1 Claude Louis-Combet, Voyage au centre de la ville, Paris, Flammarion, 1974, p. 9.
2 Cet énoncé prend appui sur les travaux de notre équipe de recherche sur la biographie imaginaire d’écrivain, qui bénéficie d’une subvention CRSH du Canada et qui est affiliée à l’équipe interuniversitaire FQRSC « Littératures narratives contemporaines française et québécoise : poétiques et esthétiques comparées » (Université du Québec à Montréal, Université de Montréal, Université du Québec à Rimouski, Université Laval).
3 Au sens où l’entend Gérard Genette : « l’éponymie du nom, c’est sa valeur de surnom, c’est l’accord de sa désignation et de sa signification » (Mimologiques. Voyage en Cratylie, Paris, Seuil, « Poétique », 1976, p. 23).
4 Pierre Mertens, Les éblouissements, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 1987 ; Gérard Macé, Vies antérieures, Paris, Gallimard, « Le Chemin », 1991 ; Claude Louis-Combet, Blesse, ronce noire, Paris, José Corti, 1995. Désormais LE, VA, BRN, suivis du folio.
5 Ou encore de paraphrases de son œuvre intégrées au fil du récit, comme dans cet exemple : « Des poèmes d’amour, donc, mais le lecteur n’y verrait que du feu.//Le livreur de bière retrouvé avec un aster coincé entre les dents. La noyée qui avait recueilli en elle, au fond de l’eau, une nichée de rats » (LE, p. 82), où se trouvent réécrits les poèmes, tirés de Morgue et autres poèmes, ayant pour titre « Petit aster » (« Un livreur de bière noyé fut hissé sur la table/Quelqu’un lui avait coincé entre les dents/un aster couleur de lilas clair et d’ombre ») et « Belle jeunesse » (« La bouche d’une fille qui avait longtemps reposé dans les roseaux/était si rongée,/Quand on ouvrit la poitrine l’œsophage était si troué./Enfin dans une tonnelle sous le diaphragme/on trouva un nid de jeunes rats »).
6 Et parfois au on impersonnel : « Combien de temps allait-on encore se cantonner dans ce rôle de miraculé, d’unique rescapé d’un innombrable naufrage ? » (LE, p. 16).
7 Notons quelques exemples : les adresses (LE, p. 52, 110, 171, 217, 304) ; les cafés (LE, p. 81, 187, 203, 217, 342) ; les promenades (LE, p. 150, 263). Souvent, le texte enchaîne les toponymes, comme pour signifier la complexité du rapport à la vie de Benn : « Cariatides, angelots et atlantes du Tiergarten. Statues emphatiques de la Sieges-Allee. Balcons fleuris à Moabit. Schrebergärten, avec chalets tyroliens et nains de plâtre. […] Saules gris au bord de la Havel. Fiacres qui tintinnabulent. Tramways ferraillants. Café Adlon. Taverne Bistrol. Restaurant Kempinski. Chansons à boire dans les Kneipen de la Schumannstrasse. Bals populaires de Treptow. Un dîner à l’aube, chez Tony Grünfeld. Du Schiller au théâtre Lessing. Du Büchner au théâtre Schiller. Richard Strauss, par Félix Weingartner, à l’Opéra, Mahler sous la direction de Nikisch, à la Philharmonie » (LE, p. 62).
8 Benn dira, en parlant de sa fille danoise : « C’est divertissant : figurez-vous qu’elle réside dans une ville qui s’appelle Charlottenlund, alors qu’ici elle aurait pu vivre à Charlottenburg… » (LE, p. 311). Il ajoutera : « Mademoiselle Ilse Kaul, de Charlottenburg, ou de Schöneberg, c’est du pareil au même, n’est-il pas vrai ? Voici Mme Nele Soerensen, née Benn, de Charlottenlund, que j’ai l’insigne honneur et le plaisir de vous faire connaître… » (LE, p. 311).
9 Si le biographe n’est pas onomaturge, son personnage l’est : soulignons au passage l’égarement volontaire du poète, qui nomme Elsa, Helga, Eva la femme d’une nuit qui s’appelle en fait Renate (LE, p. 196-197).
