1 Parmi les idéalistes allemands, Nishitani était attiré plus par Schelling que par Hegel, comme le suggèrent plusieurs essais qu’il a écrits sur Schelling dans sa jeunesse. On les trouve dans Nishitani Keiji chosakushū (, Œuvres complètes de Nishitani Keiji) (NKC), Tōkyō, Sōbunsha, 1987, vol. 13, p. 163-358.
2 Nishitani Keiji, « Nishida tetsugaku o meguru ronten » (, Questions concernant la philosophie de Nishida) (1936), dans NKC 9, 191-224 ; traduit en anglais par Yamamoto Seisaku et James W. Heisig sous le titre « Questioning Nishida. Reflection on Three Critics », dans Nishitani Keiji, Nishida Kitarō, Berkeley, University of California Press, 1991, p. 192-229.
3 Nihirizumu , NKC 8 18-23. La section sur Hegel correspond aux pages 9-12 de la version anglaise, The Self-Overcoming of Nihilism, Albany, SUNY Press, 1990 (trad. Graham Parkes et Setsuko Aihara).
4 « Han’ya to risei » (), dans Tamaki Koshirō (éd.), Bukkyō no hikaku shisōronteki kenkyū (, Des Études comparées dans la pensée bouddhique), Tōkyō, Tōkyō Daigaku Shuppankai, 1979, p. 237-300; réimprimé dans NKC 13, 31-95. Toutes mes références à cette œuvre concernent l’édition originelle ; toutes les traductions sont les miennes.
5 Nihilizumu, p. 19. Aussi voir « Han’ya to risei », p. 266, 271. Alors que Nishitani prend Hegel inconditionnellement pour un théologien chrétien, il l’assimile à un platonicien ou un néoplatonicien, un panthéiste réformé dans la tradition spinozienne, un mystique, ou un philosophe scolastique. Voir Nihirizumu, p. 22; « Han’ya to risei », p. 261-262, 264, 266, 270-271.
6 « Han’ya to risei », p. 294-295.
7 « En tant qu’existant ultime, l’être […] porte nettement des caractéristiques du Dieu chrétien » (« Han’ya to risei », p. 266).
8 « Nishida tetsugaku o meguru ronten », p. 191-192. Ma traduction.
9 Ibid., p. 193. Nishitani n’est pas le premier à critiquer l’importance disproportionnée de l’universel (la raison dans l’histoire) dans la philosophie hégélienne. Kierkegaard est sur ce point l’un des adversaires les plus célèbres de Hegel.
10 Nihirizumu, p. 18-19, 22. L’expression originelle allemande contient un jeu de mots : zu Grunde gehen, ce qui signifie tant « aller dans le fondement » que « périr ».
11 « Han’ya to risei », p. 263, 264.
12 « Han’ya to risei », p. 264-265. Aussi voir ibid., p. 269-270, 289. Plus loin dans l’essai il devient évident que pour Nishitani, la connaissance doit être indépendante de l’objet non pas en lui étant opposée, mais plutôt en transcendant entièrement la dimension sujet/objet.
13 « Han’ya to risei », p. 268.
14 « Han’ya to risei », p. 267. On rapporte qu’Archimède a dit : « Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde » (Diodorus Siculus, Bibliotheke, XXVI, 18.1). Si on applique ce principe au cas de Hegel, on doit constater que l’absolu ne peut pas se mouvoir, c’est-à-dire se développer, entièrement de soi-même, et que la conscience humaine a besoin d’un degré d’indépendance afin de rejoindre l’absolu.
15 Cf. « Han’ya to risei », p. 260-261.
16 « Han’ya to risei », p. 290.
17 Nishitani Keiji, « Nishida tetsugaku to Tanabe tetsugaku » (, La philosophie de Nishida et la philosophie de Tanabe), dans NKC 9, p. 248 ; « Han’ya to risei », p. 256.
18 « Han’ya to risei », p. 263. Nishitani est d’avis qu’en s’exprimant par des mots, et donc par logos, raison, logique, ou theoria, la connaissance rationnelle (judicative) ne peut pas rendre compte des choses exactement telles qu’elles sont, dans leur facticité particulière, leur existence, ou leur vérité immédiate. La connaissance rationnelle nous permet de connaître le monde et nous-mêmes en tant qu’objets, mais en même temps elle nous isole de leur signification primaire. En faisant référence à une métaphore bouddhique bien connue, Nishitani dit que les concepts peuvent être comparés non pas à la lune mais seulement à un doigt qui pointe vers elle, ou moins encore, à une réflexion de la lune dans une rivière qui est confondue avec la vraie lune. Voir ibid., p. 290, 245, 246-249, 278 ff.
