Un destin de pensée
L’impact d’Okakura Kakuzō (Tenshin) sur le développement de l’histoire de l’art en inde et au Japon au début du xxe siècle
p. 329-348
Remerciements
Nos remerciements vont à MM. Osada Toshiki, Tanaka Hisao et à Mlle Okishio Mari, de la bibliothèque de l’International Research Center for Japanese Studies à Kyoto, qui nous ont fourni des informations précieuses, ainsi qu’au personnel des bibliothèques de l’Université Columbia à New York, où l’auteur a pu consulter de nombreux ouvrages indispensables pour la rédaction de cet article. Que M. Fred Notehelfer de l’UCLA soit remercié. Sans son encouragement, je n’aurais jamais touché au problème de cet article. Je tiens aussi à remercier MM. Henry Smith II et Peter Grilli du Donald Keene Center for Japanese Culture à l’Université de Columbia qui m’ont invité à présenter une communication orale de cet article à la Starr Library. Enfin, mes remerciements particuliers vont à Livia Monnet qui m’a donné l’occasion de rédiger cet article en français et a assuré les corrections nécessaires, tant sur le plan éditorial que sur le contenu. Que Jean-Noël Robert soit aussi remercié pour ses corrections philologiques très rigoureuses. C’est naturellement à l’auteur qu’incombe toute la responsabilité pour le contenu de cet article.
Texte intégral
1Des études récentes ont révélé que la création du discours historique sur l’art national était étroitement liée à la construction de l’État-nation moderne (Kitazawa, 1999 ; tnricp, 1999). Depuis la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’au début du XXe siècle, l’histoire de l’art asiatique et/ou oriental fut conçue comme une « idée » faisant partie intégrante de l’identité nationale et culturelle que les nations asiatiques s’étaient mises à mobiliser en rivalité avec leurs homologues de l’Occident, dont la domination coloniale ne cessait de se manifester. Dans ce contexte, Okakura Kakuzō (1862-1913) occupe une position cardinale (« Kakuzō » était son vrai prénom, mais il est plutôt connu au Japon comme « Okakura Tenshin », d’après son pseudonyme). Pourtant, cet aspect ha pas été sérieusement étudié par les historiens japonais, du moins jusqu’à récemment. En réaction contre le militarisme expansionniste de l’Empire du Japon des années 1940, où les écrits (posthumes) de Tenshin ont été manipulés et ont servi de propagande, les intellectuels japonais d’après-guerre ont préféré ne pas y toucher. Quelques éditeurs d’Okakura Tenshin Zenshū (Œuvres complètes d’Okakura Tenshin) se sont fait une obligation morale de culpabiliser Okakura afin de se déculpabiliser eux-mêmes.
2Malgré la traduction française de ses ouvrages parue en 1917, le nom de Tenshin est aujourd’hui presque oublié même parmi les historiens de l’art francophones specialisés en art asiatique ainsi que par les japonisants. Peu nombreux sont les chercheurs en esthétique occidentaux qui se penchent à présent sur ses écrits les plus connus : The Ideals of the East (1903) et The Book of Tea (1906). Mais il ne nous appartient pas ici de réhabiliter Okakura comme « promoteur d’un panasiatisme esthétique » (Irokawa, 1970) ni de l’accuser d’être un « idéologue ultranationaliste dangereux » (Takeuchi, 1966). Notre propos consistera à resituer Okakura dans le contexte historique du début du XXe siècle. Nous nous appuierons sur une méthodologie strictement philologique et nous nous bornerons à discuter uniquement des données qui restaient jusqu’ici ignorées ou inexplorées. Tout en refusant d’appliquer une quelconque théorie critique toute faite au cas d’Okakura, nous allons poser les questions suivantes. 1) Dans quelle mesure Okakura a-t-il contribué à la formation d’un nationalisme artistique en Inde ? 2) Comment et pourquoi Okakura, le promoteur le plus éloquent de l’idée de l’art oriental comme « organisme vivant », finit-il par être oblitéré et n’est-il plus pris au sérieux par les historiens de l’art au Japon ? (Dans le cadre restreint de notre investigation, nous nous abstiendrons de répéter une introduction générale sur la vie et l’œuvre d’Okakura. Concernant d’autres questions importantes à son sujet, nous renvoyons les lecteurs aux notes qui servent d’introduction critique à la bibliographie sélective qui clôt cet article. Nous ne reviendrons pas non plus sur d’autres études que nous avons consacrées à Okakura et son milieu, qui sont indiquées en bloc dans cette bibliographie1.)
3À cet effet, nous allons d’abord nous interroger sur les relations de Tenshin avec les intellectuels en Inde aux alentours de son premier voyage dans le sous-continent (1901-1902). Ensuite, nous allons réexaminer les écrits qu’il prépara au cours de son séjour à Calcutta. The Ideals of the East et The Awakening of the East (manuscrit écrit en 1902 et publié en 1938) doivent être mis en rapport avec les premiers essais contemporains de l’histoire de l’art en Inde. En troisième lieu, nous allons analyser un changement de paradigme qui se créa vers la fin de la vie d’Okakura à propos des études sur l’art oriental, tournant décisif qui s’avérera déterminant pour la destinée posthume de ce pionnier et initiateur de l’idée de « l’Asie est une » (« Asia is one ») comme une entité esthétique imaginaire.
*
4Nous savons que le premier livre d’Okakura publié en anglais, The Ideals of the East fut préfacé par « Sister Nivedita of RamakrishnaVivekānanda ». Irlandaise d’origine, née Margaret Elisabeth Noble (1867-1911), cette religieuse de l’ordre de Ramakrishna (1836-1886) fut l'une des disciples les plus proches de Vivekānanda (1863-1902), réformateur de l’hindouisme dans la modernité indienne. Les nombreuses lettres qu’envoya Nivedita à Josephine MacLeod (1858-1949) montrent bien l’enthousiasme avec lequel elle reçut le manuscrit de Tenshin quelle corrigea et révisa en vue de la publication (Nivedita, 1967 ; Inaga, 1999). Dans sa préface nous lisons :
Il est extrêmement important de montrer l’Asie, comme le fait M. Okakura, non pas comme un rassemblement désordonné de fragments géographiques tel que nous les imaginons, mais comme un organisme vivant et unifié, chaque partie étant dépendante des autres, de telle sorte que la totalité qui en résulte respire une vie singulière et complexe (Nivedita, 1903 : p. xx).