10 On n’est pas loin, ici, du « cliquetis » onomastique qu’évoque Élisabeth Nardout-Lafarge au sujet de Hugo et plus spécialement de la Préface de Cromwell (« Le vertige des noms dans la Préface de Cromwell », dans Martine Léonard et Élisabeth Nardout-Lafarge [dir.], Le texte et le nom, Montréal, XYZ, « Documents », 1996, p. 273-280).
11 Rappelons que l’autobiographie de Benn s’intitule Double vie (Paris, Minuit, [1934, 1950], 1954) et que le texte de Mertens joue habilement de cette dualité.
12 Le personnage précise cet éblouissement en ces termes : « Tout un destin peut alors se jouer sur un croc-en-jambe qu’on se fait à soi-même. Il y a des lueurs d’aveuglement comme il y a des lueurs de génie. C’est l’éblouissement de l’imbécillité. Le mot éblouissement a deux sens : l’un renvoie à la lumière, et l’autre à la nuit » (LE, p. 233-234).
13 Le narrateur des Éblouissements n’est pas le seul à jouer ce jeu : Else Lasker-Schüler, la première maîtresse de Benn, l’avait baptisé autrefois « le cyclope, son ami non juif, le Nibelung, le Barbare » (LE, p. 283). Gottfried Benn n’est par ailleurs pas le seul personnage du roman à faire l’objet de telles désignations : notons, au passage, « le teutonique caporal » (LE, p. 268) ou « le chancelier aulique » (LE, p. 280).
14 Pour une réflexion sur le recueil biographique, voir Frances Fortier et Caroline Dupont, « Érudition et fantaisie biographiques : le recueil de vies chez Tabucchi, Savinio, Tremblay et Zweig », dans Irène Langlet (dir.), Le recueil littéraire. Pratiques et théorie d’une forme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 61-82.
15 Les titres des chapitres se lisent comme suit : « J’ai essayé en secret la position du scribe », « L’invention de la mémoire », « La parole retrouvée », « Une saison dans le désert », « Le jeune homme et la mort », « Calendrier perpétuel », « Des ailes de géant », « Le nouvel Adam », « Chanson de toile », « La passion des étoffes », « Maison hantée », « La vocation d’acteur » et « Dis-moi qui tu hantes… ».
16 La dimension emblématique du nom d’Ésope est exploitée en ces termes : « On rencontre Ésope un peu partout, de Babylone en Égypte, et La Fontaine qui raconte avec une vraisemblance mêlée de merveilleux, en fait le contemporain de Crésus et Denys, d’autres rois encore qui ne vivaient pas au même siècle. Il croit volontiers qu’en Inde il s’est appelé Pilpay, et Locman dans les pays arabes, et même Salomon juste après le déluge ; et s’il avait connu de plus près la tradition orientale, il aurait reconnu son influence dans l’enseignement sans écriture du Dharma, il aurait trouvé que son esprit continuait à vivre dans la sagesse et la ruse des histoires zen » (VA, p. 29).
17 Voir à ce sujet : Marie-Noëlle Gary-Prieur, Grammaire du nom propre, Paris, Presses Universitaires de France, « Linguistique nouvelle », 1994, p. 134-138.
18 Le texte précise : « Un fourmillement étoilé puis une légère brûlure, pareille au souvenir qu’on ne savait pas si cuisant, la prévint que l’ortie n’était pas morte et que le rêve de Linné vivait encore : mais c’est le venin de la connaissance et non plus le serpent de la tentation, qui venait de piquer la nouvelle Ève » (VA, p. 80-81).
19 Une note, en fin de volume, précise que « La passion des étoffes est le sous-titre d’un ouvrage consacré à Clérambault, paru aux éditions Solin en 1980 ». La référence exacte est : Yolande Papetti et al., La passion des étoffes chez un neuro-psychiatre, G. G. de Clérambault (1872-1934), Paris, Solin, 1981.