19 Noesis noeseos est un terme emprunté à la Metaphysique XII, 9, 1074 b 34, où Aristote réfère à l’activité (energeia) du domaine fondamental de l’être (prote ousia), comprise comme une auto-intentionalité pure située en dehors des limitations d’espace et de temps. Une telle auto-intentionalité (l’intentionalité qui est son propre objet) peut être comprise comme une réflexivité pure (une autoréférence parfaite) ou autoréalisation. Hegel admet avoir utilisé la noesis noeseos aristotélicienne comme modèle pour son idée d’esprit absolu qui se comprend lui-même. Voir Hegel, Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften, Werke in zwanzig Bänden, éd. Eva Moldenhauer et Karl Markus Michel, Frankfurt am Mein, Suhrkamp, 1970, vol. 8, § 236, Addition, p. 388. Nishitani discute de l’usage du terme par Hegel dans « Han’ya to risei », p. 275-276, 285, 289.
20 « Han’ya to risei », p. 263, 283, 287.
21 « Han’ya to risei », p. 294.
22 « Han’ya to risei », p. 263, 264.
23 Il s’agit de la lettre de Hegel datée du 3 juillet 1826 et adressée à A. Tholuck. Voir Hegel, Briefe von und an Hegel, éd. Friedhelm Nicolin, Hamburg, Meiner, 1969, vol. 4.2, p. 61.
24 Hegel, Theologische Jugendschriften, éd. Herman Nohl, Tübingen, Mohr, 1907. Pour des commentaires de Hegel à propos de la théologie dans sa correspondance avec Schelling, voir par exemple sa lettre du janvier 1795 dans Hegel, Briefe von und an Hegel, vol. 1, p. 16-17.
25 Pour une liste de ceux qui représentent la vue partagée par Nishitani, voir Marcel Régnier, « Logique et théo-logique hégélienne », dans Jacques D’Hondt (éd.), Hegel et la pensée moderne. Séminaire sur Hegel dirigé par Jean Hyppolite au Collège de France (1967-1968), Paris, PUF, 1970, p. 212. On trouve l’opinion opposée chez, par exemple, Nicolai Hartmann qui croit que si « le grand blasphémateur » Hegel a réussi à échapper à la réprobation générale des dogmatistes de son époque, c’est parce que sa philosophie était simplement hors de leur compréhension (voir Nicolai Hartmann, Hegel, vol. 2 de Die Philosophie des deutschen Idealismus, Berlin, W. de Gruyter, 1929, p. 38-39). Hermann Glockner résume le ton critique envers certains aspects du christianisme dans l’œuvre du jeune Hegel dans son Hegel, Stuttgart, Frommann-Holzboog, 1954, 1958, vol. 2, p. 29-34, 146-148. Karl Löwith fait remonter la critique philosophique hégélienne de la religion chrétienne à des textes théologiques de jeunesse, et comprend sa philosophie comme « une destruction décisive de la philosophie et la religion chrétiennes » (voir Karl Löwith, Von Hegel zu Nietzsche, Stuttgart, Kohlhammer, 1953, p. 39, 83, 356, et de la manière générale p. 350-356). Traugott Koch remarque que l’emphase mise par Hegel sur le caractère historique de la religion, sur l’immanence de Dieu dans le monde et sur l’accessibilité de Dieu à l’intellect humain est souvent interprétée par ses critiques comme contraire à la foi chrétienne dans le salut ultérieur et comme généralement blasphématoire. Voir Traugott Koch, Differenz und Versöhnung. Eine Interpretation der Theologie G. W. F. Hegels nach seiner « Wissenschaftder Logik », Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus G. Mohn, 1967, p. 14 note 18 ; 21-22 ; 24-28. Dans son étude Die Vernunftin der Religion. Studien zur Grundlegung der Religionsphilosophie Hegels (Stuttgart-Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 1986, p. 297-303), Walter Jaeschke nous met en garde contre l’interprétation de la philosophie hégélienne de la religion en tant que théologie chrétienne.
