4. L’astronomie face au temps
p. 31-34
Texte intégral
1Le calendrier fait aujourd’hui partie de notre vie quotidienne, et peu se soucient de la relation originelle qu’il a avec l’astronomie. Pourtant cette discipline maintient encore une relation bien particulière avec le temps, et cet étroit lien, qui prend plusieurs formes, est une de ses spécificités les plus intrigantes. Tout d’abord, l’astronome moderne doit faire face quotidiennement, tout comme le géologue d’ailleurs, à des échelles de temps qui couvrent des millions ou des milliards d’années. Cette situation est souvent dérangeante pour le non-professionnel, qui insiste pour avoir une image claire de ce que ces faramineuses échelles de temps représentent. Malheureusement, l’exercice est généralement voué à l’échec : la durée de vie de l’être humain, grosso modo de l’ordre d’un siècle, définit une échelle de temps qui nous est naturelle, et la compréhension de ce que signifie un intervalle beaucoup plus long qu’un siècle semble tout simplement au-delà de nos capacités (le même raisonnement peut être tenu pour des intervalles de temps beaucoup plus courts que la seconde, qui représente quelque chose de bien concret pour nous. Qui peut vraiment se faire une image de ce que signifie une milliseconde ?). L’astronome n’est pas mieux équipé que ses pairs pour affronter ce problème, mais il s’invente des recettes qui lui permettent d’ignorer, une fois pour toutes, ces angoisses. Souvent, la recette passe par la redéfinition de l’étalon, qui n’est plus l’année – trop courte – mais le milliard d’années, pour lequel on a même inventé l’abréviation Gyr, pour gigayear, maintenant francisé sous la forme Ga. À ceux qui insistent pour se faire une idée juste de ce que représente un milliard d’années, on pourrait suggérer qu’un milliard d’années est à l’âge de l’univers ce qu’est cinq ans à l’espérance de vie typique de l’être humain (75 ans approximativement). À cette échelle, l’âge de la Terre est d’environ cinq Ga, celui du disque de la Voie lactée de l’ordre de 10 Ga et celui de l’univers un peu moins de 15 Ga. Ce faisant, les nombres impliqués restent petits et, par conséquent, moins anxiogènes, et également facilement manipulables. Une recette semblable est utilisée par les géologues, pour qui le million d’années est l’unité naturelle associée aux âges géologiques de la Terre. Cela dit, il reste amusant, et d’un certain effet, d’écrire que l’univers est âgé de 13 600 000 000 d’années. Le grand astrophysicien britannique Sir Arthur Eddington, fasciné qu’il était par les grands nombres, écrivait souvent de cette façon explicite les quantités astronomiques, incluant ce qu’il pensait être le nombre de protons dans l’univers – un nombre de 80 chiffres !
2Les fabuleuses échelles de temps qui caractérisent l’astronomie peuvent engendrer une autre interrogation : puisque l’échelle caractéristique de la vie humaine n’est que d’un siècle, et que celle de la civilisation se chiffre en millénaires, comment est-il possible d’étudier des phénomènes qui se déroulent sur des échelles de temps un million de fois plus longues que l’espérance de vie d’un être humain ? En d’autres mots, si l’âge du Soleil se chiffre en milliards d’années, le Soleil a peu changé depuis les observations des premiers astronomes de l’Antiquité. Comment s’y prend alors l’astronome pour étudier l’« évolution » du Soleil ? La réponse à cette question passe par la réalisation que l’astronome ne s’attaque que très rarement aux changements subis par un objet particulier, justement parce que les temps caractéristiques de changement sont trop longs en astronomie. Il préfère plutôt se concentrer sur des ensembles d’objets, au sein desquels se retrouvent des individus dans différentes phases de leur vieillissement. La situation n’est pas différente de celle d’un anthropologue qui, pour étudier le vieillissement des membres d’une tribu, étudie les habitants d’un village dans lequel cohabitent nouveau-nés, adolescents, adultes et vieillards. Évidemment, lorsque les changements observables sont suffisamment rapides, c’est-à-dire sur des échelles allant d’une centaine d’années à une fraction de seconde, l’astronome est fidèle au poste : l’étoile puisante Omicron Ceti (Mira), par exemple, est observée de façon soutenue depuis 1596, année de la découverte de sa variabilité intrinsèque par David Fabricius ; à ce jour, plus de 46 000 observations de cet objet sont répertoriées.
3Une troisième et dernière facette de cette relation entre astronomie et temps est associée au fait que la vitesse de propagation de la lumière est finie. La lumière ne se propage pas instantanément d’un point à un autre, mais voyage plutôt à la vitesse gigantesque d’environ 300 000 km/s. Dans un contexte terrestre, les temps de propagation impliqués sont tellement courts qu’ils sont difficilement observables, mais ce n’est plus le cas pour des distances astronomiques. Ainsi, la lumière solaire met environ huit minutes pour atteindre la Terre et cinq heures et demie pour atteindre Pluton, la planète la plus éloignée du système solaire. De la même façon, la radiation émise par Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche de nous, met plus de quatre ans pour nous atteindre. Par conséquent, la lumière reçue aujourd’hui en provenance de ce très proche voisin a été émise par lui il y a quatre ans et elle nous renseigne sur les conditions qui régnaient à la surface de cette étoile à cette époque. On dit souvent, avec justesse, que l’observation astronomique joue le rôle d’une machine à remonter dans le temps, puisqu’elle nous permet de voir les astres, non pas comme ils sont aujourd’hui, mais plutôt comme ils étaient au moment où la lumière que nous recueillons s’en est échappée. Lorsque les objets concernés sont très distants, il est possible que l’objet que nous étudions n’existe même plus sous la forme sous laquelle nous l’observons. En astronomie, la réalité peut souvent être plus étrange, et bien plus intéressante, que la fiction.
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