3. L’astronomie d’hier à aujourd’hui
p. 19-30
Texte intégral
1Bien qu’ancrée dans une tradition plusieurs fois millénaire, l’astronomie moderne ressemble peu à la discipline pratiquée par les civilisations antiques. Notre perception globale de l’univers et les moyens à notre disposition pour étudier ses propriétés ont, tous deux, considérablement évolué depuis les premières observations du ciel à Babylone et en Égypte. Conceptuellement, le changement est profond. À la vision aristotélicienne d’un univers statique qui imprègne l’astronomie pendant des siècles se substitue aujourd’hui l’image d’un univers dynamique à toutes ses échelles. La transition s’est faite récemment et rapidement : jusqu’au début du xxe siècle, l’idée d’un univers immuable, héritée des Grecs et reprise par Newton, règne. Même Albert Einstein, père de la relativité générale, se laisse séduire. Il n’aime guère la solution qu’il a trouvée aux équations de sa théorie, solution qui décrit un modèle mathématique d’univers : elle suggère en effet que l’univers, loin d’être statique, pourrait être une entité dynamique. Pour remédier à ce qu’il considère comme un défaut de son modèle, Einstein s’empresse d’y introduire un artifice mathématique, baptisé « constante cosmologique », qui redonne au modèle d’univers son aspect statique. L’astronome américain Edwin Hubble apporte cependant, dans les années 1930, la preuve convaincante de la fuite des galaxies, signature d’un univers en expansion. L’idée d’un univers immuable ne meurt pourtant pas. Encore dans les années 1960, le modèle d’état stationnaire est favorisé par bon nombre de spécialistes de cosmologie. Dans ce modèle, l’expansion de l’univers – alors devenue une réalité incontournable – est compensée par la création spontanée de matière de façon à produire un univers stationnaire. La découverte par Arno Penzias et Robert Wilson, en 1965, du rayonnement « fossile », résidu de l’explosion primordiale identifiée à la naissance de l’univers (Big Bang), contribue à écarter de façon définitive cette famille de modèles. Aujourd’hui, l’idée d’un univers en expansion issu d’une explosion primordiale est omniprésente dans les modèles cosmologiques.
2La nature changeante, et parfois violente, de l’univers est aussi en évidence à plus petite échelle. Tout près de nous, le Soleil, pourtant d’apparence si paisible, est le siège de tempêtes magnétiques qui relâchent des quantités phénoménales d’énergie dans le milieu interplanétaire. Le Soleil est loin d’être un objet exceptionnel, cependant, puisque le cycle de vie de chaque étoile fait une large place à toute une gamme de processus dynamiques. Ainsi, de nouvelles étoiles naissent constamment de l’effondrement, sous l’effet de la gravitation, d’immenses nuages de gaz. Une fois formées, leur processus de vieillissement est souvent accompagné de l’éjection dans le milieu interstellaire d’importantes quantités de matière – parfois jusqu’à 90 % de la masse initiale de l’étoile. Ailleurs, dans des systèmes binaires de période orbitale suffisamment courte, de la matière peut être transférée d’une étoile à l’autre. Dans cet échange, la matière cédée accélère vers l’étoile réceptrice, chauffe et devient une source copieuse de rayonnement X. Ultime acte violent, la mort des étoiles les plus massives prend la forme d’un effondrement gravitationnel catastrophique du cœur stellaire, accompagné d’un accroissement rapide de la brillance de l’étoile qui devient aussi lumineuse qu’un milliard de soleils. Ce phénomène est baptisé « explosion de supernova ». On estime qu’une supernova explose chaque seconde quelque part dans l’univers.
3Pendant ce temps, la Voie lactée est en train de démembrer et d’avaler deux galaxies de taille modeste avec lesquelles elle est en forte interaction gravitationnelle, un processus baptisé avec humour « cannibalisme galactique ». Plus loin encore, aux confins de l’univers visible, les sursauts γ (gamma) – les plus brillantes explosions connues de l’être humain – émettent autant d’énergie en quelques dizaines de secondes que notre Voie lactée au complet en émet en quelques mois. Ainsi, partout où nous posons notre regard, la nature dynamique de l’univers s’affirme.