5Comme l’ont déjà montré Guha-Thakurta (1992 : ch. 5) et d'autres historiens de l’art moderne en Inde, la vision d’Okakura devait servir à Nivedita d’assise idéologique et de force motrice dans la construction d’une identité nationale en Inde moderne. C’est dans le concept d’unité organique (« one-ness ») que Nivedita trouva ce quelle appella une « force syncrétique toute-puissante » (« all-pervasive syncretic force ») permettant de réaliser la « synthèse indienne » sous l’égide de l’hindouisme modernisé. La déclaration célèbre d’Okakura à l’ouverture de cet ouvrage : « L’Asie est une » (« Asia is one »), a servi de slogan politique qu’il s’agissait de réaliser dans une Inde divisée par le règne colonial de l’Empire britannique.
6En fait, la Déclaration de partition du Bengale, décrétée le 16 octobre 1906 par le gouvernement général de Lord Curzon, allait provoquer des protestations et des boycotts massifs dans ce pays (qui désormais n’est plus « un » seul pays, mais séparé entre l’Ouest et l’Est). Cette éruption de sentiments anticoloniaux et nationalistes indiens, connue comme Mouvement Swadeshi, prit une forme concrète dans la jeune discipline de l’histoire de l’art indien dans les années qui suivirent. Et c’est dans ce contexte précisément que Nivedita allait assumer le rôle d’activiste convaincue et engagée pour l’unité nationale indienne, en se solidarisant, entre autres, avec des éducateurs et chercheurs, tels qu’E. B. Havell et A. K. Coomaraswamy (Mitter, 1994 : ch. 7).
7Une personnalité marquante dans le nouveau discours d’affirmation des valeurs et spécificités de l’art indien est Ernest Binfield Havell (1864-1937), qui rencontra Nivedita en 1902, peu avant que celle-ci connaisse Okakura à Calcutta. L’ouvrage de Havell, Indian Sculpture and Painting (1908b), se posa en quelque sorte comme un manifeste défendant l’identité nationale des Indiens, en s’appuyant sur une conception idéalisée des Vedas. La thèse partisane de Havell provoqua une polémique lors de sa conférence à la Royal Society of Art à Londres en 1910. Sir George Birdwood, administrateur colonial qui était aussi connu comme observateur plutôt sensible et sympathisant de la culture indienne en général, s’exprima d’une manière fort méprisante et raciste au sujet de l’art indien : « Des beaux-arts, des réalisations libérées et passionnées des idéaux nourris en nous, je n’ai trouvé, au cours de 28 ans d’expérience, aucun exemple digne de ce nom en Inde » (cité dans Chandra, 1966 : vi).
8À propos d’une statue en méditation (« Dhyāna ») provenant d’Anuradhapura (Ceylan), le même Birdwood continue : « Une telle similitude privée de sens, et fixée dans cette posture immémoriale, n’est rien d’autre qu’une image en bronze sans inspiration aucune. [...] Même un boudin bien cuit aurait pu tout aussi bien servir de symbole » (cité dans Chandra 1966 : iv). Pourquoi la conférence de Havell a-t-elle pu provoquer une réaction aussi violente ?
9Le discours de Havell s’appuyait sur une double stratégie. D’une part, Havell n’a cessé de justifier l’importance de l’iconographie du Dhyāna (posture assise en méditation bouddhique, aux jambes croisées) en se référant non pas au canon gréco-romain, mais à la philosophie du Vedānta. D’autre part, il proposa un renversement de valeurs dans la relation hiérarchique inégale entre Occident et Orient en mettant l’accent sur le caractère indigène essentiel de l’art indien (« Indianness ») et en repoussant les influences extérieures comme déviations de ce principe essentiel. Cette double stratégie de Havell nous rappelle la déclaration d’Okakura. En effet, dans la phrase finale de The Ideal of the East, on lit : « La victoire doit être acquise de l’intérieur, ou il ne restera que la mort subie de force de l’extérieur » (Okakura, 1984, vol. 1 : 132). Dans sa conférence, « Modern Problems in Painting », donnée à Saint-Louis en 1904, Okakura maintient que, pour le camp conservateur du Japon (parmi lequel on ne doit pas compter Okakura a priori), « la vraie homogénéité [d’une civilisation] doit être le résultat d’une réalisation de l’intérieur, et non l’accumulation de choses externes » (Okakura, 1984, vol. 2 :77). Chez Havell, on retrouve la même logique. Celui-ci déclare que la victoire doit être assurée par la philosophie du Vedānta qui se situe au sein de la tradition indienne, et que l’influence extérieure doit être reléguée comme néfaste et périlleuse pour la réalisation de ces idéaux de l’art indien.
10La conséquence logique de la double stratégie de Havell se trouve exprimée le plus clairement dans ses polémiques concernant l’appréciation des sculptures bouddhiques du Gandhāra. Alors que les prédécesseurs de Havell, tels que James Furgasson (1808-1886) et Vincent Smith, avaient admiré la statuaire de Gandhāra en raison d’influences indéniables de l’antiquité grecque, celui-ci critiqua, dans son Indian Architecture, « l’habitude persistante [de ses prédécesseurs] de toujours chercher l’origine de l’art indien ailleurs qu’en Inde », ce qui « nécessairement aboutit à des conclusions fausses » (Havell, 1908a : 2). Havell n’a cessé d’accuser les auteurs qui le précédaient d’« avoir méconnu l’élément hindou » et d’avoir traité l’art indien « comme n’ayant rien à voir avec l’Inde ». À l’opposé, Havell propose de chercher dans l’art indien « l’Indianité » (« Indianness ») essentielle (13).
11En conséquence, Havell reconnut dans la plupart des sculptures du Gandhāra, un « manque de sincérité et de spiritualité », et attribua ces défauts à de fortes « influences romaines » (45-50). En réaction contre l’affirmation quasi unanime, parmi ses contemporains, de l’influence grecque sur Fart du Gandhāra, Havell maintenait que, privé d’influence étrangère, « l’art devient encore plus indien, encore plus national et plus spirituel. » Ce qui nous intéresse ici n’est pas tant la question de la pertinence d’un tel constat que sa nécessité stratégique en tant que rhétorique idéologique. En fait, une telle rhétorique dogmatique était indispensable afin de défendre et justifier les proportions non gréco-romaines des figures dans les sculptures orientales, qu’un Sir Birdwood n’avait pas hésité à rabaisser au rang de « boudin bien cuit ». De là la déclaration philosophique d’un Havell : « La conception indienne de la divinité est celle du corps sur-humain [« superhuman »] et spiritualisé », à savoir, celle de « l’idée d’un corps purifié et transcendental, formé par la pratique du Dhyāna » (1908a : 13). Le critère gréco-romain devait être catégoriquement repoussé comme incompatible avec, et même nuisible à la spiritualité indienne.
