1 Cet article est issu de la conférence que j’ai faite au colloque international sur « Être humain. L’anthropologie des philosophies du monde », organisé par l’Université de Macerata (Italie) en mai 2006. Les traces de ces circonstances s’y trouvent donc assez patentes. — Toutes les citations de Tanabe que je vais faire dans cette étude renvoient aux Tanabe Hajime Zenshū (, Œuvres complètes de Hajime Tanabe), Tōkyō, Chikumashōbō, 15 vol., 1963-1964. Le sigle THZ sera désormais utilisé pour indiquer la pagination des passages cités.
2 Cf. Paul Ricœur, Finitude et culpabilité II. La symbolique du mal, Paris, Aubier, 1960, p. 181-186.
3 Emmanuel Lévinas, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, M. Nijhoff, 1961, p. 146.
4 En invoquant le terme « métaphysique », je ne voudrais évidemment pas faire rentrer dans le cadre de la métaphysique occidentale traditionnelle le concept de néant absolu, qui est élaboré au moyen d’une critique fondamentale de cette tradition. Je voudrais simplement dire que cette critique ne se fait qu’en pénétrant dans le sein des méditations de métaphysique ou philosophie première. Cela se voit par l’ajout du qualitatif « absolu » au terme « néant », opération qui me paraît ne pas pouvoir provenir spontanément du bouddhisme traditionnel.
5 Martin Heidegger, Unterwegs zur Sprache, GA12, Frankfurt am Main, V. Klostermann, 1985, p. 79-146.
6 Concernant mes études revelant de cette tentative, voir Sugimura Yasuhiko, « Témoignage comme “passage originaire” chez Jean Nabert », dans Phillipe Capelle (éd.), Le souci du passage, Paris, Cerf, 2004, p. 382-393 ; « Pour une philosophie du témoignage. Ricœur et Heidegger autour de l’idée de l’attestation », dans Études Religieuses et Théologiques (2005, no 4) 483-498.
7 Le témoignage singulier consistant à témoigner de son impossibilité est très souvent invoqué dans l’espace du discours sur « Auschwitz » (voir par exemple Shoshana Felman, « The Return of the Voice. Claude Lanzmann’s Shoah », dans Shoshana Felman et D. Laub (éd.), Testimony. Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History, New York and London, Routeledge, 1992). Mais la même structure du témoignage se discerne chez quelques philosophes contemporains, tels que Lévinas, Lyotard, Derrida et Ricœur dans leur « Rückfrage » qui les conduit à mettre en cause le principe même de la philosophie. Cf. Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, M. Nijhoff, 1974, chap. 5 ; Jean-François Lyotard, Le différent, Paris, Minuit, 1983, « Fiche de lecture » ; Jacques Derrida, Demeure. Maurice Blanchot, Paris, Galilée, 1998 ; Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
8 Ce rapport avec la notion d’homme est essentiellement identique même chez le « dernier Heidegger » qui adopte la vision « destinale » de la Seinsgeschichte. Comme cela est exprimé clairement dans la Lettre sur l’humanisme, c’est dans le Da du Da-sein, le lieu où la vérité du Sein se révèle en son retrait, que se trouve pour Heidegger « la plus essentielle humanitas de l’homo humanus » (« Brief über den « Humanismus » », dans Wegmarken, GA 9, Frankfurt am Main, V. Klostermann, 1976, p. 345). Dans cette mesure, on peut légitimement caractériser Heidegger comme « penseur de l’homme ». Cf. Jan Patocka, « Martin Heidegger, penseur de l’homme »: Epokhè (1991, no 2) 383-386 (trad. Erika Abrams).
9 Martin Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen, Max Niemeyer, 17. Aufl., 1993, § 60.
10 Cette formule se trouve dans le cours de 1925 sur Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs, GA 20, Frankfurt am Main, V. Klostermann, 1979, p. 437.
11 Cette problématique de l’attestation de l’ipséité est reprise par Paul Ricœur dans Soi-même comme un autre sous le nom « l’herméneutique du soi ». Sur une possible confrontation entre Ricœur et Heidegger sous cet angle, voir mon étude : « Pour une philosophie du témoignage… », op. cit.
12 Cf. Bernard Stevens, Topologie du néant. Une approche de l’école de Kyōto, Bruxelles, Peeters, 2000.
13 Voir surtout Tanabe Hajime, « Genshōgaku ni okeru atarashiki tenkō » (, Nouveau tournant dans la phénoménologie) (1924), dans THZ 4, 17-35.
14 Hannah Arendt, The Human Condition, Chicago, University of Chicago Press, 1958, chap. V : Action.
15 Didier Franck, Heidegger et le problème de l’espace, Paris, Minuit, 1986 ; « L’être et le vivant », dans Dramatique des phénomènes, Paris, PUF, 2001, p. 35-55.