4Les moyens mis en chantier pour étudier cet univers dynamique se sont considérablement diversifiés depuis les premières observations du ciel. Est-il besoin de rappeler que, jusqu’au début du xviie siècle, toutes les observations astronomiques sont faites à l’œil nu ? C’est le cas des observations à la source de la détermination de la longueur de l’année et de la mise en évidence du mouvement de précession de l’axe de rotation de la Terre, analogue à celui d’une toupie, par l’astronome grec Hipparque de Nicée (Figure 1) ; ces deux résultats reposent entièrement sur des observations faites à l’œil nu, dont plusieurs remontent aux Babyloniens. Il en est de même des milliers de mesures de positions de planètes et d’étoiles complétées par le grand astronome du xvie siècle Tycho Brahe (Figure 2) ; plusieurs de ses mesures ne diffèrent des valeurs modernes1 que de 1’ à 2’. Malgré l’impressionnant bilan de l’astronomie pré-télescopique, les observations de Galilée montrent que l’astronomie entre, avec la lunette, dans une nouvelle ère. La première observation de cratères lunaires, la clarification de la nature de la Voie lactée, l’observation de quatre des satellites de Jupiter, la découverte des phases de la planète Vénus et la découverte des anneaux de Saturne se suivent rapidement ; elles illustrent l’utilité phénoménale de ce nouvel instrument pour l’astronomie. Au cours des trois siècles qui suivent, la taille des lunettes et télescopes réfracteurs augmente régulièrement. Les lentilles sont finalement remplacées par des miroirs de plus en plus grands au début du xxe siècle, miroirs dont le diamètre atteint aujourd’hui dix mètres et continue de grossir : une étude détaillée de mon collègue René Racine montre d’ailleurs que, depuis Galilée, la dimension des télescopes double environ tous les 50 ans.
5L’œil humain reste longtemps le seul détecteur astronomique, et la photo classique de l’astronome, l’œil collé à l’oculaire (Figure 3), est aujourd’hui encore une image évocatrice de cette profession. Cet instrument a pourtant été remplacé par une panoplie de récepteurs modernes dont la diversité reflète la multiplicité de façons dont la lumière en provenance des astres peut maintenant être exploitée. Parmi ces outils figure le CCD, analogue aux appareils photo numériques modernes, qui permet, en photographiant les objets étendus comme les galaxies et les nébuleuses, d’en étudier la morphologie et les mouvements internes. Il permet également de mesurer avec précision la quantité totale de lumière reçue en provenance d’objets, une mesure qui, lorsqu’elle est répétée fréquemment, permet de mettre en évidence de subtiles variations temporelles. Le vénérable spectrographe, de son côté, permet de disperser la lumière reçue en ses différentes couleurs, comme Newton fut le premier à le faire à l’aide d’un prisme. L’importance de cette activité en astronomie ne peut être exagérée : elle est à la source de la grande majorité de l’information recueillie à ce jour sur les étoiles de la Galaxie, sur leur composition chimique et sur leur mouvement. Aujourd’hui encore, plusieurs problèmes astronomiques de premier plan sont attaqués par des moyens spectroscopiques. Par exemple, c’est par cette technique que l’on identifie la majorité des « exo-planètes », en orbite autour d’étoiles autres que le Soleil, ou que l’on repère les galaxies primordiales dans les sondages du ciel les plus profonds effectués à ce jour.
6Télescopes et récepteurs jouent donc un rôle central dans l’astronomie contemporaine. C’est également le cas des nouvelles régions spectrales auxquelles l’astronomie a accès, qui sont elles aussi à la source d’un changement substantiel dans notre conception de l’univers : la lumière est une onde électromagnétique caractérisée, entre autres, par sa fréquence ou son énergie. La radiation de haute fréquence d’énergie élevée – comme la radiation <hi γ – et la radiation de basse fréquence et de faible énergie – comme les ondes radio – appartiennent au même titre que la lumière visible (la seule à laquelle notre œil soit sensible) à ce qu’on appelle collectivement le « spectre électromagnétique » . Depuis maintenant 75 ans, les progrès technologiques permettent de construire des récepteurs sensibles à la radiation située en dehors de la région du visible : rayons γ, rayons X, radiation u ltraviolette, infrarouge, micro ondes et ondes radio font maintenant partie de la boîte à outils de l’astronome et nous révèlent un portrait de plus en plus complet de l’univers : par exemple, les régions de formation de nouvelles étoiles, désespéré ment inaccessibles à l’observation dans la région du visible, se révèlent d ans toute leur splendeur et com plexité dans l’infrarouge. Ailleurs, le processus de transfert de masse, baptisé « accrétion » , sur un trou noir reste étonnamment discret dans le visible, mais il s’affiche sans réserve aucune dans le domaine des rayons X. Dans plusieurs cas, il nous faut nous élever au-dessus de l’atmosphère terrestre afin de capter ces radiations d’origine cosmiq ue : c’est le cas pour la détec tion de la radiation ultraviolette, efficacement filtrée par la couche d’ozone terrestre. L’ouverture de cette région spectrale requiert que les observations astronomiques soient complétées à partir de l’orbite terrestre ou d’une sonde spatiale, ce à quoi se sont consacrés plusieurs observatoires astronomiques depuis maintenant plus de quarante ans. Pour l’astronomie, l’accès aux diverses régions du spectre électromagnétique est un progrès comparable à celui ap porté par les premières observa tions à la lunette de Galilée : notre vision de l’univers en a été bouleversée d e façon profonde et permanente.