12Ce contraste assez réducteur entre la dimension charnelle et sensuelle de la statuaire gréco-romaine et la spiritualité indienne est présent aussi dans un des derniers écrits en anglais d’Okakura, « Religion in East Asian Art », datant de 1911. Tout en rejetant une conception simpliste de l’antinomie supposée entre la spiritualité de l’idéalisme oriental et la materialité du réalisme occidental, Okakura n’en accentue pas moins la différence dans la représentation de l’idée de divinité en Orient et en Occident. Alors que l’Occident essaye « d’idéaliser la figure humaine », l’Orient a recours au « type abstrait » pour définir « la divinité surhumaine ». Dans « la légèreté gracieuse et aérienne » d’une statue du Budhisattva Kwanyin de la période de la Dynastie des Han, Okakura ne manque pas de reconnaître l’influence de l’idéalisme indien (Okakura, 1984, vol. 2 : 133-144).
*
13Ce fut Ananda Coomaraswamy (1877-1943) qui, en 1908, fournit à E. B. Havell un argument idéaliste et essentialiste établissant le principe unificateur de l’art indien. Dans son article, fort doctrinaire et dogmatique, « The Aims of Indian Art » (1908) Coomaraswamy, qui ne manqua pas d’y citer The Ideals of the East d’Okakura, déclare :
Tout comme il existe un idéalisme fondamental des Upanishads, le Vedānta, qui traverse, comme un fil d’or, toutes les écoles de pensée indiennes, il existe dans l’art indien, à travers toutes ses expressions éblouissantes, une unicité sous-jacente. Ce principe unificateur est lui aussi un idéalisme, et cela par le logique même des choses, car la synthèse de la pensée indienne repose sur l’un, et non pas sur la pluralité (Coomaraswamy, 1908 : 1).
14Cette réflexion sur l’unicité de l’art indien, non seulement nous rappelle-t-elle la déclaration d’Okakura : « L’Asie est une », mais elle est aussi basée sur l’idée de l’« advaitisme » qu’Okakura avait apprise de Vivekānanda et développa dans The Ideals of the East : « Le mot advaita désigne l’état de non-dualité, et ce mot est appliqué à l’importante doctrine indienne selon laquelle tout ce qui existe, malgré les diversités apparentes, n’est en réalité qu’un. Dès lors, toute la vérité peut être découverte dans n’importe quelle singularité, l’univers tout entier étant inclus dans chaque détail. De sorte que toutes les choses deviennent également précieuses » (Okakura, 1984, vol. 1 : 128 ; voir Ōkubo, 1987 : 199-206).
15En se référant au passage précité de « The Aims of Indian Art », de Coomaraswamy, Havell publia en 1911 une interprétation esthétique de l’art indien : The Ideals of Indian Art. Dans ce livre, dont le titre s’inspire directement du livre d’Okakura, Havell intensifia encore sa prise de position idéologique. La thèse principale de Havell consistait à réfuter « l’approche archéologique » qui, selon lui, ne voyait dans la statue bouddhique d’Anuradhapura (à Ceylan, mentionnée plus haut à propos de Sir George Birdwood) que l’imitation dégradée du modèle gréco-romain. À l’opposé, il proposait de reconnaître dans la littérature indienne « l’origine de l’idéal à la fois bouddhique et Jain et sa provenance de l’idéal héroïque des Aryens anciens, tel qu’il est décrit dans la poésie épique de l’Inde ». En même temps, Havell s’efforça de montrer l’inspiration de la pensée védique, qui, d’après lui, « pénètre, encore aujourd’hui, l’atmosphère entière de la vie indienne, comme l’impulsion originatrice de l’Art indien » (Havell, 1911 : xiii-xiv).
16Dans la préface de ce livre, Havell se met volontiers d’accord avec l’approche intuitive qui caractérisait les écrits de Tenshin : « Le distingué critique d’art japonais, M. Okakura, auteur des Idéaux de l’Orient, a raison d’avoir insisté sur le fait que dans le domaine de l’Art et de la philosophie, l’Asie dans son ensemble ne fait qu’une. Mais si nous appliquons les méthodes analytiques de l’Occident à l’exégèse de l’esthétique asiatique, nous n’arriverons jamais à atteindre une juste ou complète conception de cette esthétique tant que [...] nous ne serons nous rendre compte de l’importance primordiale de la religion philosophique de l’Inde comme partie intégrante des grandes forces créatrices qui ont moulé l’Art asiatique dans son ensemble » (Havell, 1911 :3).
17On se tromperait, cependant, en croyant qu’Okakura s’accorde avec Havell sur le plan méthodologique. Pour rendre visible le décalage dans leurs prises de position, il ne serait pas inutile de nous rappeler ici la remarque un peu ironique d’Okakura. Dans une de ses conférences données en 1911, « The Nature and Value of Eastern Connoisseurship », il montra sa méfiance par rapport à la tendance idéaliste de la pensée indienne, et reconnut l’avantage de la méthode analytique et empirique que Havell avait critiquée. « En Inde, comme on donne la priorité à la philosophie sur l’histoire, et que l’on traite davantage des idées que des faits, les Anglais ont eu la chance d’être les premiers dans l’établissement de l’histoire des arts indiens » (Okakura, 1984, vol. 2 : 132). La question est donc de savoir si l’idée d’Okakura lui-même, formulée au cours de son séjour en Inde, participe davantage de la philosophie ou, au contraire, de l’histoire.
*
18Pour répondre à cette question, il faut évoquer un troisième historien de l’art, Vincent Smith. C’est aussi en 1911, que Vincent Smith (1848-1920) publia A History of Fine Art in India and Ceylon, ouvrage académique et synthèse définitive (malgré le titre modeste) doté d’un appareil critique important. Dans les éditions précédentes de cette étude, Vincent Smith avait reconnu dans la statuaire bouddhique du Gandhāra « l’influence gréco-romaine marquée » et l’avait jugée comme étant parmi « les meilleurs spécimens de l’art plastique connus jusqu’ici en Inde ». Mais dans cette édition de 1911, il changea d’optique et chercha une conciliation avec les dernières tendances « nationalistes » en proposant des compromis considérables avec les réinterprétations récentes avancées par E. B. Havell et A. Coomaraswamy.