16 Karl Löwith, Das Individuum in der Rolle des Mitmenschen, München, Drei Masken Verlag, 1928.
17 Emmanuel Levinas, Le temps et l’autre, Paris, PUF, 1983 (publié originairement dans Le choix, le monde, l’existence, Grenoble, B. Arthaud, 1947) ; Totalité et infini, op. cit.
18 Sur le rapport entre la logique de l’espèce et la situation politique de l’époque, voir le travail synthétique de Ienaga Saburō , Tanabe Hajime no shisōshiteki Kenkyu. Sensō to tetsugakusha (, Études de Hajime Tanabe du point de vue de l’histoire des idées. La guerre et le philosophe), Tōkyō, Presses Universitaires de Hosei, 1988. Voir aussi l’analyse pénétrante de James Heisig sur « Tanabe’s Logic of the Specific and the Spirit of Nationalism », dans James W. Heisig et John C. Maraldo (éd.), Rude Awakening. Zen, the Kyoto School, and the Question of Nationalism, Honolulu, University of Hawaii Press, 1995, p. 255-288.
19 L’expression allemande Metanoetik est adoptée par Tanabe lui-même, pour qui l’allemand est la langue européenne la plus familière. Pour la « traduire » en japonais, il se sert de la formule zangedō, qui signifie à la lettre « la voie de la repentance ».
20 Tanabe Hajime, Zangedō toshite no tetsugaku (, Philosophie comme Metanoetik), dans THZ 9, 1-269. Il convient de souligner que bien que l’ouvrage ait été publié après la guerre, l’idée de Metanoetik occupait une place centrale déjà lors des dernières années de la guerre. En fait, le cours de Tanabe pour l’année 1944, le dernier qu’il ait donné à l’Université de Kyōto, était consacré précisément à la « Philosophie comme Metanoetik ». Un malentendu doit être écarté à propos du fait que la metanoia du philosophe serait due à sa réaction à la défaite de l’État japonais lors de la seconde guerre mondiale. Sur ce sujet, voir les notes explicatives de Takeuchi Yoshinori pour le tome 9 des œuvres complètes de Tanabe (THZ 9, 493-508).
21 Ce texte rédigé en japonais était pourtant trop long. Les traducteurs (Tsujimura Koichi et Hartmut Buchner) l’ont raccourci, en suivant le conseil de Nishitani Keiji (Tanabe Hajime « Todesdialektik », dans Martin Heidegger 26. September 1959, Pfullingen, Neske, 1959). Le texte original qui a été publié en 1962, année de la mort de Tanabe, se trouve dans le tome 13 des œuvres complètes (« Sei no sonzaigaku ka shi no benshōhō ka » (, L’ontologie de la vie ou la dialectique de la mort ?), THZ 13, 525-576. Nous nous référons ici bien entendu à cette version intégrale. Il est en effet assez évident que dans la version allemande, les coupures ont été faites de telle sorte que la confrontation de Tanabe avec Heidegger tend à s’atténuer.
22 Sur ce sujet, voir les réflexions profondes de Hase Shōtō dans son article sur « Shi to jitsuzonkyōdō no shisō. Tanabe no bannen no shisō » (, Mort et pensée de la communauté d’existences. Considérations sur la dernière pensée de Tanabe), dans Hase Shōtō, Kokoro ni utsuru Mugen. Ku no imajuka (, L’Infini qui se reflète dans le cœur. Le devenir-image de la vacuité), Kyōto, Hōzōkan, 2005, p. 211-237.
23 Comme bien des commentateurs le remarquent, c’est probablement la mort de sa femme qui a conduit Tanabe à une telle reprise de son concept-clé de « mortrésurrection » (shi-hukkatsu). Cf. Nishitani Keiji, « Tanabetetsugaku ni tsuite » (, Sur la philosophie de Tanabe), dans Nishitani Keiji Chosakushū (, Œuvres de Nishitani Keiji), tome 9, Tōkyō, Sōbunsha, 1987, p. 285-286 ; Tsujimura Koîchi, « Tanabetetsugaku ni tsuite » (, Sur la philosophie de Tanabe), dans Tanabe Hajime, Gendai nihon shisō taikei (, Anthologie de la pensée japonaise moderne), 23, Tōkyō, Chikumashobō, 1964, p. 53 ; Hase Shōtō, Kokoro ni utsuru Mugen, op. cit., p. 232-233.
24 Ce poème qui couronne le courant du symbolisme français était en fait pour Tanabe le « symbole » incomparable où se condense toute sa « philosophie de la mort ». Son dernier ouvrage publié était consacré à Mallarmé (Mararume Oboegaki (, Notes sur Mallarmé), Tōkyō, Chikumachobo, 1962. Repris dans THZ 13, 199-304). On y trouve son commentaire fort original du poème « Un coup de dés… », ainsi que la traduction intégrale qu’il en a tentée.