2. L’astronomie comme discipline scientifique
p. 13-17
Texte intégral
1Les définitions proposées ci-dessus décrivent toutes l’astronomie comme une science. Il n’est pas inutile de rappeler que l’usage de ce mot implique une démarche rigoureuse et raisonnée qui fait appel à un ensemble d’étapes spécifiques : tout d’abord l’observation, puis la formulation d’un nombre restreint d’hypothèses qui servent de base à la construction d’un modèle du phénomène observé. Le modèle élaboré doit faire plus que rendre simplement compte des observations : il doit également avoir une capacité prédictive, c’est-à-dire être en mesure de prédire et de décrire correctement de nouveaux phénomènes ou les résultats de nouvelles expériences ou observations. On ajoute souvent l’exigence que le modèle formulé soit « falsifiable », qu’il soit susceptible d’être mis en échec par une seule observation qui l’invaliderait. En passant, il n’est peut-être pas superflu de souligner que, sur la base des critères épistémologiques actuels, l’astrologie occidentale moderne, elle, est considérée de façon claire comme une pseudo-science.
2L’étude de la forme des orbites de comètes, réalisée au xviie siècle par l’astronome anglais Edmund Halley, fournit une élégante illustration astronomique de la démarche scientifique. Alors qu’Isaac Newton, son contemporain et ami, favorise des orbites autour du Soleil de forme parabolique, donc ouvertes, Halley considère que des orbites elliptiques fermées sont aussi possibles et il se convainc qu’une comète observée en 1682 a une orbite similaire à celle de comètes observées en 1531 et en 1607. Il s’agit donc, selon lui, du même objet, une comète périodique que son orbite elliptique amène dans le voisinage du Soleil tous les 76 ans. Ce modèle rend non seulement compte des observations initiales, mais il permet à Halley de prédire le retour de cette comète en décembre 1758. Halley meurt en 1742 et il ne peut assister au triomphe de ses idées : la comète, connue maintenant sous le nom de comète de Halley, fait en effet son retour tel que prévu, confirmant ainsi le modèle des orbites elliptiques et apportant du même coup une éclatante confirmation de la validité du cadre de ce modèle, la théorie de la gravitation universelle de Newton. De la même façon, nos idées et nos modèles astronomiques sont constamment testés et souvent remis en question par de nouvelles observations. Ce qui peut apparaître, vu de l’extérieur, comme une forme d’indécision chronique (Pluton est-elle une planète légitime ou simplement un objet de type astéroïdal situé aux confins du système solaire ? Les météorites martiennes contiennent-elles vraiment des bactéries fossilisées ?) n’est en fait que l’illustration d’une science bien vivante qui remet constamment en question une partie de ses acquis.
3Par sa nature, l’astronomie peut être considérée comme une science passive, puisque sa pratique est fondée sur l’observation plutôt que sur l’expérimentation. Au contraire du chimiste, qui peut varier à volonté la concentration ou la température des réactants dans son expérience, l’astronome a une marge de manœuvre limitée : s’il est – comme tous les scientifiques - engagé dans une conversation avec la Nature, son rôle se restreint souvent à glaner toute l’information disponible sur l’univers sans pouvoir choisir ni son origine ni le moment auquel elle correspond. Malgré ces restrictions, le bilan des quatre derniers millénaires d’observation du ciel impressionne. De plus, l’astronomie fait un excellent usage des rares possibilités qui lui sont offertes d’ » expérimenter » de façon plus traditionnelle : le largage de l’étage supérieur du module lunaire sur la surface de la Lune lors des missions Apollo des années 1970 afin d’étudier les propriétés sismiques de la croûte et de l’intérieur lunaires en est un exemple. Plus récent, l’extraordinaire tir d’un « missile » à bout portant sur le noyau de la comète Tempel 1 par la mission Deep Impact afin d’étudier les propriétés physiques de la surface de ces objets primordiaux en est un autre.
4Parmi ses consœurs, l’astronomie est une des sciences les plus susceptibles d’être considérées comme un « luxe », qui rapporte peu de bénéfices immédiats à la société. Cette vulnérabilité étonnerait assurément les premiers astronomes, puisque, à son origine, l’astronomie est une discipline éminemment pratique. Le succès de l’agriculture, spécialement la culture des céréales, repose en grande partie sur l’existence d’un calendrier, lui-même ancré dans le mouvement apparent des astres. L’astronomie est donc tout d’abord pratiquée dans les bassins du Nil et de l’Euphrate, berceaux de la civilisation occidentale. Encore aujourd’hui, l’observation astronomique joue un rôle essentiel dans l’agriculture pratiquée par les autochtones des hauts plateaux andins. Par la suite, l’émergence à Babylone de l’astrologie – l’idée que les astres contrôlent et régissent le destin de l’être humain - donne à l’observation astronomique un élan supplémentaire. C’est toute une panoplie d’activités humaines qui, au cours des siècles, bénéficiera largement de l’astronomie : semailles et récoltes, campagnes militaires, voyages et expéditions, planification de fêtes religieuses, etc.
5En dépit de cette imposante liste de bénéfices qui découlent directement de la pratique de l’astronomie, se pourrait-il que le plus beau cadeau de cette discipline à l’humanité soit ailleurs, dans le monde des idées ? Au xvie siècle, Copernic propose une nouvelle façon de rendre compte du mouvement apparent des astres errants sur la sphère céleste en mettant de l’avant un modèle qui place le Soleil, plutôt que la Terre, au centre des orbites de ces astres. Il s’agit, cela va de soi, d’un moment clé du développement de l’astronomie, mais son impact se fait sentir bien au-delà du cercle restreint de cette discipline. L’idée annonce la fin du dogme de l’immobilisme de la Terre, hérité des philosophes grecs, et du dogme qui assigne à la Terre une position spéciale dans l’univers, alors restreint au système solaire. Ce travail de remise en question se poursuit au xxe siècle, alors que l’astronome américain Harlow Shapley montre, en 1917, que le Soleil n’est pas au centre de notre galaxie – la Voie lactée – comme on le pensait jusque-là. Il le relègue plutôt en périphérie de cet énorme système stellaire, dans une « banlieue » relativement anodine. Cet étonnant résultat est rapidement suivi par l’observation que les galaxies externes semblent animées d’un mouvement de fuite, puisqu’elles s’éloignent toutes de la Voie lactée à très grande vitesse. Cette observation, paradoxalement, est tout à fait cohérente avec l’idée – maintenant élevée au rang de principe – qu’il n’y a pas d’observateur privilégié dans l’univers que nous habitons. La Voie lactée y est un point d’observation tout aussi valide, et tout aussi anodin, que la grande galaxie d’Andromède, située à 2 900 000 d’années-lumière, ou que la galaxie du Sombrero, encore plus lointaine à quelque 50 000 000 d’années-lumière. Ces quelques résultats que j’évoque font partie du legs de l’astronomie à l’humanité. Par leur profondeur, ils stimulent notre imagination et provoquent la réflexion. Par leur nature, ils contribuent à répondre à quelques-unes des plus importantes questions que l’être humain peut se poser : quelle est notre place dans l’univers qui nous entoure ? Quel rôle sommes-nous appelés à jouer dans l’ » ordre du monde » ? Tant que l’homme n’aura pas réussi à répondre à ces questions, les astronomes trouveront leur place dans la Cité.
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