19Pourtant, il est à remarquer que Vincent Smith y manifestait, contre notre attente, son opposition explicite envers « l’ouvrage d’Okakura Kakuzō », à savoir The Ideals of the East. Pour quelle raison Vincent Smith s’opposa-t-il à Okakura ? À notre avis, c’est ici que réside le point crucial du rôle que joua Okakura dans la construction de l’art asiatique comme une « idée » ou plutôt en guise d’« idéaux ». Pour préciser le point en litige, citons d’abord Vincent Smith : « Un auteur japonais en est arrivé à une conclusion étrange selon laquelle la prépondérance de la Chine par rapport à la prétendue influence grecque se révélera au fur et à mesure que notre connaissance sur les œuvres du Gandhara sera approfondie et développée » (Smith, 1911 : 129-130 ; voir Okakura, 1984, vol. 2 : 78 et 92 ; par « Chine », Okakura veut dire la dynastie des Han). Comme le remarque Vincent Smith avec pertinence, cette « affirmation téméraire » d’Okakura peut se comprendre, au mieux, comme une « revendication forcée des propos de Fart asiatique en les opposant aux idéaux de l'art européen », lesquels préféraient Gandhāra selon le critère gréco-romain.
20Inoue Shōichi, sans doute le premier, à notre connaissance, à avoir apporté une analyse approfondie des discours historiques sur l’art oriental en voie de construction, reconnaît dans ce raisonnement hâtif d’Okakura un « dérapage irréfléchi » (Inoue, 1994 :177-178). Pourtant, il serait aussi nécessaire, comme l’a suggéré Vincent Smith, de reconnaître dans la formulation d’un Okakura une alternative presque mécanique de la part des Asiatiques, qui s’opposent au « préjugé » européen basé sur le canon gréco-romain. Tout comme Okakura trahit une « exagération excessive » dans son effort non moins hâtif qu’anachronique d’expliquer la statuaire du Gandhāra par des statues bouddhiques chinoises postérieures, Havell et Coomaraswamy, pour leur part, ne révèlent pas moins une tendance excessive au panindianisme dans leurs tentatives d’expliquer l’art asiatique tout entier par la diffusion de l’idéal philosophique indien (un idéal qui est non moins fictif dans son « invention moderne de la tradition » [Eric Hobsbaum]).
21Tout compte fait, la remarque suivante de Vincent Smith, un peu cynique, rend à la fois justice à la position historique et à la signification politique de l’écrit d’Okakura tout en dévoilant également ses limites : « Il serait inutile de noter la revendication téméraire de M. Okakura, si son livre n’avait pas été remarqué dans certains cercles » (Smith, 1911 : 129). Dans les dernières années de la vie d’Okakura Tenshin, The Ideals of the East allait, en effet, perdre rapidement de sa crédibilité dans les recherches empiriques sur les arts asiatiques (ce dont Okakura était conscient), sauf pour le message politique adressé aux peuples asiatiques pour un combat anticolonial2.
22Afin de saisir pleinement l’impact de la conception idéaliste qu’Okakura avait de l’art asiatique, nous allons maintenant nous pencher sur les savants japonais appartenant à la génération suivante. Examinons brièvement trois chercheurs, à savoir Taki Seiichi, Itō Chūta et Ōmura Seigai, personnages qui semblent avoir joué un rôle déterminant dans la destinée posthume d’Okakura Kakuzō.
*
23En 1900, Taki Seiichi (1873-1945) assuma la responsabilité de rédacteur en chef d’une revue de recherche en histoire de l’art national, Kokka, fondée par Okakura en 1889. Taki demeurera dans cette fonction et la monopolisera jusqu’à la fin de sa vie. Membre de l’Institut impérial (Teikoku gakushi-in kaiin), Taki allait représenter, publiquement et officiellement, le sommet de l’histoire de l’art au Japon jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dès 1916, Taki publia quelques articles sur les dernières tendances dans les études sur la statuaire indienne. Dans « Gandāra Bijutsu no hihan ni tsuite » (« À propos des critiques de la statuaire du Gandhāra »), qui eut une influence importante, Taki, en se référant à E. B. Havell, A. Coomaraswamy et V. Smith, se montra ouvert aux interprétations « néonationalistes » (shin-nashonarisuto) récentes qui s’opposaient à des « préjugés gréco-romains » prédominants jusqu’alors (Taki, 1917).
24Pourtant, chose curieuse, Taki ne mentionne pas ici le nom de son prédécesseur et compatriote Okakura, comme s’il ne voulait lui reconnaître aucune priorité dans cette remise en cause de l’opinion occidentale sur la sculpture du Gandhāra. En fait, dans un autre article publié dans la revue Kokka en 1916, Taki avait déclaré : « Ce n’est pas la peine de prendre au sérieux l’opinion téméraire de M. Okakura [expliquant la sculpture du Gandhāra par l’influence d’origine chinoise], mais on peut dire que son opinion n’est pas négligeable en raison de l’influence que son livre a exercée comme revendication de l’Orientalisme » (Taki, 1916). Cette déclaration de Taki, surtout les nuances qu’il attribue au terme « Orientalisme » (Tōyōshugi), font voir le fait qu’il paraphrase ici la critique de V. Smith envers Okakura (que nous venons de citer plus haut). Souscrivant à l’opinion de V. Smith, Taki se l’approprie pour discréditer Okakura.
25Premier professeur à la chaire d’histoire de l’art nouvellement créée à l’Université impériale de Tōkyō en 1914, Taki est reconnu comme père fondateur de ce département. Okakura décède en 1913, un an avant la nomination de Taki au professorat. À cette occasion, la revue Kokka ne publia aucune nécrologie sur son fondateur, comme il eût fallu, mais lança, au contraire, un article anonyme de vitupérations sarcastiques sur l’Institut d’art japonais, Nippon Bijutsuin, fondé, lui aussi, par Okakura, à titre privé. Le texte taxa d’« échec complet » la tentative de modernisation de la peinture japonaise de Hishida Shunsō ou de Yokoyama Taikan, appartenant tous deux au même Institut, mise en œuvre sur l’initiative d’Okakura. Ces événements montrèrent publiquement l’intention, de la part de Taki, de renier le père fondateur de cette revue et le pionnier de l’histoire de l’art au Japon (« Zatsuroku », 1913). Désormais, la revue s’intéresse de moins en moins à l’actualité artistique contemporaine et se concentre davantage sur les recherches strictement académiques et spécialisées concernant les œuvres d’art ancien.
26Itō Chūta (1867-1954) fut un des premiers professeurs d’histoire de l’architecture à la faculté d’ingénierie de l’Université impériale de Tōkyō. Collaborateur d’Okakura lors de la compilation de L’histoire de l’art du Japon (1900), sous la direction de ce dernier, en vue de l’Exposition universelle à Paris (volume constituant la première histoire « officielle » éditée par la Commission impériale3), Itō est reconnu comme un des membres fondateurs de la Société japonaise d’études de l’architecture (Nihon kenchiku gakkai), qu’il domina.
