur temps à observer les objets accessibles à de petits télescopes : étoiles doubles ou variables, amas d’étoiles divers, nébuleuses et galaxies externes peuplent cet univers. D’autres poussent l’exercice jusqu’à tenter d’observer la centaine d’objets catalogués par le grand astronome du xviiie siècle, Charles Messier. Quelques-uns vont au-delà de l’astronomie comme hobby et font un travail d’observation original. Les astronomes amateurs les plus célèbres chassent les comètes, comme Messier le faisait déjà il y a 250 ans. Plusieurs de ces objets portent le nom des astronomes amateurs qui les ont découverts, comme William Bradfield, Don Machholz et Leslie Peltier. Une minorité, superbement équipée, se consacre à la recherche de supernovae dans des galaxies externes à l’aide de télescopes complètement automatisés et contrôlés à distance ! Le type d’observations auxquelles les astronomes amateurs contribuent le plus efficacement n’est – pour des raisons pratiques – pas activement poursuivi par les professionnels. La recherche de comètes et de supernovae, par exemple, requiert l’observation répétée de grandes régions du ciel, une tâche qui peut être accomplie de façon efficace par un amateur sérieux équipé d’un télescope de dimension modeste. Le professionnel, lui, doit généralement composer avec un nombre de nuits d’observation limité sur un télescope de plus grande dimension, une combinaison plus appropriée à d’autres sortes de projets, comme l’étude détaillée d’un nombre restreint d’objets. Pour ces raisons, le créneau occupé par les astronomes amateurs a été quelque peu délaissé par les astronomes professionnels, ce qui contribue à une synergie entre les deux groupes particulièrement intéressante et probablement unique en science. Dans la majorité des cas, le travail de l’astronome amateur prend fin avec la découverte d’un nouvel objet, son annonce et sa confirmation par les réseaux d’observatoires professionnels. Les travaux subséquents, qui incluent l’acquisition de divers types de données, leur modélisation et leur interprétation, sont généralement du ressort du professionnel, car ces travaux requièrent des moyens bien au-delà de ceux accessibles à un astronome amateur.
10Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la « science officielle » ne se prive pas de reconnaître le talent et l’apport à la discipline de ceux qui, sans formation spécialisée préalable, y contribuent de façon si essentielle. Ainsi David Levy, dont le nom est associé à la comète Shoemaker-Levy 9 qui s’écrasa sur Jupiter en 1994, est détenteur de plusieurs doctorats honoris causa. Le cas de Milton Humason est peut-être, dans ce contexte, le plus édifiant. Humason est d’abord employé à conduire les mules qui transportent les matériaux requis pour la construction de l’observatoire au sommet du mont Wilson, en Californie. En 1917, il est engagé comme concierge à l’Observatoire, où il est rapidement promu assistant de nuit ; en raison de ses talents d’observateur, il se voit confier le programme de mesure de décalage vers le rouge des nébuleuses, au sein duquel il devient le collaborateur précieux du grand astronome Edwin Hubble. Ultime consécration du petit muletier, Humason finit sa carrière avec le titre d’astronome aux observatoires du mont Wilson et Palomar et un doctorat honoris causa de l’Université de Lund, en Suède.
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