7La cueillette de la lumière en provenance des astres est une source continue et inépuisable d’informations et nourrit l’observateur du ciel depuis des millénaires. Celui-ci reste néanmoins à l’affût de nouvelles façons de percer les secrets de l’univers, et ce par l’intermé diaire de techniques non traditionnelles. Les exemples de ce type d’activité sont nombreux. Les météorites sont, pour l’étude du système solaire, un exemple concret d’une approche complémentaire à l’analyse de la lumière : ces cailloux de l’espace, de tailles diverses, pénètrent constamment l’atmosphère terrestre et sont récoltés sur terre par des collectionneurs avertis. Les météorites sont des résidus de la matière primordiale dont se serait formé le système solaire et elles sont, avec leur âge de l’ordre de 4 600 000 000 d’années, plus vieilles que les plus vieilles roches terrestres.
8Ce type de récolte in situ de matière d’origine extraterrestre s’étend, au début du xxe siècle, aux constituants fondamentaux de la matière. Le physicien d’origine autrichienne Viktor Hess est le premier à détecter, dans la haute atmosphère terrestre, la présence de corpuscules pénétrants d’origine cosmique. La majorité de ces particules microscopiques de haute énergie, baptisées maladroitement2 « rayons cosmiques », sont éjectées par les violentes explosions de supernovae évoquées plus tôt. Leur parcours au travers de la Voie lactée est affecté par la présence du champ magnétique galactique, et il est donc impossible de connaître sans ambiguïté leur lieu d’origine. Une petite proportion des rayons cosmiques est d’origine solaire et trouve sa source dans les violentes éruptions qui agitent les couches externes de cette étoile.
9L’astronomie neutrinique, qui n’a guère plus de 40 ans, est un autre type d’astronomie corpusculaire. Les neutrinos sont des particules fondamentales qui sont produites lors des réactions de fusion nucléaire au centre des étoiles. Dans le Soleil, par exemple, chaque fois que quatre noyaux d’hydrogène fusionnent pour former un noyau d’hélium, deux neutrinos sont produits. Les réactions nucléaires plus complexes qui contrôlent les phases finales de l’évolution des étoiles massives libèrent elles aussi une copieuse quantité de neutrinos. Une fois émises, ces particules ont la particularité d’interagir très peu avec la matière qu’elles rencontrent, qui leur est transparente. Les neutrinos solaires traversent ainsi aisément le Soleil, un trajet qui prend environ deux secondes. Une fraction de ceux-ci frappe, huit minutes plus tard, la Terre. Bien évidemment, ces neutrinos interagissent aussi peu avec nos récepteurs astronomiques qu’ils le faisaient avec la matière dont est constitué le Soleil ; la détection de quelques-uns de la soixantaine de milliards de neutrinos solaires qui frappent chaque cm carré de la Terre chaque seconde est donc un défi d’envergure, que l’astronomie moderne a relevé avec brio. Les neutrinos constituent aujourd’hui un complément essentiel aux études plus traditionnelles du Soleil et il est probable que, d’ici quelques années, nous détecterons de façon routinière les neutrinos émis par d’autres étoiles3.
10Après s’être concentrée sur la détection du rayonnement électromagnétique, puis s’être ouverte sur celle des « astro-particules », l’astronomie est aujourd’hui à l’aube d’un nouvel essor, stimulé par la détection anticipée d’ondes gravitationnelles. Ces ondes, prédites dès 1916 dans le cadre de la théorie générale de la relativité d’Einstein, sont l’équivalent gravitationnel des ondes électromagnétiques. Tout comme une particule chargée qui est accélérée émet des ondes électromagnétiques, un corps massif accéléré émet des ondes gravitationnelles. Bien que ces ondes se propagent à la vitesse de la lumière, il ne s’agit pas d’ondes lumineuses, mais plutôt des perturbations dans le tissu de l’espace-temps causées par l’accélération d’un corps massif. Les ondes gravitationnelles sont émises par des phénomènes catastrophiques qui impliquent des objets massifs : coalescence des étoiles au sein d’un système binaire, effondrement catastrophique d’une étoile et formation d’un trou noir en sont quelques exemples. L’existence de ces ondes fut mise en évidence de façon indirecte dans les années 1970, mais leur détection a dû attendre le développement de récepteurs spécialisés de très haute sensibilité. C’est maintenant chose faite, et la détection prochaine de ces ondes ouvrira une autre fenêtre sur cet univers que l’astronome moderne se plaît décidément à étudier sous toutes ses coutures.
Notes de bas de page
1 Une distance angulaire de 1’ (une minute d’angle) correspond environ à un trentième du diamètre apparent de la Lune.
2 Les mots « rayons cosmiques » suggèrent qu’il s’agit de radiation électromagnétique, comme dans « rayons γ ». Ce n’est pas le cas, et les rayons cosmiques consistent en noyaux légers (surtout des protons et des noyaux d’hélium) et en particules élémentaires (électrons) de très haute énergie.
3 La détection de neutrinos extrasolaires a déjà commencé, puisque nos récepteurs terrestres ont détecté de façon tout à fait accidentelle les neutrinos associés à l’explosion de supernova observée en 1987 dans une galaxie compagne de la Voie lactée, le Grand nuage de Magellan.
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