27On se souvient du nom d’Itō comme promoteur de l’hypothèse de l’influence hellénique sur l’art oriental. Depuis son mémoire de licence, Itō comptait parmi les premiers qui reconnurent l’influence grecque sur l’entasis des colonnes en particulier et sur la symétrie architecturale en général du temple bouddhique de Hōryū-ji à Ikaruga. Sa « découverte » de la statuaire bouddhique rupestre de Yungang en Chine septentrionale en 1902 le convainc de la pertinence de son intuition sur l’influence hellénique dans la statuaire du Gandhara. En s’opposant aux hypothèses d’E. E Fenollosa et autres, qui avaient attribué le rôle de médiateur à la dynastie des Tang, Itō proposa que le style hellénique du Gandhāra avait été transmis au Japon par l’intermédaire de la dynastie des Wei du Nord à laquelle appartient la statuaire de Yungang.
28En 1916, trois ans après la mort d’Okakura, parut l’édition japonaise de L’histoire de l’art du Japon, publiée sous le titre de Kōhon Nippon teikoku bijutsu ryakushi aux éditions du Musée impérial de Tōkyō (Tōkyō Teishitsu Hakubutsukan). Itō prit en charge la réédition de la partie sur l’architecture et la déplaça en fin de volume comme seconde partie du livre. Dans l’édition originale en français de 1900, chaque chapitre était composé chronologiquement et contenait une description de l’architecture en rapport avec d’autres domaines artistiques de la même époque. Dans l’édition japonaise de 1916, Itō désintégra cette composition et regroupa à part l’histoire de l’architecture comme une entité en soi. Peut-être pourrait-on dire que cette division symbolise, entre autres, la séparation de l’histoire de l’architecture et de l’histoire de l’art en deux disciplines académiques différentes – une division qui se maintient encore aujourd’hui sur le plan institutionnel. De plus, cette « séparation » peut être considérée comme une déclaration d’indépendance que lança Itō vis-à-vis de la conception de l’histoire de l’art à la manière d’Okakura, qui traitait, en bon hégélien, les œuvres d’une époque comme incarnation de l’esprit de cette époque (Zeitgeist). (L’hégélianisme de Tenshin peut fort possiblement remonter à Fenollosa.)
29La troisième et dernière personnalité que nous devons évoquer est Ōmura Seigai (1868-1927). Ancien disciple fidèle d’Okakura, Ōmura se sépara du maître et devint un des opposants, avec Fukuchi Mataichi, qui contribuèrent à la démission forcée de Tenshin de la direction de l’École des beaux-arts de Tōkyō en 1898 (Yoshida, 1991 et 1994). Après avoir servi d’éditeur du Shinbi taikan (Grande Encyclopédie des curiosités esthétiques, 1899-1908) en 20 volumes, Ōmura prit les fonctions d’éditeur en chef d’une autre publication qui en fut la suite : Tōyō bijutsu taikan (Grande Encyclopédie de l’art oriental) en 15 volumes (1908-1918), qui comprend sculptures et peintures chinoises. Ces deux séries de compilations monumentales de documents historiques et visuels, avec des reproductions de grand format en collotype noir et blanc, accompagnées de planches gravées sur bois en polychrome, servent aujourd’hui encore comme sources d’informations de base pour les recherches en arts asiatiques (Murakado, 1998).
30De par ces publications monumentales, Ōmura obtint une réputation d’autorité non seulement au Japon mais aussi en Chine. Son Shina bijutsu chōso hen (Histoire de la sculpture de l’art chinois, 1915) demeure un classique. Sa thèse, Mikkyō hattatsu-shi (Précis du développement du bouddhisme esotérique, 1918), écrite en chinois en 5 volumes, fut couronnée du prix de l’Institut impérial (Gakushi-in shō). À côté de son Histoire concise de l’art chinois (Chūgoku bijutsu shō-shi, 1910), son Histoire de l’art oriental (Tōyō bijutsu-shi, 1925) fut traduite en chinois et hautement appréciée par les spécialistes du pays. Ce dernier ouvrage resta longtemps une référence essentielle. Sur le plan de la documentation empirique et historique, les écrits d’Ōmura éclipsèrent complètement les études pionnières d’Okakura Tenshin.
*
31Avec l’avènement de cette nouvelle génération, la mission d’Okakura comme pionnier et initiateur des idéaux de l’art oriental se terminait. Comme le remarque Guha-Thakurta, « le mouvement Swadeshi a donné à Havell et à sa génération une certaine force et résonance, lesquelles, pourtant, n’avaient presque plus rien à voir avec leur validité scientifique dans la discipline de l’histoire de l’art » (Guha-Thakurta, 1992 : 183). Cette remarque ne s’applique pas moins pertinemment à Okakura lui-même, qui avait donné un certain stimulus au mouvement nationaliste Swadeshi au Bengale.
32On peut constater que les orientalistes japonais d’Ōmura Seigai à Taki Seiichi ont assumé un rôle comparable à celui joué par un Coomaraswamy dans la recherche de l’art indien. Désillusionné par le mouvement Swadeshi, A. Coomaraswamy quitta l’Inde pour entamer la seconde moitié de sa carrière professionnelle comme conservateur au musée de Boston à partir de 1916, dans le département des arts orientaux, où Okakura Tenshin s’était efforcé de créer une section d’art indien et avait personnellement essayé de contacter A. Coomaraswamy en vue de sa promotion (Okakura, 1980, vol. 7 : 37, 53). S’écartant intentionnellement de l’idéologie nationaliste et anticoloniale de sa jeunesse, Coomaraswamy se concentra sur l’établissement d’inventaires et catalogues du département oriental et rédigea de nombreux articles et livres sur l’histoire de l’art en Inde, qui resteront des classiques. Son érudition est comparable à bien des égards à celle d’Ōmura Seigai, et il fut hautement apprécié pour sa connaissance profonde et sa sérénité spirituelle.
33Parallèlement au développement des idées et au cadre institutionnel de l’histoire de l’art en Inde, de E. B. Havell à A. Coomaraswamy, la recherche scientifique en histoire de l’art au Japon, en tant que discipline académique, fut mise sur pied avec le passage d’Okakura Kakuzō à la génération suivante d’Ōmura Seigai, Itō Chūta et Taki Seiichi. Il semble aujourd’hui au Japon que la réputation de Tenshin reste ambiguë. D’une part, il est mis à l’écart dans le sanctuaire de l’Institut privé du Nippon Bijutsuin, qui vient de célébrer le centenaire de sa fondation. D’autre part, sa mémoire semble être encore liée à la critique posthume qu’il a subie après la Seconde Guerre mondiale comme l’un des premiers idéologues ultranationalistes du Japon. Entre ces deux extrêmes, Tenshin paraît définitivement congédié de la communauté des chercheurs de l’histoire de l’art au Japon.