26 Voir par exemple Hartmann, Hegel, p. 181-182 ; Thomas Kesselring, Die Produktivität der Antinomie. Hegels Dialektik im Lichte der genetischen Erkenntnistheorie und der formalen Logik, Frankfurt am Mein, Suhrkamp, 1984, p. 85, 92, 367 note 1 ; et Jacob Loewenberg, Hegel’s Phenomenology. Dialogues on The Life of Mind, La Salle, Ill., Open Court, 1965, p. xi.
27 Cf. Thomas Kesselring, « Voraussetzungen und Strukturen des Anfangs der Hegelschen Logik »: Zeitschriftfür philosophische Forschung (1981, no 35) 564-565.
28 Hegel, Wissenschaftder Logik, éd. Georg Lasson, Leipzig, Meiner, 1967, vol. 1, p. 66-67. L’emphase est mise par Hegel ; l’explication entre crochets est la mienne.
29 N’ayant apparemment pas suffisamment réalisé la signification de cette identité, Nishitani suggère d’une manière superflue que Hegel aurait pu commencer sa Science de la logique à partir du néant lieu de l’être. Voir « Han’ya to risei », p. 265.
30 Hegel, Enzyklopädie, p. 136. Nishitani mentionne ce passage bien connu, mais il admet ne pas comprendre pourquoi l’absolu, alors un être parfait, doit évoluer à partir d’une catégorie abstraite (imparfaite). Voir « Han’ya to risei », p. 263.
31 « Dieu en tant qu’être abstrait situé dans l’au-delà, et de ce fait au-delà alors de la différence et de la détermination, est en effet un simple nom, un simple caput mortuum du raisonnement abstrait » (Hegel, Enzyklopädie, § 112, Addition, p. 234 ; cf. § 85, p. 181-182). Voir aussi les remarques de Walter Jaeschke à propos de la critique hégélienne de la définition traditionnelle de Dieu en tant qu’ens realissimum : Hegel considère cette définition comme une simple abstraction. Walter Jaeschke, Introduction aux Vorlesungen über die Philosophie der Religion, par Hegel, éd. Walter Jaeschke, Hamburg, Meiner, 1993, vol. 1, p. xxii.
32 Hegel, Logik, vol. 1, p. 145 ; Enzyklopädie, § 112, Addition, p. 234.
33 Déjà avant la publication de sa Science de la logique, Hegel définissait l’esprit comme « l’essence [Wesen] de toute la Nature, de l’être et de l’agir ». Voir « Naturphilosophie und Philosophie des Geistes », un manuscrit de 1805/1806, dans Hegel, Gesammelte Werke, Hamburg, Meiner 1968-, vol. 8, p. 280. Cité par Jaeschke, Introduction, p. xviii.
34 « Seul l’absolu est vrai et seul le vrai est absolu » (Hegel, Phänomenologie des Geistes, éd. Johannes Hoffmeister, Hamburg, Meiner, 1952, p. 65).
35 Cf. Hegel, Enzyklopädie, § 112, p. 231 ; § 142, p. 279 ; Logik, vol. 2, p. 98. Cf. Logik, vol. 2, p. 9 ff.
36 À part le passage cité par Nishitani, Hegel parle de la ruse de la raison (ou, simplement, de la ruse) dans Enzyklopädie, § 209 et Addition, p. 365, et dans Phänomenologie, p. 46, 255 ff, 309 ff.
37 En utilisant un argument similaire, Iwan Iljin défend la position de l’individu dans la conception hégélienne de l’universalité. Voir Iwan Iljin, Die Philosophie Hegels als kontemplative Gotteslehre, Bern, A. Francke, 1946, p. 326.
38 Ce penser de plus haut rang est la spéculation philosophique, mais aussi le penser religieux d’un type plus raffiné. Au centre de la religion se trouve la conscience de soi qui est toute la vérité et qui contient toute la réalité dans cette vérité. Voir Hegel, Phänomenologie des Geistes, Gesammelte Werke, vol. 9, p. 367, cité par Jaeschke, Introduction, p. xix.
39 Hegel, Einleitung in die Geschichte der Philosophie, éd. Johannes Hoffmeister, Hamburg, Meiner, 1959, p. 271. Cf. Traugott Koch, Differenz und Versöhnung, p. 35; 43 note 34; 48. Aussi voir Hegel, Enzyklopädie, § 2, p. 42. Le penser de soi infini ne doit pas être confondu, comme le fait Nishitani, avec une simple ratiocination ou theoria. On peut citer ici Rudolf Bultmann qui souligne avec raison que Hegel ne comprend pas « le penser » comme une réflexion théorétique secondaire, mais plutôt en tant que le véritable moyen par lequel nous existons. Voir Rudolf Bultmann, « Zur Geschichte der Paulusforschung » : Theologische Rundschau, Neue Folge (1929, no 1) 26 ff. Voir aussi Traugott Koch, Differenz und Versöhnung, p. 29.
