Conclusion
p. 165-168
Texte intégral
1La réponse chinoise à l’hégémonie américaine s’apparente à une énigme dont aucune des théories en relations internationales ne semble avoir la clé. En particulier, elle s’inscrit à l’antipode des prévisions de l’influente théorie de l’équilibre des puissances, promue par le réalisme défensif de Waltz, qui eût voulu que la Chine prît la tête d’une coalition anti-hégémonique (hard coalition) contre la superpuissance américaine.
2Cette prédiction ne s’étant pas vérifiée, certains auteurs ont ajusté leur analyse, avançant qu’il serait téméraire pour une puissance émergente, nonobstant son potentiel, de se lancer dans une aventure qui l’expose aux représailles de la seule superpuissance du globe.
3Pourtant, on l’a vu, la Chine a bel et bien entrepris un mouvement d’équilibrage (balancing), mais qui jure avec les formes traditionnelles de cette stratégie. Confrontée à une nette supériorité des États-Unis dans les domaines économique, militaire et technologique, la Chine a entrepris de « balancer » la superpuissance américaine avec un pragmatisme qui n’est pas sans rappeler certaines pratiques de son histoire lointaine.
4Dans ce contexte, son principal défi a consisté à inventer une recette lui permettant d’émerger sans avoir à affronter prématurément son adversaire. Elle a conçu une stratégie qui combine trois dimensions complémentaires : sur le plan interne, des réformes économiques et militaires, et à l’externe, une diplomatie efficace en adéquation avec ses ambitions de puissance. La démarche a ceci de novateur qu’elle vise à relever le statut national et international du pays essentiellement par le jeu de la puissance économique, plutôt que militaire. La stratégie chinoise introduit de ce fait une dérogation majeure aux conventions en vigueur dans l’analyse des rapports entre puissances établies et en devenir. Pour comprendre cet exceptionnalisme, il faut s’inscrire dans la longue durée.
5Vers le milieu de la décennie 1990, un consensus s’établit parmi les dirigeants chinois. Ils réalisent alors que le régime communiste n’a guère de chances de rivaliser avec le géant américain qui, contrairement aux thèses qui lui prédisaient un déclin inéluctable, n’en finit pas de gagner en puissance. Sous la houlette de Deng Xiaoping, le leadership convient que la réalisation du développement économique devra constituer le premier objectif du pays, s’il entend retrouver le rôle central qui fut le sien dans les affaires du monde.
6Beijing entreprit donc de construire son pouvoir économique. Grâce à des réformes drastiques et audacieuses, l’écart abyssal qui séparait les économies chinoise et américaine s’est resserré en un temps record. Certains analystes projettent même que la Chine, forte de ses 1,3 milliard d’habitants, sera au sommet de l’économie mondiale avant 2020.
7Tirant les leçons de l’incidence de la course aux armements sur la chute brutale de l’Union soviétique, mais aussi de sa propre histoire, la Chine semble avoir trouvé un équilibre entre la modernisation militaire et le développement économique. Portée par boom économique sans précédent, elle ne se prive pas pour autant de se doter d’un budget militaire à la mesure de ses aspirations. Elle est en train de redresser progressivement ses capacités par l’importation d’équipements sophistiqués et le développement parallèle de sa propre industrie de défense. De fait, son armée est déjà pourvue de capacités défensives et offensives bien meilleures.
8Sensibles aux défis stratégiques de l’après guerre froide et à la modernisation militaire qui menace de marginaliser les armées conventionnelles, les chinois se sont investis dans une « révolution militaire avec des caractéristiques chinoises » afin de préparer l’APL aux guerres de haute technologie. À cet effet, la doctrine militaire de la Chine s’est recentrée sur la professionnalisation et l’informatisation accélérées de ses forces armées par l’intégration des technologies de l’information à ses opérations militaires.
9Par sa politique étrangère dynamique et efficace, la Chine accomplit un autre objectif essentiel de sa grande stratégie : l’établissement d’un environnement extérieur propice à son émergence. À mi-chemin entre réalisme et pragmatisme, elle va jusqu’à donner les signes d’un certain enthousiasme à l’endroit du multilatéralisme – jadis rejeté –, qu’elle combine avec un bilatéralisme exemplaire au service d’une diplomatie de grande puissance.
10Afin de s’assurer un accès aux ressources pétrolières et aux matières premières indispensables à une économie en plein essor, elle établit des partenariats stratégiques avec les grandes et moyennes puissances, et s’efforce par de multiples initiatives de renouer avec l’allié traditionnel qu’est le tiers-monde. Ce cocktail économicodiplomatique est généralement assorti d’éléments politiques et militaires qui, par leur ampleur, semblent signaler des velléités expansionnistes. Tout cela provoque une onde de choc ressentie jusque dans l’arrière-cour de Washington, dont l’inquiétude est désormais visible.
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