34Dans son évaluation critique de la discipline, Tanaka Hisao (1992) a remarqué récemment qu’on a longtemps négligé deux aspects fondamentaux de la vocation de l’histoire de l’art telle qu’Okakura l’avait envisagée. Premièrement, discipline par excellence d’inventaire des patrimoines nationaux, la recherche en histoire de l’art au Japon accentua désormais une tendance à isoler les œuvres d’art de leur contexte historique et de leur milieu social. Deuxièmement, tout en se concentrant sur l’accumulation de données empiriques par des moyens scientifiques (analyses aux rayons X, infrarouges et autres appareils optiques et technologiques, etc.), elle tend à accorder trop peu d’attention au côté psychologique, voire spirituel, de l’histoire des appréciations des œuvres d’art. Côté qu’Okakura Kakuzō a expliqué en détail dans The Book of Tea auprès des citoyens bostoniens.
*
35Pour conclure, citons un texte fort peu connu d’Henri Focillon (1925 : 111). « De l’œuvre des philosophes, des poètes et des artistes de toute l’Asie, le Japonais Okakura dégage la continuité, peut-être fictive, mais géniale comme structure, d’une pensée organique, un patrimoine commun, le patriotisme d’un continent stimulé par une race toujours tendue, en pleine possession de ses vertus. » Ce passage constitue la préface que Focillon ajouta à sa seconde édition d’Hokousaï, en 1925. Il montre clairement la portée du pouvoir sur l’imagination qu’eut le message du visionnaire Japonais, mais elle suggère également la raison pour laquelle Okakura sera éliminé désormais des recherches positivistes et empiriques de l’histoire de l’art oriental au Japon. Comme une sorte de « médiateur invisible » (voir Zizek, 1991 : 185 ; Bourdieu, 1998 : 118), Tenshin devait être oblitéré désormais dans la discipline de l’histoire de l’art oriental, afin que celle-ci puisse continuer de développer sa mission sans être menacée par le spectre de celui qui avait contribué à sa formation. Défenseur et père fondateur le plus éloquent de l’idée de « l’art oriental » comme « organisme vivant », Okakura devait disparaître pour effacer la trace bien « fictive » de cette histoire de fondation.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bibliographie
Atmaprana, Pravrajika (1995) Western Women in the Foodsteps of Swami Vivekananda, New Delhi, Ramakrishna Sarada Mission.
Benerji, Debashish (1999) « Homologies of Cultural Resistance in Turn-of-the-Century Japan ande India: A Comparative Study of Okakura Kakuzō and Rabindranath Tagore », ucla Workshop on Okakurta Tenshin, 22 janvier.
Bourdieu, Pierre (1998) Les règles de l’art, Paris, Seuil.
10.1016/S0304-0208(08)70966-6 :Chandra, Pramod (1966) « Preface », in E. B. Havell, The Art Heritage of India, Bombay, D. B. Taraporevala Sons & Co.
Commission impériale du Japon (1900) Histoire de l’art du Japon.
Coomaraswamy, Ananda K. (1908) « The Aim of Indian Art », in Fundamentals of Indian Art, Jaipur, The Historical Research Documentation Programme, [s.d.] vol. 1, p. 1-19.
Coomaraswamy, Ananda K. (1927) History of Indian and Indonesian Art, New York, E. Weyhe.
Focillon, Henri (1925) « Préface », in Hokousaï, 2e édition, Paris, Librairie Félix Alcan.
Foxe, Barbara (1975) Long Journey Home: A Biography of Margaret Noble, Londres, Rider and Company.
Goto, Suekichi [s.d.] « Tenshin to Indo Bijutsu » (« [Tenshin et l’Art indien »), Bulletin, Ibaragi Daigaku Izura Kenkyusho (Centre de recherche à Izura de l’Université d’Ibaragi), p. 84-101.
Guha-Takurta, Tapati (1992) The Making of A New Indian Art, Cambridge, Cambridge University Press.
Havell, Ernest Binfield (1908a [1913]) Indian Architecture, Londres, J. Murray.
— (1908b [1928]) Indian Sculpture and Painting, Londres, J. Murray.
— (1911 [1920]) The Ideals of Indian Art, Londres, J. Murray.
— (1966) The Art Heritage of India, Bombay: D. B. Taraporevala Son & Co.
Horioka, Yasuko (1975) « Okakura and Swami Vivekananda », Prabuddha Bharata, Advaita Asrama, Mayavati, Jan. 30-34; Mar. p. 140-145.
— (1982) Okakura Tenshin ko (Études sur Okakura Tenshin), Tōkyō, Yoshikawa Kōbunkan.
Inaga, Shigemi (1995) « De l’artisan à l’artiste au seuil de la modernité japonaise ou L’implantation de la notion des Beaux-Arts au Japon », Sociologie de l’art, 8, p. 47-61.
— (1997) « The Cognition Gap in the Recognition of Master and Masterpiece in Modern Japanese Art History and Historiography (1880-1900) », Master and Masterpiece in Japan and in the West, symposium international, Univrsité de East-Anglia,1er-3 septembre 1997 (à paraître).
— (1998) « Okakura Tenshin, Yanagi Sōetsu, Luxun : sur la conception de l’art oriental » (en japonais), Comparative Literature, « Proceedings from the 1st Conference on East Asain Comparative Literature », hors série 9, Corée, p. 125-145.
— (1999) « Okakura Tenshin’s Disciples and their Contemporaries in India », UCLA Workshop, Rethinking Okakura Tenshin, 22 février (à paraître).
Inoue, Shōichi (1994) Hōryūji eno Seishinshi (Histoire des idées sur le Temple bouddhique de Hōryū-ji), Tōkyō, Kōbundō.
Irokawa, Daikichi (dir.) (1970) Okakura Tenshin, Tōkyō, Chūōkōron.
Jayaraman, Lalitha (1991) « Sister Nivedita’s Vision of India », in Sivaramkrishna Sumita Roy (dir.), Perspectives on Ramakrishna-Vivekananda Vedanta tradition, Hayderbad, Ramakrishna-Vvivekananda Seva Samiti.
Karatani Kōjin (1999) « Bijutsukan toshite no Rekishi » (« L’histoire comme musée »), in Shirane Haruo et Suzuki Tomi (dir.), Sōzō sareta Koten (Classiques inventés, canon, État-nation et littérature japonaise), Tōkyō, Shinyōsha, p. 302-365.
Kitazawa, Noriaki (1999) « Bijutsu niokeru “Nihon”, Nihon ni okeru “Bijutsu” », (« “Le Japon” dans l’art ou “l’art” au Japon ») in Kitazawa Noriaki (dir.), Bijutsu no yukue : Bijutsushi no Genzai (Le présent de l’histoire de l’art : où va l’art ?), Tōkyō, Heibonsha.
