1 Bien que le roman québécois contemporain fasse une très grande place à ces personnages marginaux, il ne faut pas penser que c’est là une nouveauté dans la littérature québécoise : on n’a qu’à penser à l’Acayenne dans Le survenant de Guèvremont ou aux « héros » de Ducharme pour se rendre compte que le roman d’ici a depuis très longtemps inclus de tels personnages dans ses histoires.
2 En effet, tant dans le roman d’Hébert que dans celui de Michaud, la narration est assumée par certains personnages qui sont des acteurs de l’histoire racontée. Parmi les narrateurs qui se succèdent dans Les fous de Bassan, Stevens se raconte dans des lettres qu’il envoie à son ami en Floride, et Nora et Olivia ont chacune un « livre » dans lequel elles révèlent leurs pensées. Dans Le ravissement, la narration est assumée par Marie dans la première partie, et par Mike pour la fin du texte.
3 Foucault, Michel, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 13. Dans ce court texte, Foucault analyse les dispositifs qui régissent ce qu’il nomme l’« ordre du discours », soit les lois implicites à chaque groupe, qui déterminent à la fois les objets (les thèmes) dont les membres de ce groupe peuvent parler et les sujets, les individus auxquels le droit de parole est accordé.
4 L’utilisation du terme « aliénation » peut ici porter à confusion puisqu’il renvoie à deux acceptions qui ont des implications très différentes selon qu’on les relie, dans le cas qui nous intéresse, aux personnages ou aux communautés qu’ils tentent d’intégrer. Est aliéné un individu qui est devenu étranger à lui-même, un individu qui a perdu l’esprit, qui a sombré dans la folie. C’est ici le cas de Stevens, de Marie et de Mike. Est également aliéné quelqu’un – ici un groupe, la communauté de Griffin Creek et celle des Bois noirs – qui a cédé, souvent de façon forcée, une partie de ses avoirs, de son être. Les deux acceptions sont donc à considérer lorsqu’il est question des personnages « individualisés » : en aliénant leur esprit, les personnages principaux deviennent fous ; toutefois, seule la dernière acception est à mettre en rapport avec les collectivités dépeintes dans chaque roman.
5 Sur le déploiement de cette métaphore dans la critique et la littérature québécoise des années 1950 à 1980, voir Nepveu, Pierre, « L’exil comme métaphore », dans L’écologie du réel, Montréal, Boréal, 1988, p. 43-61.
6 Hébert, Anne, Les fous de Bassan, Paris, Seuil, coll. « Points », 1982, p. 60. L’œuvre sera dorénavant désignée par l’abréviation FB, mise entre parenthèses, suivie du numéro de la page.
7 Michaud, Andrée A., Le ravissement, Québec, L’instant même, 2001, p. 16 et 115. L’œuvre sera dorénavant désignée par l’abréviation R, mise entre parenthèses, suivie du numéro de la page.
8 Voir le chapitre intitulé « Lettres de Stevens Brown à Michael Hotchkiss, été 1936 », FB, p. 57-107. Il est intéressant de constater que, dans la « Dernière lettre de Stevens Brown à Michael Hotchkiss, automne 1982 » (FB, p. 229-249), aucun point de suspension n’indique que Stevens, exilé de Griffin Creek depuis plusieurs années, retient certaines pensées.
9 Chevillot, Frédérique, « Tradition et modernité : histoire, narration et récit dans Les fous de Bassan d’Anne Hébert », Québec Studies, vol. 9, automne 1989, p. 126.
10 Ouellet, Pierre, « L’émissaire des pleureuses », Spirale, no 184, mai-juin 2002, p. 11.
11 En effet, chaque personnage possède un double qui représente la moitié tue de lui-même. Ainsi, Olivia trouve en Nora l’effronterie lui permettant d’avouer son désir pour Stevens et de vivre une liberté que ses frères et son père lui ont enlevée. De même le révérend Jones et Stevens forment une cellule dans laquelle Stevens réalise les envies cachées du révérend. À ce sujet, consulter l’article de Yvette Francoli, « Griffin Creek : refuge des fous de Bassan et des Bessons fous », Études littéraires, vol. 17, no 1, 1984, p. 131-142.
12 Freud, Sigmund, « L’inquiétante étrangeté », dans L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1985, p. 236.
13 Pour une énumération complète et exhaustive des différentes acceptions du terme heimlich, voir Freud, Sigmund, L’inquiétante étrangeté…, op. cit.
14 Nepveu, Pierre, L’écologie du réel, op. cit., p. 52.
15 Ibid., p. 53.
16 Ibid., p. 48.
17 Il faut ici rappeler que les meurtres relatés dans les deux romans sont des meurtres par étranglement ou étouffement, méthodes révélatrices du sentiment des assassins envers l’Autre que la victime représente.