20 Signalons que Mertens, à travers Benn, évoque fugitivement Trakl en des termes qui rappellent un peu ceux de Louis-Combet, signe s’il en est de la fidélité des deux écrivains à l’œuvre du poète autrichien : « Georg Trakl, emporté deux ans plus tard à Cracovie, pour avoir voulu tirer un rideau de cocaïne entre lui et “les yeux brisés, les bouches noires” des soldats tombés, sous ses yeux, à l’aube de la guerre » (LE, p. 17).
21 Jean-Christophe Millois, « Claude Louis-Combet. Note sur Blesse, ronce noire », dans Jacques Houriez (dir.), Claude Louis-Combet. Mythe, sainteté, écriture, Paris, José Corti, « les Essais », 2000, p. 223. Désormais : Millois, 2000.
22 Claude Louis-Combet, L’homme du texte, Paris, José Corti, « En lisant en écrivant », 2002, p. 135. Désormais : Louis-Combet, 2002.
23 « L’outil, outre les poèmes relus du frère, fut la somme imposante d’informations et d’interprétations, apportées par le livre de Jean-Michel Palmier, Situation de Georg Trakl » (Louis-Combet, 2002, p. 132-133).
24 Et, plus encore que le récit de l’Autre, « le langage par où il se révèle et s’avoue » (Louis-Combet, cité par Salah Stétié, « De l’échec comme dimension de l’œuvre », Revue des sciences humaines, no 246, avril-juin 1997, p. 39-52, p. 43). Désormais : Stétié, 1997.
25 Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, « Écrivains de toujours », 1975, p. 110.
26 Jean-Marcel Paquette, « Forme et fonction de l’essai dans la littérature espagnole », Études littéraires, vol. 5, no 1, avril 1972, p. 75-88, p. 81.
27 Voir à ce sujet : Robert Dion et Frances Fortier, « Péculat biographique et enchevêtrement générique : Les derniers jours d’Emmanuel Kant », Protée, vol. 31, no 1, printemps 2003, p. 51-64, et Yves Baudelle, « Du roman autobiographique : problèmes de la transposition fictionnelle », ibid., p. 7-26.
28 À la page 117, on comprend pourquoi le titre de poète convient somme toute assez peu au frère : « Il n’avait écrit que pour jalonner le chemin entre son cœur et le cœur de celle qu’il aimait, sans autre souci que celui de la justesse du rapport entre ses mots et sa vie ».
29 En réalité, la sœur occupe dans le récit une position beaucoup plus centrale qu’il n’y paraît. On l’y voit écrire bien davantage que son frère, son point de vue est dominant, elle est la seule à prendre directement la parole à la première personne (sans les guillemets) ; par exemple : « Elle avait noté, peu avant son retour : Depuis que je sais que je t’attends, je renonce aux idées de bonheur et de salut. La lumière que tu m’apportes en est renforcée » (BRN, p. 67-68).
30 Ici se matérialise l’image de la bouche sanglante qui prononce les mots : « Blesse, ronce noire ». Notons au passage que cette citation du poème « Révélation et anéantissement » (« Offenbarung und Untergang » en allemand) est répétée deux fois dans le récit, et chaque fois pour marquer la fusion entre le frère et la sœur : « Blesse, ronce noire. Qui avait écrit cela le premier ? Il ne savait plus ce qui était d’elle, ce qui était de lui » (BRN, p. 90) ; « cette parole, par-dessus tout, qu’ils avaient conçue ensemble dans la lumineuse ténèbre de leur amour… Blesse, ronce noire » (BRN, p. 120).
31 Anne-Catherine Emmerich est une augustine qui vécut de 1774 à 1824. Elle eut de multiples visions de Jésus et Marie, de la Dernière Cène et de la Passion du Christ. Selon ses zélateurs, toute sa vie elle porta des stigmates aux pieds, aux mains et à la poitrine — aux endroits mêmes où Jésus fut blessé lors de la crucifixion. Le poète romantique Clemens Brentano commença de lui rendre régulièrement visite à partir de 1819. Il consigna ses visions et ses prophéties en de nombreux textes.
32 Eugène Nicole, « L’onomastique littéraire », Poétique, no 54, avril 1983, p. 236.