Kojita, Yasunao (1997) Nihonshi no Shisō (Les pensées de l’histoire du Japon), Tōkyō, Kashiwa Shobō.
Mukherjee, Jayasree (1997) The Ramakrishna-Vivekananda Movement: Impact on Indian Society and Politics (1893-1922), Calcutta, Firma klm.
Mitter, Partha (1994) Art and Nationalism in Colonial India 1850-1922, Cambridge, Cambridge University Press.
Morimoto, Tatsuo (1989) « Tenshin to Indo » (« Tenshin et l’Inde »), Bungaku, p. 84-96.
Murakado, Noriko (1998) « Shinbi Shoin no Bijutsu Zenshū ni miru ‘Nihon Bijutsushi’ no keisei » (« La formation de l’histoire de l’art au Japon : à travers la publication des encyclopédies d’art par la librairie Shinbishoin »), communication orale à Meiji Bijutsu Gakkai (Society for the Study of Arts in Meiji Era), 11 juillet, 1998.
Nakamura, Tadao (1996) « Hindū bazāru purinto no keisei to “hahanaru Indo” » (« La conception des étampes de baza indiennes et de la notion de “Mère l’Inde” »), Ritsumeikan Gengo Bunka Kenkyū, p. 67-86.
Nivedita of Ramakrishna-Vivekānanda (1903) « Preface », in Okakura Kakuzō, The Ideals of the East.
— (1967) The Complete Works of Sister Nivedita, 4 vol., Calcutta, Ananda Publishers.
— (1968) Nivedita Commemoration Volume (éd. Amiya Kumar Mazumdar), Calcutta, Vivekananda Janmotsava Samiti.
— (1975) Sister Nivedita’s Lectures and Writings, Calcutta, Sister Nivedita Girl’s School.
— (1982) Letters of Sister Nivedita, 3 vols., Calcutta, Nababharat Publishers.
Notehelfer, Fred G. (1990) « On Idealism and Realism in the Thought of Okakura Tenshin », Journal of Japanese Studies, 2, p. 309-354.
Okakura, Kakuzō (1903) The Ideals of the East, trad. japonaise, in Okakura Tenshin zenshū (Œuvres complètes d’Okakura Tenshin), 8 vol., Tōkyō, Heibonsha, 1980.
— (1980) Okakura Tenshin Zenshū (Œuvres complètes d’Okakura Tenshin), 8 vol., Tōkyō, Heibonsha.
— (1984) Collected English Writings, 3 vol., Tōkyō, Heibonsha.
Okakura, Koshirō (1987) « Tenshin to Bengaru no Kakumeikatachi » (« Tenshin et les révolutionnaires au Bengal »), Tōyō-Kenkyū, p. 1-45.
— (1999) Sofu Okakura Tenshin (Okakura Tenshin mon grand-père), Tōkyō, Chūōkōron Bijutsushuppan.
ŌKubo, Takaki (1987) Okakura Tenshin, Tōkyō, Ozawa Shoten.
Ōmura, Seigai (1899-1908) Shinbi Taikan (Grande Encyclopédie des curiosités esthétiques), Kyōto/Tōkyō, Shinbi Shobō.
— (1909-1918) Tōyō bijutsu taikan (Grande Encyclopédie de l’art oriental), Tōkyō, Shinbi Shobō.
— (1910) Chūngoku bijutsu shō-shi (Histoire concise de l’art chinois), édition privée.
— (1915) Shina bijutsu chōso hen (Histoire de la sculpture chinoise), édition privée.
— (1918) Mikkyō hattatsu-shi (Précis du développement du bouddhisme esotérique) en chinois, édition privée, en 5 vol.
— (1925) Tōyō bijutsu-shi (Histoire de l’art oriental), édition privée.
Ōoka, Makoto (1975) Okakura Tenshin, Asahi Shinbusha.
Prabuddhaprana, Pravrajika (1990) Tatine, The Life of Josephine MacLeod, Calcutta, Sri Sarada Math.
Roy, Parama (1995) « As the Master Saw Her », in Sue-Ellen Case, et al. (dir.), Crusing The Performative, Bloomington et Indianapolis, Indiana Univerisity Press, p. 112-129.
Satō, Dōshin (1998) Meiji Kokka to Kindai Bijutsu (L’état de Meiji et l’Art moderne), Tōkyō, Yoshikawa-Kōbunkan.
10.1017/S0035869X00043367 :Smith, Vincent (1911) A History of Fine Art in India and Ceylon, Oxford, Clarendon Press.
Takagi, Hiroshi (1997) Kindai Tennō-sei no bunkashiteki kenkyū (Études culturelles du système de Tennō aux temps modernes), Kyōto, Azekura Shobō.
Takeuchi, Yoshimi (1966) « Okakura Tenshin », in Takeuchi, Nihon to Ajia (Le Japon et l’Asie), 1993, Tōkyō, Chikuma shobō.
Taki, Seiichi (1916) « Indo geijutsu no tōa ni oyoboseru eikyou ni tsuite » (« Sur l’influence de l’art indien sur l’Asie de l’Est »), Kokka, avril et mai.
— (1917) « Gandāra Bijutsu no Hihan ni tsuite » (« À propos des critiques de la statuaire du Gandhāra »), Shoga kottō zasshi, 103, p. 1-6.
Tanaka, Hisao (1992) « Nihon bijutsushigaku no keisei to genjō hihan » (« Histoire de la formation de l’histoire de l’art japonais, suivi d’une critique de l’état actuel de la discipline »), présentation orale en 1991, Bigaku, p. 63.
Tanaka, Hidetaka (1999) « Okakura Tenshin no bijutsushugiteki bunmeiron » (« Traité sur les civilizations d’un point de vue esthétique chez Okakura Tenshin »), Bulletin of the Tokugawa Institute for the History of Forestery, March, p. 55-77.
Tnricp (Tōkyō National Research Institute of Cultural Properties) (dir.) (1999) The Present, and the Discipline of Art History in Japan: International Symposium on the Preservation of Cultural Property, Tōkyō, Heibonsha.
Tōkyō Teishitsu Hakubutsukan (1916) Tōkyō tenshitsu hakubutsukan (Le Musée impérial de Tōkyō), Nippon Teikoku Bijutsu Ryakushi (Histoire abregée de l’Art du Japon), Tōkyō, Ryūbunkan Tosho Kabushiki Gaisha.
Tsubuchi, Takahiko (1998) Okakura Tenshin no shisō tanbō (À la recherche de la pensée d’Okakura Tenshin), Tōkyō, Keisō shobō.
Yamaguchi, Seiichi (1982) Fenorosa, Nihon bunka no sen’yō ni sasageta isshō/Ernest Francisco Fenollosa: A Life Devoted to the Advocacy of Japanese Culture, Tōkyō, Sanseidō, 2 vol.
