1 Le caractère mémoriel d’un bon nombre de pièces écrites dans les années 1990 et 2000 atteste du désir de l’auteur de marquer, comme principe de lecture, le décalage entre l’univers fictionnel et le contexte de sa réception. La langue apparaît, dans ce cadre, comme une manifestation de cette stratégie. Notons toutefois qu’une part du malentendu entourant la querelle des Belles-Sœurs en 1968 découlait déjà du fait que le miroir qu’elle tendait à la langue québécoise renvoyait l’image d’une réalité antérieure aux années 1960, soit celle représentée par la génération des belles-sœurs, femmes issues des milieux populaires et nées entre les années 1920 et 1930.
2 Il serait trop long de dresser la liste des études couvrant ce sujet. Citons, néanmoins, un essai de Lise Gauvin paru en 1993 dans Le monde de Michel Tremblay : des « Belles-Sœurs » à « Marcel poursuivi par les chiens », dans G. David et P. Lavoie (dir.), Jeu/Lansman, Montréal-Carnières, p. 153) et un autre de Dominique Lafon dans Théâtres québécois et canadiens-français au 20e siècle. Trajectoires et territoires, G. David et H. Beauchamp (dir.), Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 181). Enfin, je souligne le dossier préparé par Jeanne Bovet pour la revue Études françaises (« Les langues de la dramaturgie québécoise », vol. 43, no 1, 2007,) dans lequel j’ai moi-même publié une étude : « Le partage des voix : approche génétique de la langue dans les dramaturgies québécoises contemporaines », p. 101-119).
3 Le répertoire national est formé des textes qui ont subi, dit-on couramment, l’épreuve du temps mais surtout qui ont su négocier leur passage auprès d’instances aussi variées que le milieu théâtral, la critique (journalistique et universitaire) et l’institution scolaire. Le filtre scolaire a eu, dans le cas qui nous intéresse, un rôle essentiel à jouer dans l’établissement de la « valeur » patrimoniale des Belles-Sœurs comme en témoigne Karine Cellard dans « Un genre à part. Le théâtre dans les manuels d’histoire de la littérature québécoise, ou l’histoire d’un revirement spectaculaire », L’Annuaire théâtral, no 39, printemps 2006, p. 47-59.
4 Voir note 3.
5 Voir Jubinville, Y, « Une aura d’éternité. Première représentation des Belles-Sœurs (en 1968) », dans Myriam Fahmy et Michel Venne (dir.), L’Annuaire du Québec 2008, Montréal, Institut du Nouveau Monde, Éditions Fides, 2007, p. 245-251.
6 Projet conçu par Monique Giroux, cette lecture-hommage des Belles-Sœurs, d’après le texte de Michel Tremblay, était mise en scène par Denise Filiatrault, avec Louise Beaudoin, Jocelyne Cazin, Alexandra Diaz, Liza Frulla, Monique Giroux, Francine Grimaldi, Diane Lemieux, Suzanne Lévesque, Isabelle Maréchal, Ariane Moffatt, Nathalie Petrowski, Dominique Poirier, Marie-Claude Savard, Marie-Élaine Thibert et Marie-Christine Trottier. La lecture a eu lieu le 9 novembre 2008.
7 Le Rideau Vert a dû mettre en suspens sa programmation pendant l’année 2005 suite à des déboires financiers et au décès de son directeur artistique, Serge Turgeon. Depuis, Denise Filiatrault assume la directionde la compagnie avec le soutien notamment de Quebecor en tablant sur une programmation plutôt éclectique faisant une bonne place aux spectacles de variétés. Voir Stéphane Baillargeon, « Une pétition pour le Rideau Vert », Le Devoir, 21 juin 2004 (version électronique : http://www.ledevoir.com/culture/theatre/57395/une-petition-pour-le-rideau-vert consultée le 22 mai 2011).
8 Belles-Sœurs, théâtre musical d’après Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay, mise en scène, livret et paroles de René-Richard Cyr, musique de Daniel Bélanger ; une production du Théâtre d’Aujourd’hui et du Centre culturel de Joliette, du 29 mars au 1er mai 2010.
9 Je me permets de citer la conclusion de l’article, déjà cité (note 5), portant sur l’anniversaire des Belles-Sœurs : « L’expression [« génération Belles-Sœurs »] désignerait non plus seulement ceux et celles qui avaient 20 ans le soir où fut inventé le théâtre québécois, mais ceux-là qui restent persuadés, envers et contre tout, qu’il ne saurait y avoir d’autre théâtre au Québec que celui qui s’inscrit au cœur de l’activité de la cité. Théâtre d’aujourd’hui maintenant et pour toujours. Tel serait l’héritage précieux, mais paradoxal des Belles-Sœurs, Jubinville, Y, « Une aura d’éternité », dans M. Venne et M. Fahmy (dir.), L’Annuaire du Québec 2008, op. cit., p. 251.