40 « Han’ya to risei », p. 297.
41 « Han’ya to risei », p. 250-253, 297.
42 « Han’ya to risei », p. 288-290.
43 Hegel, Enzyklopädie § 215, p. 372-373.
44 Conformément à sa tendance à minimiser le rôle de la temporalité dans la philosophie de Hegel, Nishitani y méprise aussi la médiation qui est la manifestation primaire de la temporalité. Nishitani croit que Hegel utilise la médiation comme un moyen de soutenir sa vision du monde logique, raisonnée et idéaliste. Selon Nishitani, la médiation est un instrument utilisé par l’Idée non seulement afin que cette dernière se réalise dans les choses réelles, mais aussi pour qu’au contraire, elle les absorbe en elle-même. Voir Nihirizumu, p. 19.
45 Nishitani parle ainsi à propos de la percée (toppa ) : « La grande conversion fondamentale […] est une chose dont on ne peut pas demander le pourquoi. On ne peut concevoir aucune raison pour qu’elle survienne, aucune base pour la comprendre. […] Si on cherche une raison, on ne peut pas faire autre chose que ce que font les religions traditionnelles : il faut la chercher du côté de Dieu ou de Bouddha » Nishitani Keiji, Shūkyō to wa nani ka (, Qu’est-ce que la religion ?), NKC 10, 254.
46 Kadowaki Ken, « The Circle Play. Nishitani and Hegel »: Zen Buddhism Today (1997, no 14, 1997) 62. Il est intéressant que ce soit précisément au sujet de son indifférence au point de vue humain que Nishitani réprimande Nishida Kitarō, en le comparant défavorablement à Hegel sur ce sujet. Voir Nishitani Keiji, « Nishida tetsugaku to Tanabe tetsugaku », p. 248.
47 Ibid. Le texte en crochets vient de moi. Implicitement, Nishitani se positionne en dehors du karma de la condition humaine. Déjà dans un essai antérieur, publié originalement en 1967, il recommandait ainsi de couper les racines de la conscience-karma () : « La connaissance discriminante est essentiellement fausse […] on peut comprendre comment il est difficile d’ôter cette fausseté. […] Afin de casser la carapace rigide du soi-ego (), la force qui maintient cette carapace doit, elle aussi, être arrachée avec ses racines. Depuis ses profondeurs cachées, cette grande force latente détermine l’activité discriminante, en apparence libre, du soi-ego, en la revêtant du caractère d’une nécessité qui s’appelle karma. […] On ne peut percer la carapace du soi-ego qu’en coupant les racines de cette conscience-karma qui s’étendent jusqu’à ses profondeurs » (Nishitani Keiji, Zen no tachiba (, La Perspective du Zen), dans NKC 11, 25. Ma traduction.
48 Nishitani discute ce sujet de manière extensive dans Shūkyō to wa nani ka.
49 Dans son Encyclopaedia, § 50 Note, p. 131, Hegel argumente contre la notion de « bond » (der Sprung) comme moyen de se mouvoir entre des catégories, c’està-dire contre une disjonction irréparable au sens de Nishitani. Dans Sämtliche Werke, vol. 16, p. 489-490, Hegel rejette également la notion de bond discontinu dans l’infini. Koch examine brièvement la littérature concernant ce sujet dans Differenz und Versöhnung, p. 50-51, note 46.
50 « Han’ya to risei », p. 293. Des remarques critiques de Nishitani touchent à un problème bien reconnu parmi les spécialistes sur Hegel. Des difficultés logiques entourant le début de la Logique continuent à attirer leur attention particulière.
51 « Han’ya to risei », p. 263-264, 267.
52 « Han’ya to risei », p. 283, 284, 292.
53 Causant un retentissement critique, Hegel a caractérisé son entreprise de la Logique comme « la représentation de Dieu dans son essence éternelle avant la création de la nature et de l’esprit fini. » Hegel, Logik, vol. 1, p. 33.
54 « Han’ya to risei », p. 249.
55 « Han’ya to risei », p. 289.