Yoshida, Chizuko (1991) « Ōmura Seigai no Bijutsu Hihyō » (« Seigai Omura comme critique d’art »), Tōkyō Geijutsu Daigaku Bijutsugakubu Kiyō, p. 25-52.
(1994) « Onishi Seigai to Chūgoku » (« Ónishi Seigai et la Chine »), Tōkyō Geijutsu Daigaku Bijutsu-gakubu Kiyō, 29, p. 1-35.
« Zatsuroku » (1913) Kokka, p. 115-116.
Zizek, Slavoj (1991) « For They know not what they do: Enjoyment as a political factor », Londres et New York, Verso.
Notes de bas de page
1 Pour une introduction générale à la biographie et à l’œuvre d’Okakura Kakuzō, dit Tenshin, nous renvoyons les lecteurs à Notehelfer (1990) et à la préface des Collected English Writings (Okakura, 1984). Sur Okakura, son temps et son milieu, de nombreuses études sont disponibles. Notons à titre d’exemple, Ōoka (1975), Ōkubo (1987), Okakura (1999), compte tenu de leur importance. Sur Okakura et E. F. Fenollosa, voir Yamaguchi (1982). Sur la formation et la réévaluation critique de l’histoire de l’art au Japon moderne, voir, entre autres, Inoue (1994), Inaga (1995,1997), Sato (1998) et Kitazawa (1999). Sur Okakura et l’Inde, voir Horioka (1982), Okakura (1987), Guha-Takurta (1992), Mitter (1994), Benerji (1999). Mitter (1994) contient des erreurs de date et d’information et Benerji (1999) analyse d’une manière exhaustive la relation de Tenshin avec la famille Tagore. Kojita (1997) et Tsubuchi (1998) essaient de situer Okakura dans le contexte du panasiatisme, mais le premier demeure hypothétique dans plusieurs points importants et le dernier est plus journalistique que scientifique. Un survol de ce problème dans une optique des études culturelles (cultural studies) est donné par Tanaka (1999). Notre perspective critique sur Okakura dans ce contexte est présentée dans Inaga (1998) qu’il faut comparer avec Karatani (1999). Sur la question du gender et de l’ethnicité, qui se manifeste dans les relations d’Okakura et de Vivekananda avec Sister Nivedita et Josephine MacLeod, voir Jayaraman (1991), Roy (1995), Nakamura (1996) et Inaga (1999). Les débats controversés sur l’intervention de Sir Birdwood (Havell, 1966) et ceux qui visèrent Okakura en 1898 (Yoshida, 1994) et en 1913 (« Zatsuroku », 1913) sont, malgré leur apparence anecdotique, trop importants pour ne pas être mentionnés, car ces événements marquèrent publiquement un tournant décisif dans les jugements des valeurs artistiques que nous étudions dans cet article.
2 La solidarité d’Okakura avec les nations colonisées s’est manifestée le plus clairement dans son manuscrit connu sous le titre de The Awakening of the East. Écrit en Inde en 1902 et intitulé We are one (Nous sommes solidaires) et corrigé sur place par Nivedita, ce manuscrit ne sera jamais publié du vivant d’Okakura. Publié à titre posthume en traduction japonaise en 1938, cet ouvrage est utilisé pour justifier l’expansionnisme militaire de l’Empire du Japon (Okakura, 1987 ; 1999). D’après notre hypothèse (Inaga, 1999), les raisons pour lesquelles ce manuscrit resta non publié seraient multiples : outre son caractère hautement propagandiste, en solidarité avec les intellectuels indiens sous la colonisation, et outre l’état inachevé du texte, dans sa conclusion en particulier, il faudrait aussi tenir compte du fait qu’Okakura ne pouvait plus maintenir sa prise de position solidaire avec les indiens colonisés après la publication en 1905 de The Awakening of Japan. En effet, The Awakening of Japan est une propagande progouvernmentale ayant pour but de convaincre et justifier auprès des lecteurs occidentaux l’intervention militaire en Corée que le Japon avait commencée lors de la guerre russo-japonaise, et qui marquait l’avènement de l’impérialisme colonial au Japon en tant que colonisateur de la Corée (qui fut « annexée » en 1910). Le regret d’Okakura pour cette situation glissante de la politique internationale sera clairement manifesté au début de The Book of Tea : « Les Occidentaux moyens avaient l’habitude de regarder le Japon comme barbare tant qu’il s’adonnait aux arts bénins de la paix. Ils le trouvent civilisé dès qu’il s’est mis à commettre des massacres sur les champs de bataille en Mandchourie. » (Okakura, 1984, vol. 1 : 270). Sur l’interprétation de ce passage d’Okakura, et sur le problème du public de l’ouvrage d’Okakura, voir plus précisément Inaga (1998).
3 Il faudrait noter cependant que, d’après une hypothèse de Kojita Yasunao, les idées cosmopolites et panasiatiques d’Okakura Tenshin auraient pu être modifiées dans l’édition publiée et remplacées par celles, purement ultranationalistes de l’école nationale de Mito sur l’initiative de l’équipe de Fukuchi Mataichi, qui avait réussi à faire démissionner Tenshin de ses fonctions de rédacteur et de président de l’École des beaux-arts (Kojita, 1997 : 31-102). Bien que fort intéressante, cette hypothèse, s’appuyant sur des preuves de circonstances, demanderait encore des vérifications plus précises.
Auteur
Professeur agrégé au Centre international d’études japonaises (Nichibunken) à Kyōto. Il a reçu son doctorat de l’Université de Paris-VII. Il s’intéresse à l’art français et japonais des XIXe et XXe siècles, à l’histoire de la pensée japonaise contemporaine, aux questions de perception et de conceptualisation de l’autre dans l’anthropologie contemporaine et les théories postcoloniales. Il a publié de nombreux articles en japonais, français, anglais et allemand. Parmi ses livres récents, on note Kaiga no tasogare (Le crépuscule de la peinture, Presses de l’Université de Nagoya, 1997), Kaiga no Tōhō : Orientarizumu kara Japonizumue (L’Orient de la peinture : de l’orientalisme au japonisme, Presses de l’Université de Nagoya, 1999) et, comme directeur de publication, Ibunka rikai no rinri ni mukete (Pour une éthique de la compréhension interculturelle, Presses de l’Université de Nagoya, 2000).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mythe et philosophie à l'aube de la Chine impériale
Études sur le Huainan zi
Charles Le Blanc et Rémi Mathieu (dir.)
1992
La Chine imaginaire
Les Chinois vus par les Occidentaux de Marco Polo à nos jours
Jonathan D. Spence
2000