10 Reconnaissons à André Brassard, l’accoucheur scénique de Tremblay, le mérite d’avoir repris le texte dans trois mises en scène professionnelles, en excluant les productions anglophones. Parmi les tentatives de relecture entreprises depuis 1984, date de la dernière production de Brassard, celles de Denoncourt et de Filiatrault n’ont pas modifié le paradigme interprétatif dominant voulant que la pièce présente un miroir de la psyché nationale.
11 Celles-ci incluent, outre les productions déjà citées, la création de la pièce Le paradis à la fin de vos jours, présenté au Rideau Vert du 12 août au 6 septembre 2008. Monologue écrit pour Rita Lafontaine, la pièce est un hommage à la mère de l’auteur et une façon pour lui d’inscrire l’épisode des Belles-Sœurs dans son parcours personnel. Voir C. Larochelle, « Les Belles-Sœurs n’ont pas dit leur dernier mot », Journal de Montréal, 27 juillet 2008 (version électronique : http://fr.canoe.ca/divertissement/arts-scene/nouvelles/2008/07/25/6267001-jdm.html consultée le 22 mai 2011).
12 Cf. Lapointe, M.-E., Emblèmes d’une littérature. « Le libraire », « Prochain épisode » et « L’avalée des avalés », Montréal, Fides, 2008, 366 p.
13 Voir Nardout-Lafarge, É., « La valeur « modernité » en littérature québécoise : notes pour un bilan critique », dans G. Michaud et É. Nardout-Lafarge (dir.), Construction de la modernité au Québec, Actes du colloque international tenu à Montréal (6, 7 et 8 novembre 2003), Montréal, Lanctôt Éditeur, 2004, p. 285-301.
14 Larrue, Jean-Marc, « L’activité théâtrale à Montréal de 1880 à 1914 », Montréal, Université de Montréal, 1987, 1021 p. [thèse de doctorat].
15 Bourassa, André G., « Premières modernités, 1930-1965 », dans R. Legris, J.-M. Larrue, A. Bourassa et G. David (dir.), Le théâtre au Québec, 1825-1985, Montréal, VLB Éditeur, SHTQ et Bibliothèque Nationale du Québec, 1988, p. 89-140.
16 Approches qui recoupent largement la distinction, établie par Yvan Lamonde, entre « processus de modernisation » et modernité esthétique et intellectuelle. La perspective de Larrue appartient résolument à la première alors que Bourassa s’inscrit, pour sa part, dans le sillage de la seconde. Voir « La modernité au Québec : pour une histoire des brèches (1895-1950) », dans Y. Lamonde et E. Trépanier (dir.), L’avènement de la modernité culturelle au Québec, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986, p. 299-311.
17 Ce changement de perspective sur la dramaturgie québécoise se cristallise dans un numéro de la revue Théâtre/Public, publié en 1995 et consacré entièrement au « Québec ». Les articles de Paul Lefebvre, Jean-Cléo Godin et Dominique Lafon forment, en ce sens, le corps doctrinaire de ce qui va bientôt devenir la nouvelle doxa critique encore largement en vigueur de nos jours.
18 Robert, Lucie, « Canons croisés ou canons conflictuels ? Les textes dramatiques lus d’ailleurs », L’Annuaire théâtral, no 27, printemps, 2000, p. 231-244.
19 Je rappelle que la pièce est choisie, en 1987, par les rédacteurs (dont l’illustre Bernard Pivot) de la revue Lire pour figurer dans la Bibliothèque idéale (rubrique théâtre) du XXe siècle.
20 Sur cette question, le lecteur est renvoyé à l’étude de Josette Féral parue dans Théâtres québécois et canadiens-français (2003, p. 9-31) intitulée « La mise en scène au Québec. Ruptures ou mutations ? ». Dans la suite de ces travaux, orientés par le paradigme performanciel des pratiques théâtrales contemporaines, les rédacteurs de l’Histoire de la littérature québécoise (sous la direction de M. Biron, F. Dumont, É. Nardout-Lafarge, Boréal, 2007) accréditent cette vision des choses dans le chapitre couvrant l’activité théâtrale postréférendaire (« Le théâtre comme performance ») et dans lequel ils reprennent, en ouverture, le refrain de la dénationalisation du théâtre québécois (p. 581).
21 Voir note 8.